Couverture de ETR_941

Article de revue

Donner la mort et agir selon la justice. La réception de Phinées des Maccabées aux premiers chrétiens

Pages 125 à 150

Notes

  • [1]
    Du côté français, le principal spécialiste est Jean Flori qui a consacré de nombreux ouvrages sur le sujet. Citons en particulier Jean F, L’idéologie du glaive. Préhistoire de la chevalerie, Genève, Droz, 1983 (20102) ; I., La première croisade. L’Occident chrétien contre l’islam, aux origines des idéologies occidentales 1095-1099, Paris, Éditions Complexe, 1992 ; I., La guerre sainte. La formation de l’idée de croisade dans l’Occident chrétien, Paris, Aubier, coll. « Historique », 2009.
  • [2]
    Jean Flori, « L’Église et la Guerre Sainte : de la “Paix de Dieu” à la “croisade” », Annales 47 (1992), p. 453.
  • [3]
    Amaury Levillayer, « Guerre “juste” et défense de la patrie dans l’Antiquité tardive », Revue de l’histoire des religions 3 (2010) [en ligne] : DOI : 10.4000/rhr.7619, § 1 (mis en ligne le 1er octobre 2013, consulté le 10 septembre 2018).
  • [4]
    J. Flori, La guerre sainte, op. cit.
  • [5]
    Voir en particulier Georges Kalantzis, Caesar and the Lamb : Early Christian Attitudes on War and Military Service, Eugene, Oreg., Cascade Books, 2012. Voir aussi Michel Hornus, Évangile et Labarum. Étude sur l’attitude du christianisme primitif devant les problèmes de l’État, de la guerre et de la violence, Genève, Labor et Fides, 1960 ; Roland H. Bainton, Christian Attitudes toward War and Peace : A Historical Survey and Criticial Re-Evaluation, Nashville, Abingdon Press, 1960.
  • [6]
    Voir notamment Edward A. Ryan, « The Rejection of Military Service by the Early Christians », Theological Studies 13 (1952), p. 1-32.
  • [7]
    Louis J. S, The Early Fathers on War and Military Service, Wilmington, Del., Michael Glazier, 1983. Pour un point de vue non polémique, voir James J. Megivern, « Early Christianity and military service », Perspectives in Religious Studies 12 (1985), p. 175-183 et Patrick G. Barber, « Christian views of military participation prior to the reign of Constantine », Restoration Quarterly 53 (2011), p. 101-112. Pour un apercu de la recherche en ce domaine : David G. Hunter, « A decade of research on early Christians and military service », Religious Studies Review 18 (1992), p. 87-94. Plusieurs auteurs se sont en particulier intéressés au concile d’Arles qui se tint en 314 et qui paraît constituer une rupture avec la période précédente ; parmi eux, André Méhat en propose une nouvelle interprétation qui met l’accent sur la continuité : André Méhat, « Le Concile d’Arles (314) et les Bagaudes », Revue des sciences religieuses 63 (1989), p. 47-70.
  • [8]
    L. J. Swift, The Early Fathers on War, op. cit., p. 29 (« represents a major shift rather than a reversal in Christian thinking, a shift that was made possible by earlier ambiguities and disagreements concerning the use of coercion and made necessary by the altered political circumstances in which Christians now found themselves »).
  • [9]
    Voir J. J. Megivern, « Early Christianity and military service », art. cit., p. 175-177 : l’auteur revient sur le caractère confessionnel de nombreux travaux antérieurs, avant d’annoncer que son étude se veut œcuménique. Voir également P. G. Barber, « Christian views of military participation prior to the reign of Constantine », art. cit., en particulier p. 112. Nous aurions une ambiguïté équivalente chez les juifs des premiers siècles : Emmanuel Friedheim, « La culture gréco-romaine et le milieu rabbinique ou la question de l’identité juive en Palestine romaine », Annuaire de l’École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux 124 (2017), en ligne : http://journals.openedition.org/asr/1599, § 2 (consulté le 3 août 2018).
  • [10]
    A. Levillayer, « Guerre “juste” et défense de la patrie dans l’Antiquité tardive », art. cit., § 3.
  • [11]
    J. J. Megivern, « Early Christianity and military service », art. cit., p. 111 ; P. G. Barber, « Christian views of military participation prior to the reign of Constantine », art. cit., p. 107, à propos des arguments avancés par Tertullien contre le service militaire. Voir aussi John Helgeland, « Christians in the Roman Army from Marcus Aurelius to Constantine », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II, 23 (1979), p. 724-834.
  • [12]
    Pour les ive et ve siècles, la réception de Phinées par les penseurs chrétiens a déjà été bien étudiée : Martine Dulaey, « Histoire et doctrines du christianisme latin (Antiquité tardive) », Annuaire de l’École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux 117 (2010), en ligne : http ://journals.openedition.org/asr/829 (consulté le 3 juillet 2018) ; Marie-Odile Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules. Interprétations patristiques d’Ex 20,5, Nb 25,11 et Dt 32,21 », in Hedwige Rouillard-Bonraisin (éd.), Jalousie des dieux, jalousie des hommes, Turnhout, Brepols, 2011, p. 249-276. Voir aussi Mark DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians : Philo, Origen, and a Family Legacy of Anti-Eunomian Rhetoric », Annali di storia dell’esegesi 34 (2017), p. 107-123.
  • [13]
    À compléter par les références suivantes : Louis Feldman, « The Portrayal of Phinehas by Philo, Pseudo-Philo, and Josephus », Jewish Quarterly Review 92 (2002), p. 315-345 ; David A. Bernat, « Josephus’s portrayal of Phinehas », Journal for the Study of the Pseudepigrapha 13 (2002), p. 137-149 ; Ryan S. Schellenberg, Timothy J. Geddert, « Phinehas and the Pharisees : Identity and Tolerance in Biblical Perspective », Direction 34 (2005), p. 170-180 ; Carolyn J. Sharp, « Phinehan Zeal and Rhetorical Strategy in 4QMMT », Revue de Qumran 18 (1997), p. 207-222 ; Claude Tassin, « Un grand prêtre idéal ? Traditions juives anciennes sur Pinhas », Revue des études juives 167 (2002), p. 1-22.
  • [14]
    Cette histoire et ses conséquences (l’ordre de Dieu d’attaquer les Madianites, Nb 25,26-18) proviendraient d’un récit sacerdotal. Ce dernier aurait été ajouté au premier récit qui est relatif à l’incident de Baal de Péor et qui met en scène les filles de Moab. Voir Baruch A. Levine, Numbers 21-36. A new Translation with Introduction and Commentary, New York/Londres/Toronto/Sydney/Auckland, Doubleday, coll. « The Anchor Bible 4A », 2000, p. 279-303.
  • [15]
    Aux versets 14 et 15, le nom de l’Israélite est donné : Zambri, fils de Salô, ainsi que celui de la Madianite : Khasbi, fille de Sour.
  • [16]
    La traduction est de Gilles Dorival, Nombres, Paris, Cerf, coll. « La Bible d’Alexandrie 4 », 1994.
  • [17]
    Notons que contrairement aux hommes d’Israël qui ont entretenu des relations avec les filles de Moab, dans le cas de l’Israélite tué par Phinées, il n’est pas question d’une attitude religieuse qui ferait l’objet d’une réprobation. Néanmoins, l’accent mis sur l’attitude sexuelle montre l’importance de celle-ci et peut en faire le symbole de tout détournement du culte de Dieu.
  • [18]
    Sur cette histoire, voir notamment John J. Collins, « The zeal of Phinehas : the Bible and the Legitimation of Violence », Journal of Biblical Literature 122 (2003), p. 3-21, ici p. 12-13.
  • [19]
    David Lincicum, « Philo on Phinehas and the Levites : Observing an Exegetical Connection », Bulletin for Biblical Research 21 (2011), p. 43-49, ici p. 45.
  • [20]
    Sur cette domination, voir Simon C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Nouvelle Clio », 2012, p. 289-306.
  • [21]
    Ibid., p. 303.
  • [22]
    Ibid., p. 324-328.
  • [23]
    S. C. Mimouni relève que les causes de cette révolte sont actuellement toujours sujettes à caution – plutôt religieuses pour les uns, politiques pour les autres – et propose d’envisager que plusieurs partis aux opinions politico-religieuses divergentes entrent en conflit les uns avec les autres : voir ibid., p. 345-350, et pour la révolte : ibid., p. 332-344.
  • [24]
    Étienne Nodet, La crise maccabéenne. Historiographie juive et traditions bibliques, Paris, Cerf, coll. « Josèphe et son temps 6 », 2005, p. 64. Sur la datation, voir aussi S. C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, op. cit., p. 332-334.
  • [25]
    1 M 2,54 (LXX). La traduction est nôtre.
  • [26]
    Cet événement serait à dater de la fin de l’année 167 ou du début de l’année 166 avant l’ère commune. É. Nodet, La crise maccabéenne, op. cit., p. 159. Voir aussi André Dupont-Sommer, « Histoire ancienne de l’Orient », Annuaire de l’École pratique des hautes études. Section des sciences historiques et philologiques 102 (1970), p. 131-160, ici p. 133-134.
  • [27]
    1 M 2,26 (LXX). La traduction est nôtre.
  • [28]
    1 M 2,24 (LXX). La traduction est nôtre.
  • [29]
    S. C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, op. cit., p. 412.
  • [30]
    Ibid., p. 441 ; Cl. Tassin, « Un grand prêtre idéal ? », art. cit.
  • [31]
    William Reuben F, Maccabees, Zealots, and Josephus. An Inquiry into Jewish Nationalism in the Greco-Roman Period, New York, Columbia University Press, 1956, p. 177-178 (« capable of turning away the wrath of God from his disobedient people » et « redemptive instrument »).
  • [32]
    S. C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, op. cit., p. 700-704.
  • [33]
    Ibid., p. 698.
  • [34]
    P’A, De specialibus, I,54, trad. Suzanne Daniel, in I., De specialibus legibus I-II, Paris, Cerf, coll. « Œuvres de Philon d’Alexandrie 24 », 1975. Comme le fait remarquer D. Lincicum, « Philo on Phinehas and the Levites », art. cit., p. 44-45, à propos de la réécriture de cette histoire dans De vita Mosis, Philon met l’accent sur l’idolâtrie et n’évoque pas l’attitude sexuelle répréhensible. Il en va de même ici.
  • [35]
    Philon d’Alexandrie, De specialibus, I,55.
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
    Ibid., I,57.
  • [38]
    Ibid. Philon s’appuie probablement sur Nb 25,15.
  • [39]
    De vita Mosis, I,302 ; les sections 301-303 se présentent comme une réécriture de l’histoire de Phinées. Voir Philon d’Alexandrie, De vita Mosis, introduction, traduction et notes par Roger Arnaldez et al., Paris, Cerf, coll. « Œuvres de Philon d’Alexandrie 22 », 1967.
  • [40]
    Ibid., I,295.
  • [41]
    Il existe toutefois un débat à ce sujet ; voir D. Lincicum, « Philo on Phinehas and the Levites », art. cit., p. 43-44.
  • [42]
    Voir S. C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, op. cit., p. 698.
  • [43]
    C’est en particulier le cas dans De confusione linguarum 57, De ebrietate 72-75 ou De specialibus legibus III,242.
  • [44]
    Voir aussi D. A. Bernat, « Josephus’s portrayal of Phinehas », art. cit.
  • [45]
    Il donne en effet de nombreux détails qui ne se trouvent pas dans le livre des Nombres, comme le plaidoyer de Zambrios (le Zambri des Nombres) contre Moïse (Antiquités juives, IV, § 145-149) et comme le nombre des morts : 14 000 sous sa plume (Antiquités juives, IV, § 155), alors qu’il est de 24 000 dans Nb.
  • [46]
    Pour le texte et la traduction : Flavius Josèphe, Antiquités juives, texte établi, traduction et notes par Étienne Nodet, Paris, Cerf, coll. « Flavius Josèphe 2 », 20042 (1995).
  • [47]
    Antiquités juives, XII, § 270 ; sur les différences entre le récit de Josèphe et 1 M, voir É. Nodet, La crise maccabéenne, op. cit., p. 427. Lire aussi Flavius Josèphe, La Guerre des juifs, I,36.
  • [48]
    A. Dupont-Sommer, « Histoire ancienne de l’Orient », art. cit., p. 145.
  • [49]
    Paul pourrait se fonder sur des traditions différentes, dont Josèphe témoignerait lui aussi. Sur ce passage paulinien, voir Michel Quesnel, La Première épître aux Corinthiens, Paris, Cerf, coll. « Commentaire biblique : Nouveau Testament 7 », 2018, p. 225-232.
  • [50]
    En ligne : http://www.biblindex.info/ (consulté le 10 mai 2018).
  • [51]
    Thesaurus Linguae Graecae, en ligne : http://stephanus.tlg.uci.edu/ (consulté le 15 mai 2018). Library of Latin Texts, Series A, en ligne : http://clt.brepolis.net.janus.biu.sorbonne.fr/llta/pages/QuickSearch.aspx (consulté le 20 mai 2018).
  • [52]
    M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., p. 250-256 pour le zèle de Dieu et p. 267 pour celui de Phinées.
  • [53]
    Ibid., p. 251
  • [54]
    Cette ambivalence n’est pas propre à l’époque antique. Elle a également été relevée par Chrystel B et Frédéric G (dir.), Critique du zèle. Fidélités et radicalités confessionnelles (France, XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Beauchesne, coll. « Théologie historique 122 », 2013.
  • [55]
    Ibid., p. 251-255, qui mentionne le Deuxième traité du Grand Seth, NH VII, 2, p. 64.18-25 et le Témoignage véritable, NH IX, 3, p. 48,4-5. Nous pouvons aussi ajouter le Livre des secrets de Jean, BG, p. 44.13-18.
  • [56]
    M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., p. 267.
  • [57]
    En particulier, il n’y a aucune mention de Phinées dans les écrits coptes de Nag Hammadi. La première mention de Phinées par un polémiste grec se trouverait sous la plume de Julien l’empereur, frag. 33 et 36 : voir ibid., p. 268-269.
  • [58]
    Il suffit de lire plusieurs apologies écrites au iie siècle : leurs auteurs, tout en défendant leurs pratiques et leurs croyances et tout en critiquant celles des polythéistes, souhaitent montrer combien ils sont de bons citoyens, loyaux à l’Empire et à l’empereur. Voir Justin, Apologie, ou Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens.
  • [59]
    C’A, Stromate III 32 ; T, Scorpiaque III et De pudicitate VI, 13.
  • [60]
    Origène, Commentaire sur Jean, VI, 83 et XX, 220 ; homélies sur Nb 15, 20 et 25 ; homélies sur Gn 16 ; homélie sur (1 et 2) Rois et dans quelques fragments. Cyrpien de Carthage, Lettre 73 à Julianus. Il faut y ajouter quelques fragments attribués à Hippolyte de Rome.
  • [61]
    Voir L. J. Swift, The Early Fathers on War, op. cit. ; Stephen Gero, « Miles gloriosus : the Christian and Military Service According to Tertullian », Church History 39 (1970), p. 285-398 ; J. J. Megivern, « Early Christianity and military service », art. cit., p. 174 ; J. Helgeland, « Christians in the Roman Army », art. cit., p. 735-744, où l’auteur débute son enquête par Tertullien.
  • [62]
    Voir en particulier la Passion de Perpétue et Félicité, X, 7-11.
  • [63]
    S. Gero, « Miles gloriosus : the Christian and Military Service According to Tertullian », art. cit.
  • [64]
    M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., p. 268-270, avec un intérêt accordé essentiellement à Julien et Cyrille. Compléter avec M. DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians », art. cit., qui ne semble pas connaître l’article de M.-O. Boulnois.
  • [65]
    M. Dulaey, « Histoire et doctrines du christianisme latin », art. cit. Pour une étude de l’ensemble des représentations de la catacombe, voir Liselotte Kötzsche-Breitenbruch, Die Neue Katakombe an der Via Latina in Rom. Untersuchungen zur Ikonographie der Alttestamentlichen Wandmalereien, Munich, Aschendorffsche Verlag, coll. « Jahrbuch für Antike und Christentum Ergänzungsband 4 », 1976.
  • [66]
    Clément et Tertullien notamment ne sont pas étudiés par M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., ni par M. DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians », art. cit.
  • [67]
    Annewies H, Clement of Alexandria and his Use of Philo in the Stromateis. An Early Christian reshaping of a Jewish Model, Leyde/New York/Copenhague/Cologne, Brill, 1988, p. 73, montre le lien que Clément établit entre la loi et l’éducation à la vertu.
  • [68]
    Stromate, III, IV, 31-32. La traduction est nôtre.
  • [69]
    A. van den Hoek, Clement of Alexandria and his Use of Philo in the Stromateis, op. cit.
  • [70]
    Nous avons vu qu’une idée équivalente était déjà présente sous la plume de Philon, supra p. 132.
  • [71]
    Voir supra p. 133.
  • [72]
    Dans ses commentaires de Tertullien, De pudicitate, t. II, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 395 », 1993, p. 337, Claudio Micaelli considère en effet que Tertullien avait une connaissance directe du livre des Nombres. Néanmoins, cela n’empêche pas que Tertullien ait pu être plus particulièrement intéressé par cette information suite à sa lecture de Paul, qu’il cite souvent.
  • [73]
    La traduction est nôtre.
  • [74]
    Philon d’Alexandrie, De vita Mosis I,303 ; voir D. Lincicum, « Philo on Phinehas and the Levites », art. cit., p. 46.
  • [75]
    Peter N, Penser la tolérance durant l’Antiquité tardive, Paris, Cerf, coll. « Les conférences de l’École Pratique 294 », 2018, p. 65-91.
  • [76]
    Claudio Micaelli, « Introduction », in Tertullien, De pudicitate, t. I, texte critique et traduction de Charles Munier, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 394 », 1993, p. 13.
  • [77]
    Tertullien, De pudicitate, t. I, op. cit., VI, 12-13.
  • [78]
    Voir supra n. 58.
  • [79]
    Homélie 20, 5,1, dont il sera question plus loin.
  • [80]
    Il est difficile d’être plus précis.
  • [81]
    Cicéron, De optimo genere oratorum, 14. Voir Marguerite Harl, Gilles Dorival, Alain Le Boulluec, « Introduction », in Origène, Traité des principes (Peri Archôn), introduction et traduction par Marguerite Harl, Gilles Dorival et Alain Le Boulluec, Paris, Études augustiniennes, 1976, p. 14.
  • [82]
    Le contexte est celui d’une controverse qui se développe autour d’Origène et de ses idées, notamment à la suite d’allégations d’Épiphane de Salamine dans son Panarion. Voir les préfaces que Rufin a écrites pour sa traduction du Peri Archôn : Marguerite Harl, Gilles Dorival, Alain Le Boulluec, « Dossier annexe – Rufin d’Aquilée », in Origène, Traité des principes, op. cit., p. 270-273.
  • [83]
    Ici, homélie 15, 2,1, Rufin introduit une glose pour expliquer son néologisme supermaledico qui permet de traduire le grec ἐπικαταρῶμαι, ce que ne faisaient pas, selon lui, les traductions latines antérieures de la LXX.
  • [84]
    Scandalus : homélie 15, 2,2. Origène explique en quoi consiste le scandale dans l’homélie 25.
  • [85]
    Homélie 15, 2,2 ; traduction de Louis Doutreleau, in Origène, Homélies sur les Nombres, t. II : Homélies XI-XIX, nouvelle éd. par Louis Doutreleau, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 442 », 1999.
  • [86]
    Homélie 20, 5,1 ; traduction de Louis Doutreleau, in Origène, Homélies sur les Nombres, t. III : Homélies XX-XXVIII, nouvelle éd. par Louis Doutreleau, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 461 », 2001.
  • [87]
    Au début de l’homélie 20, 1,1, Origène annonce aussi vouloir parler du recensement du peuple (Nb 26). Finalement, il n’a pas le temps de le faire dans l’homélie 20 ; celle-ci est ainsi entièrement consacrée au thème de la fornication. Il aborde le thème du recensement dans l’homélie 21.
  • [88]
    Origène a déjà évoqué ce conseil dans l’homélie 15.
  • [89]
    Ce lien a déjà été fait dans l’homélie 15 et également dans les œuvres de ses prédécesseurs, Philon, mais aussi Tertullien.
  • [90]
    Il s’agit là probablement d’une idée qu’il reprend de Philon, De vita Mosis I,294-295.
  • [91]
    M. DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians », art. cit., p. 111-112, rappelle que dans cette homélie Origène s’approprie et réoriente l’interprétation de Philon.
  • [92]
    Ce que l’on avait déjà lu sous la plume de Tertullien, quand il parle de fornication du corps et de fornication de l’esprit.
  • [93]
    Cette édification correspondrait à la première façon de comprendre les Écritures dont Origène parle dans son Traité des principes, œuvre qui a probablement été composée à la fin des années 220 ou au début des années 230, soit avant les homélies sur le livre des Nombres. Voir Traité des principes IV, 2,4 : « Pour que les plus simples soient édifiés par ce qu’on peut appeler le corps même des Écritures, si l’on peut dire – nous appelons ainsi l’intelligence ordinaire et historique », traduction d’Henri Crouzel, in Origène, Traité des principes, t. III, Livres III et IV, texte grec et traduction d’Henri Crouzel et Manlio Simonetti, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 268 », 1980.
  • [94]
    Cette étape pourrait correspondre à la deuxième façon de comprendre les Écritures dont Origène parle dans son Traité des principes, IV, 2,4 : « Pour que ceux qui ont un peu commencé à progresser et peuvent en saisir quelque chose de plus, soient édifiés par l’âme de l’Écriture elle-même », traduction d’Henri Crouzel, in Origène, Traité des principes, t. III, op. cit.
  • [95]
    Philon comparaît lui aussi l’homme qui a été transpercé à « toute réflexion qui accompagne l’opinion attribuant à des natures passives ce qui revient à Dieu », dans De ebrietate 73, traduction de Jean Gorez, in Philon d’Alexandrie, De confusione linguarum – De ebrietate, texte grec et traduction de Jean Gorez, Paris, Cerf, coll. « Œuvres de Philon 11-12 », 1962.
  • [96]
    Lire en particulier Philon d’Alexandrie, De ebrietate 73 : la sonde, siromastes, est comparée à ce qui permet d’explorer et de chercher « les secrets de la création périssable », traduction de Jean Gorez, in Philon d’Alexandrie, De confusione linguarum, op. cit.
  • [97]
    Origène, Commentaire sur Jean, livre VI, § 83, à propos de Jn 1,21. Voir M. DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians », art. cit., p. 110 et aussi la note de Cécile Blanc, dans Origène, Commentaire sur s. Jean, t. II (livres VI et X), texte grec, avant-propos, traduction et notes par Cécile Blanc, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 157 », 1970, p. 188-190, n. 2.
  • [98]
    Origène, Commentaire sur Jean, livre XX, § 220, traduction de Cécile Blanc, dans Origène, Commentaire sur s. Jean, t. IV (livres XIX et XX), texte grec, avant-propos, traduction et notes par Cécile Blanc, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 290 », 1982, p. 188-190, n. 2.
  • [99]
    Philon d’Alexandrie, De ebrietate 74 : « Ne serait-ce pas un assassin (ἀνδροφόνος) au jugement de la plupart des hommes, qui sont prisonniers des coutumes à la manière des femmes ? Mais devant Dieu, souverain et Père, il sera jugé digne d’innombrables éloges et louanges, de récompenses inaliénables, récompenses immenses et fraternellement associées, paix et sacerdoce. » Traduction de Jean Gorez, in Philon d’Alexandrie, De confusione linguarum, op. cit.
  • [100]
    Comparer le texte d’Origène dans son Commentaire sur Jean et ce que dit Philon dans De ebrietate 74, cité note n. 97.
  • [101]
    Cyprien, Lettre 73, X, 1-2 : « C’est le devoir d’un bon soldat de défendre contre les rebelles et les ennemis le camp de son général. C’est la gloire d’un chef de garder les enseignes qu’on lui a confiées. Il est écrit : “Le Seigneur ton Dieu est un Dieu jaloux”. Nous qui avons reçu l’Esprit de Dieu, nous devons avoir le soin jaloux de la foi divine. C’est par ce zèle que Phinées plut à Dieu et l’apaisa, lorsque dans sa colère, il faisait périr son peuple. Pourquoi tiendrions-nous compte de ce qui est adultère, étranger, ennemi de la divine Unité, nous qui ne connaissons qu’un Christ, et qu’une Église, la sienne ? » (traduction dans M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., p. 267, n. 73). Il s’agit de la seule et unique mention de l’histoire de Phinées sous la plume de Cyprien.
  • [102]
    P. van Nuffelen, Penser la tolérance, op. cit., en particulier p. 93-151.

1La guerre sainte au sein du monde chrétien, à savoir la guerre réalisée au nom de Dieu ou demandée par des autorités religieuses, a déjà été bien étudiée, notamment le type particulier de guerre sainte qu’est la croisade [1]. Dans le cadre de ces études, les chercheurs ont souvent mis en avant le contraste entre les prédications appelant à la guerre ou à la croisade au début du deuxième millénaire et « l’attitude de refus de la guerre et de la violence qui semble caractériser les premiers temps de l’Église [2] », pour reprendre les mots de Jean Flori. Les savants ont alors cherché à relever les étapes qui auraient mené progressivement du premier pacifisme chrétien à la sacralisation, sous certaines conditions, des armes et de la guerre par l’Église occidentale au début du deuxième millénaire. Ces étapes seraient, d’une part, le tournant des ive-ve siècles – avec Ambroise qui développe « l’idée d’une légitime défense [3] » et surtout Augustin qui serait l’auteur de la première théorisation chrétienne de la guerre juste dans sa Cité de Dieu – et, d’autre part, l’apparition de la notion de guerre légitime sous les Carolingiens [4]. À l’arrière-plan, est présente l’idée d’une rupture entre ce que les spécialistes de la guerre sainte considèrent être le pacifisme chrétien des siècles pré-constantiniens et la position des évêques des ive et ve siècles, au premier rang desquels Ambroise et Augustin.

2Ces deux postulats, d’un premier pacifisme chrétien et d’une rupture au ive siècle, sont également en filigrane d’études qui, au cours du xxe siècle, analysent l’attitude des premiers chrétiens vis-à-vis du service militaire. Écrites avec une intention souvent polémique, plusieurs d’entre elles ont cherché tantôt à démontrer ce premier pacifisme en mettant en avant le refus du service militaire par les premiers chrétiens et la distorsion que les chrétiens de l’époque constantinienne auraient opérée par rapport à ce refus originel [5], tantôt à défendre le discours de l’Église du ive siècle, en évoquant ses nouvelles responsabilités [6]. La recherche menée par Louis J. Swift permet de sortir de la tension entre ces deux tendances et propose un nouveau paradigme [7]. Rassemblant et analysant les textes des premiers siècles, sans intention polémique, il admet lui aussi un changement au cours du ive siècle, mais à la différence de ses prédécesseurs, il considère que ce changement « représente un déplacement important plutôt qu’un renversement dans la pensée chrétienne, un déplacement qui a été rendu possible par les ambiguïtés antérieures et les désaccords au sujet du recours à la coercition et qui était nécessaire en raison des nouvelles circonstances politiques dans lesquelles les chrétiens se trouvent désormais [8] ». Désormais, les contributions et synthèses sur cette thématique insistent davantage sur l’ambiguïté des discours chrétiens pré-constantiniens et sur la différence entre théorie et pratique [9]. De plus, une étude récente revient sur la notion de guerre juste, dont la paternité reviendrait à Cicéron et qui aurait été progressivement christianisée [10]. Il en ressort que si un changement s’est bel et bien opéré, il ne s’agit pas pour autant d’une rupture. Nous voudrions nous placer dans la même ligne, en nous intéressant à un autre élément associé à la guerre, à savoir l’action de tuer. Selon les tenants du pacifisme chrétien, les premiers chrétiens se seraient opposés au service militaire parce que ce dernier impliquait à un moment donné de tuer. En fait, les chrétiens s’opposaient au service militaire également (et surtout ?) pour des raisons rituelles. En effet, le service militaire allait de pair avec la participation aux cultes et avec le fait de prêter serment à l’empereur, deux actes considérés comme incompatibles avec le mode de vie chrétien [11]. Néanmoins, nous souhaitons revenir sur l’action de tuer, non pour étudier en quoi elle est ou n’est pas un argument avancé contre le service militaire, mais pour analyser la façon dont elle est envisagée Il n’est pas possible d’aborder ici la question dans toute son étendue. Nous nous centrons sur la manière dont la figure biblique de Phinées, son zèle et son action – qui consiste à tuer – sont reçus par les chrétiens de l’époque pré-constantinienne [12]. Pour mieux situer leurs propos, il nous semble utile de revenir dans un premier temps sur la réception de Phinées et de son zèle chez des auteurs juifs.

Phinées dans la tradition juive [13]

3Le prêtre Phinées, fils d’Éléazar et petit-fils d’Aaron, est mentionné plusieurs fois dans les écrits juifs dont l’autorité est reconnue progressivement par les chrétiens durant les deux premiers siècles de l’ère commune. L’épisode qui nous en apprend le plus sur cette figure biblique se trouve dans Nb 25.

Phinées et son zèle dans Nb 25

4Nb 25 fait le récit de la fin de l’Exode, alors qu’Israël se trouve aux lisières du pays de Moab, dans la basse vallée du Jourdain. Ce séjour est le lieu de crises internes et de conflits avec d’autres peuples. Alors que les hommes d’Israël ont atteint Sattim, ils entretiennent des relations avec des filles de Moab et se prosternent devant les dieux du peuple de Moab. Cette attitude déclenche la colère divine et Dieu charge Moïse de punir les chefs. Moïse obéit à l’ordre divin et c’est à ce moment qu’intervient l’histoire relative à Phinées (Nb 25,6-11, version LXX) [14] :

6Et voici qu’un homme des fils d’Israël vint et amena son frère vers la Madianite vis-à-vis de Moïse et vis-à-vis de toute la communauté des fils d’Israël, mais eux-mêmes pleuraient près de la porte de la tente du témoignage. 7Et, à cette vue, Phinées fils d’Éléazar fils d’Aaron le prêtre, se leva du milieu de la communauté, et, prenant une sonde à silo (σειρομάστη) dans la main, 8il entra derrière l’homme israélite dans la chambrette, et il les transperça tous deux, et l’homme israélite et la femme [15] à travers sa matrice (διὰ τῆς μήτρας αὐτῆς). Et le fléau (ἡ πληγή) cessa et se détourna des fils d’Israël. 9Et les morts à cause du fléau furent vingt-quatre mille. 10Et le Seigneur parla à Moïse en ces termes : 11« Phinées, fils d’Éléazar fils d’Aaron le prêtre, a fait cesser mon emportement et l’a détourné des fils d’Israël en étant jaloux de ma jalousie (ἐν τῷ ζηλῶσαί μου τὸν ζῆλον) parmi eux, et je n’ai pas anéanti jusqu’au dernier les fils d’Israël dans ma jalousie. » [16]
Plusieurs points sont à relever pour la suite du propos. Le premier concerne le contexte de cet épisode : un conflit entre les hommes d’Israël et ceux de Moab. Le deuxième point est relatif à l’attitude des hommes d’Israël qui se déploie sur deux plans, éthique et théologique, et qui est réprouvée par Dieu. Les deux plans sont le reflet l’un de l’autre, les relations avec des personnes d’une ethnie différente allant de pair avec l’abandon du culte du dieu unique. Le troisième point concerne le zèle de Phinées qui se situe dans la continuité de celui de Dieu ; l’action de Phinées – tuer un homme d’Israël dont l’éthique est sujette à caution [17] – est perçue positivement, car elle fait cesser la colère divine et le fléau qui avait déjà provoqué la mort de vingt-quatre mille personnes. Cette histoire serait un exemple de légitimation de la violence dans un contexte où l’auteur, comme ceux des autres livres de la Torah, se place dans un processus de construction de l’identité d’Israël [18]. Néanmoins si, comme le fait remarquer David Lincicum, Phinées n’apparaît pas comme un modèle à suivre dans le livre des Nombres [19], il n’en va pas de même lors de la réception de cette figure, à la suite de laquelle Phinées apparaît explicitement comme un exemple qu’il faut imiter.

Phinées, un modèle pour les opposants au pouvoir dominant

Mattathias le Maccabée, double de Phinées

5Depuis 198 av. J.-C., la Palestine est passée sous la domination des Séleucides [20]. Roi en 175, Antiochos IV (175-164 av. J.-C.) cherche à restaurer la grandeur du royaume séleucide et s’engage dans une guerre contre les Lagides. À Jérusalem, l’élite et la population juives sont divisées au sujet de l’hellénisme et de la politique des Séleucides, les uns soutenant celle-ci, les autres étant plutôt « pro-lagides [21] ». Pour mettre fin aux troubles, Antiochos IV livre une campagne militaire contre Jérusalem et introduit le culte grec dans la cité en 167 [22]. Un petit groupe de juifs, mené par un prêtre – Mattathias – et ses cinq fils, se forme pour résister à la politique séleucide [23]. C’est le début de la révolte des Maccabées, qui aboutit à la mise en place de la dynastie hasmonéenne par des fils de Mattathias. Selon le livre I des Maccabées, qui fait le récit de cette révolte, Mattathias prend Phinées pour modèle. En effet, dans le testament que Mattathias laisse à ses fils peu avant sa mort (vers 166 [24]), il leur enjoint d’avoir du zèle pour la loi et mentionne, entre autres exemples, « Phinées, notre père, zélé dans le zèle, reçut l’alliance d’un sacerdoce éternel [25] ». Pour Mattathias, Phinées n’est pas simplement un modèle théorique, mais un exemple à suivre de manière littérale. En effet, toujours selon 1 Maccabées, Mattathias se comporte comme Phinées (1 M 2,23-26) [26] : il tue un homme d’Israël qui va sacrifier sur l’autel du village Modein (situé au nord-ouest de Jérusalem), parce qu’il « était zélé dans la loi, comme Phinées l’avait été vis-à-vis de Zambri, fils de Salôm [27] ». L’auteur considère l’acte de Phinées comme un acte juste, évoquant à ce titre une « colère selon le jugement [28] ». Cette opinion positive se répercute sur l’action de Mattathias, qui s’en trouve ainsi légitimée et approuvée par Dieu, comme l’avait été celle de Phinées. L’équivalence entre Mattathias et Phinées est d’autant plus facile à établir que le contexte est similaire : on y retrouve les tensions avec une autre ethnie (là le peuple de Moab ou de Madian, ici les Séleucides) et le risque de compromission d’une partie de la population avec des non-juifs qui va de pair avec la remise en cause du culte du dieu unique. Seule la dimension éthique est absente dans l’épisode relatif à Mattathias.

Phinées, un modèle pour les zélotes

6Quelques dizaines d’années plus tard, le même modèle est à nouveau utilisé en Judée. Au ier siècle de l’ère commune, les successeurs d’Hérode sont perçus par une partie de la population comme des « suppôts [29] » du pouvoir romain. La Judée en particulier est soumise à des tensions au sein de la population juive, entre ceux qui refusent tout rapport avec Rome et les autres, mais aussi entre la population juive et les autorités romaines. Parmi les groupes qui s’opposent à Rome, se trouvent les zélotes dont les modèles sont Phinées et les Maccabées [30]. Les zélotes souhaitent agir à l’instar de Mattathias et de Phinées ; leur zèle est pour eux, comme chez Phinées, un agent de la juste colère divine, car il est « capable de détourner la colère de Dieu de son peuple désobéissant » et leur épée est un « instrument rédempteur » [31].

7Pour ces deux groupes, Maccabées et zélotes, Phinées est un modèle qu’il faut suivre et qu’il faut imiter de manière littérale. La figure de Phinées les autorise à prendre les armes et à s’opposer par la force non seulement au pouvoir dominant non juif, mais aussi, éventuellement, à ceux de leurs coreligionnaires qui travaillent avec ce pouvoir. Toutefois, à côté de ce recours littéral, d’autres usages de Phinées apparaissent dans des écrits juifs contemporains.

Phinées, un modèle spirituel chez Philon d’Alexandrie

8À peu près à la même époque, dans les années 30-40, Philon d’Alexandrie recourt aussi à la figure de Phinées comme modèle, mais il en use autrement que les zélotes de Judée. La situation politique de la communauté juive d’Alexandrie est différente de celle qui prévaut en Judée, puisque les juifs alexandrins sont une communauté parmi d’autres. Cependant, là aussi, il y a des tensions entre la communauté juive et celle des Grecs, en particulier en 38-41 [32], et se pose la question des rapports que les juifs peuvent avoir avec la culture gréco-romaine sans que cela ne remette en cause l’alliance avec le dieu unique. Philon lui-même est issu d’une famille dont certains membres sont proches du pouvoir romain, tel que son neveu Tiberius Julius Alexander [33], et il s’est formé à la philosophie grecque, sans pour autant s’être éloigné du culte du dieu unique. Il semble même adopter une position radicale vis-à-vis de ses coreligionnaires qui délaisseraient ce culte.

9En effet, dans son De specialibus I,54-57, il mentionne l’action de Phinées (sans donner son nom), d’une part, pour justifier le châtiment immédiat, sans procès, « des membres de la nation délaissant le culte de l’Unique [34] » et, d’autre part, pour légitimer l’action de « tous ceux qui sont remplis de zèle pour la vertu [35] » et qui appliqueraient « ces châtiments immédiatement et sur-le-champ, sans traduire les coupables devant un tribunal, un conseil ou une quelconque instance [36] ». Cependant, si cette justice est expéditive, elle n’est pas arbitraire, car sa finalité implicite est de même nature que la conséquence du geste de Phinées – que Philon qualifie de « prouesse, fruit d’un zèle spontané, ardent [37] » –, à savoir servir « d’avertissement à des milliers de gens qui se disposaient à faire de même [38] », comme Philon le dit à propos du geste de Phinées, c’est-à-dire éviter que l’erreur ne s’étende davantage, voire œuvrer à ce qu’elle cesse. Du fait de cette finalité bénéfique pour l’ensemble du peuple juif, Philon émet une opinion positive sur l’action de tuer de Phinées – il l’exprime à nouveau clairement dans son De vita Mosis où il parle du zèle de Phinées comme d’une « juste colère [39] » (ὀργὴ δικαία). Cependant, la finalité seule ne suffit pas à justifier l’opinion positive. Dans son De specialibus, Philon s’appuie aussi sur le témoignage divin lui-même ; il affirme en effet que Dieu récompensa Phinées avec un double présent, la paix et la prêtrise, se fondant sur les paroles divines rapportées dans Nb 25,12-13.

10Pour Philon, comme pour l’auteur du livre des Nombres et pour les Maccabées avant lui, la réaction violente et immédiate de Phinées, ainsi que le fait que Dieu ne condamne pas le geste de ce dernier, rendent compte de la gravité de l’acte commis par ceux qui sont tués par Phinées. Pour Philon, en effet, l’inconduite mène à l’impiété [40]. Cependant, si Phinées est bien un modèle pour Philon, ce dernier ne paraît pas envisager un modèle littéral qui inciterait à agir comme Phinées [41]. La situation politique de la communauté juive alexandrine pourrait constituer un premier élément d’explication. Certes, la communauté juive jouit d’une autonomie et d’une liberté religieuse [42], mais qu’en est-il au plan de l’application des peines ? Une réponse est difficile à apporter. Une autre explication pourrait être avancée : pour Philon, la signification de l’épisode de Phinées serait spirituelle et le modèle serait d’ordre spirituel et non littéral. En effet, dans d’autres passages où Philon évoque l’histoire de Phinées [43], il en donne une interprétation allégorique et spirituelle où il s’agit de lutter notamment contre ses vices. Nous y reviendrons plus loin, avec Origène.

Josèphe, une attitude plus distancée vis-à-vis de Phinées

11Cependant, cette interprétation et cette reprise positives de l’épisode et de la figure de Phinées ne font pas l’unanimité chez les juifs. Josèphe, devenu Flavius Josèphe après avoir obtenu la citoyenneté romaine à la fin de sa vie, revient sur cette histoire et ne semble pas être aussi positif que les zélotes ou Philon [44]. Dans ses Antiquités juives, au livre IV, il relate l’épisode des Nombres, en faisant d’ailleurs peut-être appel à une autre tradition [45]. S’il affirme que Phinées intervient pour éviter que la rébellion contre Moïse ne se répande, s’il met en avant ses qualités physiques et morales, il parle, à son sujet, d’une « hardiesse d’âme » (τόλμη ψυχῆς, Antiquités juives IV, § 153) et, à propos de son homicide sur Zambrios et Khosbia, d’un « acte audacieux » (ἡ τόλμη, Antiquités juives IV, § 154) [46]. Dans les deux cas, Josèphe emploie un terme grec, τόλμη, qui n’est pas toujours perçu positivement. Par ailleurs, il ne mentionne pas le zèle de Phinées, ni celui de Dieu, et ne parle pas non plus de « juste colère » comme l’avait écrit Philon. Enfin, au livre XII, à propos de la figure de Mattathias (orthographié Matthias), il dit seulement qu’il tua un juif, sans évoquer le « zèle dans la loi » ni la « colère selon le jugement » [47].

12La situation de Josèphe diffère de celle de Philon et de celle des zélotes. Citoyen romain, écrivant à Rome pour des Romains, il a vu se déployer la puissance romaine et les conséquences de la guerre de Judée de 66 à laquelle il a participé à ses débuts avant de se rendre ; il cherche à montrer que le zèle des zélotes est en partie responsable des conséquences néfastes de la guerre pour les juifs. Pour lui, leur zèle, loin de faire cesser le fléau, n’a fait que l’attiser, et ses conséquences jettent un voile négatif sur l’action des zélotes. Concernant Phinées et Mattathias, s’il n’est pas explicitement négatif à leur sujet, il n’en est pas moins sur la réserve. Cette relative réticence se retrouve plus tard dans certains textes rabbiniques, notamment parce que Phinées tua sans jugement (ce que Philon, quant à lui, justifiait) [48].

Paul et les vingt-trois mille

13Une autre mention ou plutôt allusion indirecte contemporaine juive se trouve sous la plume de Paul. Dans sa Première lettre aux Corinthiens, en 10,8, Paul mentionne vingt-trois mille personnes qui tombèrent en un seul jour du fait de leur impudicité. Il ne nomme pas Phinées, ni l’acte de ce dernier, il donne le chiffre de vingt-trois mille et non de vingt-quatre mille, mais il fait probablement référence à Nb 25,9 [49]. Après avoir présenté aux Corinthiens des modèles à suivre, il évoque des contre-exemples, en particulier celui d’Israël pendant l’Exode, afin que les Corinthiens ne tombent pas dans les mêmes travers. L’un de ces travers est la débauche (mentionnée au verset 8) dont la gravité est exprimée par le nombre important de morts, tout en justifiant aussi ces morts. Cependant, Paul ne dit rien de la manière violente dont la mort est infligée. L’usage qu’il fait de cet épisode est restreint à la seule interdiction d’être débauché.

14Paul est juif, il est aussi un sectateur de Jésus. Son discours se diffuse peu à peu parmi les groupes de sectateurs de Jésus, à côté des écrits de la Torah, tels que le livre des Nombres. Comment la figure de Phinées et l’action qui lui est attribuée sont-elles reçues par les auteurs chrétiens ?

Phinées chez les premiers chrétiens

De l’ombre à la lumière

15Une recherche effectuée grâce à Biblindex [50] sur les versets 6 à 13, complétée par une recherche sur le TLG et le Library of Latin Texts[51] (centrée dans les deux cas sur le nom de Phinées), met en avant deux faits : l’épisode de Nb 25 ainsi que le nom de Phinées en lien avec cet épisode sont peu fréquents dans la littérature chrétienne des iie-ve siècles telle qu’elle nous est actuellement connue. Au cours de cette période, le recours à l’épisode et à la figure de Phinées connaît une évolution – qu’il faut cependant nuancer, puisque les documents pour les ive et ve siècles sont plus nombreux que pour les siècles précédents. Durant tout le iie siècle, aucun chrétien ne semble faire allusion à l’épisode des Nombres ni à Phinées. Tout se passe comme si, contrairement aux juifs du ier siècle, cet épisode n’intéressait pas les chrétiens.

16Dans son étude de la réception de Phinées en lien avec le traitement patristique du zèle de Dieu dont il est fait mention en particulier dans le Décalogue (Ex 20,5 et Dt 5,9), Marie-Odile Boulnois relie ce silence des premiers chrétiens à propos de Phinées à celui qui concerne le zèle de Dieu [52]. L’auteure relève qu’« il existe une certaine porosité [53] » entre ζῆλος, « zèle » ou « émulation », et φθόνος, « envie » ou « jalousie », et que le zèle acquiert ainsi parfois un sens négatif [54]. Appliqué à Dieu, le zèle entre alors en contradiction avec l’impassibilité de Dieu. Le zèle ou jalousie du dieu des écrits juifs qui sont repris par des chrétiens se retrouve au cœur de critiques, aussi bien de la part de philosophes grecs, tels que Celse, que de groupes chrétiens, tels que ceux qui sont à l’origine de plusieurs écrits des codices coptes découverts près de Nag Hammadi dans lesquels il est question, en termes négatifs, de la jalousie divine [55]. Les autres chrétiens se seraient contentés de répondre aux accusations d’avoir un dieu inférieur sans parler du zèle divin. Cette réticence se serait aussi exercée vis-à-vis du zèle humain qui se situe dans le prolongement de celui de Dieu, d’où l’absence puis la faible présence de Phinées sous la plume des premiers auteurs chrétiens [56]. D’ailleurs, ces auteurs chrétiens avaient d’autant moins de raisons d’évoquer la figure de Phinées le zélé que leurs adversaires, chrétiens ou Grecs, ne le mentionnaient pas non plus [57].

17Ainsi, la réticence par rapport au zèle humain ou divin serait surtout d’ordre théologique. Cependant, il y aurait aussi des raisons plus circonstancielles. En effet, la situation des chrétiens au iie siècle n’équivaut pas à celle des juifs de Judée ou d’Alexandrie des époques antérieures. Si les chrétiens ne sont pas toujours acceptés par les populations locales, il ne semble pas qu’il y ait alors de fortes tensions comparables à celles qui ont pu exister à Alexandrie ou en Judée. De surcroît, plusieurs penseurs chrétiens semblent vouloir montrer qu’ils ne s’opposent pas aux autorités romaines [58]. Enfin, de plus en plus de chrétiens viennent du polythéisme et vivent au sein de familles polythéistes.

18Il faut attendre la fin du iie siècle et le début du iiie siècle pour lire les premières allusions à l’épisode de Nb 25 et à Phinées, explicites sous la plume de Clément et implicites sous celle de Tertullien [59]. Ensuite, pour le reste du iiie siècle, alors que la littérature chrétienne augmente numériquement, les mentions restent rares. Après Tertullien, trois auteurs seulement font référence à l’épisode de Nb 25 : Origène, Cyprien de Carthage et Hippolyte de Rome, Origène étant l’auteur qui recourt le plus souvent à l’épisode de Phinées [60]. La réticence mentionnée ci-dessus semble donc perdurer au iiie siècle. Chez ces cinq auteurs chrétiens, il ne s’agirait que des prémisses d’une utilisation de l’épisode de Nb 25 et de Phinées. Plusieurs raisons peuvent expliquer que quelques auteurs se mettent à évoquer Nb 25 et Phinées. D’une part, nous pouvons évoquer l’influence de Philon d’Alexandrie, en particulier sur Clément et Origène. Ensuite, durant cette période, la situation des chrétiens s’est modifiée. Plus nombreux, leur position se renforce ainsi que leur visibilité, notamment devant les autorités romaines. De plus en plus de chrétiens deviennent citoyens romains, notamment après 212, date à laquelle l’édit de Caracalla accorde à tous les habitants libres de l’Empire la citoyenneté romaine. Des questions nouvelles jaillissent, notamment celle du service militaire, que Tertullien serait le premier à évoquer véritablement [61] et qui connaît une plus grande acuité après l’édit de Caracalla, puisque le service militaire est un devoir du citoyen romain ; or au cours du iiie siècle, les guerres sont aussi plus nombreuses. Dans le même temps, le vocabulaire militaire s’immisce dans les écrits chrétiens, en premier lieu dans les récits de martyre. Des martyrs, hommes et femmes, sont décrits comme des combattants dotés des valeurs de vaillance et de courage, qui parviennent, avec des armes spirituelles, à vaincre symboliquement l’ennemi [62]. Tertullien – le même qui s’oppose au service militaire – parle de miles christi[63]. Une telle comparaison guerrière n’est pas spécifique à la littérature chrétienne ; elle se retrouve aussi sous la plume d’auteurs non chrétiens, en particulier celles des philosophes, dans le cadre d’une culture agonistique.

19La véritable histoire de la réception chrétienne de cet épisode et de cette figure vétéro-testamentaires débuterait au ive siècle : le nombre de références augmente, surtout dans la seconde moitié de ce siècle, et les allusions et mentions directes apparaissent dans des contextes variés [64]. Cette histoire n’est pas seulement une histoire écrite. Elle est aussi iconographique, puisque de ce même siècle, plus précisément de la fin du ive siècle, daterait la représentation de Phinées dans le cubiculum B de la catacombe romaine de la Via Dino Compagni découverte en 1955 ; Martine Dulaey a analysé cette représentation, en lien avec les écrits patristiques [65].

20Focalisons-nous à présent sur les tout premiers auteurs chrétiens qui font allusion à Nb 25,6-11, et qui ont été fort peu étudiés [66].

Clément, un usage éthique

21Clément d’Alexandrie fait allusion une seule fois à l’action de Phinées, sans mentionner le nom, dans sa troisième Stromate, au chapitre iv. Dans ce chapitre, Clément polémique contre des chrétiens qu’il considère comme « hérétiques » – parmi lesquels nous retrouvons aussi bien Marcion et les valentiniens que Carpocrate et les disciples de Prodicus, tous mentionnés peu avant (Stromate III, IV,29-30). En particulier, il critique le comportement de ces hérétiques vis-à-vis des femmes. Alors que ces derniers nommeraient ce comportement « communion » (κοινωνία, IV,27) – « de manière impie » (ἀσεβῶς, IV,27) selon Clément –, lui-même l’appelle « débauche » (ἀσέλγεια, IV,29) et le relie à la supposée revendication des hérétiques de n’être soumis à aucune loi, puisqu’ils se considéreraient comme « fils du premier dieu par nature » (υἱοὺς μὲν φύσει τοῦ πρώτου θεοῦ λέγοντες αὑτούς, IV,30). Clément retourne cette supposée revendication contre les hérétiques eux-mêmes : comme ils se placent volontairement en dehors des lois humaines et qu’ils ne reconnaissent pas le Dieu de la Genèse et de la Loi, ils sont aussi hors des lois divines et ne sont pas éduqués à la vertu [67]. La conséquence est énoncée au moyen de cette brève allusion à Nb 25 :

22

Alors qu’ils agissent comme ceux qui sont haïs par les Grecs parce qu’ils n’accomplissent pas ce qui est ordonné par les lois, c’est-à-dire (qu’ils agissent) comme les iniques, comme ceux qui sont incontinents, qui fraudent, qui commettent l’adultère, comment affirment-ils que seuls ils connaissent Dieu ? En effet, il était nécessaire que, comme ils sont issus de lieux étrangers, ils vivent bellement, afin de démontrer le caractère royal de leur vie. Mais ils sont détestés par les lois humaines et par la loi divine, puisqu’ils se sont engagés dans une vie contraire à la loi. Vraiment, celui qui massacra le fornicateur est montré, dans Nombres, comme béni devant Dieu (Ὁ γοῦν ἐκκεντήσας τὸν πόρνον εὐλογούμενος πρὸς τοῦ θεοῦ δείκνυται ἐν τοῖς Ἀριθμοῖς) [68].

23Clément d’Alexandrie peut avoir une connaissance directe de l’épisode de Nb 25, comme semble en témoigner la référence explicite du livre. Cependant, son intérêt a pu être également suscité par Philon, qu’il connaît, ainsi que l’a bien montré Annewies van den Hoek [69].

24La référence à Nb 25,6-13 est très brève. Cette brièveté est probablement volontaire et oriente l’usage de ce passage dans un sens différent de celui qui avait cours sous la plume de Philon. Clément ne donne ni l’ethnie ni le nom des protagonistes, et ces derniers sont ainsi définis uniquement par l’acte qu’ils commettent. Clément passe aussi sous silence la Madianite et donc la différence ethnique entre le fornicateur et la femme. Enfin, le silence de Clément à propos du zèle de celui qui tue pourrait rendre compte de la réticence dont il a été question plus haut. L’histoire ne semble intéresser Clément que pour l’enseignement éthique qu’il en retire, en particulier à l’égard de l’idée que le comportement éthique, notamment sexuel, est capital dans la définition du chrétien : chez lui, adopter une certaine attitude éthique est lié à une certaine façon de concevoir Dieu [70]. Cette histoire lui sert aussi d’argument d’autorité pour démontrer que les lois ne peuvent pas s’appliquer à ceux qui se sont mis en dehors des lois. Ainsi, toute action portée contre des gens tels que les hérétiques – et qui devrait normalement être jugée négativement selon les lois humaines et divines, en particulier le meurtre – perd toute qualification négative, voire même acquiert une dimension positive : le massacre suscite la bénédiction, jugement que Clément émet en se fondant sur le livre des Nombres (probablement 25,11-13) et en lisant peut-être aussi Philon qui évoque une « juste colère [71] ».

25Dans les propos de Clément, il n’y a cependant aucune incitation à suivre la même voie que celui qui tue ; il ne s’agit pas d’un modèle comme cela était le cas pour les Maccabées et les zélotes. Dans la lignée de Paul, il est plutôt question de démontrer, à travers la réaction violente, la gravité des actes commis par les hérétiques, le but étant de convaincre les destinataires d’adopter un comportement éthique exemplaire, en premier lieu sur le plan sexuel, qui est essentiel dans la définition de la qualité du chrétien et qui témoigne de conceptions théologiques spécifiques.

Tertullien, une éthique rigoriste

26Tertullien ne fait pas directement allusion à l’histoire de Phinées. Dans deux écrits, Le Scorpiaque ou antidote contre la morsure des scorpions et le De pudicitate, il évoque les hommes morts à la suite de leur compromission avec les filles de Moab (Nb 25,9). Ces deux écrits ont été composés alors que Tertullien avait rompu avec l’Église dite « catholique » pour adhérer à la « Nouvelle prophétie », le mouvement initié par Montan. Il n’est pas impossible que dans les deux cas, l’allusion à Nb 25 ait transité par l’intermédiaire de Paul. Cependant, il est aussi probable que Tertullien connaisse directement Nb 25, comme en témoigneraient le nombre vingt-quatre mille dans le De pudicitate (tandis que Paul mentionne le chiffre de vingt-trois mille [72]), et la mention de Sattim et du culte de Beelphegor dans Le Scorpiaque (que Paul n’évoque pas).

27Dans la section III du Scorpiaque, écrit au tournant des années 200-210, le Carthaginois mentionne l’épisode des hommes d’Israël avec les filles de Moab et les morts qui en découlent – comme chez Paul, Tertullien donne le chiffre de vingt-trois mille. Le contexte est polémique, puisque Tertullien défend le martyre et s’oppose à des « hérétiques » tels que les valentiniens. Selon lui, le martyre est une dette et il est voulu par Dieu. L’épisode des Nombres sert, avec d’autres exemples, à montrer ce qu’il advient à ceux qui « outragent Dieu » et combien il est nécessaire d’obéir à la loi :

28

Dans les Nombres, alors qu’Israël s’en va près de Sattim, ils font la débauche auprès des filles de Moab et ils sont invités à l’idolâtrie, afin qu’ils forniquent aussi par l’esprit. En somme, ils mangent leurs (aliments) pollués, et, dès lors, ils adorent les dieux de (cette) nation et ils sont initiés à Beelphegor. Du fait de cette idolâtrie, sœur de l’adultère, vingt-trois mille (hommes), ayant été égorgés par les glaives des proches, ont été sacrifiés (litauerunt) à la colère divine [73].

29Comme Paul et Clément, Tertullien mentionne la débauche, mais à la différence de ses deux prédécesseurs, il met l’accent sur la participation des hommes d’Israël au culte de Beelphégor, qu’il considère comme une fornication de l’esprit. La gravité de cet acte, qui revient à se détourner de Dieu et de sa Loi sur les plans éthique et religieux, est mise en exergue par le nombre de morts et par la manière dont la mort est infligée. Alors que Paul et Clément ne disent rien à ce sujet, Tertullien affirme que les vingt-trois mille hommes ont été égorgés, obtruncata, par leurs proches. Le texte des Nombres tel que nous en disposons actuellement mentionne bien des personnes qui doivent tuer leurs proches qui se sont détournés de Dieu, mais ces proches ne sont pas identifiés aux vingt-quatre mille de Nb 25,9 qui, eux, sont décédés en raison d’un « fléau ». Tertullien serait le témoin d’une tradition qui pourrait remonter à Philon, lequel, dans sa réécriture de l’épisode des Nombres dans son De vita Mosis, parle des vingt-quatre mille tués par leurs coreligionnaires [74]. De plus, en employant le verbe lito, Tertullien compare la mort des vingt-trois mille à un sacrifice propitiatoire dont le but serait d’apaiser la colère divine. Les proches sont l’équivalent du prêtre sacrificateur, et leur glaive, celui du couteau du sacrifice. En arrière-plan, ce langage sacrificiel invite à donner une coloration positive à la mort des vingt-trois mille. Tertullien évoque cet épisode pour expliciter l’importance de l’obéissance à la Loi ; comme il le dit au début de la section III du Scorpiaque, si la Loi n’était pas importante, toute forme de désobéissance n’aurait pas été punie. L’usage par Tertullien de cet épisode est aussi à replacer dans le cadre de sa conception quant aux possibilités de modifier le comportement de ses adversaires. Alors que normalement, il devrait user de persuasion, dans certains cas, des entraves existent et la coercition est nécessaire. Or, il estime que ses adversaires sont rétifs à toute persuasion et par conséquent que la douceur doit être remplacée par la force (Le Scorpiaque II). Cette tension entre persuasion et coercition est courante à l’époque de Tertullien [75].

30La dimension polémique est plus marquée dans le deuxième écrit, le De pudicitate, rédigé à la fin des années 210 [76]. Tertullien s’adresse directement à ses adversaires, les « catholiques ». Le débat porte sur le bien-fondé de la pénitence : des « fautes » peuvent-elles faire l’objet de pénitence et, par conséquent, être « lavées » et pardonnées ? Dans sa volonté de convaincre ses adversaires d’adopter une attitude rigoriste, il déploie notamment une argumentation qui débute par la règle (praescribam formam, VI,1-2) selon laquelle il ne faut pas regarder en arrière, c’est-à-dire du côté de la Loi. Il ajoute tout de suite un bémol à cette règle : la Loi n’est pas détruite (dissoluit) mais révolue (impleuit). Alors que les fardeaux de la Loi n’ont plus cours, les préceptes moraux sont toujours d’actualité, voire même renforcés. Le propos concerne notamment l’adultère. Tertullien se demande alors comment ce qui est renforcé pourrait faire l’objet d’une pénitence. Une réponse positive, qui se fonderait sur des écrits juifs, conduirait à pardonner des actes qui sont par ailleurs considérés négativement. Tertullien choisit délibérément des exemples bibliques qui peuvent choquer ses adversaires et autres destinataires, tel que l’inceste, qui relève d’une condamnation générale dans l’Empire romain, ou l’idolâtrie. Selon lui, la réponse ne peut donc être que négative et il l’argumente à partir d’autres passages qui témoignent de l’absence de clémence. C’est dans ce contexte qu’il fait allusion à Nombres (De pudicitate VI, 13), avant de se tourner uniquement vers les exemples du Christ lui-même :

31

Nous aussi, ma foi, nous avons des exemples du même passé pour appuyer notre opinion, selon laquelle la condamnation portée contre la fornication non seulement n’a pas été abolie, mais exécutée sur le champ. Il suffit, assurément, de citer le chiffre énorme (tantum numerum) des vingt-quatre mille hommes du peuple élu qui périrent d’un même coup pour avoir forniqué avec les filles de Madian [77].

32Alors que dans Le Scorpiaque, les hommes sont tués pour s’être détournés du culte de Dieu, ici, ils le sont pour avoir eu des relations avec les filles de Madian. Toutefois, dans les deux cas, il s’agit pour le Carthaginois de fornication et de se détourner de Dieu et de sa Loi. L’autre différence est que dans Le Scorpiaque, Tertullien met l’accent sur la mise à mort – sacrificielle – par les proches, alors que dans le De pudicitate, il insiste sur le caractère immédiat de la punition, sans préciser les circonstances de la mort. Pour Tertullien, ce seul exemple issu des écrits juifs « suffit » (sufficit) pour contrer les exemples de clémence, lesquels ne concernaient qu’un personnage, tandis qu’ici il s’agit de vingt-quatre mille personnes.

33Dans les deux écrits, Tertullien ne mentionne pas Phinées ni son zèle. Il agit probablement ainsi moins par réticence que parce qu’il préfère mettre l’accent sur l’importance quantitative des morts. Comme Clément, la gravité de la faute commise est mise en avant, la mort de ceux qui ont des relations qu’ils n’auraient pas dû avoir paraît justifiée, et il s’agit aussi de définir la bonne façon d’être chrétien. Cependant, Tertullien apparaît plus rigoriste que Clément. De plus, à la différence de ce dernier, le Carthaginois ne met pas l’accent sur la façon dont un chrétien peut se placer en dehors des lois humaines et divines, mais sur la manière dont la communauté doit se comporter vis-à-vis de ses membres qui fautent. Enfin, si comme chez Clément, il n’y a pas d’appel à tuer, plus que chez l’Alexandrin, l’épisode indique chez Tertullien la voie à suivre : celle du refus de la pénitence et d’une attitude non (ou peu) clémente.

Origène, le premier commentateur chrétien

34Avec Origène, l’utilisation de l’histoire de Phinées connaît un tournant sur les plans éthique et exégétique. Non seulement Origène s’y réfère plusieurs fois dans son œuvre [78], mais encore il est le premier penseur chrétien qui en propose un commentaire, dans le cadre d’une exégèse qui concerne l’ensemble des Nombres et qui occupe vingt-huit homélies [79]. C’est pourquoi nous nous intéressons en premier lieu à cette exégèse, avant de voir ce qu’il en est dans le Commentaire sur Jean.

Phinées dans les homélies sur les Nombres

35Les homélies sur les Nombres, écrites dans les années 239-242 [80], nous sont connues uniquement dans la traduction latine qu’en a faite Rufin d’Aquilée. Rufin le reconnaît lui-même, il ne traduit pas toujours mot à mot Origène – suivant en cela les préconisations de l’époque, à la suite de Cicéron [81] – et il est parfois intervenu pour éliminer ce qu’il considère être des ajouts effectués par des « hérétiques » [82]. En tenant compte de cela, il est toutefois possible de faire confiance à Rufin quant à sa compréhension de la pensée d’Origène.

36Deux homélies sur Nombres mentionnent l’histoire de Phinées. La première occurrence apparaît dans l’homélie 15, en 2,2, quand Origène interprète Nb 23,7, et en particulier le verbe grec ἐπικαταρῶμαι que Rufin traduit par « supermaledico[83] ». Origène explique que la double malédiction exprimée par ἐπικαταρῶμαι désigne une gradation dans la malédiction, en lien avec la progression dans la voie de Dieu. Il ajoute que l’œuvre du salut se réalise aussi grâce à l’ennemi. Il mentionne alors Balaam, le conseil que ce dernier donne à Balach à propos de la malédiction divine – il s’agit de la première prophétie, en Nb 23,1-13 – qui consiste en un « scandale [84] », et il en vient ainsi à parler de la « débauche » des Israélites puis de l’action de Phinées :

37

Il [Balaam] lui [Balach] apprenait comment produire le scandale à la vue des fils d’Israël, pour qu’ils en arrivent à manger des viandes immolées aux idoles et qu’ils tombent dans la fornication. C’est ce qui fit que le peuple tomba et qu’un grand fléau survint au milieu d’eux – jusqu’à ce que Phinées, après avoir tué un Israélite qui forniquait avec une Madianite, eût apaisé la colère du Seigneur [85].

38Origène est relativement précis par rapport à son prédécesseur Clément, dont il connaît probablement le recours à Phinées, comme il a aussi vraisemblablement connaissance de l’usage philonien de Phinées : il donne le contexte de cet épisode et fait le lien entre l’attitude cultuelle et le comportement sexuel, il mentionne le nom de Phinées, il parle de son acte et de ses conséquences qui sont positives pour les Israélites. Il ne s’agit toutefois que d’un résumé, Origène a prévu d’y revenir dans une autre homélie – l’homélie 20 sur laquelle nous allons nous arrêter. Il s’agit pour lui uniquement de donner un exemple de la super-malédiction divine et de montrer comment Dieu se sert des ennemis, ici Balach et les femmes madianites, pour son plan du salut. Il ne commente pas l’action de Phinées.

39C’est à la fin de l’homélie 20 qu’Origène commente vraiment l’action de Phinées :

40

Ensuite, il est rapporté que « Phinées fils d’Éléazar, fils du prêtre d’Aaron » ayant vu s’introduire un Israélite chez une Madianite, prit une lance en main, entra dans le lieu de prostitution et les transperça tous les deux par le bas-ventre. À cause de cela, « le Seigneur adressa la parole à Moïse et dit : Phinées fils d’Éléazar fils d’Aaron a apaisé ma colère ».
Cela a pu édifier le peuple de la première alliance. Mais toi, qui as été racheté par le Christ et à qui a été donné « le glaive de l’Esprit » à la place du glaive matériel qui t’a été ôté des mains, saisis « le glaive de l’Esprit », et si tu vois une pensée israélite se souiller avec des prostituées madianites, c’est-à-dire s’agiter dans ton esprit avec des réflexions diaboliques, n’épargne pas, n’hésite pas, frappe tout de suite et tue. En fracassant les organes c’est-à-dire en atteignant et en pénétrant les endroits secrets de la nature, retranche le foyer même du péché, qu’il ne conçoive plus, qu’il n’enfante plus et que la descendance maudite des péchés ne vienne plus corrompre le camp des israélites. Si tu fais cela, tu apaiseras tout aussitôt la colère du Seigneur, car tu as prévenu le jour du Jugement, dont l’Écriture dit qu’« il est un jour de colère et de fureur », et après avoir exterminé en toi le foyer du péché, qui reçoit ici le nom des organes de la Madianite, tu iras en toute assurance au jour du Jugement.
Aussi levons-nous, et prions pour que soit toujours à notre portée ce « glaive de l’Esprit » par lequel seront exterminés à la fois les germes et les réceptacles des péchés. Que Dieu nous soit rendu propice par le véritable Phinées, qui est Jésus-Christ lui-même, notre Seigneur, « à qui soit la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen » [86].

41Ce passage clôt l’homélie 20 qui aborde la fornication des hommes d’Israël avec les filles de Moab [87]. Il est en quelque sorte un point d’orgue de tout ce qu’Origène a dit dans son homélie. Origène débute son homélie par une interprétation du conseil que Balaam a donné à Balach [88], et se fonde pour cela sur Nb 31,16 et sur l’Apocalypse de Jean 2,14 (homélie 20, 1,2). Origène met l’accent sur le lien entre vertu (en particulier la chasteté) et l’attitude envers Dieu [89], sur la fragilité de la vertu et sur le fait que s’attaquer à la vertu équivaut à recourir à une arme de guerre [90]. Comme Clément et Tertullien, il appelle au bon comportement éthique, et recourt au vocabulaire militaire : le chrétien doit lutter contre la fornication. Cependant, Origène va plus loin que ses prédécesseurs, probablement en partie du fait de sa connaissance de Philon [91]. En effet, il donne une interprétation spirituelle de la fornication des Israélites avec les filles de Moab. Le terme « fornication » s’applique à l’attitude du chrétien qui s’éloigne du Christ, non seulement sur les plans cultuel et éthique [92], mais aussi sur le plan intellectuel, avec l’adoption de doctrines philosophiques. Néanmoins, il n’est pas question pour Origène de s’opposer à toute philosophie – lui-même y a recours –, mais de s’opposer à un certain usage de la philosophie. Il faut éviter d’utiliser des doctrines philosophiques qui scandaliseraient ou qui ne seraient pas compréhensibles au plus grand nombre. Pour lutter contre la fornication de l’esprit, Tertullien proposait la foi dans Le Scorpiaque. Chez Origène, plusieurs armes sont à la disposition du chrétien : suivre un apprentissage qui permet de se servir correctement des doctrines, user de la liberté humaine, être aidé par un ange gardien et enfin être soutenu par le Fils lui-même.

42Le commentaire qu’Origène délivre sur Nb 25,1-5 dans son homélie 20 trouve un écho dans le commentaire final du geste de Phinées. Ainsi, la locution « Cela a pu édifier » fait écho à l’édification dont Origène parle à propos de Nb 25,1-5 (homélie 20, 1,5), c’est-à-dire à l’interprétation littérale et morale qu’il faut donner au texte biblique [93]. Pour Origène, à la suite de Clément et de Tertullien, Nb 25 vise à indiquer quel doit être le bon comportement, en usant des mêmes ressorts que ses deux prédécesseurs : rendre compte de la gravité de l’acte commis par la gravité proportionnelle de la punition. Cependant, comme précédemment dans cette même homélie, Origène ne s’en tient pas à l’interprétation littérale moralisante ; il estime même qu’elle doit être dépassée par le chrétien. Il propose une interprétation spirituelle qui fait écho à celle qu’il a donnée à propos de la fornication des Israélites avec les filles de Moab [94]. Origène s’intéresse en particulier à deux éléments du texte qui n’avaient pas attiré l’attention de ses deux prédécesseurs : le glaive (σειρομάστη dans la LXX, que Rufin traduit par siromaste) et le bas-ventre (μήτρα dans la LXX, traduit par pudenda). Pour Origène, il est évident que le grec μήτρα se réfère aux « organes [génitaux] » (en latin uulua), ou « endroits secrets de la nature » (en latin secreta naturae). S’en prendre au bas-ventre ne vise pas tant à tuer les « pécheurs » qu’à éviter les « enfants d’adultère » dont il est question plus haut dans l’homélie 20 et qui sont les « pensées » et les « actes » (homélie 20, 2,2) ou, comme ici (homélie 20, 5,1) « des réflexions diaboliques » [95]. Le glaive reçoit une interprétation spirituelle, à la suite probablement de Philon d’Alexandrie [96] et en se fondant sur Paul dans Ép 6,17 où le glaive de l’esprit est la parole de Dieu. Cette arme répond à l’arme de l’ennemi qu’est la fornication, laquelle est aussi bien éthique, culturelle qu’intellectuelle.

43Avec l’emploi de la deuxième personne, il développe son interprétation spirituelle dans un sens individuel, s’autorisant du fait que l’histoire de Phinées ne concerne que des individus (Phinées, l’Israélite, une Madianite) et non des groupes (le peuple juif, les filles de Moab). Chaque membre de la communauté qui assiste à l’homélie (si celle-ci a été prononcée), ou qui lit l’homélie, est ainsi personnellement concerné par l’exégèse qui suit. Origène invite chacun à une mise en pratique de l’histoire de Phinées. Cependant, cette mise en œuvre diffère de celle que les Maccabées et les zélotes ont effectuée, voire aussi de celle que préconise Tertullien. Elle ne doit pas se réaliser sur les gens extérieurs à la communauté, ni même sur les autres membres de la communauté, mais sur soi-même. Pour Origène, il faut être son propre Phinées, s’attaquer à toute mauvaise pensée et à tout acte négatif présent en soi. Il ne précise pas la manière dont il faut « frapper tout de suite », « tuer » ou « retrancher le foyer même du péché » (homélie 20, 5,1) ; il pense probablement à des pratiques ascétiques rigoureuses. L’insistance sur l’action du « tu » (homélie 20, 5,1) auquel il s’adresse fait écho à la liberté dont il a parlé plus tôt.

44Néanmoins, la liberté humaine ne peut s’exercer que grâce à la mise à disposition, par Dieu, du glaive de l’esprit, et pour cela l’entremise du Christ est nécessaire. Origène clôt son homélie en faisant du Christ le véritable Phinées, celui qui par sa parole, sa mort et sa résurrection a véritablement combattu et vaincu le péché. D’une certaine manière, chaque membre de la communauté doit imiter le Christ, dont Phinées n’était qu’une préfiguration. Cela peut en partie expliquer le silence sur le zèle de Phinées qui n’est pas mentionné ni commenté dans cette homélie. Ce silence ne serait pas à considérer comme l’expression d’une réticence, d’autant qu’Origène s’est déjà référé au zèle de Phinées dans son Commentaire sur Jean.

Phinées dans le Commentaire sur Jean

45Origène a commencé à composer son Commentaire sur Jean alors qu’il vivait à Alexandrie et l’a achevé lors de son séjour à Césarée à partir de 232. Dans le livre VI de son commentaire, composé peu après son arrivée à Césarée, donc probablement avant les homélies sur les Nombres, il questionne l’identité de Phinées et, ce faisant, il semble témoigner de sa connaissance du Pseudo-Philon qui identifie Phinées à Élie [97]. Il mentionne aussi le zèle de Phinées et celui de Dieu, mais il est à noter qu’il n’en propose aucune explication. Sur la question de l’identification, Origène fait un pas supplémentaire dans sa vingtième homélie sur Nb, puisqu’il rapproche Phinées du Christ, comme nous venons de le souligner.

46C’est peut-être après cette homélie 20 qu’Origène écrivit le livre XX de son Commentaire sur Jean, dans lequel il revient une nouvelle fois sur Phinées, à propos de Jn 8,44 et notamment de la question du meurtre :

47

Puisqu’est homicide (ἀνθρωποκτόνος), au sens banal du mot, quiconque a tué un homme en n’importe quelle circonstance, homicide qui est aussi neutre (μέσος), puisque c’est mus par le zèle pour Dieu qu’agirent Phinées, lorsqu’il tua l’Israélite adultère et la Madianite – on le dira homicide mais sans le blâmer –, et David, lorsqu’il tua Goliath, « au nom du Seigneur des armées, du Dieu des troupes d’Israël en ordre de bataille », il faut donc chercher quelle est la véritable vie de l’homme et la mort qui lui est contraire, afin de saisir quel est l’homicide digne de blâme [98].

48Origène parle du zèle mais il ne commente toujours pas ce terme. En revanche, il est le premier auteur chrétien à parler explicitement d’homicide à propos de l’action de Phinées, peut-être à partir de sa connaissance de Philon, qui a lui aussi évoqué brièvement cette question dans son De ebrietate 74 [99]. Origène s’intéresse au sens du terme « homicide » en laissant de côté la qualification morale. Il donne ainsi une définition qui est moralement μέσος, c’est-à-dire située entre le bien et le mal. Seules les circonstances peuvent qualifier moralement un homicide. Ainsi, le geste de Phinées est bien un homicide mais il ne peut pas être blâmé d’emblée. Cependant, comme Mark DelCogliano le fait remarquer, Origène ne va pas jusqu’à affirmer que l’homicide commis par Phinées est digne de louange – prenant ses distances vis-à-vis de Philon [100].

Cyprien et le zèle ecclésiastique

49Achevons notre analyse par un aperçu de Cyprien. L’évêque de Carthage, qui écrit au milieu du iiie siècle, ne propose pas un commentaire de l’histoire de Phinées lorsqu’il l’évoque dans sa lettre 73 destinée à Julianus [101]. L’intérêt de ce témoignage réside dans le fait que contrairement à ses trois prédécesseurs, Cyprien met l’accent sur le zèle, dans une visée ecclésiastique. L’évêque doit être zélé pour garder sa communauté contre les ennemis, à savoir dans le cas précis de la lettre, les chrétiens « hérétiques », qui professent d’autres doctrines, notamment à propos du baptême. Cyprien invite son destinataire à ne pas céder aux hérétiques, à être zélé, afin de maintenir une foi unique, une Église unique et un baptême unique. Phinées apparaît donc à nouveau comme un modèle à suivre. Cependant, l’évêque doit imiter, non pas le geste accompli par Phinées, mais son zèle, avec l’idée que ce zèle peut s’exercer selon des modalités différentes. Cela n’empêche pas Cyprien de recourir à un vocabulaire militaire, mobilisant la figure du soldat et celle du général, qu’il applique non plus aux martyrs (comme cela était le cas notamment sous la plume de Tertullien), mais aux autorités ecclésiastiques.

50Au terme de ce parcours, des constantes se dégagent dans l’utilisation de la figure de Phinées, depuis les Maccabées jusqu’à Cyprien, le dernier auteur analysé ici : la gravité de l’impudicité, qui est d’ailleurs souvent associée à l’idolâtrie, et le rôle de Phinées comme modèle. Des évolutions et des modifications se font également jour, partiellement en lien avec des circonstances historiques différentes. Phinées est un modèle à divers titres et selon des modalités différentes. Pour les Maccabées et les zélotes, il est une incitation à recourir à l’homicide, dans un contexte de résistance à un pouvoir non juif ou client d’un pouvoir non juif. Avec Philon, émerge une interprétation allégorique et spirituelle du zèle et du geste de Phinées, que reprend et développe ensuite Origène. À l’exception de Josèphe, qui paraît réservé, et de Paul, qui recourt à l’épisode lié à Phinées pour montrer la gravité d’un comportement impudique, les auteurs juifs ont une appréciation explicitement positive de Phinées et de la mort qu’il provoque. Du côté chrétien, l’appréciation positive n’est pas d’emblée évidente. Jusqu’à Clément, les auteurs chrétiens, probablement réticents vis-à-vis du zèle de Phinées, n’évoquent pas cette figure. Puis, lorsque les auteurs chrétiens mentionnent la figure de Phinées ou recourent à l’homicide, il n’est pas question pour eux d’appeler à une mise en œuvre concrète mais bien plutôt d’inciter, voire de contraindre à la chasteté, considérée comme indispensable au mode de vie chrétien. Il importe de replacer cette contrainte dans le cadre d’une alliance entre persuasion et coercition, que Peter van Nuffelen a bien étudiée [102]. Une incitation équivalente se retrouve sous la plume d’Origène, mais l’Alexandrin y adjoint (à nouveau) l’idée d’une mise en application. Cependant, celle-ci s’effectue selon des modalités différentes par rapport aux Maccabées et aux zélotes, notamment parce que, reprenant l’interprétation spirituelle de Philon, Origène la réoriente dans un sens individuel où chacun doit être son propre Phinées en vue d’adopter le comportement éthique, doctrinal et intellectuel adéquat. Cyprien semble, quant à lui, amorcer une nouvelle orientation dans l’utilisation de la figure de Phinées, puisqu’il l’utilise dans le cadre d’un renforcement de la figure de l’évêque.

51Ainsi, progressivement, la figure de Phinées, son zèle et l’acte de mise à mort auquel il recourt ont été adoptés par les penseurs chrétiens et utilisés, tantôt allégoriquement, tantôt concrètement, pour renforcer d’une part, une certaine vision du mode de vie chrétien et, d’autre part, une conception de l’organisation ecclésiastique. Au cours de cette évolution, le geste de Phinées apparaît comme justifié, au vu du bien plus grand qui en résulte. En particulier, Origène est le premier qui affirme explicitement que l’homicide, par lui-même, est neutre et que son caractère moral dépend des circonstances. L’idée d’un meurtre juste, que l’on trouve déjà dans la tradition juive, est ainsi progressivement adoptée par les chrétiens, jalon important sur le chemin menant à l’idée d’une guerre juste.


Date de mise en ligne : 28/06/2019

https://doi.org/10.3917/etr.941.0125

Notes

  • [1]
    Du côté français, le principal spécialiste est Jean Flori qui a consacré de nombreux ouvrages sur le sujet. Citons en particulier Jean F, L’idéologie du glaive. Préhistoire de la chevalerie, Genève, Droz, 1983 (20102) ; I., La première croisade. L’Occident chrétien contre l’islam, aux origines des idéologies occidentales 1095-1099, Paris, Éditions Complexe, 1992 ; I., La guerre sainte. La formation de l’idée de croisade dans l’Occident chrétien, Paris, Aubier, coll. « Historique », 2009.
  • [2]
    Jean Flori, « L’Église et la Guerre Sainte : de la “Paix de Dieu” à la “croisade” », Annales 47 (1992), p. 453.
  • [3]
    Amaury Levillayer, « Guerre “juste” et défense de la patrie dans l’Antiquité tardive », Revue de l’histoire des religions 3 (2010) [en ligne] : DOI : 10.4000/rhr.7619, § 1 (mis en ligne le 1er octobre 2013, consulté le 10 septembre 2018).
  • [4]
    J. Flori, La guerre sainte, op. cit.
  • [5]
    Voir en particulier Georges Kalantzis, Caesar and the Lamb : Early Christian Attitudes on War and Military Service, Eugene, Oreg., Cascade Books, 2012. Voir aussi Michel Hornus, Évangile et Labarum. Étude sur l’attitude du christianisme primitif devant les problèmes de l’État, de la guerre et de la violence, Genève, Labor et Fides, 1960 ; Roland H. Bainton, Christian Attitudes toward War and Peace : A Historical Survey and Criticial Re-Evaluation, Nashville, Abingdon Press, 1960.
  • [6]
    Voir notamment Edward A. Ryan, « The Rejection of Military Service by the Early Christians », Theological Studies 13 (1952), p. 1-32.
  • [7]
    Louis J. S, The Early Fathers on War and Military Service, Wilmington, Del., Michael Glazier, 1983. Pour un point de vue non polémique, voir James J. Megivern, « Early Christianity and military service », Perspectives in Religious Studies 12 (1985), p. 175-183 et Patrick G. Barber, « Christian views of military participation prior to the reign of Constantine », Restoration Quarterly 53 (2011), p. 101-112. Pour un apercu de la recherche en ce domaine : David G. Hunter, « A decade of research on early Christians and military service », Religious Studies Review 18 (1992), p. 87-94. Plusieurs auteurs se sont en particulier intéressés au concile d’Arles qui se tint en 314 et qui paraît constituer une rupture avec la période précédente ; parmi eux, André Méhat en propose une nouvelle interprétation qui met l’accent sur la continuité : André Méhat, « Le Concile d’Arles (314) et les Bagaudes », Revue des sciences religieuses 63 (1989), p. 47-70.
  • [8]
    L. J. Swift, The Early Fathers on War, op. cit., p. 29 (« represents a major shift rather than a reversal in Christian thinking, a shift that was made possible by earlier ambiguities and disagreements concerning the use of coercion and made necessary by the altered political circumstances in which Christians now found themselves »).
  • [9]
    Voir J. J. Megivern, « Early Christianity and military service », art. cit., p. 175-177 : l’auteur revient sur le caractère confessionnel de nombreux travaux antérieurs, avant d’annoncer que son étude se veut œcuménique. Voir également P. G. Barber, « Christian views of military participation prior to the reign of Constantine », art. cit., en particulier p. 112. Nous aurions une ambiguïté équivalente chez les juifs des premiers siècles : Emmanuel Friedheim, « La culture gréco-romaine et le milieu rabbinique ou la question de l’identité juive en Palestine romaine », Annuaire de l’École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux 124 (2017), en ligne : http://journals.openedition.org/asr/1599, § 2 (consulté le 3 août 2018).
  • [10]
    A. Levillayer, « Guerre “juste” et défense de la patrie dans l’Antiquité tardive », art. cit., § 3.
  • [11]
    J. J. Megivern, « Early Christianity and military service », art. cit., p. 111 ; P. G. Barber, « Christian views of military participation prior to the reign of Constantine », art. cit., p. 107, à propos des arguments avancés par Tertullien contre le service militaire. Voir aussi John Helgeland, « Christians in the Roman Army from Marcus Aurelius to Constantine », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II, 23 (1979), p. 724-834.
  • [12]
    Pour les ive et ve siècles, la réception de Phinées par les penseurs chrétiens a déjà été bien étudiée : Martine Dulaey, « Histoire et doctrines du christianisme latin (Antiquité tardive) », Annuaire de l’École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux 117 (2010), en ligne : http ://journals.openedition.org/asr/829 (consulté le 3 juillet 2018) ; Marie-Odile Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules. Interprétations patristiques d’Ex 20,5, Nb 25,11 et Dt 32,21 », in Hedwige Rouillard-Bonraisin (éd.), Jalousie des dieux, jalousie des hommes, Turnhout, Brepols, 2011, p. 249-276. Voir aussi Mark DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians : Philo, Origen, and a Family Legacy of Anti-Eunomian Rhetoric », Annali di storia dell’esegesi 34 (2017), p. 107-123.
  • [13]
    À compléter par les références suivantes : Louis Feldman, « The Portrayal of Phinehas by Philo, Pseudo-Philo, and Josephus », Jewish Quarterly Review 92 (2002), p. 315-345 ; David A. Bernat, « Josephus’s portrayal of Phinehas », Journal for the Study of the Pseudepigrapha 13 (2002), p. 137-149 ; Ryan S. Schellenberg, Timothy J. Geddert, « Phinehas and the Pharisees : Identity and Tolerance in Biblical Perspective », Direction 34 (2005), p. 170-180 ; Carolyn J. Sharp, « Phinehan Zeal and Rhetorical Strategy in 4QMMT », Revue de Qumran 18 (1997), p. 207-222 ; Claude Tassin, « Un grand prêtre idéal ? Traditions juives anciennes sur Pinhas », Revue des études juives 167 (2002), p. 1-22.
  • [14]
    Cette histoire et ses conséquences (l’ordre de Dieu d’attaquer les Madianites, Nb 25,26-18) proviendraient d’un récit sacerdotal. Ce dernier aurait été ajouté au premier récit qui est relatif à l’incident de Baal de Péor et qui met en scène les filles de Moab. Voir Baruch A. Levine, Numbers 21-36. A new Translation with Introduction and Commentary, New York/Londres/Toronto/Sydney/Auckland, Doubleday, coll. « The Anchor Bible 4A », 2000, p. 279-303.
  • [15]
    Aux versets 14 et 15, le nom de l’Israélite est donné : Zambri, fils de Salô, ainsi que celui de la Madianite : Khasbi, fille de Sour.
  • [16]
    La traduction est de Gilles Dorival, Nombres, Paris, Cerf, coll. « La Bible d’Alexandrie 4 », 1994.
  • [17]
    Notons que contrairement aux hommes d’Israël qui ont entretenu des relations avec les filles de Moab, dans le cas de l’Israélite tué par Phinées, il n’est pas question d’une attitude religieuse qui ferait l’objet d’une réprobation. Néanmoins, l’accent mis sur l’attitude sexuelle montre l’importance de celle-ci et peut en faire le symbole de tout détournement du culte de Dieu.
  • [18]
    Sur cette histoire, voir notamment John J. Collins, « The zeal of Phinehas : the Bible and the Legitimation of Violence », Journal of Biblical Literature 122 (2003), p. 3-21, ici p. 12-13.
  • [19]
    David Lincicum, « Philo on Phinehas and the Levites : Observing an Exegetical Connection », Bulletin for Biblical Research 21 (2011), p. 43-49, ici p. 45.
  • [20]
    Sur cette domination, voir Simon C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Nouvelle Clio », 2012, p. 289-306.
  • [21]
    Ibid., p. 303.
  • [22]
    Ibid., p. 324-328.
  • [23]
    S. C. Mimouni relève que les causes de cette révolte sont actuellement toujours sujettes à caution – plutôt religieuses pour les uns, politiques pour les autres – et propose d’envisager que plusieurs partis aux opinions politico-religieuses divergentes entrent en conflit les uns avec les autres : voir ibid., p. 345-350, et pour la révolte : ibid., p. 332-344.
  • [24]
    Étienne Nodet, La crise maccabéenne. Historiographie juive et traditions bibliques, Paris, Cerf, coll. « Josèphe et son temps 6 », 2005, p. 64. Sur la datation, voir aussi S. C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, op. cit., p. 332-334.
  • [25]
    1 M 2,54 (LXX). La traduction est nôtre.
  • [26]
    Cet événement serait à dater de la fin de l’année 167 ou du début de l’année 166 avant l’ère commune. É. Nodet, La crise maccabéenne, op. cit., p. 159. Voir aussi André Dupont-Sommer, « Histoire ancienne de l’Orient », Annuaire de l’École pratique des hautes études. Section des sciences historiques et philologiques 102 (1970), p. 131-160, ici p. 133-134.
  • [27]
    1 M 2,26 (LXX). La traduction est nôtre.
  • [28]
    1 M 2,24 (LXX). La traduction est nôtre.
  • [29]
    S. C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, op. cit., p. 412.
  • [30]
    Ibid., p. 441 ; Cl. Tassin, « Un grand prêtre idéal ? », art. cit.
  • [31]
    William Reuben F, Maccabees, Zealots, and Josephus. An Inquiry into Jewish Nationalism in the Greco-Roman Period, New York, Columbia University Press, 1956, p. 177-178 (« capable of turning away the wrath of God from his disobedient people » et « redemptive instrument »).
  • [32]
    S. C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, op. cit., p. 700-704.
  • [33]
    Ibid., p. 698.
  • [34]
    P’A, De specialibus, I,54, trad. Suzanne Daniel, in I., De specialibus legibus I-II, Paris, Cerf, coll. « Œuvres de Philon d’Alexandrie 24 », 1975. Comme le fait remarquer D. Lincicum, « Philo on Phinehas and the Levites », art. cit., p. 44-45, à propos de la réécriture de cette histoire dans De vita Mosis, Philon met l’accent sur l’idolâtrie et n’évoque pas l’attitude sexuelle répréhensible. Il en va de même ici.
  • [35]
    Philon d’Alexandrie, De specialibus, I,55.
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
    Ibid., I,57.
  • [38]
    Ibid. Philon s’appuie probablement sur Nb 25,15.
  • [39]
    De vita Mosis, I,302 ; les sections 301-303 se présentent comme une réécriture de l’histoire de Phinées. Voir Philon d’Alexandrie, De vita Mosis, introduction, traduction et notes par Roger Arnaldez et al., Paris, Cerf, coll. « Œuvres de Philon d’Alexandrie 22 », 1967.
  • [40]
    Ibid., I,295.
  • [41]
    Il existe toutefois un débat à ce sujet ; voir D. Lincicum, « Philo on Phinehas and the Levites », art. cit., p. 43-44.
  • [42]
    Voir S. C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, op. cit., p. 698.
  • [43]
    C’est en particulier le cas dans De confusione linguarum 57, De ebrietate 72-75 ou De specialibus legibus III,242.
  • [44]
    Voir aussi D. A. Bernat, « Josephus’s portrayal of Phinehas », art. cit.
  • [45]
    Il donne en effet de nombreux détails qui ne se trouvent pas dans le livre des Nombres, comme le plaidoyer de Zambrios (le Zambri des Nombres) contre Moïse (Antiquités juives, IV, § 145-149) et comme le nombre des morts : 14 000 sous sa plume (Antiquités juives, IV, § 155), alors qu’il est de 24 000 dans Nb.
  • [46]
    Pour le texte et la traduction : Flavius Josèphe, Antiquités juives, texte établi, traduction et notes par Étienne Nodet, Paris, Cerf, coll. « Flavius Josèphe 2 », 20042 (1995).
  • [47]
    Antiquités juives, XII, § 270 ; sur les différences entre le récit de Josèphe et 1 M, voir É. Nodet, La crise maccabéenne, op. cit., p. 427. Lire aussi Flavius Josèphe, La Guerre des juifs, I,36.
  • [48]
    A. Dupont-Sommer, « Histoire ancienne de l’Orient », art. cit., p. 145.
  • [49]
    Paul pourrait se fonder sur des traditions différentes, dont Josèphe témoignerait lui aussi. Sur ce passage paulinien, voir Michel Quesnel, La Première épître aux Corinthiens, Paris, Cerf, coll. « Commentaire biblique : Nouveau Testament 7 », 2018, p. 225-232.
  • [50]
    En ligne : http://www.biblindex.info/ (consulté le 10 mai 2018).
  • [51]
    Thesaurus Linguae Graecae, en ligne : http://stephanus.tlg.uci.edu/ (consulté le 15 mai 2018). Library of Latin Texts, Series A, en ligne : http://clt.brepolis.net.janus.biu.sorbonne.fr/llta/pages/QuickSearch.aspx (consulté le 20 mai 2018).
  • [52]
    M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., p. 250-256 pour le zèle de Dieu et p. 267 pour celui de Phinées.
  • [53]
    Ibid., p. 251
  • [54]
    Cette ambivalence n’est pas propre à l’époque antique. Elle a également été relevée par Chrystel B et Frédéric G (dir.), Critique du zèle. Fidélités et radicalités confessionnelles (France, XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Beauchesne, coll. « Théologie historique 122 », 2013.
  • [55]
    Ibid., p. 251-255, qui mentionne le Deuxième traité du Grand Seth, NH VII, 2, p. 64.18-25 et le Témoignage véritable, NH IX, 3, p. 48,4-5. Nous pouvons aussi ajouter le Livre des secrets de Jean, BG, p. 44.13-18.
  • [56]
    M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., p. 267.
  • [57]
    En particulier, il n’y a aucune mention de Phinées dans les écrits coptes de Nag Hammadi. La première mention de Phinées par un polémiste grec se trouverait sous la plume de Julien l’empereur, frag. 33 et 36 : voir ibid., p. 268-269.
  • [58]
    Il suffit de lire plusieurs apologies écrites au iie siècle : leurs auteurs, tout en défendant leurs pratiques et leurs croyances et tout en critiquant celles des polythéistes, souhaitent montrer combien ils sont de bons citoyens, loyaux à l’Empire et à l’empereur. Voir Justin, Apologie, ou Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens.
  • [59]
    C’A, Stromate III 32 ; T, Scorpiaque III et De pudicitate VI, 13.
  • [60]
    Origène, Commentaire sur Jean, VI, 83 et XX, 220 ; homélies sur Nb 15, 20 et 25 ; homélies sur Gn 16 ; homélie sur (1 et 2) Rois et dans quelques fragments. Cyrpien de Carthage, Lettre 73 à Julianus. Il faut y ajouter quelques fragments attribués à Hippolyte de Rome.
  • [61]
    Voir L. J. Swift, The Early Fathers on War, op. cit. ; Stephen Gero, « Miles gloriosus : the Christian and Military Service According to Tertullian », Church History 39 (1970), p. 285-398 ; J. J. Megivern, « Early Christianity and military service », art. cit., p. 174 ; J. Helgeland, « Christians in the Roman Army », art. cit., p. 735-744, où l’auteur débute son enquête par Tertullien.
  • [62]
    Voir en particulier la Passion de Perpétue et Félicité, X, 7-11.
  • [63]
    S. Gero, « Miles gloriosus : the Christian and Military Service According to Tertullian », art. cit.
  • [64]
    M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., p. 268-270, avec un intérêt accordé essentiellement à Julien et Cyrille. Compléter avec M. DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians », art. cit., qui ne semble pas connaître l’article de M.-O. Boulnois.
  • [65]
    M. Dulaey, « Histoire et doctrines du christianisme latin », art. cit. Pour une étude de l’ensemble des représentations de la catacombe, voir Liselotte Kötzsche-Breitenbruch, Die Neue Katakombe an der Via Latina in Rom. Untersuchungen zur Ikonographie der Alttestamentlichen Wandmalereien, Munich, Aschendorffsche Verlag, coll. « Jahrbuch für Antike und Christentum Ergänzungsband 4 », 1976.
  • [66]
    Clément et Tertullien notamment ne sont pas étudiés par M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., ni par M. DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians », art. cit.
  • [67]
    Annewies H, Clement of Alexandria and his Use of Philo in the Stromateis. An Early Christian reshaping of a Jewish Model, Leyde/New York/Copenhague/Cologne, Brill, 1988, p. 73, montre le lien que Clément établit entre la loi et l’éducation à la vertu.
  • [68]
    Stromate, III, IV, 31-32. La traduction est nôtre.
  • [69]
    A. van den Hoek, Clement of Alexandria and his Use of Philo in the Stromateis, op. cit.
  • [70]
    Nous avons vu qu’une idée équivalente était déjà présente sous la plume de Philon, supra p. 132.
  • [71]
    Voir supra p. 133.
  • [72]
    Dans ses commentaires de Tertullien, De pudicitate, t. II, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 395 », 1993, p. 337, Claudio Micaelli considère en effet que Tertullien avait une connaissance directe du livre des Nombres. Néanmoins, cela n’empêche pas que Tertullien ait pu être plus particulièrement intéressé par cette information suite à sa lecture de Paul, qu’il cite souvent.
  • [73]
    La traduction est nôtre.
  • [74]
    Philon d’Alexandrie, De vita Mosis I,303 ; voir D. Lincicum, « Philo on Phinehas and the Levites », art. cit., p. 46.
  • [75]
    Peter N, Penser la tolérance durant l’Antiquité tardive, Paris, Cerf, coll. « Les conférences de l’École Pratique 294 », 2018, p. 65-91.
  • [76]
    Claudio Micaelli, « Introduction », in Tertullien, De pudicitate, t. I, texte critique et traduction de Charles Munier, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 394 », 1993, p. 13.
  • [77]
    Tertullien, De pudicitate, t. I, op. cit., VI, 12-13.
  • [78]
    Voir supra n. 58.
  • [79]
    Homélie 20, 5,1, dont il sera question plus loin.
  • [80]
    Il est difficile d’être plus précis.
  • [81]
    Cicéron, De optimo genere oratorum, 14. Voir Marguerite Harl, Gilles Dorival, Alain Le Boulluec, « Introduction », in Origène, Traité des principes (Peri Archôn), introduction et traduction par Marguerite Harl, Gilles Dorival et Alain Le Boulluec, Paris, Études augustiniennes, 1976, p. 14.
  • [82]
    Le contexte est celui d’une controverse qui se développe autour d’Origène et de ses idées, notamment à la suite d’allégations d’Épiphane de Salamine dans son Panarion. Voir les préfaces que Rufin a écrites pour sa traduction du Peri Archôn : Marguerite Harl, Gilles Dorival, Alain Le Boulluec, « Dossier annexe – Rufin d’Aquilée », in Origène, Traité des principes, op. cit., p. 270-273.
  • [83]
    Ici, homélie 15, 2,1, Rufin introduit une glose pour expliquer son néologisme supermaledico qui permet de traduire le grec ἐπικαταρῶμαι, ce que ne faisaient pas, selon lui, les traductions latines antérieures de la LXX.
  • [84]
    Scandalus : homélie 15, 2,2. Origène explique en quoi consiste le scandale dans l’homélie 25.
  • [85]
    Homélie 15, 2,2 ; traduction de Louis Doutreleau, in Origène, Homélies sur les Nombres, t. II : Homélies XI-XIX, nouvelle éd. par Louis Doutreleau, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 442 », 1999.
  • [86]
    Homélie 20, 5,1 ; traduction de Louis Doutreleau, in Origène, Homélies sur les Nombres, t. III : Homélies XX-XXVIII, nouvelle éd. par Louis Doutreleau, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 461 », 2001.
  • [87]
    Au début de l’homélie 20, 1,1, Origène annonce aussi vouloir parler du recensement du peuple (Nb 26). Finalement, il n’a pas le temps de le faire dans l’homélie 20 ; celle-ci est ainsi entièrement consacrée au thème de la fornication. Il aborde le thème du recensement dans l’homélie 21.
  • [88]
    Origène a déjà évoqué ce conseil dans l’homélie 15.
  • [89]
    Ce lien a déjà été fait dans l’homélie 15 et également dans les œuvres de ses prédécesseurs, Philon, mais aussi Tertullien.
  • [90]
    Il s’agit là probablement d’une idée qu’il reprend de Philon, De vita Mosis I,294-295.
  • [91]
    M. DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians », art. cit., p. 111-112, rappelle que dans cette homélie Origène s’approprie et réoriente l’interprétation de Philon.
  • [92]
    Ce que l’on avait déjà lu sous la plume de Tertullien, quand il parle de fornication du corps et de fornication de l’esprit.
  • [93]
    Cette édification correspondrait à la première façon de comprendre les Écritures dont Origène parle dans son Traité des principes, œuvre qui a probablement été composée à la fin des années 220 ou au début des années 230, soit avant les homélies sur le livre des Nombres. Voir Traité des principes IV, 2,4 : « Pour que les plus simples soient édifiés par ce qu’on peut appeler le corps même des Écritures, si l’on peut dire – nous appelons ainsi l’intelligence ordinaire et historique », traduction d’Henri Crouzel, in Origène, Traité des principes, t. III, Livres III et IV, texte grec et traduction d’Henri Crouzel et Manlio Simonetti, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 268 », 1980.
  • [94]
    Cette étape pourrait correspondre à la deuxième façon de comprendre les Écritures dont Origène parle dans son Traité des principes, IV, 2,4 : « Pour que ceux qui ont un peu commencé à progresser et peuvent en saisir quelque chose de plus, soient édifiés par l’âme de l’Écriture elle-même », traduction d’Henri Crouzel, in Origène, Traité des principes, t. III, op. cit.
  • [95]
    Philon comparaît lui aussi l’homme qui a été transpercé à « toute réflexion qui accompagne l’opinion attribuant à des natures passives ce qui revient à Dieu », dans De ebrietate 73, traduction de Jean Gorez, in Philon d’Alexandrie, De confusione linguarum – De ebrietate, texte grec et traduction de Jean Gorez, Paris, Cerf, coll. « Œuvres de Philon 11-12 », 1962.
  • [96]
    Lire en particulier Philon d’Alexandrie, De ebrietate 73 : la sonde, siromastes, est comparée à ce qui permet d’explorer et de chercher « les secrets de la création périssable », traduction de Jean Gorez, in Philon d’Alexandrie, De confusione linguarum, op. cit.
  • [97]
    Origène, Commentaire sur Jean, livre VI, § 83, à propos de Jn 1,21. Voir M. DelCogliano, « Phinehas the Zealot and the Cappadocians », art. cit., p. 110 et aussi la note de Cécile Blanc, dans Origène, Commentaire sur s. Jean, t. II (livres VI et X), texte grec, avant-propos, traduction et notes par Cécile Blanc, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 157 », 1970, p. 188-190, n. 2.
  • [98]
    Origène, Commentaire sur Jean, livre XX, § 220, traduction de Cécile Blanc, dans Origène, Commentaire sur s. Jean, t. IV (livres XIX et XX), texte grec, avant-propos, traduction et notes par Cécile Blanc, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes 290 », 1982, p. 188-190, n. 2.
  • [99]
    Philon d’Alexandrie, De ebrietate 74 : « Ne serait-ce pas un assassin (ἀνδροφόνος) au jugement de la plupart des hommes, qui sont prisonniers des coutumes à la manière des femmes ? Mais devant Dieu, souverain et Père, il sera jugé digne d’innombrables éloges et louanges, de récompenses inaliénables, récompenses immenses et fraternellement associées, paix et sacerdoce. » Traduction de Jean Gorez, in Philon d’Alexandrie, De confusione linguarum, op. cit.
  • [100]
    Comparer le texte d’Origène dans son Commentaire sur Jean et ce que dit Philon dans De ebrietate 74, cité note n. 97.
  • [101]
    Cyprien, Lettre 73, X, 1-2 : « C’est le devoir d’un bon soldat de défendre contre les rebelles et les ennemis le camp de son général. C’est la gloire d’un chef de garder les enseignes qu’on lui a confiées. Il est écrit : “Le Seigneur ton Dieu est un Dieu jaloux”. Nous qui avons reçu l’Esprit de Dieu, nous devons avoir le soin jaloux de la foi divine. C’est par ce zèle que Phinées plut à Dieu et l’apaisa, lorsque dans sa colère, il faisait périr son peuple. Pourquoi tiendrions-nous compte de ce qui est adultère, étranger, ennemi de la divine Unité, nous qui ne connaissons qu’un Christ, et qu’une Église, la sienne ? » (traduction dans M.-O. Boulnois, « Un Dieu jaloux qui fait des émules », art. cit., p. 267, n. 73). Il s’agit de la seule et unique mention de l’histoire de Phinées sous la plume de Cyprien.
  • [102]
    P. van Nuffelen, Penser la tolérance, op. cit., en particulier p. 93-151.

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