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Article de revue

La performance opérationnelle des ONG humanitaires : une analyse en termes d'enjeux institutionnels

Pages 657 à 681

Notes

  • [1]
    Maître de conférences en sciences de gestion, Centre de recherche en gestion et management des entreprises (CREGEM), Université Paris Nord.
  • [1]
    Les ONG françaises sont aussi qualifiées d'associations de solidarité internationale (ASI).
  • [2]
    En vérité, savoir ce qui, au sein de l'action de solidarité, relève de l'humanitaire, du développement ou d'autre chose est en soi un sujet de publication, faisant appel à des considérations d'ordre idéologique et historique. Nous nous en tenons pour notre part à des distinctions fréquemment rencontrées dans la littérature.
  • [1]
    Citons notamment, outre Médecins sans Frontières (1971), Médecins du Monde (1980), Action contre la faim (1979), Aide médicale internationale (1979), Handicap international (1983). D'autres organisations d'urgence ont succédé à ces « pionniers », dans les années 1980 et 1990.
  • [1]
    Le terme « privé » renvoie ici à des acteurs (individuels ou organisationnels) pourvus d'autonomie décisionnelle, dont il est possible de personnaliser la fonction d'utilité. En termes plus simples, ce que nous entendons par « privé », ici, qualifie moins des personnes physiques ou morales que des intérêts : pour telle ou telle entreprise, une administration publique est un « acteur privé » de sa situation de gestion, en tant que partie prenante de son activité, pourvue d'une certaine capacité à décider.
  • [2]
    Comme l'atteste l'exemple de l'une des plus importantes organisations humanitaires françaises, l'association Équilibre, créée en 1984 et liquidée en 1998, à la suite du retrait de son principal contributeur (le Bureau humanitaire de la Commission européenne, ECHO).
  • [3]
    Nous n'entendons le concept de « satisfaction » qu'au sens « behavioriste » – qui relève d'une posture clairement individualiste – « d'absence de quête d'alternatives » (voir March et Simon, 1958, 1969). Le terme n'induit en conséquence aucun jugement de valeur : il se déduit de la participation volontaire d'un acteur à une organisation. Il va donc de soi que toute « satisfaction » postulée à l'aune du critère de « participation » a un caractère contingent (et sémantiquement discutable), dépendant des alternatives de participation disponibles et de l'information possédée par l'acteur.
  • [1]
    Insistons sur le fait que notre déduction ne vaut que dans le cadre des définitions proposées. Nous n'avons jamais vu le moindre document (ou publication) d'ONG assimilant les populations bénéficiaires de leur aide à des « clients » et il est même probable que, pour la plupart d'entre elles, le terme soit culturellement « tabou » (le concept d'accountabilíty, en revanche, est l'objet d'une large appropriation sémantique dans le milieu des ONG).
  • [2]
    De manière schématique, Williamson se demande s'il est possible d'importer les incitations du marché au sein de la firme et les capacités d'adaptation de la firme au sein du marché.
  • [1]
    Prenons l'exemple des donateurs individuels, pour bien comprendre ce que sous-tend notre formulation : les plus grandes ONG humanitaires françaises collectent chaque année plusieurs dizaines de millions d'euros auprès d'un public, généralement fidèle, de donateurs individuels (voir Vaccaro, 1996). Il va de soi que sans une telle manne, l'équilibre des organisations concernées se trouverait sévèrement affecté, réduisant l'ampleur de l'action opérationnelle et obligeant les associations touchées à licencier une part substantielle de leur personnel. La viabilité des ONG humanitaires dépend donc de leur capacité à « satisfaire » leurs donateurs, bien que cette satisfaction soit difficile à sonder (puisque non contractualisée). Supposons que les donateurs n'aient qu'une seule exigence à l'endroit des associations qu'ils financent (il s'agit simplement d'une hypothèse) : ils sont satisfaits à partir du moment où leur argent sert à financer des dépenses « opérationnelles » (médicaments, médecins, véhicules, radios, nourriture, etc.), ce dont l'examen de leurs comptes annuels permet d'attester. Cette exigence oblige les ONG à mettre en œuvre une aide « effective » mais ne les contraint nullement à être performantes (peu importe, dans ce cadre d'école, que les médecins soient incompétents, les médicaments périmés, les radios défectueuses, etc.).
  • [2]
    « Confortable » ne signifie pas forcément « avantageuse », comme nous aurons l'occasion de le voir plus loin. Le rapport existant entre la situation de gestion des ONG et leurs intérêts institutionnels contient plus de variété analytique que ce que nous en proposons dans un premier temps.
  • [3]
    Dans le cas où plusieurs acteurs stratégiques de la situation des ONG les astreignent à une obligation de résultats opérationnels, il importe bien entendu que leurs demandes soient compatibles ; sinon, l'interdépendance est rompue et l'équilibre de l'organisation change (les ONG abandonnent telle source de financement pour se réorienter sur telle autre, dont les exigences leur paraissent plus acceptables).
  • [1]
    Comme l'écrit Benthall, « their value systems and policies and their actions bothin the field” and within their home constituencies are likely to come under increasing scrutiny » (1993, p. 123).
  • [1]
    Nous n'envisageons ici qu'une situation de concurrence « statique » entre deux conceptions évaluatives qui, en dynamique, sont de nature à se compléter.
  • [1]
    Il est en effet difficile de définir ce qu'est une « bonne » action humanitaire et de mesurer l'efficacité de ses opérateurs (problème inhérent au travail d'équipe). En revanche, il n'est pas douteux que certains projets puissent être incontestablement qualifiés de « mauvais ». Il suffit pour cela que l'aide produite transgresse le principe hippocratique de base primum non nocere (d'abord, ne pas nuire), soit du fait d'une incompétence lourde, soit du fait de comportements inadmissibles, de la part des personnels employés par les ONG.
  • [1]
    Il est, par exemple, usuellement admis que la consommation d'une ration alimentaire quotidienne de 1900 à 2 000 kilocalories est suffisante pour stabiliser l'état nutritionnel des personnes secourues ; or, comme le rappellent certains auteurs, une focalisation excessive sur cette norme quantitative occulte certains paramètres de qualité (diversité alimentaire) sans lesquels l'état des populations peut se dégrader jusqu'à déboucher sur des épidémies liées à des carences vitaminiques (Moren, Rigal et Biberson, 1992).
  • [1]
    Le manuel est disponible, en français, sur le site internet www.sphereproject.org/handbook.
  • [1]
    Les promoteurs de la Plate-forme Qualité comparent d'ailleurs les standards Sphere à des « normes ISO ». Voir le document intitulé « Les dangers et les incohérences des approches normatives pour l'aide humanitaire, synthèse des réflexions soulevées », accessible sur le site internet www.urd.org/rech/sphere.
  • [2]
    Cette remarque est importante dans une perspective plus large que celle à laquelle cet article entend se tenir : si l'on peut tenir pour acquis que les ONG humanitaires françaises sont globalement jalouses de leur liberté opérationnelle, ce n'est pas obligatoirement le cas de toutes les ONG : accepter de dévoiler sa propre action et les critères à l'aune desquels il est pertinent de la juger, cela peut correspondre à l'intérêt de certaines organisations, dès lors qu'elles peuvent en escompter un effet multiplicateur des fonds dédiés à leur activité.
  • [1]
    D'aucuns pourraient interpréter cette aspiration à l'aune d'explications de type corporatif. La forte couleur médicale des ONG humanitaires françaises est évidemment de nature à donner du crédit à ce propos, qui mériterait toutefois d'autres développements.
  • [2]
    En supposant que la question des critères d'évaluation de l'aide humanitaire puisse faire, un jour, l'objet d'un consensus, demeurerait intact le problème du recueil de données sur les terrains d'intervention.
  • [3]
    Les promoteurs de la Plate-forme Qualité contestent moins la pertinence des standards Sphere que leur rigidité et leur automaticité.
  • [4]
    Il s'agit d'un montant dont le niveau exceptionnellement élevé s'explique par la crise du Kosovo.
  • [1]
    Cour des Comptes de l'Union européenne, « rapport spécial n° 2/97 relatif aux aides humanitaires de l'Union européenne entre 1992 et 1995 accompagné des réponses de la Commission », Journal officiel des Communautés européennes, C 143, Bruxelles, 12 mai 1997.
  • [2]
    Sur cette question, voir ECHO et CICR, « Action humanitaire, perception et sécurité », rapport final de séminaire, ECHO et CICR, Lisbonne, 27-28 mars 1998.
  • [3]
    À cet égard, comment ne pas citer le passage suivant du rapport annuel d'ECHO, pour l'exercice 2001 : « Eu égard à sa capacité accrue à orienter son action en priorité au profit des zones présentant les plus grands besoins humanitaires, ECHO a affiné sa méthodologie d'évaluation des besoins en 2001. Instrument complémentaire, cette analyse est basée sur un ensemble de données relatives à des indicateurs pertinents (vulnérabilité, réfugiés, déplacés, taux de mortalité, etc.). Cet outil de planification permet de réaliser des comparaisons entre plusieurs pays (...). Il comprend un recueil de données statistiques de base sur les indicateurs critiques des besoins humanitaires pour environ 130 pays, classés par catégories de niveau de besoins (importants, moyens et faibles) » (Commission européenne, « Rapport de la Commission (ECHO), 2001 », Bruxelles, juillet 2002, disponible sur www.europa.eu.int/eur-lex, p. 4).
  • [1]
    Voir, par exemple, la Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l'évaluation et l'avenir des activités humanitaires de la Communauté, Bulletin UE, 10-99, www.europa.eu.int/abc/doc.
  • [1]
    Voir Comité d'experts indépendants, « premier rapport sur les allégations de fraude, de mauvaise gestion et de népotisme à la Commission européenne », 15 mars 1999, www.europarl.eu.int/experts.
  • [2]
    Les signataires de la Plate-forme Qualité ne cachent pas leur scepticisme à cet égard : « Est-il pensable qu'une entité indépendante ait la capacité d'appréhender la valeur des plaintes et critiques techniques dans l'ensemble des domaines techniques couverts par Sphère ? Si la réponse à cette question devait être “oui” (...), alors la taille et la compétence de cette entité serait nécessairement importante et coûteuse » (« Les dangers et les incohérences des approches normatives de l'aide humanitaire, synthèse des réflexions soulevées », p. 4, www.urd.org/rech/sphere/dangers.
  • [1]
    Cela explique par exemple que, si le rapport qualité-prix des projets d'aide humanitaire mis en œuvre par les ONG semble intuitivement avantageux (frais de personnel inférieurs à ceux des agences institutionnelles et des cabinets commerciaux), cette dimension n'est de toute façon pas prioritaire, dans les allocations opérées par l'Office européen. La preuve en est que les remboursements de frais de personnel consentis par ECHO aux ONG le sont sur une base forfaitaire probablement avantageuse pour ces dernières (même si le terme de « forfait » n'apparaît plus en tant que tel dans le contrat cadre de partenariat).
  • [1]
    On pourrait parler, ici, d'« économie de l'argumentation ».
English version

1 Les disciplines scientifiques dont la production et la distribution de richesses constituent l'objet d'investigation – les sciences économiques et de gestion au premier chef – ne s'intéressent que marginalement au « pourquoi » et au « comment » des « associations sans but lucratif ». Il est vrai que ces dernières sont par définition caractérisées par une grande diversité d'objets sociaux (Archambault, 1996) et qu'il est en conséquence difficile d'en donner une vision à la fois synthétique et scientifiquement opérationnelle.

2 Il appartient toutefois à la recherche de proposer une représentation conceptuelle convaincante – à tout le moins, discutable – de phénomènes prégnants, dès lors que ceux-ci s'« imposent » au champ d'investigation de telle ou telle discipline. Or, au chercheur en gestion, le secteur associatif propose l'exemple d'organisations dont la croissance a été considérable, ces vingt-cinq dernières années, au point qu'il est ici possible d'évoquer de véritables success stories entrepreneuriales (voir Quéinnec, 1998) ; parmi ces « organisations ultraperformantes » (Rochet, 1992), figurent en particulier les grandes ONG humanitaires françaises.

3 Il ne nous apparaît pas nécessaire de faire l'inventaire de ce que recouvre le terme d'ONG, sinon pour préciser qu'il désigne des associations sans but lucratif, mettant en œuvre diverses actions de sensibilisation, coopération, développement ou solidarité, le plus souvent en faveur de populations vulnérables, vivant dans les pays du Sud [1]. Quant au mot « humanitaire », s'il est aujourd'hui largement galvaudé, il fait traditionnellement référence à une action de secours s'adressant à des personnes victimes de « crises » d'origine naturelle (séismes, inondations, etc.) ou politique (guerres, massacres systématiques, etc.) dont la gravité menace la survie immédiate (ou à très court terme). L'action humanitaire fait donc historiquement référence à l'« urgence », par opposition au « développement », ce dernier décrivant une action de long terme, en contexte sociopolitique stable [2].

4 Cette précision n'a pour but que de questionner la performance de ces organisations en des termes permettant de faire le lien entre leur nature d'« entreprise privée » (nous envisageons le terme dans un sens générique) et leur vocation de « secouriste » (ou, plus généralement, de producteur de services gratuits). Ce que nous entendons par « performance » réside en l'appréciation que portent, sur l'organisation ou sur son action, les différents acteurs de son environnement. Or, lorsque cette question est évoquée à propos des ONG, elle renvoie presque automatiquement à l'évaluation de projets. Les volontaires associatifs, les cadres dirigeants, les financeurs de l'action opérationnelle (bailleurs de fonds) sont friands de grilles et de méthodes permettant de savoir dans quelle mesure l'aide fournie aux populations vulnérables est utile, pertinente, efficiente, etc. Notre propos n'est pas ici d'aborder la question, d'ailleurs abondamment commentée, de la méthodologie et de l'évaluation de projet. Il s'agit plutôt de faire le lien entre les modalités de production/utilisation de ces évaluations opérationnelles et les contraintes de performance auxquelles sont soumises les ONG humanitaires.

5 Ce faisant, notre propos est bien celui d'un chercheur en gestion, pas celui d'un économiste. Ce n'est pas l'efficacité intrinsèque d'un service public de solidarité qui nous intéresse ici mais la portée de cette question sur le management et la performance des « entreprises » qui le mettent en œuvre. Or, nous le verrons, les organisations humanitaires ont une identité « hybride » : leur être est privé et leur objet, public. Il nous faudra donc opérer un détour par ce que cette particularité implique, de manière à situer la problématique de l'évaluation opérationnelle en des termes originaux, largement empruntés aux connaissances produites par la théorie des organisations.

6 Dans une première partie, nous discuterons donc de la relation singulière unissant l'identité économique/institutionnelle des ONG à leur vocation d'opérateur de projets de solidarité. Dans une seconde partie, nous tâcherons d'identifier la nature des contraintes avec lesquelles les opérations des ONG humanitaires doivent aujourd'hui composer, en portant un regard particulier sur les exigences de leurs bailleurs de fonds institutionnels.

I. LES ENJEUX INSTITUTIONNELS DE L'ÉVALUATION OPÉRATIONNELLE DES ONG HUMANITAIRES

7 Les grandes ONG humanitaires françaises sont celles qui ont connu le plus fort développement, ces vingt dernières années, dans le sillage des associations « sans frontiéristes [1] ». La croissance de leurs ressources a d'ailleurs été telle qu'elle a permis à ces organisations de dépasser leur vocation « urgentiste » initiale, pour investir progressivement dans des projets de moyen/long terme, plus proches d'une logique de développement. C'est néanmoins à leur seule condition de producteur d'opérations de secours humanitaires, tels que définis en introduction, que nous nous intéresserons dans cet article.

8 Les ONG humanitaires sont des personnes morales de droit privé produisant des services gratuits au bénéfice de populations particulièrement démunies. Cette particularité donne à leur « situation de gestion » (voir Girin, 1990), une teneur fort singulière qu'il est indispensable d'aborder, dès lors que l'on prétend saisir la problématique générale de l'évaluation de l'action humanitaire.

1. Les ONG : des « nœuds de contrats » caractérisés par une interdépendance lâche

9 Conformément à la définition que la théorie des coûts de transaction donne des organisations (Williamson, 1985, 1994), les ONG sont des « nœuds de contrats » entre agents économiques divers, soit un système d'adhésions au projet organisationnel fondé sur un équilibre d'avantages et de contributions « privés » [1] (Barnard, 1938). De ce point de vue et même si le terme est de nature à heurter les susceptibilités associatives, il n'est pas interdit de les envisager telles des entreprises, avec lesquelles elles partagent d'ailleurs une même vulnérabilité face au risque économique [2].

10 Il n1en reste pas moins que, au sein des entreprises commerciales, les transactions sont généralement plus formalisées que ce n'est le cas dans les ONG, tout simplement parce que les premières procèdent d'une logique d'échange (de valeur économique, au premier chef) tandis que les secondes constituent un mode de coordination original d'une action de solidarité faisant appel au don, privé ou subventionné. Sauf intervention réglementaire susceptible de modifier les règles du marché, il existe au sein des entreprises commerciales une relation de très forte interdépendance contractuelle entre financeurs, producteurs et destinataires de l'offre produite. Autrement dit et à environnement donné des relations d'échange, la prospérité (ou le déclin) d'une organisation marchande dépend et ne dépend que de son aptitude (ou de son inaptitude) à satisfaire les demandes de ses parties prenantes [3]. Il en résulte, de la part de ces dernières, une forte incitation à évaluer les services produits par l'organisation.

11 Les ONG sont, quant à elles, dans une situation de gestion différente. Leur survie dépend de la participation, à leur projet d'entreprise, d'un certain nombre d'acteurs richement dotés en ressources stratégiques (donateurs, bailleurs de fonds institutionnels, journalistes, pouvoirs publics, faiseurs d'opinion, volontaires, etc.) alors que leur vocation les délègue à une aide envers des populations vulnérables dont les exigences n'affectent pas directement leur équilibre institutionnel (puisque l'offre de secours est gratuite). Cela n'induit pas que les ONG soient en position de faire impunément « n'importe quoi » en matière opérationnelle mais implique que les intérêts des populations bénéficiaires soient représentés par un acteur capable d'influer sur le cours des actions produites en leur nom.

12 Le fait que l'aide humanitaire doive « rendre service » aux populations auxquelles elle s'adresse relève du plus élémentaire bon sens normatif et il n'est en conséquence pas surprenant que les ONG réfèrent explicitement leur action à cette finalité. Pour traduire cette position de principe, elles invoquent volontiers le concept d'accountability, anglicisme décrivant une sorte d'engagement à bien agir, d'une nature très comparable à l'obligation de moyens à laquelle la déontologie médicale astreint l'activité de soin.

13 Ce concept d'accountability est intéressant en ce qu'il consacre l'aide humanitaire comme activité de service plutôt que comme manifestation de charité. Il n'est donc pas incongru d'en déduire que les ONG humanitaires acceptent de faire comme si les populations bénéficiaires de leur action étaient, en somme, des « clients », au sens de personnes qu'elles s'engagent à servir de la manière la plus satisfaisante possible [1]. Le « faire comme si » susmentionné ressortit-il au domaine du possible ? Autrement dit, est-il viable de répliquer, au niveau d'une relation empathique (fondée sur le don), les caractéristiques informationnelles inhérentes aux relations sympathiques de l'échange ?

14 Cette question est fondamentalement de même nature que celle que pose l'économie des coûts de transaction (Williamson, op. cit.) à propos de l'organisation et du marché [2] ; elle renvoie à la densité des nœuds de contrats enserrant l'action opérationnelle des ONG.

15 Nous avons vu que les relations informationnelles et transactionnelles unissant les ONG à leurs parties prenantes étaient a priori caractérisées par une interdépendance relativement lâche (moins forte que celle qui prévaut dans les entreprises commerciales). Toutefois, ce degré d'interdépendance est susceptible de varier entre deux bornes que l'on peut schématiquement envisager comme suit :

16

  • Une situation d'interdépendance faible : les ONG sont ici tenues de satisfaire les demandes plus ou moins explicites de leurs apporteurs de ressources sans que celles-ci portent nécessairement sur la qualité, la pertinence ou l'efficience de l'aide produite [1]. Dès lors, nul n'est capable et/ou incité à contester le monopole informationnel des ONG, ce dont il résulte, pour ces dernières, une situation institutionnelle a priori confortable [2] (tout en continuant à être soutenue, leur action ne fait l'objet d'aucun diagnostic de performance extérieur). L'éthique de responsabilité des ONG peut ici atténuer le défaut d'incitations caractéristique de cette situation souveraine mais, tant qu'il demeure purement autoréférentiel, le concept d'accountability n'a pas de valeur concrète d'engagement et consacre les ONG en tant que juges et parties de leur propre production.
  • Une situation d'interdépendance forte : ici, une ou plusieurs parties prenantes dont la survie des ONG dépend plus ou moins directement prennent à leur compte les intérêts des populations aidées et s'attachent à subordonner leur concours à une évaluation des résultats obtenus par l'action de secours [3]. De « nœuds de contrats », les ONG se transforment alors en tissus de relations d'agence (voir Charreaux, 1987, pour une présentation) : tel acteur institutionnel devient l'« agent » plus ou moins explicite des populations aidées et charge lui-même les ONG de mettre en œuvre une action conforme à leurs intérêts (ou à l'idée qu'il s'en fait, si le mandat est implicite). Il résulte intuitivement de cette structure de relations une contrainte forte pesant sur l'action opérationnelle des ONG. Sauf à prendre le risque de voir leurs ressources diminuer, celles-ci sont alors fortement incitées à agir dans le sens de ce que prescrit leur mandant ; ce qui n'est convaincant, en termes d'évaluation, que si les prescriptions en question ne constituent pas un abus d'interprétation des préférences exprimées (ou devinées) des populations bénéficiaires.

17 Ces archétypes correspondent à deux états extrêmes du système relationnel que constituent les ONG, états dont les conséquences sont ici intuitivement déduites. Or, un système peut être décrit par sa structure, son état mais aussi par son potentiel d'évolution (voir Le Moigne, 1990). Dans le cas des ONG, la métaphore systémique est intéressante car les schémas d'interdépendance proposés sont susceptibles de changer, sous l'effet de divers facteurs exogènes (initiatives propres des acteurs) ou endogènes (politique de communication des ONG incitant certains acteurs à évaluer ou faire évaluer leurs opérations) ; ainsi une interdépendance initialement faible entre relations contributives et performances opérationnelles peut-elle se transformer progressivement en une configuration extrêmement contraignante pour les ONG. A contrario, un schéma d'interdépendance forte, si apparemment contraignant et rigoureusement incitatif, peut tout à fait déboucher sur des relations de connivence mutuelle, dont toute menace de rétorsion serait plus ou moins explicitement exclue.

18 À ce point du développement, il est donc nécessaire de circonscrire notre champ de réflexion. Il n'entre pas dans le cadre de cet article de faire l'inventaire des acteurs dont le concours conditionne plus ou moins fortement l'existence des ONG ni d'analyser la manière dont ces dernières gèrent leurs exigences. Il ne s'agit pas plus de décrire l'ensemble des états de leur système relationnel ni de recenser les évolutions/enjeux propres à chacun d'eux ; on considérera toutefois que les grandes ONG humanitaires ont longtemps pu prospérer sans que la qualité de leurs réalisations opérationnelles ait été l'objet d'une vigilance soutenue, de la part de leurs contributeurs. Nous admettrons donc que l'interdépendance faible entre relations contributives et performances opérationnelles constitue l'état normal de la situation de gestion d'une action de solidarité privée en phase de démarrage et de croissance.

19 Nous concentrerons notre attention sur une évolution plus caractéristique de la maturité de l'aide humanitaire internationale, soit le renforcement apparent des exigences opérationnelles adressées aux ONG par leurs bailleurs de fonds institutionnels.

2. La progressive transformation de l'action humanitaire en service public international : Quelles conséquences évaluatives prévisibles ?

20 La dimension institutionnelle de l'aide humanitaire, hors le cas particulier du Comité international de la Croix-Rouge (organisation privée que l'on peut qualifier d'agent diplomatique humanitaire internationalement reconnu), s'est affirmée au début de la décennie 1990, à la faveur d'un certain nombre de crises de grande ampleur, affectant de très nombreuses populations et comportant d'importantes implications politiques. Le fait, notamment, que le Conseil de sécurité de l'ONU ait promu une lecture extensive du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, en considérant qu'un certain nombre d'atteintes aux populations civiles et à l'aide humanitaire constituaient une menace contre la paix et la sécurité internationale, a conféré à l'action de secours international une véritable dimension de service public, imbriquant associations privées, bailleurs de fonds internationaux et agences intergouvernementales.

21 Il est raisonnable d'inférer de cet investissement institutionnel une source d'évolution du système relationnel des ONG vers un état d'interdépendance renforcée entre relations contributives et performances opérationnelles (voir Fitz-Gerald et Neal, 2002). À cet égard, la décennie 1990 annoncerait l'ère d'une vigilance accrue de l'environnement des ONG à l'endroit de leur éthique et de leurs pratiques, vigilance débouchant sur un certain nombre de questionnements divers relatifs au coût de l'action humanitaire, à ses effets pervers (déjà évoqués, pour l'essentiel), à la pertinence de certaines stratégies thérapeutiques ou opérationnelles, au professionnalisme des associations, etc. [1]. En l'état et compte tenu de leur teneur fréquemment allusive, les interrogations susmentionnées, quoique teintées de scepticisme, voire de défiance, ne sont pas de nature à menacer sévèrement le crédit social des ONG. Elles appellent toutefois une activité d'évaluation, dont il est permis de questionner la légitimité (valeur informationnelle) autant que l'efficacité (puissance d'orientation).

22 De ce point de vue, il est d'ores et déjà possible d'apporter un élément de réponse à l'une des questions posées par cet article : il est hautement probable que l'évaluation d'une action humanitaire quelconque aura toujours à cœur de se référer à l'intérêt des populations bénéficiaires (il s'agit d'un point d'ancrage normatif). Toutefois, il n'entre pas dans la vocation d'un « service public » de répliquer, au niveau d'une relation empathique, les incitations propres aux relations d'échange. Une telle prouesse ne serait d'ailleurs possible que si la relation secouristes/secourus pouvait être contractualisée, ce qui pose le double problème : 1) des termes de l'échange et 2) de l'identité des cocontractants. L'action humanitaire de « service public » a plus modestement pour ambition de répartir une offre économiquement circonscrite entre des personnes dont la demande est postulée sur la base d'un « besoin normatif » (Laufer, 1976), lui-même largement défini en fonction de valeurs d'intérêt général.

23 Cette fonction de répartition (plutôt que d'adaptation) attachée au système d'offre limite expressément sa capacité à prendre en compte les demandes individuelles. En réalité, l'utilisation des ressources d'aide peut prendre une multitude de formes et de directions possibles, largement définies en fonction des priorités assignées au service produit par les producteurs eux-mêmes. Il n'est évidemment pas douteux que ce système d'offre rencontre de « vraies » demandes implicites (il est rare qu'un réfugié refuse la nourriture qui lui est donnée...). Du point de vue de l'« intérêt général », il relève toutefois d'un altruisme inévitablement introspectif qui n'est pas exempt d'effets pervers (« sevrage » des conflits ; déstabilisation des marchés locaux ; inégalités de traitement entre populations « déplacées » et populations autochtones ; etc.). Du point de vue de l'« intérêt individuel », son empathie est elle-même ambiguë ; certaines organisations humanitaires ont ainsi tendance à cultiver une relation distante, voire méfiante, vis-à-vis de certaines autorités ou communautés dont la représentativité leur semble sujette à caution. Leur « bonne volonté » peut aussi buter sur certaines résistances individuelles non anticipées (il en va ainsi, par exemple, de certaines campagnes de vaccination dont l'administration se heurte à des croyances superstitieuses). Enfin, le système sera toujours appelé à faire des choix entre personnes « plus ou moins » aidées, selon des critères nécessairement arbitraires.

24 Que peut-on inférer de ces remarques sur la nature et la fonction de l'évaluation des opérations d'aide humanitaire ? Qu'il est a priori aussi légitime de lui demander de mettre en exergue les résultats de l'action produite que d'en préserver l'opacité, dilemme dont les modalités de traitement influent bien entendu sur son efficacité. Aucun acteur du système d'aide internationale ne conteste aujourd'hui l'opportunité – voire la nécessité – de donner, de l'action produite, un certain nombre d'indications relatives à sa performance. Toutefois, tous ont conscience que de telles évaluations peuvent s'avérer menaçantes pour la liberté opérationnelle autant que pour la réputation de tel ou tel intervenant dont les projets feraient l'objet d'appréciations défavorables. Si le principe de l'évaluation est susceptible de faire consensus, les questions du « qui évalue ? », « dans quel but ? », « en fonction de quels critères de performance ? » sont de nature à susciter de vigoureux débats. Or, puisque le système d'aide a pour fonction de « donner corps » à des valeurs d'intérêt général irréductibles à des fonctions d'utilité individuelles, il est loisible aux opérateurs soumis à évaluation de jouer de leurs rentes informationnelles pour justifier telle politique, argumenter tel ou tel choix opérationnel, bref, légitimer la complexité de leurs contextes d'action et, en conséquence, l'ambiguïté de leurs réalisations, cette attitude pouvant elle-même influencer la conception des évaluations produites.

25 L'évaluation opérationnelle répond donc à des besoins informationnels et des objectifs décisionnels différents qu'il est possible de synthétiser au travers des deux conceptions suivantes :

26

  • L'évaluation opérationnelle peut avoir pour but d'expliciter et d'analyser les contextes, les enjeux et les effets de l'action, de manière à en produire la connaissance la plus exacte et la plus subtile possible. Ce type de travail est plus prospectif que rétrospectif. Il insiste sur les singularités, les facteurs de contingence et les valeurs éventuellement contradictoires que l'action doit prendre en compte. L'évaluation correspond ici à une « offre de complexité » à des fins d'apprentissage (fonction pédagogique).
  • Au contraire, l'évaluation peut chercher (plus ou moins finement) à juger de l'efficacité d'une action sur la foi de quelques indicateurs de performance. Le travail est ici rétrospectif et sa fonction est de privilégier les dimensions visibles de l'action produite. Ici, l'évaluation correspond à une « demande de transparence » à des fins de diagnostic (fonction sélective).

27 Peut-on trouver un point d'équilibre entre « offre de complexité » et « demande de transparence » [1] ou ces deux aspirations sont-elles radicalement antinomiques ? Notons que le débat a suscité un certain nombre de réflexions intéressantes, de la part d'auteurs importants en théorie de la décision : ainsi, selon Simon (1951, 1983), le caractère conjectural des évaluations produites tient au caractère souvent plus vaguement qu'explicitement normatif des finalités assignées à l'action publique. C'est la raison pour laquelle cet auteur recommande (sans mésestimer les difficultés du travail) la construction d'indices susceptibles d'en fournir un étalon d'évaluation acceptable ; un théoricien tel que March ne partage pas forcément ce souci de rationalité : « (...) une plus grande précision dans l'énoncé des objectifs et la mesure des résultats est souvent à double tranchant : quand la contradiction et la confusion sont des éléments essentiels des valeurs en jeu, une trop grande précision trahit ces valeurs. (...) Quant à la précision des objectifs, elle ne permet pas une interprétation créatrice de leur signification » (March, 1991, p. 154). Et il est à noter que ces deux auteurs se réconcilient lorsqu'il s'agit d'envisager avec circonspection certaines tentations rationalistes, susceptibles de renverser l'ordre des relations moyens-fins d'une action, au nom d'une certaine commodité évaluative : « Une circonstance importante qui entraîne le remplacement de buts généraux par des buts secondaires comme critères de décision est le fait que ceux-ci sont perçus comme opérationnels et les autres non » (March et Simon, 1969, p. 153).

28 Cette dernière citation s'adresse surtout aux administrations publiques, soucieuses de pouvoir fonder leurs allocations budgétaires sur des critères d'utilité aussi peu contestables que possible. On peut inférer de cette remarque que conceptions « pédagogique » et « sélective » de l'évaluation semblent répondre à des ambitions institutionnelles différentes et potentiellement antagonistes. L'évaluation pédagogique correspondrait particulièrement aux intérêts des ONG car elle valorise leurs rentes informationnelles, consolide leurs apprentissages et in fine, préserve leur liberté de conception et de mise en œuvre opérationnelle (sauf mise en exergue d'agissements incontestablement mauvais, voire scandaleux [1]). A contrario, on peut supposer que les bailleurs de fonds auront à cœur de mettre à nu les résultats obtenus par leurs partenaires, de manière à pouvoir sélectionner les plus compétents d'entre eux et/ou agir sur leurs stratégies opérationnelles.

29 Ces suppositions n'ont toutefois que valeur d'hypothèse car la question des « intérêts » des uns ou des autres à évaluer de telle ou telle manière n'est pas réductible à ce que nous en disons ici. En revanche, il ne fait aucun doute qu'elles font intervenir, dans la problématique de l'évaluation opérationnelle, des considérations d'ordre stratégique qui rendent la question du « comment évaluer » (intelligence) indissociable de celles du « qui » (pouvoir) et du « pourquoi » (motivation), bien au-delà des déclarations d'intention des uns ou des autres.

30 À ce stade de notre réflexion, on peut considérer : 1) que l'évaluation constitue le vecteur informationnel susceptible de faire évoluer la situation de gestion des ONG de l'interdépendance faible vers l'interdépendance forte (ou renforcée) entre relations contributives et performances opérationnelles et 2) que la mutation progressive de l'aide humanitaire en service public international agit en faveur de cette production d'évaluations.

31 À partir de là et en limitant notre propos à la relation ONG / bailleurs de fonds, c'est en fonction de trois « sources d'énergie » distinctes (émanant des acteurs impliqués) que cette pression à l'évaluation se traduira (ou non) par un changement d'état dans le système relationnel des ONG, dans le sens d'un renforcement de leurs contraintes opérationnelles :

32

  1. la capacité des acteurs du système à formaliser telle ou telle conception évaluative et à en défendre le bien-fondé (intelligence informationnelle et communicationnelle) ;
  2. la capacité des acteurs à agir sur l'action opérationnelle (pouvoir) ;
  3. l'incitation des acteurs à agir en faveur de telle ou telle conception/utilisation de l'évaluation (motivation).

33 Il serait intéressant de pousser notre métaphore systémique jusqu'à l'état de modèle. Nos trois facteurs de modification du système sont en effet susceptibles de prendre des valeurs variées et leur mise en relation permettrait de mettre en exergue plusieurs schémas de concurrence/coopération entre les acteurs considérés.

34 Nous nous contenterons ici de tenter de comprendre la teneur des relations évaluatives existant entre bailleurs de fonds et ONG humanitaires, cet examen nous permettant par la suite de suggérer un modèle d'économie susceptible de décrire pertinemment la situation de gestion de ces dernières.

II. LES ONG HUMANITAIRES : QUELLE ÉVALUATION OPÉRATIONNELLE, QUELLE ÉCONOMIE INSTITUTIONNELLE ?

1. L'évaluation de l'action humanitaire, objet de débat

35 Durant l'âge d'or de leur croissance (décennie 1980, schématiquement), les ONG humanitaires ont pu vivre sur la base d'une sorte de droit à l'indétermination reconnu à leur action opérationnelle ; non que cette dernière ait évolué à l'abri de tout jugement extérieur. Le regard porté par des organisations « concurrentes » ou des partenaires locaux sur les réalisations accomplies ont sans aucun doute constitué, pour les ONG, un facteur d'incitation à la recherche d'efficacité opérationnelle, sans négliger non plus l'œil d'autres acteurs influents de leur situation de gestion (des journalistes, par ex.). Il n'y a cependant rien de comparable entre ces sources sporadiques et localisées de « pression » et celles qui sont à l'œuvre dans le cadre de relations de marché.

36 Certains lecteurs férus de sélectivité de l'offre pourront le regretter. Il faut cependant relever que cette situation de gestion faiblement contraignante a permis aux plus grandes ONG humanitaires de développer de fructueux apprentissages, qui, par capitalisations et formalisations successives, ont débouché sur une véritable ingénierie des opérations de secours en situation d'urgence humanitaire, reposant sur une « technologie dure » (enchaînements objectifs-moyens-fins clairement identifiés).

37 Ces capacités conceptuelles et opérationnelles – la fameuse logistique des organisations sans frontiéristes – n'en constituent pas pour autant une preuve d'efficacité de l'action humanitaire contemporaine ; car en la matière, l'affichage d'une technologie est une chose, sa mise en œuvre, une autre. D'une part, en effet, le déploiement de cet « arsenal » de méthodes et de moyens demeure soumis à d'importants aléas contextuels (sécurité du personnel, notamment) ; d'autre part, l'absoluité de certaines normes d'intervention peut buter sur certains « imprévus [1] » ; enfin, les ONG sont des associations : leur culture de travail est beaucoup plus intrapreneuriale (voir Carrier, 1993) – avec ce que cela tolère d'improvisation – que « taylorienne », au sens d'une séparation strictement prescriptive entre conception et exécution. C'est pourquoi les ONG humanitaires ont toujours refusé de pousser la logique « technologique » de leur action jusqu'à y soumettre explicitement l'appréciation de leur performance opérationnelle. Ce relativisme répond à certains arguments de bon sens ; il permet aussi à ces organisations de conserver la maîtrise de la définition de leurs programmes et des facteurs à l'aune desquels il est pertinent de les évaluer. Elles peuvent ainsi s'appuyer sur leur excellence technologique pour légitimer l'importance de leur action tout en en défendant le droit à l'indétermination, de manière à en garder le contrôle conceptuel : « Les ONG ont toujours instinctivement su que leur autorité venait essentiellement de leur présence en ce lieu mystérieux qu'elles appellent “le terrain” » (Slim, 2002, p. 3).

38 Cette posture de légitimation de l'ambiguïté est d'autant plus intéressante que la rationalisation de l'aide humanitaire constitue une tendance en cours, comme l'illustre le projet Sphere, né en juillet 1997 à l'initiative d'un groupe d'ONG importantes (principalement anglo-saxonnes), réunies au sein du Steering Commitee for Humanitarian Response (SCHR) et financé par de nombreux bailleurs de fonds institutionnels (dont ECHO). Ce projet, qui prend le relais d'initiatives antérieures (notamment le Code de conduite du mouvement Croix-Rouge, 1994) a pour but essentiel la rédaction d'un manuel intitulé « Charte humanitaire et normes minimales pour les interventions humanitaires lors de catastrophes [1] », dont la partie la plus volumineuse, réalisée sur la base d'une très large consultation d'ONG et d'agences d'aide, édicte des normes minimales de service aux populations secourues, rigoureusement quantifiées (par ex. : droit des populations à recevoir 15 litres d'eau par personne et par jour), censées s'imposer aux opérateurs.

39 Corrélativement à Sphere (et indépendamment de lui), un groupement d'intervenants humanitaires divers (ONG, bailleurs de fonds, etc.) travaille actuellement sur un projet de gouvernance des opérations d'aide humanitaire (Humanitarian Accountability Project, HAP), dans un sens destiné à promouvoir la pratique et l'utilisation systématiques de l'évaluation opérationnelle. Ce projet pourrait déboucher sur la création d'un organe de surveillance humanitaire (privé ou public), notamment chargé de recevoir les plaintes éventuelles des populations bénéficiaires de l'aide, en cas de mauvais agissements ou de performances insuffisantes des agences d'aide ; ambition recelant l'éventualité d'un dispositif de sanction des opérateurs dont les services seraient jugés insatisfaisants.

40 Ces tentatives de standardisation/régulation de l'action humanitaire d'urgence heurtent les conceptions qu'en cultivent les grandes ONG françaises. Aussi ces dernières leur ont-elles opposé un contre-projet (« Plate-forme Qualité »), censé parer aux effets pervers potentiels attachés, selon elles, aux initiatives Sphere et HAP et que l'on peut réduire aux trois risques suivants :

41

  • risque de focalisation des programmes sur des objectifs rigides, inadaptés aux contextes « turbulents » ;
  • risque d'incongruité de certaines normes au vu d'éléments contextuels particuliers ;
  • risque de transformation progressive de l'action humanitaire en secteur de sous-traitance des politiques des bailleurs de fonds [1].

42 Ce « duel » entre ONG anglo-saxonnes/nordiques, d'un côté, ONG principalement françaises, de l'autre, recèle donc une différence de vues plus fondamentale entre approche quantitative et approche qualitative de l'aide humanitaire internationale, conception standardisée et approche contingente, contractualisation dure et contractualisation souple. Il n'entre pas dans le propos de cet article de discuter la valeur des arguments de fond que se renvoient ONG françaises et promoteurs du projet Sphere, quant aux contours que devrait prendre une initiative universellement acceptable de normalisation des conduites d'aide. Il nous semble plus intéressant de constater que la normalisation de l'aide humanitaire renvoie à la culture fondamentale des grandes ONG anglo-saxonnes, très technique et professionnelle, tandis qu'une approche plus qualitative répond bien au souci qu'ont les ONG françaises de garder à l'action humanitaire une part importante de son « mystère » et de sa spécificité. Non, d'ailleurs, que les normes Sphere représentent, pour ces dernières, une quelconque surprise concurrentielle ; de ce point de vue, s'il faut interpréter ce projet à l'aune des intérêts stratégiques qu'il promeut, on doit remarquer qu'il constitue probablement une « barrière à l'entrée » sur le marché des allocations publiques, érigée par les grandes ONG expérimentées au détriment des petites débutantes [2].

43 L'opposition des grandes ONG françaises à Sphere procède donc d'autre chose que d'une peur d'être évincé du marché des fonds publics. Elle tient fondamentalement à ce que ces associations n'entendent rien céder sur le principe de leur liberté opérationnelle ; on peut même avancer l'idée selon laquelle la stratégie communicationnelle des grandes ONG humanitaires françaises a pour but de préserver le statu quo de leur situation de gestion autour d'un schéma d'interdépendance faible entre relations contributives et performances opérationnelles, tel que nous l'avons présenté au début de cet article [1]  (partie I-1).

44 Il reste à éprouver la viabilité d'une telle stratégie, au regard des évolutions en cours. Car s'il est intellectuellement pertinent de défendre la légitime ambiguïté de l'aide humanitaire, celle-ci est parvenue à un stade de maturité institutionnelle et opérationnelle propice à sa « mise en cage » conceptuelle [2]. De ce point de vue, le projet Sphere comme le projet Qualité correspondent à deux manifestations défendables d'une intelligence évaluative que tout ne sépare d'ailleurs pas [3]. Il reste à connaître en fonction de quel pouvoir et de quelles motivations ces deux approches de l'évaluation, l'une potentiellement « pédagogique » (faiblement contraignante), l'autre potentiellement « sélective » (fortement contraignante), sont susceptibles de s'imposer à l'action opérationnelle des ONG.

2. Bailleurs de fonds et exigences d'évaluation : l'exemple d'ECHO

45 Nous concentrerons ici notre attention sur le cas de l'Union européenne et plus particulièrement sur son service chargé, depuis, 1991, de la gestion de l'aide humanitaire (ECHO) ; il s'agit en effet du premier donateur mondial d'aide humanitaire (environ 25 % des allocations annuelles totales) dont le budget a oscillé, ces dernières années, entre 400 et 800 millions d'euros, environ. Cette forte amplitude est justifiée par le caractère très contingent des « besoins humanitaires », par nature liés aux situations de crise internationale.

46 Or, les ONG humanitaires constituent les partenaires opérationnels privilégiés d'ECHO. Les ressources de l'Office européen se sont en effet élevées, en 1999, à quelques 813 millions d'euros [4] dont 62% ont été utilisés par quelques 200 ONG européennes, formellement unies à ECHO par un contrat cadre de partenariat. Les ONG sont donc un partenaire opérationnel aussi incontournable, pour ECHO, que celui-ci constitue, pour elles, un financeur important.

47 Leurs relations n'en ont pas moins été caractérisées – du moins jusqu'à la fin de la décennie 1990 – par d'importantes asymétries informationnelles. D'une manière inévitablement schématique, on peut considérer que l'époque des « débuts » (1991-1996) du mandat d'ECHO est marquée par des relations de grande proximité opérationnelle (confiance importante) entre l'Office européen et un certain nombre de grands réseaux associatifs, au sein desquels les ONG françaises se taillent la « part du lion ». Les évaluations sont alors peu contraignantes et les stratégies d'action humanitaire mises en œuvre par ECHO peu lisibles, les ONG jouant un rôle essentiel d'impulsion. Une évaluation très détaillée des activités humanitaires d'ECHO, sur la période 1992-1995, conclut ainsi que, globalement, l'Office européen s'est focalisé sur certaines exigences formelles (formalités de reporting financier excessivement détaillées ; tendance à un certain pointillisme administratif), au détriment d'un souci de coordination et d'évaluation de son action opérationnelle [1]. La Cour des comptes a d'ailleurs invité l'Office européen à plus de flexibilité administrative envers ses partenaires et, en contrepartie, à plus de directivité opérationnelle et de contrôles ex post (y compris dans le domaine financier).

48 L'époque récente semble marquée par le glissement d'une exigence initiale (et minimale) de conformité de l'action humanitaire à un certain nombre de critères formels vers un souci d'implication dans l'action, qui se traduit notamment par une programmation régionale pluriannuelle des besoins humanitaires (« plans globaux ») et un investissement plus résolu dans l'activité de contrôle/évaluation (voir Rienstra, 1999). Outre la participation déjà mentionnée d'ECHO au projet Sphere, la reconnaissance juridique, en 1996, de son activité de contrôle opérationnel et l'édition d'un manuel d'évaluation de l'aide humanitaire régulièrement actualisé, attestent de cette préoccupation croissante, qui doit être rapprochée d'autres exigences, telles que la « visibilité » de l'action humanitaire européenne et la question de la sécurité des volontaires travaillant sur les programmes financés [2].

49 Dépassant son rôle traditionnel de « banquier » bienveillant de l'aide humanitaire européenne, il semble donc qu'ECHO mette en œuvre, depuis quelques années, une véritable stratégie d'accumulation informationnelle [3] dont il est aussi difficile d'induire les intentions que d'augurer des résultats mais qui constitue un signal clair à destination de son environnement : il s'agit bel et bien de s'immiscer dans le pourquoi et le comment de l'action humanitaire internationale et de conditionner ses allocations financières à un examen d'opportunité et de pertinence des projets entrepris.

50 Cette « affirmation de soi » procède probablement d'une logique de croissance et d'apprentissage endogènes. Elle est également stimulée par les pressions issues des autorités de tutelle auxquelles les fonctionnaires d'ECHO sont subordonnés [1] ; elle peut enfin résulter d'un souci, de la part de l'Office européen, d'afficher une maîtrise visible de son action, de façon à se positionner en tant que bailleur de fonds volontariste et compétent.

51 De la même façon que nombre d'ONG disposent de capacités de mise en œuvre dont la mobilisation effective est soumise à de nombreux facteurs de contingence, l'affichage, par ECHO, d'une capacité croissante d'appréhension des enjeux et des priorités de l'aide humanitaire ne signifie pourtant pas que tous ses partenaires devraient bientôt subir les affres de son contrôle pointilleux. Certes, l'activité d'évaluation d'ECHO constitue, pour ses partenaires, une « menace crédible » contre les tentations de négligence ou les cas manifestes d'incompétence ; il en va de même dans le domaine de l'audit financier (que nous laissons de côté, dans le cadre d'une étude spécifiquement dédiée aux opérations). Il ne fait donc pas de doute que les ONG européennes devront de plus en plus composer avec les velléités de contrôle et d'évaluation ex post manifestées par ECHO ainsi qu'avec ses priorités opérationnelles (lesquelles n'ont d'ailleurs guère de raisons de différer significativement de celles des organisations humanitaires).

52 On peut toutefois douter de la viabilité d'une politique d'évaluation systématique des projets mis en œuvre par les ONG partenaires d'ECHO, pour peu que l'Office européen en ait seulement l'intention ; à moins d'un renforcement significatif de ses moyens en personnel (problème récurrent de la structure de l'Office européen, qui se trouve d'ailleurs à la source du scandale financier ayant affecté cette institution, en 1998-1999 [1]), on ne voit pas comment ECHO parviendrait à produire un diagnostic exhaustif portant sur l'ensemble des contrats annuellement financés (environ un millier). Or, faute de cette évaluation systématique, sur quelle information objective élaborer une sélection des partenaires opérationnels ? L'évaluation sélective suppose en effet que tous les partenaires soient mis sur un pied d'égalité et que leurs performances fassent l'objet d'un scoring fondé sur les mêmes méthodes et les mêmes examens. Si le coût lié à la collecte de l'information nécessaire apparaît intuitivement prohibitif, que penser de ce que mobiliserait son traitement ? De ce point de vue, l'ambition d'une médiation humanitaire, portée par le projet HAP, semble difficilement réalisable [2], sauf à ce que d'importantes ressources consacrées à l'action soient sacrifiées à l'activité d'évaluation.

53 La rationalité d'une politique d'évaluation systématique des ONG partenaires à des fins sélectives a donc tout pour laisser l'observateur sceptique et l'on ne voit pas très bien ce qui inciterait les bailleurs de fonds institutionnels à tenir durablement le cap d'une telle politique. Si toutefois elle entrait dans les plans d'un bailleur de fonds quelconque, sous une forme atténuée (de façon à économiser de l'information), les ONG – notamment celles que le contrôle défavoriserait – auraient beau jeu de mettre en exergue sa subjectivité, voire sa partialité.

54 Il est donc probable que les évaluations produites par les bailleurs de fonds institutionnels n'auront que très accessoirement une fonction sélective (seules les ONG manifestement inefficaces se trouvant évincées des renouvellements contractuels). Pour le reste, le rythme et la nature de l'information produite quant à l'efficacité des projets financés devraient la rapprocher d'une finalité pédagogique, permettant aux financeurs de mieux connaître la teneur des actions produites et de peser en conséquence sur les stratégies mises en œuvre.

55 Or, les évaluations à finalité pédagogique sont de nature à ménager les capacités de négociation/argumentation des ONG, quant aux objectifs et méthodes des actions entreprises. Elles représentent, bien entendu, une source d'interférence dans leur activité de production mais le caractère contraignant ou menaçant d'une telle immixtion n'a rien de comparable avec la « brutalité » d'évaluations-couperets, telles que nous les avons précédemment évoquées. On peut même considérer qu'en ce qui concerne les plus importantes d'entre elles, leur audience internationale, leur expertise des contextes d'action, leur puissance de communication les mettent à l'abri de rapports de force défavorables.

56 D'ailleurs, les études dont nous disposons sur la question de la relation entre ECHO et les ONG (Quéinnec, 1999 ; Petiteville, 2001), attestent que celle-ci est, pour l'heure, moins fondée sur l'examen rigoureux des réalisations opérationnelles que sur des affinités interinstitutionnelles, voire interpersonnelles, que l'expérience mutuelle et les contrats d'opérations récurrents permettent de consolider. D'autre part et en dépit de diverses recommandations et injonctions, ECHO demeure attaché à ce que ses partenaires souscrivent à ses exigences financières, administratives et comptables ; enfin, plus que les « preuves d'efficacité », ce sont les « réputations d'efficacité » qui permettent aux ONG européennes d'accéder à ses financements (lesquels sont enviables puisque couvrant 100 % des frais d'une opération).

57 Cette situation n'est évidemment pas favorable aux ONG qui, sûres de leur force opérationnelle, n'ont pas d'assise institutionnelle et/ou entretiennent avec ECHO des rapports distants. Il existe ici une source de motivation en faveur de l'évaluation sélective, que d'autres acteurs férus de transparence décisionnelle pourraient être tentés de partager ; d'aucuns pourraient même être tentés de voir, dans une politique de choix des partenaires fondée sur l'évaluation « transparente » de leurs réalisations, une sorte de « loi de la concurrence » plus juste et efficace qu'un processus d'allocation de nature politique.

58 On doit donc s'attendre à ce que le thème de l'évaluation revienne épisodiquement questionner les choix d'allocation des bailleurs de fonds et, de façon liée, les pratiques opérationnelles des ONG. Il peut en résulter, de notre point de vue, une activité évaluative cyclique, alternant phases d'effervescence et d'accalmie, au gré des demandes de justification dont les bailleurs de fonds seront l'objet, de la part d'acteurs influents de leur propre situation de gestion. Seules, toutefois, de puissantes et insistantes motivations parviendraient à imposer le principe de l'évaluation sélective aux réticences dont elle est l'objet, à condition, en outre, de pouvoir en proposer une conception rationnelle et économe en ressources.

3. Un modèle d'économie des ressources ?

59 La situation institutionnelle des ONG, par rapport à leurs bailleurs de fonds (et, de notre point de vue, des bailleurs de fonds par rapport à leurs organes de tutelle) semble ressortir à un modèle d'« économie de la ressource ». Ce modèle de régulation économique s'applique avantageusement aux organisations dont le produit offert est d'évaluation difficile, parce que caractérisé, notamment, par de fortes asymétries d'information entre producteur et consommateur (services complexes tels que santé et éducation, en particulier) ; son cadre d'interprétation a été appliqué au cas des hôpitaux publics (Valette, 1996), dans des termes qui peuvent être transposés au cas de l'action humanitaire : « En l'absence de connaissance du produit, les usagers potentiels, comme l'administration, portent un jugement sur les ressources qui deviennent l'objet principal de la régulation. Les coûts n'interviennent pas directement dans la régulation des systèmes décrits. (...). (L'administration) ne dispose pas du système d'information nécessaire pour juger de la fonction de coût et pour rémunérer la performance économique. Dans ces conditions, l'évaluation devrait porter sur la qualité » (p. 93).

60 Or, la qualité elle-même est difficilement définissable. Ce qui reste à la disposition de l'évaluateur (usager, donateur, administration, etc.) porte donc sur ce qui est visible : les moyens d'exploitation de l'organisation à laquelle il se propose d'apporter sa contribution (en échange d'un avantage incertain), les autres critères d'appréciation demeurant largement conjecturaux [1]. Dès lors, l'importance des actifs (contrepartie comptable des ressources financières), des capacités de lobbying, du crédit social d'une ONG, constituent le support d'une confiance des parties prenantes, elle-même génératrice d'adhésion. Pour les bailleurs de fonds, le financement d'une ONG importante constitue la double garantie : 1) d'une capacité de gestion administrative et financière compatible avec les exigences de formalisme dont les bureaucraties sont généralement porteuses et 2) de légitimation de leurs allocations. Un tel modèle d'allocation désavantage donc, a priori, les petites organisations par rapport aux grandes (sans qu'il s'agisse toutefois d'un handicap insurmontable).

61 Dans cette perspective, la prospérité des organisations – les ONG, pour ce qui nous concerne – dépend moins directement de la qualité de leur produit que de leur aptitude à contrôler les ressources (relationnelles, financières, humaines ou technologiques) exerçant, sur leur environnement, un puissant effet d'attraction. Un tel modèle de régulation explique aussi que les stratégies d'accumulation des ressources (l'information, par exemple) soient viables, voire préférables à des stratégies de rationalisation, cette remarque s'adressant autant aux grandes ONG qu'aux bailleurs de fonds publics [1].

62 Nous ne pouvons ici que suggérer la pertinence de ce modèle d'économie de la ressource pour l'interprétation de la situation institutionnelle des ONG ; son approfondissement nécessiterait d'autres développements. Limité à la problématique de l'évaluation de l'action opérationnelle, il permet d'expliquer pourquoi l'affichage de capacités technologiques s'avère plus stratégique que leur mise en œuvre concrète ; la ressource que constitue la compétence et le savoir-faire n'est pas seulement utile aux volontaires qui mettent en œuvre les projets ; elle constitue un pôle d'attraction pour des contributions stratégiques, notamment celle des bailleurs de fonds ; le fait de disposer d'une base logistique ou d'une capacité à mener des enquêtes épidémiologiques pointues joue, ici, le même rôle qu'un scanner dans un hôpital : il substitue une perception à une information manquante.

63 Les ONG richement dotées en ressources peuvent donc espérer conserver l'essentiel de leur liberté opérationnelle, en dépit des discours constatant ou prophétisant un durcissement radical des contraintes auxquelles elles sont exposées. Les ONG plus petites (ou nouvelles) sont, elles, plus classiquement soumises à la dépendance contractuelle. Seule l'innovation conceptuelle ou opérationnelle peut, dans ce cas-là, permettre à une petite ONG d'accéder à un stade plus institutionnel et à une capacité de négociation supérieure, le « mystère » de la qualité des projets demeurant, dans ce cadre de relations, sinon entier, du moins prégnant.

CONCLUSION

64 La situation de gestion des ONG est caractérisée par une connexion lâche entre ce qui conditionne leur prospérité d'organisation et ce qui détermine leur efficacité d'opérateur d'actions de développement et d'assistance. Longtemps d'ailleurs, cette dissociation a paru si radicale que les grandes ONG humanitaires ont pu prospérer sans vraiment donner de preuves de leur efficacité opérationnelle.

65 Au cœur de cette interdépendance faible entre « faire » et « recevoir » – disons, de manière plus rigoureuse, entre « réussir » et « recevoir » – les ONG ont donc pu légitimement s'ériger en architectes de l'action humanitaire internationale, persuadant leur environnement que leur culture d'entreprise constituait un substitut avantageux aux incitations à la performance, caractéristiques des relations marchandes.

66 Dans ou en dehors des associations humanitaires s'élèvent un certain nombre de voix pour mettre en exergue l'attention, voire la surveillance accrue dont leurs réalisations opérationnelles seraient aujourd'hui l'objet, notamment de la part de leurs bailleurs de fonds institutionnels ; les ONG humanitaires seraient dès lors confrontées à une évaluation systématique de leurs activités, à des fins éventuellement sélectives.

67 Une telle évolution a tout pour inquiéter les grandes ONG « sans frontiéristes », dont la communication publique a toujours légitimé l'ontologie associative de l'action humanitaire. Plus que toutes autres, les grandes ONG françaises sont jalouses de leur indépendance opérationnelle. Faut-il alors craindre, de leur point de vue, que les financeurs de l'action humanitaire internationale en deviennent les concepteurs, les évaluateurs et finalement, les maîtres, les ONG étant réduites au rôle d'exécutant ? Si la thématique de l'évaluation n'est pas sans effets sur la situation de gestion des ONG et si certaines d'entre elles peuvent avoir à en craindre autant que d'autres à en espérer, le poids relatif de leurs positions, de leurs motivations et de leur intelligence dans le débat semble de nature à les immuniser contre la conversion de leur action en objet de consommation opérationnelle, dont quelques indicateurs de résultat suffiraient à rendre compte.

68 Les soutiens contributifs dont bénéficient les grandes ONG humanitaires procèdent d'une logique plus cumulative que véritablement sélective et les aspirations rationalistes des bailleurs de fonds ne semblent pas de nature à modifier cette condition de leur prospérité, même s'il est possible que certains financeurs volontaristes acquièrent progressivement suffisamment d'information opérationnelle pour pouvoir contester la valeur de leur expertise.

69 N'y a-t-il pas, somme toute, dans cette évolution, une source de conciliation entre les avantages d'une certaine sérénité de gestion (droit à l'erreur pédagogique) et ceux d'une concurrence anxiogène (contrainte d'efficacité) ? C'est à l'aune du service rendu aux populations bénéficiaires qu'il est loisible d'élucider cette question.

70 Car s'il est une relation susceptible de serrer la situation de gestion des ONG au point de transformer leurs nœuds de contrat en véritables liens, c'est bien celle qu'elles entretiennent avec les personnes auxquelles sont destinés leurs services. Là se trouve sans doute une puissante « source d'énergie » dont l'activation n'est pas à négliger. Au gré des évolutions en cours, en effet, il n'est pas impossible que les populations bénéficiaires de l'aide puissent un jour sélectionner directement leurs « sauveteurs », sur une base plus ou moins explicitement contractuelle. De service d'assistance, l'action humanitaire deviendrait alors service d'assurance, confrontant les ONG à de nouveaux et épineux problèmes existentiels.

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  • March J.G. (1988), Decisions and Organizations, Basic Blackwell (trad. Décisions et organisations, Paris, Éditions d'Organisation, 1991).
  • March J.G., Simon H.A. (1958), Organizations, New York, Wiley (trad. Les organisations, Paris, Dunod, 1re éd., 1969).
  • Moren A., Rigal J., Biberson P. (1992), Populations réfugiées : programmes de santé publique et urgences de l'intervention, La revue du praticien médecine générale, t. 6, n° 172, mars.
  • Petiteville F. (2001), Les ONG et l'action humanitaire dans la mise en scène internationale de l'Union européenne, Colloque ONG et action humanitaire : entre militantisme transnational et action publique, La Rochelle, avril 2001, 13 p.
  • Quéinnec E. (1998), La notion d'efficacité appliquée aux organisations humanitaires : signification, critères, déterminants (dactyl.), thèse de doctorat en sciences de gestion, Toulouse I.
  • Quéinnec E. (1999), L'évolution des relations entre ECHO et les organisations humanitaires européennes, Rapport de recherche, Paris, Fondation Médecins sans Frontières.
  • Rienstra D. (1999), Le coût de l'aide humanitaire ? Les contribuables en ont-ils pour leur argent ?, Revue des Questions humanitaires, n° 4, hiver, repris sous le titre « L'aide humanitaire de l'UE est-elle efficace ? », Problèmes économiques, n° 2.627, 18 août 1999, p. 1-5.
  • Rochet C. (1992), Managez vos associations, Paris, Calmann-Lévy.
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  • Vaccaro A. (1996), Techniques modernes de collecte des dons, in N. Dufourcq et al, L'argent du cœur, Paris, Hermann, chap. 5, p. 113-140.
  • Valette A. (1996), Une gestion stratégique à l'hôpital ?, Revue française de gestion, 109, juin-juillet-août, p. 92-99.
  • Williamson O.E. (1985), The Economic Institutions of Capitalism, New York, The Free Press (trad. Les institutions de l'économie, Paris, InterÉditions, 1994).

Notes

  • [1]
    Maître de conférences en sciences de gestion, Centre de recherche en gestion et management des entreprises (CREGEM), Université Paris Nord.
  • [1]
    Les ONG françaises sont aussi qualifiées d'associations de solidarité internationale (ASI).
  • [2]
    En vérité, savoir ce qui, au sein de l'action de solidarité, relève de l'humanitaire, du développement ou d'autre chose est en soi un sujet de publication, faisant appel à des considérations d'ordre idéologique et historique. Nous nous en tenons pour notre part à des distinctions fréquemment rencontrées dans la littérature.
  • [1]
    Citons notamment, outre Médecins sans Frontières (1971), Médecins du Monde (1980), Action contre la faim (1979), Aide médicale internationale (1979), Handicap international (1983). D'autres organisations d'urgence ont succédé à ces « pionniers », dans les années 1980 et 1990.
  • [1]
    Le terme « privé » renvoie ici à des acteurs (individuels ou organisationnels) pourvus d'autonomie décisionnelle, dont il est possible de personnaliser la fonction d'utilité. En termes plus simples, ce que nous entendons par « privé », ici, qualifie moins des personnes physiques ou morales que des intérêts : pour telle ou telle entreprise, une administration publique est un « acteur privé » de sa situation de gestion, en tant que partie prenante de son activité, pourvue d'une certaine capacité à décider.
  • [2]
    Comme l'atteste l'exemple de l'une des plus importantes organisations humanitaires françaises, l'association Équilibre, créée en 1984 et liquidée en 1998, à la suite du retrait de son principal contributeur (le Bureau humanitaire de la Commission européenne, ECHO).
  • [3]
    Nous n'entendons le concept de « satisfaction » qu'au sens « behavioriste » – qui relève d'une posture clairement individualiste – « d'absence de quête d'alternatives » (voir March et Simon, 1958, 1969). Le terme n'induit en conséquence aucun jugement de valeur : il se déduit de la participation volontaire d'un acteur à une organisation. Il va donc de soi que toute « satisfaction » postulée à l'aune du critère de « participation » a un caractère contingent (et sémantiquement discutable), dépendant des alternatives de participation disponibles et de l'information possédée par l'acteur.
  • [1]
    Insistons sur le fait que notre déduction ne vaut que dans le cadre des définitions proposées. Nous n'avons jamais vu le moindre document (ou publication) d'ONG assimilant les populations bénéficiaires de leur aide à des « clients » et il est même probable que, pour la plupart d'entre elles, le terme soit culturellement « tabou » (le concept d'accountabilíty, en revanche, est l'objet d'une large appropriation sémantique dans le milieu des ONG).
  • [2]
    De manière schématique, Williamson se demande s'il est possible d'importer les incitations du marché au sein de la firme et les capacités d'adaptation de la firme au sein du marché.
  • [1]
    Prenons l'exemple des donateurs individuels, pour bien comprendre ce que sous-tend notre formulation : les plus grandes ONG humanitaires françaises collectent chaque année plusieurs dizaines de millions d'euros auprès d'un public, généralement fidèle, de donateurs individuels (voir Vaccaro, 1996). Il va de soi que sans une telle manne, l'équilibre des organisations concernées se trouverait sévèrement affecté, réduisant l'ampleur de l'action opérationnelle et obligeant les associations touchées à licencier une part substantielle de leur personnel. La viabilité des ONG humanitaires dépend donc de leur capacité à « satisfaire » leurs donateurs, bien que cette satisfaction soit difficile à sonder (puisque non contractualisée). Supposons que les donateurs n'aient qu'une seule exigence à l'endroit des associations qu'ils financent (il s'agit simplement d'une hypothèse) : ils sont satisfaits à partir du moment où leur argent sert à financer des dépenses « opérationnelles » (médicaments, médecins, véhicules, radios, nourriture, etc.), ce dont l'examen de leurs comptes annuels permet d'attester. Cette exigence oblige les ONG à mettre en œuvre une aide « effective » mais ne les contraint nullement à être performantes (peu importe, dans ce cadre d'école, que les médecins soient incompétents, les médicaments périmés, les radios défectueuses, etc.).
  • [2]
    « Confortable » ne signifie pas forcément « avantageuse », comme nous aurons l'occasion de le voir plus loin. Le rapport existant entre la situation de gestion des ONG et leurs intérêts institutionnels contient plus de variété analytique que ce que nous en proposons dans un premier temps.
  • [3]
    Dans le cas où plusieurs acteurs stratégiques de la situation des ONG les astreignent à une obligation de résultats opérationnels, il importe bien entendu que leurs demandes soient compatibles ; sinon, l'interdépendance est rompue et l'équilibre de l'organisation change (les ONG abandonnent telle source de financement pour se réorienter sur telle autre, dont les exigences leur paraissent plus acceptables).
  • [1]
    Comme l'écrit Benthall, « their value systems and policies and their actions bothin the field” and within their home constituencies are likely to come under increasing scrutiny » (1993, p. 123).
  • [1]
    Nous n'envisageons ici qu'une situation de concurrence « statique » entre deux conceptions évaluatives qui, en dynamique, sont de nature à se compléter.
  • [1]
    Il est en effet difficile de définir ce qu'est une « bonne » action humanitaire et de mesurer l'efficacité de ses opérateurs (problème inhérent au travail d'équipe). En revanche, il n'est pas douteux que certains projets puissent être incontestablement qualifiés de « mauvais ». Il suffit pour cela que l'aide produite transgresse le principe hippocratique de base primum non nocere (d'abord, ne pas nuire), soit du fait d'une incompétence lourde, soit du fait de comportements inadmissibles, de la part des personnels employés par les ONG.
  • [1]
    Il est, par exemple, usuellement admis que la consommation d'une ration alimentaire quotidienne de 1900 à 2 000 kilocalories est suffisante pour stabiliser l'état nutritionnel des personnes secourues ; or, comme le rappellent certains auteurs, une focalisation excessive sur cette norme quantitative occulte certains paramètres de qualité (diversité alimentaire) sans lesquels l'état des populations peut se dégrader jusqu'à déboucher sur des épidémies liées à des carences vitaminiques (Moren, Rigal et Biberson, 1992).
  • [1]
    Le manuel est disponible, en français, sur le site internet www.sphereproject.org/handbook.
  • [1]
    Les promoteurs de la Plate-forme Qualité comparent d'ailleurs les standards Sphere à des « normes ISO ». Voir le document intitulé « Les dangers et les incohérences des approches normatives pour l'aide humanitaire, synthèse des réflexions soulevées », accessible sur le site internet www.urd.org/rech/sphere.
  • [2]
    Cette remarque est importante dans une perspective plus large que celle à laquelle cet article entend se tenir : si l'on peut tenir pour acquis que les ONG humanitaires françaises sont globalement jalouses de leur liberté opérationnelle, ce n'est pas obligatoirement le cas de toutes les ONG : accepter de dévoiler sa propre action et les critères à l'aune desquels il est pertinent de la juger, cela peut correspondre à l'intérêt de certaines organisations, dès lors qu'elles peuvent en escompter un effet multiplicateur des fonds dédiés à leur activité.
  • [1]
    D'aucuns pourraient interpréter cette aspiration à l'aune d'explications de type corporatif. La forte couleur médicale des ONG humanitaires françaises est évidemment de nature à donner du crédit à ce propos, qui mériterait toutefois d'autres développements.
  • [2]
    En supposant que la question des critères d'évaluation de l'aide humanitaire puisse faire, un jour, l'objet d'un consensus, demeurerait intact le problème du recueil de données sur les terrains d'intervention.
  • [3]
    Les promoteurs de la Plate-forme Qualité contestent moins la pertinence des standards Sphere que leur rigidité et leur automaticité.
  • [4]
    Il s'agit d'un montant dont le niveau exceptionnellement élevé s'explique par la crise du Kosovo.
  • [1]
    Cour des Comptes de l'Union européenne, « rapport spécial n° 2/97 relatif aux aides humanitaires de l'Union européenne entre 1992 et 1995 accompagné des réponses de la Commission », Journal officiel des Communautés européennes, C 143, Bruxelles, 12 mai 1997.
  • [2]
    Sur cette question, voir ECHO et CICR, « Action humanitaire, perception et sécurité », rapport final de séminaire, ECHO et CICR, Lisbonne, 27-28 mars 1998.
  • [3]
    À cet égard, comment ne pas citer le passage suivant du rapport annuel d'ECHO, pour l'exercice 2001 : « Eu égard à sa capacité accrue à orienter son action en priorité au profit des zones présentant les plus grands besoins humanitaires, ECHO a affiné sa méthodologie d'évaluation des besoins en 2001. Instrument complémentaire, cette analyse est basée sur un ensemble de données relatives à des indicateurs pertinents (vulnérabilité, réfugiés, déplacés, taux de mortalité, etc.). Cet outil de planification permet de réaliser des comparaisons entre plusieurs pays (...). Il comprend un recueil de données statistiques de base sur les indicateurs critiques des besoins humanitaires pour environ 130 pays, classés par catégories de niveau de besoins (importants, moyens et faibles) » (Commission européenne, « Rapport de la Commission (ECHO), 2001 », Bruxelles, juillet 2002, disponible sur www.europa.eu.int/eur-lex, p. 4).
  • [1]
    Voir, par exemple, la Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l'évaluation et l'avenir des activités humanitaires de la Communauté, Bulletin UE, 10-99, www.europa.eu.int/abc/doc.
  • [1]
    Voir Comité d'experts indépendants, « premier rapport sur les allégations de fraude, de mauvaise gestion et de népotisme à la Commission européenne », 15 mars 1999, www.europarl.eu.int/experts.
  • [2]
    Les signataires de la Plate-forme Qualité ne cachent pas leur scepticisme à cet égard : « Est-il pensable qu'une entité indépendante ait la capacité d'appréhender la valeur des plaintes et critiques techniques dans l'ensemble des domaines techniques couverts par Sphère ? Si la réponse à cette question devait être “oui” (...), alors la taille et la compétence de cette entité serait nécessairement importante et coûteuse » (« Les dangers et les incohérences des approches normatives de l'aide humanitaire, synthèse des réflexions soulevées », p. 4, www.urd.org/rech/sphere/dangers.
  • [1]
    Cela explique par exemple que, si le rapport qualité-prix des projets d'aide humanitaire mis en œuvre par les ONG semble intuitivement avantageux (frais de personnel inférieurs à ceux des agences institutionnelles et des cabinets commerciaux), cette dimension n'est de toute façon pas prioritaire, dans les allocations opérées par l'Office européen. La preuve en est que les remboursements de frais de personnel consentis par ECHO aux ONG le sont sur une base forfaitaire probablement avantageuse pour ces dernières (même si le terme de « forfait » n'apparaît plus en tant que tel dans le contrat cadre de partenariat).
  • [1]
    On pourrait parler, ici, d'« économie de l'argumentation ».
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