Sociétés 2007/1 no 95

Couverture de SOC_095

Article de revue

Introduction à la sociologie visuelle

Pages 33 à 40

Notes

  • [*]
    Chercheur au CeaQ. Responsable du GRIS (Groupe de recherche sur l’image en sociologie). www. gris. ceaq-sorbonne. org. fabio. larocca@ ceaq-sorbonne. org
  • [1]
    Professeur émérite de psychologie de l’art visuel à la Harvard University. Parmi ses livres : La pensée visuelle, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1997, et Le film en tant qu’art, Paris, Arche, 1989 (titre originel Film als Kunst, Berlin, 1932), qui est un des premiers livres significatifs sur le cinéma.
  • [2]
    John Collier, Jr., & Malcolm Collier (1986). Visual Anthropology. Photography as a Research Method, Albuquerque, University of New Mexico Press.
  • [3]
    M. Joly (2004). Introduction à l’analyse de l’image, Paris, Nathan/Sejer.
  • [4]
    Voir les essais dans In altre parole. Idee per una sociologia della comunicazione visuale, a cura di Patrizia Faccioli, Milan, Franco Angeli, 2001.
  • [5]
    Je renvoie ici pour une description plus détaillée à l’ouvrage de F. Mattioli Sociologia visuale, Torino, Nuova Eri, 1991, ainsi qu’à Collier et Collier, op. cit.
  • [6]
    H.S. Becker (1974). “Photography and Sociology”, Studies in the Anthropology of Visual Communication 1, p. 3-26.
  • [7]
    Cité dans La nouvelle communication, Y. Winkin, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essai », série « Sciences Humaines », 1981 et septembre 2000 pour la postface.
  • [8]
    Voir G. Boccia Artieri, Lo sguardo della Medusa e la virtualizzazione dell’immagine, dans In altre parole, op. cit.
  • [9]
    P. Virilio (1988), La machine de vision, Paris, Galilée.
  • [10]
    J. Grady, “Becoming a visual sociologist”, Imagination, vol. 38, n° 1-2, 2001 (The Quarterly Journal of the Wisconsin Sociological Association).
  • [11]
    Pour une analyse plus approfondie sur les techniques d’enquête de sociologie visuelle, voir P. Faccioli et G. Losacco (2003), Manuale di Sociologia Visuale, Milan, Franco Angeli ; et D. Papademas (1993), Visual Sociology and Using Film/Video in Sociology Courses, Washington, American Sociological Association.
  • [12]
    En référence à l’école de Palo Alto, voir Y. Winkin (1981), La nouvelle communication, Paris, Le Seuil ; et pour l’analyse de la communication, P. Watzlawick, J.H. Beavin. et D. Jackson (1972), Une logique de la communication, Paris, Le Seuil.
« Nous aurons à réapprendre à voir, à concevoir, à penser, à agir. Nous ne connaissons pas le chemin, mais nous savons que le chemin se fait dans la marche. »
Edgar Morin

Introduction

1Cet article traite de l’image en sociologie et plus précisément du développement de la sociologie visuelle comme nouvelle méthode dans les sciences sociales. Apprendre à travers le regard, avec l’aide du medium visuel (photographie, vidéo), une fusion entre l’observation participante et la méthode de la sociologie visuelle, constitue la structure principale pour un moyen de compréhension et de faire recherche naturel et attentif. À partir de son parcours historique et de son rôle comme langage utilisé pour une description de la réalité sociale, l’image envahit le domaine des sciences sociales et s’affirme ainsi comme une nouvelle manière de faire recherche : la sociologie visuelle. D’abord, j’illustrerai la fonction de l’image à partir de sa polysémie pour, ensuite, attirer l’attention sur le parcours historique et sur le rapport entre l’image et la sociologie. Je terminerai en abordant les techniques méthodologiques de la sociologie visuelle.

L’image

2L’image doit être pensée comme un texte, c’est-à-dire des tissus capables de former des ensembles de significations dont il est possible de décrire le fonctionnement et les effets induits. Elle est comme un modèle d’expression, de communication, de monstration et de démonstration, un outil qui rassemble les trois principes fondamentaux d’une analyse : la description, la recherche des contextes, l’interprétation.

3Le terme image – tiré du latin imago – désigne la représentation visuelle d’un objet. Nous savons que l’image est polysémique, que sa signifiance est toujours contextuelle et subjective. Quand on se réfère à l’image, on pense à l’acte du regarder ; ainsi un objet entre dans notre champ visuel à travers l’œil et le cerveau organise l’information. La perception visuelle se révèle comme une activité qui se développe en deux moments : d’abord l’objet visuel se forme comme input sensoriel et ensuite l’esprit développe les opérations de catégorisation, signification et interprétation.

4La réflexion sur la connexion entre la perception et la pensée, fait partie du domaine de recherche de la psychologie cognitive, mais cette liaison est une présupposition fondatrice de l’utilisation de l’image en sociologie. Le processus de reconnaissance dépend des mécanismes perceptifs et interprétatifs qui, comme le souligne Rudolf Arnheim [1], issus de la psychologie de la Gestalt, sont intériorisés par les individus et sont alors d’origine tant psychique que socioculturelle. Comme l’affirmait Arnheim, « percevoir visuellement, c’est penser visuellement ». On peut donc affirmer que la perception visuelle est un engagement actif de l’esprit, un esprit qui met en acte le processus d’abstraction en transformant le perçu en notion et catégorie de la pensée. Des recherches en neuropsychologie montrent que la partie du cerveau qui produit la connaissance est la même que celle qui produit la perception. En effet, notre esprit perçoit le monde qui nous entoure à travers les images visuelles et acoustiques et, comme l’ont illustré Collier et Collier [2], depuis toujours l’homme utilise les images pour donner forme aux concepts de la réalité. Cela a une certaine importance dans le monde contemporain, caractérisé, dit Cipolla, par l’« immersion dans un contexte visuel ».

5Nous pouvons constater que s’établit une relation très forte, une analogie, entre le contenu représentatif et symbolique des images et la réalité. Mais il faut en même temps souligner que les outils visuels ne nous offrent jamais que des fragments et des témoignages de la réalité. La représentation de la réalité à travers les images est toujours subjective.

6Aujourd’hui, l’utilisation des images se généralise et nous sommes quotidiennement amenés à les utiliser, à les décrypter, à les interpréter (Joly, 1993), si bien que nous lisons les images de manière « naturelle ». S’établit ainsi une culture visuelle, en référence aux visual cultural studies, une centralité de la vision dans notre quotidien, et donc un processus de construction et de signification des images. La visualisation nous permet de donner une définition subjective de la réalité, de produire une vision du monde.

7Suivant l’analyse réalisée par Martine Joly [3], nous pouvons affirmer que l’image, comme signe iconique, est synonyme de représentation visuelle, ce qui nous renvoie à l’approche sémiotique : étudier certains phénomènes sous leur aspect sémiotique c’est considérer leur mode de production de sens. Quand nous produisons des images, le but est généralement de reproduire quelque chose qui soit similaire à l’objet de référence. Ce rapport entre l’image et l’objet donne vie à trois dimensions présentées par Peters : l’image substitutive comme subrogé de la réalité, dont le but est de produire des émotions ; l’image documentaire, qui est au service de la réalité et produit donc la connaissance et l’image artistique. Dans la communication visuelle, l’objet est présent, visible, tandis que les mots ne possèdent pas cette possibilité communicative, ce « contact avec la réalité ». Avec d’autres sociologues, je suis d’avis que la seule communication verbale dans les sciences sociales n’arrive pas à exprimer tout ce que nous voulons dire : la qualité esthétique de l’image et sa composante documentaire enrichissent le texte et celui-ci enrichit l’image. Les deux formes de communication sont complémentaires et peuvent, dit E. Chaplin, générer un degré élevé de compréhension. Dans une optique d’intégration méthodologique, les données recueillies par la communication iconique doivent être considérées comme complémentaires à celles recueillies par les entretiens ou les questionnaires. Le sociologue américain Douglas Harper estime que la perception visuelle d’un phénomène nous donne des informations différentes de sa connaissance à travers la lecture d’un texte. Il y a, au niveau psychologique, une liaison entre pensée et perception : pour Arnheim la « pensée productrice » ne peut exister sans la composante perceptive car la pensée se fonde sur nos images du monde.

8Ainsi, l’utilisation de l’image dans les sciences sociales devient donc une perspective indispensable pour « regarder » la réalité sociale [4]. Dans une recherche visuelle où fusionnent communications verbale et iconique, la photographie, la vidéo ou les images filmiques font partie intégrante du processus de recherche, et ne doivent pas être considérées ni utilisées dans un rôle marginal et additif de simples documents et d’illustrations.

9Selon Wittgenstein, c’est l’usage qu’on fait d’une image qui en définit la signifiance et la valeur. Chaque image est un produit social et a une valeur sociale en tant que produit d’une activité humaine. Il faut distinguer ici l’image sociale, une image qui a une fonction et une valeur dans la société, et l’image du social, qui est descriptive ou représentative des phénomènes sociaux et qui illustre la condition humaine. Selon Howard Becker, ce qui différencie une image du social d’une image à valeur sociologique, c’est la méthodologie d’interprétation et d’utilisation de cette information visuelle. Ces images peuvent être un moyen de communication, de documentation, d’information, de dénonciation, et elles acquièrent une validité sociologique quand elles sont insérées comme données dans un projet de recherche.

Parcours historique de la sociologie visuelle

10Aujourd’hui, l’attention se porte vers l’exploitation sociologique du produit visuel à caractère social. Le domaine des images du social est devenu vaste et complexe. Si nous cherchons à identifier les facteurs qui ont déterminé et influencé ce développement de l’utilisation de l’image en sociologie, il faut souligner l’importance du changement social, de l’évolution culturelle et des innovations technologiques. Cette évolution s’est réalisée à travers une interaction complexe entre science, technologie, processus sociaux et culturels. Tracer un parcours historique de l’avènement de la sociologie visuelle mériterait un discours à part et de longs approfondissements [5] ; je ne donnerai ici que quelques pistes qui nous permettent d’avoir une vision globale de ce processus d’expansion de l’utilisation de l’image dans la recherche sociologique.

11L’histoire des images du social commence en réalité avec la photographie, née à la même époque que la sociologie au milieu du dix-neuvième siècle, lorsqu’Auguste Comte donne à la sociologie son nom et que Louis Daguerre rend publique la méthode permettant de fixer une image sur une plaque de métal. Toutes les deux, dit H. Becker, veulent explorer la société [6]. Dans la tradition de la recherche américaine, l’utilisation de la caméra a toujours été considérée comme un instrument fondamental pour la recherche ; un premier élément de contact entre la photographie et la sociologie se situe dans la tradition documentaire de la photographie sociale de Lewis Hine et Jacob Riis, et dans le photojournalisme. Mais en sociologie, une marginalité du visuel s’est maintenue, à cause de la prédominance et de la légitimation donnée aux techniques quantitatives. En Europe, en particulier, la photographie n’était pas appréciée par une sociologie imprégnée d’idéalisme et d’historisme, comme l’a bien noté F. Mattioli (1991).

12Si la photographie commence à « flirter » avec la sociologie, le cinéma documentaire s’affirme en ethnographie avec le premier travail cinématographique sur le terrain d’Alfred Cort Haddon (1898). Il faut cependant attendre 1942, date à laquelle Margaret Mead et Gregory Bateson réalisent The Balinese Character, avec une intentionnalité méthodologique précise qui est de justifier l’utilisation des techniques visuelles comme outil pour recueillir des données sur des aspects non verbaux du comportement. On pourrait dire que la divulgation de l’image dans les sciences sociales correspond au fait que les hommes, en citant une célèbre phrase de Margaret Mead en 1953 [7] « non seulement entendent, parlent et communiquent entre eux au moyen de mots, mais aussi utilisent tous leurs sens, de façon également systématique, pour voir et projeter ce qu’ils voient dans des formes concrètes – dessin, costume, architecture – et pour communiquer à travers la perception mutuelle d’images visuelles ».

13Depuis lors, l’image s’est imposée comme outil de recherche et la méthode visuelle nous a offert un moyen d’étudier et d’utiliser les images dans la recherche et dans l’enseignement. Les processus d’étude, d’interprétation et de réalisation d’images ont notablement enrichi l’expérience de l’apprentissage. La sociologie visuelle, surgie comme une réponse à l’explosion de l’imaginaire visuel, invite les sociologue à développer de nouvelles manières de comprendre comment les images affectent nos consciences. John Grady parle de doing sociology visually pour définir la façon dont les techniques de production et de décodification des images sont utilisées dans la recherche empirique. L’objectif de la sociologie visuelle est d’impliquer l’utilisation de la photo, de la vidéo, du film pour étudier la société : cette combinaison entre image et sociologie est au service d’une compréhension du monde social. Pour reprendre les mots de John Berger, “we are going to explore another way of telling”. L’image comme donnée représente et décrit les phénomènes sociaux sur la base subjective du chercheur (photographe, vidéaste) et doit être guidée par des notions sociologiques, des idées et des hypothèses théoriques. Comme l’explique H. Becker, le sociologue visuel part d’une idée et recherche la manifestation visuelle qu’incarne cette idée. Il est nécessaire de s’assurer du degré d’iconicité d’une image, donné par la capacité intrinsèque d’enregistrer un certain type de réalité, par la validité du contenu, c’est-à-dire la capacité de se donner comme indicateur visuel par rapport au concept de référence (Mattioli, 1991).

14La construction d’une « narration visuelle », en cohérence avec l’interactionnisme symbolique, nous permet d’enregistrer des détails utiles à une réflexion plus vaste sur la réalité et nous aide à mieux comprendre les processus sociologiques. Faire de la sociologie visuelle, par exemple, c’est photographier ou filmer avec une conscience sociologique. Becker est d’avis que, quand nous photographions, nous pensons théoriquement, nous interprétons des thématiques sociologiques et les photos sont nos conclusions. Encore une fois, je dirais que le travail de Mead et Bateson a été un point de départ, une source d’inspiration et une référence pour toutes les études de sociologie visuelle.

15Quand un chercheur est sur le terrain, l’outil visuel renforce ses idées, concrétise ses observations, aide tout simplement à construire la théorie. L’image s’offre à lui comme donnée et comme medium. L’expression de William I. Thomas, « faites et recueillez des photos », me semble pertinente pour expliquer l’importance et le rôle croissant de l’image, d’une image qui doit répondre à des critères méthodologiques.

16Selon Harper, la sociologie visuelle peut être divisée en deux branches, une méthodologie fournissant les outils nécessaires à l’analyse de la réalité sociale et une « culturologique » fournissant les moyens pour analyser les photos existantes et y chercher les éléments indicatifs de la culture et des relations sociales. On peut penser, par exemple, à la photo publicitaire, aux images diffusées sur le web, à la prolifération du photoblog et du vidéoblog, aux graffitis, qui sont autant de signes de marquage de l’espace urbain et social. Comme nous pouvons voir, l’image entre dans le domaine de l’enquête sociologique comme objet d’étude et instrument de recherche. On est dans un contexte de fondation culturelle de la vision, dans un moment postmoderne qui « in forma », qui « met en forme » le regard, un moment où se créent des sollicitations touchant l’ensemble des structures perceptives, cognitives et symboliques de la société [8]. Une création de la vision du monde, une modalité perceptive-symbolique qu’on peut résumer par l’expression de « générations visuelles » (Paul Virilio [9]).

17Dans ce contexte, la méthodologie visuelle est reconnue pour sa centralité sur l’image comme instrument de recherche, source informative, matériel d’analyse et objet d’étude.

La méthode visuelle

18Pour reprendre une nouvelle fois l’analyse faite par Grady [10], l’image doit être traitée comme une donnée et comme un medium pour présenter une recherche. Cela nous amène à distinguer de manière schématique trois dimensions ou composantes d’une recherche visuelle [11] : la sociologie avec les images, la sociologie sur les images et la restitution des résultats.

  • Sociologie avec les images. L’image est utilisée comme instrument de collecte des informations. Plusieurs techniques sont utilisées : 1) la photo-elicitation (entretien avec appui d’images), où le chercheur et l’interviewé se concentrent sur les images sélectionnées par le chercheur ; 2) la native image making, de dérivation anthropologique, est une technique utilisée spécifiquement dans les études des diverses cultures ; cette technique se base sur l’acte de photographier : on demande simplement aux sujets de raconter visuellement des aspects de leur vie ; 3) la recherche photographique sur le terrain, qui se base sur l’observation participante avec la différence qu’ici le chercheur prend avec lui la caméra ou l’appareil photo plutôt qu’un dictaphone. Comme dans l’observation participante on agit par phases : on commence à prendre des photos du lieu et des objets d’analyse et ensuite on confronte les hypothèses avec les images obtenues ; des enregistrements de communication verbale peuvent également être inclus ; 4) l’enregistrement vidéo de l’interaction où il s’agit d’enregistrer sous forme de vidéo une interaction, un entretien. On peut parler alors de la communication visuelle comme d’un échange communicatif. Le terme « communication » (du latin communicare) indique « mettre en commun » et ainsi, à travers l’enregistrement vidéo, on entre en relation avec l’autre dans une forme de communication verbale et non verbale. Je renvoie aux études sur la communication réalisées par la communauté de chercheurs « Collège invisible » de l’École de Palo Alto [12].
  • Sociologie sur les images. Celle-ci se base sur l’interprétation, c’est-à-dire l’identification des significations symboliques des images produites dans l’activité sociale et l’explication du processus d’identification et d’analyse des significations symboliques produites dans le but de raconter une histoire. Elle se base principalement sur les images déjà existantes.
  • Restitution des résultats. Cette dernière phase inclut la visualisation – c’est-à-dire la représentation des notions ou l’organisation des informations sous forme de photo ou de vidéo – et la production, où l’on montre les images produites sur le terrain. Les résultats de la recherche sont ici présentés sous forme de texte sociologique visuel.
Cette présentation schématique montre comment la méthodologie visuelle, dans ses différentes phases, enrichit le projet de recherche et permet de mieux analyser la réalité sociale, l’expérience, le vécu et la construction de sens. Dans cette perspective, on doit être capable d’explorer les modifications perceptives, la définition de la réalité et les changements des relations dans l’ère du visible, selon une définition de Débray.

Conclusion

19La vue apparaît donc ici comme le sens privilégié de la connaissance du monde. Dans le quotidien, dit Maffesoli, il y a une accentuation du sensible et il est donc nécessaire d’apprendre à voir, en suivant le fameux coup d’œil simmelien. On pourrait parler, dans ce cas, d’une relativisation du voir. L’image, en suivant la pensée de Maffesoli, est alors une expression d’un vitalisme sociétal, et est, de ce fait, écologique par construction, elle établit des correspondances sociales et naturelles et favorise l’interaction.

20Une réflexion sur l’image comme méthode et objet d’étude sert de base pour comprendre la méthodologie propre à la sociologie visuelle et surtout la libérer de la position marginale où elle se trouvait confinée par certains « credo » académiques.

21La sociologie, la photographie, la vidéo forment donc un système d’enquête et de connaissance conscient et interdisciplinaire pour mûrir méthodologiquement une nécessité cognitive : la connaissance du monde social. Dans notre exploration du quotidien, nous sommes ainsi dans un contexte de « réenchantement » par l’imaginaire, nous sommes insérés dans une logique de l’« emboîtement » (Durand, Maffesoli), c’est-à-dire un assemblage où l’« on fait avec », et où, dans ce cas, « on fait avec les images ».

22La sociologie visuelle est alors une réponse à cette explosion des images, une nouvelle façon de comprendre comment elles affectent notre conscience. Et elle aussi – et je suis d’accord avec les propos de P. Faccioli – un paradigme phénoménologique de la connaissance. Si, pour Luhuman, il n’existe pas de réalité indépendamment de l’observateur, celui-ci peut se servir des images pour interpréter le monde social ; et ainsi, l’image permet donc, comme l’écrit Heidegger, « d’amener à nous ce qui est en face de nous », elle permet de rapporter la chose à celui qui la représente.

23Je suis d’avis que le monde académique doit éveiller à la découverte et à l’utilisation de cette méthodologie. Il faut s’employer, disait Wittgenstein à propos des « crampes mentales », à dégraisser nos habitudes intellectuelles, à nettoyer nos analyses des certitudes sclérosantes, à purifier nos méthodes analytiques des divers dogmatismes et autres a priori inquisitoriaux. L’image doit être partie intégrante de la recherche et de l’enseignement parce qu’elle représente une richesse pour une interprétation plus complète de la réalité sociale.

Notes

  • [*]
    Chercheur au CeaQ. Responsable du GRIS (Groupe de recherche sur l’image en sociologie). www. gris. ceaq-sorbonne. org. fabio. larocca@ ceaq-sorbonne. org
  • [1]
    Professeur émérite de psychologie de l’art visuel à la Harvard University. Parmi ses livres : La pensée visuelle, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1997, et Le film en tant qu’art, Paris, Arche, 1989 (titre originel Film als Kunst, Berlin, 1932), qui est un des premiers livres significatifs sur le cinéma.
  • [2]
    John Collier, Jr., & Malcolm Collier (1986). Visual Anthropology. Photography as a Research Method, Albuquerque, University of New Mexico Press.
  • [3]
    M. Joly (2004). Introduction à l’analyse de l’image, Paris, Nathan/Sejer.
  • [4]
    Voir les essais dans In altre parole. Idee per una sociologia della comunicazione visuale, a cura di Patrizia Faccioli, Milan, Franco Angeli, 2001.
  • [5]
    Je renvoie ici pour une description plus détaillée à l’ouvrage de F. Mattioli Sociologia visuale, Torino, Nuova Eri, 1991, ainsi qu’à Collier et Collier, op. cit.
  • [6]
    H.S. Becker (1974). “Photography and Sociology”, Studies in the Anthropology of Visual Communication 1, p. 3-26.
  • [7]
    Cité dans La nouvelle communication, Y. Winkin, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essai », série « Sciences Humaines », 1981 et septembre 2000 pour la postface.
  • [8]
    Voir G. Boccia Artieri, Lo sguardo della Medusa e la virtualizzazione dell’immagine, dans In altre parole, op. cit.
  • [9]
    P. Virilio (1988), La machine de vision, Paris, Galilée.
  • [10]
    J. Grady, “Becoming a visual sociologist”, Imagination, vol. 38, n° 1-2, 2001 (The Quarterly Journal of the Wisconsin Sociological Association).
  • [11]
    Pour une analyse plus approfondie sur les techniques d’enquête de sociologie visuelle, voir P. Faccioli et G. Losacco (2003), Manuale di Sociologia Visuale, Milan, Franco Angeli ; et D. Papademas (1993), Visual Sociology and Using Film/Video in Sociology Courses, Washington, American Sociological Association.
  • [12]
    En référence à l’école de Palo Alto, voir Y. Winkin (1981), La nouvelle communication, Paris, Le Seuil ; et pour l’analyse de la communication, P. Watzlawick, J.H. Beavin. et D. Jackson (1972), Une logique de la communication, Paris, Le Seuil.
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