Notes
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[1]
Cette opposition organise mon travail : cf. Gilles Grelet, Déclarer la gnose. D’une guerre qui revient à la culture, Paris, L’Harmattan, coll. « La philosophie en commun », 2002 ; Établir la gnose. De l’Ange qui vient à la théorie, à paraître.
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[2]
Les choses sont en fait plus compliquées, et admettent un grand nombre de variations et d’intermédiaires ; il est en effet des critiques des dépassements et des dépassements de la critique, ainsi que des critiques de la critique et des dépassements du dépassement... En dresser la typologie (exemples à l’appui) serait évidemment passionnant, mais ce n’est pas mon affaire ; que d’autres, si cela leur chante, travaillent en ce sens. Mon affaire est de repérer (d’exhiber) une structure générale (à savoir donc ce par quoi le Monde se pose et se repose en lui-même incessamment) et de travailler à la défaire (ou, du moins, à en défaire l’emprise de façon à s’en affranchir une fois chaque fois).
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[3]
Michel Henry, C’est moi la vérité. Pour une philosophie du christianisme, Paris, Le Seuil, 1996, p. 77.
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[4]
Michel Henry, Phénoménologie matérielle, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 1990, p. 133.
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[5]
J’emprunte la lettre de ce théorème à Michel Greg, le créateur d’Achille Talon. Cf. La traversée du disert, Paris, Dargaud, 1982 ; rééd., Mon œuvre à moi, t. XI, 2002, p. 99.
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[6]
Cf. Stanislas Breton, Matière et dispersion, Grenoble, Jérôme Millon, coll. « Krisis », 1993, p. 69.
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[7]
« J’érige cette structure phénoménale [de l’empathie, de l’affinité empathique, c’est-à-dire du couplage de deux pensées à l’écoute l’une de l’autre] en méthode de lecture phénoménologique, à savoir anti-herméneutique », écrit Natalie Depraz à l’inverse de ce que je tente (sur ce point comme sur d’autres – je pense, bien sûr, tout particulièrement à son recours à la gnose qui, pour avoir le mérite de ne pas l’ignorer comme font la plupart, n’en assure pas moins une ruineuse normalisation ou mondanisation du tranchant gnostique) ; cf. « De l’empirisme transcendantal : entre Husserl et Derrida », in Derrida et la phénoménologie, Alter, no 8, 2000, p. 58.
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[8]
Cf. François Laruelle, Principes de la non-philosophie, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 1996.
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[9]
Ce point est développé dans Établir la gnose (op. cit.) sous les auspices de l’anti-humanisme théoriste.
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[10]
C’est-à-dire dans la mesure où il n’est pas constitué, fût-ce en creux, par ceux-ci, « le problème, écrit François Laruelle, ne se pos[ant] plus d’avoir à le dire au sens de le constituer et de découvrir ensuite que c’est là une tâche impossible » (Philosophie et non-philosophie, Liège-Bruxelles, Mardaga, 1989, p. 177).
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[11]
Léon Bloy, Jeanne d’Arc et l’Allemagne, in Œuvres, t. IX, Paris, Mercure de France, 1969, p. 167.
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[12]
Cf. Jacques Derrida et François Laruelle, « Controverse sur la possibilité d’une science de la philosophie », La décision philosophique, no 5, Paris, Osiris, avril 1988, p. 76. Sauf que le programme de terreur par la théorie n’est pas tenu, loin s’en faut (il est même d’emblée dénié et rapporté à la philosophie), la non-phénoménologie étant de l’ordre d’une Réforme (axiomatique et non point thétique) de la phénoménologie : protestant de l’Un (et de la pensée séparée qui s’en laisse inventer) face aux Autorités phénoménologiques (et à la pensée-monde en général), François Laruelle est comme le Luther de la philosophie (pour l’anecdote, il aime d’ailleurs à se réclamer de l’ « hérésie » protestante et fait volontiers valoir ses origines huguenotes). D’où, aux yeux du théoriste, le caractère mitigé de son hérésie. Ne transigeant pas avec le Monde et la pratique (fût-elle seulement explicative) dont il se soutient, sans doute, mutatis mutandis, suis-je de ce Luther comme le Thomas Müntzer à l’envers (l’image n’est pas flatteuse mais n’importe).
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[13]
Marc Richir, « Ereignis, temps, phénomènes », in Heidegger : Questions ouvertes, numéro spécial du Cahier du Collège international de philosophie, Paris, Osiris, mars 1988, p. 35.
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[14]
Lin Piao (éd.), Citations du Président Mao Tsé-toung, Pékin, Éditions en langues étrangères, 2e éd., 1967, p. 253.
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[15]
Cf. Gilles Grelet, « Un bréviaire de non-religion. Du théorisme, gnose rigoureuse comme antidote au nihilisme », in Discipline hérétique, collectif, Paris, Kimé, coll. « Bibliothèque de non-philosophie », 1998, § 2 . 3.
1Ceci d’avertissement : la phénoménologie est ici prise comme occasion de déployer la théorie-méthode anti-philosophique ou rigoureusement gnostique que j’appelle théorisme, c’est-à-dire de travailler à établir une rébellion qui ne soit pas du semblant. Une rébellion à quoi ? À ce qui détermine l’homme dans ce qu’il a de plus profond et le rive à un monde, soit : la culture élucidée comme pensée-monde, religion-monde ou, mieux encore, comme pratique-monde, dont la phénoménologie, dans son spiritualisme congénital, est l’accomplissement aussi transitoire qu’aujourd’hui patent.
21. – Le champ de l’anti-phénoménologie est constitué par le problème (plutôt que par la question) que pose à la pensée l’axiome (plutôt que l’injonction ou le mot d’ordre) : Que l’Ange vienne.
3Ou, plus exactement, qu’il vienne (à la théorie) et non qu’il revienne (à la culture, c’est-à-dire dans l’horizon, discursif ou non discursif, d’un monde, d’une pratique) [1].
41 . 1. – Le problème qui détermine le champ anti-phénoménologique est de nature gnostique ; c’est dire qu’il met en jeu une haine du Monde et de sa maîtrise (physique, métaphysique ou phénoménologique) telle que, de celui-là (et de celle-ci, au reste), on doive et on puisse faire l’économie, aux deux sens reçus de la formule.
51 . 2. – S’agissant d’un problème et non d’une question, c’est la circularité essentielle de la pensée-monde qui se trouve tournée, c’est-à-dire détournée de ses cercles éternitaires ou dés(p)écularisée.
61 . 2 . 1. – Tourner la phénoménologie ou plutôt la pensée (le logos-monde) à son hypostase phénoménologique rapportée, c’est arrêter de tourner avec elle, cesser de jouer son jeu circulaire qui, de critiques (thétiques) en dépassements (autothétiques) [2], s’éternise de tourner sans fin (sans autre fin, veux-je dire, que de ne pas avoir de terme) ; c’est briser sans retour (ce qui ne signifie pas une fois pour toutes) avec la s(p)écularité suffisante, la SS, qui est à la racine de la maîtrise.
71 . 2 . 2. – Il y faut la ligne droite (non point orthodoxe mais intègre et, partant, hérétique ou séparée-séparante) et le tranchant de la solution théoriste qui rompt (avec) les s(p)écularités questionnantes du logos dont se soutient et se perpétue le règne des phénomènes du Monde et plus largement celui de la phénoménalité mondaine dans son œuvre de forclusion de l’Ange ; ce tranchant est celui de la transcendance non thétique (la TNT) angélique qui brise (avec) la suffisance phénoménale du Monde.
82. – La résolution rigoureuse du problème posé à la pensée de la venue de l’Ange requiert de l’anti-phénoménologie une détermination irréversible ou en dernière instance, à ce point non réciproque (ou non susceptible de réciprocité ou de convertibilité) qu’elle doive être dite forclose à toute pensée (mais attention : forclose par elle-même et non par la pensée), que cette pensée soit mondaine ou phénoménologique aussi bien que non mondaine ou anti-phénoménologique, en passant par cette pensée que son indifférence au Monde constitue (entre autres choses, et à égalité stricte de droit avec celles-ci) comme non-phénoménologie, soit bien sûr la pensée-Laruelle (à laquelle l’anti-phénoménologie, par et dans le débat constant qu’elle maintient avec elle, doit énormément).
92 . 1. – Précisons à toutes fins utiles que la pensée de François Laruelle se présente, depuis le temps cela devrait commencer à se savoir, comme non-philosophie. Celle-ci est à comprendre comme discipline non concurrente de la philosophie car reposant sur un mode de pensée différent : alors que, gouverné par les exigences de la décision ou du mixte (le mélange de deux termes), le philosopher se rapporte (légitimement) au Monde, la non-philosophie déploie un penser unilatéral sur la philosophie elle-même et, partant, sur la pensée-monde. En sorte que la non-philosophie n’enveloppe nullement une négation de la philosophie ou une pensée « meilleure » que la philosophie ; cette discipline authentique (dont le résultat majeur est d’ouvrir le champ du penser au-delà de ses bornes philosophiques, c’est-à-dire de libéraliser la pensée par l’exercice d’une dérégulation et d’un décloisonnement fondés en-humanité) se définit par une double causalité : celle du Réel-Un ou en-Homme (axiomatisé comme donné-sans-donation, vécu-sans-vie, joui-sans-jouissance, malheur radical, etc.) qui la détermine essentiellement, et celle de la philosophie (comme matériau phénoménologique, psychanalytique, éthique, etc.), qui désigne à la fois sa cause d’existence (non essentielle) et l’objet de sa pratique, celle-ci donnant lieu à une libre théorie de la philosophie du point de vue de laquelle telle ou telle philosophie locale ne constitue qu’une occasion (parmi d’autres) suscitant la théorie mais ne la constituant pas essentiellement.
102 . 2. – Que l’anti-phénoménologie admette une dernière instance n’a rien d’anodin et rend explicite le ressort de sa rébellion (occasionnale) à la phénoménologie : c’est dire en effet que, tout au contraire de la phénoménologie dont l’empirisme fait expressément système avec l’idéalisme, le transcendantal étant là pour assurer le nouage nécessaire des parties en présence (aux sens juridique et ensembliste du mot) en un tout qui non seulement est tout mais encore se pare des atours de l’immédiateté et de l’évidence, l’anti-phénoménologie est un matérialisme.
112 . 2 . 1. – Est matérialiste ou, mieux dit, gnostico-matérialiste toute pensée qui admet une dernière instance telle que rien n’est tout. La phénoménologie, elle, admet un Principe, et ramène tout à la conscience (sous ce nom ou sous un autre ; la liste en serait fastidieuse si l’on considère que la nouveauté de chaque « nouvelle » phénoménologie repose principalement sur ce type de variation nominale... Eh ! c’est ça une scolastique !) ; elle est spiritualiste, à tendance plus ou moins idéaliste ou empiriste suivant l’orientation et les intérêts de ses agents.
122 . 2 . 2. – Ici doit être fait un sort à la phénoménologie matérielle de Michel Henry. Celle-ci occupe une position singulière par laquelle la phénoménologie, réalisant sa propre saturation, prend sur soi sa critique (comme telle seulement semi-radicale, dans le droit fil de la semi-immanence radicale caractéristique de l’auto-affection ou du pathos de la Vie henryenne) et, partant, s’élève à la hauteur d’une pensée-monde ; cette position absolument nécessaire dans le massif de la phénoménologie étendue (comme dans un autre registre on parle de galiléisme étendu), c’est-à-dire, encore une fois, de la phénoménologie autosaturée et à cette condition accomplie, il faut la nommer une contre-phénoménologie.
132 . 2 . 2 . 1. – D’un côté le travail henryen rompt avec l’exigence de base de la phénoménologie qui est de s’en tenir à l’apparaître (et donc au Monde, à l’horizon mondain dans sa transcendance) ; il investit ce qui se refuse à l’apparaître, soit la Vie en son auto-affection et son auto-engendrement, en sa chair impressionnelle qui constitue la Matière purement immanente. Mais d’un autre côté cette rupture avec la distance phénoménologique (corrélative de la transcendance, identiquement mondaine et temporelle, de la venue de ce qui se manifeste à la manifestation) est telle qu’elle fonde de l’intérieur une réforme de la méthode phénoménologique, et la réoriente à contresens de toute la philosophie à quoi elle s’adosse.
142 . 2 . 2 . 2. – C’est qu’Henry joue d’une ambiguïté savamment entretenue : celle qu’enveloppe le Logos de la phénoménologie. Mettant en cause « le Logos grec dont la phénoménalité est celle du monde », il rompt évidemment avec la phénoménologie (prétendre le contraire serait absurde) ; recourant par contre au « Logos de la Vie dont la phénoménalité est la substance phénoménologique de cette vie elle-même, son étreinte pathétique, sa jouissance » [3], il la prolonge, mais à contre-emploi : il satisfait l’exigence phénoménologique d’une quête du pré-originaire, cet absolu définitif et véritable qui fonde l’apparaître et dont dépend l’intelligence du Monde, mais cela par le biais de l’élucidation (presque tautologique) d’une Matière invisible dont Henry dit qu’elle est l’ « anti-essence fondatrice » [4] du voir mondain mais qu’en rigueur il faut dire la contre-essence fondatrice de la pensée-monde.
152 . 2 . 2 . 3. – C’est dans la mesure où la phénoménologie henryenne est l’un des fleurons de la phénoménologie en même temps qu’une de ses contestations les plus radicales, ce moment-ci faisant système avec ce moment-là, qu’elle a le mérite ambigu (catholique à vrai dire) de donner à la phénoménologie l’extension d’une pensée-monde. C’est de cette façon que la phénoménologie matérielle est (positivement !) contre-phénoménologique.
162 . 3. – La dernière instance est l’Immanent radical, soit le Réel rien-que-Réel que l’anti-phénoménologie axiomatise aussi bien en tant que Matière (rien-que-Matière, c’est-à-dire sans substance ni choséité, fût-elle en soi comme dans le cas du noumène kantien) qu’en tant qu’Âme (en-Âme, c’est-à-dire excluant de soi jusqu’à ce résidu de transcendance, au demeurant absolument décisif, que comporte l’auto-affection henryenne).
173. – L’anti-phénoménologie se réclame de la gnose et du matérialisme à des titres et usages différents et (en tout cas aux yeux de ceux qui ne lisent rien de ce qui compte) éventuellement contradictoires entre eux ; un peu de ménage ne sera pas du luxe.
183 . 1. – La gnose n’est pas soluble dans la bière spiritualiste. Le matérialisme ne se confond pas avec le brigandage empiriste (au tripot duquel est d’ailleurs servie la bière spiritualiste). Si l’on ajoute que l’empirisme est un mysticisme, alors c’est l’anti-empirisme du matérialisme et l’anti-mysticisme de la gnose qui se trouvent conjointement vérifiés.
193 . 2. – Arracher la gnose au spiritualisme et au mysticisme et le matérialisme à l’empirisme et au scientisme, voilà la directive qui fait droit au gnostico-matérialiste comme tradition de rébellion.
203 . 2 . 0 . 1. – Positivement, et malgré les sots : tradition et rébellion, prises en rigueur, s’entre-expriment. Ce qui se laisse enregistrer comme théorème de papa Talon : « La tradition, c’est la mort du conformisme, que j’exècre. » [5]
213 . 2 . 0 . 2. – Négativement, et pour le coup de manière parfaitement triviale : histoire et matérialisme, histoire et gnose s’entre-excluent.
223 . 2 . 1. – L’économie gnostique de la pensée est ce dont le monde agnostique où nous sommes ne veut rien savoir. Bien plus : c’est ce sur l’évacuation-récupération de quoi s’élève la saloperie occidentale mondialisée.
233 . 2 . 1 . 1. – La maxime occidentale, agnostique ou promondaine (autant que mondialisée) s’énonce « deux fusionnent en un ».
243 . 2 . 1 . 2. – Quant à la maxime et gnostique et matérialiste sous l’égide de quoi se place le régime de pensée et de pratique (impraticable) qui travaille à la réalisation messianique de l’anti-monde (dont les discours théosophique et théologique constituent des versions adultérées ou adoucies, chacun dira comme il voudra), elle s’énonce « un se divise en deux », soit : « on a raison de se divi(ni)ser » (sur tout cela, voyez Déclarer la gnose, op. cit.).
253 . 2 . 2. – La pensée mondaine veut que tout soit (dans) tout, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de dernière instance mais un Principe à quoi tout se ramène, dont tout s’engendre et par rapport à quoi il n’est rien et en particulier aucun principe qui ne trouve à s’articuler ; le gnostico-matérialisme veut que rien ne soit tout, « Matière », mais « Âme » ou « Réel » aussi bien nommant le pas-tout, ce par quoi il y a de la contradiction, l’instance non contradictoire de la contradiction.
263 . 2 . 2 . 1. – Une incidente : la ligne de partage qui passe entre les versions spiritualiste (ou plotinienne) et matérialiste du néo-platonisme peut ici être déterminée. Car de Plotin à Proclus ou Damascius, il y a plus qu’une différence d’accent ou de degré ; il y a une différence de nature : contrairement au commentaire de Stanislas Breton [6], il faut tenir que ce n’est pas à une « atténuation » de la thèse plotinienne selon laquelle tout est dans tout que donne lieu la reprise proclusienne des Éléments de théologie, § 103 : « Tout est dans tout (oui) mais en chacun sous son mode propre » ; c’est bien plutôt à sa transformation radicale, à son arrachement au spiritualisme.
273 . 2 . 2 . 2. – Modaliser le tout (de la réalité), c’est d’une manière générale y laisser insister le pas-tout (du réel) qui toujours et partout la divise, en conteste la totalité, contredit à sa totalisation ; c’est faire valoir non dans l’un le multiple de telle façon que le multiple (totalisé) ait son principe d’engendrement dans l’Un-Tout, mais le Deux dans l’Un de la réalité ; c’est dire « oui » au tout mais selon chacun, qui lui dit « non » (qui le divise).
283 . 3. – Reste que l’office de l’anti-phénoménologie du côté de son matériau est non de raffiner les distinctions mondaines mais d’arracher en dernière instance (plutôt que par l’effet s(p)éculaire d’une thèse) le gnostico-matérialisme à l’économie gnostique de la pensée élucidée comme tradition de rébellion.
293 . 3 . 1. – Il y va de la phénoménalisation en-Un et, partant, un-versée (ou morale plutôt qu’économique) du gnostico-matérialisme comme unique tradition par et dans une description (une formalisation à teneur herméneutique [7]) strictement subordonnée à une prescription d’existence.
303 . 3 . 2. – L’un-version anti-phénoménologique, qui n’est pas sans rapport avec l’universion non-phénoménologique, s’oppose à toute version mondaine, fût-elle de l’ordre de la conversion néo-platonicienne matérialiste (contre la procession spiritualiste) ; c’est l’orientation et l’exégèse selon l’Un-Réel (l’Immanent radical, le Donné rien-que-donné ou sans-donation) du matériau (le donné empirique, forcément transcendant) de telle façon qu’il soit propre à être purgé (sauvé) de sa mondanité.
313 . 4. – Les modalités du matérialisme dépendent de l’axiomatisation plus ou moins radicale que l’on se forge du Réel (et du tranchant du penser qui s’y articule).
323 . 5. – Le Réel est moins ce à quoi s’accrocheraient tous les matérialismes et toutes les gnoses que la dernière instance que (se) donne axiomatiquement chaque gnostico-matérialisme.
334. – Selon la Matière (en-Matière) ou l’Âme (rien-qu’Âme) et à l’occasion de la phénoménologie étendue, l’anti-phénoménologie se déploie dans la guise d’un penser unilatéral trinitaire (plutôt qu’identitaire comme dans le cas de la contre-phénoménologie henryenne, ou que dualitaire comme dans celui de la non-phénoménologie laruellienne) ; s’il n’y a plus qu’un seul côté (la Matière, en tant qu’Immanent radical, ne constituant pas un côté), ce dernier (soit : la transcendance) se stratifie ou plutôt se divise, et s’articule unilatéralement.
344 . 1. – Dans le cas de la contre-phénoménologie, il est procédé à une identification unilatérale qui ordonne tout apparaître du Monde (toute transcendance) à ce qui se refuse radicalement à l’apparaître et, partant, rend celui-ci possible, soit l’immanence de ce qui s’origine, s’engendre et se révèle dans le mouvement d’écrasement pathétique de la transcendance sur elle-même.
354 . 2. – Dans le cas de la non-phénoménologie, c’est d’une dualisation unilatérale qu’il s’agit, c’est-à-dire de l’invention par « clonage transcendantal » [8] d’un registre de réalité qui, en même temps qu’il préserve l’Immanent radical de toute transcendance, lui donne les moyens d’avoir rapport au Monde et d’agir en quelque manière sur lui. Non qu’il soit question de le penser à nouveaux frais ou sur une nouvelle base et à ce compte de se substituer à la phénoménologie ; paraphrasant Laruelle, il faut dire que la non-philosophie, comme non-phénoménologie, est le penser qui, loin de prétendre nier ou remplacer la phénoménologie, l’accompagne comme le savoir accompagne son objet.
364 . 3. – Si la non-phénoménologie est la force (de) pensée (ou l’organon d’une domination théorique du Monde, d’une pratique de domination de la pensée-monde) et la contre-phénoménologie son défaut (qui débouche sur et voue ses sujets à une pratique accomplie en charité), l’anti-phénoménologie, quant à elle, se dit de la faiblesse (de) pensée que subsume le concept de trinité unilatérale.
375. – La trinité unilatérale, c’est l’Âme, le Rebelle et l’Ange ; plus exactement, c’est l’ordre irréversible de ces trois instances (qui se disent aussi bien, en fonction de l’angle d’attaque, du Réel, du Sujet et de la Pensée, ou plus précisément du Réel-Un, du Sujet sans-pensée et de la faiblesse (de) pensée ; de la Matière, de la Théorie et du Peuple ; etc.).
385 . 1. – L’Âme, d’abord (se) dit du contenu phénoménal positif radicalement inconsistant qu’est (sans l’être ni le néant) le Réel ; c’est la donnée réelle de dernière instance, donnée radicalement immanente excluant (de) soi toute donation, fût-elle une autodonation.
395 . 1 . 1. – L’Âme, comme donnée radicale (c’est-à-dire sans-donation), ne comporte pas même ce résidu de transcendance que serait l’exclusion de toute donation ; elle est Âme-en-Âme ou rien-qu’Âme, c’est-à-dire sans l’être, sans procéder de rien (et sans pour cela relever de la transcendance du néant). C’est le Réel en-personne tel que, simplement donné (de cette simplicité que le Monde ne conçoit pas), il ne fait d’aucune manière question mais permet de cesser une fois chaque fois de penser en termes de circularités et de s(p)écularités questionnantes ; bref, l’Âme ou la Matière est le Réel qui nous donne de rompre en dernière instance avec le régime de la Question.
405 . 1 . 2. – Si le Monde ne conçoit pas le Réel dans sa simplicité, c’est qu’il lui est forclos. Ou encore : le Réel n’est pas conçu ou même concevable par la pensée-monde en tant qu’il n’en est pas (mais positivement, pas par soustraction) ; sans transcendance, si menue soit-elle, n’ayant même pas rapport à lui-même (il n’est pas cause de soi), le Réel n’est rien que son autophénoménalisation purgée (mais avant toute purge, sans-purge) de la spécularité phénoménale (mortellement redoublée comme s(p)écularité par et dans les équivoques du logos phénoménologique).
415 . 1 . 3. – Comment, à ce compte, en avons-nous connaissance ? Et comment pouvons-nous en parler si on ne le discerne nulle part dans le Monde, marges mystiques et pragmatiques y compris ? Par ceci évidemment (je le dis sérieusement ou, en tout cas, sans rire) que le Réel c’est l’Homme.
425 . 1 . 3 . 1. – Non je ne sais quel « principe du genre humain » ou « foyer ultime de l’espèce humaine », mais tout homme, n’importe lequel, tout un chacun ; l’Âme est le noyau d’humanité radicale, irréductible, sans-mondanité, qui nous « anime » tous autant que nous sommes (ou sur la base duquel nous sommes tous « appuyés ») ; c’est l’Homme en-personne.
435 . 1 . 3 . 2. – Qu’on ne s’y trompe pas, j’y insiste : dire que le Réel c’est l’Homme n’emporte aucune complaisance vis-à-vis de l’humanisme ou simplement vis-à-vis de l’homme au sens de ce qui tombe sous la main d’un être raisonnable, de ce qu’on en connaît par les voies de la sensibilité (soit l’être dont se soutient le dispositif éthico-juridique des droits de l’homme). Au contraire, pareille élucidation constitue l’arme la plus puissante qui soit contre toutes les défenses de l’humanité et tous les soucis de sa survie, tant individuelle que collective [9].
445 . 1 . 4. – Quant à savoir comment on peut parler du Réel, rien de plus simple : n’étant ni dicible ni indicible dans la mesure où il ne relève pas du langage et de la pensée [10], le Réel (se) dit dans la guise de l’écriture immanente et non thétique qu’est l’axiomatique (transcendantale).
455 . 1 . 5. – L’Âme, ainsi, est axiomatisable comme Nuit-en-Nuit (Nuit sans-contraire, celle dont le Monde n’est pas le Jour) qu’en son fond recèle la vie de chaque homme et qui, ne faisant pas monde, l’y jette.
465 . 2. – Mais si l’Âme, en tant qu’Immanent radical dont l’inconsistance positivement phénoménale est le Réel en-personne, le Réel rien-que-Réel, ne fait pas monde, il n’en reste pas moins qu’elle le détermine : l’Âme est cause universelle de dernière instance.
475 . 2 . 1. – Première conséquence : l’universalité de la causalité exercée par le Réel est négative (à proportion exactement de la positivité de l’inconsistance, de la radicalité de l’immanence ou encore de la forclusion à la transcendance dont elle « procède »).
485 . 2 . 2. – Deuxième conséquence : le Réel détermine l’ordre irréversible (à sens unique) et unilatéral (à un seul côté) de la pensée qui n’est pas du semblant ; il y faut seulement des occasions, c’est-à-dire d’une part un matériau, d’autre part de quoi le consumer, le dés(p)éculariser : cela s’appelle la méthode anti-phénoménologique, qui disjoint non seulement le Réel du penser (occasionnal et non plus constitutif), mais encore le sujet du penser (qui, ne constituant même plus le sujet, est doublement occasionnal).
495 . 2 . 3. – Troisième conséquence, qui a partie liée avec la première : le Réel (ou l’Âme, ou la Matière...) étant la dernière instance, toutes les autres sont consistantes et (relativement au Réel) autonomes.
505 . 3. – Parmi ces instances, la première (autrement dit, la deuxième instance de la trinité unilatérale) est le Rebelle, c’est-à-dire le Sujet. Le Rebelle tient lieu (du) Réel auprès de la transcendance, Réel dans l’élément duquel il est établi (plutôt qu’à partir duquel il est cloné comme en non-phénoménologie). Ou encore : le Sujet établi dans l’élément du Réel assure la lieutenance de l’Homme en-personne qui, en tant que déterminant en dernière instance, est « le vrai Capitaine ».
515 . 3 . 1. – La lieutenance (de) l’Immanent radical auprès de la transcendance en quoi consiste l’instance du Sujet ne saurait être confondue avec l’exercice d’un agir (du) Réel dans le Monde : transcendantal et rien que transcendantal, c’est-à-dire en lui-même dépourvu de toute force, de toute capacité d’intervenir dans l’empirique (au sens du Monde !) afin de le dominer, fût-ce par la puissance, apriorique, de la théorie, le Sujet n’a d’autre vocation que de faire valoir le Réel dans la réalité, d’y imposer en creux, passivement, le sceau transcendantal de la dignité (pour autant, bien sûr, que pareille notion ait le moindre sens...).
525 . 3 . 2. – L’engendrement du Sujet par voie d’établissement sur la base (de) l’Homme en-personne peut être rapporté à une filiation (transcendantale, ça va sans dire) ; cela fait du Rebelle – quoi donc ? mais le Fils de l’Homme... Enfonçons le clou (désolé, ça m’amuse) : le Réel étant l’Homme en-personne et le Sujet établi selon le Réel le Fils de l’Homme, il en résulte ce théorème tout sauf négligeable : chaque Sujet est Christ.
535 . 4. – Le Peuple, mais l’Ange aussi bien, est comme le roi de France selon Léon Bloy (et Jeanne d’Arc, sur qui il écrit) : « Quelque indigne qu’il fût ou parût être, [il est] l’intérimaire indiscutable du Christ, étant assis sur son trône pour chasser les diables. » [11] Instance troisième de la trinité unilatérale, c’est lui qui prend en charge le tranchant.
545 . 4 . 1. – L’Ange (ou le Peuple, ou la Pensée, ou l’Enthousiasme, etc.) est de l’ordre de la transcendance, mais d’une transcendance telle qu’elle tranche sur celle du Maître, fût-ce ultimement pour s’y résoudre lorsqu’elle est laissée à elle-même ; cette transcendance est non thétique (de) soi ; c’est la TNT dont le tranchant ne revient d’aucune manière à la maîtrise.
555 . 4 . 1 . 1. – Le Maître n’étant rien d’autre que l’état mortifère de la situation et du processus phénoménologique de suffisance s(p)éculaire par où il s’éternise comme pensée-monde, on a le théorème : quand l’Ange revient, c’est le Maître.
565 . 4 . 1 . 2. – Généralisation : quand, écrasé pathétiquement avec le transcendantal sur le Réel ou confondu avec une couche a priori de la force (de) pensée et, partant, non distingué du Sujet, l’Ange vient à la pratique (plutôt qu’à la théorie rien-que-théorie, la théorie pure lieutenance (du) Réel), c’est encore le Maître (henryen ou laruellien).
575 . 4 . 1 . 3. – Corollaire : l’Ange revient au Maître tant que son tranchant n’est pas ordonné (au) Réel par le moyen de la théorie-sujet qu’est le Rebelle ; l’œuvre de l’Ange est salvifique plutôt que barbare (ou absente, du reste) si et seulement s’il est déterminé sans-réciprocité par le Lieutenant christique du vrai Capitaine qu’est, non pas Dieu, mais l’Homme !
585 . 4 . 2. – Tenant lieu du Sujet, l’Ange est l’intermédiaire entre le Réel-Homme et le Monde-Dieu. Sa TNT est ce grâce à quoi le théoriste consume ou dialyse en dernière instance dans la transcendance-monde la s(p)écularité suffisante (la SS) qui ramène l’Ange au Maître, faisant servir le tranchant du premier à la perpétuation (éventuellement barbare) du second. C’est aussi la faiblesse (de) pensée – autrement dit, la pensée qui ne revient pas à son Sujet, ou encore la pensée selon le Sujet établi selon le Réel, mais sans lui.
595 . 4 . 2 . 1. – La faiblesse (de) pensée est la pensée qui ne constitue pas le Sujet, ne le fait pas ; elle ne lui appartient pas non plus ; c’est simplement l’organon « à travers » lequel pense le Sujet, qui non seulement ne pense pas par lui-même, mais plus encore ne décide même pas lui-même de penser (ce que l’on a désigné comme pensée doublement occasionnale).
605 . 4 . 2 . 2. – Selon le Rebelle (ou en-Christ, l’Ange de tous les anges), la faiblesse (de) pensée travaille à établir l’irréalité oppressive du Monde dans sa réalité (sa phénoménalité) non thétique d’apparence angélique consistante et autonome.
615 . 5. – L’anti-phénoménologie, sauvant les apparences, détruit le semblant (la suffisance phénoménale du Monde).
625 . 6. – L’anti-phénoménologie, en tant que rébellion en-personne, se déploie dans la guise d’une destruction réelle (ou en vertu du Réel) de la pratique dont la production de semblant rature la venue de l’Ange.
635 . 7. – Ceci de récapitulation : avec l’auto-affection contre-phénoménologique, la force (de) pensée non-phénoménologique et la faiblesse (de) pensée anti-phénoménologique, c’est-à-dire avec l’identité unilatérale, la dualité unilatérale et la trinité unilatérale, on a respectivement mépris du Monde (et sa refondation immédiate dans la Vie), indifférence au Monde (et à tout ce qui se présente comme occasion de penser) et haine du Monde (que chaque occasion de penser confirme et exaspère).
646. – Voilà le programme qui, disons-le, est un programme de terreur, au sens où François Laruelle pouvait en dessiner les contours lors d’une controverse avec Jacques Derrida : « Je comprends pourquoi on peut avoir la sensation de la terreur ou d’une exigence qui ne fait aucun compromis. Je pense que dans la théorie il n’y a aucun compromis à faire, sauf si le compromis est constitutif du réel. Mais comme je pense que le compromis n’est pas du tout constitutif du réel, je n’en fais aucun, je me contente d’être cohérent, c’est-à-dire que j’essaye de faire une science rigoureuse. » [12] Cette terreur dont la méthode s’articule sur la base de la vertu est seule à pouvoir briser (avec) les cercles (vicieux) de la pensée-monde.
656 . 1. – Si l’anti-phénoménologie est la méthode de la vertu qui brise (avec) les cercles (vicieux) de la pensée-monde, c’est qu’elle (s’)en sort en remontant non point les cercles mais, plus radicalement, le cercle des cercles qu’elle seule peut discerner.
666 . 1 . 1. – De ce cercle dont la pensée-monde ne voit pas comment sortir d’abord et avant tout parce qu’elle ne voit pas qu’il y a à en sortir, un mot de Marc Richir rend assez bien compte : « Tenter de penser pour aller à la rencontre de la chose même sans se donner d’avance les moyens d’y parvenir : voilà la tâche de la phénoménologie. Tâche impossible, tentation de l’impossible. Mais n’est-ce pas notre condition d’hommes ? » [13]
676 . 1 . 2. – Remontant le cercle des cercles jusqu’en son point d’engendrement, l’anti-phénoménologie est à même de briser avec lui, de s’en séparer et d’ouvrir un champ « nouveau » de phénoménalité qui est celui qu’habitent depuis toujours les hérétiques : le continent ou la patrie événement-ciel de la rébellion rigoureuse.
686 . 2. – Sauf qu’il faut être plus précis, la rébellion n’étant rigoureuse qu’à précisément ne pas vouloir sortir de la sphère (des cercles infernaux) de la maîtrise ; on dira en effet que c’est seulement pour autant que le Rebelle n’y est jamais réellement entré, que seule sa méthode y a rapport (et encore : en dernière instance), que la rébellion n’est pas du semblant.
696 . 3. – Qu’est-ce qu’avoir rapport à la maîtrise en dernière instance ? Ne pas transiger avec elle, refuser d’avance toute conciliation (toute intelligence) avec elle.
706 . 3 . 1. – La conséquence de cette intransigeance radicale (ou un-transigeance) de la méthode théoriste porte un nom : l’ultimatum.
716 . 3 . 2. – Mais attention : « Ce qu’il nous faut, comme disait le Président Mao Tsé-toung, c’est un état d’esprit enthousiaste mais calme, et une activité intense mais ordonnée » [14], de sorte qu’il n’est pas plus question de céder à la déviation droitière du théoricisme non-phénoménologique qui perd l’enthousiasme, l’intensité, le tranchant de la rébellion au Monde, qu’à la déviation ultra-droitière du therroricisme contre-phénoménologique qui perd le calme et l’ordre, c’est-à-dire la rigueur de la théorie.
726 . 3 . 2 . 1. – Rapportant la posture de pensée henryenne au therroricisme ultra-droitier, je rectifie la typologie des déviations (rétrospectives) du théorisme jadis proposée [15]. Voyant alors dans le therroricisme de la philosophie de l’immanence radicale une déviation « gauchiste » par rapport au théorisme, je me suis laissé prendre à une apparence gnostique (docétiste) du travail henryen entretenue particulièrement dans C’est moi la vérité (op. cit.) et dissipée ensuite, fort laborieusement d’ailleurs. Aujourd’hui, les choses sont claires : la violence henryenne est une violence mieux fondée mais de la même eau que celle de tous les chrétiens institutionnels qui n’ont pas cédé sur leur mépris de la modernité et leur rejet de tout accommodement avec celle-ci (qui entraînerait la dilution de l’autorité de l’Église et de ses évêques, celui de Rome au premier chef) ; c’est une doctrine (au reste magnifiquement) réactionnaire.
736 . 3 . 2 . 2. – Quant à la déviation théoriciste droitière ou libérale que déploie la non-philosophie, elle ne me paraît pas faire question. Quel est en effet le principal résultat du travail laruellien, sinon libérer la pensée de ses chaînes philosophiques qui la confinent dans un ordre (autoritaire et suffisant) tel que son invention s’en trouve drastiquement raréfiée et illégitimement soumise à l’aval d’une autre instance que celle de l’individu (du Sujet-Étranger) ? Certes, le marché philosophique auquel la non-philosophie travaille à ouvrir la pensée en faisant sauter les verrous « bureaucratiques » qui en réglementent (en entravent) l’accès n’est pas le marché intramondain, et l’individu qui proteste de son droit à construire sa petite entreprise d’idées n’a rien de l’individu doxique réduit au goût et aux couleurs... N’empêche. La tendance est là, lourde, et malheureuse dans une conjoncture qui de toute évidence a moins besoin de libéralisations transcendantales en série que d’une capacité à déterminer en dernière instance des lignes de partage entre l’Ange et le Maître, et, partant, à exercer une terreur angélique non vicieuse, c’est-à-dire une rébellion dont le tranchant ne revient pas s(p)éculairement au Maître mais reste radicalement en-Ange.
746 . 4. – L’anti-phénoménologie est la discipline qui pose en dernière instance un ultimatum à la maîtrise : celui, christo-rebelle ou gnostico-matérialiste, de « la croix qui brise le cercle enchanté, le cercle vicieux qui tire tout de l’esprit humain et lui ramène tout » (pour reprendre le mot de Chesterton).
757. – L’engagement de l’anti-phénoménologie (comme discipline qui ne rigole ni avec le Réel, ni avec la théorie de ce qui n’est pas le Réel, ni avec la destruction de ce qui se refuse tant au Réel qu’à la théorie qui s’en impose par voie d’établissement) est homogène à celui d’une rectification permanente des présentes définitions et directives.
Notes
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[1]
Cette opposition organise mon travail : cf. Gilles Grelet, Déclarer la gnose. D’une guerre qui revient à la culture, Paris, L’Harmattan, coll. « La philosophie en commun », 2002 ; Établir la gnose. De l’Ange qui vient à la théorie, à paraître.
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[2]
Les choses sont en fait plus compliquées, et admettent un grand nombre de variations et d’intermédiaires ; il est en effet des critiques des dépassements et des dépassements de la critique, ainsi que des critiques de la critique et des dépassements du dépassement... En dresser la typologie (exemples à l’appui) serait évidemment passionnant, mais ce n’est pas mon affaire ; que d’autres, si cela leur chante, travaillent en ce sens. Mon affaire est de repérer (d’exhiber) une structure générale (à savoir donc ce par quoi le Monde se pose et se repose en lui-même incessamment) et de travailler à la défaire (ou, du moins, à en défaire l’emprise de façon à s’en affranchir une fois chaque fois).
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[3]
Michel Henry, C’est moi la vérité. Pour une philosophie du christianisme, Paris, Le Seuil, 1996, p. 77.
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[4]
Michel Henry, Phénoménologie matérielle, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 1990, p. 133.
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[5]
J’emprunte la lettre de ce théorème à Michel Greg, le créateur d’Achille Talon. Cf. La traversée du disert, Paris, Dargaud, 1982 ; rééd., Mon œuvre à moi, t. XI, 2002, p. 99.
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[6]
Cf. Stanislas Breton, Matière et dispersion, Grenoble, Jérôme Millon, coll. « Krisis », 1993, p. 69.
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[7]
« J’érige cette structure phénoménale [de l’empathie, de l’affinité empathique, c’est-à-dire du couplage de deux pensées à l’écoute l’une de l’autre] en méthode de lecture phénoménologique, à savoir anti-herméneutique », écrit Natalie Depraz à l’inverse de ce que je tente (sur ce point comme sur d’autres – je pense, bien sûr, tout particulièrement à son recours à la gnose qui, pour avoir le mérite de ne pas l’ignorer comme font la plupart, n’en assure pas moins une ruineuse normalisation ou mondanisation du tranchant gnostique) ; cf. « De l’empirisme transcendantal : entre Husserl et Derrida », in Derrida et la phénoménologie, Alter, no 8, 2000, p. 58.
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[8]
Cf. François Laruelle, Principes de la non-philosophie, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 1996.
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[9]
Ce point est développé dans Établir la gnose (op. cit.) sous les auspices de l’anti-humanisme théoriste.
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[10]
C’est-à-dire dans la mesure où il n’est pas constitué, fût-ce en creux, par ceux-ci, « le problème, écrit François Laruelle, ne se pos[ant] plus d’avoir à le dire au sens de le constituer et de découvrir ensuite que c’est là une tâche impossible » (Philosophie et non-philosophie, Liège-Bruxelles, Mardaga, 1989, p. 177).
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[11]
Léon Bloy, Jeanne d’Arc et l’Allemagne, in Œuvres, t. IX, Paris, Mercure de France, 1969, p. 167.
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[12]
Cf. Jacques Derrida et François Laruelle, « Controverse sur la possibilité d’une science de la philosophie », La décision philosophique, no 5, Paris, Osiris, avril 1988, p. 76. Sauf que le programme de terreur par la théorie n’est pas tenu, loin s’en faut (il est même d’emblée dénié et rapporté à la philosophie), la non-phénoménologie étant de l’ordre d’une Réforme (axiomatique et non point thétique) de la phénoménologie : protestant de l’Un (et de la pensée séparée qui s’en laisse inventer) face aux Autorités phénoménologiques (et à la pensée-monde en général), François Laruelle est comme le Luther de la philosophie (pour l’anecdote, il aime d’ailleurs à se réclamer de l’ « hérésie » protestante et fait volontiers valoir ses origines huguenotes). D’où, aux yeux du théoriste, le caractère mitigé de son hérésie. Ne transigeant pas avec le Monde et la pratique (fût-elle seulement explicative) dont il se soutient, sans doute, mutatis mutandis, suis-je de ce Luther comme le Thomas Müntzer à l’envers (l’image n’est pas flatteuse mais n’importe).
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[13]
Marc Richir, « Ereignis, temps, phénomènes », in Heidegger : Questions ouvertes, numéro spécial du Cahier du Collège international de philosophie, Paris, Osiris, mars 1988, p. 35.
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[14]
Lin Piao (éd.), Citations du Président Mao Tsé-toung, Pékin, Éditions en langues étrangères, 2e éd., 1967, p. 253.
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[15]
Cf. Gilles Grelet, « Un bréviaire de non-religion. Du théorisme, gnose rigoureuse comme antidote au nihilisme », in Discipline hérétique, collectif, Paris, Kimé, coll. « Bibliothèque de non-philosophie », 1998, § 2 . 3.