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Les négociations commerciales : proposition d'une typologie

Pages 33 à 46

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1Depuis quelques années, des évolutions importantes affectent profondément la pratique des transactions commerciales. De plus en plus, on observe les transactions « traditionnelles » perdre leur caractère unidirectionnel pour évoluer vers les communications beaucoup plus bidirectionnelles, voire multidirectionnelles, caractérisant les négociations commerciales. Celles-ci prenant une importance accrue, en particulier dans le commerce entre entreprises (B-to-B), il devient impératif pour les négociateurs, directeurs commerciaux, vendeurs, acheteurs, et pour les chercheurs de cette discipline de l’aborder de façon systématique, professionnelle et scientifique (Carlisle et Parker, 1989 ; Cellish et Jain, 2003).

2Les situations de négociations commerciales sont un sous-ensemble des négociations d’affaires, elles-mêmes ne constituant qu’un sous-ensemble du champ des négociations. Pourtant, les situations dans ce sous-ensemble sont multiples et variées (Dupont, 1996). Elles s’étendent du simple marchandage d’un objet de faible valeur entre, par exemple, un particulier et un marchand dans un marché aux puces ou dans un souk, jusqu’aux négociations entre pays, par exemple à l’occasion d’une transaction portant sur une centrale nucléaire. En fait, les différences entre toutes ces situations sont sans doute plus importantes que leurs similitudes. Contrastant avec cette diversité, les connaissances et donc les pratiques de la négociation commerciale reposent souvent sur des généralisations ne prenant pas toujours en compte les spécificités de leur contexte. Il est donc devenu nécessaire de développer des théories et des prescriptions s’appliquant à chaque type de situation. Un premier pas vers l’étude systématique du champ des négociations commerciales, consiste donc à bâtir des classifications, regroupant ces situations en catégories suffisamment homogènes en vue d’associer des implications spécifiques à chacune d’entre elles (Hunt, 1983). Cela est d’autant plus important que chaque type de négociation peut évoluer différemment dans le temps. C’est, comme on le verra par la suite, le cas de l’évolution actuelle qui donne une importance accrue au développement de relations et aux négociations gagnant-gagnant par rapport aux transactions ponctuelles (Hawes, Rich et Widmier, 2004).

3L’objectif de cet article est de proposer une classification des négociations commerciales. Pour cela, il convient tout d’abord de définir de façon aussi précise que possible l’univers des négociations commerciales, en vue de pouvoir en identifier tous les éléments, et uniquement ses éléments. Il faut ensuite choisir une méthode pour bâtir la typologie, puis l’appliquer à l’univers ainsi défini. Finalement, il convient d’apprécier les qualités et l’utilité de la classification par rapport à un certain nombre de critères. Ces différentes étapes sont successivement abordées dans les sections suivantes.

Définition conceptuelle de la négociation commerciale

4La littérature portant sur les négociations commerciales n’offre que peu de définitions formelles de cette pratique pourtant millénaire. Par contre, elle abonde en descriptions et en typologies de certains aspects des négociations (voir Weinberg, 1999), des objectifs de la négociation (Druckman et alii, 1999), des bruits affectant les négociations (Segal, 2009) ou des techniques, des stratégies et des tactiques couramment employées (ou à employer) lors des négociations commerciales (Darmon, 2001 ; Dupont, 1994 ; Zartman, 2004).

5En vue de délimiter précisément le champ des négociations commerciales, il convient d’en donner une définition suffisamment précise pour en exclure des éléments qui n’appartiendraient pas au même champ d’investigation, en particulier, celui des transactions commerciales. Dans cet article, on définit la négociation commerciale comme un processus (1) impliquant deux ou plusieurs parties qui envisagent la possibilité d’échanger des biens et/ou des services pour une contrepartie généralement financière ; (2) impliquant des risques plus ou moins importants pour chacune d’elles ; (3) les objectifs et les intérêts des parties sont au moins partiellement divergents ; (4) chacune des parties dispose au moins d’une certaine latitude pour échanger des informations, faire des propositions, accepter ou refuser les propositions de l’autre partie ; (5) en vue de converger vers un accord pour établir ou maintenir une relation commerciale ; (6) à court ou à plus long terme ; (7) et jugé préférable au statu quo par chacune des parties impliquées.

6Cette définition fait ressortir l’importante distinction qu’il y a lieu de faire entre transaction et négociation commerciales. Faute de définitions précises et unanimement acceptées, la distinction entre les deux concepts fait depuis longtemps l’objet de débats (voir par exemple Audebert-Lasrochas, 2004). La transaction commerciale est définie, elle, comme l’accord ponctuel d’échange qui intervient entre les parties, souvent appelé l’acte de « vente-achat » dans la littérature du management. La transaction peut être l’aboutissement d’une négociation, mais pas nécessairement. Par exemple, les transactions commerciales dont les conditions sont fixées a priori par l’une des parties et restent immuables, comme celles qui se pratiquent généralement dans les commerces de détail, ne donnent pas lieu à négociations.

7La définition d’une négociation commerciale proposée ci-dessus suggère, comme le souligne Audebert-Lasrochas (2004, p.152), qu’une négociation réussie se concrétise toujours par une ou plusieurs transactions. Pourtant, la réalisation d’une transaction commerciale n’implique pas nécessairement une négociation préalable.

8Alors que les recherches académiques se sont traditionnellement concentrées soit sur les actes de vente ou d’achat, relativement peu d’études se sont intéressées aux interactions entre acheteur et fournisseur dans le cadre de négociations commerciales (Barbier, 2009). Transactions et négociations commerciales ont plusieurs caractéristiques communes. Par contre, cinq caractéristiques principales au moins les différencient.

Caractéristiques communes aux transactions et aux négociations commerciales

Figure 1

Distinction entre situations de transaction et de négociation

Figure 1

Distinction entre situations de transaction et de négociation

9Comme le suggère la figure 1, transaction et négociation commerciales impliquent la présence de deux ou plusieurs parties qui échangent des informations et des arguments en vue d’aboutir à un accord contractuel d’échange portant sur des biens et/ou des services et d’une contrepartie, généralement financière. Toutes deux impliquent un certain horizon temporel. De plus, étant l’aboutissement d’accords librement consentis, les échanges qui en résultent sont a priori jugés désirables par les parties impliquées.

10De plus, les deux concepts impliquent les mêmes variables contextuelles, même si celles-ci (telle que la nature des risques impliqués dans chaque situation) peuvent avoir des impacts très différents dans les deux cas. Qu’il s’agisse de transactions ou de négociations commerciales, de nombreux facteurs contextuels en affectent la complexité. Jolibert et Velasquez (1989) en dressent une liste exhaustive. Parmi les facteurs les plus importants les affectant, on peut noter :

  1. Les niveaux d’expertise et de compétence nécessaires aux différentes parties pour mener à bien un type de transaction ;
  2. Les similitudes et les différences concernant d’autres caractéristiques des parties impliquées, par exemple leurs différences de styles cognitifs, d’aptitudes à communiquer ou leurs différences culturelles lorsqu’il s’agit de transactions internationales (Jolibert, 1990) ;
  3. Les pouvoirs économiques relatifs des parties impliquées (Perdue et Summers, 1991) ;
  4. Les relations antérieures qu’ont entretenues les parties, en particulier les connaissances et les perceptions que chacune a développées sur les compétences, la fiabilité et la confiance qu’elle peut avoir en l’autre ;
  5. Le nombre et l’importance des options alternatives ouvertes à chacune des parties (Keiser, 1988) ;
  6. La pression du temps qui peut s’exercer de façon différente sur chaque partie ;
  7. Les impacts des environnements économique, juridique et culturel qui peuvent favoriser ou au contraire rendre un accord difficile.

Caractéristiques différenciant les transactions des négociations commerciales

11Par-delà les différences de contexte mentionnées ci-dessus, cinq caractéristiques majeures permettent de différencier une situation de négociation d’une situation de simple transaction (tableau 1).

Tableau 1

Distinction entre situations de transaction et de négociation

Tableau 1
Transactions et négociations commerciales se différencient par : Transaction Négociation 1. Les parties impliquées Un acheteur et un vendeur Un acheteur et un vendeur / souvent des équipes de négociateurs 2. L’ampleur de la latitude décisionnelle du fournisseur et de l’acheteur Nul ou très étroit Généralement large 3. Le processus d’interaction (traitement des informations, contexte) Relativement simple Généralement complexe 4. Les attitudes et comportements des parties impliquées Passif ou proactif Toujours proactif 5. L’horizon temporel Accent souvent mis sur la transaction immédiate Accent souvent mis sur les transactions à venir ou à long terme Objectif transactionnel Objectif relationnel

Distinction entre situations de transaction et de négociation

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  1. Dans la plupart des cas, la réalisation d’une transaction commerciale implique un vendeur et un acheteur opérant soit pour leur propre compte, soit pour celui d’un mandant. Ce peut être aussi le cas des négociations. Cependant, en situation de négociation en B-to-B en particulier, les parties sont souvent représentées par des équipes de négociateurs.
  2. La différence la plus importante entre situations de transaction et de négociation commerciale réside dans l’importance des latitudes décisionnelles laissées respectivement aux parties directement impliquées dans les deux types de situation (Darmon, 2008). Dans le cas, par exemple, d’une transaction dans un grand magasin impliquant un consommateur et un vendeur, celui-ci n’a généralement aucune latitude pour dévier des conditions fixées à l’avance par sa direction qui d’ailleurs n’entend généralement pas les modifier. Dans ce cas, les latitudes décisionnelles du consommateur et du vendeur sont réduites, voire inexistantes, car l’objet de la transaction est non-négociable (Dupont, 2004). Le vendeur a alors un rôle de persuasion, non de négociation (Jolibert et Velasquez, 1989 ; Darmon 2008). Par contre, lorsque l’objet de la transaction est négociable, les négociateurs disposent en général des pouvoirs nécessaires pour modifier ou façonner l’offre en vue d’arriver à un accord satisfaisant pour les parties (Pras et Tarondeau, 1981).
  3. En conséquence, les processus de traitement des informations, de prise en compte des contraintes contextuelles, etc., sont généralement bien plus complexes en situation de négociation qu’en situation de transaction (Dupont, 1996). Comme le remarquent plusieurs auteurs, c’est en raison même de cette complexité que les domaines des négociations en général et des négociations commerciales en particulier se situent au croisement de nombreux paradigmes scientifiques tels que l’économie, les théories de l’utilité (Raiffa et alii, 2003), la théorie des jeux, la psychologie, l’anthropologie culturelle, la prise de décision en groupe, et plusieurs domaines du management (Pekar Lempereur et Sebenius, 2004 ; Usunier, 2004).
  4. On peut également observer des différences importantes dans les attitudes et les comportements des parties impliquées en situation de transaction ou de négociation, chacune des parties pouvant être passive ou proactive. Un acheteur potentiel passif ne recherche pas activement l’acquisition d’un certain type de bien ou de service. Par exemple, il peut ne pas être informé d’une nouvelle opportunité ou de l’existence d’un nouveau produit. Le rôle du vendeur consiste alors à tenter de réduire son déficit d’informations en le rendant attentif à cette nouvelle opportunité et en lui « vendant » sa solution. En situation de négociation, l’acheteur est toujours proactif. Il négocie souvent avec plusieurs fournisseurs potentiels en parallèle en vue d’obtenir le contrat le plus satisfaisant possible pour lui-même.
  5. Enfin, il existe généralement des différences d’horizon temporel entre transactions et négociations commerciales, celles-ci, vu leur importance et leur complexité, impliquant le plus souvent des engagements à plus long terme que les contrats ponctuels.

Proposition d’une typologie

13À partir de la définition du domaine des négociations commerciales donnée ci-dessus, il convient maintenant de les classifier. Par principe, les classifier consiste à scinder l’ensemble de ces situations en catégories regroupant celles qui sont aussi semblables entre elles que possible, et formant des catégories aussi différentes que possible les unes des autres. Plusieurs approches permettent d’atteindre cet objectif (pour plus de détails, voir Harvey, 1969 ; Hunt, 1983 ; Sokal et Sneath, 1963 ; Darmon, 1998). La méthode choisie dans le cadre de cette étude consiste à définir des catégories de négociations commerciales dont tous les éléments obéissent à la définition proposée dans la section précédente, et partagent un nombre restreint de caractéristiques pertinentes définies a priori.

14Cette approche présente entre autres les avantages (1) de pouvoir positionner tous les éléments dans l’une des catégories de la classification en fonction de ses caractéristiques ; (2) de permettre l’existence de catégories vides, lorsqu’aucune observation ne réunit les caractéristiques requises pour lui appartenir ; (3) d’être facile à utiliser par les managers et les chercheurs, puisque pour assigner un certain type de négociation commerciale à une catégorie, il suffit de l’évaluer sur un nombre restreint de caractéristiques-clés.

15À partir de la définition conceptuelle de la négociation commerciale présentée ci-dessus, trois critères de classification particulièrement importants ont été soigneusement choisis sur base de l’analyse de la littérature pertinente et des jugements d’experts de la négociation commerciale pour développer la typologie. Ce sont : (1) la nature des parties impliquées dans la négociation (particuliers agissant pour leur propre compte, ou pour celui d’un mandant, institutions), (2) leur rôle (acheteur ou fournisseur), et (3) le niveau d’importance et de risques encourus par les parties concernant le résultat de l’accord (ou l’absence d’accord).

16Les dimensions de la nature et du rôle des parties directement impliquées dans la négociation recouvrent des situations de négociation bien différentes, en particulier en matière de latitudes laissées aux négociateurs pour parvenir à une entente. Alors qu’un particulier négociant pour son compte jouit d’une totale latitude puisqu’il est le seul décideur pour sa partie, cette latitude se réduit lorsqu’il agit pour le compte d’un mandant, surtout lorsque celui-ci est une institution et qu’il négocie au sein d’une équipe. Chaque partie à la négociation ayant plus ou moins de latitude pour arriver à un accord, il convient donc de considérer les cinq niveaux suivants : (a) particuliers négociant entre eux pour leur propre compte (C2C) ; (b) particuliers négociant leurs offres avec une institution (C2B) ; (c) institution négociant ses offres avec des particuliers (B2C). Les deux derniers niveaux représentent les négociations qui peuvent intervenir entre des entreprises (B2B). Cependant, il convient de faire une différence selon que les institutions sont représentées (d) par des individus (acheteur et vendeur individuels mandatés) ou (e) par des équipes de négociation mandatées.

17La troisième dimension de la classification, le niveau et l’importance des risques personnels et organisationnels encourus par les parties impliquées (en termes de coûts, d’horizon temporel, de la complexité et/ou de la technicité des produits et/ou des services, etc.) Généralement, toutes les parties impliquées ne supportent pas le même niveau de risque. Dans ce cas, deux niveaux ont été choisis : (a) les risques sont perçus comme étant limités pour les deux parties ; et (b) les risques sont perçus comme étant élevés pour au moins l’une des parties. D’un point de vue opérationnel, il est donc nécessaire d’interroger les parties pour estimer ce qu’elles-mêmes considèrent comme un risque faible ou élevé, ou bien d’inférer les niveaux de risque en observant leurs comportements et les contextes dans lesquels elles évoluent.

18Ces caractéristiques permettent de bâtir la typologie à dix catégories de la figure 2.

Figure 2

Typologie des négociations commerciales

Figure 2

Typologie des négociations commerciales

191. Les marchandages et les transactions à faible implication. Cette catégorie regroupe toutes les transactions de marchandages qui ont lieu entre particuliers lorsque l’objet de la transaction est de faible valeur et/ou peu impliquant pour les parties concernées. Ce sont par exemple les marchandages auxquels se livrent souvent des touristes dans certains pays d’Asie ou du Moyen-Orient lors de transactions portant sur des souvenirs de faible valeur. Ce type de négociation-marchandage n’impliquant pas de risque majeur pour aucune des deux parties a souvent un côté plus ludique qu’économique. Il fait pourtant ressortir les qualités de négociateurs des parties impliquées.

202. Les transactions à forte implication. Contrairement aux négociations de la catégorie précédente, ces négociations entre particuliers représentent des risques souvent très importants pour une, voire pour les deux parties. Ce sont par exemple les transactions connues dans la littérature sous le vocable de « market-for-lemons » (Akerlof, 1970), comme par exemple les transactions immobilières ou l’achat/vente de véhicules d’occasion entre particuliers. Lorsqu’elle existe, la confiance réciproque des parties est un facilitateur dans ce type de négociation. Ces transactions nécessitent au moins une certaine expertise dans le domaine de l’objet de la transaction de la part des négociateurs, sous peine d’engendrer stress et éventuellement insatisfaction de l’une des parties.

213. Les négociations de contrats de services courants. Dans ces cas, c’est l’entreprise qui tient le rôle d’acheteur potentiel et le particulier celui du fournisseur. Ce sont par exemple les négociations qu’un particulier peut avoir avec une institution dans le cas d’une offre de services n’impliquant que peu de risques pour les parties impliquées, par exemple des services d’entretien ou de gardiennage ou de travaux à la pige (traductions, communications, etc.). On peut y inclure aussi les négociations salariales d’un employé avec son employeur. Ces négociations sont souvent caractérisées par la prédominance de l’entreprise acheteuse qui a un pouvoir de négociation généralement bien supérieur à celui du pourvoyeur de services.

224. Les négociations de contrats de services impliquants. Plus complexes sont les négociations qui interviennent entre un particulier offrant ses services à une entreprise potentiellement acheteuse dans un contexte impliquant pour celle-ci. Un tel contexte se caractérise par d’importants risques financiers, personnels et/ou sociaux encourus dans l’entreprise acheteuse, dans le cas où elle n’obtiendrait pas pleine satisfaction des produits et des services fournis. C’est par exemple le cas d’une entreprise négociant un contrat de service avec un conseiller en gestion, ou un conseiller juridique ou fiscal. De telles transactions impliquent fortement l’entreprise en raison des risques de conseils peu judicieux de la part des conseillers. Par rapport au cas précédent, le particulier peut avoir un poids bien plus important du fait qu’il possède souvent une expertise que l’entreprise n’est pas sûre de trouver ailleurs.

235. Les négociations B-to-C courantes. Ces négociations couvrent celles qu’une institution peut avoir avec un particulier au sujet d’offres de produits ou de services n’impliquant que peu de risques pour les parties. De telles situations se rencontrent lorsqu’une entreprise, par exemple de nettoyage ou de gardiennage, négocie ses services avec un particulier. Il est des cas où certains clients négocient avec un hôtelier le prix des nuitées. Bien que plus rares dans les économies occidentales, de telles situations se rencontrent plus souvent dans le commerce de détail de certains pays, par exemple pour l’achat de denrées de consommation courante, lorsqu’il est coutume pour le client de négocier les prix. Ces situations sont assez sensibles au contexte (concurrence, conditions économiques, etc.).

246. Les négociations B-to-C à forte implication. Ces négociations couvrent celles qu’un particulier peut avoir avec une institution au sujet d’offres de produits ou de services impliquant des risques financiers, psychologiques ou sociaux importants pour au moins l’une des parties, dans le cas présent pour le particulier négociant avec l’entreprise. De telles situations se rencontrent par exemple lorsqu’un particulier négocie l’achat d’une automobile neuve chez un concessionnaire, lorsqu’il est coutume de négocier les prix, les conditions de reprise du véhicule d’occasion ou les conditions de paiement. Il en est de même pour les négociations chez un marchand de meubles ou un cuisiniste. Ces situations sont généralement très sensibles au contexte (concurrence, conditions économiques, expertise du vendeur, etc.).

25Les quatre dernières catégories de négociation sont toutes des situations courantes en B-to-B. Ce sont :

267. Les négociations transactionnelles. Dans ces cas, la négociation a pour objectif d’aboutir à un accord précis et limité dans le temps. Ce sont généralement des négociations qui sont menées entre acheteur et vendeur, chacun pour le compte de son entreprise. Les risques et/ou l’importance de la transaction sont relativement faibles. Il peut s’agir de contrats de fourniture de produits ou de services nouveaux pour l’entreprise, mais d’importance limitée pour elle, par exemple, des produits standardisés de relativement faible valeur. Ce sont aussi des situations de commandes routinières dans lesquelles l’entreprise acheteuse a déjà trouvé une solution satisfaisante, et pour lesquelles les points qui restent à négocier sont très limités. Ce peut être également des situations de ré-achats modifiés, dans lesquelles une entreprise recherche de meilleures solutions parce que ses besoins ont changé, ou parce qu’elle a identifié de nouveaux fournisseurs possibles. Dans ces cas, le commercial et l’acheteur jouent un rôle capital dans l’aboutissement de la négociation.

278. Les négociations relationnelles. De telles négociations portent sur des transactions importantes par rapport à celles de la catégorie précédente. Ce sont par exemple des négociations où les parties ressentent le besoin d’établir des relations durables entre elles pour des raisons de diminution des risques ou de leurs coûts de transaction. Elles portent par exemple sur des contrats d’approvisionnement en matières premières ou des contrats de sous-traitance. Les acheteurs sont en général des comptes-clés pour le vendeur, et le vendeur un fournisseur privilégié pour le client. Récemment, le management de tels comptes a pris une importance accrue, pour les fournisseurs en particulier (Arnett, Macy et Wilcox, 2005). Il est important pour le fournisseur de développer des relations pérennes et des liens particuliers avec ces comptes-clés, de même qu’un client peut souhaiter s’assurer de sources d’approvisionnement auprès de fournisseurs privilégiés. Les négociations avec les comptes-clés nécessitent souvent des fonctions transversales et requièrent des négociateurs commerciaux au profil complexe. De leur côté, les acheteurs opérant dans de telles situations deviennent aussi de plus en plus compétents pour expliquer leurs besoins, comprendre les attentes et répondre aux interrogations des fournisseurs.

289. Les négociations transversales. Ces négociations sont complexes car elles font intervenir les différentes fonctions de l’entreprise (marketing, production, finance, logistique, etc.) Elles sont donc réalisées par des équipes de négociation, tant du côté de l’acheteur que du fournisseur sous les coordinations respectives d’un acheteur et d’un commercial. Ce sont des transactions qui portent par exemple sur la vente ou l’acquisition d’équipements standards d’une certaine valeur. En situation de nouvel achat, l’équipe des acheteurs tente de réduire son déficit d’informations en explicitant ses besoins et ses problèmes (une entreprise négocie l’acquisition d’« assurances » et de « garanties », plutôt que de produits) recherchant généralement auprès de plusieurs fournisseurs des solutions réduisant ses risques (réels ou perçus) et choisissant le fournisseur jugé le plus apte à offrir le meilleur rapport qualité-prix.

2910. Les négociations de partenariats. Souvent, les entreprises ont un intérêt réciproque à établir des relations de partenariat durable. Dans ce cas, elles peuvent négocier des contrats de coopération à long terme dans des domaines plus ou moins étendus. Les avantages de relations pérennes pour les entreprises acheteuses sont de pouvoir s’assurer de sources sûres d’approvisionnement et des technologies de pointe, de bénéficier des améliorations de qualité et des processus ou encore de bénéficier constamment des réductions de coûts (par exemple, de livraisons JAT, etc.). Pour les fournisseurs, les avantages de relations pérennes peuvent être par exemple d’accélérer la rotation des stocks sans réduire le volume des ventes, ou d’améliorer les retours sur investissement malgré la réduction de leurs marges causée par des prix relativement réduits qu’ils doivent consentir.

Utilité de la typologie

30On peut évaluer la qualité d’une classification sur la base de cinq grands critères (Hunt 1983). Ce sont les mesures dans lesquelles la typologie définit précisément (1) les éléments à classer, (2) les caractéristiques sur lesquelles reposent les définitions de chaque catégorie, (3) des catégories mutuellement exclusives (c’est-à-dire qu’aucun élément ne peut tomber dans plus d’une catégorie), (4) et collectivement exhaustives (c’est-à-dire que chaque élément trouve sa place dans une catégorie) et (5) la classification est utile.

31La classification proposée répond pleinement à tous ces critères. Elle repose en effet sur une définition conceptuelle détaillée. Elle définit des critères précis de classification et repose sur une méthode qui garantit la définition de catégories mutuellement exclusives et collectivement exhaustives. Finalement, en groupant les situations de négociations commerciales en ensembles relativement homogènes, cette classification devrait permettre de développer des connaissances particulières à chaque ensemble qui devraient être utiles aux chercheurs comme aux praticiens de la négociation commerciale. Pour ces derniers (particuliers et entreprises), savoir reconnaître le type de situation de négociation commerciale à laquelle ils sont confrontés est un premier pas vers une plus grande efficacité. Tout négociateur est confronté la plupart du temps non pas à un, mais à plusieurs types de situation de négociation. Il doit pouvoir donc les reconnaître et savoir gérer chacune d’elle en appliquant les connaissances qui s’y rattachent. Tout en tenant compte de ses contraintes, il peut, le cas échéant, changer une situation en un autre type de négociation qui lui est plus favorable ou qui peut permettre d’arriver à une entente. Par exemple, en situation de négociation relationnelle caractérisée par un engagement à long terme des parties (et donc un fort risque de perte de liberté), un des négociateurs peut préférer faire évoluer la situation vers une négociation transactionnelle plus ponctuelle si les risques perçus par l’autre partie peuvent bloquer définitivement un accord par ailleurs profitable.

32En ce qui concerne les chercheurs, plusieurs auteurs ont remarqué la quasi-inexistence des recherches portant sur la négociation commerciale (voir par exemple Barth et Bobot 2009). Cette absence peut s’expliquer par la grande variété et par la complexité des situations à étudier. Pour les recherches portant sur les négociations commerciales, cette typologie a le mérite de couvrir l’ensemble des situations couramment rencontrées en pratique. Elle pourrait aussi permettre aux chercheurs de concentrer leurs investigations sur des catégories de situations homogènes. Comme c’est souvent (et malheureusement) le cas dans les recherches en management, l’utilisation d’échantillons hétérogènes masque souvent des relations qui n’existent seulement que pour certaines catégories de cas homogènes. Cela pourrait bien expliquer les conclusions inconsistantes que l’on observe souvent dans bien des domaines d’investigation.

Conclusions

33En résumé, cet article a délimité le champ de la négociation commerciale en en proposant une définition précise qui permet de la différencier du concept voisin de transaction commerciale. Il existe en fait une vaste panoplie de types de négociations commerciales, qui dépasse celles qui ont lieu entre entreprises (B-to-B) puisqu’elles vont des simples marchandages entre particuliers jusqu’aux partenariats entre groupes industriels internationaux, d’où la nécessité d’en établir des typologies. De telles classifications devaient permettre de mieux analyser les évolutions passées et anticiper les évolutions futures des négociations, car chaque catégorie de négociations commerciales évolue de façon propre. Comme on peut l’observer actuellement, chacune évolue sous la pression des changements profonds qui se produisent dans l’environnement (1) des marchés (mondialisation des échanges, crises économiques, développements technologiques accélérés, etc.), (2) des entreprises soumises à des incertitudes accrues (disparitions/fusions/acquisitions, délocalisations, plans sociaux, etc.). Dans de telles conditions d’instabilité, les entreprises recherchent naturellement la stabilité en exploitant les informations en temps réel (CRM, veille concurrentielle et commerciale), en adoptant une orientation clients pour les fidéliser, en contrôlant leurs coûts, et en cherchant à accroître leur efficience.

34Sur le plan commercial, ces évolutions se traduisent en B-to-B par une professionnalisation accrue des négociateurs et par l’utilisation des négociations en face-à-face entre équipes multifonctions, ce qui explique l’importance actuellement accrue des catégories 9 et 10 de la typologie proposée, au détriment des autres catégories. L’analyse comparée de l’évolution des besoins dans chaque catégorie doit permettre d’anticiper des évolutions à venir.

35Notons enfin que l’on pourrait définir d’autres typologies que celle proposée dans cet article en utilisant des caractéristiques différentes. On pourrait aussi raffiner la présente typologie en y ajoutant d’autres critères ou davantage de niveaux pour certains critères. On peut imaginer que les chercheurs se penchant sur une certaine catégorie de situations éprouvent la nécessité de bâtir une classification propre à cette catégorie. La classification proposée n’est qu’un premier pas vers une étude plus systématique des négociations commerciales.

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 01/06/2011.

https://doi.org/10.3917/neg.015.0033

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