Couverture de MIGRA_176

Article de revue

Refuser un « déjeuner sur l’herbe » le premier jour du ramadan

Un micro-évènement comme analyseur de la voix sans parole des élèves dits allophones

Pages 111 à 127

Notes

  • [1]
    GOUGEON, Jacques-Pierre, circulaire académique du recteur de l’Académie de Strasbourg, 26 novembre 2013.
  • [2]
    La circulaire n° 2012-141 du 2 octobre 2012 de l’Éducation nationale emploie le sigle eana, à savoir Élèves allophones nouvellement arrivés. Pour plus d’éléments analytiques sur le sujet, voir : Armagnague-Roucher, Maïtena ; TERSIGNI, Simona “L’émergence de l’allophonie comme construction d’une politique éducative”, Émulations, n° 29, 2019, pp. 75-92.
  • [3]
    Cet article prend appui sur une ethnographie qui s’est déroulée durant la première année de l’enquête Evascol (2015-2018), à partir des dispositifs UPE2A de quatre établissements scolaires (primaire et collège) de l’Eurométropole strasbourgeoise, dont notamment un collège situé dans la périphérie nord de la ville et classé réseau d’éducation prioritaire. J’ai réalisé trente-sept entretiens auprès des enseignants des dispositifs, des équipes de direction, de la vie scolaire, des psychologues de l’Éducation nationale, des personnels des centres de documentation et d’information (cdi), des infirmières et assistantes sociales, de quelques cadres de l’Éducation nationale à l’échelle académique et départementale ainsi que du Centre d’information et d’orientation (cio). Recueillis en collaboration avec Lorenzo Navone durant la deuxième année, ces matériaux ont été complétés par des observations et des entretiens menés auprès d’acteurs associatifs (médiation culturelle, centres socio-culturels, centres d’accueil pour demandeurs d’asile) et d’acteurs syndicaux liés à l’enseignement, mais également avec huit élèves insérés dans une UPE2A ou l’ayant fréquentée durant l’année qui a précédé l’entretien. Les observations de ce dispositif ont été réalisées en classe (une demi-journée en moyenne par semaine pendant les second et troisième trimestres de l’année scolaire 2015-2016), dans la cour de récréation, à la cantine, lors des spectacles organisés à l’intérieur des établissements, pendant la semaine « école ouverte » au printemps 2016, ainsi que lors des sorties scolaires. Voir : Armagnague-Roucher, Maïtena ; COSSÉE, Claire ; MENDONÇA DIAS, Catherine ; Rigoni, Isabelle ; TERSIGNI, Simona (sous la direction de), Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV), Paris : Défenseur des droits, 2018, 426 p.
  • [4]
    L’opuscule Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères date de 1835, tandis que Pérégrinations d’une paria est paru la première fois en 1837. Caractérisée par une pensée critique dans laquelle les luttes individuelles rejoignent celles de son époque, cette philosophe et militante a su associer dans sa réflexion « individu et classe, religion et science, utopie et fatalité historique, vie privée et action publique, nation et fraternité universelle » bien avant la consolidation contemporaine de ces enchevêtrements, comme le remarque CARVALLO, Fernando, in : “Flora Tristan : exil et pérégrinations”, Hermès La Revue, vol. 1, n° 10, 1992, pp. 245-249. Son œuvre demeure inspirante pour analyser les pratiques, les pièges et les enjeux inhérents à l’hospitalité et à la double connotation du mot hôte en français, y compris quand ce terme se réfère à la fois aux enseignants et aux élèves étrangers.
  • [5]
    Dans le sens polysémique analysé par Bourrier, Mathilde, “Embarquements”, Socio-anthropologie, n° 27, 2013, pp. 21-34.
  • [6]
    Expression empruntée à Henri Lefèbvre en lien avec la notion de subversion conçue ici en tant que façon d’exister autrement. Voir : RAULIN, Anne, “La vie quotidienne, entre colonisation et émancipation”, L’Homme et la société, vol. 3-4, n° 185-186, 2012, pp. 19-32.
  • [7]
    Quelques collégiennes évoqueront la grève de la faim au cours de nos conversations informelles.
  • [8]
    Je remercie Chantal Crenn, Nicoletta Diasio, Élise Palomares et Anne Raulin, mais également Maïtena Armagnague et Isabelle Rigoni pour leurs conseils avisés et relectures qui m’ont conduite à mieux situer le micro-évènement qui est au cœur de ce texte en lien avec les suspensions opérées par les élèves « allophones », dans le sillage de la tradition inaugurée dans le cadre de la micro-histoire par GINZBURG, Carlo, in : “Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice”, Le Débat, vol. 6, n° 6, 1980, pp. 3-44.
  • [9]
    Tersigni, Simona, “Grandir au prisme de l’ethnicisation en France et en Italie”, Revue des sciences sociales, n° 51, 2014, pp. 92-101.
  • [10]
    Goetschel, Pascale ; GRANGER, Christophe, “Faire l’événement, un enjeu des sociétés contemporaines”, Sociétés & représentations, n° 32, décembre 2011, pp. 9-23 (voir p. 19).
  • [11]
    Ibidem (voir p. 10).
  • [12]
    Mais finalement fréquent pour les élèves descendants de migrants, voir : LEJEUNE, Marie ; TERSIGNI, Simona, “L’enseignement public comme espace de revendication individuelle et collective en France : l’autochtonie par l’islam”, Journal des anthropologues, vol. 1, n° 100-101, 2005, pp. 49-73.
  • [13]
    RAULIN, Anne, “La vie quotidienne, entre colonisation et émancipation”, art. cité.
  • [14]
    ALMAN, Damien ; ZORTEA, Julia, “Le corps comme événement. Entretien avec Arlette Farge”, Article 11, n° 8, février 2011, pp. 1-4.
  • [15]
    302. Voir Thomas, William Isaac, The Unadjusted Girl, Boston: Little, Brown and Company, 1923, 261 p. ; Thomas, William Isaac Thomas ; Thomas, Dorothy Swaine, The Child in America, New York: Knopf, 1938 (1ère éd. 1928), pp. 571-572 ; ainsi que Waller, Willard, The Sociology of Teaching, New York: J. Wiley & Sons, 1932, 391 p.
  • [16]
    FARGE, Arlette, “Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux”, Terrain, n° 38, 2002, pp. 69-78.
  • [17]
    RAULIN, Anne, “Minorités urbaines : des mutations conceptuelles en anthropologie”, Revue européenne des migrations internationales, vol. 25, n° 3, 2009, pp. 33-51.
  • [18]
    Armagnague-Roucher, Maïtena ; CossÉe, Claire ; Mendonça DIAS, Catherine ; Rigoni, Isabelle ; Tersigni, Simona (sous la direction de), Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV), op. cit. (voir p. 36).
  • [19]
    FARGE, Arlette, “Histoire, événement, parole” [En ligne], Socio-anthropologie, n° 2, 1997, http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/2 ; FARGE, Arlette, “Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux”, art. cité.
  • [20]
    307. Voir notamment SIMPSON, Brenda, “The Body as a Site of Contestation in School”, in: PROUT, Alan (ed.), The Body, Childhood and Society, London/New York: MacMillan St-Martin’s Press, 2000, pp. 60-78.
  • [21]
    Né de l’initiative personnelle de deux enseignants de français ayant antérieurement exercé à l’international ou susceptibles de reprendre une telle expérience dans des établissements français de prestige, au départ ce projet impliquait un récit de soi filmé que chaque élève concerné dans les deux établissements aurait dû produire. Finalement l’apport filmique du projet a dû se limiter à une préparation à l’échange entre les élèves sur le scénario de deux films en lien avec l’immigration et la jeunesse.
  • [22]
    Pour ne pas trop exposer les élèves d’UPE2A, les enseignants avaient fait en sorte qu’avant la rencontre de visu, les élèves de dispositif tout comme leurs correspondants regardent trois films récents en lien avec les migrations internationales et la jeunesse : Welcome, La cour de Babel, ainsi que Fatima. Un projet vidéo pour se raconter devant la caméra était également en cours.
  • [23]
    Ce collège ne disposait pas d’UPE2A.
  • [24]
    Source : http://lieudeurope.strasbourg.eu/lhistoire-du-lieu-deurope/.
  • [25]
    RABAUD, Aude, “Rapports sociaux de genre et utilisation des appellations ‘pères’, ‘mamans’, ‘grands’, et ‘jeunes filles’, dans un quartier d'habitat social”, VEI-Enjeux, n° 128, mars 2002, pp. 61-75.
  • [26]
    Dans ce conseil, ni les parents délégués ni les élèves délégués n’étaient présents.
  • [27]
    FARGE, Arlette, “La vie de l’Histoire jaillit de formes inattendues”, La Cause du désir, vol. 100, n° 3, 2018, pp. 199-210.
  • [28]
    BENSA, Alban ; FASSIN, Éric, “Les sciences sociales face à l'événement”, Terrain, n° 38, mars, 2002, pp. 5-20.
  • [29]
    FARGE, Arlette, “Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux”, art. cité.
  • [30]
    Ibidem.
  • [31]
    En raison de la chaleur, puisque à l’origine le ramadan était un mois d’été et il ne se déplaçait pas dans le temps, mais également en tant que mois de la révélation, de commémorations importantes pour l’islam et ensuite de maîtrise du corps, soumission des passions et d’utilisations politiques. Voir : GEORGEON, François, “Présentation”, in : ADELKHAH, Fariba ; GEORGEON, François (sous la direction de), Ramadan et politique, Paris : Éditions du CNRS, 2000, pp. 11-17.
  • [32]
    ADELKHAH, Fariba, “Conclusion”, in : ADELKHAH, Fariba ; GEORGEON, François (sous la direction de), Ramadan et politique, op. cit., pp. 147-150.
  • [33]
    En effet, en 2016, les élèves musulmans de cette UPE2A se heurtent au fait que la date du début du ramadan en France ne fait pas l’unanimité. Certainement en lien avec le problème ancien de l’autorité légitime en islam, une telle incertitude a pu avoir un impact sur les choix et pratiques individuels. Alors que le Conseil théologique musulman de France (ctmf) a fixé les dates du ramadan en 2016, la Grande mosquée de Paris a annoncé la tenue d'une « nuit du doute », « conformément à la tradition de l’islam », le dimanche 5 juin, une date très rapprochée de celle fixée pour la sortie scolaire.
  • [34]
    Goetschel, Pascale ; GRANGER, Christophe, “Faire l’événement, un enjeu des sociétés contemporaines”, art. cité.
  • [35]
    CRENN, Chantal, “Ce que les musulmans nous disent de la campagne girondine”, Ethnologie française, vol. 168, n° 4, 2017, pp. 693-702.
  • [36]
    Tersigni, Simona, “Dissimulés, exposés, mis en danger : les corps pieux de l’engagement”, Le sujet dans la cité, vol. 1, n° 1, 2012, pp. 144-161.
  • [37]
    Cette recherche relève du programme Alterecole portant sur la ségrégation scolaire et sur la construction de l’altérité dans et par l’école (2016-2019), dirigé par Claire Schiff, Joëlle Perroton et Isabelle Rigoni, avec un financement de la Région Nouvelle-Aquitaine.
  • [38]
    Voir BASTIDE, Roger, “Évènement, sociologie” [En ligne], Encyclopedia Universalis, https://www.universalis.fr/encyclopedie/evenement-sociologie/.
  • [39]
    Dans cette publicité, l’acteur revient avec des nombreuses caisses de la bouteille désirée comme garantie d’une bonne convivialité. Vidéo disponible en ligne : https://www.youtu be.com/watch?reload=9&v=PDhyst6Kq4U.
  • [40]
    FARGE, Arlette, “Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux”, art. cité.
  • [41]
    Goetschel, Pascale ; GRANGER, Christophe, “Faire l’événement, un enjeu des sociétés contemporaines”, art. cité.
  • [42]
    Il y figurait des entretiens avec leurs correspondants d’UPE2A, une revue de presse sur les migrations internationales et l’exil de nos jours, la présentation des films visionnés dans le cadre du projet pédagogique, avec également la présentation d’un parcours institutionnel typifié d’élèves « allophones », et des slogans du genre : « il faut d’abord passer par le CIO », « une scolarité pour tous ».
  • [43]
    Avant que ces deux rencontres aient lieu, fin avril, un élève irakien avait fait remarquer à son enseignant que la lettre de son correspondant alsacien présentait de nombreuses fautes d’orthographe. L’enseignant avait rétorqué que les élèves de l’autre collège ne rencontraient pas pour autant les mêmes difficultés qu’eux.
  • [44]
    Lors d’échanges informels les élèves d’UPE2A m’ont dit avoir souligné dans ces messages synthétiques, comme dans un SMS, le plaisir de cette rencontre, le plaisir du dépaysement dans la commune viticole. Tout en ayant assisté à la préparation de ce cahier en toile à beurre, je n’ai pu cependant y accéder une fois qu’il a été approprié et investi par les élèves, puis repris par l’enseignant du dispositif.
  • [45]
    DUFOURMANTELLE, Anne, En cas d’amour. Psychopathologie de la vie amoureuse, Paris : Éd. Payot & Rivages, 2009, 201 p. (voir p. 50).
  • [46]
    La « tactique n’a pour lieu que celui de l’autre [...]. Elle n’a pas les moyens de se tenir en elle-même à distance, dans une position de retrait, de prévision, et de rassemblement de soi : elle est mouvement “à l’intérieur du champ de vision de l’ennemi” [...]. Elle n’a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l’adversaire dans un espace distinct, visible, et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des “occasions” et en dépend, sans base où stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des sorties. Ce qu’elle gagne ne se garde pas », CERTEAU, Michel de, L’invention du quotidien, tome I, arts de faire, Paris : Éd. Gallimard, 1980, pp. 82-94.
  • [47]
    Voir la présentation du colloque intitulé « L’évènement entre temps et récit », organisé par le laboratoire Sophiapol les 4 et 5 avril 2019 : https://sophiapol.parisnanterre.fr/l-evenement-entre-temps-et-histoire-902495.kjsp.
« C’est bien grâce à notre aptitude collective à questionner et faire évoluer nos pratiques que nous pourrons atteindre les objectifs fixés dans notre projet d’académie et surtout, que nous pourrons pleinement assurer notre vocation fondamentale d’insertion qui est au cœur de la noble mission que nous a confiée la Nation » [1]

1« Merci de lui faire bon accueil » : ce petit mot figurait dans de nombreux dossiers d’élèves d’UPE2A (Unité pédagogique pour les élèves allophones arrivants) [2] auxquels j’ai eu accès dans le cadre de la recherche Evascol [3], dans un collège que j’appellerai Jules Steeg, situé à proximité de Strasbourg et labellisé comme rep (Réseau d’éducation prioritaire). Vœu pieux, injonction ostensible d’orientation pédagogique, cette expression était en tout cas jointe à l’emploi du temps personnalisé des élèves « allophones ». Elle était adressée à l’équipe pédagogique par l’enseignant d’UPE2A en charge de la coordination des deux demi-dispositifs du collège liés à des « besoins éducatifs spécifiques » en Français langue de scolarisation (FLSco). Le recours au terme d’« accueil » pourrait évoquer au lecteur le souvenir des écrits de Flora Tristan [4]. Le référentiel de l’accueil se serait-il étendu des femmes étrangères aux enfants en situation de mobilité internationale ? En effet, l’altérisation par l’allophonie, catégorisation légitime au sein de l’Éducation nationale en France, ne peut tout de même contourner le référentiel relevant de l’accueil et de l’insertion. Or, celui-ci n’est jamais à l’abri de pratiques que les accueillis, en l’occurrence, des élèves dits allophones, sont susceptibles de percevoir comme écrasant, dès lors que, dans le cadre d’un projet pédagogique, l’on quitte momentanément l’établissement scolaire et que les apprentissages scolaires pour s’intérioriser ne sont plus strictement livresques ni entièrement rattachés aux programmes ministériels. Chargé en défis, affects et sentiments, ce temps court du refus d’un déjeuner commun sur l’herbe de la campagne alsacienne, m’a entièrement « embarquée » [5], parallèlement à ma propre temporalité personnelle, dans « l’entrée sur le champ des différences » [6] vécues par les élèves dits allophones. Ces derniers ont transformé l’ordre des choses, en l’occurrence un moment de partage planifié avec leurs correspondants d’une « classe ordinaire », dans le collège rural d’une commune marquée par sa production viticole. Ainsi, il s’agira de comprendre comment, par leur corps et notamment par une abstention ritualisée de boissons et de nourritures associée au ramadan, ils ont, à leur façon, produit de la distance matérielle et symbolique dans un espace instaurant formellement de la proximité entre des élèves de deux établissements, pour ce qui est du clivage entre la banlieue de Strasbourg et la ruralité alsacienne, mais aussi en raison du fait que l’établissement des élèves dits allophones est également labellisé comme rep.

2Dans cet article, je développerai le micro-évènement le plus parlant qui a éclaté lors d’une sortie scolaire d’élèves dits allophones dans un établissement scolaire d’une commune viticole, proche du parc naturel régional des Vosges, aux portes de la route alsacienne des vins. Leur refus de partager un pique-nique le premier jour du ramadan a en effet été précédé par différentes « complications » qui n’ont pas fait émerger une différenciation uniquement par l’islam [7]. D’ailleurs, les élèves d’UPE2A ne sont pas tous musulmans [8] et parmi les multiples interruptions dans les activités pédagogiques ou périscolaires que j’ai répertoriées avant le « déjeuner sur l’herbe » raté, l’on évoquera des formes de résistance par corps qui n’engagent aucunement le rapport à l’islam. Il s’agit par exemple de pleurs et de sanglots imposant une suspension durant l’atelier de photographie organisé dans le collège Jules Steeg pour tous les élèves durant la première semaine des vacances de printemps. J’ai également été marquée par les maux de ventre d’une élève albanaise l’empêchant, dans le cadre d’une précédente rencontre inter-établissements, de poursuivre la journée en présence des élèves de classe ordinaire d’un autre collège. L’on pourra en outre évoquer la non-participation au partage de nourriture dans un lieu symbolique de la citoyenneté européenne tel que les jardins du Lieu d’Europe dans lesquels se retrouvent ces élèves après la balade strasbourgeoise, lors de leur première sortie commune. Ce sont toutes ces petites complications et interruptions dont l’interprétation est certes malaisée, mais il n’en demeure pas moins que leur accumulation est significative et pose les jalons d’un refus, de contestations silencieuses faisant sens. Celles-ci, lors de la dernière sortie scolaire en milieu rural, prennent officiellement appui sur l’islam, comme si l’ensemble des collégiens étiquetés comme allophones avaient tous pris la responsabilité d’adhérer au jeûne rituel, ce qui s’inscrit par ailleurs parmi les multiples petits indicateurs construisant aujourd’hui la sortie de l’enfance [9].

3Justifié par le début du ramadan, le refus des « UPE2A » de partager un « déjeuner sur l’herbe » avec des élèves du collège qui les accueillait, deux enseignants et moi-même (avec la double casquette d’adulte accompagnatrice et de chercheuse), ne conduit pas à attribuer à cet infime événement une capacité à « travailler en profondeur les structures du corps social ». Cependant, il permet de « scruter sur un mode qui ne soit pas celui de l’adhésion décrétée, le fil sinueux qui relie les participantes à l’évènement » [10]. En effet, le micro-évènement qui a nourri la rédaction de cet article manifeste une dose de « dénonciation de la réalité sociale » [11] de la part d’élèves dits allophones et m’a conduite à m’interroger sur la façon dont ils négocient leur place dans l’école de la République. Cet évènement infime [12] suggère à l’institution scolaire que l’accueil d’élèves primo-arrivants passe par une pluralité d’expériences et de temporalités qu’ils vivent au quotidien, tout particulièrement au sein du dispositif UPE2A. Il n’est pas chose aisée de donner de l’intelligibilité à ce moment de minuscule subversion [13] de l’ordre scolaire durant une sortie à la campagne. Tout en essayant d’échapper aux procès d’intention et aux jugements de valeur à l’égard des enseignants et des élèves concernés, j’ai essayé de restituer à ce moment son caractère de « fragment de réalité fabriquant et fabriqué » [14]. Il se prête nécessairement à des écarts entre les prescriptions institutionnelles officielles, les pratiques enseignantes et celles des élèves. Leurs « logiques d’acteurs » renvoient à différentes définitions de la situation [15] allant de la dramatisation à l’euphémisation. Par une commune abstention ritualisée (par l’islam ou la simple théâtralisation), ces élèves ont voulu faire preuve d’un agir formellement commun, construisant un singulier pluriel qui entre en contradiction avec la catégorisation institutionnelle de l’« UPE2A ». Fondée sur l’« être allophone » et sur la nécessité de l’apprentissage du français scolaire par des élèves ayant connu une migration récente en France, une telle catégorisation présente un référentiel très éloigné de celui qui constitue l’objet de la demande des élèves dits allophones.

4À partir de la restitution du moment spectaculaire (la mise en crise d’un « déjeuner sur l’herbe » sous un soleil déjà estival), il importe de situer ce micro-évènement dans le cadre d’une pédagogie de projet prenant appui sur le principe de la rencontre (lettres, visites réciproques) entre des élèves de deux collèges alsaciens. Si « l’évènement ne contient en lui aucune neutralité » [16], c’est qu’il est pris dans des dynamiques d’affirmation d’« altérité minoritaire » [17] et dans des situations qui se prêtent à des lectures totalement contradictoires. Comment alors un micro-évènement m’a-t-il conduite à repenser les scènes et les coulisses du temps scolaire ordinaire, par ailleurs observées dans un cadre très contraignant du point de vue des autorisations [18] institutionnelles obtenues ? L’analyse des catégorisations scolaires agissantes doit alors s’ancrer dans une ethnographie tenant compte des écarts, des pas de côté, des mots retenus, des ébauches de gestes, bref, des petites transgressions [19], voire des résistances corporelles des élèves à l’école [20], jusqu’à restituer le sens ainsi que la réception initiale de cet incident minime. Quelles traces de frustration le refoulement de ce micro-désordre risque-t-il d’engendrer dans le corps social collectif, ou du moins dans les deux établissements scolaires concernés par le programme de rencontres ?

Lectures contradictoires du moment : de la pédagogie de projet à la potentialité de l’instant

5Dans le collège Jules Steeg, l’identification des élèves dits allophones s’oriente en direction d’une catégorisation collective émergeant d’un commentaire qui se réitère dans la fiche de présentation de la plupart de ces élèves. Leur situation matérielle est souvent présentée comme difficile, alors que dans le même dossier leur parcours scolaire est défini comme classique. L’objectif pédagogique initial de leur enseignant et de celui du collège rural consiste à favoriser la rencontre entre ces élèves par le biais d’une présentation initiale de soi rédigée et soignée [21]. En s’attelant à l’exercice de la rédaction d’une lettre, plusieurs élèves du dispositif ont essayé d’écarter ou de contourner toute référence à leur condition d’« allophone », sans pour autant évacuer l’expérience migratoire, ni leur vie antérieure. Pour les élèves arrivés de Syrie et d’Irak, tout comme pour ceux ayant quitté des pays géographiquement plus proches comme l’Albanie, l’Espagne ou l’Italie, chaque lettre a vocation à présenter leur parcours ainsi que leurs loisirs préférés. Certains d’entre eux se présentent même en tant qu’élèves d’une classe internationale, fréquentant un établissement scolaire d’une importante ville européenne [22].

La rencontre dans le jardin du Lieu d’Europe

6Cette tentative d’écarter tout stigmate scolaire associé de près ou de loin à l’allophonie n’a pas d’emblée disparu lors de la première rencontre de visu avec les élèves du collège hôte [23], en mai 2016. La journée a démarré par un accueil dans l’établissement Jules Steeg au cours duquel les élèves de ce programme ont réalisé le jeu des portraits chinois pour décliner les centres d’intérêt des uns et des autres. Après un court trajet en tramway, la rencontre s’est poursuivie par une balade reliant tous les principaux bâtiments des institutions européennes de Strasbourg. Par le jeu des portraits, puis durant la promenade à travers les différents bâtiments institutionnels, les élèves dits allophones ont timidement commencé à souligner la richesse due à la pluralité des nationalités composant leur propre groupe lors d’un début d’échange avec les collégiens de la commune rurale. En tant qu’adulte accompagnatrice d’un des sous-groupes d’adolescentes d’UPE2A, durant la balade ces collégiennes m’ont adressé plusieurs questions, dont une concernait la présence d’un groupe de militants kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (pkk) à proximité d’une des entrées du parc de l’Orangerie, en face du bâtiment du Conseil de l’Europe. Les drapeaux (avec une étoile rouge dans un cercle jaune entouré de vert sur un fond rouge) annonçaient que leur grève de la faim s’inscrivait dans la lutte en soutien à Abdullah Öcalan et du pkk.

7À l’inverse des collégiens de la banlieue strasbourgeoise, les élèves de la commune viticole ont très peu affiché leur éventuel passé migratoire, à l’exception d’une ou deux élèves, dont notamment une d’ascendance palestinienne, venue avec un kepphie noué autour du cou. Sollicités par leur enseignant, ces derniers ont apporté de nombreux mets à partager lors du repas en plein air, dans le jardin d’un des bâtiments rattachés aux institutions européennes : le Lieu d’Europe, un « lieu d’éducation à la citoyenneté européenne ouvert à tous » [24]. Étonné par le peu de nourriture apportée par les élèves dits allophones et par le fait qu’ils ne goûtaient pas la nourriture que leurs correspondants de la commune rurale auraient aimé partager, l’enseignant d’UPE2A m’a confié lors d’un entretien : « Une fois, lors d’une sortie, une maman avait fait des sandwichs pour tout le monde, mais des sandwichs à la façon afghane, c’était super ! Je ne leur avais pas demandé, ça venait vraiment d’elle ! ». Visiblement, la même attitude ne s’était pas répétée lors de cette rencontre près des institutions européennes, ce qui a mis cet enseignant dans une posture de déception mêlée de gêne : « Ce que j’aurais aimé c’est qu’on fasse plus un pas vers les autres. Ça m’a gêné par rapport aux élèves de la commune rurale qu’ils goûtent si peu ce qu’ilsavaient préparé. Je leur dirai, et puis peut-être que je comprendrai pourquoi, mais ils disaient qu’ils n’avaient pas faim. J’étais un peu gêné, oui, par rapport aux élèves de la commune rurale qui s’étaient tellement investis. C’est un manque de curiosité. Je ne m’attendais pas à ça. C’est difficile d’anticiper, je les ai aussi peu vus avant ».

8L’enseignant, pris par différentes tâches administratives les semaines précédant cette journée, regrette de ne pas avoir eu le temps de mieux préparer cette rencontre. Cependant, ce qui lui semble relever d’un manque de curiosité renvoie sans doute à un début de contestation d’un ordre scolaire prenant appui sur des temporalités et sur des pratiques prétendument universelles aux yeux des élèves dits allophones. Le jardin du Lieu d’Europe devient à partir de ce moment-là un lieu de fracture de l’obéissance, c’est-à-dire l’espace où la dissidence des élèves dits allophones défie l’autorité de leur enseignant dans un conflit qui, pour l’instant, demeure latent. Prévenus par une communication écrite en français émanant de l’enseignant d’UPE2A, les parents des élèves de ce dispositif (souvent illettrés, ou en tout cas pas nécessairement à l’aise avec cette forme de communication) ont, dès la première sortie, voulu minimiser, voire nier l’importance d’apporter des « mets de chez soi » à partager pour participer à cette rencontre inter-établissements. Sans pour autant vouloir définitivement épargner leurs mères migrantes d’une injonction — maintes fois constatée par les sociologues — à mettre en scène des compétences nourricières [25], ces élèves d’UPE2A ont en crescendo nourri une posture de non adhésion au scénario professoral de l’échange.

Prolonger la « mise au vert » : l’inattendu de la deuxième rencontre

9Le 7 juin 2016, dans le cadre de la seconde rencontre fixée entre les élèves des deux établissements alsaciens, les enseignants ont prévu une visite dans le collège rural. Plusieurs raisons ont motivé le choix de cette date, tenant à la fois au calendrier institutionnel et aux obligations des enseignants eux-mêmes. Après l’envoi des dossiers pour le Diplôme d'études en langue française (delf), le conseil d’UPE2A [26] et le conseil de classe, l’enseignant du collège Jules Steeg était relativement plus disponible même s’il était chargé de convertir les avis issus du brevet en chiffres (notes) à enregistrer dans un logiciel pour les élèves dits allophones en âge de passer au lycée. La date du 7 juin a également été décidée de manière à établir un décalage d’un mois environ avec la précédente rencontre scolaire à Strasbourg.

10Après un déplacement d’une petite heure depuis la banlieue strasbourgeoise (d’abord en tramway jusqu’à la gare routière, puis en car), les retrouvailles entre les élèves des deux établissements ont lieu sur un mode festif, mais néanmoins officiel. Le corps enseignant de l’établissement accueillant a rapidement fait référence à l’histoire, au fonctionnement et aux principales caractéristiques du lieu, en présence de différents enseignants de classe ordinaire et d’un nombre important d’élèves.

11Le collège visité dans le cadre du programme de rencontres scolaires accueille quelques élèves avec un passé migratoire récent ou ayant connu en bas âge une mobilité internationale, mais aucun élève dit allophone. Dans les couloirs de l’établissement comme dans la réunion de bienvenue, les élèves arrivés d’un collège rep de la banlieue strasbourgeoise sont repérés dans leur altérité, suscitant des regards curieux de la part des élèves du collège rural. Puis, à l’instar d’échanges scolaires internationaux entre des correspondants de deux pays différents, les « allophones » sont dissociés des activités ordinaires de leurs correspondants sur place. Pendant 1h30, une activité d’arts plastiques est organisée pour eux au Centre de documentation et d’information (cdi), en présence de leur enseignant et de l’enseignante-bibliothécaire qui donne de son temps pour ces élèves arrivés de Strasbourg. Entre-temps, les élèves du collège rural ont momentanément repris leurs activités scolaires ordinaires, avec l’objectif de se retrouver lors de la pause déjeuner, puis de passer l’après-midi ensemble. Somme toute, les actes un et deux de la matinée ont réuni les élèves pour ensuite les dissocier, en fonction d’un emploi du temps qui ne correspond pas aux mêmes ambitions pédagogiques. Se retrouvant entre eux en arts plastiques, les « UPE2A » ont réalisé des coloriages sophistiqués d’artistes et de scientifiques sur une inspiration de matrice « pop art » reprise des visages de Marilyn Monroe reproduits par Andy Warhol. Aucune référence en histoire de l’art n’a été proposée par l’enseignante du collège rural, mais un savoir technique « pour ne pas dépasser les limites, les bords » s’est construit dans la bonne humeur. Initialement, une partie des élèves d’UPE2A, n’ayant pas bien compris les consignes, pensent pouvoir utiliser la feuille de brouillon pour reproduire à leur façon le portrait imprimé, pour ensuite effectuer le coloriage, tout en négociant de pouvoir modifier légèrement la consigne, en écrivant dans leurs langues (primaires ou de scolarisation initiale) des petites phrases à l’intérieur des portraits, des tatouages faciaux en quelque sorte.

12Les collégiens de Strasbourg, en présence de leur enseignant, réalisent une activité manuelle, pendant que leurs pairs suivent le cours habituel de leurs enseignements. Les uns reçoivent des consignes en français pour réaliser des portraits de personnes célèbres dont ils ont pu choisir le genre (homme ou femme) et la vocation professionnelle (scientifique ou artiste), les autres n’ont pas vécu de perturbations importantes dans leurs apprentissages. Familiarisés par leur enseignant de français aux catégorisations institutionnelles relatives aux élèves dits allophones, les élèves de la classe du collège rural sont censés présenter ces définitions institutionnelles aux élèves arrivés de la banlieue strasbourgeoise, durant la séance de travail commun de l’après-midi. Or, quelque chose va se passer durant la pause déjeuner. L’« intelligence de la stupeur » [27] suscitée par le micro-évènement qui va avoir lieu, se place au-delà de la capacité discursive des « allophones », questionnant la reductio ad UPE2A qui pèse sur eux.

Scénario de crise et affirmation de différenciation 

13Si l’évènement est imprévisible [28], il importe de souligner que « dans une très large mesure le statut de l’évènement existe […] avant qu’il se produise factuellement. Dans l’évènement annoncé, le présent qui se déroule sous les yeux des individus est subordonné au futur » [29]. Pourtant, « pour qu’il [l’évènement] ait lieu, il faut des alchimies particulières » [30], rappelle l’historienne Arlette Farge. La revendication d’un agir commun associé au ramadan deviendra le lien qui, en alternative à l’assignation d’allophonie, traverse la réalité d’une hétérogénéité d’âges, de cultures, de nationalités et de milieux sociaux d’appartenance pour ces élèves étrangers du collège Jules Steeg. La contestation sans voix mais réelle inhérente à ce micro-évènement questionne le choix d’une demande de reconnaissance silencieuse par l’adhésion au ramadan, mois du calendrier musulman dont le nom renvoie au fait d’« être brûlant » [31], matériellement (au sens des températures estivales qui mettent le corps à l’épreuve), mais également symboliquement (sur le plan politique et infra-politique). En effet, le ramadan a été appréhendé au cours de l’histoire en tant que « rituel de changement social, d’innovation culturelle [...voire] de mobilisations politiques », de « négociation entre la sphère publique et privée » ainsi que de « différenciation du monde musulman au sein du temps mondial » [32].

L’acte trois de la journée : quand le micro-évènement éclate

14La pause méridienne du 7 juin 2016 marque une suspension dans l’adhésion des élèves dits allophones à l’organisation d’une visite scolaire dans le monde rural. Après une balade dans les champs situés entre l’établissement scolaire et un vieux moulin, il était prévu que le groupe composé des élèves de l’UPE2A, de leurs correspondants du collège rural, des deux enseignants et moi-même fasse une pause. Les enseignants trouvant un espace vert pour s’asseoir, proposent un « déjeuner sur l’herbe » pour partager, comme prévu, un repas tiré du sac. Soudainement, les élèves des deux collèges se séparent en deux groupes, alors qu’ils ont bien échangé jusque-là, pendant la balade. En tant que musulmans et/ou internationaux, les élèves du dispositif déclarent qu’étant en période de ramadan, il ne leur reste qu’à s’installer sous un arbre pour pouvoir bénéficier de son ombre, faute de ne pas pouvoir boire, ni manger.

15Étonnés, les correspondants du collège rural finissent par se regrouper à quinze mètres des élèves dits allophones pour partager les mets qu’ils ont apportés en vue du pique-nique, tandis que les deux enseignants sont sincèrement navrés. Ce repas avait été préparé et présenté aux élèves en amont. Ces derniers connaissaient depuis plusieurs semaines, bien qu’approximativement [33], les dates du ramadan. Tout le travail mené en amont entre ces élèves, toute la préparation et les négociations pour les autorisations et les subventions nécessaires auprès de leur hiérarchie semblent annulées par le fait d’avoir ignoré cette conjoncture religieuse. Il n’en reste pas moins que les enseignants ne sont pas au courant du fait que la veille au soir, le 6 juin 2016, le ramadan a commencé. Aucune information à ce sujet ne leur est parvenue au préalable de la part des élèves dits allophones, ni du personnel de leurs établissements respectifs. Néanmoins, dans leurs conversations, durant le trajet en tramway entre le collège et la gare routière, avant de monter dans le bus régional en direction de la commune viticole, certains des élèves du collège de la banlieue strasbourgeoise ont parlé entre eux du ramadan et de la privation qu’il implique, dès la puberté. Ils ont également fait référence aux relations entre filles et garçons de leur âge, à l’intérêt de cette rencontre scolaire et aux difficultés que cela peut représenter et, enfin, à la peur de l’image que les collégiens résidant près du parc des Vosges pourraient avoir d’eux. Même les élèves qui ont systématiquement évité de parler d’islam dans les apartés que j’ai tenté d’avoir avec eux durant les heures d’observation en dispositif UPE2A, ne serait-ce qu’au détour d’une phrase ou d’une question de ma part sur une marque corporelle (par exemple un tatouage au henné sur la main, susceptible d’être associé à une situation rituelle), revendiquent à ce moment-là un affichage de leur respect d’une norme islamique partagée. Au fond, l’interdit professoral consistant à ne pas trop entrer dans l’intimité des élèves, se retrouve éclaté par une demande implicite de reconnaissance en altérité religieuse, dans un paysage rural marqué par des clochers, des vieilles croix de carrefour en bois sculpté et entouré par des collines largement couvertes de vignobles.

16Dans les échanges qui ont suivi avec les enseignants, les élèves d’UPE2A reprochent collectivement aux deux enseignants de ne pas avoir tenu compte de leur propre calendrier religieux, de leur temporalité musulmane, de ne pas être reconnus dans une de leurs dimensions structurantes, en l’occurrence celle de la religion. Ces élèves savent que les enseignants n’ont pas le droit de leur poser de questions directes sur leurs croyances religieuses. Par ailleurs, quelques élèves dont les familles ne se considèrent pas comme musulmanes font référence à la grève de la faim des Kurdes devant le Conseil de l’Europe comme modèle de conduite en situation de conflit, en légitimant ainsi leur adhésion formelle au ramadan. Ce dernier permet de légitimer collectivement des refus antérieurs qui, tout en prenant appui sur le corps (maux de ventre, pleurs, évitement de commensalité) ont pu être lus de manière strictement individuelle. Or, ce nouveau refus de commensalité, par son socle officiellement musulman, compromet sérieusement la possibilité de profiter d’une journée d’échanges dans ce collège d’une commune rurale puisqu’il touche définitivement (mais seulement en termes d’affichage) à un collectif.

17Si ce micro-évènement « opère à la façon d’un infusoire [… en actualisant] des dispositions qui le précèdent » [34], peut-on oser un lien entre l’arrière-plan viticole champêtre (comme signe de convivialité) de la scène du « déjeuner sur l’herbe » et son « échec » pour les enseignants ? À l’instar de jeunes musulmans observés dans un autre contexte rural, à Sainte-Foy La Grande [35], un en-commun minoritaire marqué par l’islam, de nombreuses pratiques adolescentes d’opposition en milieu scolaire et viticole prennent appui sur un corps pieux musulman [36]. Peu importe que le rapport à l’école ou que la connaissance de l’islam et sa pratique quotidienne chez ces collégiens et leur famille soient hétérogènes, Chantal Crenn fait état dans une recherche ethnographique récente [37]du même constat : l’agir commun finit par s’associer à des fabrications ordinaires de pureté prenant appui sur l’islam pour construire une image positive de soi, pour se distinguer positivement et, à leurs yeux, sérieusement. Dans le micro-évènement du « déjeuner sur l’herbe » raté, les élèves dits allophones semblent tous dire que l’en-commun du dispositif n’est ni une détermination de l’être (allophone) des élèves qui en font partie, ni tout à fait une détermination de l’avoir (une ou des langues). Ils veulent mettre l’accent sur un agir commun qui ne se limite pas à l’ensemble de tâches à accomplir en tant qu’obligation qui lie tous les « allophones » engagés dans ces apprentissages. Ils soulignent implicitement que leurs vies sont traversées par des temporalités et des pratiques multiples, dont la religion fait partie.

« No Ramadan, No Party »

18Au moment du refus de partager des boissons et des mets communs, j’ai pensé que « quelque chose de nouveau » se passait, pour le dire avec les mots de Roger Bastide [38]. Comme dans d’autres évènements dans ma vie, je me suis rendue compte que j’associais ce que je vivais à un souvenir, à quelque chose de paradoxalement drôle. Ce qui est remarquable est que c’est parce que je me rends compte jusqu’à quel point le refus de commensalité affecte les enseignants et les élèves de classe ordinaire, que je me sens à l’interface des deux groupes. Un slogan publicitaire pour le mousseux de la marque Martini, diffusé par les médias italiens dans les années 2000, me vient soudainement à l’esprit : je tente de prendre du recul sur l’embarras que je ressens en partie dans cette situation. Or, cette modalité pourrait heurter des musulmans, j’en suis consciente, puisque le succès du slogan est largement dû au charme de l’acteur américain George Clooney jouant son propre rôle. Dans la publicité, une jolie femme élégamment habillée lui ouvre la porte de sa villa mais, comme il est arrivé à la fête les mains vides, la maîtresse de maison s’exclame : « No Martini, No Party ! » [39] et lui claque la porte au nez. C’est une ligne de partage qui s’impose : point de retour, la porte se ferme. Ce slogan résonne dans ma tête dans une circonstance singulière, même si, dans la réalité de la commune rurale alsacienne, c’est la pureté musulmane propre au ramadan qui est convoquée au lieu du vin pétillant de George Clooney. La non-prise en compte du ramadan (un rituel engageant le corps et l’âme simultanément), donc du collectif qui finit par en afficher la pratique, crée l’évènement. Pourquoi le ramadan devient-il la métaphore d’une demande de reconnaissance silencieuse ? Selon Arlette Farge, « Il n’y a pas d’évènement sans qu’un sens lui soit offert par la réception » [40]. Mais comment passer en toute légitimité de ma perception subjective au repérage des traces d’une construction collective s’étalant a minima dans le temps ? Les éléments du récit relatifs à la matinée et à la précédente rencontre organisée à Strasbourg doivent être mis en regard de la réception de toutes ces expériences dans les activités communes de l’après-midi, dans le bâtiment du collège rural.

19Par ce micro-évènement « viennent s’actualiser des répertoires d’action et toute une grammaire de symboles qui lui préexistent, mais aussi des croyances, des techniques sociales (de contestation, par exemple) et des manières d’agir, de penser, de sentir » [41]. Les élèves dits allophones, en raison de l’activité prévue pour eux durant la matinée, n’ont pu se défaire d’une étiquette associée à leur maîtrise limitée du français scolaire. D’ailleurs, concrètement, certains d’entre eux n’ont pas compris la consigne du coloriage au cdi. Distraction adolescente ou incompréhension linguistique concernant l’étiquette d’allophonie ? En tout cas, dans l’après-midi, une fois rentrés dans l’établissement, le dernier acte de la journée du 7 juin 2016 consiste en une présentation du journal du collège réalisé par les élèves du collège rural [42]. Aussi, les correspondants des deux établissements sont assis les uns à côté des autres, dans l’idée que les élèves français corrigent les lettres rédigées par ceux du dispositif [43]. À ces derniers, les enseignants ont demandé de restituer leur compréhension de la fonction du dispositif destiné aux élèves dits allophones, à partir de définitions institutionnelles que les « UPE2A », d’ailleurs, ignorent en grande partie. De fait, la tentative de retournement individuel du stigmate par les lettres écrites avant les rencontres sont réduites à des bribes et le cadre institutionnel avec ses catégorisations s’impose largement dans les restitutions des élèves du collège rural. Cependant, dans le cahier d’échange préparé par les élèves d’UPE2A avec leur enseignant, plusieurs messages [44] écrits à destination des correspondants sur les pages en toile à beurre ont profondément ému les collégiens de la commune viticole. Par ces messages aux correspondants qui suivent un agir commun fondé sur l’abstention (un synchrétisme entre le ramadan et la grève de la faim du pkk), ces élèves ont tenté d’opérer un glissement de la catégorisation institutionnelle « élèves allophones nouvellement arrivés » (eana) vers d’autres manières de s’exprimer impliquant une parole sans voix.

Vers une conclusion : échec et mat !

20Au mot « accueil » employé par le coordinateur des dispositifs UPE2A du collège Jules Steeg (puis opérationnalisé dans le cadre de la rencontre scolaire qui vient d’être analysée), la circulaire académique de 2013 préfère celui d’« insertion », déclinée en tant que « vocation fondamentale ». Qu’on le nomme accueil ou insertion, dans la vie ordinaire d’établissement, l’on voit agir un système d’identification scolaire qui s’accompagne de traces écrites construisant des catégorisations feuilletées autour de l’allophonie. Malgré le peu de mets apportés lors de la première rencontre par les élèves dits allophones, la petite révolte du mois de juin n’a pas été collectivement organisée (je n’en ai pas trouvé trace dans les échanges que j’ai eu ensuite avec les élèves). Ce scénario de crise est un évènement au sens où il s’est imposé soudainement, mais ensuite, pour le dire avec les mots d’Anne Dufourmantelle « la pensée naît précisément de ce heurt entre le réel et ce qui nous parvient » [45]. Par l’abstention de nourriture et de boissons, le corps de tous les élèves dits allophones a essayé de déplacer le regard sur ce groupe placé à l’ombre d’un saule pleureur. Ce groupe d’élèves demande à être regardé différemment, il tente de s’exprimer autrement que par la « sonorité d’autrui » inhérente à l’adjectif employé par l’Éducation nationale pour les désigner en tant qu’« allophones ». C’est par l’utopie de la pureté régénérante du ramadan que les élèves d’UPE2A (musulmans ou non) ont choisi de donner un sens collectif (mais formel) pour légitimer leur agir commun qui impose une suspension au sein d’une commensalité qu’ils jugent inadéquate, alors qu’elle est une évidence pour les enseignants français et pour les élèves de la commune viticole. Dans l’absolu, les élèves d’UPE2A auraient pu choisir d’autres sources de légitimité pour leur agir commun. Or, il est pour eux inconcevable que cette demande de reconnaissance d’un singulier pluriel — « regardez-nous à partir d’un agir commun » — se fasse sous prétexte d’un engagement écologique (qui traverse pourtant d’autres mouvements religieux), voire d’une adhésion à la violence aveugle propre au djihadisme. Le micro-évènement a laissé des traces dans la réception des élèves du collège rural, mais il prend aussi place dans un groupe d’« UPE2A » dont il pourrait inaugurer un espace de régénération, à condition que l’on écoute les voix silencieuses de ces micro-évènements. Cette demande implicite évoquant le fait de vouloir être regardés autrement ne se limite pas tout à fait à une tactique de dominés, caractérisée par le court terme selon Michel de Certeau [46]. Le refus de commensalité expose définitivement ces élèves d’une manière particulière. Ces élèves sociologiquement minoritaires sont soudainement perçus comme subversifs par les enseignants, les élèves de la classe ordinaire et en partie par moi-même, si l’on tient compte de mon embarras. En effet, cette posture de refus est jugée comme étant vexante, mais elle est pourtant susceptible d’avoir un impact dans la vie de ces élèves d’UPE2A, ne serait-ce que dans les possibles qu’elle ouvre dans la perception que les enseignants et les autres élèves auront d’eux.

21Parmi les débats théoriques [47] qui animent les sciences humaines et sociales autour de la notion d’évènement, une question m’interpelle tout particulièrement en relation avec cet article : est-il possible de réinscrire l’évènement dans l’ordre de la continuité historique, sans pour autant renoncer à la nouveauté qu’il incarne ? Si ce micro-évènement de la sortie scolaire dans une commune rurale ne présente pas une capacité à « travailler en profondeur les structures du corps social », il fait advenir quelque chose de l’ordre de l’inattendu, dans le sens de l’écartement du sentier dans ce « déjeuner sur l’herbe » raté, lequel n’a pu se dérouler comme prévu par les enseignants. Aujourd’hui, il interroge sur les manières de « faire partage » et s’adresse tout particulièrement aux enseignants en tant que représentants de l’Éducation nationale. C’est pour cela que j’ai essayé de montrer que c’est tout un processus de mise au pas, de différenciation (par des suspensions et un micro-évènement) de la part des élèves migrants eux-mêmes vis-à-vis de l’institution dont ils relèvent et des autres élèves de classe ordinaire. Dans cette démarche, l’échange de nourriture, en tant que forme de commensalité et d’en commun est « renversée » dans tous les sens du terme, c’est-à-dire comme une table de déjeuner que l’on renverse, voire même comme un rapport de force que les élèves dits allophones ont tenté de renverser. Échec et mat ! Les élèves d’UPE2A ont repris, l’espace d’un instant, la maîtrise de leurs corps, malgré ou en raison d’un contexte scolaire chargé en catégorisations épaisses à leur égard. Et peut-être cela est-il d’autant plus puissant que le cadre du « déjeuner sur l’herbe » est supposé enchanteur, champêtre, viticole…


Mots-clés éditeurs : élève, ramadan, classe d’accueil, catégorisation, Alsace, France

Date de mise en ligne : 14/06/2019.

https://doi.org/10.3917/migra.176.0111

Notes

  • [1]
    GOUGEON, Jacques-Pierre, circulaire académique du recteur de l’Académie de Strasbourg, 26 novembre 2013.
  • [2]
    La circulaire n° 2012-141 du 2 octobre 2012 de l’Éducation nationale emploie le sigle eana, à savoir Élèves allophones nouvellement arrivés. Pour plus d’éléments analytiques sur le sujet, voir : Armagnague-Roucher, Maïtena ; TERSIGNI, Simona “L’émergence de l’allophonie comme construction d’une politique éducative”, Émulations, n° 29, 2019, pp. 75-92.
  • [3]
    Cet article prend appui sur une ethnographie qui s’est déroulée durant la première année de l’enquête Evascol (2015-2018), à partir des dispositifs UPE2A de quatre établissements scolaires (primaire et collège) de l’Eurométropole strasbourgeoise, dont notamment un collège situé dans la périphérie nord de la ville et classé réseau d’éducation prioritaire. J’ai réalisé trente-sept entretiens auprès des enseignants des dispositifs, des équipes de direction, de la vie scolaire, des psychologues de l’Éducation nationale, des personnels des centres de documentation et d’information (cdi), des infirmières et assistantes sociales, de quelques cadres de l’Éducation nationale à l’échelle académique et départementale ainsi que du Centre d’information et d’orientation (cio). Recueillis en collaboration avec Lorenzo Navone durant la deuxième année, ces matériaux ont été complétés par des observations et des entretiens menés auprès d’acteurs associatifs (médiation culturelle, centres socio-culturels, centres d’accueil pour demandeurs d’asile) et d’acteurs syndicaux liés à l’enseignement, mais également avec huit élèves insérés dans une UPE2A ou l’ayant fréquentée durant l’année qui a précédé l’entretien. Les observations de ce dispositif ont été réalisées en classe (une demi-journée en moyenne par semaine pendant les second et troisième trimestres de l’année scolaire 2015-2016), dans la cour de récréation, à la cantine, lors des spectacles organisés à l’intérieur des établissements, pendant la semaine « école ouverte » au printemps 2016, ainsi que lors des sorties scolaires. Voir : Armagnague-Roucher, Maïtena ; COSSÉE, Claire ; MENDONÇA DIAS, Catherine ; Rigoni, Isabelle ; TERSIGNI, Simona (sous la direction de), Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV), Paris : Défenseur des droits, 2018, 426 p.
  • [4]
    L’opuscule Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères date de 1835, tandis que Pérégrinations d’une paria est paru la première fois en 1837. Caractérisée par une pensée critique dans laquelle les luttes individuelles rejoignent celles de son époque, cette philosophe et militante a su associer dans sa réflexion « individu et classe, religion et science, utopie et fatalité historique, vie privée et action publique, nation et fraternité universelle » bien avant la consolidation contemporaine de ces enchevêtrements, comme le remarque CARVALLO, Fernando, in : “Flora Tristan : exil et pérégrinations”, Hermès La Revue, vol. 1, n° 10, 1992, pp. 245-249. Son œuvre demeure inspirante pour analyser les pratiques, les pièges et les enjeux inhérents à l’hospitalité et à la double connotation du mot hôte en français, y compris quand ce terme se réfère à la fois aux enseignants et aux élèves étrangers.
  • [5]
    Dans le sens polysémique analysé par Bourrier, Mathilde, “Embarquements”, Socio-anthropologie, n° 27, 2013, pp. 21-34.
  • [6]
    Expression empruntée à Henri Lefèbvre en lien avec la notion de subversion conçue ici en tant que façon d’exister autrement. Voir : RAULIN, Anne, “La vie quotidienne, entre colonisation et émancipation”, L’Homme et la société, vol. 3-4, n° 185-186, 2012, pp. 19-32.
  • [7]
    Quelques collégiennes évoqueront la grève de la faim au cours de nos conversations informelles.
  • [8]
    Je remercie Chantal Crenn, Nicoletta Diasio, Élise Palomares et Anne Raulin, mais également Maïtena Armagnague et Isabelle Rigoni pour leurs conseils avisés et relectures qui m’ont conduite à mieux situer le micro-évènement qui est au cœur de ce texte en lien avec les suspensions opérées par les élèves « allophones », dans le sillage de la tradition inaugurée dans le cadre de la micro-histoire par GINZBURG, Carlo, in : “Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice”, Le Débat, vol. 6, n° 6, 1980, pp. 3-44.
  • [9]
    Tersigni, Simona, “Grandir au prisme de l’ethnicisation en France et en Italie”, Revue des sciences sociales, n° 51, 2014, pp. 92-101.
  • [10]
    Goetschel, Pascale ; GRANGER, Christophe, “Faire l’événement, un enjeu des sociétés contemporaines”, Sociétés & représentations, n° 32, décembre 2011, pp. 9-23 (voir p. 19).
  • [11]
    Ibidem (voir p. 10).
  • [12]
    Mais finalement fréquent pour les élèves descendants de migrants, voir : LEJEUNE, Marie ; TERSIGNI, Simona, “L’enseignement public comme espace de revendication individuelle et collective en France : l’autochtonie par l’islam”, Journal des anthropologues, vol. 1, n° 100-101, 2005, pp. 49-73.
  • [13]
    RAULIN, Anne, “La vie quotidienne, entre colonisation et émancipation”, art. cité.
  • [14]
    ALMAN, Damien ; ZORTEA, Julia, “Le corps comme événement. Entretien avec Arlette Farge”, Article 11, n° 8, février 2011, pp. 1-4.
  • [15]
    302. Voir Thomas, William Isaac, The Unadjusted Girl, Boston: Little, Brown and Company, 1923, 261 p. ; Thomas, William Isaac Thomas ; Thomas, Dorothy Swaine, The Child in America, New York: Knopf, 1938 (1ère éd. 1928), pp. 571-572 ; ainsi que Waller, Willard, The Sociology of Teaching, New York: J. Wiley & Sons, 1932, 391 p.
  • [16]
    FARGE, Arlette, “Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux”, Terrain, n° 38, 2002, pp. 69-78.
  • [17]
    RAULIN, Anne, “Minorités urbaines : des mutations conceptuelles en anthropologie”, Revue européenne des migrations internationales, vol. 25, n° 3, 2009, pp. 33-51.
  • [18]
    Armagnague-Roucher, Maïtena ; CossÉe, Claire ; Mendonça DIAS, Catherine ; Rigoni, Isabelle ; Tersigni, Simona (sous la direction de), Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV), op. cit. (voir p. 36).
  • [19]
    FARGE, Arlette, “Histoire, événement, parole” [En ligne], Socio-anthropologie, n° 2, 1997, http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/2 ; FARGE, Arlette, “Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux”, art. cité.
  • [20]
    307. Voir notamment SIMPSON, Brenda, “The Body as a Site of Contestation in School”, in: PROUT, Alan (ed.), The Body, Childhood and Society, London/New York: MacMillan St-Martin’s Press, 2000, pp. 60-78.
  • [21]
    Né de l’initiative personnelle de deux enseignants de français ayant antérieurement exercé à l’international ou susceptibles de reprendre une telle expérience dans des établissements français de prestige, au départ ce projet impliquait un récit de soi filmé que chaque élève concerné dans les deux établissements aurait dû produire. Finalement l’apport filmique du projet a dû se limiter à une préparation à l’échange entre les élèves sur le scénario de deux films en lien avec l’immigration et la jeunesse.
  • [22]
    Pour ne pas trop exposer les élèves d’UPE2A, les enseignants avaient fait en sorte qu’avant la rencontre de visu, les élèves de dispositif tout comme leurs correspondants regardent trois films récents en lien avec les migrations internationales et la jeunesse : Welcome, La cour de Babel, ainsi que Fatima. Un projet vidéo pour se raconter devant la caméra était également en cours.
  • [23]
    Ce collège ne disposait pas d’UPE2A.
  • [24]
    Source : http://lieudeurope.strasbourg.eu/lhistoire-du-lieu-deurope/.
  • [25]
    RABAUD, Aude, “Rapports sociaux de genre et utilisation des appellations ‘pères’, ‘mamans’, ‘grands’, et ‘jeunes filles’, dans un quartier d'habitat social”, VEI-Enjeux, n° 128, mars 2002, pp. 61-75.
  • [26]
    Dans ce conseil, ni les parents délégués ni les élèves délégués n’étaient présents.
  • [27]
    FARGE, Arlette, “La vie de l’Histoire jaillit de formes inattendues”, La Cause du désir, vol. 100, n° 3, 2018, pp. 199-210.
  • [28]
    BENSA, Alban ; FASSIN, Éric, “Les sciences sociales face à l'événement”, Terrain, n° 38, mars, 2002, pp. 5-20.
  • [29]
    FARGE, Arlette, “Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux”, art. cité.
  • [30]
    Ibidem.
  • [31]
    En raison de la chaleur, puisque à l’origine le ramadan était un mois d’été et il ne se déplaçait pas dans le temps, mais également en tant que mois de la révélation, de commémorations importantes pour l’islam et ensuite de maîtrise du corps, soumission des passions et d’utilisations politiques. Voir : GEORGEON, François, “Présentation”, in : ADELKHAH, Fariba ; GEORGEON, François (sous la direction de), Ramadan et politique, Paris : Éditions du CNRS, 2000, pp. 11-17.
  • [32]
    ADELKHAH, Fariba, “Conclusion”, in : ADELKHAH, Fariba ; GEORGEON, François (sous la direction de), Ramadan et politique, op. cit., pp. 147-150.
  • [33]
    En effet, en 2016, les élèves musulmans de cette UPE2A se heurtent au fait que la date du début du ramadan en France ne fait pas l’unanimité. Certainement en lien avec le problème ancien de l’autorité légitime en islam, une telle incertitude a pu avoir un impact sur les choix et pratiques individuels. Alors que le Conseil théologique musulman de France (ctmf) a fixé les dates du ramadan en 2016, la Grande mosquée de Paris a annoncé la tenue d'une « nuit du doute », « conformément à la tradition de l’islam », le dimanche 5 juin, une date très rapprochée de celle fixée pour la sortie scolaire.
  • [34]
    Goetschel, Pascale ; GRANGER, Christophe, “Faire l’événement, un enjeu des sociétés contemporaines”, art. cité.
  • [35]
    CRENN, Chantal, “Ce que les musulmans nous disent de la campagne girondine”, Ethnologie française, vol. 168, n° 4, 2017, pp. 693-702.
  • [36]
    Tersigni, Simona, “Dissimulés, exposés, mis en danger : les corps pieux de l’engagement”, Le sujet dans la cité, vol. 1, n° 1, 2012, pp. 144-161.
  • [37]
    Cette recherche relève du programme Alterecole portant sur la ségrégation scolaire et sur la construction de l’altérité dans et par l’école (2016-2019), dirigé par Claire Schiff, Joëlle Perroton et Isabelle Rigoni, avec un financement de la Région Nouvelle-Aquitaine.
  • [38]
    Voir BASTIDE, Roger, “Évènement, sociologie” [En ligne], Encyclopedia Universalis, https://www.universalis.fr/encyclopedie/evenement-sociologie/.
  • [39]
    Dans cette publicité, l’acteur revient avec des nombreuses caisses de la bouteille désirée comme garantie d’une bonne convivialité. Vidéo disponible en ligne : https://www.youtu be.com/watch?reload=9&v=PDhyst6Kq4U.
  • [40]
    FARGE, Arlette, “Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des acteurs sociaux”, art. cité.
  • [41]
    Goetschel, Pascale ; GRANGER, Christophe, “Faire l’événement, un enjeu des sociétés contemporaines”, art. cité.
  • [42]
    Il y figurait des entretiens avec leurs correspondants d’UPE2A, une revue de presse sur les migrations internationales et l’exil de nos jours, la présentation des films visionnés dans le cadre du projet pédagogique, avec également la présentation d’un parcours institutionnel typifié d’élèves « allophones », et des slogans du genre : « il faut d’abord passer par le CIO », « une scolarité pour tous ».
  • [43]
    Avant que ces deux rencontres aient lieu, fin avril, un élève irakien avait fait remarquer à son enseignant que la lettre de son correspondant alsacien présentait de nombreuses fautes d’orthographe. L’enseignant avait rétorqué que les élèves de l’autre collège ne rencontraient pas pour autant les mêmes difficultés qu’eux.
  • [44]
    Lors d’échanges informels les élèves d’UPE2A m’ont dit avoir souligné dans ces messages synthétiques, comme dans un SMS, le plaisir de cette rencontre, le plaisir du dépaysement dans la commune viticole. Tout en ayant assisté à la préparation de ce cahier en toile à beurre, je n’ai pu cependant y accéder une fois qu’il a été approprié et investi par les élèves, puis repris par l’enseignant du dispositif.
  • [45]
    DUFOURMANTELLE, Anne, En cas d’amour. Psychopathologie de la vie amoureuse, Paris : Éd. Payot & Rivages, 2009, 201 p. (voir p. 50).
  • [46]
    La « tactique n’a pour lieu que celui de l’autre [...]. Elle n’a pas les moyens de se tenir en elle-même à distance, dans une position de retrait, de prévision, et de rassemblement de soi : elle est mouvement “à l’intérieur du champ de vision de l’ennemi” [...]. Elle n’a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l’adversaire dans un espace distinct, visible, et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des “occasions” et en dépend, sans base où stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des sorties. Ce qu’elle gagne ne se garde pas », CERTEAU, Michel de, L’invention du quotidien, tome I, arts de faire, Paris : Éd. Gallimard, 1980, pp. 82-94.
  • [47]
    Voir la présentation du colloque intitulé « L’évènement entre temps et récit », organisé par le laboratoire Sophiapol les 4 et 5 avril 2019 : https://sophiapol.parisnanterre.fr/l-evenement-entre-temps-et-histoire-902495.kjsp.
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