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Article de revue

La lutte contre le terrorisme dans les démocraties occidentales : État de droit et exceptionnalisme

Pages 9 à 24

Notes

  • [1]
    Cet article présente les grandes lignes développées par l'auteur dans son mémoire de 3e cycle en Relations internationales (IPRIS, 2005-2006) qui fera l'objet d'un ouvrage à paraître aux éditions du Félin (octobre 2007).
  • [2]
    Essentiellement stato-centrées, basées sur la puissance et reposant sur les théories du choix rationnel.
  • [3]
    Les difficultés à définir le terrorisme témoignent d'une incapacité des analyses classiques à appréhender un phénomène de violence erratique dans ses manifestations comme dans ses ressorts et modalités.
  • [4]
    Cofer Black, Central Intelligence Agency (CIA), testimony before the Joint House and Senate Select Intelligence Committee, 26 septembre 2002.
  • [5]
    Amnesty International, États-Unis-Guantanamo et au-delà : à la recherche d'un pouvoir exécutif sans limites, 3 avril 2005.
  • [6]
    Military Order, 66 Fed. Reg.57, 833, 13 novembre 2001.
  • [7]
    G. W. Bush, Humane Treatment of al Qaeda and Taliban Detainees, Memorandum, 7 février 2002.
  • [8]
    Communiqué de presse du ministère de la Défense des États-Unis « Detainee transfer announced  », 5 novembre 2005.
  • [9]
    Voir Pratiques présumées en matière de détention et d'interrogatoires, Amnesty International, « États-Unis-Guantánamo et au-delà : à la recherche d'un pouvoir exécutif sans limites », 3 mai 2005.
  • [10]
    Voir Procedures for Trials by Military Commissions of Certain Non-United States Citizens in the War against Terrorism, DoD Military Commission Order no 1, 21 mars 2002.
  • [11]
    Selon les estimations, quelques 800 vols auraient été effectués depuis 2001 par les six avions affrétés par la CIA.
  • [12]
    Dana Priest, « CIA Holds Terror Suspects in Secret Prisons », Washington Post, 2 novembre 2005, page A01.
  • [13]
    Commission des questions juridiques et des droits de l'homme, « Allégations de détentions secrètes et de transferts illégaux de détenus concernant des États membres du Conseil de l'Europe », 7 juin 2006.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    Alexandre Adam, La lutte contre le terrorisme, étude comparative UE-États-Unis, Paris, L'Harmattan, 2005, p. 45.
  • [16]
    Francesco Ragazzi le définit comme la logique conduisant à suspendre les normes internationales tout en ayant la prétention de mener des actions qui auraient force de loi. « The National Security Strategy of the USA », Cultures & Conflits, no 56, hiver 2004, p. 155.
  • [17]
    « Suspicion et exception », Cultures & Conflits, no 58, Paris, l'Harmattan, 2005.
  • [18]
    Gus Hosein, Threatening the Open Society, Privacy International Report, 13 décembre 2005.
  • [19]
    « Declaration of National Emergency », Office of the Press Secretary, 14 septembre 2001. Executive Order 13223.
  • [20]
    Déjà, le décret-loi signé par J. Ashcroft le 2 novembre 2001 autorisait l'écoute et l'enregistrement, sans autorisation judiciaire préalable, des conversations entre avocats et personnes accusées d'activités terroristes.
  • [21]
    Ayse Ceyhan, « Sécurité, frontières et surveillance aux États-Unis après le 11 septembre 2001  », Cultures & Conflits, Hors-thème, no 53, 2004, p. 113-145. Ce nouveau ministère de la Sécurité du territoire regroupe 22 agences fédérales et services placés jusqu'alors sous la tutelle de plusieurs ministères (services secrets, gardes-côtes, douanes, services d'immigration et de naturalisation, sécurité des transports ou encore réserves pharmaceutiques nationales).
  • [22]
    Parmi les mesures annexes au HSA, citons CAPPS-II (pré-filtrage des passagers assisté par ordinateur), The Aviation Transport and Security Act (données PNR et système APIS), le Enhanced Border Security and Visa Entry Reform Act ou encore le programme TIA (Total Information Awareness, transformé par la suite en Terrorist Information Awarness).
  • [23]
    Ayse Ceyhan, op.cit.
  • [24]
    Voir hhttp:// www. dhs. gov/ xprepresp,notamment la rubrique Ready.gov.
  • [25]
    Sondage USAToday/Gallup : 53 % des Américains interrogés estimaient que les restrictions des libertés civiles décidées par l'administration Bush étaient appropriées ou insuffisantes.
  • [26]
    Didier Bigo, « La voie militaire de la “guerre au terrorisme” et ses enjeux », Cultures & Conflits, no 44, 2001, p. 5-18.
  • [27]
    La part de subjectivité propre à l'incrimination terroriste ne peut remplir le principe de légalité des délits et des peines exigé en matière pénale. Insuffisamment précise et objective, instable de surcroît, cette incrimination peut-être aisément appliquée en dehors de son cadre juridique initial.
  • [28]
    Des pouvoirs extensifs et excessifs au regard de l'équilibre de la justice, non assortis de garanties suffisantes en termes de transparence et de contrôle hiérarchique et démocratique.
  • [29]
    Laura.K.Donohue, Counter-terrorist Law and emergency powers in the UK, Irish Academic Press, 2001. L'expérience historique enseigne que ces mesures « d'urgence » sont prorogées et pérennisées par leur introduction dans le code pénal. Identifié en économie sous le terme d'effet cliquet, ce mécanisme désigne ici « l'incapacité à long terme de se désengager de la tentation d'ajouter à une mesure d'exception une nouvelle mesure sécuritaire toujours présentée comme cette fois véritablement efficace, mais qui, en définitive, ne règle en rien le problème » (D. Bigo, op.cit. p. 17).
  • [30]
    Voir wwww. statewatch. org,« Scoreboard on post-Madrid counter-terrorism plans », 2004.
  • [31]
    Procédure souvent secrète, non contradictoire et d'une durée illimitée. La possibilité de recourir à pareilles méthodes d'enquête alors qu'aucune infraction n'a encore été commise, pourvu que des indices sérieux existent donnant à penser qu'elle pourrait être commise, leur donne un champ d'utilisation très large.
  • [32]
    Valsamis Mitsilegas, « Contrôle des étrangers, des passagers, des citoyens : surveillance et antiterrorisme  », Cultures & Conflits, no 58, 2005, p. 151.
  • [33]
    Session extraordinaire du Conseil Justice et affaires intérieures, Bruxelles, le 13 juillet 2005.
  • [34]
    « Liberty and Security : Striking the Right Balance  », A Paper by the UK Presidency, 7 septembre 2005.
  • [35]
    Selon la formule de Julien Cantegreil, Terrorisme et libertés, la voie française après le 11 septembre, En temps réel, les cahiers, janvier 2005, p. 24.
  • [36]
    Emmanuel-Pierre Guittet et Miriam Perier, « Suspicion et exception », Cultures & Conflits, no 58, 2005, p. 6.
  • [37]
    Ayse Cehan, op.cit., p. 113-145.
  • [38]
    Nathalie Bayon et Jean-Pierre Masse, « L'altermondialisme au prisme de l'exceptionnalisme : les effets du 11 septembre 2001 sur le mouvement social européen », Cultures & Conflits, Hors thème.
  • [39]
    Nicolas Sarkozy, « Terrorisme, la nouvelle menace  », dans l'émission Pièces à conviction, diffusée sur France 3 le 26 septembre 2005.
  • [40]
    Dans une de ses observations, Statewatch met en exergue 22 mesures européennes estampillées « antiterroristes » qui entrent en infraction avec pas moins de 14 articles de la Charte des droits fondamentaux de l'UE. Statewatch Submission to the Network of Independent Experts on fundamental rights in the EU, 2003.
  • [41]
    Réseau UE d'experts indépendants sur les droits fondamentaux (CFR-CDF), L'équilibre entre liberté et sécurité dans les réponses de l'UE et de ses États membres à la menace terroriste, Observation thématique, 31 mars 2003.
  • [42]
    Voir www. policylaundering. org.
  • [43]
    Gus Hosein, op. cit. p. 41.
  • [44]
    Accord relatif à la sécurité des conteneurs ; Accord entre la Communauté européenne et les États-Unis sur le traitement et le transfert de données PNR ; Accords sur l'extradition et l'entraide judiciaire entre les États-Unis et l'UE.
  • [45]
    Emmanuel-Pierre Guittet, Miriam Perier, op.cit., p. 10 ; Philippe Bonditti, « Biométrie et maîtrise des flux : vers une geotechnopolis du vivant-en-mobilité ? », Cultures & Conflits, no 58, été 2005, p. 131-154.
  • [46]
    Alexandre Adam, op.cit., p. 59.
  • [47]
    Arthur Paecht et Pascal Boniface, « Valeurs communes, visions divergentes », Le Figaro, 26 décembre 2003.
  • [48]
    Voir « Address by Mr Gijs de Vries » to the Counter-Terrorism Committee, New York, 23 juin 2005.
  • [49]
    Anastassia Tsoukala, « La légitimation des mesures d'exception dans la lutte antiterroriste en Europe », Cultures & Conflits, no 61, 2006.
  • [50]
    D. Bigo, op.cit., p. 12.
  • [51]
    Voir « Dick Cheney Delivers Remarks to the Republican Governors Association », Washington D.C., 25 octobre 2001.
  • [52]
    Didier Bigo, Daniel Hermant, « Terrorisme et antiterrorisme en France », Les Cahiers de la sécurité intérieure, no 1, avril-juin 1990, p. 113-148.
  • [53]
    Karoline Postel-Vinay, L'Occident et sa bonne parole, Paris, Flammarion, 2005.
  • [54]
    Déclaration de Salman Rushdie, directeur du PEN American, Cooper Union, 4 août 2004.
  • [55]
    Joseph Henrotin, « La résilience, le chaînon manquant des stratégies antiterroristes ? », Diplomatie Magazine, no 16, septembre-octobre 2005, p. 12-15.

1 Tandis que la fin de la guerre froide avait ouvert une période - souvent dite post bipolaire - marquée, dans la plupart des pays de l'Ouest, par une redéfinition des enjeux et des termes de sécurité, elle avait plus fondamentalement consacré la disparition de la figure classique de l'ennemi jusqu'alors incarné dans l'ogre soviétique, venant déstabiliser les analyses stratégiques traditionnelles [2]. Elle ouvrait une période d'indétermination quant aux figures et aux formes de l'ennemi et de la menace. Dès lors, le « terrorisme » s'est progressivement imposé comme l'une des figures majeures de la menace contemporaine avant d'être hissé, au lendemain du 11 septembre 2001, au rang de menace stratégique pour la paix et la sécurité collective. Et plus particulièrement pour les sociétés et États occidentaux en tant qu'incarnations de certaines valeurs : démocratie, libertés fondamentales et droits de l'homme. Une menace d'autant plus insidieuse qu'elle est présentée comme étant « invisible », « insaisissable ». Les événements de 2001 auraient ainsi entériné un retournement dans l'univers des évidences occidentales post-1990 et seraient venus consacrer un nouveau paradigme de la violence suscitant l'idée d'un nécessaire renouvellement des pratiques et des dispositifs de sécurité. Dès lors, la lutte contre le terrorisme est devenue le credo sécuritaire des démocraties occidentales.

2 Cependant, la figure indéterminée du terrorisme pose de lourdes difficultés dans l'exercice de qualification et de définition de la menace d'une part, et des propositions devant être formulées pour s'en protéger d'autre part [3]. Si le phénomène terroriste vient caractériser une pratique de violence ne pouvant être assimilée à des pratiques ou des stratégies d'acteur étatique ; et si donc l'armée, prise dans son sens classique, ne peut être engagée dans les formes classiques de la guerre, comment dès lors penser et rendre opérationnelle une réponse qui ne soit ni inadaptée, ni disproportionnée ?

3 Au lendemain du 11 septembre, entre résignation et intransigeance, les autorités politiques occidentales se sont ostensiblement mobilisées en usant du vocable de l'exceptionnel tant pour qualifier la menace que pour légitimer la nature de la réponse à y apporter : « à menace exceptionnelle, mesures exceptionnelles ». Mais la dynamique antiterroriste s'avère politiquement très délicate : les gouvernants se sentent devoir adopter des mesures à la fois fermes et efficaces, au risque sinon d'être accusés de laxisme, et nourrissent par là même la surenchère sécuritaire. L'insécurité ressentie appelle l'intensification du pouvoir coercitif, pénal et répressif.

4 Nous nous proposons ici de discuter les grandes tendances de la lutte contre le terrorisme mais pas tant sous l'angle de son efficacité - ou de son inefficacité - que du point de vue de ses implications et ses implicites. Les pratiques de lutte contre le terrorisme (entendues comme politiques publiques, actions coercitives et développements légaux et juridictionnels) développées dans les démocraties occidentales sont inscrites sur des lignes potentiellement attentatoires aux droits de l'homme et aux libertés publiques et posent une série de questions relatives au devenir du modèle occidental de l'État de droit. Elles trouvent toutes leur origine dans le brouillage de la grille de lecture des phénomènes globaux structurée selon la distinction interne/externe. Des tensions s'expriment à la fois dans l'ordre international et dans l'ordre interne des États libéraux. En galvanisant la lutte antiterroriste autour de l'impérieuse nécessité de défendre l'ordre international et la démocratie libérale, la « communauté des démocraties » ne risque-t-elle pas d'accentuer l'entropie de ce même système ? Cet article tente d'apporter un éclairage synoptique des pratiques antiterroristes dans les démocraties occidentales en soulignant le phénomène de banalisation des mesures d'exception qui tend à faire admettre une nouvelle norme dans l'exercice du politique, tant au sein des États de droit que dans le système international. Dans cette optique, nous nous attacherons à déconstruire le poncif d'une opposition radicale en la matière entre les États-Unis, puissance globale aux prétentions impérialistes, et une Union européenne rétive à l'approche militaire. Si ces dernières n'ont eu de cesse de faire valoir des approches différentes de la réponse à apporter au terrorisme, elles n'ont pas pour autant été épargnées par la dynamique antiterroriste et ses dérives potentielles.

Les méandres du contre-terrorisme mondialisé ou l'état d'exception international

5 « All you need to know is that there was a before 9/11 and an after 9/11.
After 9/11 the gloves came off ».
Cofer Black, CIA [4]

6 Le 12 septembre 2001, l'Amérique, par la voix de son président, annonçait l'avènement d'une « guerre  » sans précédent, défiant les paradigmes séculaires de la violence et de la guerre. Les protagonistes, les espaces, les temporalités et les logiques de cette nouvelle forme de guerre étaient présentés à la fois comme radicalement hétéroclites et comme précurseurs des nouvelles menaces auxquelles auront à faire face, à l'avenir, les nations civilisées et le système international. Pour « s'adapter aux réalités de la nature des conflits du XXIe siècle », les États-Unis ont conclu à la nécessité de redéfinir leur approche du droit international humanitaire (en posant le postulat de la caducité des Conventions de Genève), et des normes juridiques internationales en général, présupposant qu'une application ad litteram du droit constituerait un obstacle majeur à la poursuite de ceux qui violent ces normes et principes universels. C'est dans cet esprit que fut initiée la « guerre contre le terrorisme » et dans ce cadre que furent entreprises les interventions militaires américaines. En avril 2005, Amnesty International établissait que depuis octobre 2001, les Américains avaient conduit des opérations de détentions dans environ 17 sites en Irak et 25 en Afghanistan, en plus des opérations stratégiques menées à Guantanamo, soit 70 000 personnes détenues par les forces américaines [5]. Et plus de cinq ans après, le bilan en matière de respect du droit international humanitaire est pour le moins inquiétant : jamais le système du droit international et de l'action multilatérale n'a subi une remise en cause aussi radicale. Guantanamo, Abou Ghraib, Bagram, les exécutions extrajudiciaires, les prisons secrètes, sans parler de l'usage renouvelé de la notion de « guerre préventive » et de « guerre juste  », ou encore de la « doctrine de la préemption » ; autant de situations qui entrent en résonance pour en témoigner. En fait d'un « réexamen » ou d'une « adaptation  » dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », le droit international semble avoir été purement suspendu et les pratiques les plus barbares remises au goût du jour sur les théâtres d'opérations.

Guantanamo, base matricielle

7 La Maison-Blanche s'est écartée du droit international et humanitaire pour s'engager sur le terrain de l'exceptionnalité dès l'instant où elle a décidé d'instaurer des tribunaux militaires d'exception pour juger des non-citoyens suspectés d'activités terroristes [6], et qu'elle s'est refusée à considérer les captifs d'Afghanistan comme des prisonniers de guerre, pour leur préférer le statut de « combattant illégal [7] ». La situation des détenus a très tôt soulevé de vives inquiétudes et fondé la controverse. Dès les premiers mois suivant la fin des hostilités en Afghanistan, quelque 760 prisonniers originaires d'une quarantaine de pays ont été transférés sur la base de Guantanamo. Cinq ans après les premiers transferts, quelque 500 hommes de 35 nationalités y sont maintenus en détention, pour la plupart sans inculpation ni jugement [8]. Et aujourd'hui encore, la polémique et les débats concernant le sort des « combattants illégaux » de Guantanamo se poursuivent sans que le vide juridique entourant ces prisonniers non conventionnels ne soit comblé. Certains affirment avoir été torturés ou soumis à d'autres traitements cruels, inhumains et dégradants [9]. Des détenus désespérés ont tenté de mettre fin à leurs jours. D'autres observent des grèves de la faim prolongées et ne sont maintenus en vie que par des méthodes d'alimentation forcée. Ainsi, cette prison est progressivement devenue le symbole des droits humains bafoués et de l'exercice arbitraire du pouvoir de l'État. Et pour cause, celle-ci a été érigée en véritable « laboratoire d'expérimentation » du terrorisme international, selon les propres termes du général Miller, à la tête du camp jusqu'en 2004. In fine, il ne s'agissait pas tant pour les États-Unis d'avoir à faire face à un vide juridique inhérent à ce type de « nouvelle guerre » que de le créer pour s'octroyer une latitude optimale dans leur action. Un cadre juridique ad hoc a donc été constitué au gré des circonstances et des saisines successives des différentes institutions juridiques américaines [10].

8 Mais si Guantanamo préfigurait, pour nombre de ses détracteurs, la dynamique de cette guerre anomique et atopique, ce n'est qu'avec le scandale des tortures d'Abou Ghraib que l'opinion publique mondiale tout comme les dirigeants politiques ont pris la mesure des événements : il lèvera le voile sur nombre de situations similaires, de non-droit, et finira par mettre au jour, par effet d'entraînement, un ensemble de pratiques destinées à réguler, temporiser, « enrichir » un système pénitentiaire et de collecte de renseignements stratégiques international occulte, voué à combattre le terrorisme partout, tout le temps, par tous les moyens. La réponse militaire américaine aux attentats du 11 septembre a ainsi révélé une prétention impérialiste en procédant par une redéfinition des espaces, des stratégies et des pratiques de lutte contre le terrorisme à l'échelle mondiale et par l'instauration d'un nouvel ordre juridique international ad hoc. Les multiples enquêtes, rapports, témoignages rendus publics au gré des divers épisodes de cette « guerre sans fin » ont permis de brosser un tableau édifiant de la situation à une échelle mondiale.

L'établissement planétaire d'un système pénitentiaire occulte

9 Il est apparu en effet que Guantanamo avait de nombreuses succursales, que les Américains administrent ou font administrer, ayant vocation à maintenir en détention et interroger les « terroristes » capturés sur les différents champs de bataille, et au-delà. On y dénonce les mêmes violations des droits humains, souvent exacerbées car exercées en dehors de toute visibilité médiatique et dans un environnement où la réalité de la guerre est tangible. Comme le soulignait alors Amnesty International, Guantanamo n'est que « l'îlot le plus célèbre d'un archipel de camps de détention » qui englobe notamment la base aérienne afghane de Bagram, les prisons irakiennes mais aussi plusieurs centres de détention maintenus secrets à travers le monde, plus communément appelés « sites noirs » ou « prisons fantômes ». Washington a ainsi procédé à la « délocalisation » des centres de détention pour « terroristes » vers l'Europe, le Moyen-Orient, le Maghreb et l'Asie du Sud-Est principalement, vers des pays « amis » disposés à prendre quelques libertés avec les droits individuels ou particulièrement vulnérables aux pressions.

10 À l'origine des pratiques en vigueur dans ces différents centres, les mêmes directives politiques, les mêmes acteurs (civils ou militaires) et les mêmes soubassements idéologiques. En tout état de cause, l'Administration est apparue sûre de son bon droit, continuant de défendre un pouvoir exécutif illimité, en vertu des pouvoirs de guerre du président. En même temps qu'elle subissait critiques et pressions, elle multipliait les recours à des mesures secrètes pour poursuivre sa « guerre » en toute impunité. Ces pratiques s'inscrivent dans la dynamique générale d'une recherche tous azimuts de « flexibilité », où la devise selon laquelle « la fin justifie les moyens » trouve ici tout son sens, à mesure que la contestation et les scandales amenuisent le spectre des moyens coercitifs exploitables par la puissance américaine. Ainsi, pour une mise en cohérence et un fonctionnement optimal de ce dispositif géographiquement distribué, de nombreuses pratiques connexes sont venues le compléter : transferts et extraordinary renditions, délocalisation de la torture, disparitions forcées, vols et prisons secrets, etc.

11 Les États-Unis, via la CIA, ont en effet procédé au transfert temporaire ou définitif de supposés « militants islamistes affiliés à la cause d'Al-Qaïda » en dehors des zones de conflits, pour les faire incarcérer et interroger : vers l'Égypte, la Syrie, l'Arabie saoudite, la Jordanie, le Pakistan, l'Ouzbékistan, la Bosnie, la Croatie, la Macédoine, l'Albanie, la Libye, le Soudan, le Kenya, le Maroc, la Zambie, l'Indonésie ou encore la Malaisie. Autant de pays que les États-Unis épinglent dans leur rapport annuel sur les droits de l'homme, notamment pour leur système pénitentiaire et l'usage courant de la torture. La pierre angulaire de cette structure réticularisée à l'échelle de la planète est le détenu « fantôme », déshumanisé et incarcéré au secret en dehors de tout ordre légal. Afin d'assurer une gestion stratégique de ses « suspects », la CIA s'est assurée de pouvoir disposer de quelques avions privés ou camouflés et surtout de bases aériennes susceptibles de les accueillir discrètement [11]. Le 2 novembre 2005, le Washington Post mettait en cause « plusieurs démocraties d'Europe centrale et orientale » pour avoir hébergé des prisons secrètes pour le compte de la CIA, où plus d'une centaine de suspects auraient été détenus[12].

De l'implication de l'Europe dans les opérations contre-terroristes

12 Le 15 décembre suivant, le Parlement européen acceptait le principe de constituer une commission d'enquête temporaire et le 28, la Commission européenne demandait des comptes aux autorités américaines, menaçant les membres de l'Union européenne (UE) ayant abrité des centres de détention de leur retirer leur droit de vote au Conseil. Il aura donc fallu attendre que le scandale atteigne l'espace européen en plein cœur pour qu'une réaction institutionnelle massive et ferme se fasse entendre sur la scène internationale, et qu'il soit exigé de la puissance américaine qu'elle rende des comptes au sujet de ses activités « impériales ». Le 7 juin 2006, lors de la présentation de son rapport final à Paris, Dick Marty, président de la Commission des questions juridiques du Conseil de l'Europe, a dévoilé ce qu'il a appelé une « toile d'araignée » mondiale des détentions et transferts de la CIA : l'Espagne, la Turquie, l'Allemagne et Chypre sont cités comme ayant servi de « postes avancés » pour des opérations de transfert de prisonniers, tandis que l'Irlande, la Grèce et le Royaume-Uni ont servi d'escales pour des vols affrétés par l'agence. Le Royaume-Uni est également accusé d'avoir transmis des informations sur ses citoyens ou résidents à la CIA. D'autres pays ont été impliqués dans ces opérations, dont l'Italie, la Suède, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, la Pologne et la Roumanie [13].

13 La mise en visibilité de ce dispositif permet de dépasser l'analyse contextuelle pour rendre compte non plus simplement d'espaces et de pratiques similaires, mais intégrés et entrant en résonance. C'est ainsi qu'est révélé, rétrospectivement, le potentiel illimité de cette formule rhétorique aujourd'hui réifiée qu'est la « guerre contre le terrorisme », qui a fait entrer le système international dans le temps de l'exceptionnalité et effacé ses lignes de démarcations traditionnelles. Ce sont les fondements de l'ordre international et de la sécurité collective qui s'en trouvent fragilisés, voire hypothéqués. Par ailleurs, la participation avérée des pays européens à l'entreprise contre-terroriste américaine contribue définitivement à évacuer ce poncif de l'après-11 septembre qui fait des États-Unis le seul acteur de la « guerre » (et surtout le seul coupable de ses dérives) et de l'Europe le gardien pacifiste du temple des droits de l'homme. En initiant leur « guerre globale contre le terrorisme », les États-Unis ont certes transformé unilatéralement la planète en champ de bataille potentiel, impliquant de facto la quasi-totalité des nations et gouvernements. Mais bien que l'administration américaine développe depuis 2001 des velléités impérialistes et autoritaires quant à sa politique étrangère, il n'en reste pas moins que ses homologues européens « n'ont pas été victimes de machinations américaines », puisqu'ils y auraient « participé volontairement » à différents degrés [14].

14 En dépit de leur disconvenance à user de l'expression « guerre contre le terrorisme » et de leur propension à blâmer les États-Unis dans la conduite de cette guerre, peu de pays européens peuvent se prévaloir d'une quelconque exemplarité en la matière. Tout d'abord, sur le plan international, certains se sont engagés militairement en Afghanistan et en Irak. Et ce dernier épisode tend à montrer qu'ils n'étaient pas non plus absents des pratiques annexes à cette guerre. Il conviendrait plutôt d'établir, comme l'énonce Alexandre Adam, que « si différence il y a, elle est idéologique [...] mais non historique et surtout non factuelle [15] ». Un différentiel idéologique qui se couple à un différentiel de puissance exorbitant pour expliquer la dimension proprement impérialiste que les États-Unis ont donné à cette « guerre ». Seule la psychologie américaniste autorisait la revendication, par l'Exécutif, d'un droit à l'état d'exception international [16]. D'autre part, au-delà de l'adversité sémantique, l'étude de l'économie globale de la lutte antiterroriste à l'intérieur des frontières étatiques offre une tout autre réalité : celle d'un alignement progressif et respectif et d'une homogénéisation des moyens mis en œuvre pour vaincre le « terrorisme ». Il nous est permis de montrer qu'en dépit des spécificités historiques, culturelles, sociologiques ou encore politico-juridiques propres à chacun, le nouveau paradigme sécuritaire post-11 septembre s'est imposé, sinon de manière strictement identique, tout au moins de manière similaire. À l'état d'exception instauré par les États-Unis sur la scène internationale via leur stratégie contre-terroriste, semble répondre, en parallèle et au sein des États libéraux occidentaux, l'instauration d'un état d'exception latent susceptible d'altérer en profondeur les bases sur lesquelles ces sociétés démocratiques reposent.

« Suspicion et exception  » [17] : vers une harmonisation sécuritaire des démocraties occidentales

15 Dans le cadre d'un État de droit, les libertés publiques font l'objet d'une protection juridique et judiciaire particulière qui consacre et aménage leur inviolabilité. L'État détient l'autorité mais se soumet à un ensemble de normes juridiques qui lui imposent des limites dans l'exercice de ses prérogatives. C'est le respect de ces limites qui définit la démocratie tout en fondant la légitimité du pouvoir. Le contrat social s'établit donc sur la base de cet équilibre fondamental entre sécurité et liberté, lui-même garant du bon fonctionnement de l'État de droit.

16 La série d'attentats que vont connaître les États-Unis puis l'Europe entre le 11 septembre 2001 et le 7 juillet 2005 va entraîner une hyperactivité législative et réglementaire ininterrompue dans le domaine de la sécurité au sein des États libéraux occidentaux. Mesures qualifiées « d'exception », de « dérogatoires » ou encore d'« urgence », elles génèrent inévitablement des tensions juridiques, politiques et sociales propres au temps de l'exceptionnalité. Adoptées pour faire face à une menace imminente, elles se doivent d'être limitées au strict nécessaire, ciblées avec une précision suffisante, ne présenter qu'un caractère temporaire et être soumises à un mécanisme d'évaluation régulier. Dans cette lutte multidimensionnelle et potentiellement illimitée, se pose de façon inédite la question de l'encadrement démocratique de cette « exceptionnalité ». Depuis 2001, les États-Unis sont considérés de part le monde comme « l'enfant terrible » des démocraties occidentales eu égard à leurs politiques antiterroristes. Incarnation de ces pouvoirs d'exception, le Patriot Act a fait couler beaucoup d'encre : présenté comme le paroxysme d'une dérive illibérale initiée par les États-Unis, il serait l'expression unique, et l'exemple repoussoir, d'une transformation radicale de l'État de droit, caractérisé par une société « ouverte  », en État sécuritaire [18].

Une approche totalisante de la lutte antiterroriste aux États-Unis : la revendication ostentatoire de pouvoirs exceptionnels

17 En proclamant l'état d'urgence le 14 septembre 2001, le président des États-Unis, commandant en chef des armées, s'octroyait à ce titre une gamme de pouvoirs bien plus étendue que celle dont il aurait disposé en adoptant une approche pénale. Il annonçait également l'adoption de mesures exceptionnelles sans véritable contrôle parlementaire ou judiciaire [19]. Le Patriot Act est rapidement devenu le symbole d'un ensemble de dérives et de violations susceptibles d'hypothéquer durablement le sacro-saint équilibre des pouvoirs, ultime garant du caractère démocratique et libéral des États-Unis. En effet, si cet arsenal juridique et technologique de surveillance et de contrôle des populations engendre sciemment et a priori une limitation sévère, voire une violation caractérisée des droits des citoyens américains [20], il procède à une suspension complète de ceux des non-citoyens. Son renouvellement en mars 2006 a pérennisé le dispositif : en rendant permanentes, par amendement définitif de l'United State Code, des mesures exceptionnelles temporaires, cet acte altère gravement la légitimité du dispositif et institutionnalise des pratiques liberticides. Mais ce texte tant décrié n'est jamais qu'une des mesures d'un arsenal global de dispositions exceptionnelles, mesures et décrets décidés par l'Administration, qui s'est attribuée par ce biais les pouvoirs que le Congrès lui avait refusés. En novembre 2002, le gouvernement allait formaliser le changement de paradigme annoncé au lendemain du 11 septembre et procéder, via le Homeland Security Act, à un « recentrage de l'objet focal de la sécurité sur sa composante territoriale [21] ». De nombreuses mesures vont venir enrichir ce dispositif pour le parachever afin que l'« antiterrorisme » investisse l'ensemble des activités sociétales [22]. Sous les oripeaux d'un vaste aggiornamento législatif et institutionnel se met en œuvre, et de manière infrangible, un arsenal inquiétant qui viole, selon ses détracteurs, les libertés civiles constitutionnelles (protection des citoyens contre toute saisie et perquisition non motivée, liberté intellectuelle et respect de la vie privée, traitement équitable, jugement en public par un jury impartial, interdiction de la détention arbitraire, égalité devant la protection juridique, ou encore assurance constitutionnelle sur l'ordonnance d'habeas corpus). Comme l'explique Ayse Ceyhan, nous sommes désormais face à un dispositif « qui est passé d'un système réactif classique à un système proactif fondé sur les technologies les plus sophistiquées de surveillance, d'identification et de renseignement. On peut dire que sa grande particularité est d'avoir donné lieu à une gouvernementalité par la peur, la suspicion et l'urgence [...] [23] ».

18 La politique de sécurité nationale s'est transformée en un facteur puissant de présidentialisation du régime politique, introduisant en son sein des déséquilibres non négligeables et potentiellement néfastes à long terme. On assiste, dans le même temps, à une marginalisation des contre-pouvoirs et plus largement, des voix dissidentes. Si cette mainmise de l'exécutif a été défiée en plusieurs occasions tant par le Congrès que par les Cours américaines ou encore par les associations de défense des droits et libertés individuels, elle ne s'est pas moins « épanouie » au cours des six dernières années, à la faveur d'un état d'urgence toujours en vigueur. Pour « galvaniser les énergies de la Nation contre l'ennemi », des semaines d'alerte nationale sont régulièrement organisées afin de préparer les citoyens à toute attaque d'ampleur. Appelée « mobilisation patriotique permanente » par les néo-conservateurs, cette stratégie de communication prolonge cette fenêtre d'opportunité politique sans précédent [24]. Et force est de constater que cela fonctionne : début mai 2006, plus d'un Américain sur deux pensait que perdre certaines libertés était le prix nécessaire à payer pour éviter une réédition du 11 septembre [25].

19 Cependant, il faut tout de même souligner la contestation croissante dont fait l'objet le gouvernement. Des organisations non gouvernementales (ONG) ont formé des coalitions pluripartisanes ; industriels, universitaires, lobbyistes comme experts politiques font de plus en plus valoir leur droit à questionner le gouvernement ; plusieurs affaires ont été portées devant les cours de justice ; la critique des médias s'intensifie. Même si le résultat de ces actions et les retombées du débat tardent à se faire connaître, celui-ci s'exacerbe et se diffuse. Sa vivacité retrouvée est déjà en soi la preuve d'une société ouverte, prête à revendiquer les droits et principes que son gouvernement tente de lui ôter. Si cela ne peut suffire à rétablir l'équilibre, ça n'en demeure pas moins la condition sine qua non. Gageons que la victoire des démocrates aux élections de mi-mandat, en novembre 2006, fera évoluer la situation.

20 Exacerbés aux États-Unis, les enjeux qui caractérisent la « guerre contre le terrorisme » et qui s'expriment à travers le prisme de l'exceptionnalité sont loin d'être purement américains : « Les effets des politiques antiterroristes américaines touchent aussi l'Union européenne. D'abord parce que les gouvernements européens ont voulu montrer leur solidarité, ensuite parce que la transnationalisation de la violence joue en faveur d'une transnationalisation des politiques de lutte contre le terrorisme, et débouche sur un renforcement de l'axe transatlantique[26] ». Certes, les États-Unis ont unilatéralement porté à son paroxysme la stratégie de simulation guerrière, en revendiquant la mise en œuvre d'un cortège d'exceptionnalités. C'est cette manifestation ostentatoire de puissance, cette désinvolture magistrale à faire fi des principes qui, plus que dans n'importe quelle autre démocratie, fondent et cimentent la société, qui a autorisé un tel tropisme sur le cas américain. À l'exception de l'intervention en Irak, les démocraties européennes n'ont pas ostensiblement dénigré les choix et attitudes américaines post-11 septembre mais se sont employées à s'en démarquer pour mieux faire valoir une approche équilibrée. Elles se sont ainsi targuées de ne pas être tombées dans le piège de l'exception et de la militarisation, occultant le fait que leur arsenal antiterroriste pénal dans sa totalité pouvait revêtir un caractère exceptionnel au regard des traditions politiques qui sont les leurs. On peut dès lors se demander si cette ambivalence n'a pas participé d'un certain aveuglement concernant la réalité européenne de la lutte antiterroriste.

Les démocraties européennes, entre singularisme affiché et alignement tacite

21 La lutte contre le terrorisme s'est imposée au lendemain du 11 septembre, et plus encore après les attentats de Madrid, comme le principal moteur de l'affirmation de la place de l'Union européenne sur la scène internationale. « Familiarisée » avec le phénomène depuis plusieurs décennies, l'UE a inscrit sa démarche dans la continuité, en se prévalant de l'historicité de la lutte antiterroriste en Europe et en privilégiant une approche pénale, policière et judiciaire. Ce sont les États membres qui ont imprimé leur marque aux instruments adoptés après 2001 et c'est désormais via l'Union qu'ils poursuivent l'édification de leurs politiques antiterroristes créant, par un effet d'entraînement, une dynamique propice à la prolifération législative et normative. Le processus accéléré d'harmonisation, via l'institutionnalisation d'une stratégie antiterroriste européenne, présupposait l'existence de législations nationales antérieures, et l'assimilation de leur logique. Or, l'étude des dispositifs développés en Europe ces dernières décennies permet de dégager plusieurs pierres d'achoppement génériques, sources litigieuses au regard de l'impératif d'équilibre entre sécurité et liberté. Celles-ci découlent de logiques d'appréhension intellectuelle et d'actions politiques aujourd'hui réifiées. Au nombre de trois, elles constituent une grille de lecture simplifiée de la problématique, de laquelle peuvent être déduites les diverses formes d'érosion du régime libéral : l'insoluble problème de la définition du terrorisme [27], les dispositions pénales et les pouvoirs spécifiques exorbitants octroyés aux acteurs de la sécurité [28] ainsi que « le danger d'une permanence du temporaire » [29]. En effet, l'UE n'a pas surmonté l'écueil de la définition, au grand dam des défenseurs des libertés individuelles. Et s'il faut louer la mobilisation des gouvernements sur le sujet, il faut savoir prudence garder quant à ses modalités et enjeux. Un premier constat s'est imposé au lendemain des attentats : dans l'ensemble, ces mesures ne sont nullement apparues ex nihilo et ne se sont pas limitées à la lutte contre le terrorisme à proprement parler. Beaucoup d'entre elles ont été développées sur la base de logiques anciennes et opportunistes [30].

22 La centralisation, la coopération et la coordination sont devenues, après 2001, le credo des acteurs de la sécurité sur la scène politique européenne, comme sur la scène internationale : renforcement d'Europol, création d'Eurojust, mise en œuvre du mandat d'arrêt européen, création d'équipes communes d'enquêtes, adhésion à la clause de solidarité ou encore la nomination d'un adjoint au Haut représentant pour la PESC, chargé de la lutte antiterroriste. D'une manière générale, les mesures antiterroristes européennes se sont portées sur les échanges d'informations, la coopération policière et judiciaire, l'identification des individus, le blanchiment d'argent, le gel des biens et capitaux, le contrôle renforcé de l'Internet et des communications en général, la surveillance accrue des manifestations de masse, le contrôle renforcé des frontières, le lancement de discussions routinières entre services de renseignement, notamment via l'automatisation et l'accélération des procédures. On note une propension croissante à l'appropriation par les services de police de méthodes jusqu'alors exclusivement réservées aux services de renseignements. Ces méthodes particulières de recherche présentent des risques importants d'atteinte à la vie privée ou, le cas échéant, aux droits de la défense [31]. Cette extension des pouvoirs et des techniques de contrôle, d'enquêtes et de poursuites, est rendue possible par l'accroissement d'une surveillance exploratoire des télécommunications (accès, rétention et usages des données à caractère personnel) et d'une surveillance des mouvements [32].

23 Au lendemain des attentats de Londres en juillet 2005, la présidence britannique de l'UE a convié les parlements européen et nationaux à soutenir expressément un certain nombre de mesures jugées prioritaires [33], comme par exemple l'adoption d'une législation sur la rétention des données de télécommunication, l'utilisation accrue des caméras dans les lieux publics, l'établissement effectif du système d'information Schengen II, la création d'un nouveau système d'information sur les visas (VIS), l'utilisation des données personnelles des passagers (PNR) ou encore l'adoption généralisée à l'Union de documents d'identité biométriques [34]. Cela dénote une tendance marquée à la technologisation de la sécurité des États libéraux qui font de l'usage renouvelé des NTIC la panacée. D'outil de contrôle post-condamnation, ces techniques sont transformées en véritable outil de police des « suspects » [35]. D'où la croyance débridée dans les pouvoirs supposés de ces outils et dans le nécessaire partage intensif et extensif d'informations via la constitution de bases de données exponentielles. Autant de moyens susceptibles d'instaurer une surveillance non plus réactive et spécifique mais généralisée.

24 À l'instar des États-Unis, l'UE s'est activement attelée au renforcement de la surveillance des flux de population et des frontières, instaurant dans la durée et la normalité, des « pratiques d'exception et des logiques de suspicion » [36]. Qu'il s'agisse des étrangers, des passagers ou des citoyens, les risques sont sensiblement similaires et découlent d'un climat sécuritaire permissif, exploité par les professionnels de la sécurité pour systématiser et automatiser les logiques historiques de contrôle (data mining et profiling). Or, comme nous l'explique Ayse Cehan, « la surveillance fondée sur l'assemblage des informations à caractère profondément privé soulève deux problèmes majeurs : un problème éthique et juridique d'atteinte à la vie privée et de protection des données à caractère personnel et un problème social d'exclusion et de discrimination » [37]. En fait, la majorité des « nouvelles » mesures n'ont que peu à voir avec la lutte antiterroriste au sens strict, mais concernent plutôt la criminalité en général, les problèmes liés aux réfugiés, aux demandeurs d'asile, aux populations migrantes résidentes et aux mouvements sociaux contestataires [38], ainsi que la création d'un axe de coopération UE/États-Unis. Le maintien de l'ordre et la sécurité nationale semblent de plus en plus relever d'un travail de contrôle social où, rationalité de la préemption oblige, le possible se substitue au probable et où les professionnels de la sécurité doivent « être à l'écoute de tout et si possible savoir tout » [39]. L'ensemble de ces pratiques préventives et proactives constitue un défi de taille aux traditions démocratiques et aux libertés individuelles [40].

25 Pour une Europe qui se targue depuis 2001 d'emprunter une « approche globale et équilibrée » en matière de respect des droits et libertés fondamentales, le bilan de ces six années de mobilisation tous azimuts sur le terrain de la sécurité est déplorable. Mais l'inventaire des excès et dysfonctionnements ne se limite pas à ce constat. Au-delà du caractère contestable, parce qu'intrusif et liberticide, des mesures adoptées, c'est le caractère illibéral des processus d'élaboration et de prises de décision qui pose des questions fondamentales sur la légitimité, la démocratie et l'État de droit au sein de l'UE. Tout d'abord, la légitimité de la procédure d'adoption d'un certain nombre de mesures fut ébranlée par l'absence de transparence et d'examen significatif et détaillé par les parlements européen et nationaux. Indéniablement, les contrôles démocratique et juridictionnel sont encore très insuffisants dans l'équilibre institutionnel actuel. Par ailleurs, le déficit de légitimité démocratique de ces mesures est d'autant plus grand qu'une part importante de la lutte contre le terrorisme s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre d'engagements internationaux et de positions dégagées au sein de l'ONU, ce qui réduit encore les possibilités de contrôle parlementaire sur des choix intergouvernementaux [41]. Connu sous le vocable de policy laundering ou « blanchiment de politique », cette pratique consiste à utiliser les instances et forums régionaux et internationaux, ou à créer des « groupes de discussion et de coopération » ad hoc comme moyens indirects de mettre en œuvre des politiques dont l'approbation était compromise (opinion publique défavorable ou enceintes classiques de décision trop « rigide » parce que disposant de mécanismes de contrôles démocratiques établis de longue date) [42]. Le recyclage législatif est ainsi réalisé au prix d'un contournement du processus démocratique. Au moment où il s'agit d'introduire ces décisions au niveau national, le temps du débat est clos et les politiques sont adoptées comme des internationally-agreed initiatives.

26 Dans son rapport, Gus Hosein estime qu'in fine, « si il y a une différence remarquable entre les deux [États-Unis et UE], elle réside dans le fait que quand les Américains vont trop loin dans une politique et que la controverse s'échauffe, le débat public et le processus démocratique sont finalement enclins à restreindre les pouvoirs du gouvernement. Il n'y a pas, en Europe, de processus de délibération similaire [43] ». Bien que susceptible de pécher par tropisme inversé, son étude a le mérite d'appeler un regard alternatif sur l'établissement progressif des dispositifs antiterroristes aux États-Unis et en Europe.

27 Ce tour d'horizon de la stratégie antiterroriste européenne permet de constater que si le concept de Homeland Security ne recouvre pas un périmètre commun et identifiable de part et d'autre de l'Atlantique, il n'en est pas moins un enjeu à la fois politique, économique et social pour l'Union et ses États membres. Par ailleurs, cet alignement a été formalisé par quatre accords qui témoignent d'une coopération transatlantique sans précédent et qui dépasse de loin le champ de l'antiterrorisme pour concerner plus largement le contrôle des frontières, l'immigration, l'extradition et toute autre forme de coopération judiciaire [44]. À l'instar des États-Unis, l'UE a adhéré à cette approche globale de la sécurité avec la mise en place de réseaux institutionnels de surveillance via un ensemble d'institutions et de procédures impliquées dans la gestion des flux de populations et de biens, de manière à protéger le bon fonctionnement du marché, de ses infrastructures humaines, institutionnelles et techniques. Comme le montre Philippe Bonditti, la tension au sein des démocraties occidentales entre ce retour à des méthodes coercitives anciennes de contrôle et de surveillance d'une part et, d'autre part, les fantasmes du tout technologique et de ce rêve politique d'une gestion possible de nos devenirs par anticipation, débouche sur des pratiques de contrôle et de surveillance faisant de la traçabilité des individus la condition de sécurité des espaces et des populations, et de l'échange d'information en temps réels entre acteurs de la sécurité, la condition de réussite de ces pratiques [45]. Il explique ainsi que « cette convergence transatlantique [est] orchestrée par la prise en considération de l'élément technique », l'attachement à la valeur donnée aux nouvelles technologies et à l'idée d'un chaos quasi apocalyptique comme seule alternative au monopole de la violence dans un territoire spécifique, articulant les récits sur la sécurité autour d'une capacité à contrôler le futur.

28 Que l'UE ait « peu à peu cédé aux diverses exigences américaines tendant à l'inscrire dans son Homeland Security[46] » ou qu'elle ait opportunément saisi l'occasion pour bâtir son propre Homeland Security sur le dos des exigences américaines et de la lutte contre le terrorisme, force est de constater que ce concept est aujourd'hui partagé. Et les dernières stratégies antiterroristes présentées de part et d'autre de l'Atlantique témoignent de cette approche similaire, holistique, qui fait de la lutte contre le terrorisme « la nouvelle frontière de la sécurité occidentale [47] ».

29 Si les termes de « guerre contre le terrorisme » adoptés par le gouvernement Bush ne sont pas vraiment instaurés dans le langage diplomatique international, la vision qu'ils véhiculent - celle d'un espace politique redéfini par la question terroriste, au cœur du nouveau paradigme de la sécurité - est largement partagée par les autorités politiques et les acteurs de la sécurité en Occident. Formel ou informel, l'exceptionnalisme dont est investie la lutte contre le terrorisme devient le fondement de la réflexion et de l'action commune des démocraties occidentales. À partir de l'idée selon laquelle le terrorisme est un type de violence de caractère exceptionnel, il appellerait des réponses exceptionnelles débouchant sur une reformulation de la notion de liberté et de droits de l'homme dans et au-delà des États libéraux : la liberté n'y est plus présentée comme la liberté des individus de penser et d'agir dans les limites des principes démocratiques, mais comme celle de ne pas avoir à subir un climat permanent de peur et d'insécurité, celle de jouir de son droit à la vie [48]. Ce schéma oppositionnel liberté/sécurité est partagé par la grande majorité des acteurs politiques et s'appuie sur l'idée que les droits humains constituent une valeur égale mais opposée à celle de la sécurité [49]. « On pense alors que “plus de sécurité est obligatoirement une bonne chose”. Or, tel n'est pas le cas. La sécurisation n'est jamais bonne en soi. La sécurité n'est pas une méta-valeur, primant sur les libertés [50] ». Cette stratégie discursive pernicieuse a donc reposé sur une inversion de valeur préjudiciable aux libertés individuelles. Autant de discours rendus possibles parce que les attentats du 11 septembre ont été qualifiés d'attaques contre la démocratie et la liberté d'une part, et à travers le clivage strict des parties au conflit (« You are with or against us »).

30 Si chaque mesure prise individuellement peut sembler une aberration, l'ensemble des mesures sécuritaires inscrites dans un continuum témoigne d'une réarticulation et d'un réagencement extensif de l'espace de l'exception. Comme la « menace terroriste » elle-même, les risques liés à l'exceptionnalisme et à l'autoritarisme de la précaution et de la prévention tendent à se généraliser et à s'institutionnaliser par effet de cliquet. Ce constat est renforcé par l'établissement immanent des politiques antiterroristes d'exception comme politiques publiques inscrites dans la durée, dans une « nouvelle normalité [51] ». Ainsi, puisqu'au nom de l'exceptionnalité de la lutte antiterroriste on transforme la relation entre liberté et sécurité, entre la norme et l'exception, entre le légal et l'extralégal, il semble légitime de se poser la question du danger que constitue une normalisation de cette exceptionnalité et son impact à long terme sur l'État de droit et le « système occidental » (entendu comme système politico-juridique et référentiel de valeur à prétention universelle). Car, au-delà de la survenance potentielle et circonstanciée de violations faites aux libertés publiques, ce sont les principes fondamentaux de la vie politique moderne qui sont remis en question. Si l'on souligne fréquemment le rôle intégrateur et mobilisateur d'une menace à l'ordre social et politique tel que le terrorisme, il ne faut pas négliger les effets potentiellement centrifuges de celui-ci. Les pouvoirs que s'octroient les appareils d'État sapent les principes démocratiques : en combattant de la sorte le terrorisme, non seulement l'État se donne les moyens de réaffirmer son emprise sur le monopole de la violence légitime mais il développe des logiques anciennes pour renforcer de manière exponentielle un « monopole du contrôle légitime » à l'encontre de ses citoyens. Ce mouvement de policiarisation de la société, de la normalisation de l'exceptionnel ne nourrit-il pas le succès des « stratégies terroristes » ? En voulant combattre le terrorisme, l'État de droit est susceptible de triompher sur le terrain, mais risque d'y perdre son « âme » ; une victoire à la Pyrrhus qui entraînerait en réalité sa perte par un processus de fascisation de la vie politique [52].

31 Quoi qu'il en soit, les politiques antiterroristes altèrent les fondements des États libéraux, confortent les régimes non démocratiques dans leur système et annihilent la puissance narrative de l'Occident, sa capacité à diffuser sa « bonne parole » via l'élaboration d'un « grand récit géopolitique » [53] : on ne peut à la fois considérer que les principes démocratiques et les valeurs fondamentales ont une valeur universelle, s'en déclarer les légataires exclusifs et les transgresser en toute impunité, que ce soit dans l'ordre interne des États ou au niveau des relations internationales. Révélateur et incarnation de la crise de la conflictualité politique, de la souveraineté et de l'universalisme qui traverse l'espace mondial, le « phénomène terroriste » s'impose peut-être effectivement comme le « grand test de civilisation de notre temps [54] ». Il interpelle en tout état de cause les capacités de résilience politique et sociétale des démocraties occidentales [55]. Car en effet, il y a bien plus qu'une dimension de l'action politique, législative et légale dans la lutte contre le terrorisme. Des modalités décidées et de leur pérennisation découle un ordre symbolique accepté par tous, une vision de la société et de ce qu'elle devrait être. Et celles qui nous sont proposées depuis 2001 méritent d'être attentivement surveillées et questionnées.

Notes

  • [1]
    Cet article présente les grandes lignes développées par l'auteur dans son mémoire de 3e cycle en Relations internationales (IPRIS, 2005-2006) qui fera l'objet d'un ouvrage à paraître aux éditions du Félin (octobre 2007).
  • [2]
    Essentiellement stato-centrées, basées sur la puissance et reposant sur les théories du choix rationnel.
  • [3]
    Les difficultés à définir le terrorisme témoignent d'une incapacité des analyses classiques à appréhender un phénomène de violence erratique dans ses manifestations comme dans ses ressorts et modalités.
  • [4]
    Cofer Black, Central Intelligence Agency (CIA), testimony before the Joint House and Senate Select Intelligence Committee, 26 septembre 2002.
  • [5]
    Amnesty International, États-Unis-Guantanamo et au-delà : à la recherche d'un pouvoir exécutif sans limites, 3 avril 2005.
  • [6]
    Military Order, 66 Fed. Reg.57, 833, 13 novembre 2001.
  • [7]
    G. W. Bush, Humane Treatment of al Qaeda and Taliban Detainees, Memorandum, 7 février 2002.
  • [8]
    Communiqué de presse du ministère de la Défense des États-Unis « Detainee transfer announced  », 5 novembre 2005.
  • [9]
    Voir Pratiques présumées en matière de détention et d'interrogatoires, Amnesty International, « États-Unis-Guantánamo et au-delà : à la recherche d'un pouvoir exécutif sans limites », 3 mai 2005.
  • [10]
    Voir Procedures for Trials by Military Commissions of Certain Non-United States Citizens in the War against Terrorism, DoD Military Commission Order no 1, 21 mars 2002.
  • [11]
    Selon les estimations, quelques 800 vols auraient été effectués depuis 2001 par les six avions affrétés par la CIA.
  • [12]
    Dana Priest, « CIA Holds Terror Suspects in Secret Prisons », Washington Post, 2 novembre 2005, page A01.
  • [13]
    Commission des questions juridiques et des droits de l'homme, « Allégations de détentions secrètes et de transferts illégaux de détenus concernant des États membres du Conseil de l'Europe », 7 juin 2006.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    Alexandre Adam, La lutte contre le terrorisme, étude comparative UE-États-Unis, Paris, L'Harmattan, 2005, p. 45.
  • [16]
    Francesco Ragazzi le définit comme la logique conduisant à suspendre les normes internationales tout en ayant la prétention de mener des actions qui auraient force de loi. « The National Security Strategy of the USA », Cultures & Conflits, no 56, hiver 2004, p. 155.
  • [17]
    « Suspicion et exception », Cultures & Conflits, no 58, Paris, l'Harmattan, 2005.
  • [18]
    Gus Hosein, Threatening the Open Society, Privacy International Report, 13 décembre 2005.
  • [19]
    « Declaration of National Emergency », Office of the Press Secretary, 14 septembre 2001. Executive Order 13223.
  • [20]
    Déjà, le décret-loi signé par J. Ashcroft le 2 novembre 2001 autorisait l'écoute et l'enregistrement, sans autorisation judiciaire préalable, des conversations entre avocats et personnes accusées d'activités terroristes.
  • [21]
    Ayse Ceyhan, « Sécurité, frontières et surveillance aux États-Unis après le 11 septembre 2001  », Cultures & Conflits, Hors-thème, no 53, 2004, p. 113-145. Ce nouveau ministère de la Sécurité du territoire regroupe 22 agences fédérales et services placés jusqu'alors sous la tutelle de plusieurs ministères (services secrets, gardes-côtes, douanes, services d'immigration et de naturalisation, sécurité des transports ou encore réserves pharmaceutiques nationales).
  • [22]
    Parmi les mesures annexes au HSA, citons CAPPS-II (pré-filtrage des passagers assisté par ordinateur), The Aviation Transport and Security Act (données PNR et système APIS), le Enhanced Border Security and Visa Entry Reform Act ou encore le programme TIA (Total Information Awareness, transformé par la suite en Terrorist Information Awarness).
  • [23]
    Ayse Ceyhan, op.cit.
  • [24]
    Voir hhttp:// www. dhs. gov/ xprepresp,notamment la rubrique Ready.gov.
  • [25]
    Sondage USAToday/Gallup : 53 % des Américains interrogés estimaient que les restrictions des libertés civiles décidées par l'administration Bush étaient appropriées ou insuffisantes.
  • [26]
    Didier Bigo, « La voie militaire de la “guerre au terrorisme” et ses enjeux », Cultures & Conflits, no 44, 2001, p. 5-18.
  • [27]
    La part de subjectivité propre à l'incrimination terroriste ne peut remplir le principe de légalité des délits et des peines exigé en matière pénale. Insuffisamment précise et objective, instable de surcroît, cette incrimination peut-être aisément appliquée en dehors de son cadre juridique initial.
  • [28]
    Des pouvoirs extensifs et excessifs au regard de l'équilibre de la justice, non assortis de garanties suffisantes en termes de transparence et de contrôle hiérarchique et démocratique.
  • [29]
    Laura.K.Donohue, Counter-terrorist Law and emergency powers in the UK, Irish Academic Press, 2001. L'expérience historique enseigne que ces mesures « d'urgence » sont prorogées et pérennisées par leur introduction dans le code pénal. Identifié en économie sous le terme d'effet cliquet, ce mécanisme désigne ici « l'incapacité à long terme de se désengager de la tentation d'ajouter à une mesure d'exception une nouvelle mesure sécuritaire toujours présentée comme cette fois véritablement efficace, mais qui, en définitive, ne règle en rien le problème » (D. Bigo, op.cit. p. 17).
  • [30]
    Voir wwww. statewatch. org,« Scoreboard on post-Madrid counter-terrorism plans », 2004.
  • [31]
    Procédure souvent secrète, non contradictoire et d'une durée illimitée. La possibilité de recourir à pareilles méthodes d'enquête alors qu'aucune infraction n'a encore été commise, pourvu que des indices sérieux existent donnant à penser qu'elle pourrait être commise, leur donne un champ d'utilisation très large.
  • [32]
    Valsamis Mitsilegas, « Contrôle des étrangers, des passagers, des citoyens : surveillance et antiterrorisme  », Cultures & Conflits, no 58, 2005, p. 151.
  • [33]
    Session extraordinaire du Conseil Justice et affaires intérieures, Bruxelles, le 13 juillet 2005.
  • [34]
    « Liberty and Security : Striking the Right Balance  », A Paper by the UK Presidency, 7 septembre 2005.
  • [35]
    Selon la formule de Julien Cantegreil, Terrorisme et libertés, la voie française après le 11 septembre, En temps réel, les cahiers, janvier 2005, p. 24.
  • [36]
    Emmanuel-Pierre Guittet et Miriam Perier, « Suspicion et exception », Cultures & Conflits, no 58, 2005, p. 6.
  • [37]
    Ayse Cehan, op.cit., p. 113-145.
  • [38]
    Nathalie Bayon et Jean-Pierre Masse, « L'altermondialisme au prisme de l'exceptionnalisme : les effets du 11 septembre 2001 sur le mouvement social européen », Cultures & Conflits, Hors thème.
  • [39]
    Nicolas Sarkozy, « Terrorisme, la nouvelle menace  », dans l'émission Pièces à conviction, diffusée sur France 3 le 26 septembre 2005.
  • [40]
    Dans une de ses observations, Statewatch met en exergue 22 mesures européennes estampillées « antiterroristes » qui entrent en infraction avec pas moins de 14 articles de la Charte des droits fondamentaux de l'UE. Statewatch Submission to the Network of Independent Experts on fundamental rights in the EU, 2003.
  • [41]
    Réseau UE d'experts indépendants sur les droits fondamentaux (CFR-CDF), L'équilibre entre liberté et sécurité dans les réponses de l'UE et de ses États membres à la menace terroriste, Observation thématique, 31 mars 2003.
  • [42]
    Voir www. policylaundering. org.
  • [43]
    Gus Hosein, op. cit. p. 41.
  • [44]
    Accord relatif à la sécurité des conteneurs ; Accord entre la Communauté européenne et les États-Unis sur le traitement et le transfert de données PNR ; Accords sur l'extradition et l'entraide judiciaire entre les États-Unis et l'UE.
  • [45]
    Emmanuel-Pierre Guittet, Miriam Perier, op.cit., p. 10 ; Philippe Bonditti, « Biométrie et maîtrise des flux : vers une geotechnopolis du vivant-en-mobilité ? », Cultures & Conflits, no 58, été 2005, p. 131-154.
  • [46]
    Alexandre Adam, op.cit., p. 59.
  • [47]
    Arthur Paecht et Pascal Boniface, « Valeurs communes, visions divergentes », Le Figaro, 26 décembre 2003.
  • [48]
    Voir « Address by Mr Gijs de Vries » to the Counter-Terrorism Committee, New York, 23 juin 2005.
  • [49]
    Anastassia Tsoukala, « La légitimation des mesures d'exception dans la lutte antiterroriste en Europe », Cultures & Conflits, no 61, 2006.
  • [50]
    D. Bigo, op.cit., p. 12.
  • [51]
    Voir « Dick Cheney Delivers Remarks to the Republican Governors Association », Washington D.C., 25 octobre 2001.
  • [52]
    Didier Bigo, Daniel Hermant, « Terrorisme et antiterrorisme en France », Les Cahiers de la sécurité intérieure, no 1, avril-juin 1990, p. 113-148.
  • [53]
    Karoline Postel-Vinay, L'Occident et sa bonne parole, Paris, Flammarion, 2005.
  • [54]
    Déclaration de Salman Rushdie, directeur du PEN American, Cooper Union, 4 août 2004.
  • [55]
    Joseph Henrotin, « La résilience, le chaînon manquant des stratégies antiterroristes ? », Diplomatie Magazine, no 16, septembre-octobre 2005, p. 12-15.
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