Couverture de RFSP_663

Article de revue

L’État stratège pris dans les taux

L’invention d’une agence de la dette publique française

Pages 435 à 459

Notes

  • [1]
    Jusqu’au milieu des années 1980, il n’y avait qu’un seul office indépendant de gestion de la dette au sein de la zone OCDE, l’Office suédois de la dette publique.
  • [2]
    La notion de « credible commitment », empruntée à Th. Schelling (The Strategy of Conflict, Cambridge, Harvard University Press, 1960), est au cœur de la théorie économique des institutions. Cf., par exemple, D. C. North, B. R. Weingast, « Constitutions and Commitment : The Evolution of Institutions Governing Public Choice in Seventeenth-Century England », Journal of Economic History, 49 (4), 1989, p. 803-832 ; K. A. Shepsle, « Discretion, Institutions and the Problem of Government Commitment », dans P. Bourdieu, J. C. Coleman (eds), Social Theory for a Changing Society, Boulder, Westview Press, 1991.
  • [3]
    Inspirés par l’école d’économie du public choice, des réformateurs ont promu la dépolitisation et la mise à l’écart des représentants politiques comme des solutions aux échecs des politiques économiques et monétaires poursuivies pendant les années 1970. Cf. A. Roberts, The Logic of Discipline. Global Capitalism and the Architecture of Government, New York, Oxford University Press, 2010 ; M. Flinders, Defending Politics. Why Democracy Matters in the 21st Century, Oxford, Oxford University Press, 2012.
  • [4]
    D. Stasavage, « Credible Commitment in Early Modern Europe : North and Weingast Revisited », Journal of Law, Economics, and Organization, 18 (1), 2002, p. 155-186.
  • [5]
    Cet article se base sur des entretiens semi-directifs réalisés entre 2007 et 2011 auprès d’anciens hauts responsables de la direction du Trésor au ministère des Finances, de membres de cabinets politiques ainsi que de banquiers, spécialistes en valeur du Trésor. Les extraits d’entretiens et citations sont issues de cette enquête. La démonstration repose aussi sur la consultation d’archives déposées au Centre des archives économiques et financières (CAEF, Savigny-le-Temple), ainsi que sur une étude de la presse généraliste et spécialisée.
  • [6]
    D. Linhardt, F. Muniesa, « Tenir lieu de politique : le paradoxe des “politiques d’économisation” », Politix, 95, 2011, p. 7-21.
  • [7]
    L. Winner, « Do Artifacts Have Politics ? », Daedalus, 109 (1), hiver 1980, p. 121-136.
  • [8]
    D. Linhardt, « Épreuves d’État : une variation sur la définition wébérienne de l’État », Quaderni, 78, printemps 2012, p. 5-22 ; Ph. Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009.
  • [9]
    P. Lascoumes, L. Simard, « L’action publique au prisme de ses instruments », Revue française de science politique, 61 (1), février 2011, p. 5-22.
  • [10]
    B. Laurent, « Boundary-Making in the International Organization : Public Engagement Expertise at the OECD », dans J.-P. Voss, R. Freeman (eds), Knowing Governance. The Epistemic Construction of Political Order, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015, p. 217-235.
  • [11]
    S. Polillo, M. F. Guillén, « Globalization Pressures and the State : The Worldwide Spread of Central Bank Independence », American Journal of Sociology, 110 (6), mai 2005, p. 1764-1802.
  • [12]
    R. J. Barro, D. B. Gordon, « Rules, Discretion and Reputation in a Model of Monetary Policy », Journal of Monetary Economics, 12, 1983, p. 101-121 ; Th. J. Sargent, Rational Expectations and Inflation, New York, Harper & Row, 1986.
  • [13]
    J. M. Buchanan, R. E. Wagner, Democracy in Deficit, New York, Academic Press, 1977.
  • [14]
    Cette littérature s’élabore à la croisée de l’économie académique et des expertises propres aux organisations internationales ou aux gouvernements. Cf. M. Cassard, D. Folkerts-Landau, « Risk Management of Sovereign Assets and Liabilities », International Monetary Fund, working paper 97/166, décembre 1997.
  • [15]
    Y. Steiner, « The Dark Side of the Force : de l’usage du politique dans la théorie économique de la banque centrale indépendante », Critique internationale, 22, 2004, p. 49-61.
  • [16]
    Les marchés financiers désirent ou fantasment une monnaie sans autorité politique. Cf. A. Orléan, L’empire de la valeur, Paris, Seuil, 2011, p. 217.
  • [17]
    P. Moser, « Checks and Balances, and the Supply of Central Bank Independence », European Economic Review, 43 (8), 1999, p. 1569-1993.
  • [18]
    F. Gilardi, « The Institutional Foundations of Regulatory Capitalism : The Diffusion of Independent Regulatory Agencies in Western Europe », The Annals of the American Academy of Political and Social Sciences, 600, 2005, p. 84-101.
  • [19]
    Pour une critique et un état de l’art de ces approches, cf. M. Lodge, O. James, « The Limitations of “Policy Transfer” and “Lesson Drawing” for Public Policy Research », Political Studies Review, 1, 2003, p. 179-193.
  • [20]
    C. Radaelli, « Policy Transfer in the European Union : Institutional Isomorphism as a Source of Legitimacy », Governance. An International Journal of Policy and Administration, 13 (1), janvier 2000, p. 25-43.
  • [21]
    Le changement des structures de financement de l’État et de nature de la dette (du non négociable au négociable) n’est pas réductible au cas de la France. Cf. le tableau p. 440, extrait de S. M. Ali Abbas, L. Blattner, M. De Broeck, A. El Ganainy, M. Hu, « Sovereign Debt Composition in Advanced Economies : A Historical Perspective », International Monetary Fund, working paper 14/162, september 2014.
  • [22]
    L. Quennouëlle-Corre, La Direction du Trésor, 1947-1967. L’État-banquier et la croissance, Paris, CHEFF, 2000 ; B. Lemoine, L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché, Paris, La Découverte, 2016.
  • [23]
    Par exemple, la technique du plancher de bons du Trésor (contraignant les banques à souscrire aux bons du Trésor à court terme en fonction de leurs dépôts) drainait des liquidités de façon automatique vers l’État. Le circuit était aussi constitué des dépôts obligatoires de leurs trésorerie par des entités variées appartenant au réseau du Trésor : entreprises ou institutions publiques et semi-publiques.
  • [24]
    A. Cuckierman, « Central Bank Independence and Monetary Policymaking Institutions : Past, Present and Future », European Journal of Political Economy, 24 (4), 2008, p. 722-736.
  • [25]
    S. C. W. Eijffinger, J. De Hann, « The Political Economy of Central-Bank Independence », Special Papers in International Economics, 19, Department of Economics, Princeton University, New Jersey, mai 1996.
  • [26]
    E. Monnet, « Blurring the Lines between Monetary and Fiscal Financing of Public Debt after World War II : The French Case in European Perspective », communication au colloque « The Global Politics of Public Debts, from the Late Eighteenth Century », Cambridge, Centre for History and Economics, 11-12 juin 2015.
  • [27]
    CAEF, Ministère des Finances, note de Christian Noyer à Jean-Fraçois Pons, 13 février 1987.
  • [28]
    Au mieux, les analyses cherchent à améliorer le mandat du principal à l’agent en prenant en compte les critiques « d’incohérence démocratique » qui lui sont adressées, comme le fait qu’entre la mise en œuvre de l’agence et les évolutions ultérieures, les préférences du gouvernement peuvent changer. Pour une approche normative de ce type appliquée au cas de la Banque centrale européenne, cf. R. Elgie, « The Politics of the European Central Bank : Principal-Agent Theory and the Democratic Deficit », Journal of European Public Policy, 9 (2), 2002, p. 186-200.
  • [29]
    R. Abdelal, « Constructivism as an Approach to International Political Economy », dans M. Blyth (ed.), Routledge International Handbook of Political Economy, New York, Routeledge, 2009, p. 62-63.
  • [30]
    On ne trouve pas de corrélation systématique entre l’évolution du niveau de la dette rapporté au PIB et l’adoption du modèle « agence de la dette » (cf. tableau en annexe). Les stocks de dettes diminuent parfois drastiquement à la suite de l’introduction d’une agence – comme dans le cas de l’Irlande, de la Nouvelle-Zélande, de la Hongrie, du Danemark – quand d’autres dettes continuent d’augmenter après leurs mises en place – modérément en Autriche et en Suède, plus sûrement et progressivement en France, en Allemagne, ou de façon dramatique en Grèce. Comprendre l’augmentation ou la réduction du niveau de dette implique de prendre en compte une liste de facteurs multiples (niveau de la fiscalité en face des dépenses, plan d’économies structurelles, privatisations des services publics, taux d’intérêt, etc.).
  • [31]
    Un haut fonctionnaire du Trésor illustrait ce phénomène en mobilisant lors d’un entretien l’exemple de la Finlande ou du Luxembourg.
  • [32]
    Ce premier livre vert portait « sur les caractéristiques institutionnelles des offices de gestion de la dette » (propos cités dans H. Bloomenstein, L. Kaleren, « La gestion de la dette publique et les marchés des valeurs d’État au 21e siècle : rôle et structure des offices de gestion de la dette », OCDE, 2002).
  • [33]
    B. Lemoine, « Discipliner l’État par sa dette : la mise en marché et la sectorisation du “problème” de la dette publique », dans Ch. Halpern, P. Lascoumes, P. Le Galès (dir.), L’instrumentation de l’action publique. Controverses, résistance, effets, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 367-396.
  • [34]
    Cf. le projet commun OCDE-FMI de 1995-1996 sur la coordination entre la politique monétaire et la politique de gestion de la dette publique, enquête sur quatorze pays de la zone OCDE et économies émergentes, rapport publié en 1997 : V. Sundararajan, P. Dattels, H. J. Blommestein (ed.), Co-Ordinating Public Debt and Monetary Management, Washington, Fonds monétaire international, 1997.
  • [35]
    E. Currie, J.-J. Dethier, E. Togo, « Institutional Arrangements for Public Debt Management », Policy Research Working Paper, 3021, The World Bank Development Economics, Office of the senior vice-president and chief economist and banking, Capital Markets, and Financial Engineering Department, Public Debt Management Group, March 2003.
  • [36]
    Banque mondiale, FMI, Directives pour la gestion de la dette publique, DC/2001-0002, 30 mars 2001. Les auteurs de la Banque mondiale évoquent le cas de la Suède et ses instruments inter-institutionnels partagés entre Trésor et Riksbank qui « œuvraient à la fois au financement de l’État et à la politique monétaire ».
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    La littérature sur la délégation bureaucratique explique que les dispositifs juridiques et institutionnels relatifs à la politique monétaire ou à la gestion des finances publiques sont « coûteux » à modifier une fois installés. Cf. D. North, B. Weingast, « Constitutions and Commitment… », art. cité.
  • [39]
    T. Delpeuch, « Comprendre la circulation internationale des solutions d’action publique : panorama des policy transfer studies », Critique internationale, 43, 2009, p. 153-165.
  • [40]
    P. J. DiMaggio, W. Powell, « The Iron Cage Revisited : Institutionalized Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 48, 1983, p. 147-160.
  • [41]
    T. Magnusson, Director and the General Counsel of the Swedish National Debt Office, « The Institutional and Legal Base for Effective Debt Management », communication à la troisième conférence Inter-Regional Debt Management, préparée par UNCTAD, Genève, 3-5 décembre 2001 ; D. Leong, « Debt Management : Theory and Practice », UK Treasury Occasional Paper, 10, avril 1999 ; G. Wheeler, « New Zealand’s Experience With Autonomous Sovereign Debt Management », Treasurer, New Zealand Debt Management Office, novembre 1996.
  • [42]
    M. Lodge, « Institutional Choice and Policy Transfer : Reforming British and German Railway Regulation », Governance. An International Journal of Policy, Administration, and Institutions, 16 (2), avril 2003, p. 159-178 ; D. Stone, « Transfer Agents and Global Networks in the “Transnationalization” of Policy », Journal of European Public Policy, 11 (3), juin 2004, p. 545-566.
  • [43]
    S. Goldfinch, « Remaking New Zealand’s Economic Policy : Institutional Elites as Radical Innovators 1984-1993 », Governance. An International Journal of Policy and Administration, 11 (2), avril 1998, p. 177-207.
  • [44]
    T. Delpeuch, « Comprendre la circulation internationale… », art. cité.
  • [45]
    W. Jacoby, Imitation and Politics, Redesigning Modern Germany, Ithaca, Cornell University Press, 2000.
  • [46]
    Même si on voit, dans le cas de la France, comment le standard est approprié et adapté en contexte local. Cf. F. Gilardi, M. Maggetti, « The Policy-Making Structure of European Regulatory Networks and the Domestic Adoption of Standards », Journal of European Public Policy, 18 (6), septembre 2011, p. 830-847.
  • [47]
    D. P. Moynihan « Ambiguity in Policy Lessons : The Agencification Experience », Public Administration 84 (4), 2006, p. 1029-1050.
  • [48]
    Benoît Cœuré est aujourd’hui membre du directoire de la BCE. Il a été numéro 2 de la direction générale du Trésor au ministère des Finances en tant que « chef économiste ».
  • [49]
    B. Cœuré, « L’Agence France Trésor, quatre ans après », dans le numéro spécial « Réformes au MINEFI : adaptations ou mutations ? », Revue française de finances publiques, 89, 2005.
  • [50]
    CAEF, Ministère des Finances, PH 148/00, carton 1/A-129 « système à l’étranger », document du 29 juillet 1997, rédigé par le Dr Paul Mills.
  • [51]
    Ibid. Nous traduisons la note de projet du Trésor anglais.
  • [52]
    Les Échos, 17 février 2000.
  • [53]
    Christian Noyer, ancien directeur du Trésor et gouverneur de la Banque de France, évoque en entretien avec une légère ironie la « mode » de l’époque qui est à la multiplication des agences.
  • [54]
    Dominique Strauss-Kahn est alors le ministre de l’Économie et des Finances.
  • [55]
    Propos en italique extraits d’entretiens avec d’anciens hauts fonctionnaires du Trésor.
  • [56]
    De novembre 1999 à mars 2000.
  • [57]
    Comme l’explique en ces termes S. de Forges.
  • [58]
    Discours de Laurent Fabius, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Conférence Paris Europlace, 11 juillet 2000.
  • [59]
    Ibid.
  • [60]
    De l’anglais to swap : échanger. Instrument financier, contrat permettant l’échange (de taux, de devises) de flux financiers entre deux parties, qui sont généralement des banques ou des institutions financières.
  • [61]
    Cf. M. Lodge « The Importance of Being Modern : International Benchmarking and National Regulatory Innovation », Journal of European Public Policy, 12 (4), 2005, p. 649-667.
  • [62]
    B. Cœuré, « L’agence France Trésor, quatre ans après », art. cité.
  • [63]
    B. Cœuré, ibid.
  • [64]
    Il deviendra associé-gérant de la banque Lazard en 2002.
  • [65]
    Jean-Pierre Jouyet, dans le Rapport annuel de l’AFT, 2000/2001.
  • [66]
    Sur la typologie des agences et les QUANGOS, « Quasi-Autonomous Non-Governmental Agencies », cf. Christopher Pollit, Colin Talbot (eds), Unbundled Government. A Critical Analysis of the Global Trend to Agencies, Quangos and Contractualisation, Abingdon, Routledge, 2004.
  • [67]
    B. Cœuré, « L’Agence France Trésor, quatre ans après », art. cité.
  • [68]
    « Les agences : une nouvelle gestion publique ? », Les rapports du Conseil d’État, étude annuelle 2012, p. 40.
  • [69]
    Ibid., p. 47-48.
  • [70]
    B. Cœuré, « L’Agence France Trésor, quatre ans après », art. cité.
  • [71]
    Sylvain de Forges, présentation à un atelier de l’OECD, Rome, 2001 ; Elizabeth Currie, « Update on European DMO », 2000, ronéotypé (nous traduisons).
  • [72]
    B. Cœuré, « L’Agence France Trésor, quatre ans après », art. cité ; « Les agences : une nouvelle gestion publique », cité.
  • [73]
    H. Bloomenstein, L. Kaleren, « La gestion de la dette publique… », cité.
  • [74]
    « Des “golden boys” au Trésor : une agence autonome gérera la dette de l’État », Le Figaro, 7 décembre 2000.
  • [75]
    H. Bloomenstein, L. Kaleren, « La gestion de la dette publique… », cité.
  • [76]
    « Agences qui, allégées des procédures bureaucratiques, bénéficieraient d’un environnement de travail approprié pour des prises de décisions rapides » (E. Currie et al., « Institutional Arrangements… », cité, nous traduisons).
  • [77]
    J.-M. Eymeri-Douzans, « Les réformes administratives en Europe : logiques managérialistes globales, acclimatations locales », Pyramides, 15, 2008, p. 71-94.
  • [78]
    M. Callon, C. Méadel, V. Rabeharisoa, « L’économie des qualités », Politix, 13 (52), 2000, p. 211-239.
  • [79]
    Les correspondants du Trésor sont les entités qui, par obligation législative, réglementaire ou par convention, disposent d’un compte ouvert dans les livres du Trésor, auprès d’un comptable public. Au 31 décembre 2013, l’encours des dépôts des correspondants sur le compte du Trésor s’élève à 127,7 Mde.
  • [80]
    Banque mondiale, FMI, Directives…, cité.
  • [81]
    Entre 2002 et 2011, l’effet de diminution de la charge de la dette « en volume » est difficilement perceptible tant les oscillations sont constantes. Par exemple, le résultat de l’exécution budgétaire 2002 faisait apparaître 40 691 millions d’euros, une baisse à 38 941 d’euros en 2006, puis une remontée à 45 382 euros pour le projet de loi de finances 2001. Attribuer ces chiffres à la stricte performance (ou contre-performance) de l’AFT est périlleux.
  • [82]
    Ph. Bezes, « Le modèle de “l’État-stratège” : genèse d’une forme organisationnelle dans l’administration française », Sociologie du travail, 4, 2005, p. 431-450.
  • [83]
    Le fait que les déficits publics s’accumulent ne signifie pas que l’instrument d’endettement sur les marchés soit au service de l’État social : les déficits pouvant être attribués à de nombreux autres facteurs, comme la dépense fiscale, et la baisse des recettes au nom de la croissance et de la compétitivité de l’économie.
  • [84]
    R. Livne, Y. P. Yonay, « Performing Neoliberal Governmentality : An Ethnography of Financialized Sovereign Debt Management Practices », Socio-Economic Review, 14 (2), 2016, p. 339-362.
  • [85]
    R. Lenoir, « L’État selon Pierre Bourdieu », Sociétés contemporaines, 87, 2012, p. 123-154.
  • [86]
    Je remercie Philippe Bezes, Patrick Le Lidec, Vincent Gayon, ainsi que les relecteurs anonymes de la Revue française de science politique qui ont commenté et discuté ce texte.

1La conquête d’une dette publique compétitive, dont les contrats d’emprunt bénéficient des meilleurs taux d’intérêt possibles sur les marchés financiers, est désormais un objectif d’État qui va de soi. Alors pourquoi ne pas confier sa gestion quotidienne à une agence spécialisée peuplée de véritables traders, dont les bureaux seraient localisés au plus près de la place financière de Paris, plutôt qu’à des hauts fonctionnaires opérant dans un service du ministère des Finances à Bercy ? C’est en ces termes que s’est posée à la fin des années 1990 la question de l’invention d’une agence indépendante dédiée au management de la dette publique française – les bons du Trésor et obligations souveraines qui permettent de combler les écarts entre dépenses et recettes publiques, des déficits qui s’accumulent depuis 1974.

2Créée en 2001, l’Agence France Trésor (AFT) n’est pas une exception dans le paysage européen et international [1]. À la fin des années 1990, la Nouvelle-Zélande, l’Irlande, le Royaume-Uni, le Portugal, l’Autriche, l’Australie, la Hongrie, l’Islande, les Pays-Bas, la Pologne, la Grèce et l’Allemagne ont mis en place ou commencé à étudier l’opportunité de mettre en place des offices de la dette, dotés d’une plus ou moins grande autonomie opérationnelle. L’innovation institutionnelle « Agence France Trésor » peut se lire comme la déclinaison et l’appropriation nationale d’un standard bureaucratique mis en forme à l’échelle internationale par les organisations intergouvernementales (OI) – le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) – à l’écoute des marchés financiers. Le recours à l’agence autonome, appliqué à la dette, aux banques centrales ou à d’autres secteurs d’action publique (santé, industrie, transports et télécommunications, etc.) repose sur un modèle fonctionnaliste et contractualiste. Afin de sanctuariser dans et par l’agence des impératifs monétaires et financiers, les représentants politiques se dessaisiraient volontairement et rationnellement de leurs pouvoirs discrétionnaires. L’autonomisation de ces « fonctions » est une façon pour l’État de souscrire un « engagement crédible » auprès des potentiels prêteurs et souscripteurs de dette en liant les mains des gouvernants [2]. En effet, le maintien de la discipline sur les engagements relatifs à l’inflation, à l’équilibre budgétaire ou au service régulier et durable de la dette serait d’autant plus crédible que ces objectifs seraient inscrits dans des normes institutionnalisées ou délégués à des experts techniques agissant dans une organisation censée être imperméable aux sensibilités politiques et plus encline à assumer, au nom de la stricte efficience économique, des choix douloureux mais incontestables [3]. En prolongeant naturellement l’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif dont bénéficie déjà la banque centrale dans son format dominant, l’autonomie accordée à l’agence d’émission de la dette constituerait un « point de veto institutionnel » [4], une garantie supplémentaire de non-intervention des pouvoirs arbitraires du souverain dans les affaires financières, offerte aux marchés de capitaux que l’administration publique sollicite pour se financer. Ainsi rénové, le service du Trésor contracterait toujours des emprunts pour le compte du gouvernement, mais de façon quasi automatique, à distance et à l’abri du politique. Le schéma de délégation bureaucratique de l’agence de la dette – debt management office, selon l’appellation internationale du standard – fige dans le dur d’une architecture organisationnelle les pratiques administratives qui confèrent du crédit à l’État. Le geste réformateur est justifié au nom de l’intérêt général. L’agence doit améliorer les performances du service en diminuant la prime de risque que les créanciers exigent (qui se répercute sur le niveau des taux d’intérêt des emprunts) et donc en dégonflant la charge de la dette dans le budget de l’État subie par le citoyen-contribuable.

3Cet article étudie les controverses confinées aux plus hautes sphères de l’État français et soulevées à l’occasion du projet d’installation de l’Agence France Trésor (AFT) [5]. La version maximaliste consistait à détacher et sortir du giron du ministère des Finances la fonction de financement de l’État considérée traditionnellement comme irréductiblement régalienne – « le bureau originel », selon les mots d’un haut fonctionnaire – pour privatiser partiellement ce service public. En refusant de tenir pour acquise la dépolitisation prétendument à l’œuvre dans ces réaménagements administratifs, on montre comment le dessaisissement du politique par l’agence est en soi un projet politique, et plus précisément un projet d’agencement des politiques économiques. En envoyant aux investisseurs financiers un message d’indépendance et de dépossession du politique, ce format bureaucratique opère comme une « modalité spécifique de politisation par antinomie », ou « une dépolitisation politique » [6]. Avec les outils méthodologiques de la sociologie des sciences et des techniques, il s’agit ici de dépasser une vision réifiée du couple « politisation-dépolitisation » pour révéler le processus de production du politique par les dispositifs et innovations étatiques [7]. Loin de correspondre à la dépolitisation rationnelle postulée de façon mécanique par le modèle de l’agence, les débats soulevés par la réforme constituent un moment de réactualisation des politiques financières légitimes. Au cours de ces disputes, les acteurs de l’administration du Trésor font preuve de réflexivité sur leurs pratiques [8], règlent à nouveau leur distance au politique – entendu au sens empirique du ministre, de son cabinet et des parlementaires – et ajustent les rapports qu’ils entretiennent vis-à-vis de leur environnement, c’est-à-dire les marchés de capitaux et leurs attentes. L’agence constitue en cela une « technologie de gouvernement » [9], un instrument de problématisation qui met en ordre les politiques publiques de la dette et redéfinit les frontières entre ce qui se discute, se prête au volontarisme et à la décision politique, et ce qui ne se discute pas, pour rester le domaine réservé des hauts fonctionnaires, experts de la commercialisation de la dette [10].

4En interaction permanente avec les gouvernements (et les représentants des directions du Trésor des différents pouvoirs exécutifs), les OI valorisent et prescrivent une organisation standardisée des politiques publiques de gestion de la dette et des « bonnes pratiques » orientées vers le développement d’un marché obligataire structuré et transparent pour assurer le financement de l’État [11]. Mais au moment de sa mise en œuvre en France, le « mimétisme institutionnel » des politiques économiques internationales ne se réalise pas tout à fait. Le modèle qui circule dans les canaux institutionnels et sociaux de l’homogénéisation bureaucratique internationale est largement retouché en fonction des spécificités nationales qui se ré-explicitent en même temps. La consolidation d’une juridiction professionnelle et d’un compartiment d’action dédié à la gestion de la dette réinvente l’État stratège, en redéfinissant ses objectifs de service public à l’aune des exigences des banques commerciales et des investisseurs.

Les logiques du « choix » de l’agence

5Les agences sont décrites dans la littérature économique orthodoxe – par des auteurs néoclassiques et monétaristes ou encore par l’école du public choice, largement anti-keynésiens – comme le produit d’une action rationnelle et d’un choix éclairé de délégation, par le politique, des choix monétaires et financiers à une autorité indépendante. Ces théories ont comme socle commun d’exprimer une méfiance vis-à-vis du personnel politique et de postuler son indiscipline et son instabilité, estimant celui-ci entièrement livré aux contingences électorales [12]. Elles prescrivent une solution à ce problème : l’isolement et l’autonomie organisationnelle pour mettre ces enjeux monétaires et financiers à l’abri des pressions à agir conformément aux désirs des gouvernements ou des électeurs [13]. Il en est ainsi de la Banque centrale indépendante (BCI) qui doit garantir la stabilité et la prévisibilité des politiques poursuivies en maintenant une cible d’inflation basse, construite comme naturellement saine d’un point de vue économique [14]. Ce modèle dit de « l’incohérence temporelle », considère qu’une BCI est en capacité de maintenir la discipline monétaire et budgétaire, en empêchant les conflits d’agendas entre le court terme de l’autorité politique (qui serait par essence soumise aux contraintes de la compétition électorale) et la stabilité des bonnes décisions monétaires à long terme. Le politique est conçu comme porteur d’un « biais inflationniste » : à l’approche des scrutins, les gouvernants montreraient une préférence pour une réduction du taux de chômage et des politiques favorables à l’emploi, plutôt qu’une abnégation à maintenir le niveau d’inflation initialement annoncé. Face à une telle « incohérence », le gouvernement – et par extension la société, en tant que mandant principal – délèguerait à l’agent sous contrôle – la banque centrale indépendante – l’administration de la monnaie et la réalisation de l’objectif non controversé d’une cible basse d’inflation [15]. La monnaie, auparavant levier de gestion des politiques économiques du ressort des gouvernants, devient un facteur extérieur échappant à toute forme de discutabilité. Censée devenir un « pur instrument » [16], sa gestion est transférée dans une organisation prétendument mue par sa raison exclusivement technique.

6La philosophie politique de cette extériorisation, en dehors de la sphère propre du gouvernement, est d’aboutir à un système de contrepoids et d’équilibrage des pouvoirs (check and balance) en les distribuant dans des institutions séparées et relativement étanches les unes vis-à-vis des autres [17]. Ainsi, l’autonomie de la gestion de la dette française poursuivrait logiquement l’indépendance de la Banque de France (responsable des affaires monétaires) vis-à-vis du gouvernement (et donc nettement séparée du Trésor), réalisée dans la perspective de la monnaie unique européenne en 1993 par Edmond Alphandéry, ministre de l’Économie du Premier ministre Édouard Balladur. Les cibles de désinflation et la technique marchande d’endettement sont déposées dans des cadres organisationnels qui les objectivent, et les maintiennent institutionnellement hors de portée des pouvoirs subjectifs des gouvernants [18]. Ce modèle est aussi le véhicule d’une normativité politique – la poursuite de choix économiques particuliers, comme la stabilité monétaire et la discipline budgétaire – qui se présente comme obéissant à la pure rationalité économique ou sous la forme de l’évidence fonctionnaliste. La délégation de la fonction financement de l’État à un bureau indépendant de la dette sera, en soi, plus optimale et il n’y a pas lieu de questionner les conventions politiques attachées à ce mandat.

La stratégie de l’agence : une rationalité limitée et encastrée

7De tels comptes rendus rationalistes du déploiement des agences [19] se retrouvent dans la littérature internationale sous la forme du lesson drawing ou du transfert volontaire de politique publique, policy transfer. La tendance de ces analyses est de faire l’impasse sur les mécanismes institutionnels complexes, et historiquement sédimentés, qui contribuent à construire l’agence de marché pour la dette comme un enjeu saillant [20]. À l’échelle de la longue durée des politiques financières et monétaires, jouer au maximum la carte des marchés de capitaux correspond pour les États à une forme limitée de rationalité ou, plus précisément, à une stratégie encastrée dans une configuration socio-technique particulière. Rassurer les créanciers en ré-agençant ses propres bureaux constitue une ressource stratégique dans le cadre d’un arrangement qui n’a pas toujours existé : celui d’un financement quasi exclusif des États sur les marchés de capitaux nationaux et internationaux. Cette configuration historique s’est stabilisée à partir du milieu des années 1970. Elle a été produite par les réformes successives apportées aux structures monétaires et financières qui permettaient aux gouvernements, après la seconde guerre mondiale, de financer leurs découverts hors marché via une dette « non négociable » [21]. Dans le cas de la France, un ensemble de règlements administratifs branchaient, afin de coordonner ces différentes actions publiques, la trésorerie de l’État à la politique monétaire, mais aussi à la surveillance des liquidités bancaires ainsi qu’à l’allocation du crédit à l’économie nationale. Fonctionnant très largement comme un banquier à la tête d’un réseau d’institutions épargnantes, l’État, via son Trésor, dirigeait de façon hiérarchique et souveraine les banques et les institutions financières (publiques ou semi-publiques), contrôlait l’emploi de leurs liquidités et en captait une partie pour alimenter ses propres caisses [22]. En France, cet assemblage de financements garantis et de taux d’intérêt décidés par autorité administrative, en coordination avec la Banque centrale, était désigné comme le système du « circuit du Trésor » [23]. Dans d’autres pays, et conformément à d’autres designs institutionnels qualifiés de keynésiens par la littérature économique, la coordination de la monnaie et du financement de l’État se traduisait sur le plan organisationnel par des banques centrales intégrées au sein des départements ministériels des Finances, bénéficiant de peu d’indépendance et dont le mandat ne se réduisait pas à la stabilité des prix [24]. Pour que des procédures et un cadre de marché se reconstituent, il a fallu démonter pièce par pièce ce système institutionnel de dette administrée et œuvrer à la séparation en pratique des « autorités budgétaires » et « monétaires » que les économistes classiques distinguaient en théorie [25]. L’indépendance de la Banque centrale (BC), puis l’autonomie du Trésor vis-à-vis « du politique » garantissent l’absence de recours aux financements monétaires des déficits publics, c’est-à-dire empêchent « de forcer » la BC à financer le Trésor.

Tableau 1

La mise en marché des dettes publiques

Tableau 1
États/Structures de la dette (passage non négociable/négociable) Évolution de la mise en marché de 1945 à 1993 (sauf indiqué) Pourcentage de la dette négociable (marchande) en 1993 France + 150 % (de 39 % à 95 % = +56) 95 % Allemagne + 800 % (depuis 1953) (de 8 % à 88 % = +80) 88 % Italie + 97,5 % (de 41 % à 81 % = + 40) 81 % Royaume-Uni + 60 % (de 51 % à 82 % = + 31) 82 % Belgique + 31 % (de 62 % à 81 % = + 19) 81 % États-Unis - 9,5 % (de 75 % à 68 % = - 7) 68 %

La mise en marché des dettes publiques

8Dans le cas de la France, la refonte des structures de financement de l’État a été longuement murie, depuis le début des années 1970 au sein de l’administration des Finances par la direction du Trésor, même si le prototype organisationnel de l’agence autonome n’était pas mis à l’agenda du ministre. L’objectif était, afin de lutter contre le mal de l’inflation qui préoccupait les pouvoirs publics de l’époque, de substituer progressivement un financement de l’État par le recours à l’épargne obligataire, compris comme plus « sain et orthodoxe », aux financements administrés et monétaires, conçus comme source de laxisme [26]. Pour cela, il a fallu reconstruire un marché des emprunts d’État et s’assurer de leur attractivité tant au plan national qu’international.

9Le milieu des années 1980 marque une accélération dans ce processus de mise en marché. Face aux déficits publics et afin de les absorber, la gauche au pouvoir et l’appareil technocratique des Finances refusent d’ouvrir la boîte noire des outils de financement (et de leurs liens à la monnaie) et ouvrent les vannes de la libéralisation et de l’internationalisation des marchés de capitaux. En 1987, sur une chemise de transmission de note de la direction du Trésor, on lit en manuscrit ce qui constitue encore un rêve à réaliser des hauts fonctionnaires :

10

« La collaboration du Directeur me paraît acquise. Nous allons transformer ton bureau en salle de marché. » [27]

11Le bureau en question n’est autre que le bureau A1 de la direction du Trésor, chargé de la trésorerie, des affaires financières et monétaires, et en particulier de l’émission de dette publique, ancêtre de l’Agence France Trésor. La contrainte de mise en conformité du comportement à l’environnement des marchés de capitaux a donc été réintégrée sur la durée au mode d’action de l’administration des Finances. Ce phénomène – la contingence du lien et du degré de dépendance de l’État aux marchés – ne peut être saisi par les approches reprenant à leur compte le caractère fonctionnel et contractuel de la relation entre un « principal » et son « agent ». Dans ces dérivés de la théorie de l’agence, la conception du politique est réduite aux orientations du gouvernement en place au moment de la souscription de l’engagement crédible [28]. Une analyse des conflits et des tensions entre sphère bureaucratique, poursuivant en partie ses logiques propres, et les représentants politiques – dont l’offre vis-à-vis des sujets monétaires et financiers s’est par ailleurs homogénéisée – saisit comment les « intérêts » économiques ou politiques pour la délégation sont produits et réactualisés par les configurations sociales et institutionnelles qui stabilisent les relations entre l’État et son environnement de marché [29].

12Ne reposant plus que sur l’instrument des marchés de capitaux pour financer les déficits qui s’accumulent d’années en années, les États vont entrer en compétition les uns vis-à-vis des autres afin de conquérir les investisseurs et de se rassurer quant à leur capacité à placer leurs bons du Trésor. C’est bien cette dynamique de financiarisation des États et de conquête d’arrangements institutionnels appréciés des marchés (dont l’agence est une composante), censés faire bénéficier de la meilleur image d’emprunteur, qui est le moteur des mutations. Le graal que poursuivent les États est la liquidité des titres de dette, qui se traduit par leur capacité à circuler, à se vendre et à s’échanger, et qui n’est pas directement corrélée à ce qui apparaît dans le sens commun de l’économie orthodoxe comme les fondamentaux des finances publiques (pas de déficit, niveau faible de dette rapportée au PIB). En soi, le niveau de dette n’explique rien [30]. Il faut par exemple rappeler que l’Allemagne (pourtant érigée en modèle incontestable de gestion sérieuse des finances publiques) et la France avaient des niveaux de dette publique quasiment équivalents au moment où ces deux pays ont envisagé un tournant vers l’agence. Enfin, les pays qui ont des déficits rares et faibles – des finances publiques considérées comme « saines » – paient cher leur recours au marché de l’emprunt obligataire, précisément parce qu’ils y font moins souvent appel, qu’il est faiblement structuré et que leur dette est en conséquence illiquide [31].

13Les organisations intergouvernementales, au sein desquelles les élites administratives nationales et particulièrement du Trésor sont représentées, vont contribuer à la stabilisation de la dynamique compétitive entre émetteurs de titres de dette. Elles vont fonctionner comme des plateformes d’échange et de formalisation des politiques publiques attendues par les acteurs des marchés de capitaux. Progressivement un « modèle » d’agence de la dette – qu’il s’agira par la suite de rendre transposable d’un État à l’autre – va être mis en forme. C’est autour des années 1980 que les OI ont commencé d’ériger la forme agence (ou le service semi-autonome), branchée sur les marchés de capitaux, en standard de management de la dette. Dès 1983, le premier livre vert de l’OCDE sur les caractéristiques institutionnelles des offices de gestion de la dette élabore un socle commun aux différents États, préparant une doctrine de l’agence.

14

« Malgré la diversité observée au niveau de leurs positions dans l’organigramme de l’administration publique, on s’accorde généralement sur le fait que ces organismes devraient bénéficier d’une autonomie suffisante par rapport à la sphère politique et s’occuper principalement des aspects opérationnels de la gestion de la dette souveraine. » [32]

15Il s’agit, dans la confection du standard, de séparer les prérogatives relatives à l’émission de dette d’autres politiques publiques, auparavant étroitement coordonnées par le souverain : celles de la monnaie et de la réglementation financière et bancaire.

Frontière organisationnelle et normalisation de l’État emprunteur

16Le projet d’autonomisation d’une structure pour la gestion de la dette vise précisément à maintenir, par une frontière organisationnelle, un cloisonnement entre les objectifs de la politique monétaire, désormais rendue à la Banque centrale qui veille à l’inflation, et les enjeux de financement de l’État, propres à la direction du Trésor qui vend ses titres et offre aux créanciers des garanties sur le service de la dette [33]. Le « divorce » et la « séparation claire » entre la gestion de la dette de l’État et la mise en œuvre de la politique monétaire associent l’OCDE et le FMI dans des recommandations communes [34]. Le format agence doit délimiter et conforter une juridiction, un domaine de compétence de l’administration centrale consacré à la gestion de la dette publique, en purifiant ces fonctions de commercialisation des emprunts de toute autre forme de mandat. Cette déconnexion entre le monétaire et la trésorerie véhicule une problématisation des finances publiques : un diagnostic et un agenda pour ces politiques publiques. Un document de travail de la Banque mondiale fixe le cahier des charges des banques centrales et des gouvernements :

17

« Des objectifs de stabilité des prix clairs et stricts pour les banques centrales, […] leur plus grande indépendance vis-à-vis du gouvernement et […] l’interdiction […] de financer le déficit budgétaire, ce qui oblige le gouvernement à combler son déficit de financement en changeant l’orientation de sa politique budgétaire et en réduisant son déficit. » [35]

18En verrouillant l’impossibilité du recours à des financements qualifiés de monétaires (par exemple, le financement direct par la Banque centrale) ou administrés, et en empêchant les « facilités de crédit », le schéma de l’agence doit ôter à l’État la possibilité de « distordre » le marché par l’immixtion du politique. Placé ainsi face à la réalité de sa situation, devant assumer pour se financer le coût fixé par le marché (censé être un garde-fou), les pouvoirs publics sont en mesure de se discipliner et de se focaliser sur les causalités strictement budgétaires de la dette.

19Les OI naturalisent et verrouillent le processus de mise en marché des dettes publiques des pays avancés. La multiplication des offices séparés ou semi-autonomes est promue en tant que point d’aboutissement de la modernisation des bureaucraties et leurs recommandations, synthétisées dans des guides et directives pour la gestion des dettes publiques, se font transitologie en énumérant les étapes du développement naturel et souhaitable des sociétés et économies capitalistes. Il s’agit de dupliquer le modèle bureaucratique des pays « avancés » dans les pays en voie de développement. L’équipe du Fonds monétaire international (FMI) et celle du département du Trésor de la Banque mondiale livrent dans un document commun de 2001 les façons convenables de construire un marché de la dette et de gérer celle-ci, listant en creux les « pièges à éviter » : il faut promouvoir « la concurrence » et « renoncer aux privilèges », compris comme autant de « distorsions » indésirables, de la puissance souveraine [36]. L’État-émetteur de dette doit se normaliser, devenir un emprunteur comme un autre et précisément renoncer à ses caractéristiques idiosyncrasiques de souverain. L’agence de la dette vient fixer, par son design même, la décomposition des politiques publiques en consolidant la division et la séparation des tâches entre politique monétaire, réglementation des banques et financement de la puissance publique via la dette de marché. Surtout, les pratiques réglementaires ou administrées de gestion de la dette – comme la souscription forcée par les banques d’emprunt à court terme, qui pouvait servir « d’instrument prudentiel » aux États – sont proscrites, car comprises comme des techniques de nature à « fausser » le fonctionnement véritable du marché.

20

« Quelques pièges à éviter :
  • recours à des mécanismes de financement ne relevant pas du marché ; dans certains cas, cette pratique peut être clairement à l’origine de distorsions ;
  • accords spéciaux de financements concessionnels avec la banque centrale, notamment facilités de découvert à taux d’intérêt faible ou nul ou bons du Trésor spéciaux ;
  • création d’un marché captif pour les titres publics ; par exemple, dans certains pays, la caisse de retraite publique est tenue d’acquérir des titres d’État. Dans d’autres cas, les banques sont tenues de détenir un montant d’obligations publiques correspondant à un certain pourcentage de leurs dépôts. Si les coefficients d’actifs liquides de ce type peuvent parfois servir d’instrument prudentiel utile pour la gestion de la liquidité, ils tendent à fausser les coûts du service de la dette, ainsi que le développement du marché financier. » [37]

21Les prescriptions veulent aussi empêcher le souverain d’édicter des règles qui confèrent à ses emprunts des propriétés extraordinaires qui en biaiseraient l’attractivité et donc le prix réel. La performance de l’État doit être évaluée à la même enseigne que n’importe quel agent économique et financier, et faire oublier son statut d’entité hors du commun. Le rôle des OI consiste donc à formaliser, à mettre en circulation et à rendre transposables les modèles d’action publique qu’implique la compétition entre États pour se financer sur les marchés de capitaux. Car les sociétés d’investissements et les détenteurs d’épargne obligataire, qui agissent à une échelle mondiale, défendent de leur côté le montage d’infrastructures institutionnelles analogues en chaque État : une banque centrale indépendante du politique et protégeant la valeur réelle des patrimoines financiers contre leur érosion par l’inflation, et une agence de la dette « market preserving ». L’enjeu des préconisations des OI est de rendre ces évolutions irréversibles : l’État n’est plus, et ne doit plus être, en mesure d’envisager un quelconque retour en arrière vers des mécanismes réglementaires de financement, considérés comme une menace sur les placements financiers et qui s’apparentent à de la « répression financière » [38]. Pris dans un environnement de marché pour assurer leur survie, les États ont intérêt à se conformer « aux attentes de rôles et critères de normalité institués dans la culture de leur champ organisationnel : l’imitation des formes socialement valorisées est vue à la fois comme une contrainte externe et comme une ressource stratégique pour l’importateur » [39]. Cette compétition entre États facilite le mimétisme institutionnel [40], où les structures bureaucratiques des États se copient les unes les autres en s’alignant sur les attentes des marchés pour se légitimer auprès d’eux [41].

22Les travaux des organisations intergouvernementales conçoivent ces standards conjointement avec les administrations des Finances des différents États. Plutôt qu’un transfert de politique publique où un État – « récepteur national » – appliquerait un modèle de politique publique – prescrit par un « émetteur international », les OI – c’est un espace international de la bureaucratie financiarisée, au sein duquel s’élaborent des pratiques communes et se naturalise un environnement de marché, qui se dessine. La floraison des agences dans la plupart des pays de l’OCDE à la fin des années 1990 ne renvoie pas non plus à une décision entièrement rationnelle des États : les stratégies légitimes qui conviennent à cette nouvelle configuration internationale d’endettement de marché sont produites historiquement et balisées par des structures relationnelles, des « facteurs institutionnels » [42] articulant les incitations émanant des marchés financiers, l’expertise des organisations intergouvernementales et des administrations nationales concurrentes, transformées en « entrepreneurs des réformes » [43]. Réformer la cellule de gestion de la dette, afin de rester compétitif et de s’endetter au prix le plus faible pour l’État, correspond à une forme de Realpolitik dans un environnement financiarisé et mondialisé qui n’est plus interrogé ou mis en cause par les responsables politiques mais pris comme une donnée. Ce champ d’incitations multiples contribue à faire du standard « agence de la dette » une option de réforme pertinente dans les différents États. Néanmoins, les spécificités nationales s’imposent fortement au moment de construire un prototype d’agence adapté au contexte institutionnel, politique et financier « déjà-là ». Les solutions institutionnelles et cadres normatifs discutés dans le forum international des OI sont déformés et constamment réaménagés par les pratiques concrètes des agents nationaux.

La domestication de l’agence en France

23L’adoption d’un standard n’exclut pas que les États « conservent généralement une distance critique vis-à-vis du modèle transféré, se contentent souvent d’en adopter les caractéristiques les plus formelles – par souci de préserver ou d’améliorer son crédit dans le champ social où il déploie ses activités – mais inventent en coulisse, derrière la façade de conformité, les aménagements nécessaires compte tenu de sa situation, de ses intérêts, et de ses besoins spécifiques », comme l’analyse le politiste Thierry Delpeuch [44]. Au moment de mettre en place l’agence, les États s’autorisent à « n’imiter » [45] que ce que leurs intérêts situés commandent et procèdent à des innovations « formelles », traduisant une adaptation sélective, partielle et relâchée du format agence [46], pour n’en garder que le « label ». D’ailleurs le concept d’agence – en dehors de l’idée que les organismes doivent avoir une certaine autonomie – est assez malléable, flou et ambigu pour être largement réapproprié [47] et permettre, tout en ménageant l’ordre bureaucratique en place, d’ajuster l’image de marque d’un État auprès de la communauté des investisseurs financiers. C’est précisément la façon avec laquelle le Trésor français va investir la catégorie de l’agence. Observant dès la fin des années 1990 les réformes en cours dans des États voisins, comme l’évolution des standards internationaux, les services du Trésor et les responsables ministériels vont chercher à se situer dans ce paysage concurrentiel. Benoît Cœuré [48], ancien haut fonctionnaire du Trésor et directeur de l’Agence France Trésor (AFT) de 2006 à 2008, lorsqu’il évoque le « consensus international » sur le principe d’une plus grande autonomie des structures de gestion de la dette, se réfère aux « directives pour la gestion de la dette publique de la Banque mondiale et du FMI [49] ». La Nouvelle-Zélande ouvre d’abord la voie. En 1997, le Royaume-Uni procède à la création d’une agence de la dette, en sortant celle-ci du giron de la Banque centrale pour l’intégrer, dans une unité consolidée et autonome, au sein du Trésor.

24On retrouve dans les archives du Trésor français des éléments de comparaison avec la Grande-Bretagne. Sylvain de Forges, chef de service à la direction du Trésor à l’époque, annote assez largement le document transmis par le Trésor britannique, « The Future of UK Government Debt and Cash Management : A Proposal for Consultation » [50]. Le haut fonctionnaire paraît enthousiaste et admiratif du projet – plusieurs fois, il commente d’un « joli ! » – : « Ça a l’air parfait, sur le principe tout au moins ! » La réforme britannique est justifiée principalement par la recherche d’une optimisation du coût de l’émission, grâce à la preuve donnée aux marchés que la dette est gérée hors de tout soupçon monétaire, c’est-à-dire « hors de l’influence » de la Banque centrale et des potentielles informations sur le niveau des taux d’intérêt (des « inside informations ») dont pourraient bénéficier les gestionnaires de dette. Le fait de regrouper au Trésor tout ce qui concerne la fonction d’émission de produits de dette et de maintenir une frontière entre les deux domaines respectifs doit rassurer les investisseurs et éviter de payer une prime de risque supplémentaire (un taux d’intérêt plus élevé) au moment de vendre les titres d’États. Cette clarification des mandats renforce la banque centrale dans son objectif de contrôle de l’inflation, en ôtant à cette institution la « potentielle distraction » qu’aurait pu constituer la gestion de la dette. Pour autant, Sylvain de Forges émet rapidement une réserve de taille qui trahit des réticences françaises face à l’option d’externalisation complète du service de la dette vis-à-vis du ministère des Finances (ou même du Trésor) : « Sauf que ça va tout droit vers un office de la dette ! » De même, il juge peu opportun – « ça c’est moins bien » – que le gestionnaire de dette anglais soit « tenu à distance, autant que possible, des contacts avec le comité de politique monétaire afin de placer celui-ci exactement dans la même position que le marché, au regard de l’information disponible sur l’évolution future ou à court terme des taux d’intérêt » [51]. La formule britannique consiste à faire de l’émetteur de dette publique un acteur de marché parmi d’autres, ayant les mains liées – vis-à-vis du pouvoir monétaire – et les yeux bandés – vis-à-vis des informations de marché et de la politique des taux. Le fait d’afficher cette « auto-contrainte » comme une ressource devant les investisseurs n’emporte pas l’adhésion du haut fonctionnaire français.

Négocier la formule française de l’agence de la dette

25Cependant, à la fin de l’année 2000, c’est au tour du ministre fédéral des finances allemand, Hans Eichel, d’annoncer la constitution d’une société anonyme à responsabilité limitée afin d’émettre les titres souverains qui sont, sur les marchés obligataires, les produits rivaux de la France – l’emprunt allemand (le Bund) faisant largement référence. Rappelant la performance inégalée du Bund, Eichel évoque deux raisons qui plaident pour une réforme : « l’évolution rapide des marchés financiers internationaux » et « le lancement de la monnaie unique » :

« Puisque la dette fédérale ne peut plus bénéficier de la préférence traditionnelle des investisseurs internationaux pour le mark, les emprunteurs étatiques de la zone euro sont devenus des concurrents directs de l’État allemand. » [52]
L’Allemagne étant à son tour dans la course au format bureaucratique « agence » et cherchant à se différencier, « la réflexion était mûre pour qu’une telle réforme ait lieu en France », comme l’énonce Benoît Cœuré [53]. Dès 1999, le bureau A1 chargé de la gestion de la dette change de nom pour s’appeler « France Trésor » [54]. Jean-Yves Larrouturou, à l’époque sous-directeur du financement de l’État et des affaires monétaires et bancaires, confirme que la bascule de « A1 » à « France Trésor » est une démarche « publicitaire », un « changement d’étiquette sur les publications ». Si la structure du service n’est pas modifiée en profondeur, cette modification de « façade » préfigure le besoin d’afficher une « marque », « un outil de communication » et un label vendeur au moment de se présenter devant les investisseurs internationaux [55]. Mais la question de l’agence se pose à nouveau au début des années 2000 quand les projets de modernisation de l’État semblent connaître un nouveau souffle, notamment avec la perspective de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), considérée comme la nouvelle constitution financière de l’État.

Volontarisme politique et message aux investisseurs

26À la suite de l’échec du projet de fusion des services de la Comptabilité publique et des Impôts entrepris par Christian Sautter, ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement de Lionel Jospin [56], lequel avait dû faire face à une très forte mobilisation sociale hostile à ce projet, la réforme de l’administration est en panne du côté de Bercy. L’enjeu pour Laurent Fabius, son successeur à ce portefeuille, est de relancer le chantier de la modernisation du ministère mais sur un terrain moins risqué politiquement. Les yeux du ministre Fabius se portent sur la gestion de la dette avec l’ambition de faire de l’agence un « laboratoire de réformes [57] ». Pour le directeur de cabinet de Fabius, la création de l’Agence France Trésor est une « stratégie d’affichage » qui vise à « pousser les feux sur un programme de modernisation du ministère » et ce, sans provoquer de grèves ni faire de vagues.

27

« [Il fallait] reprendre les fils de la modernisation du ministère sur la base d’une certaine victoire, entre guillemets, des opposants à la fusion. Dans l’esprit de Laurent Fabius et en tout cas de ses conseillers, il y avait clairement l’idée de faire une réforme dans une région du ministère où la réforme serait socialement peu coûteuse, puisque ça concernait quinze personnes. Mais qui intéresserait quand même la presse. Et derrière tout ce contexte de gestion interne du ministère, il y a la problématique de modernisation des finances publiques, de la gestion publique des lois de finances. L’AFT est un des éléments d’un programme de modernisation plus global du ministère. »

28Le 11 juillet 2000, lors de la conférence annuelle « Paris Europlace », devant un parterre de banquiers et de financiers, Laurent Fabius annonce la création prochaine de l’AFT. Son discours explicite l’intrication entre la volonté politique et le développement de la place financière de Paris comme des technologies d’endettement public.

29

« Il n’y a pas de marchés financiers performants sans économie qui le soit aussi, et inversement pas d’économie prospère sans places financières solides. Capacité d’épargne, possibilité de lever des capitaux, dynamisme d’un pays, voilà les fondamentaux sur lesquels se construit leur succès. À deux conditions au moins. L’une, c’est que les pouvoirs publics suscitent l’environnement favorable sans lequel la croissance et la confiance font défaut : c’est le travail de long terme que nous avons engagé depuis trois ans à travers trois priorités, le retour vers le plein emploi, la baisse des impôts, la réduction du déficit et de la dette. L’autre condition concerne la transparence, la sécurité et la protection des transactions, des épargnants et des marchés, la formation des acteurs, la modernisation et l’adaptation des outils mis à leur disposition, nécessités qui pour vous sont devenues des lois. » [58]

30Dans cet esprit, l’État œuvre à rendre plus robuste l’attractivité de la place financière de Paris par les infrastructures qu’il met en place, y compris en ré-agençant sa propre structure. La nouvelle agence est aussi justifiée comme une solution à la baisse de l’endettement public, puisque ses performances seraient de nature à diminuer, à contrainte d’émission de dette publique sur les marchés inchangée, la charge d’intérêt.

31

« Dans cet esprit, France Trésor deviendra tout prochainement une Agence de la dette rattachée directement au directeur du Trésor. Elle disposera de moyens nouveaux et recrutera des professionnels de marché, pour une gestion encore plus active de notre dette. Cette structure disposera de la réactivité et de la visibilité nécessaire à sa mission. » [59]

32Le cadrage de la réforme est donc modernisateur et technologique. Certains hauts fonctionnaires du Trésor se moquent néanmoins des petites maladresses avec lesquelles les professionnels de la politique se saisissent opportunément de ces dossiers de marché. Il en est ainsi de Laurent Fabius s’émouvant pendant son discours de l’innovation financière que constituent les « swaps » pour l’État, la capacité à procéder à des échanges de taux, dont, selon un témoin de la scène, il ne semble guère maîtriser la prononciation :

33

« Au moment où Fabius veut créer une agence de la dette, il veut d’abord donner une image de modification de l’organisation administrative et éventuellement “faire moderne”. D’ailleurs, au risque du ridicule. Parce qu’il lit le discours qui lui est préparé, et il dit : “Cette agence de la dette fera des chouaps”, toute la salle se marre. Il ne savait même pas comment se prononçait “swap”[60], et avait encore moins idée de ce que cela pouvait bien vouloir dire. »

34Le concept d’agence résulte de cette rencontre entre une aspiration des représentants politiques à la modernisation de l’administration, les profits symboliques qu’ils en escomptent [61], et le façonnement par les administrations nationales et internationales d’un agenda pour le changement et l’adaptation de l’État aux impératifs de la financiarisation. Au-delà de cet affichage, la refonte des bureaux du Trésor soulève la question délicate du rôle des hauts fonctionnaires et de leurs rapports aux représentants politiques. La vision maximaliste de l’agence, qui doit procurer une véritable autonomie – quitte à assumer le « décollement » de la future AFT vis-à-vis de Bercy – est d’abord portée par le cabinet de Laurent Fabius. Un des objectifs du standard est de limiter, dans la mesure du possible, les interférences et incompatibilités entre métier politique et métier de gestionnaire de dette. Benoît Cœuré évoque l’agence comme une solution adéquate au problème des « conflits d’intérêt » entre politique budgétaire, politique monétaire et politique financière. Il s’agit de « délimiter les mandats dans les différents champs d’action de l’État » [62]. Le temps long de l’émetteur et la nécessaire « confiance des investisseurs » sont compris comme de nature à entrer en « contradiction » avec les autres services de l’État, notamment ceux qui incitent à la dépense publique :

35

« […] entre les différentes missions du Trésor (l’État émetteur encourage les achats des titres publics quand l’État “industriel” veut développer la Bourse), enfin avec les ministères “dépensiers” : le gestionnaire de la dette plaide pour le désendettement quand les ministères crient famine. » [63]

36La forme institutionnelle de l’agence est une « vitrine » pour les potentiels acheteurs de titres financiers d’État et doit officier comme un signal qui leur est adressé.

Politiques de la localisation bureaucratique

37Mais le degré réel de détachement comme la localisation de cette structure censée incarner l’« hypermodernité » de la gestion financière d’État font débat au sein de l’administration. Si l’on admet qu’il faut pousser l’innovation financière, pourquoi conserver l’agence à Bercy, au sein du ministère des Finances, loin du centre financier de Paris (près de l’Opéra, de la Bourse ou de La Défense) ? Nombre d’agences de la dette concurrentes ne sont pas situées à proximité des centres politiques, mais plutôt des centres financiers. L’Office de gestion de la dette du Royaume-Uni est situé dans la City et non dans le quartier de Whitehall. Aux Pays-Bas, l’Office est situé à Amsterdam, la capitale financière et non à La Haye. Cette proximité géographique des marchés montrerait que ce qui importe avant tout, c’est la connexion avec les acteurs des marchés de capitaux plutôt qu’avec le politique, dont il est même plutôt recommandé de marquer les distances. Souvent, ces localisations recoupent d’ailleurs la consistance sociologique et politique des agences. Plus les offices sont loin des centres politiques et ministériels, plus ils sont autonomes vis-à-vis du ministère de tutelle et ressemblent, en termes de profils et de carrière des agents qui les composent, aux organisations financières et bancaires privées. La conquête de la modernité ne passerait-elle pas aussi par la délocalisation de l’Agence hors des murs de Bercy, pour lui donner plus de visibilité et d’autonomie ? Un ancien haut fonctionnaire explique :

38

« Il y a eu un grand débat interne au Trésor, en gros, pour savoir si cette nouvelle entité était en dehors ou à l’intérieur du Trésor. Dans ce combat, il y avait un vrai débat de fond : “À quoi va ressembler cette agence de la dette et quel type de distance par rapport au ministre elle doit avoir pour bien fonctionner ?” Et puis il y avait aussi un enjeu de pouvoir administratif pour le Trésor. »

39Mathieu Pigasse, énarque qui a commencé sa carrière de jeune haut fonctionnaire au bureau A1 de gestion de la dette, est alors conseiller technique au cabinet de Laurent Fabius [64]. Fervent partisan de l’autonomisation de la nouvelle agence, il a fait face aux réticences du directeur du Trésor qui ne souhaitait pas abandonner le contrôle d’un service stratégique :

40

« Nous, ce qu’on voulait faire à l’époque, c’était autonomiser au sens de la gestion et des moyens, étant entendu que le directeur du Trésor, Jean Lemierre, était jaloux du fait que cela reste sous son autorité. La politique d’émission de l’État, c’est la mission première et la plus régalienne du Trésor… Bon, c’est vrai qu’on aurait pu autonomiser beaucoup plus. »

41Sylvain de Forges raconte qu’il a d’abord refusé la proposition du ministre de créer puis de diriger cette structure, considérant que le projet de « débranchement » de l’agence rompait avec une tradition qui « fonctionne » :

42

« Avec le ministre Fabius, j’ai été explicite. Je lui ai dit : “Monsieur le Ministre, ça ne m’intéresse pas de refaire de la dette, j’en ai fait onze ans. Et ne me demandez pas de faire exactement le contraire de ce que j’ai construit, moi, pendant huit ans”. »

43L’Allemagne, de son côté, a créé la Bundesrepublik Deutschland Finanzagentur GmbH, dite plus simplement Finanzagentur. C’est une société anonyme à capitaux publics, détenue à 100 % par l’État fédéral. Cette agence de la dette allemande est localisée à Francfort-sur-le-Main, alors que le ministère des Finances est à Berlin. Dans le cas français, le choix reste à faire entre les formats juridiques et le degré d’intégration de l’agence au sein du ministère des Finances : création d’un organisme autonome, d’un établissement public industriel et commercial (Epic) ? Ou même d’une société anonyme sur le modèle allemand ? Deux options s’opposent dans le débat autour de « la chaîne de commandement » du Trésor : une agence indépendante ou le maintien d’une agence intégrée à l’appareil d’État, avec un système hiérarchique classique. De Forges dit avoir bataillé contre l’option d’une « sortie de Bercy », qui est selon lui « un vieux mythe », et avoir cherché à démonter les arguments du dossier ficelé par le cabinet. La réforme se serait attaqué « au saint des saints » et aurait mis en cause l’aspect régalien de la fonction en séparant l’activité d’émission, « la cassette », de sa maison mère, le Trésor et le ministère des Finances. Le découpage en agence indépendante n’aurait été, selon Sylvain de Forges, qu’une « illusion ». Le métier de dette nécessitait selon lui de maintenir un lien permanent avec les instances de décision politique, car la « responsabilité » des opérations de gestion est en jeu :

44

« S’il y a un problème, de toute façon, ce sera la faute et la responsabilité du ministre. Et si un jour, il y a une malversation financière ou une erreur de stratégie financière qui fait perdre de l’argent à l’État dans cette zone-là : c’est le ministre des Finances qui devra s’en expliquer au Parlement ou au journal de 20 heures. »

45À l’inverse, pour les promoteurs d’une version forte du standard, l’externalisation favoriserait une plus grande réactivité vis-à-vis des marchés et enverrait un signal fort d’indépendance en ce qui concerne les objectifs du mandat financier de l’État. La temporalité de gestion « active » de la dette, contenue dans le projet d’agence, impliquerait ce temps immédiat de la décision, semblable à celui d’un trader dans une salle de marché. De Forges, retournant cet argument, prétend faire de la proximité avec le ministre une ressource : c’est parce que la responsabilité reste celle du ministre, et précisément parce qu’il faut prendre des décisions « très lourdes financièrement et dans des délais très brefs », qu’il faut donner au directeur de l’AFT un « accès direct » au ministre. Contre l’interprétation spontanée des bienfaits de l’autonomie, la structure augmente sa réactivité en étant incorporée au ministère, comme l’explique un ancien haut responsable du Trésor :

46

« S’il y a un problème de marché, pour savoir s’il faut ou non annuler une adjudication, on ne peut pas se permettre d’avoir à réunir un conseil d’administration et le faire voter pour prendre ce type de décision : il faut que le directeur de l’agence de la dette puisse aller courir dans le bureau du ministre. Et pour ces mêmes raisons d’ailleurs, Sylvain de Forges s’était battu pour que l’agence soit localisée dans le ministère et ne soit pas ailleurs. Parce que, quand on crée une structure comme ça, il aurait été beaucoup plus logique de la mettre ailleurs dans Paris. D’ailleurs, il y aurait eu plus de place, etc. Mais non, il voulait être près du ministre. »

47Parmi les options possibles, la séparation de l’activité d’émission de dette est finalement écartée. Jean-Pierre Jouyet, directeur du Trésor pendant la première année d’existence de l’AFT, effectue à cette occasion un rappel à l’ordre de la culture administrative spécifiquement française :

48

« Sur le plan institutionnel, nous n’avons pas voulu, comme d’autres “Trésors” l’ont fait, notamment les Allemands, externaliser complètement l’Agence par rapport à la direction du Trésor. En effet, il a été décidé de ne pas dissocier la gestion de la dette de celle de la trésorerie de l’État car elles sont, dans la tradition française, très étroitement liées. » [65]

49Le compromis finalement noué correspond à une « agence semi-autonome » [66] qui sera par la suite appliquée aussi à l’Agence des participations de l’État (APE). Jean-Yves Larrouturou parle, en entretien, d’une solution « mi-chèvre, mi-chou », un compromis entre l’extra-territorialité et le maintien du statut quo. De Forges accepte finalement de devenir le premier directeur de l’Agence France Trésor. Créée par arrêté du 8 février 2001, l’AFT est un service à compétence nationale (SCN), rattaché au directeur général du Trésor et de la politique économique et, à travers lui, au ministre :

50

« Service d’administration centrale, l’AFT ne dispose d’aucun “passe-droit” en matière juridique ou budgétaire. Ses moyens de fonctionnement sont ceux du ministère des finances. L’AFT n’est pas une agence… Et ce n’est pas sa structure administrative, mais son mode de fonctionnement qui en fait sa nouveauté. » [67]

51Le choix d’un SCN dans le cas de la dette semble tout à fait correspondre à ce qu’un rapport du Conseil d’État nomme du « sur-mesure » [68] : ces agences, qui ne disposent pas de personnalité morale et sont en droit soumises à l’autorité du ministre, représentent une « volonté à la fois de déléguer la gestion courante et, en même temps, de garder un contrôle du domaine d’activité en cause » [69]. Ce choix pour un format juridique ambigu permet de maintenir l’autorité hiérarchique du ministre tout en facilitant les mouvements de personnels avec le reste de l’administration. Benoît Cœuré résume clairement la dualité de la formule française où l’agence est à la fois une « fenêtre ouverte de l’État sur les marchés financiers » et un service « dans la main du ministre » :

52

« L’expérience française montre ainsi qu’il n’est pas nécessaire que la gestion de la dette soit confiée à une agence indépendante pour qu’elle puisse être performante et reconnue par les intervenants du marché. » [70]

53Cette position médiane est portée, en retour, dans les arènes de discussion des organisations internationales. La France fait valoir en 2001, lors d’une présentation à un atelier de l’OCDE à Rome, que la sortie de l’agence à l’extérieur du ministère des Finances était sans intérêt et inutile, « pointless » :

54

« En France, le débat sur l’opportunité de créer une agence de gestion de la dette distincte a été ouvert et fermé à plusieurs reprises au cours des années 1990. Finalement, en juillet 2000, la décision a été prise de créer l’Agence France Trésor (AFT), un organisme situé au sein de la direction du Trésor et chargé de la gestion de la dette, de la gestion de la trésorerie et des opérations de back office. Divers facteurs ont pesé dans la décision finale, qu’il s’agisse des questions de responsabilité démocratique, de gouvernance d’entreprise ou encore du degré d’intégration entre la gestion de la dette et d’autres politiques publiques. Le rôle potentiel de l’État en tant qu’intermédiaire financier prenant des positions sur le marché a été rejeté. » [71]

55Les modèles et préconisations internationales n’ont donc rien d’injonctions qui s’imposent sans filtre ou processus de retraduction. La réforme française a donné lieu à un aggiornamento minimal de la structure bureaucratique qui permettait, en remodelant le standard, de concilier la logique propre à la direction du Trésor, soucieuse de conserver ce service stratégique en son sein, mais aussi la volonté politique d’affichage d’une modernisation administrative. Cette reconfiguration organisationnelle n’est pas pour autant sans effet quant aux modalités avec lesquelles la politique financière et budgétaire de la France opère concrètement.

La recomposition de l’État et des politiques de la dette : performance commerciale et discipline budgétaire

56Le remodelage « sur-mesure » du standard répond tout particulièrement aux rapports de pouvoir internes à l’appareil d’État qui mettent aux prises la direction du Trésor et le reste de l’administration publique dite, à dessein, « dépensière ». Cette socialisation du modèle à l’État français renvoie aussi à la volonté des hauts fonctionnaires du Trésor de continuer à peser dans les arbitrages relatifs aux politiques budgétaires nationales. La création d’une agence consolide l’existence d’une politique publique spécifiquement consacrée à la dette, dont les moyens pour opérer sont augmentés – tant en termes de ressources humaines, de qualification « experte » vis-à-vis des marchés, via la sophistication des techniques de gestion, que de moyens de communication avec l’extérieur. L’AFT contribue à faire évoluer le service en relative autonomie professionnelle, dans sa gestion routinière, par rapport à l’autorité politique. De même, ses prérogatives sont reconcentrées sur un mandat précis – émettre de la dette sur les marchés financiers au meilleur prix, mais de façon sécurisée – et bien distinct des domaines monétaires, fiscaux et budgétaires.

Socialisation aux marchés, socialisation à l’État

57Le renforcement institutionnel de l’émission de dette publique et de la gestion de la trésorerie passe par l’augmentation des effectifs mais aussi par l’ouverture de possibilités de recrutement nouvelles. L’effectif total de l’AFT va aller croissant, depuis sa création en 2001. De vingt-sept agents en avril 2002 à trente-deux, dont dix-neuf fonctionnaires, en 2004, le nombre d’agents culmine à trente-huit en 2012. Son budget lui aussi augmente dans les premiers temps en raison d’investissements dans les programmes informatiques : doté initialement de 6,22 millions d’euros (avant le programme informatique) en 2001, il passe en 2004 à 8,6 millions (dont 2,5 millions consacrés à l’informatique) [72]. Le format du service à compétence nationale permet de proposer des salaires attractifs à des agents contractuels venus du privé. Si l’agence française réaffirme la valeur des hauts fonctionnaires dans la promotion des valeurs d’État et la levée de fonds, elle cherche aussi à attirer des savoir-faire venus de la banque et de la finance privée en faisant des propositions qui puissent convenir à ces nouvelles recrues. Les agents peuplant l’agence (et les compétences qui leur sont associées) proviennent pour plus d’un tiers du secteur privé. Comme l’anticipe une étude de l’OCDE, le format de l’agence, « en proposant des salaires plus attrayants que ceux de la fonction publique », peut être utile afin de « retenir le personnel hautement qualifié en provenance du privé » :

58

« Les ministères des Finances en général et les services ou offices de gestion de la dette en particulier se sont donc retrouvés en concurrence avec le privé pour tenter d’attirer en leur sein des professionnels de la finance (maîtrisant notamment les outils informatiques). » [73]

59Selon l’OCDE, ces recrutements permettent aux gestionnaires de gagner en « prestige » et en « crédibilité » au moment de « négocier avec les intervenants du marché » et de « mettre en œuvre une gestion saine de la dette ». La presse aussi est sensible aux changements de profil du personnel à Bercy et va jusqu’à évoquer une « privatisation partielle du Trésor public » [74]. Selon ce journaliste du Figaro c’est « l’arrivée des golden boys au Trésor », qui vont, aux côtés des hauts fonctionnaires, gérer la dette avec une « grande souplesse ».

60L’AFT développe un service de gestion des risques sur le modèle des back et middle office des banques et des sociétés financières. Les contractuels recrutés dans le privé qui y travaillent suivent le traitement des opérations après les « deals », opérations d’achat ou de vente de dette, lors des adjudications, les séances de vente aux enchères de bons et obligations du Trésor. Ici encore, l’autonomie des équipes au jour le jour est décisive. L’AFT ouvre l’horizon d’une gestion dite « active » de la dette, ce qui signifie concrètement que les opérations se complexifient, se font sur des temporalités plus étroites, et qu’une certaine marge d’arbitrage avec les conditions du marché devient possible – c’est typiquement le cas de l’usage des swaps par l’État.

61Les équipes de l’AFT travaillent donc sans en référer en permanence au ministre : les rendez-vous avec ce dernier portent surtout sur la fixation annuelle du programme de financement, ou sur le lancement d’un nouveau produit. Avec le directeur général de l’AFT, les équipes du front office – les hauts fonctionnaires chargés de prendre en charge les adjudications et donc de faire face aux banques et investisseurs – ont en pratique une certaine marge de manœuvre au sein du programme d’émission de dette discuté et voté à l’Assemblée nationale. La fonction « front office » reste entre les mains de hauts fonctionnaires et non de « traders pur jus », pour reprendre l’expression d’un agent du Trésor. Les serviteurs de l’État, sortis des grandes écoles, ont d’ailleurs reçu des formations académiques fortement appréciées des marchés financiers français (ingénieurs, économistes et statisticiens, énarques). De même, les opérateurs du front office sont, par tradition, invités à passer un certain temps dans des salles de marché de banques ou d’investisseurs avant ou pendant leur séjour à l’AFT. Garder des fonctionnaires est une façon de réaffirmer la singularité de cette interface de l’État avec les marchés : si la gestion de la dette est active, il n’est pas question d’endosser l’image d’un acteur de marché aussi « opportuniste que les autres », qui chercherait à « prendre des positions afin de battre le marché », selon l’expression consacrée. La gestion au moindre coût est indissociable de l’objectif de stabilité et de régularité d’émission : la liquidité doit être offerte par l’État aux marchés et, en retour, permettre à l’État d’emprunter massivement. Connaisseurs des marchés, les opérateurs de l’AFT ne doivent pas pour autant en être trop proches. L’OCDE recommande par exemple de bien payer les agents du front, middle et back office afin qu’ils n’acceptent pas les « cadeaux généreux et autres gratifications de ses interlocuteurs du secteur privé » [75]. Un haut fonctionnaire du Trésor raconte comment il s’amusait à transformer les propositions de déjeuner des banquiers en invitation dans un snack des plus modestes à proximité de Bercy.

62L’agence est bien semi-autonome : la gestion quotidienne de l’emprunt se fait avec peu d’immixtion du ministre et des responsables politiques, mais en œuvrant au sein du ministère des Finances et avec des agents acculturés à cette institution. Ceci est contraire à la Suède et au Danemark, mentionnés par la Banque mondiale comme les modèles des pays les plus avancés dans l’externalisation et la privatisation du recrutement pour ce service de la dette [76].

Le crédit de l’État dans la capacité politique des hauts fonctionnaires

63Cette proximité de la nouvelle structure AFT à la tutelle du ministre, pointée comme un stigmate dans le modèle, va être retournée en atout stratégique par les hauts fonctionnaires du Trésor. Ces derniers, soucieux de rester aussi des acteurs politiques et de maintenir la force de leur position de « généralistes » de l’action publique, vont tirer profit d’un certain mélange des genres. Car cette adaptation du standard aux configurations locales, et les formes variées « d’inspiration, de combinaison, et de réinvention » qui en découlent, est une « condition de survie pour ceux qui sont au pouvoir » [77]. Les praticiens du Trésor ne souhaitent pas se cantonner à la « fonction » pure du modèle et font valoir que ce débordement est même un atout commercial dans la compétition avec d’autres émetteurs. Si le modèle présuppose une opposition entre technicité de la gestion de la dette (via les rapports entretenus avec les banques et les investisseurs) et arbitraire politique du souverain, le cas français montre au contraire la capacité des hauts fonctionnaires à se jouer de cette frontière et, brouillant cette dualité, à optimiser la confusion.

64Les caractéristiques de l’AFT, qui associent de façon inédite insertion au sein de l’appareil d’État et « représentation » sur les marchés de la politique économique française, s’observent lors des séances de promotion des produits obligataires français (les road shows, ou voyages d’animation commerciale). Les séminaires de présentation de la dette souveraine française devant les investisseurs, co-organisés avec les banques spécialistes en valeur du Trésor (SVT) et partenaires de l’État dans la distribution de la dette, constituent en effet des situations au cours desquelles l’hybridité de l’agence est mobilisée en tant que levier de séduction des investisseurs et tactique de différenciation vis-à-vis des concurrents. Pendant ces voyages, les hauts fonctionnaires exposent la politique financière de la France aux professionnels des marchés et font face à leurs questions et angoisses : celles-ci peuvent aller d’une demande précise sur un produit à la situation politique globale du pays, qui introduit une réforme ou fait face à un mouvement social, à une montée du terrorisme, à la progression de l’extrême droite ou de toute forme de radicalité politique. Les agents du Trésor disent tirer parti de l’intégration de l’agence au ministère pour vendre aux investisseurs un package d’informations beaucoup plus large que les simples produits techniques de dette : la trajectoire soutenable du budget, l’environnement du marché du travail, la fiscalité profitable aux investisseurs et aux créanciers, la capacité de contenir l’inflation. Ce sont ces qualités de la France en tant que « fait économique et social total » qui seraient attendues par les investisseurs et qui amélioreraient le crédit de l’État français [78]. Avec l’agence semi-autonome, comme l’explique cet ancien agent de l’AFT, il devient possible de représenter et de vendre la France entière, en proposant aux investisseurs une expertise sur l’ensemble de ses politiques publiques (dette, budget, économie, stratégie financière), quand l’agence allemande, sortie du giron du ministère, devrait se cantonner à une parole sur la boutique des produits de dette :

65

« En Allemagne, l’agence de dette c’est une société anonyme à Francfort alors que le ministre est à Berlin. C’est quand même deux heures d’avion, il y a de la distance. L’AFT a toujours bénéficié d’une sorte de crédit politique que n’avait pas du tout l’agence allemande qui était composée de techniciens et c’est tout. J’ai fait des road shows avec le patron de l’agence allemande, c’était un exercice assez marrant. En Asie, les investisseurs asiatiques demandaient : “Le pacte de stabilité européen, est-ce que ça va marcher ou pas ?” Ils posaient des questions politiques. Et le patron de l’agence allemande disait : “Moi, je ne peux pas répondre. Mon boulot c’est de gérer la dette. Je ne réponds pas aux questions politiques. Je n’ai rien à dire. Je ne peux même pas faire de commentaire sur l’état de l’économie allemande, parce que ce n’est pas mon métier”. Moi, comme par ailleurs j’étais un fonctionnaire du Trésor, j’étais alimenté de tous les papiers qu’on a sur la situation économique. Vous imaginez bien qu’on fait des tas d’argumentaires, plus ou moins de bonne foi, pour expliquer que tout va bien, parce qu’il faut les faire pour le ministre et pour le gouvernement de toute façon. Donc j’étais à l’aise pour pouvoir répondre : “Voilà les réformes qu’on fait en France. Voilà où en sont les finances publiques”. Et ça donnait à l’agence une coloration plus politique qui intéressait les gens et qui faisait qu’ils avaient envie de parler avec nous parce qu’ils se disaient qu’on était un point d’entrée sur le gouvernement français. Et ça, c’est un avantage. »

66Les opérateurs du Trésor, prévenus par les banques des inquiétudes des investisseurs, sont ainsi en mesure de les rassurer et de déployer leur crédit politique. Ils veulent démontrer, dans leurs exposés, que les politiques publiques vont dans le sens que les marchés attendent :

67

« Tel ou tel groupe d’investisseurs est inquiet sur tel ou tel aspect de la politique économique : il faut trouver des éléments techniques qui rassurent quand même. À l’époque, je me baladais toujours avec un graph’, qui était le nombre de jours de grève en jours/homme chaque mois, sur un historique de vingt ans. Je me baladais avec ce graph’ qui remontait aux années 1970. Ça marchait assez bien, j’avais démontré que le climat social n’était pas si mauvais que ça et qu’il était surtout bien meilleur qu’avant : car, à l’époque, on avait des grèves massives dans les années 1980. »

68La proximité du Trésor au ministre et à l’appareil d’État informe sur la façon dont les logiques des marchés financiers, auxquelles sont sensibilisés les serviteurs de la dette, s’introduisent au cœur du politique et des pratiques du service public pour reformater ce dernier à l’aune du commerce mondialisé de la dette souveraine. Puisqu’il est entendu qu’il faut garantir à l’État le meilleur financement et sauvegarder son crédit, les Trésoriens peuvent réaffirmer qu’ils sont les mieux placés pour se faire les gardiens du temple et de la pérennité de la caisse au sein de l’administration publique. Forts de cette position de tête de pont des marchés, ils se font les porte-parole, au sein de l’administration, des comportements attendus par les créanciers de l’État.

La police des conduites administratives

69En s’appropriant le standard de l’agence, les hauts fonctionnaires du Trésor espèrent aussi maintenir, si ce n’est renforcer, leur position au sein de l’appareil d’État et vis-à-vis des représentants politiques. Le service du Trésor conserve le branchement entre l’émission des produits de dette et la gestion de la trésorerie centrale : les « correspondants du Trésor », les collectivités locales et les établissements publics sont contraints de déposer leur trésorerie à l’AFT [79]. Par un jeu de proximité et de distance avec le ministre des Finances, les hauts fonctionnaires reconstruisent une politique administrative qui joue sur la frontière entre affaires financières et propriétés générales du pouvoir souverain. En représentant la France sur les places financières du monde, ils mettent en scène et formalisent les atouts de l’émetteur de dette et vendent des décisions en matière budgétaire, financière et monétaire considérées comme « vertueuses », qui conviennent aux intérêts des professionnels des marchés de capitaux. Cette représentation de la France sur les marchés confère en retour de larges pouvoirs au Trésor vis-à-vis des autorités politiques comme des autres secteurs de l’administration publique. Par leurs prises de parole en meeting et, simultanément, par leur action en interne à l’État, les Trésoriens veulent préserver, entretenir et améliorer le crédit de l’État. Crédit financier et crédit politique ne font plus qu’un. Enfin, l’AFT se comporte avec les autorités politiques et les ministères dits « dépensiers » comme le directeur financier d’une entreprise. La trésorerie est ainsi conçue par Sylvain de Forges comme un « point d’observation de tout corps social extraordinaire », et surtout l’outil à partir duquel l’ensemble de l’administration publique est tenue en laisse.

70

« Un trésorier est toujours légitime à dire : “Attends, je ne comprends pas, tu as dépensé ça, je peux savoir pourquoi ? Et pourquoi tu l’as dépensé aujourd’hui, je préférais que tu le dépenses dans une semaine”. Cet outil-là [la trésorerie], c’est vraiment le bout de la queue du chien. Si vous tenez le chien, il ne va pas s’en aller. Ce n’est pas le poil, ça ne peut pas rester dans les mains, vous le tenez vraiment ! Votre capacité à dépiauter le fonctionnement de l’appareil d’État est sans limites connues. Et c’est d’ailleurs pour cela que, moi présent en tout cas, j’avais insisté pour qu’on ne construise pas d’agence. Parce que faire une agence de la dette, c’était la couper de l’intérieur de l’État. »

71Les Trésoriens balisent l’espace des « bons » choix financiers et budgétaires, qui ne sont autres que ceux qui entraînent le moins de perturbations sur la gestion financière de l’État. Le maintien de l’agence au sein de l’appareil d’État fonctionne comme un outil de discipline budgétaire. En restant visible et localisée dans les murs de l’État, l’agence matérialise la contrainte de financement, l’externaliser étant susceptible de la désincarner. L’équilibre du format d’agence française est un véhicule pédagogique : la présence de l’AFT est un rappel permanent à la nécessité, pour assurer la pérennité de l’administration publique, de tout mettre en œuvre pour préserver le crédit de l’État. Les OI, prescriptrices du standard, avaient anticipé l’importance pour l’agence de faire passer les messages de contrainte financière aux autres unités étatiques responsables de politiques publiques « dépensières ».

72

« Il importe que les gestionnaires de la dette fassent comprendre aux autorités budgétaires l’incidence que les besoins de financement et le niveau d’endettement de l’État ont sur les coûts d’emprunt. Les variables permettant de déterminer si le degré d’endettement est tolérable sont, par exemple, le ratio du service de la dette du secteur public, le ratio de la dette publique/PIB et le ratio dette publique/recettes fiscales. » [80]

73Dans la logique du modèle, s’il faut une part de dette publique marchande, celle-ci doit rester maîtrisée et son profil de soutenabilité contrôlé afin qu’aucune situation de crise majeure ne sonne le retour brutal du politique à travers un défaut, une annulation ou une restructuration de dette. Le compromis organisationnel donnant naissance à l’agence stabilise des schèmes d’action pour les finances publiques : l’émission d’une dette conforme aux attentes des marchés, dépourvue de prérogatives extraordinaires – comme le raccordement de la trésorerie à la régulation monétaire et bancaire considéré comme une distorsion de marché – et la limitation, sinon des déficits, du moins de la dépense publique. Cette structure et les titres financiers qu’elle confectionne maintiennent une problématisation particulière des finances publiques : interface entre la politique du gouvernement et les attentes des marchés, elle convertit en stratégie vis-à-vis des investisseurs son intégration au cœur de l’État pour « représenter » l’économie française dans sa globalité. Et, en retour, l’AFT se fait le porte-parole légitime, au sein de l’État, de la communauté des investisseurs et plaide auprès du ministre pour des arbitrages favorables à l’entretien de ce crédit politique et de ce lien aux marchés de capitaux.

74* * *

75Réinvesti par l’administration française, le standard agence objective un arrangement institutionnel articulant de façon inédite l’environnement financier international, les représentants politiques et l’administration publique. En France, les ministres soutiennent l’innovation financière et la création d’une agence, elle-même appréciée et saluée par les marchés, ainsi que le développement de la place financière de Paris dans l’intérêt compétitif de la France. Ce service de l’État, sans être sorti des sphères régaliennes, est tenu, en ce qui concerne les postes exposés, par des hauts fonctionnaires attentifs à concilier les exigences des banques et des opérateurs de marché, considérés comme des partenaires, avec l’intérêt du citoyen-contribuable à diminuer la charge de la dette autant que faire se peut dans un cadre de marché tenu pour naturel.

76L’alignement sur les intérêts des marchés n’est donc pas le même selon la forme de l’organisation et de l’arrangement national. Dans le cas de la France, les services agissent de façon autonome dans leur routine mais sous la tutelle et la responsabilité du ministre. Les autorités tirent parti de la mise en conformité minimale aux standards bureaucratiques internationaux pour espérer réduire les coûts de financement et la charge de la dette, et donc répondre à des impératifs de service public. Loin de marquer la fin supposée du pouvoir de l’État, les schémas bureaucratiques engendrés par la comparaison et la compétition entre États pour se financer sur les marchés de capitaux ont déporté les savoirs et les pratiques des hauts fonctionnaires vers de nouveaux domaines stratégiques. Servir l’intérêt général consiste à développer l’innovation financière, à peser dans un univers international réorganisé et à assurer des taux d’intérêt faibles sur les emprunts d’État [81]. Ici réside toute l’ambiguïté de cette nouvelle forme d’État stratège [82], qui est considéré comme d’autant plus stratégique qu’il s’adapte aux intérêts et anticipations des intervenants financiers privés.

77L’agence n’est donc pas un format neutre, ou une simple réponse technique d’experts sophistiqués à un problème complexe – le financement international sur les marchés de capitaux. Le fait que de hauts fonctionnaires emboîtent le pas de la mise en marché, au rythme et avec les logiques spécifiques de la France, ratifie et renforce en retour ce cadre international. Si l’agence ne traduit pas une captation de l’État par les marchés, elle ne laisse pas indemnes l’État ou la définition légitime de l’intérêt général. Vitrine pour les investisseurs et source de financement à bon prix – à contrainte de marché tenue pour évidente – l’AFT oblige l’administration en retour. Sa signature sur les marchés donne le « la » des bonnes politiques, qui vont dans le sens de l’orthodoxie financière et de la défense de la qualité de la dette : inflation faible, place financière attractive et qui n’entrave pas, par ses réglementations ou son régime de taxation, l’investissement international. Point de contact des marchés et traducteur de leurs aspirations, l’AFT incarne la contrainte de financement au sein de l’appareil administratif et perpétue l’injonction à la discipline budgétaire [83].

78L’AFT franchit ainsi une étape supplémentaire dans la prise en compte des attentes des marchés de capitaux pour concevoir les stratégies de politique économique. Plutôt qu’une dépolitisation, c’est une reconfiguration du politique que l’agence propose : reconfiguration du volontarisme – aller plus loin dans le soutien des infrastructures de la finance de marché – mais aussi de la rationalité de l’État qui cherche à optimiser le rendement de ses produits à la façon d’un agent calculateur, en compétition avec d’autres émetteurs de dette [84]. L’intérêt du citoyen, défini essentiellement comme un « contribuable », est représenté et « approprié » [85] par des hauts fonctionnaires dont le profil, l’identité et les représentations du métier sont hybrides entre culture de service public et impératifs de la communauté financière. Cette inscription bureaucratique de la rationalité de l’État est le point d’aboutissement provisoire d’un travail contingent, et sans cesse remis à l’ouvrage, d’alignement national et international des intérêts entre organisations bureaucratiques et organisations privées des marchés financiers [86].


Annexe

Les agences de la dette dans le monde

tableau im2
Pays Date de la réforme principale Nom de la structure Localisation Dette/PIB au moment de la création de la structure Dette/PIB en 2001 Allemagne 2000 Bundesrepublik Deutschland Finanzagentur GmbH ou Finanzagentur Société anonyme détenue à 100 % par l’État fédéral 58,7 % 57,8 % Grèce 1998 Public Debt Management Agency (PDMA) Au sein du MdF 105,8 % 114,4 % Suède 1989 Réforme du Swedish National Debt Office (SNDO) or Riksgaldskontoret Du Parlement au sein du MdF +/- 50 % 51,7 % Ireland 1990 National Treasury Management Agency (NTMA) Séparé du MdF 93.5 % 33,4 % Danemark 1992 Danmarks Nationalbank Banque centrale +/- 70 % 48,5 % Autriche 1993 Debt management office of the Republic of Austria. Oesterreichische Bundesfinanzierungsagentur Au sein du MdF 60,8 % 66,5 % Portugal 1997 Portuguese Govemment Debt Agency. Agência de Gestão da Tesouraria e da Dívida Pública Séparé du MdF 55,2 % 56 % Angleterre 1997-1998 United Kingdom Debt management Office De la Banque centrale au Trésor 46,9 % 36,2 % Nouvelle-Zélande 1988 New Zealand debt management office (NZDMO) Au sein du MdF 57,8 % 34 %

Mots-clés éditeurs : agence, bureaucratie, État, organisations internationales, réforme, administration publique, marchés financiers

Date de mise en ligne : 14/09/2016.

https://doi.org/10.3917/rfsp.663.0435

Notes

  • [1]
    Jusqu’au milieu des années 1980, il n’y avait qu’un seul office indépendant de gestion de la dette au sein de la zone OCDE, l’Office suédois de la dette publique.
  • [2]
    La notion de « credible commitment », empruntée à Th. Schelling (The Strategy of Conflict, Cambridge, Harvard University Press, 1960), est au cœur de la théorie économique des institutions. Cf., par exemple, D. C. North, B. R. Weingast, « Constitutions and Commitment : The Evolution of Institutions Governing Public Choice in Seventeenth-Century England », Journal of Economic History, 49 (4), 1989, p. 803-832 ; K. A. Shepsle, « Discretion, Institutions and the Problem of Government Commitment », dans P. Bourdieu, J. C. Coleman (eds), Social Theory for a Changing Society, Boulder, Westview Press, 1991.
  • [3]
    Inspirés par l’école d’économie du public choice, des réformateurs ont promu la dépolitisation et la mise à l’écart des représentants politiques comme des solutions aux échecs des politiques économiques et monétaires poursuivies pendant les années 1970. Cf. A. Roberts, The Logic of Discipline. Global Capitalism and the Architecture of Government, New York, Oxford University Press, 2010 ; M. Flinders, Defending Politics. Why Democracy Matters in the 21st Century, Oxford, Oxford University Press, 2012.
  • [4]
    D. Stasavage, « Credible Commitment in Early Modern Europe : North and Weingast Revisited », Journal of Law, Economics, and Organization, 18 (1), 2002, p. 155-186.
  • [5]
    Cet article se base sur des entretiens semi-directifs réalisés entre 2007 et 2011 auprès d’anciens hauts responsables de la direction du Trésor au ministère des Finances, de membres de cabinets politiques ainsi que de banquiers, spécialistes en valeur du Trésor. Les extraits d’entretiens et citations sont issues de cette enquête. La démonstration repose aussi sur la consultation d’archives déposées au Centre des archives économiques et financières (CAEF, Savigny-le-Temple), ainsi que sur une étude de la presse généraliste et spécialisée.
  • [6]
    D. Linhardt, F. Muniesa, « Tenir lieu de politique : le paradoxe des “politiques d’économisation” », Politix, 95, 2011, p. 7-21.
  • [7]
    L. Winner, « Do Artifacts Have Politics ? », Daedalus, 109 (1), hiver 1980, p. 121-136.
  • [8]
    D. Linhardt, « Épreuves d’État : une variation sur la définition wébérienne de l’État », Quaderni, 78, printemps 2012, p. 5-22 ; Ph. Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, 2009.
  • [9]
    P. Lascoumes, L. Simard, « L’action publique au prisme de ses instruments », Revue française de science politique, 61 (1), février 2011, p. 5-22.
  • [10]
    B. Laurent, « Boundary-Making in the International Organization : Public Engagement Expertise at the OECD », dans J.-P. Voss, R. Freeman (eds), Knowing Governance. The Epistemic Construction of Political Order, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015, p. 217-235.
  • [11]
    S. Polillo, M. F. Guillén, « Globalization Pressures and the State : The Worldwide Spread of Central Bank Independence », American Journal of Sociology, 110 (6), mai 2005, p. 1764-1802.
  • [12]
    R. J. Barro, D. B. Gordon, « Rules, Discretion and Reputation in a Model of Monetary Policy », Journal of Monetary Economics, 12, 1983, p. 101-121 ; Th. J. Sargent, Rational Expectations and Inflation, New York, Harper & Row, 1986.
  • [13]
    J. M. Buchanan, R. E. Wagner, Democracy in Deficit, New York, Academic Press, 1977.
  • [14]
    Cette littérature s’élabore à la croisée de l’économie académique et des expertises propres aux organisations internationales ou aux gouvernements. Cf. M. Cassard, D. Folkerts-Landau, « Risk Management of Sovereign Assets and Liabilities », International Monetary Fund, working paper 97/166, décembre 1997.
  • [15]
    Y. Steiner, « The Dark Side of the Force : de l’usage du politique dans la théorie économique de la banque centrale indépendante », Critique internationale, 22, 2004, p. 49-61.
  • [16]
    Les marchés financiers désirent ou fantasment une monnaie sans autorité politique. Cf. A. Orléan, L’empire de la valeur, Paris, Seuil, 2011, p. 217.
  • [17]
    P. Moser, « Checks and Balances, and the Supply of Central Bank Independence », European Economic Review, 43 (8), 1999, p. 1569-1993.
  • [18]
    F. Gilardi, « The Institutional Foundations of Regulatory Capitalism : The Diffusion of Independent Regulatory Agencies in Western Europe », The Annals of the American Academy of Political and Social Sciences, 600, 2005, p. 84-101.
  • [19]
    Pour une critique et un état de l’art de ces approches, cf. M. Lodge, O. James, « The Limitations of “Policy Transfer” and “Lesson Drawing” for Public Policy Research », Political Studies Review, 1, 2003, p. 179-193.
  • [20]
    C. Radaelli, « Policy Transfer in the European Union : Institutional Isomorphism as a Source of Legitimacy », Governance. An International Journal of Policy and Administration, 13 (1), janvier 2000, p. 25-43.
  • [21]
    Le changement des structures de financement de l’État et de nature de la dette (du non négociable au négociable) n’est pas réductible au cas de la France. Cf. le tableau p. 440, extrait de S. M. Ali Abbas, L. Blattner, M. De Broeck, A. El Ganainy, M. Hu, « Sovereign Debt Composition in Advanced Economies : A Historical Perspective », International Monetary Fund, working paper 14/162, september 2014.
  • [22]
    L. Quennouëlle-Corre, La Direction du Trésor, 1947-1967. L’État-banquier et la croissance, Paris, CHEFF, 2000 ; B. Lemoine, L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché, Paris, La Découverte, 2016.
  • [23]
    Par exemple, la technique du plancher de bons du Trésor (contraignant les banques à souscrire aux bons du Trésor à court terme en fonction de leurs dépôts) drainait des liquidités de façon automatique vers l’État. Le circuit était aussi constitué des dépôts obligatoires de leurs trésorerie par des entités variées appartenant au réseau du Trésor : entreprises ou institutions publiques et semi-publiques.
  • [24]
    A. Cuckierman, « Central Bank Independence and Monetary Policymaking Institutions : Past, Present and Future », European Journal of Political Economy, 24 (4), 2008, p. 722-736.
  • [25]
    S. C. W. Eijffinger, J. De Hann, « The Political Economy of Central-Bank Independence », Special Papers in International Economics, 19, Department of Economics, Princeton University, New Jersey, mai 1996.
  • [26]
    E. Monnet, « Blurring the Lines between Monetary and Fiscal Financing of Public Debt after World War II : The French Case in European Perspective », communication au colloque « The Global Politics of Public Debts, from the Late Eighteenth Century », Cambridge, Centre for History and Economics, 11-12 juin 2015.
  • [27]
    CAEF, Ministère des Finances, note de Christian Noyer à Jean-Fraçois Pons, 13 février 1987.
  • [28]
    Au mieux, les analyses cherchent à améliorer le mandat du principal à l’agent en prenant en compte les critiques « d’incohérence démocratique » qui lui sont adressées, comme le fait qu’entre la mise en œuvre de l’agence et les évolutions ultérieures, les préférences du gouvernement peuvent changer. Pour une approche normative de ce type appliquée au cas de la Banque centrale européenne, cf. R. Elgie, « The Politics of the European Central Bank : Principal-Agent Theory and the Democratic Deficit », Journal of European Public Policy, 9 (2), 2002, p. 186-200.
  • [29]
    R. Abdelal, « Constructivism as an Approach to International Political Economy », dans M. Blyth (ed.), Routledge International Handbook of Political Economy, New York, Routeledge, 2009, p. 62-63.
  • [30]
    On ne trouve pas de corrélation systématique entre l’évolution du niveau de la dette rapporté au PIB et l’adoption du modèle « agence de la dette » (cf. tableau en annexe). Les stocks de dettes diminuent parfois drastiquement à la suite de l’introduction d’une agence – comme dans le cas de l’Irlande, de la Nouvelle-Zélande, de la Hongrie, du Danemark – quand d’autres dettes continuent d’augmenter après leurs mises en place – modérément en Autriche et en Suède, plus sûrement et progressivement en France, en Allemagne, ou de façon dramatique en Grèce. Comprendre l’augmentation ou la réduction du niveau de dette implique de prendre en compte une liste de facteurs multiples (niveau de la fiscalité en face des dépenses, plan d’économies structurelles, privatisations des services publics, taux d’intérêt, etc.).
  • [31]
    Un haut fonctionnaire du Trésor illustrait ce phénomène en mobilisant lors d’un entretien l’exemple de la Finlande ou du Luxembourg.
  • [32]
    Ce premier livre vert portait « sur les caractéristiques institutionnelles des offices de gestion de la dette » (propos cités dans H. Bloomenstein, L. Kaleren, « La gestion de la dette publique et les marchés des valeurs d’État au 21e siècle : rôle et structure des offices de gestion de la dette », OCDE, 2002).
  • [33]
    B. Lemoine, « Discipliner l’État par sa dette : la mise en marché et la sectorisation du “problème” de la dette publique », dans Ch. Halpern, P. Lascoumes, P. Le Galès (dir.), L’instrumentation de l’action publique. Controverses, résistance, effets, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 367-396.
  • [34]
    Cf. le projet commun OCDE-FMI de 1995-1996 sur la coordination entre la politique monétaire et la politique de gestion de la dette publique, enquête sur quatorze pays de la zone OCDE et économies émergentes, rapport publié en 1997 : V. Sundararajan, P. Dattels, H. J. Blommestein (ed.), Co-Ordinating Public Debt and Monetary Management, Washington, Fonds monétaire international, 1997.
  • [35]
    E. Currie, J.-J. Dethier, E. Togo, « Institutional Arrangements for Public Debt Management », Policy Research Working Paper, 3021, The World Bank Development Economics, Office of the senior vice-president and chief economist and banking, Capital Markets, and Financial Engineering Department, Public Debt Management Group, March 2003.
  • [36]
    Banque mondiale, FMI, Directives pour la gestion de la dette publique, DC/2001-0002, 30 mars 2001. Les auteurs de la Banque mondiale évoquent le cas de la Suède et ses instruments inter-institutionnels partagés entre Trésor et Riksbank qui « œuvraient à la fois au financement de l’État et à la politique monétaire ».
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    La littérature sur la délégation bureaucratique explique que les dispositifs juridiques et institutionnels relatifs à la politique monétaire ou à la gestion des finances publiques sont « coûteux » à modifier une fois installés. Cf. D. North, B. Weingast, « Constitutions and Commitment… », art. cité.
  • [39]
    T. Delpeuch, « Comprendre la circulation internationale des solutions d’action publique : panorama des policy transfer studies », Critique internationale, 43, 2009, p. 153-165.
  • [40]
    P. J. DiMaggio, W. Powell, « The Iron Cage Revisited : Institutionalized Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 48, 1983, p. 147-160.
  • [41]
    T. Magnusson, Director and the General Counsel of the Swedish National Debt Office, « The Institutional and Legal Base for Effective Debt Management », communication à la troisième conférence Inter-Regional Debt Management, préparée par UNCTAD, Genève, 3-5 décembre 2001 ; D. Leong, « Debt Management : Theory and Practice », UK Treasury Occasional Paper, 10, avril 1999 ; G. Wheeler, « New Zealand’s Experience With Autonomous Sovereign Debt Management », Treasurer, New Zealand Debt Management Office, novembre 1996.
  • [42]
    M. Lodge, « Institutional Choice and Policy Transfer : Reforming British and German Railway Regulation », Governance. An International Journal of Policy, Administration, and Institutions, 16 (2), avril 2003, p. 159-178 ; D. Stone, « Transfer Agents and Global Networks in the “Transnationalization” of Policy », Journal of European Public Policy, 11 (3), juin 2004, p. 545-566.
  • [43]
    S. Goldfinch, « Remaking New Zealand’s Economic Policy : Institutional Elites as Radical Innovators 1984-1993 », Governance. An International Journal of Policy and Administration, 11 (2), avril 1998, p. 177-207.
  • [44]
    T. Delpeuch, « Comprendre la circulation internationale… », art. cité.
  • [45]
    W. Jacoby, Imitation and Politics, Redesigning Modern Germany, Ithaca, Cornell University Press, 2000.
  • [46]
    Même si on voit, dans le cas de la France, comment le standard est approprié et adapté en contexte local. Cf. F. Gilardi, M. Maggetti, « The Policy-Making Structure of European Regulatory Networks and the Domestic Adoption of Standards », Journal of European Public Policy, 18 (6), septembre 2011, p. 830-847.
  • [47]
    D. P. Moynihan « Ambiguity in Policy Lessons : The Agencification Experience », Public Administration 84 (4), 2006, p. 1029-1050.
  • [48]
    Benoît Cœuré est aujourd’hui membre du directoire de la BCE. Il a été numéro 2 de la direction générale du Trésor au ministère des Finances en tant que « chef économiste ».
  • [49]
    B. Cœuré, « L’Agence France Trésor, quatre ans après », dans le numéro spécial « Réformes au MINEFI : adaptations ou mutations ? », Revue française de finances publiques, 89, 2005.
  • [50]
    CAEF, Ministère des Finances, PH 148/00, carton 1/A-129 « système à l’étranger », document du 29 juillet 1997, rédigé par le Dr Paul Mills.
  • [51]
    Ibid. Nous traduisons la note de projet du Trésor anglais.
  • [52]
    Les Échos, 17 février 2000.
  • [53]
    Christian Noyer, ancien directeur du Trésor et gouverneur de la Banque de France, évoque en entretien avec une légère ironie la « mode » de l’époque qui est à la multiplication des agences.
  • [54]
    Dominique Strauss-Kahn est alors le ministre de l’Économie et des Finances.
  • [55]
    Propos en italique extraits d’entretiens avec d’anciens hauts fonctionnaires du Trésor.
  • [56]
    De novembre 1999 à mars 2000.
  • [57]
    Comme l’explique en ces termes S. de Forges.
  • [58]
    Discours de Laurent Fabius, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Conférence Paris Europlace, 11 juillet 2000.
  • [59]
    Ibid.
  • [60]
    De l’anglais to swap : échanger. Instrument financier, contrat permettant l’échange (de taux, de devises) de flux financiers entre deux parties, qui sont généralement des banques ou des institutions financières.
  • [61]
    Cf. M. Lodge « The Importance of Being Modern : International Benchmarking and National Regulatory Innovation », Journal of European Public Policy, 12 (4), 2005, p. 649-667.
  • [62]
    B. Cœuré, « L’agence France Trésor, quatre ans après », art. cité.
  • [63]
    B. Cœuré, ibid.
  • [64]
    Il deviendra associé-gérant de la banque Lazard en 2002.
  • [65]
    Jean-Pierre Jouyet, dans le Rapport annuel de l’AFT, 2000/2001.
  • [66]
    Sur la typologie des agences et les QUANGOS, « Quasi-Autonomous Non-Governmental Agencies », cf. Christopher Pollit, Colin Talbot (eds), Unbundled Government. A Critical Analysis of the Global Trend to Agencies, Quangos and Contractualisation, Abingdon, Routledge, 2004.
  • [67]
    B. Cœuré, « L’Agence France Trésor, quatre ans après », art. cité.
  • [68]
    « Les agences : une nouvelle gestion publique ? », Les rapports du Conseil d’État, étude annuelle 2012, p. 40.
  • [69]
    Ibid., p. 47-48.
  • [70]
    B. Cœuré, « L’Agence France Trésor, quatre ans après », art. cité.
  • [71]
    Sylvain de Forges, présentation à un atelier de l’OECD, Rome, 2001 ; Elizabeth Currie, « Update on European DMO », 2000, ronéotypé (nous traduisons).
  • [72]
    B. Cœuré, « L’Agence France Trésor, quatre ans après », art. cité ; « Les agences : une nouvelle gestion publique », cité.
  • [73]
    H. Bloomenstein, L. Kaleren, « La gestion de la dette publique… », cité.
  • [74]
    « Des “golden boys” au Trésor : une agence autonome gérera la dette de l’État », Le Figaro, 7 décembre 2000.
  • [75]
    H. Bloomenstein, L. Kaleren, « La gestion de la dette publique… », cité.
  • [76]
    « Agences qui, allégées des procédures bureaucratiques, bénéficieraient d’un environnement de travail approprié pour des prises de décisions rapides » (E. Currie et al., « Institutional Arrangements… », cité, nous traduisons).
  • [77]
    J.-M. Eymeri-Douzans, « Les réformes administratives en Europe : logiques managérialistes globales, acclimatations locales », Pyramides, 15, 2008, p. 71-94.
  • [78]
    M. Callon, C. Méadel, V. Rabeharisoa, « L’économie des qualités », Politix, 13 (52), 2000, p. 211-239.
  • [79]
    Les correspondants du Trésor sont les entités qui, par obligation législative, réglementaire ou par convention, disposent d’un compte ouvert dans les livres du Trésor, auprès d’un comptable public. Au 31 décembre 2013, l’encours des dépôts des correspondants sur le compte du Trésor s’élève à 127,7 Mde.
  • [80]
    Banque mondiale, FMI, Directives…, cité.
  • [81]
    Entre 2002 et 2011, l’effet de diminution de la charge de la dette « en volume » est difficilement perceptible tant les oscillations sont constantes. Par exemple, le résultat de l’exécution budgétaire 2002 faisait apparaître 40 691 millions d’euros, une baisse à 38 941 d’euros en 2006, puis une remontée à 45 382 euros pour le projet de loi de finances 2001. Attribuer ces chiffres à la stricte performance (ou contre-performance) de l’AFT est périlleux.
  • [82]
    Ph. Bezes, « Le modèle de “l’État-stratège” : genèse d’une forme organisationnelle dans l’administration française », Sociologie du travail, 4, 2005, p. 431-450.
  • [83]
    Le fait que les déficits publics s’accumulent ne signifie pas que l’instrument d’endettement sur les marchés soit au service de l’État social : les déficits pouvant être attribués à de nombreux autres facteurs, comme la dépense fiscale, et la baisse des recettes au nom de la croissance et de la compétitivité de l’économie.
  • [84]
    R. Livne, Y. P. Yonay, « Performing Neoliberal Governmentality : An Ethnography of Financialized Sovereign Debt Management Practices », Socio-Economic Review, 14 (2), 2016, p. 339-362.
  • [85]
    R. Lenoir, « L’État selon Pierre Bourdieu », Sociétés contemporaines, 87, 2012, p. 123-154.
  • [86]
    Je remercie Philippe Bezes, Patrick Le Lidec, Vincent Gayon, ainsi que les relecteurs anonymes de la Revue française de science politique qui ont commenté et discuté ce texte.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.168

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions