Flux 2002/2 n° 48-49

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Article de revue

Waste Management : les entreprises américaines de déchets (II)

Pages 107 à 121

Notes

  • [1]
    Ce texte a bénéficié des remarques et de la relecture d’Olivier Coutard, Christophe Defeuilley et Pierre Zembri.
  • [2]
    En France par exemple, on peut penser que cette sensibilité « industrielle » établit une différence entre G. Dejouany à la tête de la Compagnie Générale des Eaux et J-M. Messier qui la reformate en Vivendi.
  • [3]
    Pour toute cette partie, jusque 1992 je m’appuie largement sur le livre de Jacobson. Ce livre diffusé par l’entreprise et sans doute commandé par elle, manque parfois de recul mais il apporte un très grand nombre de faits sur le passé et de détails mal mis en évidence. T. C. Jacobson, Waste Management, An American Corporate Success Story, Gateway Business Books, Washington D.C, 1993. Une autre source précieuse a été : M.V. Melosi, The Sanitary City, The Johns Hopkins University Press, Baltimore & London, 2000.
  • [4]
    Voir Melosi, 2000, op.cité.
  • [5]
    R-J. Daley restera à la tête de la mairie pendant une vingtaine d’années. Il sera connu comme le représentant de la dernière « machine » politique municipale, faiseur de candidats à la présidentielle du parti Démocrate. Pour une lecture non académique de ce gouvernement municipal, voir M. Royko, Boss, Richard J. Daley of Chicago, Signet Book, New American Library, New York, 1971.
  • [6]
    Le PER (Price Earning Ratio) exprime la valeur du titre en bourse rapportée au bénéfice par action ; ou encore la capitalisation rapportée au bénéfice avant impôts.
  • [7]
    Wall Street Journal, November 27, 2000, Rolling into Trouble : consolidating firms.
  • [8]
    Sur la technicisation du secteur des déchets voir M. Melosi, op. cité en particulier dans les chapitres 17 et 20, consacrés respectivement aux années 1945-1970 et aux années 1980-1990.
  • [9]
    Voir Jacobson, op. cité, p. 6 et suivantes
  • [10]
    FT, January 8, 1991.
  • [11]
    Outre les très nombreux articles publiés à cette occasion, voir Wessex Water, Proposed Joint-Company with UK Waste Management Ltd., January 1991, 31 p.
  • [12]
    En Indonésie, annonce d’un partenariat avec Bimantara Citra pour réaliser une unité de traitement de produits chimiques. Bimantara est le conglomérat du 2ème fils du président Suharto, Mr Bambang Trihatmodjo associé à de nombreux projets internationaux ; pour la centrale électrique de Paiton II, il est aux cotés de PowerGen et de Siemens.
  • [13]
    On peut penser qu’il y a un peu des deux explications ; cela dépend des cas. Des comportements « limites » à la base peuvent conduire à classifier en déchets « normaux » des déchets qui devraient relever de la rubrique dangereuse, avec les économies que cela entraîne sur les coûts du traitement. Inversement, le groupe est bien conscient du problème de la mise aux normes de ses anciens sites. À la fin de 1991, par exemple, il passe une provision de $ 260m, pour le coût estimé de mise aux normes d’anciennes décharges (old dump sites).
  • [14]
    Asian Wall Street Journal, October 12, 1992.
  • [15]
    La firme au moment des années de croissance tout azimut, a acquis des actifs à un prix trop élevé ; ensuite les normes plus contraignantes rendent inévitable le nettoyage des comptes.
  • [16]
    FT September 14, 1993.
  • [17]
    Financial World, June 23, 1992, p. 34.
  • [18]
    FT, March 30, 1992.
  • [19]
    Business Week, April 13, 1992 pp. 76-77.
  • [20]
    Le Figaro, 11 mars 1992.
  • [21]
    Nicollin rejoindra la Sita. Puis pour se renforcer, cette filiale de Lyonnaise-Dumez signera un accord avec Rhône-Poulenc dans les déchets industriels.
  • [22]
    JO des Communautés, 15-1-1993, n° c 10/5, Non opposition à une concentration notifiée ; affaire Waste management International Plc./SAE.
  • [23]
    Le Monde et La Tribune 14 septembre 1992 ; JO des Communautés européennes 15 janvier 1993.
  • [24]
    La Tribune 24 novembre 1992.
  • [25]
    Voir l’article de synthèse : F. Bouaziz, « La bataille des poubelles », Le Nouvel Économiste, 17 juillet 1994.
  • [26]
    Les Échos, 8 février 1993.
  • [27]
    Décision Environnement, n° 19, septembre 1999.
  • [28]
    FT, Februry 8, 1995.
  • [29]
    Asian Wall Street Journal, Februry 8 and 9, 1995. FT, April 7, 1995 et October 17, 1995.
  • [30]
    FT, May 22, 1996 et September 17, 1996. US Filters sera rachetée quelques années plus tard par Vivendi, à un prix très élevé, conduisant en 2002 à la reconnaissance de survaleurs.
  • [31]
    Pour ce qui va suivre voir : Fortune, May 25, 1998, Peter Elkind, Garbage, in garbage out. The Wall Street Journal, March 11, 1998, Jeff Bailey, Big Haul : Under Merger Plan USA Waste Is to Run Waste Management. Business Week, March 23, 1998, Richard Melcher and Garry McWilliams, Can Waste Management Climb Out the Muck ? The Economist, March 7, 1998, Anonymous, Waste mismanagement.
  • [32]
    Voir Business Week op. cité.
  • [33]
    Pour le détail de ces $ 3,5bn voir Business Week, March 23, 1998.
  • [34]
    The Wall Street Journal, March 11, 1998, op cité.
  • [35]
    Voir entre autres FT, March 12, 1998. The Economist, March 7, 1998. Fortune, May 25, 1998. Voir aussi les rapports aux actionnaires pour l’exercice 1998 et 1999 (10K Reports).
  • [36]
    Voir 10K pour l’exercice 1999. FT August 3, 1999.
  • [37]
    10K Report 30 mars 2000.
  • [38]
    FT July 8, 1999 et October 25, 1999.
  • [39]
    The Wall Street Journal, March 11, 1998 op. cité.
  • [40]
    10K Report, December 31, 2000. Business Wire, November 15, 2001. Waste Management to Offer $ 400 millions in Senior Unsecured Notes.
English version
Waste ManagementNew York
Groupe créé en 1968, introduit en bourse en 1971
Originaire de Chicago, repris en 1998 par USA Waste, Houston
Chiffre d’affaires 2001, $ 11,32 milliards
Déchetscollecte, stockage, mise en décharge déchets chimiques
Cogénération, production d’énergie
Traitement des eaux usées
Chiffre d’affaires en milliards de dollars : 1980 $ 0,500 ; 1985 $ 1,63 ;
1990 $ 6,03 ; 1995 $ 10,4 ; 1998 (fusion) $ 12,6.

1Waste Management [1] est aujourd’hui le numéro un mondial indiscutable du secteur des déchets, tant par son chiffre d’affaires (11,5 milliards de dollars) que par son offre complète sur les différents segments de cette industrie : ramassage, stockage, mise en décharge, traitement des déchets solides, chimiques, toxiques, nucléaires. Cette histoire est significative d’un quadruple point de vue dans notre projet d’étude des entreprises de réseaux urbains.

2Premièrement, cette firme est un témoin capital d’une histoire de secteur différente de notre vision continentale. Elle nous invite à sortir d’une lecture institutionnelle stable, héritée de notre histoire politique et publique, pour y introduire le mouvement. Ce fut ainsi depuis les origines, que l’on soit en phase de consolidation ou de réorganisation. Cette industrie américaine des déchets bouge en permanence et une firme comme Waste Management, bien que déjà très grande au début des années 1990, n’échappe pas à cette règle.

3Deuxièmement, en suivant le passage en deux générations d’un groupe familial à un groupe mondial, on saisit ce qu’il y a d’individuel derrière des entreprises perçues au travers des communiqués de presse et des rapports aux actionnaires. Ces entreprises se développent à partir de quelques hommes, unis par l’amitié, parfois par des liens familiaux ; ils partagent des visions, ont des intérêts communs, rêvent (un peu), agissent (beaucoup) et changent le monde. L’histoire de Waste Management, car son groupe dirigeant est resté actif jusqu’à peu, est une invitation à remettre l’entrepreneur au centre de l’entreprise, avant qu’elle ne devienne une grande organisation, structurée en départements et en divisions.

4Troisièmement, cette lecture à grain fin permet aussi de rappeler, ce qui peut être oublié dans une lecture « stratégique », que le développement de ces firmes relève aussi de celui de réseaux techniques, ici des décharges et des routes. La qualité des premières, l’optimisation des secondes, déterminent largement la productivité. De sorte qu’il faut équilibrer l’histoire de la croissance lue trop souvent par le jeu des fusions et acquisitions, par le rappel des politiques industrielles. Elles expliquent beaucoup sur le long terme. Les équipes dirigeantes leur accordent plus ou moins d’importance et cette variable entraîne des différences entre des firmes et pour une même firme entre différentes périodes [2]. L’histoire de Waste Management est exemplaire de ce point de vue.

5Quatrièmement, le secteur des déchets est une manière forte de réaffirmer combien les marchés de services publics sont bien le produit d’une action interdépendante entre des règles publiques et des stratégies de firmes. L’action publique a été déterminante à deux moments. À la fin des années 1960, les premières réglementations qui durcissent les normes en matière de décharges ont contribué à faire le marché pour les plus grandes firmes qui avaient compris l’importance stratégique des décharges sanitaires. Mais trente ans plus tard, ce sont des normes plus strictes qui déstabilisent les deux géants, WM et Browning Ferris Industries, qu’elles avaient contribués à former. Ici le marché est une construction complexe dans laquelle se combinent des technologies, des institutions, des règles et des acteurs. Cette vision réhabilite donc le rôle de la puissance publique face à l’automatisme « déjà donné » des marchés.

Les origines : éboueurs et proto industrie

6En 1893, un émigrant hollandais, Harm Huizenga arrive à Chicago et commence à travailler dans le transport des déchets, à 1,25 dollars par charrette [3]. Une communauté hollandaise, souvent calviniste, s’était installée dans le « mid-west » du Michigan ; ces agriculteurs vendaient leurs produits sur les marchés de la ville et de là certains s’intéressèrent à l’enlèvement des déchets des marchés. Harm Huizenga commence avec un seul attelage. Il se développe, étend son affaire, toujours dans sa communauté hollandaise de Chicago. Après la première guerre mondiale, dans les années 1920, il passe aux camions qui portent la marque « Huizenga & Son, Private Scavengers ». Son second fils, Tom, travaille avec lui.

7À cette même époque, Tom crée sa propre affaire, Ace Scavenger Services (Ace). Puis dans les années 1930, il s’associe à d’autres hollandais pour créer Chicago & Suburban (C&S). Ace est une entreprise familiale. Tom emploie son frère aîné comme comptable et son jeune frère Pete gère les routes. Plus tard, pendant la seconde guerre mondiale, Pete crée lui aussi sa propre entreprise, Arrow Disposal Services, en reprenant quelques routes à son frère. Il commence avec un camion et rapidement en exploite une demi douzaine. Pendant la seconde guerre mondiale en 1943, Tom continue à se développer et rachète une autre entreprise. Après sa mort en 1945, sa femme revendra quelques routes appartenant à Ace à un beau-frère qui crée Metro Scavenger Services. Au début des années 1950, les Huizenga forment un partenariat « Ace Partenership » entre leurs sociétés, Ace, Arrow, Metro, C&S, et une autre famille dutch-american, C. Grott & Sons.

8Les origines de Waste Management puisent donc dans cette communauté hollandaise-américaine, très unie, implantée dans le West side de Chicago, qui partage une culture du travail. Cette industrie reste alors une industrie de main-d’œuvre. Les premiers camions de ramassage « Dempster Dumpers » avaient certes fait leur apparition vers 1934 mais ils n’étaient pas encore généralisés. Les entreprises privées sont de petite taille, familiales et elles sont minoritaires dans un secteur qui reste largement dominé par les services municipaux, au même titre que la police ou les pompiers ; cette industrie est donc encore totalement fragmentée en plus de 10 000 unités ; les décharges, nommées sanitary landfills depuis les années 1930, n’ont de sanitary que le nom [4].

9Au milieu des années 1950, cette industrie atteint un seuil. Jacobson comme Melosi donnent les signes de ce changement.

  • des arrêtés municipaux interdisent progressivement les camions ouverts ;
  • des camions compresseurs permettent de doubler la charge et réduisent les coûts de transport. C’est une nécessité dans la mesure où les sites de décharge deviennent plus distants au fur et à mesure que les villes s’étendent ;
  • différentes techniques de ramassage conduisent à diminuer le nombre des ouvriers nécessaires, de quatre à deux par camion ;
  • la technique de couverture rapide des décharges avec de la terre se généralise, mais elle augmente les coûts.
À la même époque, un certain Dean Buntrock arrive à Chicago, la ville du nouveau maire Richard J. Daley [5]. Il a en poche un diplôme d’une université du Minnesota, un État où son père fut maire d’une petite ville pendant 25 ans. Il épouse Betty Joane Huizenga en 1956. Et c’est ainsi qu’un jeune homme de 25 ans, élevé dans une famille luthérienne d’origine norvégienne (sa mère) et allemande (son père), allait entrer dans une famille hollandaise calviniste totalement impliquée dans l’industrie des déchets.

10Un an plus tôt, en 1955, Pete était décédé ; des trois fils de Harm Huizenga ne restait plus que l’aîné et se posait un problème de pilotage de leurs affaires. En octobre 1956, Dean Buntrock rentre comme salarié chez Ace Scavenger avec un salaire inférieur à celui des chauffeurs. Il apprend le métier sur le tas, directement avec les chauffeurs. C’est un point très important car pendant très longtemps la culture de la base, le camion « comme centre de profit ultime », sera une caractéristique de l’esprit Waste Management. À cette époque, la structure de coordination « Ace Partnership » gérait quinze routes. Arrow Disposal gérait deux camions.

La création d’un groupe familial

11Assez rapidement, Dean Buntrock comprend que le secteur des déchets se trouve à un tournant, que les possibilités de développement sont grandes mais qu’il faut dépasser la dimension locale, sortir du quartier et de la paroisse. Ce sera son action au long des années 1960, jusqu’à l’introduction en bourse de 1971. Une structure se met en place autour des pièces suivantes : des filiales en d’autres États, le contrôle des décharges, une organisation nationale.

12Par l’intermédiaire « d’Ace Partnership » il reprend d’abord des routes à Milwaukee exploitées par un compatriote des Huizenga et sa société Acme Disposal. La ville est en plein essor et la société se développe. Le management se réduit alors à sa plus simple expression : Buntrock et le directeur d’Acme. Ils étudient dans le détail chaque route, ses coûts, ses recettes. En 1963, le syndicat des Teamsters organise tous les salariés et Acme devient la première entreprise du secteur avec un tel syndicat. Ceci va avoir deux conséquences. Premièrement, cela contribue à cet argument récurrent des liens entre l’organisation du crime de la région de Chicago et la compagnie. Deuxièmement, le renchérissement des coûts de main-d’œuvre incite à une efficacité plus grande. Acme passe à un seul chauffeur-ripeur ; les premiers conteneurs sont introduits.

13En 1967, ils ont l’opportunité d’avoir leur propre décharge dans une ancienne carrière dans le Wisconsin ; ils signent un contrat de dix ans. Cette opération vient renforcer une autre extension à Chicago, où dès 1955, un des fils Huizenga avait acquis une carrière en un lieu qui deviendra célèbre dans l’industrie du déchets : Calumet Drive. Plus tard, Buntrock négocie l’achat d’une parcelle adjacente de grande taille ; l’ensemble reçoit les autorisations municipales nécessaires pour devenir une décharge ; elle va jouer un rôle clef dans l’histoire de WM, sous le nom de CID. Pour monter cette opération, Buntrock s’associe à d’autres entrepreneurs, dont un certain Larry Beck que l’on retrouvera plus tard. À cette époque les réglementations sont encore peu contraignantes mais ils se rendent compte que la capacité de mise en décharge représente la clef du développement. Acme exploite soigneusement sa décharge en respectant le voisinage. Ces expériences fondent une doctrine simple : « tout nouveau site sert à stocker des déchets et à construire une réputation » (Jacobson, p. 85). En 1969, la ville de Milwaukee abandonne un projet d’incinérateur ; Acme soumissionne, reprend l’équipement et transforme les installations en station de transfert. La société se développe plus vite qu’Ace à Chicago ; elle compte alors 30 camions.

14Au milieu des années 1960, va se présenter une opportunité en Floride, bien loin de la région des grands lacs. À nouveau, il faut se référer à l’histoire des Huizenga. Harm Huizenga, le fondateur, avait eu un fils d’un second mariage, Harry, qui s’était installé en Floride. Il a eu lui-même deux enfants dont un fils, Wayne. À son retour de l’armée vers 1957, Wayne rentre à son tour dans le business des déchets en travaillant pour un ami de la famille qui a une affaire à Fort Lauderdale. Deux ans plus tard, il se met à son compte, rachète un vieux camion ouvert et une affaire de ramassage ; il développe son affaire, acquiert quelques camions ; on est en 1961. En 1962, Wayne rachète les routes de l’ami de la famille. La Floride est en pleine croissance et il se développe soit en reprenant d’autres compagnies, soit en soumissionnant pour des contrats municipaux. Rapidement ses camions circulent dans tout l’État : Fort Lauderdale, Tampa, Miami, Key West.

15L’expérience de Wayne, son neveu, permet à Buntrock de comparer les marchés entre différentes régions. Il travaille avec Ace dans une zone à croissance régulière et ajoute un camion par an. En Floride, la croissance est très forte, la concurrence tout autant, et Wayne ajoute trois à quatre camions par an. Sur le papier, leurs intérêts sont complémentaires et forment surtout la base d’une entreprise d’envergure nationale. L’occasion se présente en 1965 lorsque Wayne divorce. Sa belle famille veut se retirer de ses affaires ; Buntrock reprend leurs parts et acquiert 16 % de Wayne et de son père. On mentionnera que ce montage est mis sur pied par Peter Huizenga, alors jeune avocat, qui est le fils de Pete, le fondateur de Arrow Disposal en 1943 et décédé un an avant l’entrée de Buntrock dans le clan Huizenga.

16Parallèlement, Buntrock participe activement à la constitution d’une association nationale, la National Solid Waste Management Association. Elle est créée en 1962 ; il en prend la présidence. Sa première grande activité va être de participer aux auditions dans le cadre du National Solid Waste Disposal Act de 1965. Par ailleurs, elle diffuse des informations à ses membres sur les futures réglementations publiques et elle communique avec le grand public sur des questions sensibles, comme la question de la localisation des décharges.

17Le groupe va poursuivre son développement dans ces deux directions : le contrôle des décharges (maillon stratégique) et la consolidation. Mais pour cela il fallait des capitaux. Toutes ces entreprises familiales, qui pouvaient être acquises, étaient souvent endettées et avaient une gestion approximative. Il fallait donc passer à une nouvelle organisation. En 1968, Browning Ferris Industries (BFI) donne l’exemple en réussissant son introduction en bourse avec pour projet de former un groupe d’envergure nationale.

18Waste Management Inc. est fondée cette même année 1968 à partir des pièces de l’héritage Huizenga et d’autres apports : Ace, Acme, Southern, CID et Atlas. Les fondateurs, à parts égales, sont Dean Buntrock, Wayne Huizenga et Larry Beck (Atlas). Le groupe déplace son siège de Cicero à Oak Brook (Illinois) ; il le conservera jusque 1998. La nouvelle société a pour objet de coordonner toutes ces sociétés indépendantes, de se développer jusqu’à 10 millions de dollars, considérés alors comme le seuil d’une introduction en bourse. Un autre défi est d’introduire de la rigueur comptable. Dans cette industrie, les comptes étaient parfois tenus de manière sommaire par enregistrement des flux d’entrée-sortie sans vision de long terme, ni amortissement et gestion de la dette. Or ces questions deviennent capitales. Pour être crédible et réussir une introduction en bourse, il faut se conformer à des standards et faire appel à un grand cabinet de la place. Il faut aussi développer des méthodes d’évaluation fiables des firmes à acquérir, en déterminer la valeur. C’est à cette époque que deux hommes d’Arthur Andersen rejoignent Waste Management ; les liens avec le cabinet vont se maintenir pendant 30 ans.

19L’ossature est donc mise en place en ce début des années 1970 mais Waste Management reste bien encore une firme familiale. Son management comprend six personnes en tout : Buntrock, un directeur des exploitations, un chef comptable, un responsable financier, un secrétaire général et la secrétaire en chef. On est bien loin de la grande firme à structure multidivisionnelle décrite par A. Chandler, apparue entre la fin du XIXe siècle et les années 1920. L’industrie des déchets reste bien une proto-industrie, un marché nouveau, un territoire en friche à organiser et à développer. Comme le souligne Jacobson, dans son livre, aucun n’avait l’expérience du management d’une grande organisation, aucun n’avait fait d’études supérieures en gestion (p. 108). Pourtant, c’est cette poignée d’hommes (et une femme) qui en moins de 20 ans, vont édifier le premier groupe mondial de déchets.

En bourse : roll-up game et diversification technique

20Au printemps 1971, Waste Management obtient son premier crédit important de 6 millions de dollars ; les actifs des entreprises constitutives ne dépassent pas alors 3 millions. Sur cette base, en juin 1971, Waste Management est introduit en bourse à une valeur de 16 dollars par titre. L’opération permet de lever 4 millions de dollars environ. Cette opération apporte du cash et une crédibilité. L’expansion du groupe change d’échelle.

The roll-up game

21Dès la première année WM intègre une vingtaine de sociétés et des filiales qui interviennent sur les marchés de l’Illinois, de l’Indiana, du Ohio, du Wisconsin, du Minnesota et de la Floride. À la fin de 1971, le chiffre d’affaires est de 17 millions de dollars, 14 000 clients industriels et commerciaux, 40 000 clients particuliers dans six États.

22En 1972, la croissance s’accélère ; dans les premiers mois de l’année, 133 entreprises de petite taille sont intégrées. La progression est significative : 82 millions de chiffre d’affaires, 60 000 clients industriels et commerçiaux, 600 000 particuliers dans 19 États (op. cité. p. 114). Jacobson a ce commentaire « c’était beaucoup par rapport aux standards en vigueur mais dans un marché comme celui des États-Unis cela donnait simplement la mesure de ce qui restait à accomplir pour devenir un groupe national » (p. 122). Il confie aussi qu’au moment de l’introduction en bourse Buntrock « avait en tête de former une entreprise de 100 millions de dollars d’activités tandis que BFI parlait d’un milliard » (p. 112).

23Dans un marché très fragmenté, le véritable problème était de savoir sélectionner en fonction de la qualité des actifs, du potentiel de croissance, de la qualité des hommes car très souvent les équipes de direction restent en place, l’entreprise conserve son nom et la couleur de ses camions. Duntrock et Huizenga s’appuient au début sur des personnes qu’ils connaissent, en qui ils ont confiance. Leurs premières acquisitions se font en Illinois et autour : territoires familiers de l’héritage Huizenga. Mais la taille du marché pose d’autres défis. Comment être informé aussi bien d’une affaire dans le Kansas, d’une autre en Louisiane et d’une troisième en Californie ? Le groupe va devoir mettre au point de nouvelles méthodes.

24Toutes ces acquisitions se font alors par échanges de titres. Ils achètent des entreprises en déterminant la valeur de l’action entre 10 et 20 fois les profits tandis qu’à l’époque le cours de WM, comme celui de BFI, tournait autour d’un PER à 50-60 [6]. L’entreprise absorbée était payée en titres WM. D’où l’importance de se trouver dans un marché en croissance avec une firme bien valorisée par les marchés. C’est ce que l’on appelle le roll-up game, ou le jeu de la consolidation [7]. Plus tard d’autres firmes comme US Filters vont s’y engager. C’est une technique qui permet de concentrer rapidement une industrie fragmentée et elle peut apporter à ses promoteurs des plus values élevées.

25Cette très rapide croissance pose premièrement, un problème de management : comment intégrer toutes ces PME locales dans les procédures d’une organisation plus grande et appliquant d’autres normes ? Deuxièmement, toute cette mécanique d’acquisition se fait à partir de titres et repose sur un différentiel de PER favorable à l’acquéreur, mais que se passe-t-il en cas de récession ? C’est ce qui arrive en 1974 avec la première crise pétrolière. Les marchés boursiers plongent et le secteur des déchets ne fait pas exception. Au début de 1973, l’action WM valait 32 dollars, à la fin de 1974, au point le plus bas, le titre cotait 4 dollars 3/8. On imagine sans peine les conséquences pour ces petits entrepreneurs qui avaient apporté leur entreprise, œuvre de toute une vie, parfois de plusieurs générations et qui se retrouvaient du jour au lendemain avec une division par six ou sept de ce patrimoine !

26Ce krach va avoir deux conséquences. Premièrement, la SEC (Security Exchange Commission) diligente une enquête sur une centaine d’acquisitions faites par le groupe. Elle ne mettra en lumière que des entorses mineures : quelques contributions à des campagnes politiques payées en cash dans l’État de Floride. Deuxièmement, cela oblige le groupe a être plus vigilant dans ses critères de sélection. Sont mises au point des méthodes comptables et de contrôle budgétaire avec le suivi des mouvements « cash », les amortissements et les budgets annuels. Le groupe va mettre en place des procédures de reporting : des rapports mensuels et trimestriels très détaillés qui permettent de suivre les recettes au niveau de chaque exploitation. Il fait très tôt l’acquisition d’un système informatique. Est mis au point un « route audit » qui permet de descendre au niveau du camion. Le groupe recrute aussi un juriste pour suivre les opérations en interne. Cette fonction ne va pas cesser de prendre de l’importance, avec la constitution d’un département, reflétant le développement d’un système de régulation étendu. Cette juridicisation de l’activité, se poursuivra dans les années 1980.

27En 1974, le chiffre d’affaires est de 158 millions de dollars dont 80 % dans la collecte, le reste dans le traitement ; toutes les activités dans les déchets dangereux n’existent pas. Le groupe va se développer sur cet axe de croissance externe pendant toutes les années 1980. L’évolution du chiffre d’affaires porte témoignage des principales acquisitions (voir tableau). Dans cette histoire où les acquisitions sont nombreuses, nous retiendrons quatre faits significatifs :

  • la filiale qui regroupe toutes les activités de ramassage et de mise en décharge sanitaire en Amérique du Nord est créée en 1981, Waste Management of North America ;
  • la barre du milliard de dollars d’activité est franchie en 1983 et celle des 10 milliards en 1995 ;
  • Wayne Huizenga quitte le groupe vers 1984 pour développer ses propres affaires en Floride autour du groupe Republic Industries Inc. ;
  • À la même époque l’acquisition majeure de Service Corporation of America, le troisième groupe du pays donne le leadership à WM. Il passe devant BFI, le rival de toujours, et devient le numéro un.

Les principaux textes organisateurs de l’industrie des déchets, 1965-1980

1965Solid Waste Disposal Act.
L’administration subventionne des projets pilotes de collecte, de stockage et de traitement des déchets. En 1969, selon Melosi, $ 9 millions avaient été attribués.
1970Resource Recovery Act, plus cible sur le recyclage, il prolonge le texte de 1965.
1970Création de l’Environment Protection Agency, EPA.
1973Clean Water Act qui traite de la question des rejets polluants.
1976RCRA, Resource Conservation & Recovery Act
Toxic Substance Control Act.
Le premier est un texte général qui porte sur les déchets urbains et dangereux, le second, traite des déchets chimiques. Le Congrès va confirmer le RCRA en novembre 1984.
1980CERCLA, the Comprehensive Environmental Response, Compensation & Liability Act, connu sous le nom de Superfund. Il donne à EPA la responsabilité et les financements pour réhabiliter les sites toxiques abandonnés.

Les principaux textes organisateurs de l’industrie des déchets, 1965-1980

La diversification technique

28L’expansion s’explique aussi car le secteur des déchets rentre alors dans une nouvelle étape [8] et WM a su anticiper sur ces transformations. En 1965, l’administration américaine promulgue un premier texte (voir encadré) qui témoigne d’un changement d’état d’esprit de la société américaine à l’encontre des déchets et amorce une transformation en profondeur du secteur. Melosi a résumé cela sous la formule — the Solid Waste as a Third Pollution — pour signifier que les experts se saisissent de la question des déchets, comme l’avaient fait les réformateurs urbains un siècle plus tôt pour l’eau potable et le traitement des eaux usées. Avec retard, les déchets rentrent dans la modernité. Les véritables changements viendront dans la seconde moitié des années 1970. La force de Buntrock est d’avoir saisi très rapidement, tout en mettant en place une organisation, que le monde des déchets tournait définitivement une page. Le secteur devenait plus technique, plus réglementé. On passait des ramasseurs de poubelles à une véritable industrie, ce qui supposait de se positionner sur ces segments techniques.

29Le RCRA (voir encadré) va être la base juridique de transformation du secteur. Le « Subtitle B » de cette loi, donne mandat à l’Environment Protection Agency (EPA) de définir des critères de mise en décharge. Ce travail, d’abord méthodologique, puis d’ingénierie sur les sites, va avoir des conséquences capitales. Un très grand nombre de décharges, qui ne peuvent satisfaire aux nouvelles normes, doivent être fermées. La décharge devient le maillon stratégique de toute l’industrie. Le « Subtitle C » de cette même loi engage un programme sur les déchets dangereux (hazardous). Le texte liste des types de déchets, établit 4 critères de toxicité. En 1979, l’Agence estimait qu’entre 10 et 15 % de la production totale de déchets était « dangereuse ». Le Congrès va confirmer le RCRA en novembre 1984 et ouvrir un nouveau « front » en direction des eaux usées. L’EPA, subventionne très largement la construction d’usines de traitement.

30WM va être portée par ce développement du marché issu des réglementations fédérales. Au début des années 1970, ses compétences techniques demeurent embryonnaires. Le groupe peut juste s’appuyer sur son expérience dans la grande décharge de Calumet. En 1973, il s’associe à un ingénieur géologue qui avait créé une société de conseil ayant participé à la conception d’environ 120 décharges dans tout le pays. Des ingénieurs sont recrutés ; ils viennent s’insérer dans un monde de garbage men. Un laboratoire est créé à Calumet en 1975. Ce sera la base pour former Chemical Waste Management. Les normes se renforcent, mais la loi prévoit une période transitoire ; ce sera la chance du groupe.

31Pour exploiter une décharge de déchets toxiques, il faut un permis B soumis à une procédure d’enquête qui peut durer entre 5 et 10 ans. Entre temps, ces sites peuvent fonctionner avec un statut provisoire : un permis A. Les textes prévoient qu’en novembre 1980 tous les sites en exploitation doivent se conformer au permis B. Ce qui revient à dire que tous les sites qui obtenaient un permis A avaient devant eux un horizon de cinq à dix ans. Le groupe se positionne sur ce marché pour implanter un réseau de décharges chimiques. Toute la profession fait la même chose ; les décisions doivent se prendre vite ; les études techniques ne sont pas toujours approfondies ce qui explique quelques problèmes futurs. En 1976, cette activité ne dépassait pas 1,5 millions de dollars. Un an plus tard elle est de 10 millions. Au début des années 1980, grâce aux décharges à permis intérimaires elle atteint 100 millions de dollars.

32Avec l’entrée en application des permis B, à partir de novembre 1980, les exigences et les mesures vont augmenter ; le groupe développe un réseau de laboratoires régionaux. Le programme du Superfund ouvre, à partir de 1980, le marché de la réhabilitation des sites toxiques abandonnés. Le groupe crée Environmental Remedial Action Division. En 1983, il fait l’acquisition de Chem-Nuclear Systems, pour intervenir sur les pollutions nucléaires, à faible radioactivité. En 1986, Chemical Waste Management est introduite en bourse. Un an plus tard, le groupe rentre au capital de Wheelabrator qui est un constructeur d’unité d’incinération de déchets et qui contrôle un ingénieriste du secteur : Rust International. En dix ans, environ, le groupe a développé une offre qui couvre toutes les formes de déchets toxiques. Combiné à son métier traditionnel, dans la collecte, le stockage et la mise en décharge sanitaire, il est en mesure de proposer une offre globale aux collectivités et aux industriels. En outre, avec l’acquisition de Wheelabrator, le groupe sort de son métier traditionnel pour aborder le traitement des eaux usées, voire celui de l’eau potable, la cogénération et la production d’énergie. Waste Management, à la fin des années 1990, se positionne comme un grand groupe d’infrastructures qui commence à sortir de son approche sectorielle.

1992, le point haut

33Dans l’histoire du groupe, l’année 1992 est une borne importante. À cette époque WM est le numéro un mondial indisputé, apprécié des analystes, envié par ses concurrents et leader dans de nombreux segments. Le chiffre d’affaires est de 8,7 milliards de dollars (soit 42 milliards de francs), il génère un bénéfice de 3,4 milliards de francs ; le groupe emploie 64 000 salariés ; rappelons qu’à l’époque les filiales respectives de la CGE et de La Lyonnaise font autour de 5/6 milliards d’activité. Il est organisé en 900 divisions opérationnelles présentes dans 48 États et 24 pays étrangers. La direction envisage de poursuivre dans cette ligne de croissance et pour symboliser les temps nouveaux qui se profilent et la prise en compte de la dimension technique de ces marchés de « poubelles, dumps and trash », elle crée une nouvelle structure, WMX Technologies qui coiffe toutes les filiales.

34Waste Management domine le secteur mondial des déchets d’une bonne tête, mais les critiques commencent à poindre. Les prévisions ne se réaliseront pas. Ce qui était conçu comme une étape significative va ressortir rétrospectivement comme un point haut.

35WMX fonctionne alors comme une holding qui contrôle plusieurs filiales commandant elles mêmes différentes activités [9] :

  • Waste Management North America (WMNA) est en charge des déchets solides (ménagers) et du traitement en Amérique du Nord. Cette filiale correspond à l’activité historique du groupe. Elle génère alors 80 % de l’activité du groupe, elle emploie 30 000 salariés, sert 12 millions de clients particuliers et 1 million d’industriels, elle exploite 130 décharges ;
  • Chemical Waste Management (CWM) représente une diversification dans les déchets dangereux. Elle compte alors 25 000 clients, 11 400 salariés, elle gère 7 décharges spécialisées pour les déchets toxiques, 17 incinérateurs ou équipements de traitement. Sa filiale, Chem-Nuclear Systems possède un équipement de traitement des déchets nucléaires, à faible radioactivité, à l’est du Mississipi. Elle a mis au point plusieurs technologies de traitement ;
  • Wheelabrator Technologies Inc (WTI) a été acheté plus récemment pour accéder au marché de la cogénération, waste-to-energy. Cette filiale, à 58 %, gère 14 unités qui ont une capacité de 585 MWH d’électricité ; ce mini groupe a aussi la maîtrise de technologies de traitement de l’air et de traitement des eaux usées ;
  • Rust International a été renforcée en 1992 par des apports de trois sociétés du groupe, WMNA, Chem Waste et Wheelabrator, pour offrir des services de dépollution aux industriels. C’est une société d’ingénierie qui peut faire de l’exploitation sur site ;
  • Waste Management International (WMI) est aussi une création de 1992 qui témoigne des nouvelles ambitions. Examinons cette stratégie internationale plus en détail car c’est ce qui fait connaître le groupe en Europe.
En avril 1992, Waste Management autonomise son département international (existant depuis 1976 et l’opération de Riad) pour former WMI et introduit 20 % de son capital à la bourse de Londres. Le département international se trouve alors sur une trajectoire exponentielle. Son chiffre d’affaires en Europe est passé en moins de 2 ans (de 1990 à fin 1991) de $ 50 millions à plus de $ 700 millions [10]. Cette opération avait été précédée quelque temps plus tôt par un partenariat avec le groupe de l’eau Wessex Water qui se concrétise sous une double forme. Le groupe américain prend une participation de 14,99 % au capital du distributeur d’eau. Les deux créent une joint venture qui acquiert aussitôt la filiale déchets du groupe de construction Georges Wimpey, alors la 6ème compagnie du secteur [11]. Cette année sera faste pour WMI. Elle réalise 25 acquisitions (Waste Management fait son marché en Europe) ; le chiffre d’affaires passe de £ 607 à £ 817 millions de 1991 à 1992 et il poursuivra l’année suivante à £ 941 millions. La décharge géante à Hong Kong entre en service ; des projets sont en cours à Taïwan et en Indonésie [12]. Par l’intermédiaire de sa filiale Suédoise, le groupe s’implante en Espagne et vient chasser sur les terres de FCC (un grand de la construction, propriété des sœurs Koplowitz).

36Aux États-Unis commence le temps des critiques ; elles ne cesseront plus jusqu’à la fusion avec USA Waste. Elles ont alors trois origines. Premièrement, le groupe ou ses filiales se trouvent, à plusieurs reprises, condamnés par l’administration pour le non-respect des normes de traitement (mise en décharge, ou incinération). Est-ce le produit de pratiques réellement frauduleuses, ou d’un renforcement des normes qui pose des problèmes d’adaptation pour des équipements mis en place à une autre période ? C’est une question objectivement difficile à documenter [13]. Deuxièmement, il fait l’objet d’une mise en accusation par un juge de Californie. Troisièmement, Greenpeace relaie et amplifie toutes ces accusations par une campagne menée aux États-Unis et en Europe. Voyons cela plus en détail.

37CWM est condamnée pour le non respect des normes du Superfund. La firme accepte à l’amiable une amende de $ 11,6m qui fait suite à des condamnations analogues pour les années passées : $ 8,1m en 1991, $ 5,4m en 1990 [14]. Les sommes ne sont peut-être pas conséquentes en regard des résultats globaux du groupe, mais elles vont accréditer une équation entre la firme de déchets et la pollution, équation terriblement destructrice pour son image. Les problèmes, rencontrés par la filiale de traitement des déchets dangereux, ne sont que les premiers d’une longue série. Au quatrième trimestre de 1993, CWM doit annoncer une baisse du dividende, des réductions d’un cinquième des effectifs et passer en écriture des provisions pour des sur-valeurs concernant des incinérateurs [15]. Cette baisse de performance résulte des charges liées à l’acquisition de Rust International, mais surtout à des sur-capacités de ses incinérateurs géants qui sont la conséquence pour partie d’un changement de comportement des industriels. Dans l’État de Californie qui a adopté des textes incitatifs au recyclage, les volumes de déchets ont baissé de 30 % entre 1987 et 1990 et ils continuent sur ce trend [16]. Dans le pays, de très grands producteurs de déchets dangereux (hazardous) annoncent des baisses de volumes de l’ordre de 50 %.

38Le District Attorney de San Diego (Cal.) conduit une investigation sur les pratiques du groupe et produit un rapport qui qualifie de « crimes » une série de pratiques allant de politiques tarifaires, à la mise en décharge de déchets toxiques. La presse mentionne qu’une partie des critiques concerne des accusations passées concernant des liens de certaines filiales avec le crime organisé [17]. Au Mexique voisin, le groupe se trouve accusé par la presse économique d’utiliser des technologies interdites aux États-Unis.

39Au moment de l’introduction en bourse à Londres, l’association Greenpeace mène une campagne et « avertit les investisseurs des pratiques dangereuses du groupe » [18]. La presse s’empare des informations. On apprend que le groupe a payé une amende de $ 1,9m pour des opérations concernant un incinérateur en Illinois. Business Week mentionne que pour un incinérateur de Chicago, CWM a admis avoir coupé les équipements de contrôle de la pollution conduisant à introduire des plastiques (PCB) en excès dans l’incinérateur [19]. Les actions du groupe chutent de 20 % depuis leur sommet de février 1992 ($ 46,6 à comparer aux $ 3,41 de 1984).

40Cette année 1992 est aussi celle de l’entrée en France. Au printemps, WM rachète la Spatt, une petite société familiale de traitement (famille Laborde) [20]. Il approche également, et c’est plus sérieux, le groupe Nicollin, troisième entreprise de ramassage [21]. À l’automne, il annonce un accord avec la SAE-Fougerolle qui vise à créer une société de collecte et d’élimination des déchets ; soumis à l’approbation de la Commission européenne il ne sera pas remis en cause [22]. Quand on sait que la Compagnie Générale des Eaux, actionnaire minoritaire de Fougerolle, se trouve, malgré elle, indirectement impliquée dans cette opération, on mesure les réactions dans l’establishment français [23]. Enfin, en novembre, le groupe acquiert une participation majoritaire dans Environnement Services SA, une entreprise de ramassage qui appartient à la famille Derichebourg (chiffre d’affaires de 500 millions de francs) [24]. Cette arrivée va provoquer un choc et une réaction. Ici l’idée de « modèle », se définissant comme un ensemble structuré autour de certaines institutions — des firmes et des institutions publiques —, stable dans le temps et doté de capacité de reproduction, trouve tout son sens. L’arrivée du géant fait figure de menace ; il est beaucoup plus grand, affiche alors des bénéfices somptueux et sa politique de diversification le conduit à rentrer d’abord sur le marché des eaux usées et pourquoi pas au-delà ? D’ailleurs, le directeur du groupe pour la France annonce en 1994, au plus fort de la « bataille des poubelles » [25] son intention d’entrer dans le marché de l’eau potable.

41Alors le « modèle » réagit ; il mobilise ses défenses comme un être biologique. Les deux grands groupes ont un œil plus attentif sur les PME qui seraient tentées de se vendre au nouvel entrant. Les critiques contre un groupe que personne ne connaissait alors sont diffusées là où il faut et la presse reprend ; les maires entendent parler du groupe de Chicago. À l’occasion de la présentation du rapport parlementaire du député UDF, François d’Aubert, « sur les tentatives de pénétration de la Mafia en France », la presse associe déchets/Waste Management/Mafia. Le quotidien économique Les Échos[26] titre ainsi « Waste Management épinglé dans le rapport sur la Mafia » et cite abondamment des passages du rapport où sont repris les arguments déjà développés par Greenpeace et l’Attorney de Californie. Il faut rentrer plus dans l’article pour apprendre que l’accusation n’est pas nouvelle, que les investigations menées aux États-Unis par le FBI et la justice n’ont rien démontré de probant, si ce n’est de confirmer, ce que l’on comprend aisément, que dans sa politique d’acquisition extensive, le groupe dans certains États a pu acheter des PME au passé discutable. Mais ce passé ne vaut pas preuve pour le présent. On apprend aussi que trois ans plus tôt, lorsque le groupe a voulu acheter Tredi (filiale de l’entreprise nationalisée EMC), les autorités françaises, avant d’opposer un veto, avaient diligenté les services secrets français qui n’avaient rien démontré sur cette piste « mafieuse ». Ces textes sont intéressants car ils témoignent aussi d’une certaine ambiance politique française au plus fort des affaires.

42En janvier 1993, le groupe renonce à un projet d’exploitation d’un centre de traitement des déchets industriels à Forbach « en raison de l’hostilité des communes concernées ». Mais il ne renonce pas globalement. À l’automne de cette même année il parvient à un accord important avec la Compagnie Française des Ferailles, accord qui lui donne l’accès à des sites de traitement, maillon indispensable pour tout développement [27]. Il poursuit par des achats de très petites entreprises ; tout ceci finit par produire des effets et en 1994 on considérait que cette activité se montait à 600 millions soit au même niveau que la Coved (filiale de la Saur).

1995/1997, les difficultés

43L’année 1995 ne va pas apporter de modifications substantielles dans cette situation ; les dirigeants doivent reconnaître que le marché a effectivement changé. Les volumes de déchets diminuent et des équipements de traitement calibrés sur des perspectives de croissance se retrouvent avec des surcapacités qui pèsent sur les comptes. Les normes édictées par l’administration fédérale deviennent plus précises et se diffusent dans tous les États, y compris ceux qui avaient des réglementations laxistes, où le groupe avait acquis des décharges. Ces mises en conformité imposent des investissements importants. Selon un expert, cité dans un article du Financial Times du 12 mars 1998, les nouvelles réglementations ont augmenté le coût d’exploitation des décharges de 5 à 10 $ par tonne. Le temps d’une croissance à deux chiffres et d’un PER à 50/60, qui permettaient de racheter des PME, en les payant en titres, est révolu. Le groupe a du mal à passer à cette nouvelle configuration de marché. Son équipe dirigeante venait de l’autre période. Les temps deviennent plus sombres.

44Le marché réagit et sanctionne ; le cours chute autour de $ 27/action au début de 1995. WMX rachète les actions de ses filiales dans les déchets dangereux : Chemical Waste et Rust [28]. Wheelabrator annonce prudemment que la croissance de son profit ne dépassera pas 10 %. WMI réduit son programme d’investissement 1995 de 45 %; sa situation se dégrade ; elle annonce des pertes (warning) contre des profits en hausse depuis sa cotation à Londres en 1992 ; sa filiale suédoise a des problèmes avec le fisc [29].

45L’année suivante cette tendance se poursuit. La direction réagit en cédant des activités qui ne sont pas centrales. Par exemple, les activités de traitement des eaux usées de Wheelabrator sont vendues à US Filters pour $ 385m. Le département « pâte à papier et pulpes » est cédé à une filiale de Raytheon (Engineers & Construction Group) [30].

46Mais les choses n’en restent pas à une restructuration en douceur. En 1995, WMX va être la cible d’un petit fonds d’investissement, LENS, spécialisé sur les firmes les plus mal gérées, et appellé familièrement un « CEO killer » (un tueur de PDG) [31]. Ce fonds rentre dans des grandes firmes qu’il considère sous-performantes parce que mal pilotées et dont le titre a fortement chuté ; il fait pression pour obtenir des réformes drastiques et lorsque le titre remonte, il se retire avec la plus value au passage. Son tableau de chasse est alors impressionnant. Sur ses 10 premières cibles, dont American express, Kodak, Westinghouse, neuf ont remplacé le Chief Executive Officer. L’année suivante LENS reçoit le soutien du fonds de Georges Soros qui rentre à son tour dans le capital de WMX avec un investissement de $ 750m et les deux fonds demandent un changement de direction, une structure de management resserrée autour de quatre directeurs et un recentrage autour du métier de base.

47Au début de 1997, les choses se dégradent un peu plus. WMX annonce une perte de $ 160m pour le 4ème trimestre 1996. Le successeur du président fondateur, D. Buntrock, qui était en poste depuis peu, cède la place. La nouvelle équipe engage un programme de restructuration important :

  • Elle décide de reprendre le nom d’origine, Waste Management, celui de sa création en 1968 et de l’introduction en bourse qui symbolise les années de succès ; exit la vision technologique symbolisée par WMX.
  • L’entreprise procède au rachat de ses propres actions pour $ 1,7bn, à celles de Wheelabrator et à une cession d’actifs pour $ 1,5bn en 2 ans.
  • Le programme d’investissement est revu à la baisse de $ 900m pour l’exercice 1997 et les effectifs doivent diminuer de 1 200.
  • Elle entame un retrait international avec la cession de la participation du groupe dans Wessex Water (elle sera prise par Enron en phase de diversification, voir Flux n° 46), les ventes des actifs dans plusieurs pays dont la France, l’Autriche et l’Espagne, suivies par la cession des activités au Canada à USA Waste Services.
Le nouveau Chief Executive, qui vient de US Sprint, lance un audit plus approfondi sur les comptes qui conduit à l’annonce d’une provision de $ 173m, « modeste » compte tenu de ce qui va arriver, passée en écriture pour le 3ème trimestre 1997. Elle se décompose en survaleurs, en réserves d’assurance et en coûts de mise aux normes de certaines décharges. Mais alors, sans aucune explication, ce CEO démissionne à l’automne 1997, ouvrant la porte à toutes les spéculations : qu’aurait-il découvert ? Le titre chute. Arrive un nouveau CEO, un homme des temps de crise, ancien de Chrysler et de Canary Wharf qui toutes deux ont connu des tourmentes. Quelques mois plus tard, en février 1998, l’annonce de provisions de $ 3,5 milliards à rapporter à un chiffre d’affaires de 12 milliards fait l’effet d’une bombe.

48Le réexamen des comptes sur cinq ans, jusqu’à 1992, a conduit à revoir différentes pratiques comptables discutables qui avaient masqué le ralentissement des résultats et permis d’afficher des résultats positifs. Comme dans le cas d’Enron en 2001, on retrouve Arthur Andersen comme audit ; le cabinet est lié à WM depuis l’origine. Mais cette fois la mise en cause publique de l’auditeur n’aura pas lieu, quoique les gens de LENS pointent sa responsabilité : « Andersen doit de l’argent aux actionnaires » [32]. Le changement se fait en interne et « Arthur » nomme pour cette opération vérité une nouvelle équipe. Les articles que nous avons mentionnés détaillent largement ces pratiques mais ces malversations sont assez simples. L’auditeur a certifié des comptes dans lesquels des actifs sont surévalués, eu égard aux pratiques d’amortissement en vigueur dans la profession, tandis que des charges à venir sont sous-évaluées. Par exemple, les camions et les containers qui sont amortis respectivement sur huit et dix ans, l’étaient dans les comptes sur treize ans, conduisant à une survaleur au bilan de $ 716m. Des décharges dont les permis n’étaient pas renouvelés (ce qui relevait de la certitude), n’en restaient pas moins inscrites dans les comptes pour un peu plus longtemps. Des charges « d’after care » pour des décharges étaient minorées [33].

49Au fond, les choses peuvent se résumer ainsi. À partir de 1994/1995 le marché devient plus difficile et deux problèmes se conjuguent. Premièrement, la rentabilité chute sur le marché principal de l’enlèvement, qui représente les deux tiers de toute l’activité, car il y a compétition au moment du renouvellement des licences et les prix baissent. Les concurrents sont plus spécialisés par région et recherchent la « densité » territoriale, c’est-à-dire une intégration maximale des différents maillons ; l’idéal à chiffre d’affaires égal étant d’avoir les trajets minimum sur la route d’enlèvement des déchets et ensuite pour les mettre en décharge. Les groupes anciens, comme Waste Management ou BFI, qui ont construit leur réseau territorial dans un autre contexte, étaient à l’époque moins sensibles à cette notion de « densité » industrielle et dans les années 1990, ils paient pour une structure de réseau moins efficace. Deuxièmement, les politiques de diversification et d’internationalisation menées pour compenser le tassement du marché principal n’apportent pas les résultats escomptés. Au contraire, assez rapidement chaque exercice apporte son lot de prévisions à revoir à la baisse et la maison mère doit monter en première ligne (racheter les titres) pour masquer les difficultés et soutenir les cours. C’est dans ce contexte qu’intervient l’action sur les comptes. La direction cherche à gagner du temps. Elle ne peut pas se résoudre à perdre le statut de valeur de croissance qu’elle avait depuis 1971.

La fusion

50Pendant que WM se débattait dans les problèmes et cherchait désespérément à maintenir son image, une « fusée », venue de nulle part, poursuivait sa trajectoire et les deux allaient bientôt se croiser.

51Dans cette industrie américaine des déchets, les hommes comptent pour beaucoup : avant de parler des entreprises il convient donc d’évoquer ceux qui les mènent. Vers 1990, John Drury, alors numéro deux de BFI, quitte ce groupe en raison d’un désaccord sur la politique à mener avec le président Ruckelshaus, venu quelques années plus tôt de la direction de l’EPA, le régulateur du secteur. Ce dernier croit à l’avenir du recyclage, lui non. Après quatre années passées dans une banque régionale de développement, il revient dans le secteur et prend la présidence et la direction de USA Waste, une petite firme du Texas qui à l’époque faisait un chiffre d’affaires d’environ 70 millions de dollars, à comparer aux 10 milliards annoncés pour WM (8,5 milliards après re-calcul). John Drury, comme Dean Buntrock ou Wayne Huizenga (le co-fondateur de WM qui part en 1984 et développe ses propres activités à partir de la Floride, par Republic Services Inc.), fait partie des grandes figures de cette industrie aux États-Unis. John Drury est le fils d’un petit entrepreneur du Minnesota qui acquiert un camion en 1948 et ramasse les déchets. John Drury a toujours vécu dans cette activité : « à 14 ans il commença à conduire un camion… en 1970, les Drury vendirent leur affaire à BFI » [34].

52À partir de l’arrivée de John Drury à la tête de USA Waste, la firme décolle. En quatre ans, il en fait le troisième groupe du pays avec un chiffre d’affaires d’environ $ 3 milliards. La politique qu’il mène est au fond assez semblable à celle de WM pendant les années 1960 et 1970 : consolidation par absorption d’autres firmes payées en titres. La seule différence tient aux exigences de qualité et d’efficacité prises en compte au moment de l’évaluation des cibles potentielles. Comme l’explique un article publié dans World Wastes, Novembre 1998, lors de cette troisième vague de concentration les firmes cherchent à devenir « le fournisseur au prix le plus bas dans un certain marché ». Après une importance très grande donnée aux montages financiers (la deuxième vague) ces firmes reviennent aux « basics » et s’attachent à optimiser l’exploitation. « Aujourd’hui, les consolidateurs se caractérisent par une forte culture de gestion. Nous savons comment gérer les camions, ramasser les ordures et gérer les décharges » (un responsable de Allied Waste, une autre entreprise au parcours semblable). Ces firmes recherchent les économies de fonctionnement et la densité de la couverture spatiale plutôt que la multiplication de contrats dispersés.

53Pour WM, l’annonce d’une provision géante en février 1998 signifiait que les fonds d’investissement avaient gagné et pris le pouvoir dans la firme. Mais pour faire quoi ? La solution de la faillite n’avait pas de sens parce que l’activité d’exploitation dégageait des marges et surtout parce qu’ils perdaient leur investissement. Leur problème était de parvenir à remettre WM sur le sentier de la croissance et des profits. Tandis que l’équipe dirigeante de WM continuait d’envisager une solution interne, avec un groupe inchangé, les actionnaires privilégièrent assez rapidement l’absorption par un autre groupe. Outre que cette solution permettait de régler le problème de management, elle permettait aussi de dégager de la productivité en rapprochant des exploitations sur une base territoriale. À condition de marier des complémentaires, l’opération pouvait créer de la densité industrielle.

54Et c’est ainsi que le petit USA Waste se vit proposer le grand Waste Management. À dire vrai, si on en croit la presse financière (Fortune, Mars 25, 1998), John Drury en observateur avisé avait su se rendre incontournable. Dès l’automne 1997, USA Waste discrètement, avait pris position dans un groupement qui se porta acquéreur de 13 millions d’actions de WM. Au début de 1998, le conseil d’administration de WM et les fonds d’investissements acceptaient la solution de la fusion. Quelle en étaient les principaux éléments ?

Données sur le nouveau Waste Management

12,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 1999
68 000 emplois
41 000 véhicules de collecte et de transport
26 millions de client résidentiels
17 millions de contrats commerciaux et industriels
700 unités de collecte des déchets solides
342 décharges recevant en moyenne 421000 tonnes par jour
31 ans de durée moyenne d’exploitation disponible en cas d’extension des permis
150 unités de recyclage et 325 stations de transfert
5 décharges de produits dangereux titulaires d’un permis B
61,7 % de taux d’internalisation entre collecte et mise en décharge

Données sur le nouveau Waste Management

sources : Waste Age, Novembre 1999, Do You Want to Sell et 10K Report 1999.

55Les firmes échangent leurs titres (swap deal) pour former une capitalisation d’environ $ 20 milliards, où WM compte pour 60 %. Le nouvel ensemble prend le nom de Waste Management mais ce sont les équipes de USA Waste qui prennent le commandement et le siège social sera celui de Houston. Le nouvel ensemble prévoit un chiffre d’affaires de $ 12,5 milliards (9,2 pour Waste Management) mais une dette de plus de 10 milliards. L’équipe de John Drury s’engage à réaliser 800 millions d’économies dès la première année par une rationalisation plus poussée [35].

56Ainsi s’achève l’histoire de Waste Management, le géant de Chicago, dont tous les observateurs reconnaissent qu’il a largement contribué à la construction d’une véritable industrie des déchets en Amérique du Nord et à l’étranger. Une nouvelle histoire commence, en un autre lieu, avec une nouvelle équipe et des camions repeints aux couleurs de USA Waste.

57Les marchés saluent cette solution avec soulagement. Le titre WM qui se situait autour de $ 25 avant l’accord progresse immédiatement. Ensuite le titre monte pour se situer pendant une bonne partie de l’année 1999 autour de $ 50/55. La direction met en place le programme annoncé. Elle cède des actifs dans les déchets mais aussi le nucléaire. Republic Services, le groupe de Wayne Huizenga sera un des repreneurs pour $ 500 millions. Mais dans le même moment, le groupe continue son expansion et acquiert des entreprises pour $ 1,1 milliards [36]. Le groupe se retire de ses activités internationales et annonce au début de l’année des accords en Finlande, Pays-Bas et Nouvelle Zélande [37] ; ils font suite à la vente des activités de déchets industriels à Onyx (Vivendi).

58Tout va donc bien jusqu’à l’été 1999. Mais la fusion s’avère plus difficile à mettre en œuvre que prévu. Le plan d’économies envisagé ne peut être tenu et lorsque la direction fait cette annonce pour le second trimestre 1999 les investisseurs se retirent ; le titre perd 38 % ! Les difficultés se trouvent aggravées par deux séries de déboires. Un dirigeant de l’entreprise est accusé de délit d’initié ; il aurait cédé ses titres WM avant l’annonce des problèmes ; cela ternit l’image de la direction. Ensuite, c’est John Drury qui a un problème de santé, entraînant un flottement de la direction. Pour le troisième trimestre le groupe annonce une provision exceptionnelle de $ 1,5bn [38].

59La consolidation du secteur des déchets aux États-Unis n’est pas encore achevée et le paysage est loin d’être stabilisé.

Conclusion

60Les vagues de concentration qu’a connues le secteur des déchets s’expliquent, premièrement par la nature du marché organisé à partir de franchises de court ou de moyen terme qui entraînent un renouvellement rapide et, deuxièmement par la taille gigantesque du marché. En 1998, sur un total estimé à 40 milliards de dollars, les entreprises cotées en bourse n’en représentent que 38 %, tandis que 30 % est assuré par de très petites entreprises qui peuvent donc être acquises et 32 % par les services municipaux qui, en long terme, ont tendance à sous-traiter. Donc la marge de progression est grande [39].

61Il n’est pas sans intérêt d’observer que l’on retrouve dans les déboires de WM quelques uns des symptômes de la faillite d’Enron, avec des acteurs communs (notamment Arthur Andersen). Mais les sommes en cause sont moindres, la fusion avec USA Waste apporte une solution et donc le problème est résorbé en douceur, si l’on peut dire.

62Outre le problème réel de la certification des comptes on enregistre aussi ici les conséquences de la « tyrannie » des quaterly reports. Ils mettent sous tension toutes les directions sans forcément permettre de suivre les réelles politiques industrielles. Sur ce marché américain des capitaux, la compétition est rude. WM fait du « benchmarking » avec General Electric et FedEx qui eux se trouvent sur des trajectoires de croissance. On met en comparaison des industries et des firmes qui ne suivent pas forcément les mêmes cycles.

63Il est toujours difficile, pour une direction, après une longue courbe ascendante d’annoncer un infléchissement durable, car la sanction peut être immédiate avec une chute du titre brutale et ses conséquences. Dans certains cas, une baisse de la capitalisation peut ouvrir l’option d’une OPA inamicale. Dans le cas de WM qui avait conçu toute sa croissance externe par échanges de titres, le maintien de la valeur du titre à un niveau haut se trouve au cœur de sa politique industrielle. Alors la tentation est grande de masquer les évolutions réelles.

64L’industrie des déchets dans les années 1990 se trouve à un nouveau palier. Cette situation ne pose pas de problèmes pour les nouveaux entrants, mais elle lance un redoutable défi aux opérateurs historiques ; ce n’est sans doute pas un hasard si les deux majors connaissent à un an d’intervalle exactement le même destin. Industriellement, leur situation ressemble à celle des anciennes firmes sidérurgiques, où les anciennes de Pensylvannie, de la Ruhr, de Lorraine et du Nord souffrent avec l’arrivée de nouvelles sidérurgies sur l’eau qui rentrent directement par la dernière couche technologique et qui n’ont pas à supporter les coûts de remise aux normes ou de reconversion.

65Si le marché des déchets a globalement bénéficié d’un renforcement des règles publiques, pendant les années 1970/1980 il se trouve, pour partie, déstabilisé par ces mêmes règles. Les autorisations sont nombreuses, complexes, différentes d’un État à l’autre et susceptibles de changer. Aujourd’hui après ces problèmes récurrents de 1997 à la fin 1999, puis la faillite d’Enron, les directions sont plus prudentes. Nous en voudrons pour preuve la rédaction du rapport annuel, ou la présentation d’une émission de bons sur sept ans. Dans les deux cas, la présentation des objectifs s’accompagne d’une liste très longue des facteurs qui pourraient altérer leurs prévisions : pas moins de dix huit pour leur dernier document [40]. Après le temps des annonces optimistes est venu celui de la prudence.


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Date de mise en ligne : 01/12/2007.

https://doi.org/10.3917/flux.048.0107

Notes

  • [1]
    Ce texte a bénéficié des remarques et de la relecture d’Olivier Coutard, Christophe Defeuilley et Pierre Zembri.
  • [2]
    En France par exemple, on peut penser que cette sensibilité « industrielle » établit une différence entre G. Dejouany à la tête de la Compagnie Générale des Eaux et J-M. Messier qui la reformate en Vivendi.
  • [3]
    Pour toute cette partie, jusque 1992 je m’appuie largement sur le livre de Jacobson. Ce livre diffusé par l’entreprise et sans doute commandé par elle, manque parfois de recul mais il apporte un très grand nombre de faits sur le passé et de détails mal mis en évidence. T. C. Jacobson, Waste Management, An American Corporate Success Story, Gateway Business Books, Washington D.C, 1993. Une autre source précieuse a été : M.V. Melosi, The Sanitary City, The Johns Hopkins University Press, Baltimore & London, 2000.
  • [4]
    Voir Melosi, 2000, op.cité.
  • [5]
    R-J. Daley restera à la tête de la mairie pendant une vingtaine d’années. Il sera connu comme le représentant de la dernière « machine » politique municipale, faiseur de candidats à la présidentielle du parti Démocrate. Pour une lecture non académique de ce gouvernement municipal, voir M. Royko, Boss, Richard J. Daley of Chicago, Signet Book, New American Library, New York, 1971.
  • [6]
    Le PER (Price Earning Ratio) exprime la valeur du titre en bourse rapportée au bénéfice par action ; ou encore la capitalisation rapportée au bénéfice avant impôts.
  • [7]
    Wall Street Journal, November 27, 2000, Rolling into Trouble : consolidating firms.
  • [8]
    Sur la technicisation du secteur des déchets voir M. Melosi, op. cité en particulier dans les chapitres 17 et 20, consacrés respectivement aux années 1945-1970 et aux années 1980-1990.
  • [9]
    Voir Jacobson, op. cité, p. 6 et suivantes
  • [10]
    FT, January 8, 1991.
  • [11]
    Outre les très nombreux articles publiés à cette occasion, voir Wessex Water, Proposed Joint-Company with UK Waste Management Ltd., January 1991, 31 p.
  • [12]
    En Indonésie, annonce d’un partenariat avec Bimantara Citra pour réaliser une unité de traitement de produits chimiques. Bimantara est le conglomérat du 2ème fils du président Suharto, Mr Bambang Trihatmodjo associé à de nombreux projets internationaux ; pour la centrale électrique de Paiton II, il est aux cotés de PowerGen et de Siemens.
  • [13]
    On peut penser qu’il y a un peu des deux explications ; cela dépend des cas. Des comportements « limites » à la base peuvent conduire à classifier en déchets « normaux » des déchets qui devraient relever de la rubrique dangereuse, avec les économies que cela entraîne sur les coûts du traitement. Inversement, le groupe est bien conscient du problème de la mise aux normes de ses anciens sites. À la fin de 1991, par exemple, il passe une provision de $ 260m, pour le coût estimé de mise aux normes d’anciennes décharges (old dump sites).
  • [14]
    Asian Wall Street Journal, October 12, 1992.
  • [15]
    La firme au moment des années de croissance tout azimut, a acquis des actifs à un prix trop élevé ; ensuite les normes plus contraignantes rendent inévitable le nettoyage des comptes.
  • [16]
    FT September 14, 1993.
  • [17]
    Financial World, June 23, 1992, p. 34.
  • [18]
    FT, March 30, 1992.
  • [19]
    Business Week, April 13, 1992 pp. 76-77.
  • [20]
    Le Figaro, 11 mars 1992.
  • [21]
    Nicollin rejoindra la Sita. Puis pour se renforcer, cette filiale de Lyonnaise-Dumez signera un accord avec Rhône-Poulenc dans les déchets industriels.
  • [22]
    JO des Communautés, 15-1-1993, n° c 10/5, Non opposition à une concentration notifiée ; affaire Waste management International Plc./SAE.
  • [23]
    Le Monde et La Tribune 14 septembre 1992 ; JO des Communautés européennes 15 janvier 1993.
  • [24]
    La Tribune 24 novembre 1992.
  • [25]
    Voir l’article de synthèse : F. Bouaziz, « La bataille des poubelles », Le Nouvel Économiste, 17 juillet 1994.
  • [26]
    Les Échos, 8 février 1993.
  • [27]
    Décision Environnement, n° 19, septembre 1999.
  • [28]
    FT, Februry 8, 1995.
  • [29]
    Asian Wall Street Journal, Februry 8 and 9, 1995. FT, April 7, 1995 et October 17, 1995.
  • [30]
    FT, May 22, 1996 et September 17, 1996. US Filters sera rachetée quelques années plus tard par Vivendi, à un prix très élevé, conduisant en 2002 à la reconnaissance de survaleurs.
  • [31]
    Pour ce qui va suivre voir : Fortune, May 25, 1998, Peter Elkind, Garbage, in garbage out. The Wall Street Journal, March 11, 1998, Jeff Bailey, Big Haul : Under Merger Plan USA Waste Is to Run Waste Management. Business Week, March 23, 1998, Richard Melcher and Garry McWilliams, Can Waste Management Climb Out the Muck ? The Economist, March 7, 1998, Anonymous, Waste mismanagement.
  • [32]
    Voir Business Week op. cité.
  • [33]
    Pour le détail de ces $ 3,5bn voir Business Week, March 23, 1998.
  • [34]
    The Wall Street Journal, March 11, 1998, op cité.
  • [35]
    Voir entre autres FT, March 12, 1998. The Economist, March 7, 1998. Fortune, May 25, 1998. Voir aussi les rapports aux actionnaires pour l’exercice 1998 et 1999 (10K Reports).
  • [36]
    Voir 10K pour l’exercice 1999. FT August 3, 1999.
  • [37]
    10K Report 30 mars 2000.
  • [38]
    FT July 8, 1999 et October 25, 1999.
  • [39]
    The Wall Street Journal, March 11, 1998 op. cité.
  • [40]
    10K Report, December 31, 2000. Business Wire, November 15, 2001. Waste Management to Offer $ 400 millions in Senior Unsecured Notes.
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