Notes
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La temporalité des récits est, rappelons-le, une contrainte formelle liée à une structure anthropologique et sociale. D’autres époques, d’autres cultures ont ignoré ou minoré la linéarité temporelle et narrative : on pense aux philosophes qui opposent la flèche de l’histoire au temps rituel ou mystique (Stéphane Mosès, L’Ange de l’Histoire. Rosenzweig, Benjamin, Scholem [1992], Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2022) ; aux géographies cinétiques des chants aborigènes qu’évoque Bruce Chatwin (Le Chant des pistes [1987], trad. Jacques Chabert, Paris, Grasset, 1988) ; aux toponymies des Apaches que décrit Keith Basso (L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert. Paysage et langage chez les Apaches occidentaux [1996], trad. Jean-François Caro, préface de Carlo Severi, Bruxelles, Zones sensibles, 2016) ; au li chinois dont parle Victor Segalen (Équipée. Voyage au pays du réel [1929], Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1983), mesure d’une distance autant que des reliefs du terrain et donc du temps nécessaire à le parcourir.
Citer cet article
- Autréaux, P.
- Autréaux, Patrick.
- AUTRÉAUX, Patrick,
https://doi.org/10.3917/espri.2408.0085
Notes
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[1]
La temporalité des récits est, rappelons-le, une contrainte formelle liée à une structure anthropologique et sociale. D’autres époques, d’autres cultures ont ignoré ou minoré la linéarité temporelle et narrative : on pense aux philosophes qui opposent la flèche de l’histoire au temps rituel ou mystique (Stéphane Mosès, L’Ange de l’Histoire. Rosenzweig, Benjamin, Scholem [1992], Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2022) ; aux géographies cinétiques des chants aborigènes qu’évoque Bruce Chatwin (Le Chant des pistes [1987], trad. Jacques Chabert, Paris, Grasset, 1988) ; aux toponymies des Apaches que décrit Keith Basso (L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert. Paysage et langage chez les Apaches occidentaux [1996], trad. Jean-François Caro, préface de Carlo Severi, Bruxelles, Zones sensibles, 2016) ; au li chinois dont parle Victor Segalen (Équipée. Voyage au pays du réel [1929], Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1983), mesure d’une distance autant que des reliefs du terrain et donc du temps nécessaire à le parcourir.
The Return of the Native de Thomas Hardy était le roman préféré d’un de mes amis sculpteur – mon ami le plus cher. Souvent, il évoquait son prologue qui décrit la lande. C’était le personnage principal, disait-il, un paysage devenu visage. De ce premier chapitre, je ne connaissais que le titre qu’il citait parfois quand on se revoyait après quelque temps : « A face on which time makes but little impression ». Régulièrement, j’ai promis de le lire et, toujours, j’en étais détourné. Viendrait le temps, pensais-je. Plus tard, j’ai découvert les poèmes de Seamus Heaney sur le peuple des tourbières. Ces corps momifiés, retrouvés dans le sol acide des landes, avaient fait écho pour le poète à la guerre civile, aux sacrifices terribles pour la pacification du groupe. Ces Bog Poems levaient une mélancolie aussi changeante que le visage des marais, entre douleur et fascination, effroi et rêve. Ils s’étaient associés pour moi à ce livre de Hardy, au souvenir de l’enthousiasme de mon ami, même si j’avais renoncé à lire un roman devenu dépositaire de notre amitié morte.
Car, entretemps, l’amitié s’était rompue. Aucune dispute, juste une craquelure qui a signé le naufrage, presque sans que je le sache. Je vivais loin et, selon notre habitude, on se revoyait avant chacun de mes départs. Cette année-là, après une décennie de travail, je venais de publier un premier livre qui avait eu quelque écho. J’avais bien senti une gêne de sa part dans nos dernières conversations téléphoniques, mais j’avais préféré ignorer qu’une rivalité avait pu se dresser entre nous au point de tuer l’amitié…