Notes
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[*]
Je remercie David B., auteur de bandes dessinées et érudit, qui m’a informé des épisodes dont il est question ici, et sans qui cet article n’aurait pas existé. Remerciements aussi pour leurs conseils et relectures à Nicolas Barreyre, Grégory Bekhtari, Carole Bellanger, Vanessa R. Caru, Sébastien Chauvin, Sylvain Cherkaoui, Jérémie Foa, Lilian Mathieu, Pap Ndiaye, Emmanuelle Sibeud, Julien Rochedy et Laureline Uzel.
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[1]
- Claude MCKAY, Banjo, Marseille, A. Dimanche, [1928] 1999, p. 69-70.
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[2]
- Archives départementales du Rhône (ci-après AD 69), non coté (NC), acte d’accusation.
-
[3]
- AD 69, NC, déposition de Léontine Valéry, 20 septembre 1929. Un barbeau est un proxénète en argot marseillais.
-
[4]
-Jean BAZAL, Le clan des Marseillais. Des nervis aux parrains, 1900-1988, Gémenos, Autres temps, [1989] 2006 ; Marie PAOLESCHI, Le milieu et moi, Paris, Fanval, 1987 ; Jérôme PIERRAT, Une histoire du milieu. Grand banditisme et haute pègre en France, de 1850 à nos jours, Paris, Denoël, 2003 ; Eugène SACCOMANO, Bandits à Marseille, Paris, Julliard, 1968. Ces enquêtes et témoignages fournissent de nombreux détails intéressants. Mais leurs auteurs consultent peu les archives, sinon de presse, privilégiant l’anecdote.
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[5]
- Sur ce thème des représentations de la pègre marseillaise voir Laurence MONTEL, « Marseille capitale du crime. Histoire croisée de l’imaginaire de Marseille et de la criminalité organisée (1850-1940) », thèse de doctorat, université Paris X-Nanterre, 2008.
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[6]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 65-69 ; M. PAOLESCHI, Le milieu et moi, op. cit., p. 121-123.
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[7]
- José GIOVANNI, La scoumoune, Paris, Gallimard, 1958.
-
[8]
- AD 69, NC ; Le Soleil du Midi, 11 juillet 1930.
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[9]
- Nous envisageons la race comme une construction sociale et non comme une donnée biologique ou génétique. Il faut entendre dans le même sens l’adjectif « racial » utilisé sans guillemets.
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[10]
- Tyler E. STOVALL, Paris noir : African Americans in the City of Light, Boston, Houghton Mifflin, 1996.
-
[11]
- Philippe DEWITTE, Les mouvements nègres en France, 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1985.
-
[12]
- Ibid., p. 283.
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[13]
- Pap NDIAYE, La condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008, p. 137.
-
[14]
- Marc MICHEL, Les Africains et la Grande Guerre. L’appel à l’Afrique (1914-1918), Paris, Karthala, 2003, p. 86.
-
[15]
- Brigitte BERTONCELLO et Sylvie BREDELOUP, « Le Marseille des marins africains », Revue européenne des migrations internationales, 15-3, 1999, p. 177-197. Voir aussi la description du monde cosmopolite du IVe canton, fief électoral de Simon Sabiani dans les années 1920, lieu privilégié pour les marins, dans Paul JANKOWSKY, Communism and collaboration : Simon Sabiani and politics in Marseille, 1919-1944, New Haven, Yale University Press, 1989, p. 3-7. T. STOVALL, Paris noir..., op. cit., p. 109, se livre aux mêmes descriptions : « Au début du XXe siècle, Marseille accueille une population diverse de navigateurs au long cours, de marins et autres travailleurs des ports venus de la Méditerranée, de l’empire français et d’au-delà » (traduction de l’auteur).
-
[16]
- P. DEWITTE, Les mouvements nègres en France..., op. cit., p. 134 et 198-202. Le Comité de défense de la race noire comme le Syndicat nègre comptent à peu près 250 membres chacun.
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[17]
- Alain CORBIN, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (19 e siècle), Paris, Flammarion, [1978] 1982, p. 86 ; Marie-Françoise ATTARD-MARANINCHI, « Prostitution et quartier réservé à Marseille au début du XXe siècle », in Y. KNIBIEHLER (dir.), Marseillaises. Les femmes et la ville : des origines à nos jours, Paris, Éd. Côté femmes, 1993, p. 174-186 ; Anne-Marie ARBORIO, « Bars et meublés, ou la prostitution privée de rue (début du 20e siècle) », in P. FOURNIER et S. MAZZELA (dir.), Marseille entre ville et ports. Les destins de la rue de la République, Paris, La Découverte, 2004, p. 226-241. Si l’activité même de souteneur n’est à l’époque pas forcément répréhensible pénalement, les activités afférentes touchent à l’illégalisme. Sur les carrières déviantes : Howard S. BECKER, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, A. M. Métailié, [1963] 1985.
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[18]
- Lilian MATHIEU, La condition prostituée, Paris, Textuel, 2007, chap. 2, p. 24-40. Cette notion d’espace prostitutionnel permet d’analyser les relations d’interdépendance entre les différents acteurs de la prostitution et de « rendre compte à la fois du mode d’existence des collectifs que forment les individus qui partagent un même statut déviant et des logiques spécifiques dans lesquelles ceux-ci sont en quelque sorte ‘pris’ et qui orientent leurs conduites, représentations ou encore rapports à leur condition ou à leurs pairs ».
-
[19]
- Archives départementales des Bouches-du-Rhône (ci-après AD 13), 4 M 891, lettre du commissaire central de la ville de Marseille au préfet des Bouches-du-Rhône, 23 décembre 1917.
-
[20]
- Sur la prostitution en temps de guerre : Luc CAPDEVILA et al., Hommes et femmes dans la France en guerre, 1914-1945, Paris, Payot, 2003, p. 136-147.
-
[21]
- AD 13, 4 M 891, lettre du général commandant de la 15e région, 9 novembre 1916. Sur la fragilisation des femmes seules en temps de guerre, voir J. Robert LILLY, La face cachée des GI’s. Les viols commis par des soldats américains en France, en Angleterre et en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, 1942-1945, Paris, Payot, 2003.
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[22]
- AD 13, 4 M 891, rapport sur la prostitution par le commissaire central de Marseille, 20 août 1917. Il est difficile de disposer de davantage d’éléments sur le milieu prostitutionnel marseillais. A. CORBIN, Les filles de noce..., op. cit., p. 265-273, se base sur de nombreux rapports de surveillance policière, entre 1909 et 1913, pour donner un panorama de l’activité de trente-six maisons de rendez-vous, mais elles concernent une clientèle allant de la haute à la petite bourgeoisie et excluant les marins, ouvriers et militaires qui constituent à Marseille une bonne partie de la clientèle populaire.
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[23]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 63-65.
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[24]
- Le Petit Marseillais, 11 février 1919. Quelle que soit leur tendance politique, les journaux marseillais font la chronique détaillée, à partir des rapports journaliers des commissariats, des actes de délinquance ordinaire. Ils reprennent les mêmes informations, parfois au mot près, et nous nous sommes concentré sur le dépouillement du Petit Marseillais, journal populaire tirant à 200 000 exemplaires : Jean-Yves LE NAOUR, Marseille 1914-1918, Marseille, Qui Vive, 2005, p. 12.
-
[25]
- Archives municipales de Marseille, 1 I 546, lettre du commissaire central au maire, 11 février 1919.
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[26]
- Sur les « bat’d’Af’ » : Dominique KALIFA, Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française, Paris, Perrin, 2009.
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[27]
- Le Petit Marseillais, 4 avril 1919.
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[28]
- Ibid., 24 juillet 1919.
-
[29]
- Ibid., 13 février 1920.
-
[30]
- AD 13, 163 U 2/263.
-
[31]
- Ibid., acte d’accusation, 2 août 1919.
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[32]
- La jeune femme succombe à ses blessures en février 1919.
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[33]
- AD 13, 163 U 2/263, acte d’accusation, 2 août 1919.
-
[34]
- Ibid., rapport de police, 19 décembre 1918.
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[35]
- Ibid., déposition de Sereni, 4 décembre 1918.
-
[36]
- Le Petit Marseillais, 27 septembre 1920.
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[37]
- AD 13, 163 U 2/263, lettre du commissaire de police chef de la Sûreté au commissaire central, 3 décembre 1938.
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[38]
- Ibid., acte d’accusation, 2 août 1919.
-
[39]
- Ibid., lettre de Sodonou au procureur général, 31 octobre 1919.
-
[40]
- Ibid., procès-verbal du brigadier Casanova, 16 novembre 1918.
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[41]
- Ibid., déposition de Sereni, 4 décembre 1918.
-
[42]
- A. CORBIN, Les filles de noce..., op. cit., p. 234.
-
[43]
- AD 13, 163 U 2/263, déposition d’Aline, 11 juin 1919.
-
[44]
- AD 13, 208 U 2/462.
-
[45]
- Le Petit Marseillais, 1er avril 1920 et 3 avril 1920.
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[46]
- AD 13, 208 U 2/511 ; Le Petit Marseillais, 13 juillet 1919.
-
[47]
- AD 13, 208 U 2/513, déposition de G. Minisi.
-
[48]
- Les inscrits maritimes sont mentionnés comme navigateurs dans les registres du port.
-
[49]
- AD 13, 208 U 2/513, interrogatoire de R. Ziou Dou.
-
[50]
- C. MCKAY, Banjo, op. cit.
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[51]
- Archives municipales de Marseille, 1 I 546, lettre du commissaire central au maire, 12 juin 1920.
-
[52]
- A. CORBIN, Les filles de noce..., op. cit., p. 100.
-
[53]
- James SCOTT, Domination and the arts of resistance : Hidden transcripts, New Haven, Yale University Press, 1990 ; Edward A. ALPERS et Matthew S. HOPPER, « Parler en son nom ? Comprendre les témoignages d’esclaves africains originaires de l’océan Indien (1850-1930) », Annales HSS, 63-4, 2008, p. 799-828.
-
[54]
- George CHAUNCEY, Gay New York, 1890-1940, Paris, Fayard, [1994] 2003, p. 43.
-
[55]
- Ibid., p. 21. Il ajoute : « La troisième raison pour laquelle nous avons oublié le monde gay d’avant-guerre est qu’il s’est développé dans des lieux si inattendus, et qu’il était si différent du nôtre que, bien souvent, nous ne savons même pas où chercher et ce qu’il y a à trouver. »
-
[56]
- AD 13, 208 U 2/462, notice individuelle de Lambert.
-
[57]
- Ibid., déposition de M. Dedieu, 17 juillet 1919.
-
[58]
-Marie-Françoise ATTARD-MARANINCHI, Le Panier, village corse à Marseille, Paris, Autrement, 1997.
-
[59]
- AD 13, 163 U 2/263, interrogatoire du 10 décembre 1918.
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[60]
- Ibid., interrogatoire du 4 novembre 1918.
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[61]
- Le Petit Marseillais, 16 juillet 1920.
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[62]
- AD 13, 208 U 2/511, interrogatoire de F. Cicofran, 17 juillet 1920.
-
[63]
- Ibid., interrogatoire de G. Simplon, 12 novembre 1920.
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[64]
- Ibid., déposition du 10 août 1920.
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[65]
- Ibid., déposition du 2 et du 10 août 1920.
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[66]
- Ibid., déposition du 4 août 1920.
-
[67]
- AD 13, 208 U 2/697.
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[68]
- AD 13, 208 U 2/592.
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[69]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 65-69.
-
[70]
- AD 13, 163 U 2/263, interrogatoire du 10 décembre 1918.
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[71]
- Ibid., interrogatoires du 3 et du 4 novembre 1918.
-
[72]
- Une réflexion sur les catégories ethniques dépasse le propos de cet article. Sur ce sujet, voir Jean-Loup AMSELLE et Elikia M’BOKOLO (dir.), Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 2005.
-
[73]
-Archives nationales d’outre-mer, SLOTFOMIII, 109 sous-dossier no162CL, 27 juillet 1938. Deux notes sont particulièrement intéressantes : « Situation des Ouolofs dans la navigation métropolitaine » et « Vie des soussous et de quelques-uns des originaires de l’AOF dans la navigation métropolitaine ». Voir P. DEWITTE, Les mouvements nègres en France..., op. cit., p. 279-280.
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[74]
- Le Petit Marseillais, 26 juin 1919 et 14 juillet 1920.
-
[75]
- Ibid., 16 juillet 1917.
-
[76]
- Ibid., 13 juillet 1920.
-
[77]
- AD 13, 208 U 2/511, lettre du procureur général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence aux préfets des Bouches-du-Rhône et de Gironde, 26 juillet 1956.
-
[78]
- Voir notamment le dossier AD 13, 208 U 2/474 : les « Sénégalais » Mamadou Ali et Samba Camara, nés à Konakry en Guinée, sont accusés d’avoir tiré en septembre 1919 sur des marins « Somalis », tuant Ali Gama, 25 ans, employé sur un bateau de la Royal Navy. Le lieu de naissance de la victime n’est pas précisé.
-
[79]
- Philippe RYGIEL, « Histoire des populations noires ou histoire des rapports sociaux de race », Le Mouvement social, 215, 2006, p. 81-86, ici p. 85.
-
[80]
- Le Petit Marseillais, 1er juin 1920.
-
[81]
- AD 13, 208 U 2/498. Dans la nuit du 2 au 3 juillet 1923, dans le quartier réservé, Fekir Belkacem tue Mahmoud ben Mohamed qui lui reproche d’avoir souffleté la fille soumise Fatna Gounani, maîtresse de ben Mohamed après avoir été celle de Belkacem. L’auteur du crime est accusé de vivre « du produit du vol, du jeu de bonneteau et de la prostitution d’autrui ».
-
[82]
- AD 13, 208 U 2/463. Dao Van Man, soldat indochinois ayant perdu ses facultés mentales, est tué par un jeune homme, Dante Giansoldati, après avoir été poursuivi par des habitants le prenant pour un loup-garou.
-
[83]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 65-69.
-
[84]
- Le Petit Marseillais, 1er-2 mai 1919 ; ibid., 4 mai 1919 ; AD 13, 208 U 2/710. Cette dernière référence concerne le meurtre de Fredenucci par son gendre Baptistin Basso mais elle fournit des renseignements sur le passé de la victime. Le dossier concernant les assassinats perpétrés en 1919 a disparu.
-
[85]
-Gérard NOIRIEL, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle). Discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007, p. 159-162.
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[86]
- Le Petit Marseillais, 9 avril 1919.
-
[87]
- AD 13, 4 M 891, lettre du commissaire central de Marseille au préfet des Bouches-du-Rhône, 23 décembre 1917.
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[88]
- AD 13, 4 M 2306, lettre du commissaire central de Marseille au préfet des Bouches-du-Rhône, 19 février 1917.
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[89]
- AD 13, 208 U 2/591.
-
[90]
- Le Petit Marseillais, 24 janvier 1920.
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[91]
- Jean-Yves LE NAOUR, La honte noire. L’Allemagne et les troupes coloniales françaises, 1914-1945, Paris, Hachette, 2003.
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[92]
- AD 13, 4 M 891, lettre au préfet du 14 janvier 1921.
-
[93]
- M. MICHEL, Les Africains et la Grande Guerre..., op. cit., p. 124.
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[94]
- Voir pour comparaison les procès des souteneurs Damien Bocagnano et Demetrio Martin, AD 13, 208 U 2/428 et 208 U 2/454.
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[95]
- Le Petit Marseillais, 7 mars 1920.
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[96]
- AD 69, NC, procès-verbal d’interrogatoire du 14 septembre 1929.
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[97]
- AD 13, 163 U 65.
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[98]
- Même si la Corse relève de la métropole et si ses habitants occupent une place importante parmi le personnel colonial, elle reste l’une des régions françaises les plus pauvres, éloignée des lieux de pouvoir. Les Corses ne bénéficient pas à Marseille, comme dans les colonies, des positions privilégiées offertes aux fonctionnaires coloniaux : thèse en cours de Vanina PROFIZI, « La Corse et les Corses dans la colonisation française en Afrique », sous la direction d’E. M’Bokolo, EHESS.
-
[99]
- Sur le racisme entre Corses et Noirs, P. NDIAYE, La condition noire..., op. cit., p. 135, évoque les « Corses regardés comme franchement racistes » par les soldats noirs, du fait des possibilités d’ascension sociale offertes aux Corses par le service colonial, où ils sont surreprésentés.
-
[100]
- P. DEWITTE, Les mouvements nègres en France..., op. cit., p. 217-251. Étudiante martiniquaise à Paris, Jane Nardal participe à la fin des années 1920 à la revue La Dépêche africaine et invente, sur le modèle d’ « afro-américain », le terme d’afro-latinité pour concilier culture africaine et apports latins du colonisateur.
-
[101]
- Ibid., p. 279.
-
[102]
- St. Clair DRAKE et Horace R. CAYTON, Black metropolis : A study of Negro life in a northern city, Chicago, The University of Chicago Press, [1945] 1993.
-
[103]
- AD 13, 208 U 2/269.
-
[104]
- St. C. DRAKE et H. R. CAYTON, Black metropolis..., op. cit. ; Robert E. WEEMS, Black business in the Black metropolis : The Chicago Metropolitan Assurance Company, 1925-1985, Bloomington, Indiana University Press, 1996. Il y a des éléments sur la reconversion dans le commerce des marins noirs à Marseille, après 1945, dans B. BERTONCELLO et S. BREDELOUP, « Le Marseille des marins africains », art. cit., et dans Daouda KONE, « Les mobilités des Noirs africains dans l’aire métropolitaine marseillaise », thèse de doctorat en sociologie, université Toulouse-Le Mirail, 1999.
-
[105]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 69.
-
[106]
- François Spirito, un Italien, dirige avec lui la pègre marseillaise. D’autres familles corses comme les Guérini prennent une grande importance à la Libération : J. PIERRAT, Une histoire du milieu..., op. cit.
-
[107]
- P. JANKOWSKY, Communism and collaboration..., op. cit.
-
[108]
- AD 69, NC.
-
[109]
- Le grand nombre d’agents de police d’origine corse impliqués dans ces affaires est frappant : Leca et Mattéi par exemple, pour ne citer que ceux qui ont été blessés.
-
[110]
- P. DEWITTE, Les mouvements nègres en France..., op. cit., p. 109.
-
[111]
- P. NDIAYE, La condition noire..., op. cit., p. 111-112.
-
[112]
- P. RYGIEL, « Histoire des populations noires... », art. cit., p. 86.
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[113]
- Ibid., p. 81-86.
-
[114]
-Abdelmalek SAYAD, La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Éd. du Seuil, 1999, p. 137, cité par Jim HOUSE, « De la métropole comme espace de réflexion sur les liens entre colonisation immigration et racisme (1945-1962) », in N. L. GREEN et M. POINSOT (dir.), Histoire de l’immigration et question coloniale en France, Paris, La Documentation française, 2008, p. 23-30, ici p. 23.
« Dans aucun autre port, il n’avait rencontré, vivant ensemble, autant de Noirs d’une variété aussi pittoresque : Nègres parlant l’une des langues civilisées, Nègres parlant tous les dialectes africains, Nègres à la peau noire, brune ou jaune. À croire que chaque pays du monde où vivaient des Noirs avait laissé des représentants de cette race dériver jusqu’à Marseille. Une vaste armée vagabonde de Nègres de brousse s’efforçant de glaner leur subsistance sur le macadam du grand port provençal [1]. »
1 Le 14 septembre 1929, Harry Sylla, né à Conakry, en Guinée française, est assassiné à Marseille par François Carbone, frère de Bonaventure Carbone, un des plus influents parrains corses de l’entre-deux-guerres. Le crime est d’une rare violence : Carbone tire cinq coups de feu, les derniers à bout portant, « un genou sur le corps de Sylla [2] ». Les liens du meurtrier avec le milieu sont avérés et sa victime le connaissait. Sylla, proxénète notoire, vivant en « majeure partie du produit de la prostitution de sa maîtresse », Clotilde Léontine Valéry, née à Rodez, a su retrouver dans un bar Carbone et son ami Fernand Orsini, né à Bastia, « plusieurs fois identifié en compagnie de souteneurs ». Il leur reproche d’avoir fait les « barbeaux » avec « [sa] femme » en lui subtilisant les cent francs dus pour une passe [3]. Carbone fait usage de son arme alors que les deux hommes sont sortis discuter dans les terrains vagues situés derrière le Palais de la Bourse, près de la Canebière. Souteneur noir contre milieu corse à Marseille : le décor semble campé et correspond, après le retour du front des souteneurs corses d’avant-guerre, à la guerre sanglante pour le contrôle du trottoir évoquée dans les ouvrages consacrés au milieu marseillais [4]. Dans ces livres, le conflit entre proxénètes corses et noirs n’est qu’un épisode, parfois très brièvement mentionné, de la longue épopée des « bandits à Marseille », titre d’un livre du journaliste Eugène Saccomano, dont ils donnent une représentation mythifiée et parfois empreinte de fascination [5]. Le journaliste Jean Bazal, à partir des souvenirs de l’ancienne prostituée d’origine corse Marie Paoleschi, évoque ainsi un « péril noir » et parle d’une véritable « chasse à l’homme de couleur [6] ». Un autre journaliste, Jérôme Pierrat, consacre quelques lignes à ces événements. Le roman noir n’est pas en reste : José Giovanni met en scène dans La scoumoune la vie d’Antoine La Rocca, figure du milieu, condamné aux travaux forcés pour le meurtre d’une bande de souteneurs noirs [7]. Cette lecture racialisée des événements est pourtant loin d’être évidente. Si le différend qui les oppose a été fatal, Sylla, Carbone et Orsini ont des points communs : nés entre 1898 et 1905, ils appartiennent au même milieu professionnel. Ils ont tous trois été navigateurs, même si Carbone a été rayé des inscrits maritimes en 1925 et apparaît lors de son procès comme un « commerçant » ou un « pseudo-danseur mondain » [8]. Ils se sont tous reconvertis dans des carrières déviantes liées au proxénétisme. Faut-il alors privilégier la question raciale comme facteur social explicatif [9] ?
2 Sylla est mort un an après la publication de l’ouvrage de Claude McKay dont est tirée la citation placée en exergue. Quoi de commun entre le navigateur devenu proxénète et l’écrivain afro-américain ? C. McKay a passé l’hiver 1927 à Marseille, aux côtés de la population noire du port, et il en a tiré la riche matière autobiographique de Banjo. Il n’en fait pas moins partie des intellectuels et artistes afro-américains pour qui la France a constitué une destination privilégiée après la Première Guerre mondiale, une terre de liberté par rapport aux États-Unis. Paris est devenu pour eux un lieu d’effervescence culturelle dans les années 1920 et 1930 [10]. Dans cette même capitale, Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor forgèrent le concept de négritude et de nombreux étudiants africains et antillais fondèrent revues et associations autour de la question noire ou coloniale. On touche ici aux ambiguïtés de l’historiographie concernant l’histoire des populations noires en France. Ces histoires et ces trajectoires, comme celles de C. McKay lui-même, sont bien connues. Pourtant, à travers sa description imagée du port de Marseille et à travers le destin tragique de Sylla, affleure l’existence, à la même époque, d’un autre type de population noire, marins et dockers de la cité phocéenne. Elle reste peu connue, même si Philippe Dewitte a donné des éléments sur ses membres les plus militants, syndicalistes, communistes ou anticolonialistes [11]. Cette population de navigateurs noirs est bien différente de la « diaspora noire en exil à Paris, petit noyau d’intellectuels et d’employés européanisés en quête d’une identité politique et culturelle [12] ». C’est pourtant cette dernière, initiatrice de mouvements comme la négritude, qui a laissé le plus de traces.
3 Étudier les navigateurs noirs présente donc l’intérêt d’aborder l’histoire des populations noires à partir des milieux populaires, moins analysés, qui en constituent pourtant, à partir de la Grande Guerre, la part la plus importante. Il s’agit de déterminer si le fait d’être noir en France a donné lieu à des pratiques spécifiques, et si la conscience d’être noir a pu être partagée par des populations qui ne disposaient pas des ressources culturelles et sociales des étudiants antillais parisiens. Changer d’échelle et de focale, en étudiant Marseille et non Paris, des marins passés de la navigation au proxénétisme et non des étudiants, artistes ou intellectuels, c’est travailler sur une population que nous considérons comme noire, mais qui se situe dans un contexte social très différent. Ce faisant nous nous intéressons à un groupe social éloigné de la culture légitime, marginal par rapport à la norme sociale mais très intégré dans le milieu populaire localisé du port et des marins. Les rixes qui ont opposé, dans l’immédiat après-Première Guerre mondiale, souteneurs noirs et corses sont notre point de départ. Ce cas d’espèce est, il faut le reconnaître, celui d’un petit groupe sans valeur statistique. Il n’en est pas moins révélateur car il pose un certain nombre de questions cruciales pour comprendre la composante raciale de la formation des groupes sociaux en France à cette époque. Nous souhaitons tout d’abord évaluer, en analysant le rôle joué par les souteneurs noirs sur le trottoir marseillais, en retraçant leurs carrières illégales et les contours de leurs bandes, la place tenue par le facteur de couleur dans leur constitution. Nous examinerons ensuite dans quelle mesure les conflits entre Corses et Noirs témoignent d’une ethnicisation du trottoir marseillais incomplète, qui conduit à relativiser la question raciale par d’autres phénomènes sociaux. Enfin, la manière dont les souteneurs noirs sont traités par la presse, la police et la justice, permet d’analyser quel rôle joue la couleur dans leur perception par de telles institutions.
4 Marseille est un terrain particulièrement propice à l’étude des populations noires en France autour de 1920. Port colonial, ville interface entre la métropole et l’empire, elle est un des principaux points de débarquement des soldats et travailleurs coloniaux pendant la Grande Guerre, une des premières villes de métropole à compter une population noire significative [13]. Les travaux de Marc Michel ont établi qu’ « à partir du printemps 1916, les camps du Midi de la France, à Fréjus et Saint-Raphaël, serviront de camps d’accueil, d’entraînement et d’hivernage des tirailleurs », à l’écart des grandes villes [14]. En 1920, ils sont encore nombreux en Provence, le rythme de leur rapatriement étant très lent. Cette présence noire densifiée par la guerre est accrue par les activités portuaires : les marins originaires des Antilles ou africains sont nombreux à Marseille [15]. Beaucoup de clandestins se glissent dans les navires et débarquent en catimini dans les grands ports de métropole.
5 À partir de quelles traces travailler pour saisir de telles populations ? Elles ont laissé peu d’écrits et peu de discours. En 1926, une éphémère section locale du Comité de défense de la race noire à Marseille est mise sur pied par Lamine Senghor. En février 1930, un Syndicat nègre comptant de nombreux Malgaches est créé par Tiemoko Garan Kouyaté [16]. Mais les membres qui apparaissent dans les statuts et composent le bureau sont obligatoirement des citoyens français, ce qui limite fortement la visibilité des Africains. En dehors de ces organisations et avant leur existence, au début des années 1920, les navigateurs et les dockers sont concentrés à Marseille dans des lieux bien spécifiques. Ils vivent autour du port et notamment au sein du quartier réservé, limité par la rue de la Reynarde à l’est, la rue Radeau à l’ouest, les rues de la Loge et Lancerie au sud et la rue Caisserie au nord, dans lequel la prostitution est autorisée et réglementée depuis 1864 [17]. C’est dans cet espace spécifique qu’une partie des navigateurs noirs s’est installée dans des carrières déviantes au sein du monde des souteneurs, dont les traces sont antérieures à celles des activités militantes. On peut donc analyser la place des questions raciales dans la société marseillaise de l’époque à travers les positions nouvelles acquises par des hommes noirs dans l’ « espace prostitutionnel » marseillais [18]. Il est possible également de comparer la situation de ces hommes noirs avec celles d’autres individus, blancs, appartenant aux mêmes catégories professionnelles.
Trajectoires illicites
Une guerre propice aux activités illégales
6 L’implication de populations noires, à Marseille, dans des activités illégales, s’inscrit dans les conséquences de la guerre sur la sécurité publique, même dans une cité éloignée du front. En 1917, le commissaire central déplore « l’insécurité actuelle de la ville », marquée notamment par une croissance du nombre d’agressions [19]. Cette situation est attribuée à l’augmentation de 100 000 habitants, sur 700 000 en tout, de la « population flottante » de Marseille. La presse quotidienne alimente la chronique des nombreuses agressions, bagarres, querelles, « sanglantes discussions » et autres rixes, aux poings, au couteau ou au revolver.
7 Le développement de la prostitution participe du climat général de la ville et il excède le quartier réservé [20]. Le général commandant de la 15e région craint pour la santé des jeunes soldats arrivant à Marseille, imputant la croissance de la syphilis à l’ « exode de milliers de femmes de toutes catégories, abandonnées, livrées à elles-mêmes, réfugiées de Belgique, du Nord et de l’Est de la France, affluant également dans les grandes villes » et déplorant la « mauvaise conduite de nombre d’entr’elles, mariées ou non » [21]. Le nombre de procès-verbaux dressés à des « filles soumises », prostituées inscrites sur les registres de l’administration, qui vont régulièrement à la visite médicale, est passé à Marseille de 2 039 en 1912 à 3 087 en 1916, suscitant des « incidents auxquels la foule prend part régulièrement en faveur des femmes [22] ». Il y a à Marseille 700 filles soumises mais la police estime à 7 000 le nombre total de prostituées en tenant compte des clandestines « insoumises ». La prostitution est de ce fait surtout présente dans la rue, dans des maisons de passe et maisons de rendez-vous, dans des bars et petits cafés « où se tiennent des prostituées en permanence, généralement des filles soumises », peu nombreux hors du quartier réservé, dans des hôtels meublés et des garnis de bas étage, enfin dans des « magasins », échoppes du quartier réservé aux devantures desquelles racolent des prostituées.
8 L’afflux de militaires entraîne une augmentation de la clientèle potentielle et également certaines convoitises. J. Bazal situe au début de l’année 1915 l’arrivée à Marseille du 1er bataillon d’infanterie légère d’Afrique [23]. Selon lui, les « Joyeux », comme on surnomme ces soldats blancs, souvent repris de justice, sortent de leur caserne au Fort Saint-Jean et envahissent les maisons de passe du quartier réservé tout proche pour exploiter les prostituées à leur compte. Une guerre s’ensuit avec les souteneurs, qui dure plusieurs semaines. Il n’y a pas trace de cet événement dans les archives en 1915, mais une bataille rangée a bien opposé « bandits et Joyeux » en février 1919, notamment sur la place Victor-Gélu : « Dans les rues des vieux quartiers plus de cent coups de revolver sont échangés. On relève sept blessés [24]. » Selon la presse, les « bat’d’Af’ » se sont « pris de querelle dans plusieurs bars des vieux quartiers avec des individus peu recommandables, commensaux habituels de ces établissements ». La police confirme cette version : « Un grand nombre de coups de revolver ont été tirés dans les diverses rues des Vieux Quartiers par un groupe de soldats des Bataillons d’Afrique et plusieurs individus arabes. [...] Ces incidents ont été provoqués par les Joyeux dont l’attitude a exaspéré certains individus des Vieux Quartiers, des souteneurs très probablement [25]. » Cette fusillade témoigne du climat tendu, au sortir de la guerre, au sein de l’espace prostitutionnel marseillais : les positions des souteneurs ont été fragilisées et de nouveaux venus peuvent contester leur autorité. Dans le cas des « Joyeux », ce sont des soldats blancs dont beaucoup appartenaient déjà au monde de la délinquance, puisque les civils ayant subi des condamnations supérieures à trois mois de prison étaient incorporés dans les « bat’d’Af’ [26] ». Mais les souteneurs noirs s’engouffrent sans doute dans la même brèche, et c’est sur ces derniers qu’il s’agit maintenant de se pencher plus précisément.
Populations noires et espace prostitutionnel marseillais
9 Dans l’immédiat après-guerre, une dizaine de souteneurs noirs, vivant des activités de prostituées blanches, apparaissent clairement dans les sources comme ayant bénéficié de ce climat propice aux entreprises illicites. Ils sont désignés comme « nègres », certains semblant avoir constitué de véritables bandes ou avoir à tout le moins entretenu des liens de solidarité dans les activités illégales. Les archives de presse, très allusives, laissent souvent planer le doute. Le « nègre Laroussi Amar », blessé rue Mazagran par sa logeuse et compagne Lucie Puech, après avoir tenté de l’étrangler, est peut-être son souteneur mais rien ne le prouve [27]. De même, « le Sénégalais Gana Guye [sic], navigateur », blessé par balles par un inconnu en fuite dans un bar de la rue Bouterie, après une discussion « avec une femme de mœurs légères », peut avoir été un simple client [28]. L’incertitude est identique concernant le « pauvre nègre » retrouvé tué à coups de revolver rue Saint-Laurent, lui aussi après « une discussion avec une femme de mœurs légères, [...] tragiquement solutionnée par un individu qui est activement recherché [29] ». Le recoupement avec les archives judiciaires ne laisse en revanche aucun doute sur les activités d’autres individus impliqués dans des assassinats.
10 Le 30 octobre 1918, la fille soumise Antoinette Sereni, née à Sartène en Corse, âgée de vingt ans, est l’enjeu d’une querelle entre proxénètes noirs [30]. Son amant Cyprien Sodonou, embarqué comme navigateur, a confié la surveillance de sa maîtresse à son ami Bernard Niamby [31]. Elle s’est pourtant placée successivement sous la protection de deux Martiniquais, Henri Aline puis Gilles Saint-Paul. Au retour du navigateur, une vive discussion a eu lieu, chez Sereni et en sa présence, entre l’ancien et le nouveau protecteur et leurs amis respectifs : Niamby et François Lazare du côté de Sodonou, Gilbert Urbano pour Saint-Paul. Saint-Paul a utilisé la menace pour contester le choix de son rival par la jeune femme : accompagné d’Aline, il a suivi les deux amants dans la rue. Sodonou, prêt à céder, a proposé « d’abandonner le lendemain même la femme Sereni à son rival s’il la désirait ». Mais les deux Martiniquais les ont attaqués derrière la Bourse, blessant mortellement la jeune fille et grièvement Pascal Straboni, un jeune Corse qui cheminait avec eux [32]. Sodonou passe lui aussi en jugement parce qu’il a réussi à s’enfuir et a tenté d’abattre Aline à coups de revolver. Dans cette affaire, Sodonou est peut-être l’amant de la jeune femme et pas son souteneur. La police a sur lui de « mauvais renseignements [33] », elle le décrit comme un individu « violent, querelleur et de moralité douteuse [34] », mais ne porte pas d’accusation de proxénétisme. Le fait qu’il ait chargé son ami Niamby de surveiller son amante rend pourtant crédible ce soupçon. Celle-ci affirme d’ailleurs qu’elle aurait « préféré rester avec Saint-Paul » mais qu’elle a « eu peur » de Sodonou [35]. Niamby, qui n’a pas hésité à la frapper, est blessé deux ans plus tard d’un coup de revolver par un navigateur de 25 ans : sa participation à des activités illicites semble évidente [36]. En 1938, Sodonou, vivant avec Lucie Tedesqui, reste mal noté par la police lors de sa demande de naturalisation. S’il « a toujours navigué régulièrement en qualité de garçon et maître d’hôtel » et « tire ses ressources du produit de son travail », « sa femme exploite le bar sis 8, rue Coin de Reboul, établissement mal famé, dont la clientèle habituelle se compose de filles soumises et de souteneurs » [37]. « Bon travailleur », Sodonou se trouve néanmoins « en relation avec de nombreux repris de justice et autres individus sans aveux ». Saint-Paul, quant à lui, est un « souteneur redouté [38] ». Aline, qui a tué la jeune femme, a « subit [sic] plusieurs condamnations, pour souteneur, fausse monnaie et port illégal d’uniforme dans son pays natal [39] ». Urbano, dit « Jules », est « détenu à la prison Chave pour une autre tentative de meurtre [40] ». Quand Sereni sort un couteau et tente de se suicider, « se sentant menacée par tous ces noirs », il la désarme et il est blessé à la main. Il attend alors la jeune femme à la sortie de son immeuble et brandit un revolver en menaçant de se venger [41].
11 L’affaire a donc opposé des souteneurs avérés, Saint-Paul et Aline, à un souteneur supposé, Sodonou, tous aidés par leurs amis, peut-être leur bande. L’existence de liens affectifs entre Sereni et ces individus n’exclut pas qu’ils aient été des souteneurs : Alain Corbin notait « la profondeur des sentiments et de l’amour que les filles éprouvent à l’égard de leurs souteneurs ou de leurs amants de cœur [42] ». Aline, qui nie dans un premier temps être l’assassin, exprime les nuances des sentiments de la prostituée en expliquant pourquoi elle l’a dénoncé : « Elle n’a pas voulu accuser Sodonou qui était son amant, Saint-Paul qui était son ‘paillasson’, c’est-à-dire son amant de cœur, et elle a trouvé tout naturel de m’accuser parce que je n’étais que ‘son cave’, amant d’occasion [43]. » Cette première affaire nous met donc en présence de deux groupes rivaux de souteneurs noirs, dont il s’agit d’examiner avec attention les contours et caractéristiques.
12 Deuxième affaire, le cas de Maurice Lambert ne souffre pas d’équivoque et oppose un souteneur noir à un soldat colonial. Dans la nuit du 23 juin 1919, Lambert tue à coup de revolver place Vivaux le soldat Amour Mohammed, qui s’en était pris aux filles soumises Thérèse Cesari et Maria Dedieu, menaçant cette dernière d’un couteau. « Très mal noté », il n’est pas épargné par le rapport de police même si la légitime défense est reconnue, conduisant à un acquittement : « Depuis deux mois environ il n’a pas navigué ; il faisait quelques journées sur les quais et sa façon de vivre paraissait très problématique. On le voyait journellement dans les établissements louches du quartier réservé en compagnie d’autres coreligionnaires [sic] qui vivent dans l’oisiveté et ne tirent leurs ressources que d’expédients et parfois du produit de la prostitution [44]. » En mars 1920, moins d’un an après, il est de nouveau arrêté pour avoir tiré sur le « Sénégalien » Perame Comara, en compagnie d’un « autre nègre », Manuel Razin, dit « Loulou » [45]. Comme dans la première affaire, les prostituées sont manifestement blanches, l’une d’elle étant même d’origine corse, à l’instar de Sereni.
13 La troisième affaire, soit le meurtre de Jean Brand Mattéi, inspecteur de la Sûreté, le 12 juillet 1920, est plus exceptionnelle. Le policier a voulu interpeller pour port d’arme prohibée, rue de la Loge, Gabriel Simplon et Paul Cicofran, présentés comme un « Sénégalais » et un « Guadeloupien » [46]. Il est abattu d’un coup de revolver par Simplon. Cicofran, arrêté le jour même, est « réputé comme souteneur, vivant de la prostitution de sa maîtresse la fille Vayssières Julie ». C’est le seul exemple où des souteneurs se confrontent aux forces de l’ordre : ils plaident la méprise et placent la rivalité sanglante avec les Corses au centre de leur défense.
14 La quatrième affaire concerne l’assassinat, le 21 janvier 1921, de Michel Samperi par Louis-Adrien Jean, un Guadeloupéen, devant un bar situé quai du Port. Samperi est victime d’une vengeance après avoir frappé Raphaël Ziou Dou, qui avait giflé un jeune vendeur de pizza, Gaëtan Minisi. Le soir même, Jean, accompagné d’André Moisson, tue Samperi de plusieurs coups de revolver. De nombreux individus sont impliqués car Minisi a remarqué peu avant le meurtre au coin de la rue Vivaux un « groupe de noirs » parmi lesquels Ziou Dou réclamait vengeance : « Il faut que vous m’aidiez à tuer celui qui m’a frappé [47]. » Seuls Jean, Moisson et Ziou Dou sont finalement condamnés. Mais l’enquête donne des éléments précieux sur les membres du groupe. Jean, dit « Canguio », a des moyens d’existence « des plus douteux » et « fréquentait assidûment les quartiers réservés, en compagnie d’individus suspects, filles soumises et souteneurs ». Il en est de même pour Ziou Dou, dit « Zoulou », qui « depuis deux mois [...] a quitté la navigation, pour fréquenter d’une manière assidue les quartiers réservés avec les souteneurs et filles soumises ». Les moyens d’existence de Moisson, qui a menacé Samperi et l’a attiré hors du bar, « paraissent provenir de la prostitution de ses maîtresses et d’expédients ». Pierre Abraba, dit « Papillon », n’est pas reconnu coupable de complicité, mais il « ne travaille pas, fréquente le quartier réservé et est le souteneur de la fille soumise Pinelli Marie ». Un autre acquitté, François Désiré, « vit de la prostitution des filles soumises du quartier réservé », étant lors de son arrestation « le souteneur de la fille soumise Roquand Pauline », et antérieurement celui « de la fille soumise Delorme Félicie qui serait actuellement détenue à Aix ». Si le crime lui-même n’a pas de lien apparent avec la prostitution, l’existence d’un groupe bien identifié de souteneurs noirs conduit à s’interroger sur la place du facteur racial dans sa constitution.
15 Dernière affaire, bien postérieure, l’assassinat de Sylla, le 14 septembre 1929, ne correspond pas à la même séquence chronologique que les précédents crimes, mais sa date de naissance et sa profession d’origine le rapprochent des autres souteneurs noirs identifiés. Tous sont des hommes noirs célibataires au moment des faits, jeunes, nés entre 1892 et 1903, âgés de 17 à 31 ans. Le fait d’être noir en métropole semble les réunir et permettre de dépasser les origines géographiques. Il est frappant de constater que la bande de Ziou Dou, à laquelle il se plaint d’avoir été maltraité et demande de l’aide pour sa vengeance, rassemble des individus originaires des Antilles comme d’Afrique. Jean et Ziou Dou sont Guadeloupéens, Moisson est Martiniquais, mais Abraba vient de Côte-d’Ivoire et Désiré de Guinée. L’origine antillaise semble prédominante chez les autres souteneurs. Nulle trace n’a été trouvée de déserteurs afro-américains cités dans l’ouvrage de J. Pierrat par exemple. Simplon et Cicofran sont tous deux Guadeloupéens, ainsi que Lambert et Urbano. Aline et Saint-Paul sont Martiniquais. Sodonou et son ami Lazare viennent du Dahomey, Sylla est né en Guinée tandis que l’origine de Niamby n’est pas précisée.
16 Le facteur noir n’est pourtant pas le seul à intervenir. Plus significatives sans doute sont les professions de tous ces hommes, qui mettent en évidence l’imbrication entre facteur social et facteur racial. Ils appartiennent tous à la catégorie des « navigateurs » : ce terme apparaît systématiquement, parfois précisé en soutier, chauffeur, cambusier, marin. Sodonou (maître d’hôtel ou garçon), Lazare (aide-cuisinier), Niamby (cambusier), Simplon (garçon de cuisine), sont tous affectés à des tâches liées, sur les bateaux, à la cuisine, malgré des origines géographiques diverses. Le point commun entre les trois premiers, qui sont amis, tient peut-être à cette même spécialisation. La plupart de ces hommes relève des catégories les plus basses des carrières maritimes. Au port, ils s’emploient sur les quais, comme dockers sans doute. Il s’agit donc de jeunes prolétaires noirs liés au port et à la mer, pour lesquels le monde de la prostitution du quartier réservé est une opportunité de carrière potentielle. Selon la police, la plupart d’entre eux ont abandonné la navigation pour des activités plus lucratives, même s’ils restent inscrits maritimes, comme de nombreux proxénètes marseillais, afin de pouvoir justifier de leurs revenus [48]. Ils passent une partie de leur temps dans le quartier réservé, rue de la Loge, rue Bouterie, place Vivaux ou Victor-Gélu. Ils tirent parti, pour leurs activités et pour établir un certain rapport de force, de la sociabilité noire qui a libre cours dans les vieux quartiers. Cette sociabilité est marquée par des lieux comme ce bar rue de la Rose devant lequel Simplon affirme avoir été menacé avec d’autres Martiniquais par un certain Jean Mattéi, bien connu également de Ziou Dou : « Toute la bande excepté moi est allée manger chez la créole rue de la Rose [49]. » De tels éléments correspondent à la description postérieure par C. McKay du Marseille noir du milieu des années 1920 [50]. Mais leurs profils diffèrent finalement peu de ceux des jeunes proxénètes corses avec lesquels ils sont pourtant en rivalité.
17 Une partie des souteneurs noirs a déjà une carrière illicite imposante : Aline, Jean, Ziou Dou, Abraba, Lambert, Sylla ont été condamnés pour vol, fausse monnaie, usurpation d’identité, recel. Jean et Ziou Dou semblent avoir été complices de ce dernier délit car ils ont été condamnés à la même date. Les autres sont intégrés rapidement au monde des souteneurs. La date d’arrivée à Marseille, qui n’est pas précisée pour tous, varie entre 1917 et 1920. Simplon tue l’agent Mattéi quatre mois seulement après son arrivée dans la cité phocéenne. Les nouveaux venus sont peut-être guidés par ceux qui, déjà installés, les incitent à profiter des opportunités ouvertes. En 1920, après le refus d’embarquer de tirailleurs sénégalais cantonnés au camp de Mirabeau, destinés à la Syrie et venus de Mayence, le commissaire central s’inquiète : « Un certain nombre de Sénégalais, mobilisés et rendus à la vie civile, auraient engagé des militaires à ne pas partir et à demeurer à Marseille où l’on pouvait gagner beaucoup d’argent [51]. » Hormis Sylla qui apparaît tardivement, rien n’indique cependant que les individus étudiés aient pu poursuivre leurs activités au-delà du début des années 1920. Seul Sodonou semble avoir accompli une certaine progression. Il se marie en effet avec une tenancière de bar mal famé, ce qui peut traduire une ascension sociale : les maris de telles tenancières sont des « souteneurs dont la ‘marmite’ a su vieillir et s’élever dans la profession [52] ».
18 Ces quelques remarques concernant les souteneurs noirs ne permettent pas de donner une vision exhaustive de la population noire marseillaise, mais fournissent des éléments sur son organisation sociale, à partir des activités autonomes de certains de ses acteurs et non à partir des activités prescrites par les élites blanches. À travers les archives de justice, notamment les rapports d’interrogatoire, les témoignages et les actes de police, nous avons accès, de manière indirecte, aux pratiques des souteneurs noirs : on peut voir dans ces sources des « hidden transcripts », produits par des élites, mais dans lesquels se lisent en filigrane les activités réelles des subordonnés [53]. Suivant une démarche inspirée de celle de George Chauncey à propos du monde gay à New York au début du XXe siècle, les informations recueillies ne concernent donc pas la législation ou les discriminations, mais des « pratiques quotidiennes socialement structurées et socialement signifiantes dans la construction des identités [54] ». Tout comme les gays new-yorkais participaient ouvertement à la vie de leur cité, la marginalité noire n’est pas coupée du monde blanc. Les Noirs ont pleinement leur place dans l’univers des bars interlopes et de la prostitution du quartier réservé, partie intégrante de la culture populaire des marins et d’une ville portuaire comme Marseille. Quand G. Chauncey écrit que « le monde gay le plus visible au début du XXe siècle [...] était un monde ouvrier, concentré dans les quartiers où vivaient les Noirs et les immigrants irlandais et italiens, ou sur les quais animés de la ville, et ancré dans la culture populaire », ces termes semblent s’appliquer aux Noirs à Marseille durant les années 1920 [55]. Il ne saurait pourtant y être question de monde noir au même titre que G. Chauncey définit un monde gay dans le New York du début du XXe siècle. Il établit en effet avec certitude, à partir de nombreuses sources, son existence et sa géographie. Il prouve que les gays construisent leur propre espace social, signant l’apparition de quartiers gays. Or, les souteneurs noirs étudiés ici ne construisent pas un espace social qui leur est propre mais s’approprient un espace qu’ils partagent avec d’autres membres des classes populaires. Il s’agit maintenant de déterminer selon quelles modalités la couleur de la peau a pu orienter les pratiques des proxénètes et si on peut en tirer des conclusions sur l’homogénéité des populations noires marseillaises.
L’ethnicisation incomplète du trottoir marseillais ?
19 Les liens au sein de ces bandes de souteneurs reposent sur l’appartenance au monde des marins et sur une base raciale, pas sur une base régionale ou nationale. Les autres Noirs sont des « coreligionnaires » ou des compatriotes [56]. Leurs adversaires peuvent d’ailleurs faire référence à leur couleur de peau : « sale blanchette », crie Mohammed à Lambert quand il s’élance sur lui avec un couteau [57]. Dans une certaine mesure, ces souteneurs noirs peuvent s’opposer aux Blancs et notamment à ceux qui les menacent ou les concurrencent directement dans leur entreprise illégale. Ziou Dou reçoit un soutien sans faille de ses amis quand il souhaite venger l’affront infligé, Moisson et Jean prenant en charge l’exécution de Samperi : il est cependant impossible de déterminer dans ce cas la part de la solidarité raciale. Conformément aux souvenirs du milieu, la concurrence particulièrement vive avec les Corses, de plus en plus nombreux dans les vieux quartiers au cours des années 1920, semble mieux établie [58]. Ils les côtoient largement dans le monde des navigateurs et au sein du quartier réservé. Les criminels corses forgent leurs liens sur une solidarité régionale, sur une langue commune. Saint-Paul a « entendu Antoinette Sereni parler en corse avec un jeune homme », Straboni, à qui elle demande son aide quand elle le croise derrière la Bourse [59]. Saint-Paul affirme avoir reconnu le « petit Corse » à « son accent » [60]. Il identifie donc parfaitement la langue et même l’accent corse. Certains des incidents décrits mettent en jeu une opposition entre Noirs et Corses. Il n’y a pas de preuve que le malheureux Samperi appartienne au milieu, mais il est corse, tout comme Minisi, le jeune vendeur de pizza. Deux modes de constitution des groupes de souteneurs semblent apparaître en filigrane : basés sur une même apparence physique racialisée, dans l’espace métropolitain, pour les Noirs, sur une même origine régionale pour les Corses installés sur le continent. Dans les deux cas l’émigration, ancienne ou récente, atténue de véritables différences internes au groupe.
20 L’incident le plus révélateur est celui qui met en scène Simplon et Cicofran. Les deux hommes semblent avoir développé une véritable terreur envers certains souteneurs corses, par laquelle Simplon explique son geste et l’assassinat de l’inspecteur Mattéi. Le Petit Marseillais résume ses aveux de la manière suivante : « Dans les premiers jours de mars, il y eut, dans les vieux quartiers de Marseille, une série de meurtres. Un nommé Xavier Mattéi – qui disons-le immédiatement, n’a aucun lien de parenté avec l’infortuné agent de la sûreté – fut victime d’un de ces meurtres. Le frère de ce Mattéi, croyant à tort que Cicofran, mon camarade, et moi, étions mêlés à la mort de son proche parent, nous poursuivit de sa haine tenace. Lui et divers de ses amis, depuis cette époque, nous menacèrent de mort à plusieurs reprises. L’autre soir, rue de la Loge, alors que nous sortions de notre restaurant habituel, [...] je vis un individu – c’était l’agent Mattéi – qui appréhendait mon camarade. Au même instant je vis sortir d’un restaurant voisin un nommé Lange, un des amis intimes de Mattéi, qui était notre ennemi. Je crus à une attaque de Lange et d’un de ses compagnons. Je sortis mon revolver. Je fis feu. Ce n’est que le lendemain que je sus, par les journaux, quelle avait été ma sanglante méprise [61]. » Les rapports de police confirment le meurtre quai du Port, le 3 mars 1920, de Mattéi dit « Misère ». Cicofran et Prosper Bazile, un « Martiniquais », sont soupçonnés et arrêtés mais ils bénéficient d’une ordonnance de non-lieu. Depuis lors, Cicofran reconnaît avoir été « en butte aux menaces » de deux Ajacciens, le frère de la victime, Jean Mattéi, et son ami Ange Muraccioli dit « l’ange » ou « Lange » [62]. C’est surtout Simplon qui se plaint d’avoir subi des « menaces incessantes » : « L’ange et le frère de Mattéi Xavier m’avaient menacé à diverses reprises ; ils avaient dit qu’ils crèveraient les yeux à tous les Martiniquais et à la suite de ces menaces mon compatriote Paul Léty avait écrit au ministre des Colonies [63]. » Simplon décrit plusieurs scènes durant lesquelles il s’est senti menacé lors des semaines précédentes : « Je participais à un bal, place Victor Gelu, lorsque Mattéi et le nommé L’ange se sont approchés ; Mattéi dissimulait un revolver sous un mouchoir, il est venu vers moi et m’a dit ‘haut les mains, c’est toi qui a tué mon frère’. Je me suis empressé de prendre la fuite [64]. » Le lendemain, il est poursuivi devant un bar de la place Vivaux dans lequel il se réfugie. Le 12 juillet, jour du crime, il aperçoit Mattéi qui marche vers lui avec « la main à la poche ». Naturellement, Mattéi comme Muraccioli nient tout lien avec Simplon et Cicofran [65]. François Susini, débitant de boissons sur le quai du Port, à proximité du quartier réservé, témoigne en faveur des deux Ajacciens en attestant leur présence sur la porte de son établissement au moment du crime [66].
21 Insister sur la menace de Mattéi et Muraccioli fait indéniablement partie de la stratégie de Simplon pour expliquer son geste et atténuer sa responsabilité. La justice a beau jeu de souligner, témoignages à l’appui, qu’il tue l’agent Mattéi par-derrière alors que celui-ci tente de passer les menottes à Cicofran. Il y avait donc peu de doutes sur sa qualité de policier. En 1928, Muraccioli est néanmoins condamné à dix ans de travaux forcés après avoir tué un homme à coups de revolver quai du Port [67]. L’acte d’accusation précise que « Muraccioli est réputé comme un paresseux et un souteneur avéré », « plusieurs fois condamné pour port d’armes, violence et menaces de mort ». Le réquisitoire souligne qu’il « appartient à un milieu spécial, c’est un souteneur connu de la police d’Ajaccio (no 33 du classement), de la Sûreté de Marseille ». Le meurtre de l’agent Mattéi semble s’inscrire dans le contexte d’un conflit violent entre souteneurs noirs comme Cicofran et Simplon et souteneurs corses comme Muraccioli et peut-être Mattéi.
22 Plusieurs années après, d’autres meurtres impliquant des Noirs et des Corses confirment cette hostilité. En août 1924, Toussaint Leca, surnommé « Castagnole », navigateur corse dont les moyens d’existence sont « le vol et la prostitution d’autrui », tue sur le port à coups de revolver un vendeur de cartes postales noir, Albert Kramis, né à Zanzibar [68]. Mais alors que la moralité de ce dernier n’a donné lieu à aucune « remarque défavorable », le meurtre, en 1929, de Sylla par Carbone correspond de manière plus certaine à des rivalités liées au proxénétisme. La concurrence est rude entre minorités car il n’y a pas de place pour tout le monde au sein de l’espace prostitutionnel et les rivalités prennent une forme ethnicisée, sur une base régionale ou raciale. Le souvenir de cette guerre entre souteneurs est l’occasion pour J. Bazal, bien des années après, de réactiver le stéréotype de la sauvagerie de Noirs « fous furieux » qui « tuent sauvagement » quand ils sont en état d’ivresse et appellent à la « guerre sainte contre les Blancs » [69].
23 Il serait toutefois hasardeux de déduire trop vite de ces observations une ethnicisation totale du trottoir marseillais et des conflits qui découlent de son contrôle. Il faut tout d’abord souligner que les filles, sans exception, sont blanches : Maria Dedieu, Thérèse Cesari, Marie Pinelli, Pauline Roquand, Félicie Delorme, Antoinette Sereni, Julie Vayssières, Léontine Valéry. Plusieurs d’entre elles sont corses et ne sont pas réticentes à la protection de souteneurs noirs, voire à de véritables relations de couple avec eux, même si on dispose de peu d’éléments sur leurs liens réciproques. Sereni, qui passe de Sodonou à Saint-Paul, est reconnaissante envers ce dernier de lui avoir promis l’achat de « souliers ». Il faut noter également qu’une partie des violences ayant ces filles pour enjeu oppose les souteneurs à d’autres Noirs ou à des travailleurs ou soldats coloniaux. C’est le cas de l’échange de coups de feu entre Sodonou, Saint-Paul et Aline. La rivalité oppose dans ce cas Antillais et Africains, quoiqu’Urbano affirme connaître à la fois Sodonou et Saint-Paul. La solidarité entre Cicofran et Simplon a ses limites et le premier, arrêté le jour même, n’hésite pas à donner nom et description complète de son complice dès le premier interrogatoire. Lambert tue un soldat nord-africain qui menace ses filles et il est arrêté une seconde fois pour avoir tenté d’assassiner un « nègre ». L’attention de l’agent Mattéi est attirée sur Simplon et Cicofran parce qu’ils sont bousculés par trois tirailleurs nord-africains et qu’à cette occasion le premier sort son revolver pour les menacer.
24 Les rapports entre Sodonou et le jeune navigateur Straboni, âgé de 18 ans, blessé en même temps que Sereni, suggèrent très fortement que le facteur racial n’est pas surdéterminant dans la réalité sociale. Straboni nie tout d’abord connaître l’amant de la jeune femme, puis il prétend que, s’il ne l’a pas reconnu dans l’obscurité parmi les trois Noirs qui se battaient, il a bien « navigué sur un bateau » avec lui [70]. Sodonou fait preuve de plus d’affection à son égard, le désignant à plusieurs reprises comme son « ami Pascal Straboni » [71]. Il affirme lui « avoir raconté » ce qui venait d’arriver et la menace représentée par Saint-Paul et Aline. Il est difficile de dire si c’est l’amitié pour Sodonou ou la volonté de protéger sa « compatriote » Sereni qui a poussé Straboni à rester avec eux. L’épisode témoigne néanmoins de bonnes relations entre les deux hommes et d’une ethnicisation du trottoir qui est tout sauf complète malgré la vision donnée par les ouvrages sur le milieu : la barrière entre Noirs et Blancs n’est pas irréductible.
25 À l’inverse, on peut trouver, dans l’enquête demandée par le gouverneur général d’Afrique occidentale française (AOF) à un ancien navigateur sénégalais de Marseille, la trace d’une dévaluation de certaines populations noires par d’autres, sur une base ethnique [72]. Réalisée en 1938, elle concerne toute la période de l’entre-deux-guerres et dévoile une situation beaucoup plus nuancée que la simple observation de bandes de souteneurs noirs le laisserait transparaître [73]. L’auteur rédige ces rapports dans le but d’obtenir des livrets de navigation pour régulariser la situation des navigateurs sénégalais et principalement des Ouolofs. Sans doute ouolof lui-même, il a tendance à dévaloriser fortement les autres ethnies, particulièrement les Soussous (originaires de Guinée) : « Le soussou quand il est à terre en France – ce qui lui arrive souvent – vit aux crochets des femmes et fait le métier de ‘barbeau’, ce qui les oppose souvent avec les gens du milieu spécial. À terre, il se dit toujours sénégalais. C’est ce qui explique les bagarres qui se produisaient à Marseille de 1919 à 1920, d’abord entre sénégalais et européens et ensuite entre sénégalais et soussous, car à la démobilisation, les ‘barbeaux’ de retour du front se sont aperçus qu’ils étaient remplacés par des noirs qui se disaient sénégalais. Des expéditions étaient envoyées contre les sénégalais qui avaient l’habitude de se tenir sur le vieux port, au bar de la renaissance, bar Villard, bar Bernard, bar Victor Gelu ou bar Mandarin, tandis que les soussous élisaient quartier général près des quartiers réservés des rues Bouterie, de la Loge, Vivaux et de la Reynard. Tout d’un coup les sénégalais voyaient dans les bars qu’ils fréquentaient des soussous, gabonais, martiniquais ; ils n’y prenaient d’ailleurs pas garde quand ils voyaient que souvent des coups de feu leurs étaient adressés sans qu’ils en connaissent la raison. » L’auteur atteste le climat trouble des années 1919-1920. Il établit une claire distinction entre les Sénégalais, assimilés aux Ouolofs, dont la conduite est « honorable », et les Soussous, Gabonais et Martiniquais qui s’attirent l’hostilité du milieu par la concurrence qu’ils exercent ?
26 L’auteur décrit une délégation constituée par deux patrons de bar et un restaurateur, gérants d’établissements marseillais fréquentés par les Ouolofs, qui servent d’intermédiaires entre les Sénégalais et le milieu : « Les délégués allèrent trouver les chefs des bandes et leur expliquèrent que les sénégalais n’avaient rien de commun ni avec les soussous, ni avec les antillais, et que les sénégalais se promettaient de chasser de leurs rangs les indésirables. Les gens du milieu reconnurent leur erreur et firent des excuses aux sénégalais. Une tournée générale fut offerte au bar Bernard et la paix fut ainsi conclue. » Les catégories dressées par l’auteur de ce texte sont à prendre avec précaution et il n’est pas question ici de les considérer comme exactes. Le document témoigne néanmoins des efforts d’une partie de la population noire marseillaise pour introduire de fortes distinctions en son sein, malgré l’uniformité du regard porté par les Blancs, qui ne font pas la différence entre les « honnêtes » Sénégalais et les « indésirables » Soussous et Antillais. Ces distinctions, qui conduisent d’après ce texte à une entente entre milieu corse et navigateurs sénégalais, reposent sur une base ethnique, mais aussi sociale puisque l’auteur prend grand soin de souligner que les Ouolofs sont plus qualifiés et accèdent à des grades bien plus élevés, sur les navires, que les Soussous.
27 Le rôle joué par la couleur dans la constitution de groupes de souteneurs noirs, la solidarité qui peut les unir face aux Corses, ne doit donc pas occulter l’existence d’autres mécanismes sociaux, au sein des milieux populaires marseillais, sur le port et dans le quartier réservé, que le regroupement sur une base raciale.
Presse, police et justice : le regard des institutions
Victimes et agresseurs noirs
28 Si l’analyse des trajectoires illicites conduit à reconnaître mais aussi à relativiser l’importance du facteur de couleur, reste à déterminer comment elles ont été perçues par la presse et par les institutions policières et judiciaires : les autorités de l’époque privilégient-elles une lecture raciale du monde du proxénétisme ? Dans leur relevé quotidien de la violence ordinaire, dans et hors du quartier réservé, police et presse se livrent, quand il s’agit d’étrangers ou de coloniaux, à une forte ethnicisation des victimes et des agresseurs. Les termes utilisés sont divers et peuvent renvoyer à une origine nationale ou régionale : Italiens, Espagnols, Sénégalais, Marocains, Tunisiens, Algériens, Martiniquais, Guadeloupéens ou « Guadeloupiens », Somalis, Grecs, Serbes, Arméniens, Norvégiens, Brésiliens, Chinois ; à une catégorie ethno-raciale : « nègres », « noirs », « Arabes », « Africains », « Annamites », « hommes de couleur » ; à un statut : « travailleurs » ou « sujets » coloniaux, « indigènes ». Une telle désignation complète leur nom ou leur profession et plusieurs termes peuvent se surajouter : « le nègre martiniquais » ou le « nègre guadeloupien » par exemple [74]. Les agresseurs ou les victimes métropolitaines ne sont pas désignés de la même façon, par leur origine régionale ou leur couleur de peau, même si leur lieu de naissance peut être précisé. Nicolai, « chasseur alpin corse » qui tue un spectateur lors d’un spectacle au théâtre des Variétés, est nommé ainsi parce que son origine permet d’expliquer son geste : il n’a pas apprécié de voir jouer un sketch sur un gendarme insulaire [75]. Les termes utilisés pour désigner les Noirs sont particulièrement diversifiés tout en manquant fortement d’exactitude. Simplon et Cicofran, accusés du meurtre d’un agent de police en 1920, sont d’abord considérés comme « un Sénégalais et un Guadeloupien [76] ». Cicofran, arrêté le premier, est désigné comme « nègre guadeloupien » ou comme « le noir ». Lors de son arrestation quelques jours après, Simplon, le meurtrier, se révèle être né à Pointe-à-Pitre, ce qui ne l’empêche pas d’être considéré comme « Martiniquais ». Il est clairement établi lors du procès que les deux hommes sont nés à Pointe-à-Pitre. En 1956, ils sont pourtant encore qualifiés de « Sénégalais » par le procureur général de la cour d’appel, lors de l’examen d’une demande de grâce de Simplon, qui a purgé une peine de travaux forcés en Guyane jusqu’en 1946 et souhaiterait être dispensé de son interdiction de séjour [77]. Dans les sources judiciaires étudiées et dans la presse, le terme de « Sénégalais » pourrait donc désigner indifféremment des individus noirs francophones, quelles que soient leurs véritables origines, et quand bien même ils ne seraient pas africains, tandis que les anglophones sont des « Somalis » [78]. Un parallèle peut être établi avec le monde militaire, dans lequel « Sénégalais » peut désigner des tirailleurs provenant de toute l’AOF et même d’AEF. Une certaine confusion entremêle les origines géographiques, seuls les lieux de naissance permettant de distinguer les Caribéens des Africains et le terme de Martiniquais pouvant être employé comme synonyme d’ « Antillais ». De manière générale, cette confusion semble attester le caractère déterminant de la couleur de la peau pour désigner les populations noires impliquées dans des faits divers sanglants, même si le terme utilisé n’y renvoie pas directement. Il ne s’agit pas d’en déduire trop hâtivement « l’existence et la pérennité d’un groupe social » noir, mais de noter que ces représentations peuvent fournir les bases d’une identité prescrite pour les Noirs marseillais [79].
29 Malgré les imprécisions décrites plus haut, la police et la presse établissent clairement la distinction avec d’autres coloniaux, « Arabes » ou « Annamites », parfois au moyen de jeux de mots : une brève concernant une rixe entre Nord-Africains est titrée « arabesques [80] ». Les Nord-Africains mêlés à des faits divers sont des travailleurs journaliers des quais ou des soldats, très rarement des navigateurs. Ils sont souvent accusés de vol, de meurtre ou de bagarres, même s’il existe parmi eux quelques souteneurs [81]. Les travailleurs ou soldats coloniaux désignés comme « Annamites », sans qu’on sache exactement s’ils sont d’origine vietnamienne ou chinoise, apparaissent surtout dans nos sources pour des actes de violence entre compatriotes ou du trafic de drogue [82]. Cette spécialisation criminelle des différents groupes coloniaux ne reste qu’une hypothèse en l’absence d’étude plus poussée et spécifique sur les Nord-Africains et les Annamites.
30 Les membres corses du milieu sont-ils capables des mêmes distinctions que la presse ? M. Paoleschi raconte l’incident du 1er mai 1919, dans le bar Les Folies Bergères, rue de la République, quand un « Corse nommé Pascal » abat « deux Noirs et deux Nord-Africains à coup de pistolet [83] ». Cet événement, présenté comme un épisode de « la guerre des nervis de 1918-1919 contre les Noirs des vieux quartiers », a opposé en réalité, selon les archives de presse et de justice, un dénommé François Fredenucci, né à l’Île-Rousse, à quatre « Arabes », dont un Tunisien et deux Algériens nés à Bône et Bougie [84]. Cette confusion semble plus significative d’une mémoire fautive, plus de cinquante ans après, que d’un amalgame entre coloniaux de différentes origines. Mattéi et Muraccioli ne s’y trompaient pas, qui visaient précisément, dans leurs diatribes, les « Martiniquais ».
31 La presse et la police peuvent entretenir des confusions entre le statut de colonisé et les catégorisations raciales, mais elles ne débouchent pas forcément sur des conséquences négatives pour les intéressés. S’ils sont désignés en fonction de leur couleur de peau, il n’y a pas trace de dénonciation par la presse ou la police d’une criminalité noire spécifique. On retrouve peu dans le traitement des faits divers concernant les Noirs la thématique du « sauvage des colonies » décrite par Gérard Noiriel pour la fin du XIXe siècle [85]. Il en va différemment des étrangers, notamment les Espagnols désignés à la vindicte populaire. L’assassinat d’un brigadier de police par des malfaiteurs de cette nationalité conduit Le Petit Marseillais à adopter un ton ferme : « Ce meurtre nous est l’occasion douloureuse de constater, une fois de plus, que les malfaiteurs de nationalité étrangère sont les auteurs de la plupart des agressions, des cambriolages et des crimes qui se perpètrent à Marseille. [...] Nous laissons aux autorités le soin de conclure [86]. » L’assassinat du brigadier Mattéi par Simplon ne donne pas lieu à une telle dénonciation. Deux ans auparavant, le commissaire central estime que la sécurité est « mise en péril » par « l’attitude des travailleurs étrangers et coloniaux qu’une impunité relative ne peut qu’encourager » et par les « militaires vrais ou faux, en situation irrégulière », mais il ne désigne pas spécialement les Noirs comme responsables [87]. Les coloniaux les plus sujets à la critique sont les « Arabes ». Le commissaire central souligne les nombreuses agressions qui « semblent devoir être imputées à des malfaiteurs arabes de profession » et note que « l’élément algérien, subtil, vicieux, a fait l’objet des doléances des uns et des autres sans que rien ait encore été fait pour le contenir [88] ». En 1924, le mobile du meurtre d’un certain Louis Bassi, 50 ans, navigateur, par Mohamed Ouali Belaidi, 20 ans, journalier, né à Médéa en 1904, est inconnu. Mais l’acte d’accusation note que Bassi était un escroc et avait « la réputation de se livrer à la pédérastie [89] ». Dans ce cadre, « il est probable, au vu des renseignements de moralité fournis sur la victime et des tendances qu’ont les Arabes à se livrer à des actes contre nature, qu’ils doivent être recherchés dans une affaire de mœurs ».
32 Les prévenus noirs sont épargnés par de tels stéréotypes, et bénéficient même d’a priori « favorables ». Le Petit Marseillais s’étonne de l’acte d’un Martiniquais qui blesse de deux coups de rasoir un « Sénégalais », alors que « les Martiniquais passent d’ordinaire pour être d’un tempérament calme et doux » [90]. Il faut y voir sans doute un stéréotype inversé, celui du Noir débonnaire, du grand enfant, utilisé par le gouvernement français pour promouvoir l’usage de la « force noire » pendant la guerre [91]. L’image du sauvage noir, mobilisée par la propagande de guerre allemande, n’est pas utilisable par les autorités et la presse françaises. La visibilité des déviants noirs ne débouche donc pas sur celle d’une criminalité noire. L’Union syndicale des marins et pêcheurs du commerce réunis de France réclame bien « une descente de police inopinée dans les bars occupés par les arabes et les sénégalais, rue Mazenod et boulevard de la Major où l’on fera une cueillette fructueuse d’armes et d’individus indésirables [92] ». Mais cette formulation désigne les bars de ces rues par l’appartenance raciale des criminels qui y officient, sans pour autant que cette dernière soit criminalisée. L’hostilité de la presse et des autorités est dirigée envers les délinquants étrangers, surtout les Espagnols, et non envers des sujets français.
Une banalisation judiciaire des souteneurs noirs
33 On peut remarquer enfin, pour nuancer les effets de l’ethnicisation, qu’il n’est jamais jugé choquant, ni retenu comme circonstance aggravante, que des hommes noirs exploitent des femmes blanches. Les stéréotypes sur l’appétit sexuel supposé démesuré des premiers ne sont pas mobilisés. On retrouve l’absence de « racisme biologique » observée en France pendant la guerre à propos des relations entre femmes blanches et hommes noirs [93]. La mauvaise moralité des souteneurs est soulignée dans les procès quelle que soit leur couleur de peau [94]. Cicofran, lors de son arrestation, est quasiment lynché par la foule. Poursuivi par la police, il s’était réfugié dans une remise et de nombreux spectateurs s’étaient rassemblés aux alentours. Le jeune homme est frappé à plusieurs reprises et l’agent Leca est même atteint à la cuisse par une balle qui lui était destinée, tirée depuis la foule. Attribuer ce lynchage à sa couleur de peau serait pourtant trompeur. Quelques mois auparavant, un jeune Suisse, Roberto Perronicco, est quasiment « lynché par la foule » après un meurtre [95]. De telles scènes ne sont pas rares et ne relèvent pas uniquement du racisme. En 1929, Carbone, qui résiste violemment aux policiers, est « roué de coups » par la foule et en tire prétexte pour prétendre avoir tout oublié des actes commis [96]. La tentative de lynchage de Cicofran s’explique par un effet de foule constatable dans d’autres arrestations publiques de meurtriers.
34 En ce qui concerne les peines infligées aux prévenus, il est impossible de faire des statistiques sur un si petit échantillon et, pour les mêmes raisons, une comparaison n’aurait pas grand sens. À titre d’hypothèse, les peines ne semblent pas aggravées par la couleur : Simplon, qui a tué un policier dans l’exercice de ses fonctions, échappe à la peine capitale pour les travaux forcés à perpétuité [97]. Il est libéré au bout de vingt-cinq ans. Cicofran est déclaré coupable d’avoir tiré sans intention homicide alors qu’il était encerclé. Il n’est condamné qu’à un an d’emprisonnement pour violences et voies de fait sur les policiers. Ziou Dou et Moisson, accusés de complicité dans l’homicide de Samperi, se voient reconnaître des circonstances atténuantes et leur peine est de dix ans de travaux forcés, contre quinze pour le meurtrier, Jean. Aline est condamné à dix ans de travaux forcés et Sodonou et Saint-Paul à cinq ans. En sens inverse, les circonstances atténuantes accordées à Carbone, condamné à cinq ans de prison, tiennent aux activités peu recommandables de sa victime et au fait qu’il soit venu chercher son bourreau. Dans tous ces cas, en l’état, il est impossible d’affirmer que la justice a fait preuve d’une sévérité particulière et que les accusés noirs encourent des peines plus élevées. Le statut, citoyen ou sujet, semble peu intervenir. Il n’est pas mentionné dans les actes d’accusation ou dans les jugements. Sodonou, sujet colonial, et Saint-Paul, citoyen français, sont condamnés à la même peine dans la même affaire, et coloniaux, Antillais ou métropolitains peuvent tous subir, en sus de leur peine, des interdictions de territoire.
Carrières déviantes et logique raciale
35 La guerre et l’immédiat après-guerre ont offert l’opportunité d’une carrière déviante pour une partie des navigateurs noirs de Marseille. Cette irruption de prolétaires noirs dans l’espace prostitutionnel marseillais constitue une nouveauté. Une telle carrière ne nécessite pas de capital économique de départ : il suffit d’exercer sa force de séduction ou de persuasion, d’être prêt à faire preuve de violence. Le proxénétisme est une voie d’enrichissement rapide pour des jeunes d’origine populaire, même si elle reste dangereuse. Ces trajectoires ne diffèrent pas de celles des souteneurs blancs, notamment des navigateurs corses qui deviennent proxénètes. C’est donc plus l’appartenance à une même profession, au sein des milieux populaires, que la couleur de la peau qui rend compte des carrières illégales des souteneurs noirs étudiés. Le fait d’être originaire, pour les Corses comme pour les Noirs, de régions pauvres et périphériques ou des colonies, constitue un autre point commun entre ces proxénètes [98]. Néanmoins, si les Corses se rassemblent sur la base d’une même origine régionale ou locale, le regroupement de souteneurs noirs semble lié au facteur racial. Il est un des éléments qui permettent d’expliquer la constitution, au sein d’un même milieu de navigateurs, de bandes sur des bases ethno-raciales.
36 Les regroupements affinitaires se font en fonction de l’appartenance à des minorités : Corses, Noirs, dans les cas que nous avons étudiés, mais il faudrait pousser plus avant la place occupée par les Nord-Africains. Pour des migrants de condition modeste, issus de régions dominées, comme les colonies, les Antilles ou la Corse, très pauvre et qui a subi des pertes très importantes pendant la guerre, l’ethnicité constitue une ressource pour se regrouper et développer des activités marginales. La concurrence directe sur ce terrain très violent explique l’animosité, qui peut prendre la forme du racisme, entre Corses et Noirs [99]. On peut envisager que les entrepreneurs illégaux usent de l’ethnicité pour tisser des liens de solidarité et jouent le rôle d’initiateurs pour les carrières des autres. La condition noire semble rapprocher dans les mêmes bandes des Noirs d’origines différentes, Antillais et Africains, quand bien même la volonté de distinction des premiers par rapport aux seconds est habituellement mise en avant. Ils sont rapprochés par le regard des autres : « nègres » ou « Sénégalais » pour les journaux, pour la police, sans doute pour leurs concurrents dans la rue. Ce constat n’exclut pas la persistance de divisions régionales ou ethniques au sein même des navigateurs noirs marseillais, comme le prouvent les conflits entre souteneurs et les représentations très tranchées de l’auteur du rapport adressé au ministère des Colonies.
37 La constitution de bandes de souteneurs noirs et la participation aux activités du quartier réservé se font dans une proximité sociale et spatiale avec les autres souteneurs et marins, à la fois d’un point de vue résidentiel et des activités économiques, qui se distinguent largement du ghetto aux États-Unis. La possibilité leur est offerte de vivre de la prostitution de filles blanches. Les activités déviantes représentent des espaces professionnels où les discriminations constituent un obstacle moindre. Les souteneurs noirs adoptent les mêmes pratiques que les autres : Saint-Paul a offert un dédommagement à Aline pour prendre sous sa protection Sereni et il exige un semblable paiement de la part de Sodonou. Ces nouveaux venus dans le proxénétisme se font même vite leur place, si on en juge par leur présence récente, pour beaucoup, dans la ville. Cette réussite relative dans l’espace prostitutionnel, même éphémère, est la preuve, pour les cas étudiés, d’une intégration rapide à la société marseillaise, par des carrières marginales voire illicites, mais qui sont partie intégrante des pratiques populaires et de la vie du grand port méditerranéen. Elle pourrait donner un autre sens au concept d’afro-latinité inventé par Jane Nardal à la fin des années 1920 : celui de l’incarnation du personnage du proxénète méditerranéen par des navigateurs africains [100]. Elle semble infirmer en partie l’observation selon laquelle « les conditions d’existence et les modes de vie adoptés par les navigateurs et dockers dans les grandes villes métropolitaines sont ceux de minorités très isolées, mal intégrées à la vie du port [101] ». Le cas marseillais illustre une dimension de plus, ici économique, qui distingue la construction raciale aux États-Unis et en France : au contraire des souteneurs noirs de Chicago, qui exerçaient leurs activités exclusivement dans le ghetto et avec des filles noires, les proxénètes noirs marseillais occupent les mêmes espaces que leurs rivaux corses, jusqu’à les leur disputer violemment [102].
38 Le retour des hommes du front et le climat très violent des années 1919- 1920 se sont pourtant soldés par une défaite, ou un cantonnement, des souteneurs noirs. Même si Sodonou reste lié, par sa femme, au milieu de la prostitution, les affaires impliquant des souteneurs noirs au cours des années 1920 et au début des années 1930 sont plus rares : significativement, en 1929, Sylla est une victime, signe d’un rapport de force qui a changé. En 1931, quatre journaliers noirs du port sont accusés d’avoir jeté du haut d’un parapet « deux Arabes » qui refusaient de leur prêter un tuyau en caoutchouc pour siphonner les barriques du quai [103]. Déjà condamnés pour de petits vols, ils relèvent du vagabondage décrit par C. McKay plus que de l’illégalité. La fenêtre d’opportunité ouverte par la guerre a été éphémère, mais l’épisode témoigne de la vivacité et de la richesse du monde noir marseillais, qui persiste dans les années 1920 et 1930. À la même époque, les proxénètes noirs de Chicago, dans un univers social ségrégué, reconvertissent le capital tiré du jeu, de l’alcool et de la prostitution dans des activités licites comme les banques ou les assurances [104]. La question se pose de savoir ce qu’il en a été à Marseille : J. Bazal évoque par exemple un caveau, rue Torte, desservi par un escalier et transformé en dancing, tenu par un Martiniquais, ancien proxénète « reconverti dans la limonade [105] ». L’exemple de Sodonou, à travers l’établissement tenu par sa femme, semble aller dans le même sens, même s’il reste aux frontières de l’illégalité. Ce point mériterait à lui seul de plus amples investigations, que nos sources n’ont pas permises. Toutefois ces possibilités semblent, dans les cas étudiés, limitées.
39 Au final, comment expliquer la reprise en main du trottoir par les souteneurs corses ? Les navigateurs noirs observés, s’ils sont bien intégrés aux milieux populaires, souffrent d’un plus grand isolement par rapport à d’autres secteurs de la société, ce qui permet, outre les facteurs numériques, de comprendre leur défaite. Ils disposent de ce fait de possibilités de reconversion moindre par rapport à celles de leurs homologues corses, que ce soit dans des activités légales ou illégales. La pègre marseillaise des années 1920 et 1930 connaît une large hégémonie corse, dont Bonaventure Carbone fut le plus illustre représentant [106]. Elle entretient des liens avec de nombreux hommes politiques marseillais et notamment avec Simon Sabiani, navigateur corse passé du Parti socialiste au Parti communiste, au début des années 1920, puis au Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot en 1936. Son rapprochement avec la droite locale lui permet d’être le tout-puissant premier adjoint de la ville de 1929 à 1935 [107]. Bonaventure Carbone est ainsi capable de mobiliser en faveur de son frère François des soutiens inaccessibles aux souteneurs noirs. Les pressions et les menaces sur les jurés sont telles que le procès est déplacé de Marseille à Lyon. Sabiani lui-même et un conseiller municipal d’origine corse sont accusés d’avoir tenté d’influencer des témoins [108]. Les Noirs n’ont pas non plus encore accès, comme les Corses, à une professionnalisation dans une carrière policière [109]. Cet accès moindre à des carrières professionnelles ou politiques témoigne de discriminations, dont il faudrait pouvoir mesurer, en ce qui concerne les Noirs, la part de l’origine sociale, du racial et du statut colonial. Ces éléments pourraient être éclairés par une étude, que nous n’avons pas menée ici, des mécanismes de représentation et des processus électoraux. À Paris, le PCF n’hésite pas à présenter des militants coloniaux, comme L. Senghor, aux élections municipales de 1925 [110]. Quand on sait que Sabiani a fondé sa carrière politique en étant le candidat de la SFIO puis du PCF dans le IVe canton de Marseille, il pourrait être intéressant de travailler sur d’éventuelles initiatives similaires, ou sur leur absence, à Marseille. Le statut de sujet colonial a constitué un frein inévitable pour des candidatures africaines, mais qu’en a-t-il été pour les Antillais ?
40 L’histoire d’un groupe marginal contribue au chantier plus vaste d’une histoire sociale des populations noires de France métropolitaine, c’est-à-dire des individus ayant été considérés comme appartenant à la race noire, que Pap Ndiaye appelle de ses vœux dans La condition noire [111]. Tout d’abord, elle en interroge les fondements : la « fabrication des Noirs » est ici envisagée à partir d’une analyse des pratiques sociales populaires plus que des discours identitaires, et dans la comparaison avec les trajectoires sociales d’autres minorités, comme les Corses [112]. La couleur y apparaît comme ayant une valeur explicative dans la constitution de groupes de souteneurs noirs, mais parmi d’autres facteurs, dans une véritable imbrication des questions sociales, raciales, migratoires et coloniales. Elle ne suffit pas à dessiner un caractère spécifique de l’expérience sociale ainsi partagée, donc à fonder un groupe social en tant que tel [113]. Qu’ils soient noirs ou corses, ce sont sans doute des mécanismes semblables qui entraînent de jeunes navigateurs dans des carrières de proxénètes, dont les formes sont identiques. À partir des cas étudiés, il paraît difficile, contrairement à ce que fait G. Chauncey concernant le gay New-York, de parler d’une subculture noire, du fait de cette appartenance commune des navigateurs, quelle que soit leur couleur de peau, à une subculture populaire ou portuaire, celle des vieux quartiers de la ville.
41 La question raciale a pourtant une spécificité et une résonance plus profonde que les origines régionales : en métropole, la couleur paraît prendre le pas sur le statut de colonisé quand il s’agit de désigner les individus, soit directement par leur couleur de peau, soit par un terme générique racialisé (Sénégalais). Cet effacement relatif des catégorisations coloniales, qui ne sont pas déterminantes, derrière les catégorisations raciales, fournit, dès lors que ces dernières ne sont pas teintées d’hostilité, des opportunités en termes de carrières illégales et de – relative – mobilité sociale. À Marseille et particulièrement dans le quartier réservé, la frontière se brouille entre barrière coloniale et barrière raciale : la ville apparaît ainsi comme un espace de négociation entre l’empire (au sens large, comprenant les Antilles) et la métropole. Des navigateurs noirs peuvent l’utiliser comme un espace d’ouvertures sociales, certes limitées. À partir des marges de manœuvre dont ils disposent, on peut dire que l’émigration vers la métropole, « par le seul fait qu’elle contribue à rompre avec la condition première du colonisé (du colonisé dans la colonie), [...] autorise une nouvelle vision du monde social et politique, une nouvelle représentation de la relation qu’on a avec le monde et de la position qu’on y occupe [114] ».
42 En 1927, C. McKay a peut-être croisé Sylla, dans quelque bar interlope du quartier réservé ou sur la place Vivaux. Leur couleur de peau était semblable mais partageaient-ils pour autant une même « expérience minoritaire », une même « condition noire » ? Peut-on faire une même histoire à partir des trajectoires d’un écrivain, certes bohème, et d’un souteneur assassiné par un rival ? Plus fondamentalement, l’objet « Noirs de France » est-il un objet historique cohérent, à cette époque ? Une histoire cumulative paraît ici difficile, ou risque d’être façonnée à partir de préoccupations identitaires sans doute légitimes, mais actuelles. La question se pose néanmoins de l’articulation collective de plusieurs histoires, correspondant à des espaces sociaux différents. D’ores et déjà, la prise en compte de la variable de couleur nous semble enrichir considérablement l’histoire sociale et constituer un défi qu’elle doit relever. Elle permet de mieux comprendre la multiplicité des milieux populaires français, aux composantes renouvelées par l’immigration issue des colonies ou d’ailleurs, et fournit des éléments pour analyser les luttes de classement en leur sein.
Date de mise en ligne : 13/01/2010
Notes
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[*]
Je remercie David B., auteur de bandes dessinées et érudit, qui m’a informé des épisodes dont il est question ici, et sans qui cet article n’aurait pas existé. Remerciements aussi pour leurs conseils et relectures à Nicolas Barreyre, Grégory Bekhtari, Carole Bellanger, Vanessa R. Caru, Sébastien Chauvin, Sylvain Cherkaoui, Jérémie Foa, Lilian Mathieu, Pap Ndiaye, Emmanuelle Sibeud, Julien Rochedy et Laureline Uzel.
-
[1]
- Claude MCKAY, Banjo, Marseille, A. Dimanche, [1928] 1999, p. 69-70.
-
[2]
- Archives départementales du Rhône (ci-après AD 69), non coté (NC), acte d’accusation.
-
[3]
- AD 69, NC, déposition de Léontine Valéry, 20 septembre 1929. Un barbeau est un proxénète en argot marseillais.
-
[4]
-Jean BAZAL, Le clan des Marseillais. Des nervis aux parrains, 1900-1988, Gémenos, Autres temps, [1989] 2006 ; Marie PAOLESCHI, Le milieu et moi, Paris, Fanval, 1987 ; Jérôme PIERRAT, Une histoire du milieu. Grand banditisme et haute pègre en France, de 1850 à nos jours, Paris, Denoël, 2003 ; Eugène SACCOMANO, Bandits à Marseille, Paris, Julliard, 1968. Ces enquêtes et témoignages fournissent de nombreux détails intéressants. Mais leurs auteurs consultent peu les archives, sinon de presse, privilégiant l’anecdote.
-
[5]
- Sur ce thème des représentations de la pègre marseillaise voir Laurence MONTEL, « Marseille capitale du crime. Histoire croisée de l’imaginaire de Marseille et de la criminalité organisée (1850-1940) », thèse de doctorat, université Paris X-Nanterre, 2008.
-
[6]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 65-69 ; M. PAOLESCHI, Le milieu et moi, op. cit., p. 121-123.
-
[7]
- José GIOVANNI, La scoumoune, Paris, Gallimard, 1958.
-
[8]
- AD 69, NC ; Le Soleil du Midi, 11 juillet 1930.
-
[9]
- Nous envisageons la race comme une construction sociale et non comme une donnée biologique ou génétique. Il faut entendre dans le même sens l’adjectif « racial » utilisé sans guillemets.
-
[10]
- Tyler E. STOVALL, Paris noir : African Americans in the City of Light, Boston, Houghton Mifflin, 1996.
-
[11]
- Philippe DEWITTE, Les mouvements nègres en France, 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1985.
-
[12]
- Ibid., p. 283.
-
[13]
- Pap NDIAYE, La condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008, p. 137.
-
[14]
- Marc MICHEL, Les Africains et la Grande Guerre. L’appel à l’Afrique (1914-1918), Paris, Karthala, 2003, p. 86.
-
[15]
- Brigitte BERTONCELLO et Sylvie BREDELOUP, « Le Marseille des marins africains », Revue européenne des migrations internationales, 15-3, 1999, p. 177-197. Voir aussi la description du monde cosmopolite du IVe canton, fief électoral de Simon Sabiani dans les années 1920, lieu privilégié pour les marins, dans Paul JANKOWSKY, Communism and collaboration : Simon Sabiani and politics in Marseille, 1919-1944, New Haven, Yale University Press, 1989, p. 3-7. T. STOVALL, Paris noir..., op. cit., p. 109, se livre aux mêmes descriptions : « Au début du XXe siècle, Marseille accueille une population diverse de navigateurs au long cours, de marins et autres travailleurs des ports venus de la Méditerranée, de l’empire français et d’au-delà » (traduction de l’auteur).
-
[16]
- P. DEWITTE, Les mouvements nègres en France..., op. cit., p. 134 et 198-202. Le Comité de défense de la race noire comme le Syndicat nègre comptent à peu près 250 membres chacun.
-
[17]
- Alain CORBIN, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (19 e siècle), Paris, Flammarion, [1978] 1982, p. 86 ; Marie-Françoise ATTARD-MARANINCHI, « Prostitution et quartier réservé à Marseille au début du XXe siècle », in Y. KNIBIEHLER (dir.), Marseillaises. Les femmes et la ville : des origines à nos jours, Paris, Éd. Côté femmes, 1993, p. 174-186 ; Anne-Marie ARBORIO, « Bars et meublés, ou la prostitution privée de rue (début du 20e siècle) », in P. FOURNIER et S. MAZZELA (dir.), Marseille entre ville et ports. Les destins de la rue de la République, Paris, La Découverte, 2004, p. 226-241. Si l’activité même de souteneur n’est à l’époque pas forcément répréhensible pénalement, les activités afférentes touchent à l’illégalisme. Sur les carrières déviantes : Howard S. BECKER, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, A. M. Métailié, [1963] 1985.
-
[18]
- Lilian MATHIEU, La condition prostituée, Paris, Textuel, 2007, chap. 2, p. 24-40. Cette notion d’espace prostitutionnel permet d’analyser les relations d’interdépendance entre les différents acteurs de la prostitution et de « rendre compte à la fois du mode d’existence des collectifs que forment les individus qui partagent un même statut déviant et des logiques spécifiques dans lesquelles ceux-ci sont en quelque sorte ‘pris’ et qui orientent leurs conduites, représentations ou encore rapports à leur condition ou à leurs pairs ».
-
[19]
- Archives départementales des Bouches-du-Rhône (ci-après AD 13), 4 M 891, lettre du commissaire central de la ville de Marseille au préfet des Bouches-du-Rhône, 23 décembre 1917.
-
[20]
- Sur la prostitution en temps de guerre : Luc CAPDEVILA et al., Hommes et femmes dans la France en guerre, 1914-1945, Paris, Payot, 2003, p. 136-147.
-
[21]
- AD 13, 4 M 891, lettre du général commandant de la 15e région, 9 novembre 1916. Sur la fragilisation des femmes seules en temps de guerre, voir J. Robert LILLY, La face cachée des GI’s. Les viols commis par des soldats américains en France, en Angleterre et en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, 1942-1945, Paris, Payot, 2003.
-
[22]
- AD 13, 4 M 891, rapport sur la prostitution par le commissaire central de Marseille, 20 août 1917. Il est difficile de disposer de davantage d’éléments sur le milieu prostitutionnel marseillais. A. CORBIN, Les filles de noce..., op. cit., p. 265-273, se base sur de nombreux rapports de surveillance policière, entre 1909 et 1913, pour donner un panorama de l’activité de trente-six maisons de rendez-vous, mais elles concernent une clientèle allant de la haute à la petite bourgeoisie et excluant les marins, ouvriers et militaires qui constituent à Marseille une bonne partie de la clientèle populaire.
-
[23]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 63-65.
-
[24]
- Le Petit Marseillais, 11 février 1919. Quelle que soit leur tendance politique, les journaux marseillais font la chronique détaillée, à partir des rapports journaliers des commissariats, des actes de délinquance ordinaire. Ils reprennent les mêmes informations, parfois au mot près, et nous nous sommes concentré sur le dépouillement du Petit Marseillais, journal populaire tirant à 200 000 exemplaires : Jean-Yves LE NAOUR, Marseille 1914-1918, Marseille, Qui Vive, 2005, p. 12.
-
[25]
- Archives municipales de Marseille, 1 I 546, lettre du commissaire central au maire, 11 février 1919.
-
[26]
- Sur les « bat’d’Af’ » : Dominique KALIFA, Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française, Paris, Perrin, 2009.
-
[27]
- Le Petit Marseillais, 4 avril 1919.
-
[28]
- Ibid., 24 juillet 1919.
-
[29]
- Ibid., 13 février 1920.
-
[30]
- AD 13, 163 U 2/263.
-
[31]
- Ibid., acte d’accusation, 2 août 1919.
-
[32]
- La jeune femme succombe à ses blessures en février 1919.
-
[33]
- AD 13, 163 U 2/263, acte d’accusation, 2 août 1919.
-
[34]
- Ibid., rapport de police, 19 décembre 1918.
-
[35]
- Ibid., déposition de Sereni, 4 décembre 1918.
-
[36]
- Le Petit Marseillais, 27 septembre 1920.
-
[37]
- AD 13, 163 U 2/263, lettre du commissaire de police chef de la Sûreté au commissaire central, 3 décembre 1938.
-
[38]
- Ibid., acte d’accusation, 2 août 1919.
-
[39]
- Ibid., lettre de Sodonou au procureur général, 31 octobre 1919.
-
[40]
- Ibid., procès-verbal du brigadier Casanova, 16 novembre 1918.
-
[41]
- Ibid., déposition de Sereni, 4 décembre 1918.
-
[42]
- A. CORBIN, Les filles de noce..., op. cit., p. 234.
-
[43]
- AD 13, 163 U 2/263, déposition d’Aline, 11 juin 1919.
-
[44]
- AD 13, 208 U 2/462.
-
[45]
- Le Petit Marseillais, 1er avril 1920 et 3 avril 1920.
-
[46]
- AD 13, 208 U 2/511 ; Le Petit Marseillais, 13 juillet 1919.
-
[47]
- AD 13, 208 U 2/513, déposition de G. Minisi.
-
[48]
- Les inscrits maritimes sont mentionnés comme navigateurs dans les registres du port.
-
[49]
- AD 13, 208 U 2/513, interrogatoire de R. Ziou Dou.
-
[50]
- C. MCKAY, Banjo, op. cit.
-
[51]
- Archives municipales de Marseille, 1 I 546, lettre du commissaire central au maire, 12 juin 1920.
-
[52]
- A. CORBIN, Les filles de noce..., op. cit., p. 100.
-
[53]
- James SCOTT, Domination and the arts of resistance : Hidden transcripts, New Haven, Yale University Press, 1990 ; Edward A. ALPERS et Matthew S. HOPPER, « Parler en son nom ? Comprendre les témoignages d’esclaves africains originaires de l’océan Indien (1850-1930) », Annales HSS, 63-4, 2008, p. 799-828.
-
[54]
- George CHAUNCEY, Gay New York, 1890-1940, Paris, Fayard, [1994] 2003, p. 43.
-
[55]
- Ibid., p. 21. Il ajoute : « La troisième raison pour laquelle nous avons oublié le monde gay d’avant-guerre est qu’il s’est développé dans des lieux si inattendus, et qu’il était si différent du nôtre que, bien souvent, nous ne savons même pas où chercher et ce qu’il y a à trouver. »
-
[56]
- AD 13, 208 U 2/462, notice individuelle de Lambert.
-
[57]
- Ibid., déposition de M. Dedieu, 17 juillet 1919.
-
[58]
-Marie-Françoise ATTARD-MARANINCHI, Le Panier, village corse à Marseille, Paris, Autrement, 1997.
-
[59]
- AD 13, 163 U 2/263, interrogatoire du 10 décembre 1918.
-
[60]
- Ibid., interrogatoire du 4 novembre 1918.
-
[61]
- Le Petit Marseillais, 16 juillet 1920.
-
[62]
- AD 13, 208 U 2/511, interrogatoire de F. Cicofran, 17 juillet 1920.
-
[63]
- Ibid., interrogatoire de G. Simplon, 12 novembre 1920.
-
[64]
- Ibid., déposition du 10 août 1920.
-
[65]
- Ibid., déposition du 2 et du 10 août 1920.
-
[66]
- Ibid., déposition du 4 août 1920.
-
[67]
- AD 13, 208 U 2/697.
-
[68]
- AD 13, 208 U 2/592.
-
[69]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 65-69.
-
[70]
- AD 13, 163 U 2/263, interrogatoire du 10 décembre 1918.
-
[71]
- Ibid., interrogatoires du 3 et du 4 novembre 1918.
-
[72]
- Une réflexion sur les catégories ethniques dépasse le propos de cet article. Sur ce sujet, voir Jean-Loup AMSELLE et Elikia M’BOKOLO (dir.), Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 2005.
-
[73]
-Archives nationales d’outre-mer, SLOTFOMIII, 109 sous-dossier no162CL, 27 juillet 1938. Deux notes sont particulièrement intéressantes : « Situation des Ouolofs dans la navigation métropolitaine » et « Vie des soussous et de quelques-uns des originaires de l’AOF dans la navigation métropolitaine ». Voir P. DEWITTE, Les mouvements nègres en France..., op. cit., p. 279-280.
-
[74]
- Le Petit Marseillais, 26 juin 1919 et 14 juillet 1920.
-
[75]
- Ibid., 16 juillet 1917.
-
[76]
- Ibid., 13 juillet 1920.
-
[77]
- AD 13, 208 U 2/511, lettre du procureur général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence aux préfets des Bouches-du-Rhône et de Gironde, 26 juillet 1956.
-
[78]
- Voir notamment le dossier AD 13, 208 U 2/474 : les « Sénégalais » Mamadou Ali et Samba Camara, nés à Konakry en Guinée, sont accusés d’avoir tiré en septembre 1919 sur des marins « Somalis », tuant Ali Gama, 25 ans, employé sur un bateau de la Royal Navy. Le lieu de naissance de la victime n’est pas précisé.
-
[79]
- Philippe RYGIEL, « Histoire des populations noires ou histoire des rapports sociaux de race », Le Mouvement social, 215, 2006, p. 81-86, ici p. 85.
-
[80]
- Le Petit Marseillais, 1er juin 1920.
-
[81]
- AD 13, 208 U 2/498. Dans la nuit du 2 au 3 juillet 1923, dans le quartier réservé, Fekir Belkacem tue Mahmoud ben Mohamed qui lui reproche d’avoir souffleté la fille soumise Fatna Gounani, maîtresse de ben Mohamed après avoir été celle de Belkacem. L’auteur du crime est accusé de vivre « du produit du vol, du jeu de bonneteau et de la prostitution d’autrui ».
-
[82]
- AD 13, 208 U 2/463. Dao Van Man, soldat indochinois ayant perdu ses facultés mentales, est tué par un jeune homme, Dante Giansoldati, après avoir été poursuivi par des habitants le prenant pour un loup-garou.
-
[83]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 65-69.
-
[84]
- Le Petit Marseillais, 1er-2 mai 1919 ; ibid., 4 mai 1919 ; AD 13, 208 U 2/710. Cette dernière référence concerne le meurtre de Fredenucci par son gendre Baptistin Basso mais elle fournit des renseignements sur le passé de la victime. Le dossier concernant les assassinats perpétrés en 1919 a disparu.
-
[85]
-Gérard NOIRIEL, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle). Discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007, p. 159-162.
-
[86]
- Le Petit Marseillais, 9 avril 1919.
-
[87]
- AD 13, 4 M 891, lettre du commissaire central de Marseille au préfet des Bouches-du-Rhône, 23 décembre 1917.
-
[88]
- AD 13, 4 M 2306, lettre du commissaire central de Marseille au préfet des Bouches-du-Rhône, 19 février 1917.
-
[89]
- AD 13, 208 U 2/591.
-
[90]
- Le Petit Marseillais, 24 janvier 1920.
-
[91]
- Jean-Yves LE NAOUR, La honte noire. L’Allemagne et les troupes coloniales françaises, 1914-1945, Paris, Hachette, 2003.
-
[92]
- AD 13, 4 M 891, lettre au préfet du 14 janvier 1921.
-
[93]
- M. MICHEL, Les Africains et la Grande Guerre..., op. cit., p. 124.
-
[94]
- Voir pour comparaison les procès des souteneurs Damien Bocagnano et Demetrio Martin, AD 13, 208 U 2/428 et 208 U 2/454.
-
[95]
- Le Petit Marseillais, 7 mars 1920.
-
[96]
- AD 69, NC, procès-verbal d’interrogatoire du 14 septembre 1929.
-
[97]
- AD 13, 163 U 65.
-
[98]
- Même si la Corse relève de la métropole et si ses habitants occupent une place importante parmi le personnel colonial, elle reste l’une des régions françaises les plus pauvres, éloignée des lieux de pouvoir. Les Corses ne bénéficient pas à Marseille, comme dans les colonies, des positions privilégiées offertes aux fonctionnaires coloniaux : thèse en cours de Vanina PROFIZI, « La Corse et les Corses dans la colonisation française en Afrique », sous la direction d’E. M’Bokolo, EHESS.
-
[99]
- Sur le racisme entre Corses et Noirs, P. NDIAYE, La condition noire..., op. cit., p. 135, évoque les « Corses regardés comme franchement racistes » par les soldats noirs, du fait des possibilités d’ascension sociale offertes aux Corses par le service colonial, où ils sont surreprésentés.
-
[100]
- P. DEWITTE, Les mouvements nègres en France..., op. cit., p. 217-251. Étudiante martiniquaise à Paris, Jane Nardal participe à la fin des années 1920 à la revue La Dépêche africaine et invente, sur le modèle d’ « afro-américain », le terme d’afro-latinité pour concilier culture africaine et apports latins du colonisateur.
-
[101]
- Ibid., p. 279.
-
[102]
- St. Clair DRAKE et Horace R. CAYTON, Black metropolis : A study of Negro life in a northern city, Chicago, The University of Chicago Press, [1945] 1993.
-
[103]
- AD 13, 208 U 2/269.
-
[104]
- St. C. DRAKE et H. R. CAYTON, Black metropolis..., op. cit. ; Robert E. WEEMS, Black business in the Black metropolis : The Chicago Metropolitan Assurance Company, 1925-1985, Bloomington, Indiana University Press, 1996. Il y a des éléments sur la reconversion dans le commerce des marins noirs à Marseille, après 1945, dans B. BERTONCELLO et S. BREDELOUP, « Le Marseille des marins africains », art. cit., et dans Daouda KONE, « Les mobilités des Noirs africains dans l’aire métropolitaine marseillaise », thèse de doctorat en sociologie, université Toulouse-Le Mirail, 1999.
-
[105]
- J. BAZAL, Le clan des Marseillais..., op. cit., p. 69.
-
[106]
- François Spirito, un Italien, dirige avec lui la pègre marseillaise. D’autres familles corses comme les Guérini prennent une grande importance à la Libération : J. PIERRAT, Une histoire du milieu..., op. cit.
-
[107]
- P. JANKOWSKY, Communism and collaboration..., op. cit.
-
[108]
- AD 69, NC.
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[109]
- Le grand nombre d’agents de police d’origine corse impliqués dans ces affaires est frappant : Leca et Mattéi par exemple, pour ne citer que ceux qui ont été blessés.
-
[110]
- P. DEWITTE, Les mouvements nègres en France..., op. cit., p. 109.
-
[111]
- P. NDIAYE, La condition noire..., op. cit., p. 111-112.
-
[112]
- P. RYGIEL, « Histoire des populations noires... », art. cit., p. 86.
-
[113]
- Ibid., p. 81-86.
-
[114]
-Abdelmalek SAYAD, La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Éd. du Seuil, 1999, p. 137, cité par Jim HOUSE, « De la métropole comme espace de réflexion sur les liens entre colonisation immigration et racisme (1945-1962) », in N. L. GREEN et M. POINSOT (dir.), Histoire de l’immigration et question coloniale en France, Paris, La Documentation française, 2008, p. 23-30, ici p. 23.