Durant toute la première moitié du siècle, les Mémoires ont, quantitativement et surtout qualitativement, périclité. Les classes détentrices du pouvoir n’en ont, il est vrai, jamais abandonné la pratique, mais l’ont poursuivie sur un mode mineur, et sans que les écrivains, identifiés par Albert Thibaudet comme un nouveau relais possible, aient véritablement pris la relève, soit pour raison d’abandon (Maurice Barrès, successeur putatif d’un Chateaubriand, n’a jamais tiré de ses Cahiers le récit attendu), soit par glissement vers d’autres formes comme le récit d’enfance (la première partie de Si le grain ne meurt ou Sido), le journal intime (Paul Léautaud, Julien Green, André Gide…) et les souvenirs de la vie littéraire (Laurent Tailhade, Francis Carco, Maurice Martin du Gard…), soit enfin par mépris pour ce genre suranné aux yeux des avant-gardes. Une formule des Champs magnétiques livre une antidéfinition parfaite du genre : « Les mémoires sont pleins de ces sombres sinistrés qui revenaient des vieilles civilisations et se regardaient à la dérobée dans des eaux qu’ils avaient pris soin de troubler. »
Deux facteurs ont néanmoins préparé un réinvestissement futur de la matrice mémoriale. Le premier n’est autre que la révolution d’Octobre et l’instauration d’un régime bolchevique, application à l’échelle de l’un des plus grands pays de la doctrine marxiste, conformément à un principe directeur formulé par Giambattista Vico, propagé sous le coup de la Révolution française puis amplement débattu tout au long d…
Date de mise en ligne : 20/08/2024