Dans La Transparence intérieure, Dorrit Cohn oppose au monologue autonome, grâce auquel le lecteur a directement accès aux pensées du personnage, la « grande majorité des romans à la première personne », qui, selon elle, « se donnent pour des mémoires écrits (par exemple David Copperfield ou Félix Krull), ou pour un récit d’abord oral puis transcrit par un auditeur ». Paradoxalement, leur fréquence supposée n’empêche pas la poéticienne d’ignorer ces formes traditionnelles du récit rétrospectif au profit des différentes variantes du monologue, tant ladite « transparence » s’est confondue au xxe siècle avec l’expression de la vie intérieure la plus intime, parfois même la plus informulée.
L’évolution du roman moderne donne raison à Dorrit Cohn, qu’il s’agisse 1) de l’invention, par Proust, d’une forme de récit rétrospectif, difficilement situable, mêlant reconstitution exacte du passé le plus éloigné et analyse d’états révolus par un sujet énonciateur à la compétence souveraine, 2) des débats nés de la traduction d’Ulysse, qui conduisirent à trouver au monologue intérieur une origine nationale en la personne d’Édouard Dujardin, avant l’acclimatation de ce procédé par Valery Larbaud, Albert Cohen ou Claude Simon, 3) des figures de conteur chez Jean Giono ou Louis-Ferdinand Céline semblant interpeler sans médiation le lecteur, 4) de la permanence tout au long du siècle de romans dialogués, depuis Jean Barois de Roger Martin du Gard jusqu’à Tu ne t’aimes pas de Nathalie Sarraute (en passant pa…
Date de mise en ligne : 20/08/2024