Si La Distinction analyse les goûts dans les domaines de la culture légitime (musique, peinture, etc.), ce livre affirme également leur continuité avec des goûts ordinairement tenus pour plus « vulgaires », notamment ceux de la bouche et du palais, et il réserve une place de choix à l’alimentation. Pierre Bourdieu considère même qu’il s’agit du domaine où s’affirme le plus explicitement et le plus efficacement le principe de dénégation des pulsions, propre aux classes dominantes. Dès la page 20 du livre, le lecteur est invité à s’intéresser aux différences entre « riz au lait », « riz au gras », ou encore « riz au curry » (« sans parler du “riz complet” qui évoque à lui seul tout un style de vie », dit Bourdieu) pour saisir la signification sociale des pratiques. L’alimentation forme d’ailleurs quasiment l’essentiel de la partie centrale du chapitre trois, « L’homologie entre les espaces » : dans cette partie, Bourdieu part des goûts alimentaires pour mettre en évidence le caractère transposable des habitus, et faire apparaître les principes structurants des styles de vie des différents groupes sociaux.
Ces développements ont suscité des discussions, en particulier pour la vision « misérabiliste », ou inversement « populiste », qu’ils pouvaient donner des goûts des classes populaires [Grignon et Grignon, 1980 ; Grignon et Passeron, 1989]. Mais il semble que l’alimentation ait été perdue de vue par les chercheurs davantage intéressés par les pratiques bourgeoises, et questionnant leur caractère uniquement excluant mis en avant dan…