Ce que je vais dire sur le je ne va pas vous emmener vers les hauteurs philosophiques, mais vous aidera sûrement à réfléchir sur ce qui a été enfant en vous, avant de devenir cet être « de paroles » dont a parlé Ricœur. Or, dès l’origine, l’enfant est parole, mais s’ignore comme tel. Comme moi, aujourd’hui. Je n’ai pas de papier, comme vous voyez. Mais moi, dont je est témoin, a fait la promesse à François Wahl de parler de la façon dont un être humain en vient à s’exprimer vis-à-vis des autres, en disant je ; j’oserais dire : en jouant le jeu de l’ « être parmi les autres », en entrant dans le code relationnel ; ce jeu, je crois qu’il ne peut pas ne pas le vivre, la solitude étant intolérable à l’être humain, qui est un être social.
La particularité de mon témoignage – moi qui justement n’ai pas de formation philosophique – , c’est d’être celui d’une psychanalyste qu’avec le temps, et l’expérience des années, je suis arrivée à être, je crois. En tout cas, je suis devenue, grâce aux enfants, psychanalyste de l’être humain, dans l’état dit infans, c’est-à-dire de bébés qui seraient morts à toute relation s’ils n’en avaient pas noué une avec un psychanalyste. Oui, il y a des enfants qui meurent à la relation, après bien des déboires somatiques : dysfonctionnements, désordres de l’organisation physiologique qui est à la base du continuum vital. Or, c’est à partir de ces troubles que se pose la question : qui parle ? de quoi ? à qui ? à propos de quoi ? Nous, psychanalystes, sommes constamment dans ce travail avec les êtres humains, avec les enfants…