Qu’est-ce que la prématurité ?
1La définition de l’accouchement prématuré, formulée par l’Organisation mondiale de la santé (oms) et l’International Federation of Gynecology and Obstetrics (figo), se fonde sur l’analyse statistique de la distribution de l’âge gestationnel à la naissance, basée sur le premier jour des dernières règles. Cette définition correspond à la naissance avant 37 semaines accomplies, c’est-à-dire 259 jours. Elle ne correspond pas au concept plus pédiatrique de prématurité, soit un manque de développement des différents organes et systèmes (en particulier respiratoire), au moment de la naissance.
2Cette définition pourrait d’ailleurs être revue en fonction de différents facteurs dont le plus important semble être une différence ethnique, puisque l’on observe une différence d’une semaine dans l’âge moyen d’accouchement des enfants de femmes noires et asiatiques, comparé aux femmes blanches, cela étant confirmé par une maturité accrue de ces enfants, y compris en dessous de 37 semaines par rapport aux enfants européens.
3L’incidence de la prématurité est relativement stable, mais varie selon les pays entre 5 et 10 %. Ce taux stable de prématurité, malgré les progrès constants de la médecine, pose question. L’absence de réduction du taux de prématurité et de thérapeutique vraiment efficace [1] peut probablement être expliquée par l’absence de cause unique à la prématurité et une physiopathologie mal connue.
4Les médiateurs de la mise en travail prématuré sont multiples. Plusieurs études ont souligné l’hétérogénéité des causes de l’accouchement prématuré, à tel point que certains, comme Roberto Romero, parlent plutôt du « syndrome de l’accouchement prématuré » (Romero et coll., 2006). Il est toutefois important de dégager, avant d’aborder ce point des mécanismes proprement dits, certains facteurs de risque mis en évidence lors de diverses études épidémiologiques. Après ajustement pour des variables confondantes et le statut socio-économique, sept facteurs de risque majeurs sont associés au travail prématuré :
- un indice de masse corporelle (imc = poids/taille2) inférieur à 20, a un odds ratio (or) proche de 4 comparé à une population contrôle ;
- un antécédent d’accouchement prématuré donne un risque de récidive de 20 à 50 %, d’autant plus important que l’âge gestationnel du précédent accouchement prématuré était précoce ;
- un antécédent de petit poids de naissance inférieur à 2 500 g ;
- la station debout plus de 2 heures/jour ;
- un antécédent de décollement placentaire pour la grossesse en cours ;
- les infections urinaires, dont le dépistage est donc essentiel en consultation prénatale ;
- un titre professionnel
- l’anxiété et le stress dans les 3 derniers mois précédant la survenue de l’accouchement prématuré.
« Syndrome de l’accouchement prématuré »
5Avant de se pencher plus longuement sur les facteurs endocriniens potentiellement liés au stress, il est utile d’aborder les éléments intervenant dans ce « syndrome de l’accouchement prématuré ». Ces différents facteurs sont rarement isolés et peuvent d’ailleurs parfois être mis en relation avec ceux liés au stress :
- Il semble évident qu’il existe un lien de causalité entre infection-inflammation et accouchement prématuré. En effet, on retrouve jusqu’à 73 % de chorio-amnionites lors de césariennes effectuées après le début d’un travail spontané avant 30 semaines d’âge gestationnel. Cette colonisation bactérienne chorio-déciduale va entraîner une réponse non seulement maternelle locale inflammatoire, avec augmentation de cytokines et chémokines telle tnf-alpha, différentes interleukines dont l’interleukine-6, mais également une réponse fœtale à l’inflammation ayant pour conséquence une augmentation de corticotropine releasing hormone (crh), entraînant elle-même une augmentation de production de cortisol par les surrénales fœtales.
- Lorsqu’il n’y a pas d’infection, d’autres lésions d’ischémie utéro-placentaire sont également observées tant du côté fœtal que du côté maternel, avec des artères spiralées présentant des signes d’athérose ou de thrombose.
- La distension mécanique des fibres musculaires lisses ainsi que des membranes, phénomène appelé « stretching », entraîne l’activation de différentes voies enzymatiques ayant pour conséquences notamment la synthèse de prostaglandines et la sécrétion d’enzymes permettant une dégradation du collagène présent dans les membranes fœtales et dans le col.
- L’unité fœto-placentaire peut être considérée comme la réussite d’une allogreffe et certaines pathologies comme les fausses couches à répétition, le retard de croissance et la prééclampsie, sont suspectées d’être des réactions immunitaires anormales contre l’antigène « étranger » fœtal. Dans l’accouchement prématuré, certaines lésions placentaires sont similaires à celles observées dans ces différentes pathologies.
- Les phénomènes allergiques sont en réalité une liaison d’immunoglobulines de type IgE à un antigène (l’allergène). Ce complexe se lie à des cellules appelées mastocytes qui libèrent alors des substances telles l’histamine et les prostaglandines ; ces substances peuvent induire une contractilité myométriale. Les phénomènes allergiques sont donc des mécanismes pouvant entraîner des contractions utérines.
- La béance cervico-isthmique est une cause bien connue de fausses couches tardives du deuxième trimestre. Cependant, elle peut se présenter également sous la forme d’un accouchement prématuré avec une ouverture du col sans contraction utérine significative, et également sous la forme d’un accouchement à terme anormalement rapide. Cette insuffisance du col peut être due à des anomalies congénitales (col hypoplasique tel que rencontré dans l’exposition in utero au diéthylstylbestrol), suite à un traumatisme chirurgical (conisation pour lésions cervicales précancéreuses) ou traumatique comme rencontré lors des dilatations cervicales associées aux avortements ou fausses couches.
- Œstrogènes et progestérone sont les hormones présentes en concentration importante durant la grossesse. Les œstrogènes ont montré leur capacité à augmenter la contractilité myométriale et la maturation du col. En revanche, l’action de la progestérone est inverse, avec une diminution de la contractilité du myomètre et de la formation de jonctions intercellulaires, une inhibition de la maturation du col et une diminution de la production de certaines interleukines par les membranes amniotiques. Les mécanismes par lesquels l’action de la progestérone au moment de l’accouchement est inhibée restent obscurs. Il pourrait s’agir d’une réduction de la biodisponibilité, d’une action sur les récepteurs, d’une compétition par du cortisol…
Médiateurs de l’accouchement prématuré potentiellement liés au stress
Rôle du crh
6Le crh est un neuropeptide initialement mis en évidence dans l’hypothalamus, mais également retrouvé dans le placenta (cytotrophoblaste et syncytiotrophoblaste), dans l’amnios, le chorion, les cellules déciduales et les cellules endométriales. Les récepteurs de cette hormone sont présents tant dans les membranes fœtales que dans le muscle utérin.
7L’importance du crh dans le mécanisme de l’accouchement vient du fait que ce facteur stimule la production de prostaglandines et d’ocytocine en potentialisant l’action de celles-ci sur le muscle utérin. La régulation de ce facteur est complexe, avec une diminution de sa production placentaire par la progestérone et l’oxyde nitrique (no), et au contraire une augmentation de sa production placentaire secondaire aux glucocorticoïdes, d’une part, et l’interleukine-1, la noradrénaline, et l’acétylcholine d’autre part.
8Une autre action du crh placentaire est également de stimuler directement la production de stéroïdes par les surrénales fœtales (déhydroépiandrostérone sulfate) et indirectement, par une stimulation de production d’hormone corticotrope (acth) par la glande pituitaire fœtale. Cela pourrait avoir de l’importance au regard de la possible intervention de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien fœtal dans le processus de déclenchement de l’accouchement.
9Durant la grossesse, on observe une augmentation progressive de la sécrétion de crh qui diminuera rapidement après l’accouchement puisqu’on retrouve des taux similaires à une femme non enceinte à 1 à 5 jours du post-partum.
10Il ne faut pas oublier le rôle crucial de la protéine porteuse du crh (crhbp) produite principalement dans le foie, mais également dans le placenta et les membranes fœtales. La présence de cette protéine prévient l’augmentation du crh durant le 3e trimestre de la grossesse. D’autre part, on observe une décroissance rapide de cette protéine porteuse, 4 à 6 semaines avant le début du travail à terme, ce qui laisse penser que ce phénomène est susceptible d’intervenir dans le processus de déclenchement de l’accouchement.
11Ces mécanismes complexes de la régulation de la production du crh sont illustrés par la figure suivante :
Liens biologiques entre stress et accouchement prématuré
12Nous avons vu plus haut que le crh est biologiquement impliqué dans l’apparition de contractions. Plusieurs études montrent que le stress maternel est associé à une augmentation du taux plasmatique de crh. Il a été en effet démontrée une corrélation positive entre l’anxiété maternelle mesurée spécifiquement durant la grossesse et le taux de crh entre 28 et 30 semaines de gestation. D’autre part, plusieurs études ont aussi montré une corrélation positive entre le taux de crh mesuré vers la mi-grossesse et au 3e trimestre ; celui-ci étant plus élevé chez les mères à risque d’accouchement prématuré. On observe ainsi des risques relatifs d’accouchement prématuré augmentés de 3 à 4 fois. De plus, les patientes ayant un accouchement après le terme ont des taux de crh significativement plus bas durant le troisième trimestre.
13Outre le risque d’accouchement prématuré, il a également été montré une relation entre le taux de crh, et donc potentiellement le stress, et le risque de retard de croissance intra-utérin, puisque les taux les plus élevés de ce crh mesurés au 3e trimestre sont souvent associés à ce risque de retard de croissance intra-utérin.
14Il est intéressant de noter que le stress lié à la grossesse peut avoir une influence ethnique : il est plus important chez la femme noire que chez la femme blanche ; on peut peut-être y voir, dans ces études réalisées aux États-Unis, un lien indirect avec des facteurs socio-économiques souvent défavorables au sein de la population noire.
15Le crh n’est cependant pas la seule molécule liée au stress ; en effet, on peut observer une augmentation de la production de cytokines pro-inflammatoires liées au stress. D’autre part, l’augmentation du stress peut induire une susceptibilité à l’infection qui, elle-même, va augmenter la production de cytokines (également vecteurs d’accouchement prématuré). Ces cytokines (particulièrement l’interleukine-1, interleukine-6 et tnf-alpha) vont jouer leur rôle par augmentation de la synthèse de prostaglandines. Plusieurs études ont démontré d’ailleurs un lien entre l’interleukine-6 dans le liquide amniotique au 2e trimestre et le risque d’accouchement prématuré.
16Un mécanisme protecteur est d’autre part mis en place par une augmentation de cortisol qui, elle, va diminuer la production de cytokines proinflammatoires.
17Le stress peut également avoir des effets indirects, notamment sur les comportements de la femme enceinte vis-à-vis du tabac ou de l’alimentation. En effet, il est démontré qu’une mauvaise alimentation et le tabagisme sont associés à l’accouchement prématuré.
18Nous avons vu plus haut que l’inflammation et l’infection sont des médiateurs importants de l’accouchement prématuré. Il est aussi possible que le stress maternel puisse moduler l’immunité locale au niveau du placenta et générale de la mère, en augmentant la susceptibilité à l’infection et/ou l’inflammation intra-utérine. En effet, on observe que les hormones liées au stress, particulièrement les glucocorticoïdes, inhibent certaines fonctions lymphocytaires et leucocytaires de même que la sécrétion de certaines cytokines telles l’interleukine-2 et l’interféron-gamma générant une certaine immunodépression.
Stress et cortisol maternel
19À propos des médiateurs du travail, il est intéressant de noter que si le rôle du crh (entre autres en lien avec le stress) dans le risque d’accouchement prématuré est établi, celui du cortisol est moins évident. Le taux de cortisol mesure l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Il peut être dosé dans la salive ; il est le plus élevé 20 à 30 minutes après le réveil et le plus bas vers minuit [2]. Durant la grossesse, on constate une augmentation progressive du cortisol et un taux plus élevé pendant la grossesse qu’en post-partum.
20Plusieurs études montrent une relation entre augmentation du cortisol maternel et diminution du bien-être psychologique maternel. Il existe une certaine corrélation entre le taux de cortisol et le niveau de stress perçu. Mais aucune étude n’a démontré un lien entre le cortisol salivaire maternel et le risque d’accouchement prématuré.
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