Notes
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[1]
SAGE, Université de Strasbourg, isabelle.laboulais@unistra.fr.
-
[2]
The Royal Society, Science as an open enterprise, Londres, juin 2012, royalsociety.org/~/media/Royal_Society_Content/policy/projects/sape/2012-06-20-SAOE.pdf.
-
[3]
Ces savoirs d’institution sont définis comme ceux par lesquels « se construisent, s’incarnent et se naturalisent des formes d’autorité qui légitiment l’action des institutions ». Steve Bernardin, Étienne Penissat, « Savoirs d’institution », dans Hélène Michel, Sandrine Lévêque, Jean-Gabriel Contamin (dir.), Rencontres avec Michel Offerlé, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2018, p. 398.
-
[4]
Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir, 2002, p. 113.
-
[5]
Mener une enquête à couvert sur la place de la science ouverte dans le milieu de l’édition scientifique aurait permis de dépasser le parti pris qui transparaît dans ce texte. Jay Rowell a récemment montré les apports de cette démarche : « Production et reproduction disciplinaire dans une grande université de recherche française », Sociologie, vol. 13, No3, 2022, p. 261-278.
-
[6]
Olivia chambard, « Entre familiarité et étrangeté : enquêter sur un autre monde de l’enseignement supérieur », Terrains/Théories, No10, 2019, p. 2.
-
[7]
François Buton, « Histoires d’institutions. Réflexions sur l’historicité des faits institutionnels », Raisons politiques, No40, 2010, p. 21-42.
-
[8]
Quentin Fondu, Mélanie Sargeac et Aline Waltzing, « États d’esprit », Savoir/Agir, No59-60, 2022, p. 6.
-
[9]
Delphine Cavallo, « Revues.org : l’invention de l’édition électronique scientifique, entre libre accès et modèle économique pérenne », Mémoires du livre/Studies in Book Culture, vol. 1, No1, 2019. id.erudit.org/iderudit/038638ar.
-
[10]
La lettre ouverte de Public Library of Science, début 2001, publiée le 26 mars 2004 à l’adresse : openaccess.inist.fr/la-lettre-ouverte-de-public-library-of-science.
-
[11]
« Puisque les articles de revues devraient être diffusés aussi largement que possible, ces nouveaux périodiques n’invoqueront plus le droit d’auteur pour restreindre l’accès et l’utilisation du matériel qu’ils publient. Puisque le prix constitue un obstacle à l’accès, ces nouvelles revues ne factureront pas l’abonnement ou l’accès, et se tourneront vers d’autres méthodes pour couvrir leurs frais. Il existe, pour cette fin, de nombreuses sources de financement alternatives, parmi lesquelles les institutions et les gouvernements qui financent la recherche, les universités et laboratoires qui emploient les chercheurs, les dotations allouées par discipline ou par institution, les amis de la cause du libre accès, les profits générés par la vente d’enrichissements apportés aux textes de base, les fonds libérés par la transformation ou la disparition des périodiques. » Déclaration de Budapest, 14 février 2002, budapestopenaccessinitiative.org/read/french-translation.
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[12]
Déclaration de Berlin sur le Libre Accès à la Connaissance en Sciences exactes, Sciences de la vie, Sciences humaines et sociales, 2003, ouvrirlascience.fr/declaration-de-berlin-sur-le-libre-acces-a-la-connaissance-en-sciences-exactes-sciences-de-la-viesciences-humaines-et-sociales.
-
[13]
Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, op. cit., p. 110-123.
-
[14]
Yves Gingras, « Les transformations de la production du savoir : de l’unité de connaissance à l’unité comptable », Zilsel, 2018, No4, p. 139-152.
-
[15]
Philip Mirowski, « Hell is truth seen too late », Zilsel, 2018, No3, p. 171.
-
[16]
The Royal Society, Science as an open enterprise, op. cit.
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[17]
Il cite le Ronin Institute, le Center for Open Science, OpenscienceASAP, le UK Open Data Institute, le PCORI, la Laura and John Arnold Foundation.
-
[18]
Isabelle Bruno, À vos marques, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008 ; Franz Schultheis, Marta Roca i Escoda, Paul-Frantz Cousin (dir.), Le cauchemar de Humboldt. Les réformes de l’enseignement supérieur européen, Paris, Raisons d’agir, 2008.
-
[19]
Vincent Geisser, « Les revues savantes face à l’idéologie du “darwinisme managérial” : une lutte oui, mais pour quelle survie ? », Migrations Société, No179, 2020, p. 7-8.
-
[20]
Marc Schiltz, « Why Plan S », Science Europe, 4 septembre 2018, coalition-s.org/why-plan-s.
-
[21]
Ghislaine Charton, « Stratégie, politique et reformulation de l’open access », Revue française des sciences de l’information et de la communication, No8, 2016, rfsic.revues.org/1836.
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[22]
Le site de l’ANR détaille ses engagements en matière de science ouverte : « Le coordinateur ou la coordinatrice et les partenaires des projets financés par l’ANR à partir de 2022 s’engagent à : 1. rendre disponible en libre accès, toute publication scientifique issue d’un projet, en utilisant la licence Creative Commons CC-BY ou équivalente, […] ; 2. déposer, au plus tard au moment de la publication, le texte intégral (manuscrit accepté pour publication ou version éditeur) dans l’archive ouverte HAL avec mention de la référence ANR du projet de recherche (ex : ANR-22-CE64-0001) dont elle est issue. » anr.fr/fr/lanr/engagements/la-science-ouverte, consulté le 12 avril 2023.
-
[23]
Loi pour une République numérique, loi du 7 février 2016, legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033202746.
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[24]
« La science ouverte est la diffusion sans entrave des publications et des données de la recherche. Elle s’appuie sur l’opportunité que représente la mutation numérique pour développer l’accès ouvert aux publications et – autant que possible – aux données de la recherche. » URL : ouvrirlascience.fr/plan-national-pour-la-science-ouverte/.
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[25]
La traduction française du livre de Peter Suber, l’un des signataires de la déclaration de Budapest, marque cette évolution puisque le titre original Open Access est devenu Qu’est-ce que l’accès ouvert ? Dans sa préface, Marin Dacos revient sur la nuance entre libre accès et accès ouvert : « Le terme open signifie “ouvert”, et non “libre”. Il implique donc que le texte d’un article en open access est ouvert en lecture, sans barrière juridique, technique ou commerciale. Mais il ne dit rien des possibilités de réutilisation du document. Par conséquent, stricto sensu, l’open access lève les barrières à l’accès et maintient toutes les protections du droit d’auteur sur les textes, ce qui signifie qu’ils ne peuvent être reproduits ou modifiés qu’après une autorisation explicite, dans le cadre d’un contrat de cession de droit. », Peter Suber, Open Access, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 2012. Le livre a été traduit en français : Peter Suber, Qu’est-ce que l’accès ouvert ? nouvelle édition, Marseille, OpenEdition Press, 2016, books.openedition.org/oep/1600.
-
[26]
Juliette Galonnier, Stefan Le Courant, Anthony Pecqueux et Camille Noûs, « Ouvrir les données de la recherche ? », Tracés. Revue de Sciences humaines, No19, 2019, p. 17-33. Le « moment données » étudié dans ce numéro hors-série de Tracés observe les enjeux de la science ouverte articulés aux exigences de transparence et de réplicabilité ; il questionne l’évolution des cadres législatifs sur les données personnelles ; et l’extension du domaine du renseignement. « Ces trois mouvements trouvent un point de jonction sur la question des données de la recherche, qui cristallisent des enjeux à la fois politiques, scientifiques, infrastructurels, éthiques et législatifs : open science, réplicabilité, développement de nouvelles solutions techniques, protection des données personnelles, surveillance de la recherche, etc. » (p. 32)
-
[27]
« Développement des bonnes pratiques, Ouvrir la science ! », ouvrirlascience.fr/guide-dapplication-de-la-loi-numerique/?menu=4, consulté le 13 avril 2023.
-
[28]
FAIR est l’acronyme de « Findable, accessible, interoperable, reusable ». À ces injonctions, vient s’ajouter l’obligation pour les chercheurs en sciences sociales de se soumettre à des dispositifs d’enquête encadrés par des comités d’éthique. La protection accrue des enquêtés (formulaires de consentement, droit de regard sur la recherche, risques de procès) rend de plus en plus périlleux l’accès ouvert à certains types de données. Sur cette question, on verra notamment le dossier récent « L’éthique et le politique : la localisation sociale des savoirs dans les sciences sociales » publié dans Sociologie et sociétés, (2020, vol. 52, No1) et coordonné par Emmanuelle Bernheim et Frédéric Parent. On verra aussi le dossier publié par Genèses : « Le procès de données », en particulier l’article de Johanna Siméant-Germanos, « Qui protéger, consentir à quoi, enquêter comment ? Les sciences sociales face à la bureaucratisation de la vertu scientifique », Genèses, No129, 2022, p. 66-87.
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[29]
Le baromètre indique le taux d’accès ouvert année par année des « publications scientifiques avec un DOI Crossref, parues » : barometredelascienceouverte.esr.gouv.fr, consulté le 13 avril 2023.
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[30]
Le site donne également accès aux résultats des « baromètres locaux », produits par chaque établissement. Ces chiffres centralisés par le ministère sont produits par les établissements qui les publient eux-mêmes sur leur site, en précisant la manière dont ils se situent par rapport à la moyenne nationale.
-
[31]
Philip Mirowski, « Hell is truth seen too late », art. cit., p. 179.
-
[32]
Musselin Christine, La grande course des universités, Paris, Presses de Sciences Po, 2017.
-
[33]
Vincent Dubois, « L’action de l’État, produit et enjeu des rapports entre espaces sociaux », Actes de la recherche en sciences sociales, No201-202, 2014, p. 24.
-
[34]
« Le réseau doit aider chaque établissement à élaborer sa politique en la matière, en contribuant à l’information des établissements et surtout, par des discussions régulières, favoriser l’échange d’informations et de bonnes pratiques entre établissements, et faciliter autant que faire se peut une coordination nationale. » Voir : ouvrirlascience.fr/reseau-de-referentsscience-ouverte-a-la-cpu.
-
[35]
Philippe Aldrin, Pierre Fournier, Vincent Geisser, Yves Mirman, « Quand l’autonomie des universités menace l’autonomie des universitaires », AOC, 7 juin 2022, aoc.media/analyse/2022/06/06/quand-lautonomie-des-universites-menace-lautonomie-desuniversitaires.
-
[36]
Pierre Henriet, Laure Darcos, Pierre Ouzoulias, Rapport au nom de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Pour une science ouverte réaliste, équilibrée et respectueuse de la liberté académique, 9 mars 2022 : senat.fr/notice-rapport/2021/r21-573-notice.html.
-
[37]
« Le 1er décembre 2022, le centre national de la recherche scientifique (CNRS) a demandé à ses agents “d’appliquer la stratégie de non-cession des droits d’auteur” et donc de ne pas respecter les dispositions de l’article L. 533-4 du code de la recherche. Le 14 décembre 2022, France université a invité “les établissements d’enseignement supérieur et de recherche à annoncer officiellement leur soutien à cette exigence”. Enfin, l’agence nationale pour la recherche (ANR), dans son règlement financier relatif aux modalités d’attribution des aides, approuvé le 30 juin 2022, impose à ses bénéficiaires de mettre à disposition sous licence libre les publications issues des projets qu’elle finance. » Question écrite No04630 de M. Pierre Ouzoulias(Hauts-de-Seine, CRCE), publiée dans le JO Sénat du 29 décembre 2022, p. 6758, senat.fr/questions/base/2022/qSEQ221204630.html.
-
[38]
Environ 6 000 titres paraissent chaque année.
-
[39]
Les revues « diamant » est une expression dont l’usage s’est généralisé depuis 2021 pour réunir dans une même catégorie les revues en accès ouvert qui n’impliquent aucun coût ni pour l’auteur, ni pour le lecteur.
-
[40]
Voir ouvrirlascience.fr/publication-dune-etude-sur-les-revues-diamant, consulté le 13 avril 2023.
-
[41]
Caroline Dandurand, « Préfiguration d’une structuration collective des éditeurs scientifiques publics engagés dans la science ouverte », Rapport de recherche, Comité pour la science ouverte, 2022, p. 74-75, hal-03713434.
-
[42]
Arnaud Saint-Martin, « L’édition scientifique “piratée”. Passage en revue et esquisse de problématisation », Zilsel, No4, 2018, p. 193.
-
[43]
Associée à l’appel de Jussieu, la « bibliodiversité » est définie ainsi dans le lexique ad hoc : « dans le monde de l’édition, correspond à la diversité des acteurs de l’édition, par opposition à la concentration éditoriale. Cela correspond aussi à la diversité des formes éditoriales (revues, ouvrages, encyclopédies…) et des langues ». Appel de Jussieu pour la science ouverte et la bibliodiversité, 16 janvier 2018 : openaccess.inist.fr/appel-de-jussieu-pour-la-science-ouverte-et-la-bibliodiversite/.
- [44]
-
[45]
Javier Lopez Alos, « Critique de la raison précaire. La vie intellectuelle face à l’obligation de l’extraordinaire », Tracés. Revue de sciences humaines, No40, 2021, p. 184.
-
[46]
C. Noûs-Aussi, « Tensions éditoriales en contexte de science ouverte », Mouvements, No113, 2023, p. 52-64.
-
[47]
Johanna Siméant-Germanos, « Qui protéger, consentir à quoi, enquêter comment ? », art. cit., p. 87.
- [48]
-
[49]
Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, op. cit., p. 113.
-
[50]
L’AMI propose deux types de contributions, certaines consacrées « à l’épistémologie ou à la compréhension des pratiques scientifiques », d’autres « entendront plutôt apporter une contribution aux politiques publiques de recherche, en fournissant des données, des outils de mesure ou d’évaluation, et en formulant des propositions et des recommandations. »
-
[51]
Jean-Michel Berthelot, « Plaidoyer pour un pluralisme sous contraintes », Revue européenne des sciences sociales, vol. XLI, No126, 2003, p. 35-49.
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[52]
Pierre Bourdieu, « La cause de la science. Comment l’histoire sociale des sciences sociales peut servir le progrès de ces sciences », Actes de la recherche en sciences sociales, No106-107, 1995, p. 10.
1 Parmi les mythologies de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR), la « science ouverte » occupe une place de choix. Son histoire a commencé dans les années 1990, avec l’émergence de l’open access, sorte de mirage qui, grâce au développement du World Wide Web, a rendu pensable un accès sans limites à l’ensemble des savoirs produits par les chercheuses et les chercheurs. Au cours de la décennie suivante, l’open access a été balisé par diverses déclarations, sortes de textes fondateurs qui, en s’appuyant sur l’ethos caractéristique du champ scientifique – diffusion des connaissances dépourvue d’entraves – ont pu faire croire que cette utopie pourrait advenir. L’open access est ainsi devenu un mot d’ordre, voire une forme de militantisme, dont la légitimité reposait essentiellement sur la volonté de soustraire la circulation des connaissances scientifiques aux logiques du marché. En dépit de ces mots d’ordre vertueux, au cours des années 2010, l’open access a progressivement revêtu une autre forme. Les « déclarations » ont été remplacées par des « plans », européens puis nationaux, qui ont intégré l’open access au périmètre d’une nouvelle catégorie de politiques publiques : la « science ouverte » [2]. Ouvrir l’accès à toutes les publications scientifiques est ainsi devenu l’un des éléments d’une politique plus globale visant à partager systématiquement les résultats et les données issues de toutes les recherches financées par des fonds publics.
2 Tout en rappelant comment l’acte militant s’est trouvé englouti par les logiques darwiniennes et néo-managériales de la recherche, je propose d’esquisser les processus par lesquels la « science ouverte » est devenue un champ spécifique de l’action publique et la manière dont un savoir d’institution s’est structuré autour de cet objet qui pèse de plus en plus directement sur les pratiques de recherche [3]. Bien que la rhétorique convoquée mette en avant la réappropriation par les chercheurs et les chercheuses des fruits de leur travail, la « science ouverte » est devenue un problème public, administré par différentes catégories d’experts qui se chargent aujourd’hui de formuler des recommandations pour réformer ce secteur de l’ESR. Les plans nationaux et le premier bilan de la politique de « science ouverte » menée par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) illustrent bien la coexistence identifiée par Pierre Bourdieu de deux espèces de capital scientifique : « un capital d’autorité proprement scientifique et un capital de pouvoir sur le monde scientifique, qui peut être accumulé par des voies qui ne sont pas purement scientifiques (c’est-à-dire notamment au travers des institutions qu’il comporte) et qui est le principe bureaucratique de pouvoirs temporels sur le champ scientifique. » [4]
3 Avant d’aborder la manière dont la « science ouverte » a peu à peu investi le champ scientifique, je voudrais mentionner quelques éléments qui permettront de situer mon analyse. À partir du printemps 2015, parallèlement à mon travail d’enseignante-chercheuse en histoire moderne, j’ai occupé plusieurs fonctions dans le champ de l’édition scientifique (direction de presses universitaires, référente scientifique d’un pôle de soutien aux revues de SHS au sein d’une MSH, membre du Comité pour la science ouverte, membre du Conseil scientifique d’OpenEdition, etc.). Ma motivation tenait essentiellement au projet – que, plus loin, je qualifie de naïf – de favoriser la circulation des savoirs. Avec le temps, j’ai pris conscience que d’autres logiques étaient à l’œuvre derrière ce « mouvement vertueux » et j’ai progressivement mis un terme à chacun de mes engagements éditoriaux afin de regarder ce champ à bonne distance [5]. Ce texte est donc motivé par une évidente « pulsion de dénonciation » [6], mais aussi par une tentative d’y voir clair, nourrie notamment par la lecture de travaux sur les savoirs d’institution [7]. Cette approche critique me conduit à considérer désormais la science ouverte comme particulièrement emblématique d’une mécanique dangeureuse qui conduit à se retrouver parfois « bien malgré nous, les relais de ces réformes et de leur esprit » [8]. Je me contente de proposer ici quelques jalons qui, en aucun cas ne peuvent se substituer à un travail d’enquête. Il reste en effet indispensable d’objectiver les lieux, les gestes et les pratiques à l’œuvre dans les instances mises en place par le MESRI et dans les universités françaises, afin notamment d’identifier les trajectoires des promoteurs de la science ouverte en France, les relais qu’ils ont pu trouver auprès des hauts fonctionnaires, les modalités d’exercice de leur expertise.
Chercheurs versus éditeurs : mobiliser au nom de l’open access
4 Les années 1990 ont non seulement été marquées par l’essor d’Internet mais, de manière concomitante, par un processus de concentration des grandes maisons d’édition internationales qui ont monétisé l’accès aux savoirs scientifiques et ont usé de leur position pour accroître les coûts des abonnements aux revues scientifiques. L’open access a été bâti en réaction à l’influence croissante des logiques marchandes dans la circulation des connaissances produites par les chercheuses et les chercheurs. Le refus légitime de la captation privée des résultats de recherches financées par l’argent public a suscité un mouvement international en faveur de l’open access. Il s’agissait à la fois de promouvoir la diffusion large des résultats des recherches et de réduire les dépenses publiques imposées par l’accroissement du coût des abonnements aux publications scientifiques. Ce contexte a entraîné la création des premières plateformes d’édition en libre accès : Scielo en Amérique latine en 1998, puis revues.org en France l’année suivante [9]. Dès 2001, la Lettre ouverte de Public Library of Science (PLoS) a revendiqué à son tour la « création d’une bibliothèque publique en ligne qui fournirait le contenu intégral des résultats publiés de la recherche et des textes scientifiques dans le domaine de la médecine et des sciences du vivant sous une forme en libre accès. » La création de la bibliothèque publique numérique était notamment présentée dans ce texte comme une manière de renforcer « la productivité scientifique », avec la conviction qu’elle « servirait de catalyseur au rapprochement de communautés disparates de connaissances et d’idées dans le domaine des sciences biomédicales » [10]. En dépit de son ancrage originel (les sciences biomédicales), ce modèle s’est progressivement imposé à l’ensemble des domaines disciplinaires.
5 Au cours des années suivantes, plusieurs « déclarations » ont proposé un cadre à cette nouvelle manière de diffuser les résultats des recherches : en 2002, la déclaration de Budapest a établi les principes de l’open access ; en 2003, celle de Béthesda a caractérisé l’édition dans ce même contexte, puis celle de Berlin a affirmé le « libre accès à la connaissance en sciences exactes, sciences de la vie, sciences humaines et sociales ». Au gré de ces déclarations signées par des chercheurs liés à différentes disciplines, l’open access s’est trouvé progressivement défini comme un mouvement de diffusion gratuite de la production scientifique sur le Web encourageant le dépôt dans des archives ouvertes des résultats des travaux et la création de revues alternatives [11]. À l’image des proclamations enthousiastes des encyclopédistes du 18e siècle, la déclaration de Berlin défendait la volonté de promouvoir le « libre accès comme une source universelle de la connaissance humaine et du patrimoine culturel ayant recueilli l’approbation de la communauté scientifique. » [12] Le préambule de la déclaration de Budapest évoquait même « la volonté des scientifiques et universitaires de publier sans rétribution les fruits de leur recherche dans des revues savantes, pour l’amour de la recherche et de la connaissance. » Ces textes défendaient des valeurs et faisaient abstraction des rapports de force et des enjeux de domination qui caractérisent l’acte de publier, de même qu’ils passaient sous silence le poids du capital symbolique propre à chaque revue. Le champ scientifique y apparaissait au contraire comme un espace neutre [13], dépourvu de rapports de force. La manière dont la diffusion des savoirs est représentée dans ces textes apparaît d’autant plus naïve qu’on l’apprécie rétrospectivement, en connaissant certaines des conséquences de l’ouverture : en particulier l’essor de la bibliométrie et du classement des revues [14]. On sait en particulier aujourd’hui que la généralisation des pratiques de mesure supposées objectives par les bureaucraties chargées d’administrer la recherche, a paradoxalement constitué l’un des socles du succès des éditeurs Springer ou Elsevier.
6 Ce premier moment de l’histoire de l’open access, essentiellement marqué par une réflexion menée de manière autonome par les communautés scientifiques, reste marqué par une lutte en faveur de l’ouverture des contenus, revendiquée au nom du partage des savoirs. Cette définition utopique de l’open access produite par les chercheurs et les chercheuses a continué de nourrir la rhétorique développée au sein de la bureaucratie de la recherche, non sans créer un hiatus entre les discours et les politiques mises en œuvre.
La science ouverte à l’ère de la « science darwinienne »
7 À partir des années 2010, le succès de l’open access a conduit les institutions à s’approprier le mot d’ordre pour lui adjoindre des normes assorties d’incitations et de sanctions. Philip Mirowski a présenté ces dispositifs comme relevant d’une « campagne néolibérale pour la science ouverte » [15] menée par la British Royal Society [16], ainsi que par « toutes sortes d’obscurs instituts et groupes de réflexion » qui par la suite chantèrent « les vertus de l’open science » [17]. Dès 2012, l’Union européenne (UE) a publié à son tour une recommandation qui invitait chaque État membre à définir une politique nationale en matière de « science ouverte ». En 2016, à l’occasion de la présidence néerlandaise de l’UE, l’appel d’Amsterdam a prophétisé qu’en 2020, tous les articles scientifiques seraient librement accessibles en Europe. Comme le précise le communiqué de presse publié le 27 mai 2016 : « Les États membres entendent ainsi optimiser la réutilisation des données de la recherche ». Puis, sans qu’aucun lien ne soit explicitement énoncé, le texte se poursuit ainsi : « Ils élaborent également un visa valable dans toute l’UE pour les start-up ». La conception sous-jacente de la recherche qui transparaît ici renvoie à celle promue dès mars 2000 par la déclaration de Lisbonne qui s’engageait à créer un espace européen de la recherche et de l’innovation à l’horizon 2020 [18]. Cette conception s’est peu à peu imposée dans le cadre de la recherche financée sur fonds publics ; elle a contribué à faire valoir une conception de la science avant tout compétitive promue au sein des bureaux et commissions, par des référents « science ouverte » qui sont apparus dans les organigrammes ministériels et universitaires.
8 Le plan S publié en septembre 2018 a poursuivi cette logique tout en cherchant à contrer les politiques menées par les grands éditeurs qui après avoir racheté la plupart des revues autrefois indépendantes ont entraîné l’explosion du coût des abonnements [19]. Le préambule du plan S rappelle ainsi « que les publications scientifiques sur les résultats de la recherche financée sur fonds publics accordés par des agences de recherche ou des organismes de financement nationaux ou européens, doivent être publiées dans des revues ou sur des plateformes en accès libre. » Dix principes détaillent ensuite les conditions de mise en œuvre de cette recommandation, le dernier précise : « Les organismes de financement veilleront à ce que les recommandations ci-dessus soient appliquées et sanctionneront les pratiques qui s’en éloignent. » [20] Progressivement, les agences de financement de la recherche ont fait de l’open access un moyen de contrôler les investissements consentis [21] et cette catégorie est devenue un ressort de la « science ouverte » parmi d’autres [22]. Les injonctions à faire évoluer les pratiques se sont multipliées, elles ont été complétées par des procédures de contrôle et ont contribué à élargir le périmètre d’intervention des instances administrant la « science ouverte » à l’échelle des États comme des établissements.
9 En France, un premier cadre a été posé en 2016 par la loi pour une République numérique [23], puis la mise en œuvre d’une politique de « science ouverte » a été inaugurée par le premier « Plan national pour la science ouverte » présenté par Frédérique Vidal le 4 juillet 2018. Il s’ouvre par une définition qui inclut les objectifs de l’open access dans un dispositif où les publications sont placées sur le même plan que les données de la recherche [24]. L’ouverture – qui met un terme aux hésitations observées en France sur la manière de traduire « open » [25] – est présentée, d’une part, comme un levier capable de faire advenir une science « plus cumulative, plus fortement étayée par des données, plus transparente, plus rapide et d’accès plus universel » [26] ; d’autre part, comme la condition de possibilité d’une « démocratisation de l’accès aux savoirs, utile à la recherche, à la formation, à l’économie, à la société ». L’argument de l’efficacité de la recherche et des ressorts de l’innovation apparaît dans un second temps pour cautionner l’ancrage du plan français dans les politiques européennes de l’appel d’Amsterdam. Ce plan est décliné en trois axes : généraliser l’accès ouvert aux publications, structurer et ouvrir les données de la recherche, s’inscrire dans une dynamique durable, européenne et internationale. Pour chacun de ces axes, les principes sont exposés et les mesures essentielles listées. Dans la version téléchargeable, une phrase, placée entre guillemets, est isolée – probablement pour mettre en avant l’idée centrale de chaque axe. Ces trois phrases construisent une vision de la « science ouverte » qui reprend les principes fondateurs de l’activité scientifique mobilisés dans les déclarations des années 2000 rédigées par les chercheurs : « La recherche scientifique est un bien commun que nous devons partager avec tous » ; « Les données de la recherche sont la matière première de la connaissance. Les partager c’est ouvrir de nouvelles perspectives scientifiques » ; « La France s’engage pour que la science ouverte devienne la pratique quotidienne par défaut des chercheurs ». En revanche, des politiques mises en œuvre au sein du ministère et dans les universités – dont certaines détournent cette image d’une communauté scientifique homogène –, rien n’est dit. Le document de douze pages se termine par un lexique et une bibliographie, deux instruments qui permettent de circonscrire un domaine, de performer l’existence de ce qui peut apparaître comme un nouveau savoir d’institution.
Instituer la science ouverte comme champ d’expertise
10 Les promoteurs de la science ouverte qui exercent leurs fonctions au sein du MESRI ont veillé à instituer ce savoir et à légitimer leur posture en inventant des connaissances et des méthodes spécifiques.
11 En 2018-2019, un groupe d’une quinzaine de personnes a été chargé de produire « des guides de bonnes pratiques et des recommandations à l’usage des acteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur (chercheurs, décideurs, ingénieurs, administratifs) à partir d’une analyse du contexte réglementaire et législatif, national et européen pour le développement des bonnes pratiques de science ouverte. » [27] L’ouverture des données s’est également accompagnée de l’instauration d’un nouveau lexique : la « FAIRisation » des données a ainsi fait son apparition dans les appels d’offres pour caractériser des données « faciles à trouver, accessibles, interopérables et réutilisables » [28]. Un espace numérique propre à la science ouverte – le site Ouvrons la science – a d’ailleurs été créé pour diffuser ces « bonnes pratiques » ainsi que d’autres ressources et rendre publiques les actions du Comité pour la science ouverte. Ce site publie les « belles histoires » afin de montrer « comment la science ouverte contribue à la connaissance et à sa diffusion ». Le récit qui est ainsi construit juxtapose des événements qui relatent des usages disparates de la « science ouverte », dans des contextes particuliers et des disciplines spécifiques. Le site héberge aussi le « baromètre français de la science ouverte » qui a pour objectif de « mesurer l’évolution des pratiques de science ouverte en France à partir de données fiables, ouvertes et maîtrisées ». Ce baromètre ne désigne pas seulement un mode d’affichage du taux d’ouverture des publications scientifiques françaises [29], il s’agit d’un véritable instrument d’action publique qui produit des « indicateurs détaillés sur l’accès ouvert aux publications scientifiques » et permet de suivre le respect des injonctions établissement par établissement [30]. Cet onglet du site « Ouvrons la science » n’est pas sans faire songer au « panoptique de la science » évoqué par Mirowski [31]. Dans le contexte de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et de l’emprise des « politiques de site » sur la diffusion des résultats des travaux des chercheurs et des chercheuses, ce baromètre fait la promotion d’une « économie de la connaissance » qui met en concurrence celles et ceux dont les recherches sont jugées bénéfiques pour l’excellence du site. C’est ce même mouvement qui conduit à faire de chaque établissement une marque dont l’image doit être sans cesse valorisée au point qu’elle devient un élément central de la politique de recherche d’un établissement [32]. Des bonnes pratiques aux belles histoires, en passant par le baromètre, le site « Ouvrons la science » révèle la manière dont la « science ouverte » a été instituée par le MESRI comme un domaine autonome, doté de son vocabulaire, de son histoire, de ses professionnels. Toutes les données ainsi réunies constituent un savoir d’institution composé de « principes et croyances hybrides, produits dans les transactions entre un champ et les champs politique et bureaucratique » [33].
12 Cette acception de la science ouverte – vue comme un savoir d’institution – s’est implantée aussi à l’échelle des sites universitaires, notamment depuis qu’un référent « science ouverte » a été nommé au sein de chaque établissement pour faire exister localement ce domaine de l’action publique. Un réseau des référents « science ouverte » a d’ailleurs été créé au sein de la CPU et se réunit huit fois par an [34]. Ces « experts » sont à la fois les interlocuteurs de la ministre et les maîtres d’œuvre des déclinaisons locales de la politique de science ouverte. Ils ont en charge son volet événementiel – avec, par exemple, l’organisation de l’open access week – ainsi que son volet pédagogique afin d’inciter les enseignants-chercheurs à déposer leurs travaux dans une archive ouverte. Depuis 2020, l’heure n’est d’ailleurs plus au prosélytisme puisque le dépôt des travaux est devenu obligatoire dans la plupart des établissements, certains se sont même dotés d’une archive institutionnelle ouverte (LilleOA à l’université de Lille, UnivOAK à l’université de Strasbourg, etc.), interopérable avec HAL. L’injonction de déposer sur une plateforme d’archives ouvertes le texte intégral en version auteur de toute publication nouvellement acceptée contribue à l’émergence d’un « nouveau régime de dépendance et souvent de surveillance à l’égard des professionnels avec lesquels doit composer la conduite de leur activité de recherche » [35]. Pierre Ouzoulias, co-auteur en mars 2022, avec Laure Darcos et Pierre Henriet, d’un rapport intitulé Pour une science ouverte réaliste, équilibrée et respectueuse de la liberté académique [36], est revenu sur ce sujet le 29 décembre 2022 avec la question qu’il a adressée à la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ; il a notamment insisté sur la liberté des chercheurs de choisir leur support de publication et a pointé les contradictions qui apparaissent entre les nouvelles injonctions émises par le CNRS et France Université d’une part et le code de la recherche de l’autre [37]. En effet, la science ouverte qui a été conçue à partir de l’engagement des chercheurs et des chercheuses pour accéder librement aux résultats de leurs travaux répondait à une situation dont pâtissaient les sciences exactes et biomédicales. Si les mathématiciens ont retrouvé leurs manières de faire, la situation des chercheurs en sciences humaines et sociales est plus compliquée. D’une part parce que les livres restent pour eux un support de diffusion essentiel produit pour partie par des éditeurs publics (les presses universitaires), pour partie par des éditeurs privés [38]. D’autre part, parce que les revues, environ 1700, n’ont pas été rachetées par les grands éditeurs emblématiques du capitalisme numérique. Si les archives ouvertes institutionnelles peuvent contribuer à « ouvrir » les contenus, de même que certaines plateformes qui hébergent des revues « diamant » en accès ouvert [39], ces supports ne sont pas porteurs du même capital symbolique que les livres et les revues, ces disparités se manifestent notamment dans le cadre des recrutements. Malgré tout, une étude commandée par la Coalition S, financée par Science Europe et présentée en mars 2022, a recommandé de rationaliser le soutien à ces revues « diamant » qui « dépendent en grande partie de bénévoles, d’universités et de gouvernement pour fonctionner » [40]. Si les éditeurs commerciaux sont diabolisés dès qu’il est question de « science ouverte » – ce qui peut s’entendre pour Elsevier mais devrait être nuancé quand il s’agit d’éditeurs indépendants – l’ingérence des éditeurs publics ancrés dans les établissements ne semble guère à même de garantir l’autonomie des chercheurs. Au contraire, les « politiques de site » privilégiées dans le soutien apporté aux revues « diamant », comme dans les fonctions traditionnellement dévolues aux « presses universitaires », semblent favoriser la mainmise des établissements sur les structures éditoriales. Cela paraît d’autant plus préoccupant au moment où les éditeurs publics sont appelés par le MESRI à normaliser leurs manières de faire au sein d’une « alliance » censée permettre « un repositionnement des éditeurs scientifiques publics dans leurs organismes de rattachement en tant qu’acteurs de la science ouverte », « l’inscription de ces structures dans les politiques science ouverte des établissements de rattachement » et « la mise en œuvre de la science ouverte pour leurs publications » [41]. Si la généralisation de la « science ouverte » est censée faire émerger un « écosystème de la publication scientifique » à la fois « ouvert, éthique et transparent » en lieu et place de l’actuel monde de l’édition scientifique [42], la tutelle des établissements de rattachement n’apparaît pas comme le meilleur gage de l’ouverture. On peut au contraire se demander s’ils ne sont pas appelés à devenir des « opérateurs locaux » de l’accès ouvert qui pourraient être mobilisés pour remplir tout à la fois l’objectif de la loi de programmation de la recherche (LPR) – atteindre 100 % de publications en accès ouvert en 2030 – et celui du deuxième plan national pour la science ouverte – en faire « la pratique commune et partagée, encouragée par l’ensemble de l’écosystème international de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ». Pour y parvenir, la « bibliodiversité » est présentée, dans le deuxième plan pour la science ouverte, comme la piste la plus sûre. Promue par l’appel de Jussieu, la bibliodiversité a été conçue en opposition au principe des APC (Article processing charges) afin « que la communauté scientifique reprenne le contrôle du système éditorial » [43]. Pour le moment, les experts de la « science ouverte » semblent en première ligne de ce nouveau système éditorial.
13 Si des chercheurs et des chercheuses se sont battus dans premier temps pour reprendre le contrôle sur les résultats de la recherche face aux éditeurs commerciaux devenus propriétaires des revues les plus prestigieuses, les bureaucraties publiques ont par la suite fait de la « science ouverte » une ressource symbolique mobilisée pour défendre certaines fonctions – celles des managers de la recherche plutôt que celles des éditeurs – et suivre l’activité des chercheuses et des chercheurs. À l’opposé donc de ce qu’avaient imaginé les acteurs qui ont mené les premières batailles de l’open access, la « science ouverte » qui en a résulté est devenue un savoir d’institution outillé d’un puissant discours de légitimation et dotés de moyens de normalisation éditoriale et de surveillance. D’une reprise de contrôle des résultats des recherches par ses protagonistes, on est donc passé à une mission imposée et à une volonté d’agir « pour une prise en compte effective des pratiques de science ouverte dans les évaluations individuelles et collectives de la recherche » [44]. La « science ouverte » est bien sûr un mot d’ordre auquel on aimerait pouvoir souscrire avec enthousiasme et sans aucune réticence. Pourtant, un rapide coup d’œil jeté au monde académique suffit pour apercevoir les failles entre les lignes des vertueuses déclarations sur la démocratisation des savoirs, et pour constater la troublante simultanéité entre l’essor de la « science ouverte » et celui de la « raison précaire » commune aux éditeurs et aux chercheurs [45]. À la généralisation des CDD et des décalages grades/ fonctions imposés aux professionnels de l’édition, s’ajoutent « les risques de désubjectivation » auxquels celles et ceux qui éditent la science sont exposés [46]. Ces constats émanent d’une enquête en psychodynamique du travail menée par un collectif d’éditrices travaillant dans l’édition scientifique publique ; les résultats pointent en particulier la part croissante prise par le caractère technique dans leur contribution, aux dépens de la dimension intellectuelle de leur travail.
14 Avec beaucoup de clairvoyance, Johanna Siméant-Germanos a récemment souligné que « Tirer toutes les conséquences de ce principe [le principe fondateur de la science ouverte : les données produites avec l’argent public doivent être accessibles] supposerait d’abord que l’enseignement universitaire soit gratuit dans tous les pays qui veulent rendre les données gratuitement accessibles, ou que les firmes pharmaceutiques bénéficiant des fruits de la recherche lèvent tout brevet sur les vaccins. Il ne semble pas que ce soit le chemin pris aujourd’hui. » [47] L’appel à manifestation d’intérêt (AMI) publié par l’ANR le 19 avril 2023 et intitulé « Recherche sur les pratiques et les enjeux de la science ouverte » [48] vient rappeler, si c’était nécessaire, que les politiques publiques menées dans l’ESR sont animées par d’autres logiques. Cet AMI illustre parfaitement la façon dont le « capital de pouvoir sur le monde scientifique » [49] peut aller jusqu’à faire d’un savoir d’institution un objet de recherche [50].
« Là-dessus, de la pièce, il m’a fait un sommaire. », Molière, Les Fâcheux, Acte I, scène 1
Le volume s’ouvre par un éditorial invité d’Isabelle Laboulais, qui propose d’interroger et de « dénaturaliser » ce qu’il est désormais convenu d’appeler « la science ouverte ». Forte de son expérience dans l’édition scientifique, l’historienne montre comment des tenants influents de l’open science, parvenus à instaurer leurs visions et compétences en savoirs d’institution légitimes, ont rendu possible un contrôle bureaucratique aligné sur une mainmise d’ordre politique. L’enjeu est d’importance, toutes les revues scientifiques (pas seulement en sciences humaines et sociales) sont concernées par cette injonction à la science ouverte (qui part certes d’une bonne intention, et c’est en cela que c’est problématique), sans que les conséquences explicites de cette position d’autorité politique soient dûment explorées. Isabelle Laboulais invite ainsi à faire du champ de l’open access un terrain pour les sciences sociales, afin d’en étudier le fonctionnement in situ, et sur cette base, de construire par contraste une autre approche de la production scientifique.
La rubrique « Confrontations » inclut trois contributions sur des objets divers – prime à la curiosité. La première, de Camille Blachère, est consacrée aux expéditions pour l’observation des passages de Vénus au 18e siècle permet de situer, à la fin de l’époque moderne, la cristallisation de la figure de « l’astronome voyageur ». Des hommes, plutôt jeunes, liés, d’une façon ou d’une autre aux institutions de la science, une habitude gyrovague et une arrivée de fraîche date dans le champ astronomique : telles sont les lignes constantes que l’historienne parvient à repérer. Cependant, la présence du voyageur, dans les résultats finaux, se dissipe quelque peu : c’est la force probatoire de l’astronome patenté qui est requise. La tension reste, de toute façon, constante entre un ancrage disciplinaire dans les sciences des astres et des expériences de circonstance qui étendent les domaines d’investigation.
Dans son article, le sociologue Tangi Audinet investit la question de la constitution matérielle des œuvres intellectuelles. Le cas d’Idéologie et utopie (1929), ouvrage classique du sociologue d’origine hongroise Karl Mannheim, lui permet d’examiner les multiples lectures qui en ont été faites : le contexte de la parution allemande, marquée par la crise de Weimar ; l’édition anglaise qui en fait une introduction à la sociologie de la connaissance ; tandis que la version française est davantage ancrée dans le champ de la philosophie. Le jeu des préfaces, de l’avant-propos, des tables de matières à géométrie variable dessine les contours d’une réception plurielle, configurée pour des lectures composites et potentiellement fécondes, dont l’auteur rend compte de façon détaillée, en guise de contribution à la sociologie historique du texte scientifique.
Maxime Colleret propose, quant à lui, une enquête sociohistorique sur la commercialisation de la recherche à l’Université McGill entre 1930 et 1960. Dans un premier temps, l’élan pour le brevetage des inventions est important ; par la suite cependant, la conscience que le prestige obtenu par les résultats de la recherche scientifique, bien davantage que de la puissance marchande, modifie considérablement l’approche des dirigeants de l’université canadienne. Le « laisser faire » accordé aux chercheurs·euses en matière de brevet montre, au moins jusqu’à l’aube des années 1980, un accord général sur la domination du prestige savant dans l’appréciation générale des universités.
Matérialité des savoirs, rapport au commerce, enjeux du voyage, tels sont donc les thèmes de cette section « Confrontations ». On retrouve là les enjeux contemporains des recherches dans le champ des études sociales des sciences autour des conditions concrètes des pratiques savantes.
Le dossier « Frictions » porte sur les Principes de sociologie et l’Essai d’épistémologie pour les sciences sociales de l’anthropologue Alain Testart (1945-2013), tous les deux publiés en 2021. L’enjeu est d’importance car A. Testart a proposé rien de moins qu’une tentative de « science sociale intégrée » capable de soutenir l’ambition d’une perspective générale sur les mondes sociaux, qui fasse droit à un comparatisme rigoureux. Le dossier, ouvert par l’introduction de Julien Larregue et Alex Maignan, comprend un entretien avec Marc Joly et Valérie Lécrivain, éditeurs scientifiques des deux ouvrages précités d’A. Testart. Les deux spécialistes rappellent tous les enjeux de l’entreprise. Suivent un article exploratoire de Soazcik Kerneis, qui s’emploie à faire jouer les principes de l’anthropologue dans le champ du droit romain, puis un texte de Frédéric Lebaron à propos de leur pertinence dans le langage. Enfin, l’ensemble est clos par une « Lettre ouverte », parodique et ironique, dans laquelle Alain Testart revient sur la prohibition de l’inceste. L’anthropologue remettait ainsi en question, non sans humour, ce qui a été longtemps tenu pour un universel des comportements humains. Le texte est précédé d’une présentation de Valérie Lécrivain. L’ensemble du dossier permet d’apprécier l’importance des propositions qu’a laissées Alain Testart aux chercheurs·euses des sciences sociales pour faire du comparatisme non pas un moyen de se contenter de la dispersion des cas, mais un outil de possible généralisation.
Le « Libre-échange » de ce numéro est un dialogue au long cours mené par Johan Giry et Livia Velpry avec Alain Ehrenberg. Récapitulant un parcours riche d’engagements thématiques divers, le sociologue relate son ancrage dans les revues intellectuelles (Le Débat et surtout Esprit), ses terrains (l’armée, le sport, les drogues et, bien sûr, la maladie mentale), ses appuis institutionnels (notamment le CESAMES au début des années 2000), son positionnement vis-à-vis de la philosophie (en particulier sa lecture de Vincent Descombes) et ses investissements civiques, comme la présidence du Conseil national de la santé mentale. C’est un chapitre instructif de la sociologie française et de son histoire qui est ainsi couvert.
On y lira, au passage, des incises normatives sur l’état de la discipline et des clivages qui la traversent. Certaines prises de position nous (i.e. JL et ASM) paraissent pour le moins surprenantes (nous ne partageons pas du tout le diagnostic sur les sociologies « individualistes », dont celle de Pierre Bourdieu [!], les généralisations hâtives et pour tout dire aberrantes sur les sociologues « critiques » et/ou « de la domination », ou encore les réflexions sur « l’engouement cognitiviste du sens commun sociologique »), par moments même très questionnables (ne serait-ce que la validation du constat, aussi biaisé que politiquement situé, d’une militance « islamo-gauchiste » des SHS, ou bien encore, sur un terrain plus politique, la conviction que l’offre macroniste constituait une option viable en 2017…), et cela tranche avec bien d’autres points de vue argumentés dans les numéros antérieurs de Zilsel, par nous et par d’autres. Le fait de publier en l’état, ou non, cet entretien n’a pas fait consensus, mais tout bien réfléchi, c’est le minimum que de mettre en circulation de tels contenus. Car l’exigence de disputatio qui anime la revue depuis son lancement en 2017 (sans même parler des « billets » du Carnet Zilsel, initié il y a près de dix ans), combinée au souci du « pluralisme sous contraintes » [51], résume la position inconfortable mais désirable d’un ethos du « working dissensus » [52]. Il y a des chances que ces réflexions suscitent la discussion, et c’est donc tant mieux.
La section « Friches », dont l’objectif est d’explorer des terrains et des méthodes, porte la marque, dans ce numéro, de son orientation indéfectiblement éclectique. On y trouvera deux textes aux objets bien différents, mais qui ont en commun de chercher à étudier des objets qui paraissent résister à l’enquête du fait de leur caractère disons « inhabituel ». L’un de nous (ASM) propose d’analyser les facteurs qui président à la construction d’une « méga-fusée », à savoir le Space Launch System (SLS) de la NASA prévu pour le prochain transport d’humains vers la Lune. Des espaces de négociation et de confrontation politiques variés dans laquelle la décision prend corps jusqu’aux enjeux scientifiques, techniques, commerciaux et culturels qu’elle charrie, en passant par le travail continu de « space advocacy », c’est un périple dans la vie (de la) politique (technico-scientifique) états-unienne que l’on découvre. L’historienne médiéviste Laurence Molinier-Brogi, quant à elle, défait l’écheveau des représentations théâtrales, au Moyen Âge, de la médecine uroscopique. Apanage de la science la plus instituée, le thème de la lecture des urines est l’occasion, en littérature, de réinvestir les thèmes classiques de la sexualité ou du triangle amoureux. Ainsi, se trouve mis en circulation un objet de recherche alors très légitimé et censément réservé aux spécialistes.
Le « Classique » de ce numéro 12 est un article de l’historienne des sciences Hélène Metzger, « L’historien des sciences doit-il se faire le contemporain des savants dont il parle » (publié dans Archéion en 1933), consacré à la manière de lire les œuvres savantes d’une époque donnée. L’enjeu est de comprendre non pas seulement les résultats sanctionnés d’une recherche, mais les conditions concrètes de leur obtention. Informée par l’anthropologie de Lucien Lévy-Bruhl, attentive aux développements de l’histoire des mentalités, Hélène Metzger ouvre par ce texte un cycle de réflexions épistémologiques qui l’amènera à creuser les différences entre l’histoire et la philosophie des sciences. Il nous a semblé important de le rendre disponible à nouveau, et de poursuivre notre ambition de constituer une petite encyclopédie des textes et savant·es qui comptent.
Last, but not least, la rubrique « Critiques » rassemble cinq lectures d’ouvrages récents qui donnent à voir quelques-uns des mouvements contemporains de la recherche dans le domaine que nous nous efforçons de couvrir. Au menu : Stéphan Soulié propose une lecture approfondie de l’ouvrage de Valérie Tesnière, Au bureau de la revue. Une histoire de la publication scientifique (XIXe-XXe siècle), lequel interroge la « bibliographie matérielle » comme moyen de saisir les dynamiques éditoriales ; Ashveen Peerbaye rend compte du livre que Soraya de Chadarevian a consacré à l’histoire de l’hérédité et au génome humain, et qui retrace la dynamique de « molécularisation » des recherches dans ce domaine ; Alexandra Soulier expose l’intérêt heuristique et même pratique d’une philosophie des sciences féministe, que développe Sarah Richardson dans son ouvrage The Maternal Imprint ; Jean-François Bert, quant à lui, croise et « intercale » deux approches de l’observation : celle de Lucien Derainne sur la façon de concevoir l’acte d’observation entre 1750 et 1850, et celle de Nicolas Nova qui montre comment l’exercice savant d’observation à finalement irrigué une bonne part de nos attitudes ; enfin, les rédacteurs de ce sommaire (JL & ASM) proposent une recension de Gouverner la science. Anatomie d’une réforme (2004-2020), de Joël Lallier et Christian Topalov, auscultant les transformations contemporaines de la recherche française à partir notamment d’une sociologie de la classe bureaucratique qui met en œuvre ces mêmes bousculements de l’Enseignement supérieur et de la Recherche – en écho à l’éditorial invité d’Isabelle Laboulais : la boucle est, volens nolens, bouclée.
Notes
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[1]
SAGE, Université de Strasbourg, isabelle.laboulais@unistra.fr.
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[2]
The Royal Society, Science as an open enterprise, Londres, juin 2012, royalsociety.org/~/media/Royal_Society_Content/policy/projects/sape/2012-06-20-SAOE.pdf.
-
[3]
Ces savoirs d’institution sont définis comme ceux par lesquels « se construisent, s’incarnent et se naturalisent des formes d’autorité qui légitiment l’action des institutions ». Steve Bernardin, Étienne Penissat, « Savoirs d’institution », dans Hélène Michel, Sandrine Lévêque, Jean-Gabriel Contamin (dir.), Rencontres avec Michel Offerlé, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2018, p. 398.
-
[4]
Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir, 2002, p. 113.
-
[5]
Mener une enquête à couvert sur la place de la science ouverte dans le milieu de l’édition scientifique aurait permis de dépasser le parti pris qui transparaît dans ce texte. Jay Rowell a récemment montré les apports de cette démarche : « Production et reproduction disciplinaire dans une grande université de recherche française », Sociologie, vol. 13, No3, 2022, p. 261-278.
-
[6]
Olivia chambard, « Entre familiarité et étrangeté : enquêter sur un autre monde de l’enseignement supérieur », Terrains/Théories, No10, 2019, p. 2.
-
[7]
François Buton, « Histoires d’institutions. Réflexions sur l’historicité des faits institutionnels », Raisons politiques, No40, 2010, p. 21-42.
-
[8]
Quentin Fondu, Mélanie Sargeac et Aline Waltzing, « États d’esprit », Savoir/Agir, No59-60, 2022, p. 6.
-
[9]
Delphine Cavallo, « Revues.org : l’invention de l’édition électronique scientifique, entre libre accès et modèle économique pérenne », Mémoires du livre/Studies in Book Culture, vol. 1, No1, 2019. id.erudit.org/iderudit/038638ar.
-
[10]
La lettre ouverte de Public Library of Science, début 2001, publiée le 26 mars 2004 à l’adresse : openaccess.inist.fr/la-lettre-ouverte-de-public-library-of-science.
-
[11]
« Puisque les articles de revues devraient être diffusés aussi largement que possible, ces nouveaux périodiques n’invoqueront plus le droit d’auteur pour restreindre l’accès et l’utilisation du matériel qu’ils publient. Puisque le prix constitue un obstacle à l’accès, ces nouvelles revues ne factureront pas l’abonnement ou l’accès, et se tourneront vers d’autres méthodes pour couvrir leurs frais. Il existe, pour cette fin, de nombreuses sources de financement alternatives, parmi lesquelles les institutions et les gouvernements qui financent la recherche, les universités et laboratoires qui emploient les chercheurs, les dotations allouées par discipline ou par institution, les amis de la cause du libre accès, les profits générés par la vente d’enrichissements apportés aux textes de base, les fonds libérés par la transformation ou la disparition des périodiques. » Déclaration de Budapest, 14 février 2002, budapestopenaccessinitiative.org/read/french-translation.
-
[12]
Déclaration de Berlin sur le Libre Accès à la Connaissance en Sciences exactes, Sciences de la vie, Sciences humaines et sociales, 2003, ouvrirlascience.fr/declaration-de-berlin-sur-le-libre-acces-a-la-connaissance-en-sciences-exactes-sciences-de-la-viesciences-humaines-et-sociales.
-
[13]
Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, op. cit., p. 110-123.
-
[14]
Yves Gingras, « Les transformations de la production du savoir : de l’unité de connaissance à l’unité comptable », Zilsel, 2018, No4, p. 139-152.
-
[15]
Philip Mirowski, « Hell is truth seen too late », Zilsel, 2018, No3, p. 171.
-
[16]
The Royal Society, Science as an open enterprise, op. cit.
-
[17]
Il cite le Ronin Institute, le Center for Open Science, OpenscienceASAP, le UK Open Data Institute, le PCORI, la Laura and John Arnold Foundation.
-
[18]
Isabelle Bruno, À vos marques, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008 ; Franz Schultheis, Marta Roca i Escoda, Paul-Frantz Cousin (dir.), Le cauchemar de Humboldt. Les réformes de l’enseignement supérieur européen, Paris, Raisons d’agir, 2008.
-
[19]
Vincent Geisser, « Les revues savantes face à l’idéologie du “darwinisme managérial” : une lutte oui, mais pour quelle survie ? », Migrations Société, No179, 2020, p. 7-8.
-
[20]
Marc Schiltz, « Why Plan S », Science Europe, 4 septembre 2018, coalition-s.org/why-plan-s.
-
[21]
Ghislaine Charton, « Stratégie, politique et reformulation de l’open access », Revue française des sciences de l’information et de la communication, No8, 2016, rfsic.revues.org/1836.
-
[22]
Le site de l’ANR détaille ses engagements en matière de science ouverte : « Le coordinateur ou la coordinatrice et les partenaires des projets financés par l’ANR à partir de 2022 s’engagent à : 1. rendre disponible en libre accès, toute publication scientifique issue d’un projet, en utilisant la licence Creative Commons CC-BY ou équivalente, […] ; 2. déposer, au plus tard au moment de la publication, le texte intégral (manuscrit accepté pour publication ou version éditeur) dans l’archive ouverte HAL avec mention de la référence ANR du projet de recherche (ex : ANR-22-CE64-0001) dont elle est issue. » anr.fr/fr/lanr/engagements/la-science-ouverte, consulté le 12 avril 2023.
-
[23]
Loi pour une République numérique, loi du 7 février 2016, legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033202746.
-
[24]
« La science ouverte est la diffusion sans entrave des publications et des données de la recherche. Elle s’appuie sur l’opportunité que représente la mutation numérique pour développer l’accès ouvert aux publications et – autant que possible – aux données de la recherche. » URL : ouvrirlascience.fr/plan-national-pour-la-science-ouverte/.
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[25]
La traduction française du livre de Peter Suber, l’un des signataires de la déclaration de Budapest, marque cette évolution puisque le titre original Open Access est devenu Qu’est-ce que l’accès ouvert ? Dans sa préface, Marin Dacos revient sur la nuance entre libre accès et accès ouvert : « Le terme open signifie “ouvert”, et non “libre”. Il implique donc que le texte d’un article en open access est ouvert en lecture, sans barrière juridique, technique ou commerciale. Mais il ne dit rien des possibilités de réutilisation du document. Par conséquent, stricto sensu, l’open access lève les barrières à l’accès et maintient toutes les protections du droit d’auteur sur les textes, ce qui signifie qu’ils ne peuvent être reproduits ou modifiés qu’après une autorisation explicite, dans le cadre d’un contrat de cession de droit. », Peter Suber, Open Access, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 2012. Le livre a été traduit en français : Peter Suber, Qu’est-ce que l’accès ouvert ? nouvelle édition, Marseille, OpenEdition Press, 2016, books.openedition.org/oep/1600.
-
[26]
Juliette Galonnier, Stefan Le Courant, Anthony Pecqueux et Camille Noûs, « Ouvrir les données de la recherche ? », Tracés. Revue de Sciences humaines, No19, 2019, p. 17-33. Le « moment données » étudié dans ce numéro hors-série de Tracés observe les enjeux de la science ouverte articulés aux exigences de transparence et de réplicabilité ; il questionne l’évolution des cadres législatifs sur les données personnelles ; et l’extension du domaine du renseignement. « Ces trois mouvements trouvent un point de jonction sur la question des données de la recherche, qui cristallisent des enjeux à la fois politiques, scientifiques, infrastructurels, éthiques et législatifs : open science, réplicabilité, développement de nouvelles solutions techniques, protection des données personnelles, surveillance de la recherche, etc. » (p. 32)
-
[27]
« Développement des bonnes pratiques, Ouvrir la science ! », ouvrirlascience.fr/guide-dapplication-de-la-loi-numerique/?menu=4, consulté le 13 avril 2023.
-
[28]
FAIR est l’acronyme de « Findable, accessible, interoperable, reusable ». À ces injonctions, vient s’ajouter l’obligation pour les chercheurs en sciences sociales de se soumettre à des dispositifs d’enquête encadrés par des comités d’éthique. La protection accrue des enquêtés (formulaires de consentement, droit de regard sur la recherche, risques de procès) rend de plus en plus périlleux l’accès ouvert à certains types de données. Sur cette question, on verra notamment le dossier récent « L’éthique et le politique : la localisation sociale des savoirs dans les sciences sociales » publié dans Sociologie et sociétés, (2020, vol. 52, No1) et coordonné par Emmanuelle Bernheim et Frédéric Parent. On verra aussi le dossier publié par Genèses : « Le procès de données », en particulier l’article de Johanna Siméant-Germanos, « Qui protéger, consentir à quoi, enquêter comment ? Les sciences sociales face à la bureaucratisation de la vertu scientifique », Genèses, No129, 2022, p. 66-87.
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[29]
Le baromètre indique le taux d’accès ouvert année par année des « publications scientifiques avec un DOI Crossref, parues » : barometredelascienceouverte.esr.gouv.fr, consulté le 13 avril 2023.
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[30]
Le site donne également accès aux résultats des « baromètres locaux », produits par chaque établissement. Ces chiffres centralisés par le ministère sont produits par les établissements qui les publient eux-mêmes sur leur site, en précisant la manière dont ils se situent par rapport à la moyenne nationale.
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[31]
Philip Mirowski, « Hell is truth seen too late », art. cit., p. 179.
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[32]
Musselin Christine, La grande course des universités, Paris, Presses de Sciences Po, 2017.
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[33]
Vincent Dubois, « L’action de l’État, produit et enjeu des rapports entre espaces sociaux », Actes de la recherche en sciences sociales, No201-202, 2014, p. 24.
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[34]
« Le réseau doit aider chaque établissement à élaborer sa politique en la matière, en contribuant à l’information des établissements et surtout, par des discussions régulières, favoriser l’échange d’informations et de bonnes pratiques entre établissements, et faciliter autant que faire se peut une coordination nationale. » Voir : ouvrirlascience.fr/reseau-de-referentsscience-ouverte-a-la-cpu.
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[35]
Philippe Aldrin, Pierre Fournier, Vincent Geisser, Yves Mirman, « Quand l’autonomie des universités menace l’autonomie des universitaires », AOC, 7 juin 2022, aoc.media/analyse/2022/06/06/quand-lautonomie-des-universites-menace-lautonomie-desuniversitaires.
-
[36]
Pierre Henriet, Laure Darcos, Pierre Ouzoulias, Rapport au nom de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Pour une science ouverte réaliste, équilibrée et respectueuse de la liberté académique, 9 mars 2022 : senat.fr/notice-rapport/2021/r21-573-notice.html.
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[37]
« Le 1er décembre 2022, le centre national de la recherche scientifique (CNRS) a demandé à ses agents “d’appliquer la stratégie de non-cession des droits d’auteur” et donc de ne pas respecter les dispositions de l’article L. 533-4 du code de la recherche. Le 14 décembre 2022, France université a invité “les établissements d’enseignement supérieur et de recherche à annoncer officiellement leur soutien à cette exigence”. Enfin, l’agence nationale pour la recherche (ANR), dans son règlement financier relatif aux modalités d’attribution des aides, approuvé le 30 juin 2022, impose à ses bénéficiaires de mettre à disposition sous licence libre les publications issues des projets qu’elle finance. » Question écrite No04630 de M. Pierre Ouzoulias(Hauts-de-Seine, CRCE), publiée dans le JO Sénat du 29 décembre 2022, p. 6758, senat.fr/questions/base/2022/qSEQ221204630.html.
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[38]
Environ 6 000 titres paraissent chaque année.
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[39]
Les revues « diamant » est une expression dont l’usage s’est généralisé depuis 2021 pour réunir dans une même catégorie les revues en accès ouvert qui n’impliquent aucun coût ni pour l’auteur, ni pour le lecteur.
-
[40]
Voir ouvrirlascience.fr/publication-dune-etude-sur-les-revues-diamant, consulté le 13 avril 2023.
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[41]
Caroline Dandurand, « Préfiguration d’une structuration collective des éditeurs scientifiques publics engagés dans la science ouverte », Rapport de recherche, Comité pour la science ouverte, 2022, p. 74-75, hal-03713434.
-
[42]
Arnaud Saint-Martin, « L’édition scientifique “piratée”. Passage en revue et esquisse de problématisation », Zilsel, No4, 2018, p. 193.
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[43]
Associée à l’appel de Jussieu, la « bibliodiversité » est définie ainsi dans le lexique ad hoc : « dans le monde de l’édition, correspond à la diversité des acteurs de l’édition, par opposition à la concentration éditoriale. Cela correspond aussi à la diversité des formes éditoriales (revues, ouvrages, encyclopédies…) et des langues ». Appel de Jussieu pour la science ouverte et la bibliodiversité, 16 janvier 2018 : openaccess.inist.fr/appel-de-jussieu-pour-la-science-ouverte-et-la-bibliodiversite/.
- [44]
-
[45]
Javier Lopez Alos, « Critique de la raison précaire. La vie intellectuelle face à l’obligation de l’extraordinaire », Tracés. Revue de sciences humaines, No40, 2021, p. 184.
-
[46]
C. Noûs-Aussi, « Tensions éditoriales en contexte de science ouverte », Mouvements, No113, 2023, p. 52-64.
-
[47]
Johanna Siméant-Germanos, « Qui protéger, consentir à quoi, enquêter comment ? », art. cit., p. 87.
- [48]
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[49]
Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, op. cit., p. 113.
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[50]
L’AMI propose deux types de contributions, certaines consacrées « à l’épistémologie ou à la compréhension des pratiques scientifiques », d’autres « entendront plutôt apporter une contribution aux politiques publiques de recherche, en fournissant des données, des outils de mesure ou d’évaluation, et en formulant des propositions et des recommandations. »
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[51]
Jean-Michel Berthelot, « Plaidoyer pour un pluralisme sous contraintes », Revue européenne des sciences sociales, vol. XLI, No126, 2003, p. 35-49.
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[52]
Pierre Bourdieu, « La cause de la science. Comment l’histoire sociale des sciences sociales peut servir le progrès de ces sciences », Actes de la recherche en sciences sociales, No106-107, 1995, p. 10.