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Article de revue

L’après-13 Novembre

Naissance et mort d’une « culture de guerre » ?

Pages 11 à 19

Notes

  • [1]
    À la différence de l’attentat ciblé contre Charlie Hebdo en janvier 2015, ou des attentats commis par Mohammed Merah en mars 2012.
  • [2]
    La première définition donnée à cette expression par Annette Becker et moi-même se trouve dans « Violence et consentement : la “culture de guerre” du premier conflit mondial », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Éd. du Seuil, 1997, p. 251-271. Elle inspire les analyses d’Annette Becker et de Stéphane Audouin-Rouzeau, 14-18. Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000. À cette définition, il manquait selon moi une prise en compte plus explicite de la temporalité spécifique de la guerre, du basculement d’un temps dans un autre induit par le fait guerrier, à dater du mois d’août 1914.
  • [3]
    Ce type de rapprochement avait déjà frappé certains auteurs après le 11 septembre 2001 aux États-Unis. Voir Bruno Cabanes et Jean-Marc Pitte, 11 Septembre : la Grande Guerre des Américains, Paris, Armand Colin, 2003.
  • [4]
    Le Point, 26 novembre 2015.
  • [5]
    Le Monde, 17 novembre 2015.
  • [6]
    À titre d’exemple, on se réfèrera au dossier du Monde publié le 20 novembre 2015 sous le titre « Écrire contre la terreur », et réunissant vingt-huit écrivains différents.
  • [7]
    L’état d’urgence a été instauré une première fois dès la nuit du 13 au 14 novembre.
  • [8]
    Manuel Valls déclare en effet : « Nous sommes en guerre […]. Dans une guerre, ce qui est essentiel, c’est l’union sacrée. Cette union sacrée, elle repose sur cet esprit de résistance qui est si français et grâce à l’engagement et au dévouement des forces de sécurité. »
  • [9]
    Rappelons que le terme d’« Union sacrée » est une invention sémantique du président Poincaré dans son message aux Chambres en date du 4 août 1914.
  • [10]
    C’est ce qui distingue profondément l’après-13 novembre 2015 de la configuration politique apparue à l’issue de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016. Sur l’analyse politique de l’Union sacrée en 1914, on renverra ici aux analyses de Jean-Jacques Becker, 1914 : comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de Sciences Po, 1977.
  • [11]
    Cécile Amar, « La nuit sans sommeil de Hollande », Journal du Dimanche, 15 novembre 2015.
  • [12]
    Il s’agit du pourcentage d’approbation de l’action du chef de l’État (enquête réalisée par téléphone du 27 au 28 novembre sur un échantillon de 983 personnes, LeMonde.fr, 1er décembre 2015). À noter que Manuel Valls, dont la popularité était, avant le 13 Novembre, supérieure à celle de François Hollande, fait jeu égal avec ce dernier en ne gagnant, pour sa part, que trois points. À noter également que la cote du chef de l’État n’avait pas atteint un niveau aussi élevé après l’attentat contre Charlie Hebdo.
  • [13]
    Cohabitent ainsi la version conservatrice de la République sous la forme de la statue hiératique qui domine la place, et la version populaire et insurrectionnelle d’Eugène Delacroix (Maurice Agulhon, Marianne au combat : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979 ; et id., Marianne au pouvoir : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1989.)
  • [14]
    On pourra relever, à titre d’exemple, la grande photographie en une du Monde du 17 novembre montrant des militaires montant la garde sous une Tour Eiffel déserte. Ou bien, plus martiale encore, la large photographie de l’assaut de deux policiers à Saint-Denis le 18 novembre, sous le titre : « La traque des djihadistes » (Le Monde, 19 novembre 2016). L’édition antérieure des 15 et 16 novembre, en revanche, était entièrement centrée sur les victimes et leurs sauveteurs. Ce type de processus connaîtra deux prolongements : à l’initiative de la mairie de Paris, la campagne d’affichage « Paris leur dit merci » fin 2015, et la campagne de recrutement lancée au bénéfice de l’armée française au début de l’année 2016.
  • [15]
    Le cas le plus célèbre étant le dernier pigeon envoyé depuis le fort de Vaux lors de la bataille de Verdun, et parvenu mourant au colombier après avoir traversé les nappes de gaz.
  • [16]
    France TV info, 22 novembre 2015.
  • [17]
    Discours du 27 novembre 2015.
  • [18]
    Le Monde, 24 novembre 2015.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Décret n° 2016-949 du 12 juillet 2016 portant création de la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, Journal officiel de la République française, n° 0162, 13 juillet 2016, texte n° 5.
  • [21]
    La une complète, avec ses sous-titres, est la suivante : « Guerre aux barbares. En traquant les islamistes. En stoppant l’immigration. En changeant de politique étrangère. En réarmant la France », Valeurs actuelles, n° 4121, 19-25 novembre 2015.
  • [22]
    Laurent Fabius, « Ce sont des monstres, mais ils ne sont que 30 000 », Le Monde, 24 novembre 2015, p. 3.
  • [23]
    On pourrait d’ailleurs soutenir qu’il n’y a pas nécessairement ici de contradiction entre les deux thèses : on a ainsi pu souligner que la violence coloniale du début du 20e siècle, aussi bien concrète que discursive et symbolique, s’était vue transférée en Europe par les belligérants de l’été 1914.
  • [24]
    Voir à ce sujet les doutes de l’historien Henry Rousso, un des rares historiens français à être intervenu « à chaud » après le 13 novembre, dans « On ne va pas rouvrir les abris anti-aériens… », tribune publiée dans Libération le 20 novembre 2015.
  • [25]
    Un truisme opportunément rappelé par le général Vincent Desportes dans La Guerre probable : penser autrement, Paris, Economica, 2007, afin de rendre compte des déboires stratégiques rencontrés par les armées occidentales depuis une quinzaine d’années. Sur cette stupeur des sociétés occidentales devant le terrorisme, on renverra aussi à Victor Davis Hanson, Le Modèle occidental de la guerre : la bataille d’infanterie dans la Grèce classique, Paris, Les Belles Lettres, 1990.
  • [26]
    Béatrice Fraenkel, Les Écrits de Septembre : New York 2001, Paris, Textuel, 2002.
  • [27]
    Jérôme Truc, Sidérations : une sociologie des attentats, Paris, PUF, 2016. Compte tenu de sa date de publication, l’ouvrage n’a pu prendre en compte l’après-13 novembre 2015 : néanmoins, les analyses de l’auteur se révèlent particulièrement utiles pour analyser les phénomènes d’écriture qui accompagnent ce moment particulier.
  • [28]
    À rapprocher de plusieurs comportements paniques en août 1914, qui conduisent certains Parisiens à agresser de pseudo espions allemands dont ils ont cru identifier le comportement « suspect » dans la capitale.
  • [29]
    Le Monde, 19 novembre 2015.
  • [30]
    H. Rousso, « On ne va pas rouvrir les abris anti-aériens… », art. cité.
  • [31]
    Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Éd. du Seuil, 1986.

1Dans un article stimulant, Stéphane Audoin-Rouzeau interroge l’après-13 Novembre à l’aune d’une notion qu’il a contribué à forger lors de ses travaux sur la Grande Guerre, celle de « culture de guerre ». Énumérant les correspondances, établissant des analogies, il invite à des aller-retour temporels entre passé et présent, qui font doublement sens et témoignent de l’intérêt heuristique d’une lecture historienne de l’événement et du temps présent.

2Du point de vue des sciences sociales, l’objet dont il sera question ici est évidemment loin d’être stabilisé. À certains égards, il l’est même de moins en moins : la récurrence des attentats au cours de l’été 2016 (celui de Nice le 14 juillet au soir, suivi par le meurtre du père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet) a déjà modifié, rétroactivement, le regard que l’on pouvait poser sur le 13 novembre 2015. Avant l’été 2016, le 13 Novembre pouvait apparaître comme un acte relativement isolé, neuf mois après l’attentat contre Charlie Hebdo et un an et huit mois après les meurtres commis par Mohammed Merah à Montauban et à Toulouse. Il n’en est plus de même au moment où ces lignes sont écrites. Pour autant, au titre de premier attentat indifférencié [1] commis par l’État islamique sur le territoire national, le 13 Novembre reste porteur de l’indéniable puissance des commencements : cela justifie que l’on s’intéresse à lui de manière privilégiée. Pour autant, non stabilisé, l’objet en question l’est également du fait que, sur nombre de points, bien des enquêtes précises font pour l’instant défaut : cet article, qui ne s’affranchit nullement (et ne souhaite d’ailleurs pas s’affranchir) de la subjectivité propre à son auteur, se bornera donc à suggérer quelques pistes de lecture, centrées non sur l’événement lui-même mais sur son après-coup.

3Toutes sont regroupées autour d’une hypothèse centrale. Celle-ci a trait à l’apparition, au cours des jours qui ont suivi l’attentat du 13 novembre 2015, de ce qui mériterait d’apparaître comme une « culture de guerre [2] », au sens où l’entend l’auteur de ces lignes dans le cas particulier de la Grande Guerre : soit la manière dont les acteurs sociaux ont représenté et se sont représenté l’événement dont ils étaient parties prenantes. Une émergence qui paraît inséparable de la prégnance d’une temporalité spécifique (nous évoquons ici le temps « autre » de la guerre), une temporalité alternative d’ailleurs pleinement perçue comme telle par bien des contemporains de l’été 1914, conscients que tout était subitement modifié dans leurs manières de se représenter le monde qui les entourait, à commencer par le temps lui-même. Le plus troublant, dans le cas de l’après-13 Novembre, étant les formes parfois étrangement proches entre cette « culture de guerre » subitement apparue après l’attentat et celle qui s’était cristallisée un siècle plus tôt, lors de l’été 1914 [3].

4Pour que ne se noue ici aucun malentendu, précisons qu’il ne s’agit nullement de traquer une forme quelconque de récurrence : quoi de commun, en effet, entre la guerre interétatique dans laquelle s’est engagée la France en 1914 à l’issue d’une mobilisation quasi totale de sa population masculine adulte, et l’actuelle conflictualité au Moyen-Orient, avec ses conséquences en France sous la forme des attaques perpétrées par l’État islamique ? Non, c’est parce que les deux événements font basculer le corps social dans un temps radicalement différent du temps ordinaire qu’un tel rapprochement est possible : car la cristallisation d’une culture de guerre est le fruit, avant tout, de cette transformation des temporalités. Ajoutons que l’analyse que nous proposons ici se limitera évidemment à une vision d’« en haut » de l’après-13 Novembre, informée par la lecture des principaux médias : la prise en compte de la société dans son ensemble, et tout particulièrement de ses segments alors rétifs à toute « union nationale », reste pour l’instant hors de portée. En tout cas pour l’auteur des lignes qui suivent.

Guerre et Union sacrée

5Tout procède sans doute d’une affirmation décisive, énoncée lors des journées qui ont suivi l’attentat : la France est désormais un pays en guerre. Le président de la République le répète à dix reprises devant le Congrès réuni à Versailles le 16 novembre 2015 (« nous sommes en guerre »). Les médias font de même. C’est le cas des quotidiens, Le Monde du 17 novembre titrant « Un pays face à la guerre », tandis que l’éditorial du même jour énonce « c’est bien une guerre qui a lieu ». Les hebdomadaires adoptent l’expression à leur tour : la couverture du Point du jeudi 19 novembre est illustrée par une photographie de trois jeunes enlacés près du Bataclan dans la nuit du 13 au 14 novembre, avec pour titre : « Notre Guerre ». La semaine suivante, le même magazine donnera ce titre à sa couverture : « Comment la France se bat [4] ». Les prises de position des intellectuels vont dans le même sens : « Soit. C’est la guerre. », écrit par exemple Jean-Noël Jeanneney [5]. Cette mobilisation des intellectuels (leur automobilisation plutôt [6]) pourrait constituer d’ailleurs, comme à l’été 1914, l’un des marqueurs de ce point de bascule dans un temps autre.

6De cette conviction que la guerre est bien procède moins la mise en place d’une forme d’état d’exception (sous la forme de l’« état d’urgence ») que sa reconduction [7] quasi unanime : le 19 novembre, au sein de l’Assemblée nationale, on ne dénombre que six votes d’opposition à sa prolongation. Ainsi se forme une Union sacrée (d’ailleurs explicitement réclamée par le Premier ministre dès le 15 novembre [8], là où François Hollande s’en était tenu à un vœu d’« union nationale » le 13 au soir), union sacrée dont l’apogée fut sans nul doute le discours du président de la République prononcé le 16 novembre devant le Congrès, discours applaudi debout dans une atmosphère de quasi-unanimité interdisant alors toute critique frontale [9]. Les médias renchérissent là encore, tel Le Monde appelant dans son éditorial des 15-16 novembre à « l’unité de la nation dans l’épreuve ».

7Comme en août 1914, l’Union sacrée revêt aussi un calcul politique : elle n’est respectée que dans la stricte mesure où chaque parti y voit son intérêt, ou plus exactement y discerne le danger qu’il y aurait à s’y opposer, tout au moins frontalement. Tout au contraire, chacun espère en tirer un bénéfice politique ultérieur [10]. En outre, comme lors de la Grande Guerre également, elle tend à « fonctionner » au bénéfice de la droite, de sa composante la plus dure très exactement, ainsi que semble l’avoir démontré le succès du Front national au premier tour des élections régionales du 6 décembre.

8Une forme d’héroïsation du président de la République constitue l’une des composantes majeures de cette union sacrée initiale. Deux jours après les attentats, le Journal du Dimanche propose ainsi un tableau particulièrement édifiant de la nuit des 13-14 novembre vécue par François Hollande : « Peu avant quatre heures du matin, le chef de l’État regagne l’Élysée. Il appelle Barack Obama. Le président américain évoque le “combat commun” contre les terroristes […]. Vers 4 h 30, le chef de l’État part se reposer dans son appartement privé. Trois petites heures. Des réunions, des prises de parole, des coups de téléphone. Et de la compassion. Hier à 18 heures, François Hollande passe une heure à l’hôpital Saint-Antoine. Au chevet d’un policier de la BRI blessé au cours de l’assaut du Bataclan. “Merci” lui glisse le chef de l’État. Un moment avec le personnel soignant. Puis un aparté avec une femme, blessée rue de Charonne. “Ayez du courage”, enjoint doucement François Hollande, ce président d’un quinquennat de guerre [11]. » Dans le Monde du 18 novembre, Gérard Courtois le sacre « président de guerre ». Ce statut nouveau, prégnant déjà après les attentats de janvier, se traduit dans les courbes de popularité du président : selon l’Institut français d’opinion publique (IFOP), ce dernier enregistre un gain de vingt-deux points en un mois pour atteindre 50 % d’opinions positives (dont 40 % dans l’électorat de droite) [12].

9Dans le même temps, on assiste à une spectaculaire « recharge sacrale » des symboles nationaux : La Marseillaise est chantée en de nombreux endroits, parfois dans des lieux assez inattendus comme l’Université de Nanterre à la suite de la minute de silence du 16 novembre. L’hymne national retrouve du même coup son sens originel de chant de guerre : c’est bien au premier degré (au titre de chant-pour-la-guerre) qu’elle est alors de nouveau comprise, d’autant que son premier couplet semble sur bien des points entrer en résonance avec les pratiques de violence déployées par l’État islamique. De même, le drapeau tricolore, dont les ventes explosent en novembre, surgit-il un peu partout, aussi bien dans l’espace privé des réseaux sociaux que dans l’espace public. La figure de la République se généralise, celle de « La Liberté guidant le peuple » d’Eugène Delacroix (1830) tout particulièrement. À Paris, la statue de Marianne sur la place de la République (figure plus conservatrice que la précédente, comme on le sait [13]) devient le point névralgique du rassemblement spontané qui se produit dans la capitale.

Éloge des héros

10Parallèlement, un vigoureux processus d’héroïsation touche plusieurs catégories d’acteurs sociaux, au premier rang desquels viennent ceux dont le métier est de porter les armes : les forces de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) et de l’unité de Recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID), mais aussi les militaires déployés dans Paris, sont alors au centre d’une large diffusion d’images martiales dans les médias [14]. Notons que, comme dans d’autres temps guerriers, ce processus d’héroïsation « combattante » bouscule la frontière entre l’être humain et l’animal, comme cela avait été le cas déjà lors du premier conflit mondial au cours duquel certains animaux, présentés comme conscients de leur propre « héroïsme » militaire au service de la France, avaient été décorés [15]. Il faut souligner ici l’importance prise par la mort du chien Diesel (un chien du RAID mort lors de l’assaut de Saint-Denis le 18 novembre), dont le comportement « héroïque » a été retracé par son maître, désormais contraint de « traverser l’épreuve de la perte » de son animal : « [Après des échanges de tir], le calme revient, presque anormal. Au bout de plusieurs minutes, on décide d’envoyer le chien pour s’assurer que la zone est claire. Il fait le tour d’une première pièce, puis il part dans une deuxième et commence à s’élancer. Je pense qu’il a repéré quelqu’un. Des coups de feu retentissent. Il ne reviendra jamais. Nous avons déjà eu des chiens décorés et Diesel est le premier chien mort en intervention. Je serais assez satisfait qu’il le soit [16]. »

11L’héroïsation touche également les sauveteurs improvisés du 13 Novembre et le personnel spécialisé de la chaîne de soins : leur volontarisme est tout particulièrement mis en exergue. Elle atteint surtout les victimes elles-mêmes, la sociabilité des jeunes Parisiens aux terrasses de café lors du week-end se voyant élevée au rang de choix de civilisation par le président de la République : « Ces femmes, ces hommes, en ce vendredi 13 novembre, étaient à Paris, une ville qui donne un manteau de lumière aux idées, une ville qui vibre le jour et qui brille la nuit. Ils étaient sur les terrasses des cafés, ces lieux de passage ouverts aux rencontres et aux idées. Ils partageaient un repas aux saveurs du monde, dans cette soirée où l’automne ne paraissait pas finir [17] », déclame François Hollande lors de son hommage du 27 novembre. Des monuments aux morts de papier sont érigés, un des plus aboutis sans doute étant le « mémorial du 13 novembre » publié dans Le Monde à partir du 24 du même mois : une série de portraits établis « afin de conserver la mémoire de ces vies fauchées », écrivent Sylvie Kauffmann et Aline Leclerc, tout en formant le vœu « que ces hommes et ces femmes puissent ainsi demeurer dans le souvenir collectif ». Un éloge très appuyé de chaque victime s’y déploie sur un plan individuel (d’où les titres choisis : « Un vrai charmeur », « Curieux de tout », « Généreuse et engagée », « Épris de liberté », « Un rayon de soleil » [18]…), mais également collectif : « La deuxième chose que nous révèlent ces portraits, écrivent les deux journalistes, c’est à quel point les terroristes visaient, à travers leurs cibles ce soir-là, la jeunesse, l’intelligence, la culture, l’éducation et la tolérance. L’histoire de ces cent trente vies se lit comme celle de la fine fleur d’une société confiante dans la réussite que peuvent lui donner le savoir, la science et l’ouverture d’esprit. […] Ils étaient ce 13 novembre le symbole du Paris des Lumières au 21e siècle [19]. »

12La cérémonie d’hommage aux Invalides, le 27 novembre, illustre parfaitement ce processus d’héroïsation, en des termes parfois peu éloignés de ceux qui s’étaient appliqués aux soldats de la Grande Guerre : les victimes (des civils désarmés, rappelons-le) s’y voient rangées dans une catégorie qui les rapproche d’un statut de combattant, au prix d’une ambiguïté significative. Le site de l’Hôtel national des Invalides constitue le lieu traditionnel de l’hommage aux militaires morts en opération (ainsi qu’aux civils résistants lors de l’Occupation et aux très haut gradés dans l’ordre de la légion d’honneur) : le choix d’un tel lieu rapproche donc ipso facto le sort des victimes des attentats de celui de soldats morts au combat, des victimes jeunes, rappelons-le, comme le sont toujours aussi les soldats. Certes, aucune sonnerie aux morts n’a retenti lors de la cérémonie. En revanche, une forme de long « appel des morts » en a constitué le moment le plus marquant : un rituel apparu précisément à l’issue de la Grande Guerre, pour les cérémonies du 11 Novembre.

13Le discours que le président de la République prononce ce jour-là accentue d’ailleurs l’assimilation des victimes à des soldats, en particulier lorsque ce dernier évoque « le sacrifice de ceux qui étaient tombés à Paris », sur le modèle en somme de combattants tués lors d’un assaut. La dernière phrase du même discours reprend en outre explicitement celle d’André Malraux lors de l’entrée au Panthéon des cendres de Jean Moulin, lorsque le ministre de De Gaulle évoqua in fine la face de Jean Moulin déformée par les tortures endurées : « Ce jour-là, elle était le visage de la France », avait dit Malraux en 1964. « Malgré les larmes », conclut à son tour François Hollande, « cette génération est aujourd’hui devenue le visage de la France ». C’est donc bien vers la figure du représentant emblématique de la France libre que se voient rabattues les victimes du 13 Novembre ; vers une image résistante, par conséquent, et l’une des plus héroïques qui puisse s’imaginer.

14La preuve qu’un tel processus répond à une volonté très déterminée de la part de l’État pourrait sans doute se trouver dans la création d’une décoration nouvelle pour les victimes des attentats, dont le décret est paru au Journal officiel du 13 juillet 2016 [20]. Ce décret, qui s’applique rétroactivement aux victimes du terrorisme depuis le 1er janvier 2006, « crée une médaille nationale de reconnaissance aux victimes d’actes terroristes commis sur le territoire national ou à l’étranger au bénéfice des Français tués, blessés ou séquestrés lors d’actes terroristes commis sur le territoire national ou à l’étranger contre les intérêts de la République française. » Son article premier précise que cette médaille, attribuée par décret du président de la République, est « destinée à manifester l’hommage de la Nation » aux victimes. Son avers est « une fleur à cinq pétales marquées de raies blanches pour rappeler la couleur du ruban et chargée de cinq épis de feuilles d’olivier pour symboliser la valeur de la paix au sein de la République ». Toujours à l’avers, on trouve au centre une « médaille couleur argent bordée de bleu, avec l’inscription “RÉPUBLIQUE FRANCAISE” et, au cœur, la statue de la place de la République à Paris ». De manière plutôt redondante, le revers reprend le motif de la fleur à cinq pétales et des épis de feuilles d’olivier, mais ajoute en son centre une seconde médaille bordée de bleu et portant la devise de la République, avec « au cœur deux drapeaux français croisés ». Avant l’accroche sur la poitrine (la médaille est posée sur le cercueil dans le cas des tués, ou bien remise à la famille), la formule de remise est la suivante : « Au nom du président de la République, nous vous remettons la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme. » Il est à noter, la précision est d’importance, que cette décoration nouvelle, dont l’administration est confiée à la grande chancellerie de la légion d’honneur, se porte juste après l’ordre national du mérite : elle devient donc le quatrième ordre national. Tout l’indique, décidément : l’après-13 Novembre a fait basculer les victimes des attentats vers un statut peu éloigné de celui de combattants tués ou blessés au combat.

L’ennemi : un barbare

15Le pendant de cet intense processus d’héroïsation est, assez logiquement, une stigmatisation tout aussi intense de l’ennemi, résolument exclu de l’humanité : comme à l’été 1914, le terme de « barbare » s’impose partout (« les barbares de Daech », dit François Hollande aux Invalides). Sans doute la presse la plus à droite est-elle aussi la plus virulente dans ce registre sémantique (« Guerre aux barbares », titre Valeurs actuelles[21]), mais le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius évoque pour sa part des « monstres » à la date du 22 novembre, pour en relativiser le nombre il est vrai [22]. Le 14 novembre, dans une cathédrale de Notre-Dame pleine à craquer (notons au passage que cette prégnance du religieux est un signe supplémentaire des temps nouveaux de l’après-13 Novembre), Monseigneur Vingt-Trois évoque à son tour « la sauvagerie barbare » des terroristes… Une étude sociologique spécialisée serait ici nécessaire pour mesurer les seuils de violence atteints sur les réseaux sociaux ainsi que dans le huis clos des conversations privées.

16Cette thématique de la « barbarie » de l’Autre serait-elle la résurgence d’un « impensé colonial » français, alors même que, via l’État islamique d’une part, via les origines des meurtriers de l’autre, c’est du monde arabo-musulman qu’est venue l’attaque du 13 novembre 2015 ? Plus précisément, pourrait-il s’agir ici d’une forme de rejeu de représentations de l’Autre (trahi par le remploi d’un vocabulaire ad hoc) directement issues de la guerre d’Algérie, représentations et vocabulaire dont il faudrait alors admettre qu’ils auraient, depuis un demi-siècle, poursuivi un cheminement souterrain ? Tout aussi bien, cette cristallisation de mécanismes dirimants de type « eux »/« nous » ne paraissent pas fondamentalement différents de ceux de la « culture de guerre » française du premier conflit mondial ; ceux des années 1914 et 1915 plus particulièrement, au cours desquelles la « barbarie » de l’ennemi s’était vu stigmatisée avec une rare violence en France, au prix de l’expression ouverte, légitimée, massivement partagée, d’une haine véritable [23]. Quoiqu’il en soit, une telle rhétorique de stigmatisation de l’ennemi tend à occulter le fait que, si guerre il y a depuis le 13 novembre 2015 (ce qui reste à démontrer [24]), il semble alors assez vain d’exiger de l’ennemi qu’il emploie des moyens de lutte « traditionnels » : ceux que les sociétés occidentales aimeraient qu’il mette en œuvre pour qu’elles puissent le vaincre aisément [25].

17Dans ce contexte, en tout cas, il n’est pas si étonnant que la tentation du camp d’internement (comme à l’été 1914 à l’encontre des ressortissants des pays désormais adverses) se fasse jour dans l’immédiat après-13 Novembre. Laurent Wauquiez, du parti Les Républicains, propose dès le 14 des « centres d’internement antiterroristes spécifiquement dédiés » pour les quatre mille « fichés S », une suggestion non évacuée d’emblée par le Premier ministre. Le même jour, Bruno Le Maire (LR) demande à son tour l’« interpellation immédiate de tous les individus soupçonnés de liens avec une organisation terroriste. »

Écrire, mais pour quoi faire ?

18Si l’on sort à présent de l’univers purement discursif de l’après-13 Novembre, on pourrait observer que certaines pratiques sociales ont été marquées à leur tour par le basculement dans ce temps « autre » caractéristique d’une culture de guerre. Sur les lieux des attentats ou place de la République, lors des jours qui suivent le 13 Novembre, on a pu noter une « entrée en communication » des personnes présentes sur place : chacun parle alors librement à des inconnus, sans l’habituel respect des codes sociaux, selon une pratique ordinaire des temps de crise. La nouveauté relative, ici, a trait davantage à une surrection massive de l’écrit, perceptible dès le 11 septembre 2001 aux États-Unis [26], puis de nouveau à Madrid en mars 2004 après l’attentat de la gare d’Atocha, puis à Londres après l’attentat commis à la station King’s Cross en le 7 juillet 2005, à Paris enfin après l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 : s’écrit et se dépose dans l’espace public « un immense texte collectif qui ratifie le contrat social », un texte à la fois individualisé (par le dépôt de « récits de soi » notamment) et collectif, affirmant une solidarité et une commune appartenance [27].

19Toujours au titre des pratiques, il est intéressant de relever que des phénomènes de panique collective se produisent dans la foulée du 13 Novembre, comme celle qui, le samedi 14 novembre à Paris, provoque une course éperdue de la foule depuis la place de la République jusqu’au quartier du Marais [28]. Moins ponctuellement, un vaste mouvement d’engagement dans les forces armées s’affirme dans toute la France : au vrai, le mouvement avait commencé dès janvier 2015, mais il s’affirme avec force dans l’après-coup du 13 Novembre : l’Armée enregistre alors mille cinq cents demandes par jour, contre cinq cents avant les attentats. Stupéfait, le colonel Éric de Lapresle, chef du bureau marketing et communication du recrutement pour l’armée de terre, évoque « un phénomène totalement inédit [29] ». La ressemblance n’est-elle pas frappante avec le phénomène d’engagement qui, parallèlement à l’appel des réservistes, accompagna l’immense tension nationale de l’été 1914 ?

20À plus d’un siècle de distance, et alors que l’on peut raisonnablement exclure qu’il puisse s’agir d’un phénomène de simple récurrence historique, comment expliquer tant de correspondances troublantes entre novembre 2015 et août 1914, cependant que tout, « objectivement », semble séparer les deux expériences sociales ? En 1914 en effet, la France s’engage dans une guerre majeure dont sont parties prenantes toutes les grandes puissances du temps ; une guerre qui suscite une mobilisation sociale immense (ne serait-ce que par la tension de recrutement de l’été 1914), et qui confronte très vite les sociétés (la société française tout particulièrement) aux réalités de la mort de masse : plus de deux mille huit cents morts par jour, en moyenne, pour le seul mois d’août 1914, un des plus sanglants de toute la guerre. Sans doute est-il inutile ici de souligner l’immense distance avec l’expérience du 13 novembre 2015, aussi tragique ait-elle été.

21Dès lors, trois hypothèses interprétatives pourraient être ici présentées, d’ailleurs non exclusives les unes des autres. La première aurait trait au rôle du « souvenir historique » de la Grande Guerre, à la fois mobilisé de manière spontanée et dans le même temps instrumentalisé par le pouvoir politique. On le sait : le « référent 1914 » revêt une importance certaine en France, et tout particulièrement dans cette phase du Centenaire au cours duquel la Grande Guerre s’est vue intensément commémorée. On peut ainsi supposer que la mobilisation du vocabulaire et des images de 14 a été tout à fait consciente chez Manuel Valls (dont on sait par ailleurs l’admiration pour Georges Clemenceau) lorsqu’il en appelle à « l’Union sacrée » à la suite des attentats du 13 novembre 2015.

22On pourrait évoquer aussi l’importance d’un « terreau patriotique » français, généralement peu visible mais qui se révèlerait à plein dans le contexte de l’attentat du 13 novembre 2015. Comme l’écrit avec justesse Henry Rousso, « ce patriotisme que l’on croyait éteint s’est soudain réveillé. Il n’y a rien là que de plus normal : on éprouve le besoin d’affirmer l’attachement à son pays quand celui-ci est réellement attaqué [30] ». À cet égard, n’est-il pas frappant d’observer, lors des jours qui suivent, la mise en œuvre de gestuelles identiques à celles qui se déploient lors des matchs de football ? Sur les lieux des attentats ou place de la République, plusieurs photographies ne montrent-elles pas des Parisiens enroulés dans le drapeau tricolore, sur le modèle des supporteurs de l’équipe de France ?

23À un niveau plus profond, et en se reliant davantage à une anthropologie du politique, pourquoi ne pas faire référence aux « mythes et mythologies politiques » identifiés en son temps par Raoul Girardet, et tout particulièrement à celui de l’« unité », si prégnant dans la vie politique française [31] ? Un mythe dont la force mobilisatrice aurait joué d’autant plus nettement en novembre 2015 que l’attentat a été lu, avec raison d’ailleurs, comme une entreprise de désunion du corps national au moyen d’une instrumentalisation meurtrière de la différence religieuse ?

24Quoi qu’il en soit, cette « culture de guerre » apparue dans l’après-coup du 13 Novembre s’est dissoute assez vite : sous bénéfice d’inventaire de son effritement progressif, inventaire qui resterait à établir dans les détails, il semble que la cause soit entendue avant même le premier tour des élections régionales de décembre 2015. L’absence de nouveaux attentats à intervalle rapproché (dix mois séparent le 13 novembre 2015 de l’attentat contre Charlie Hebdo, et huit mois le 13 novembre 2015 du 14 Juillet sur la Promenade des Anglais à Nice) a empêché ce temps « autre » de l’après-13 Novembre de se prolonger au-delà de quelques semaines et, plus encore, de se radicaliser de manière cumulative. Il est d’ailleurs frappant d’observer que le double attentat de juillet 2016 (celui de Nice le 14, indifférencié comme celui du 13 novembre, suivi de celui de Saint-Étienne-du-Rouvray douze jours plus tard, celui-ci parfaitement ciblé et individualisé) n’a réactivé en rien cette « culture de guerre » de l’après-13 Novembre, tout au contraire : si la haine à l’encontre de la « barbarie » adverse s’est bien exprimée à nouveau, et avec une vigueur sans doute accrue, l’Union sacrée et le regroupement quasi unanime autour du pouvoir en place ont été, cette fois, spectaculairement absents. C’est à ce titre que l’après-coup du 13 Novembre a constitué sans doute un moment d’exception.

25C’est ce moment exceptionnel (cela ne signifiant pas qu’une configuration comparable ne puisse pas se reproduire) qu’une lecture en termes de « culture de guerre » peut tenter d’éclairer, sans forcer les analogies. Certes, toute lumière jetée sur un événement déforme ce dernier tout autant qu’il l’éclaire : espérons que notre analyse ait suscité néanmoins quelques effets d’intelligibilité inattendus sur ce qui nous est arrivé à tous dans la nuit du 13 novembre 2015, puis lors des journées qui l’ont suivie.


Mots-clés éditeurs : héroïsme, culture de guerre, victimes, Union sacrée, 13 Novembre

Date de mise en ligne : 20/04/2017.

https://doi.org/10.3917/ving.134.0011

Notes

  • [1]
    À la différence de l’attentat ciblé contre Charlie Hebdo en janvier 2015, ou des attentats commis par Mohammed Merah en mars 2012.
  • [2]
    La première définition donnée à cette expression par Annette Becker et moi-même se trouve dans « Violence et consentement : la “culture de guerre” du premier conflit mondial », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Éd. du Seuil, 1997, p. 251-271. Elle inspire les analyses d’Annette Becker et de Stéphane Audouin-Rouzeau, 14-18. Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000. À cette définition, il manquait selon moi une prise en compte plus explicite de la temporalité spécifique de la guerre, du basculement d’un temps dans un autre induit par le fait guerrier, à dater du mois d’août 1914.
  • [3]
    Ce type de rapprochement avait déjà frappé certains auteurs après le 11 septembre 2001 aux États-Unis. Voir Bruno Cabanes et Jean-Marc Pitte, 11 Septembre : la Grande Guerre des Américains, Paris, Armand Colin, 2003.
  • [4]
    Le Point, 26 novembre 2015.
  • [5]
    Le Monde, 17 novembre 2015.
  • [6]
    À titre d’exemple, on se réfèrera au dossier du Monde publié le 20 novembre 2015 sous le titre « Écrire contre la terreur », et réunissant vingt-huit écrivains différents.
  • [7]
    L’état d’urgence a été instauré une première fois dès la nuit du 13 au 14 novembre.
  • [8]
    Manuel Valls déclare en effet : « Nous sommes en guerre […]. Dans une guerre, ce qui est essentiel, c’est l’union sacrée. Cette union sacrée, elle repose sur cet esprit de résistance qui est si français et grâce à l’engagement et au dévouement des forces de sécurité. »
  • [9]
    Rappelons que le terme d’« Union sacrée » est une invention sémantique du président Poincaré dans son message aux Chambres en date du 4 août 1914.
  • [10]
    C’est ce qui distingue profondément l’après-13 novembre 2015 de la configuration politique apparue à l’issue de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016. Sur l’analyse politique de l’Union sacrée en 1914, on renverra ici aux analyses de Jean-Jacques Becker, 1914 : comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de Sciences Po, 1977.
  • [11]
    Cécile Amar, « La nuit sans sommeil de Hollande », Journal du Dimanche, 15 novembre 2015.
  • [12]
    Il s’agit du pourcentage d’approbation de l’action du chef de l’État (enquête réalisée par téléphone du 27 au 28 novembre sur un échantillon de 983 personnes, LeMonde.fr, 1er décembre 2015). À noter que Manuel Valls, dont la popularité était, avant le 13 Novembre, supérieure à celle de François Hollande, fait jeu égal avec ce dernier en ne gagnant, pour sa part, que trois points. À noter également que la cote du chef de l’État n’avait pas atteint un niveau aussi élevé après l’attentat contre Charlie Hebdo.
  • [13]
    Cohabitent ainsi la version conservatrice de la République sous la forme de la statue hiératique qui domine la place, et la version populaire et insurrectionnelle d’Eugène Delacroix (Maurice Agulhon, Marianne au combat : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979 ; et id., Marianne au pouvoir : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1989.)
  • [14]
    On pourra relever, à titre d’exemple, la grande photographie en une du Monde du 17 novembre montrant des militaires montant la garde sous une Tour Eiffel déserte. Ou bien, plus martiale encore, la large photographie de l’assaut de deux policiers à Saint-Denis le 18 novembre, sous le titre : « La traque des djihadistes » (Le Monde, 19 novembre 2016). L’édition antérieure des 15 et 16 novembre, en revanche, était entièrement centrée sur les victimes et leurs sauveteurs. Ce type de processus connaîtra deux prolongements : à l’initiative de la mairie de Paris, la campagne d’affichage « Paris leur dit merci » fin 2015, et la campagne de recrutement lancée au bénéfice de l’armée française au début de l’année 2016.
  • [15]
    Le cas le plus célèbre étant le dernier pigeon envoyé depuis le fort de Vaux lors de la bataille de Verdun, et parvenu mourant au colombier après avoir traversé les nappes de gaz.
  • [16]
    France TV info, 22 novembre 2015.
  • [17]
    Discours du 27 novembre 2015.
  • [18]
    Le Monde, 24 novembre 2015.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Décret n° 2016-949 du 12 juillet 2016 portant création de la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, Journal officiel de la République française, n° 0162, 13 juillet 2016, texte n° 5.
  • [21]
    La une complète, avec ses sous-titres, est la suivante : « Guerre aux barbares. En traquant les islamistes. En stoppant l’immigration. En changeant de politique étrangère. En réarmant la France », Valeurs actuelles, n° 4121, 19-25 novembre 2015.
  • [22]
    Laurent Fabius, « Ce sont des monstres, mais ils ne sont que 30 000 », Le Monde, 24 novembre 2015, p. 3.
  • [23]
    On pourrait d’ailleurs soutenir qu’il n’y a pas nécessairement ici de contradiction entre les deux thèses : on a ainsi pu souligner que la violence coloniale du début du 20e siècle, aussi bien concrète que discursive et symbolique, s’était vue transférée en Europe par les belligérants de l’été 1914.
  • [24]
    Voir à ce sujet les doutes de l’historien Henry Rousso, un des rares historiens français à être intervenu « à chaud » après le 13 novembre, dans « On ne va pas rouvrir les abris anti-aériens… », tribune publiée dans Libération le 20 novembre 2015.
  • [25]
    Un truisme opportunément rappelé par le général Vincent Desportes dans La Guerre probable : penser autrement, Paris, Economica, 2007, afin de rendre compte des déboires stratégiques rencontrés par les armées occidentales depuis une quinzaine d’années. Sur cette stupeur des sociétés occidentales devant le terrorisme, on renverra aussi à Victor Davis Hanson, Le Modèle occidental de la guerre : la bataille d’infanterie dans la Grèce classique, Paris, Les Belles Lettres, 1990.
  • [26]
    Béatrice Fraenkel, Les Écrits de Septembre : New York 2001, Paris, Textuel, 2002.
  • [27]
    Jérôme Truc, Sidérations : une sociologie des attentats, Paris, PUF, 2016. Compte tenu de sa date de publication, l’ouvrage n’a pu prendre en compte l’après-13 novembre 2015 : néanmoins, les analyses de l’auteur se révèlent particulièrement utiles pour analyser les phénomènes d’écriture qui accompagnent ce moment particulier.
  • [28]
    À rapprocher de plusieurs comportements paniques en août 1914, qui conduisent certains Parisiens à agresser de pseudo espions allemands dont ils ont cru identifier le comportement « suspect » dans la capitale.
  • [29]
    Le Monde, 19 novembre 2015.
  • [30]
    H. Rousso, « On ne va pas rouvrir les abris anti-aériens… », art. cité.
  • [31]
    Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Éd. du Seuil, 1986.
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