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Article de revue

Le gaullisme d'ordre des années 68

Pages 53 à 68

Notes

  • [1]
    L’expression « gaullisme d’ordre » nous a été suggérée par le bulletin des militants CDR (Citoyens), dans lequel ces derniers se définissaient comme des « républicains d’ordre », « l’avant-garde de la majorité silencieuse », « en lutte contre la chienlit et la subversion marxiste ».
  • [2]
    François Audigier et Frédéric Schwindt, Gaullisme et gaullistes dans la France de l’Est sous la Quatrième République, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009 ; Jean-Paul Thomas, « Droite et rassemblement du PSF au RPF, 1936-1948 : hommes, réseaux et cultures, rupture et continuité d’une histoire politique », thèse de doctorat en histoire, Paris, Institut d’études politiques, 2002.
  • [3]
    Témoignage de Jean Foyer, 25 mars 2008.
  • [4]
    François Audigier, Histoire du SAC, la part d’ombre du gaullisme, Paris, Stock, 2003.
  • [5]
    La « participation », au centre de la pensée sociale du gaullisme, se voulait une troisième voie entre capitalisme et socialisme. Il s’agissait de dépasser la lutte des classes en associant les salariés à leur entreprise selon des modalités diverses (actionnariat populaire, participation aux bénéfices, etc.).
  • [6]
    L’amendement Vallon, présenté en 1965, introduisait le principe de la participation des travailleurs aux plus-values en capital des entreprises. Le pan-capitalisme de Marcel Loichot prévoyait, via une large distribution d’actions aux salariés, l’entrée de ces derniers au conseil d’administration de leurs entreprises.
  • [7]
    Bernard Lachaise et Sabrina Tricaud (dir.), Georges Pompidou et mai 1968, Bruxelles, Peter Lang, 2009 ; François Audigier, « Le groupe gaulliste : quand les godillots doutent », Parlements, revue d’histoire politique, 9, 2008, p. 12-30.
  • [8]
    Le discours gaullien du 30 mai 1968 avait validé en partie ces fantasmes par ses allusions à « l’intoxication et à la tyrannie exercées par des groupes organisés de longue main ».
  • [9]
    Dès la rentrée 1968, le patron des CDR Yves Lancien envisagea, avec l’accord de Jacques Foccart, Pierre Messmer (ministère de l’Armée) et Joël Le Theule (ministère de l’Information), l’installation d’un poste émetteur secret sur le Mont- Valérien pour contrecarrer la désinformation gauchiste en cas de nouvelle émeute (Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, t. II : Le Général en mai, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1998, p. 448).
  • [10]
    Le Monde, 14 octobre 1979.
  • [11]
    Sur les réseaux de Jacques Foccart et la notion de « réseaux » plus généralement, voir Jean-François Médard, « La politique est au bout du réseau, questions sur la méthode Foccart », Cahiers du Centre de recherches historiques, « Foccart entre France et Afrique », 30, octobre 2002, p. 99-116 ; Jean-Pierre Bat, « La Décolonisation de l’AEF selon Foccart : entre stratégies politiques et tactiques sécuritaires (1956-1969) », thèse de doctorat d’histoire contemporaine sous la direction de Pierre Boilley, Université Paris-I, 2011.
  • [12]
    En 1969, le SAC rassemblait dix mille adhérents revendiqués et deux mille militants réels. L’estimation correspond aux effectifs mobilisés lors du référendum sont connus (Archives nationales, Fonds de l’Association nationale pour la fidélité au général de Gaulle, 81/AS/92, lettre du secrétaire général du SAC Jacques Le Meignen au comité directeur de l’Association nationale, le 19 avril 1969).
  • [13]
    Le contrôle que Jacques Foccart exerçait sur les investitures électorales et certains circuits de financement parallèles du Parti expliquait aussi l’influence de ce courant au sein du gaullisme.
  • [14]
    Nassera Mohraz, « L’Union nationale interuniversitaire, 1968-1988 : tentative de décryptage d’une organisation polémique de la guerre froide », mémoire de master recherche, Université de Nancy-II, 2010 ; Didier Favre, Ni rouge, ni jaune : de la CGSI à la CSL, l’expérience du syndicalisme indépendant, Paris, Éd. Midi moins le quart, 1998 ; François Audigier, « Des gaullistes engagés contre la subversion marxiste, le cas des Comités pour la défense de la République en mai-juin 1968 », in François Cochet et Olivier Dard (dir.), Subversion, anti-subversion, contre-subversion, Paris, Riveneuve, 2010, p. 79-94.
  • [15]
    Bernard Lachaise, Du général de Gaulle à Jacques Chirac, le gaullisme et les Français, Bordeaux, CRDP Aquitaine, 2006.
  • [16]
    Serge Berstein évoque « le tournant conservateur de l’automne 1973 » (Histoire du gaullisme, Paris, Perrin, 2001, p. 387).
  • [17]
    Archives privées Philippe Ezan.
  • [18]
    Témoignages de Charles Pasqua, 22 novembre 2010, et d’Yves Lancien, 25 juin 2005.
  • [19]
    Action civique, février et novembre 1973.
  • [20]
    Jacques Rougeot, La Contre-offensive, Paris, La Pensée universelle, 1974.
  • [21]
    Action civique, mars 1972.
  • [22]
    Roger Mucchielli, La Subversion, Paris, Bordas, 1972.
  • [23]
    Analyse proche du « gramscisme de droite » défendu par Alain de Benoist au sein du Grece fondé à la fin de l’année 1968. Le philosophe prônait une stratégie métapolitique consistant à combattre l’hégémonie intellectuelle de la gauche, condition nécessaire à la prise du pouvoir.
  • [24]
    La thèse de la subversion marxiste faisait écho à celle gauchiste du complot répressif d’un État policier préfasciste. Jean-Pierre Le Goff a montré combien ces deux discours fantasmatiques se nourrissaient l’un l’autre (Mai 68, l’héritage impossible, Paris, La Découverte, 2002).
  • [25]
    Raymond Marcellin, L’Ordre public et les groupes révolutionnaires, Paris, Plon, 1969.
  • [26]
    François Audigier, « Le SAC de 1968 à 1974, une officine de renseignement politique », in Sébastien Laurent (dir.), Politiques du renseignement, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2009, p. 109-136.
  • [27]
    Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, op. cit., t. II, p. 480.
  • [28]
    Philippe Poirrier, La Politique culturelle en débat : anthologie, 1955-2005, Paris, La Documentation française, 2006. La sortie du ministre provoqua à Paris une manifestation d’artistes dénonçant, par un cortège funèbre symbolique, la mort de la liberté d’expression.
  • [29]
    Témoignage de Claude de Peyron, 16 septembre 2004.
  • [30]
    Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, t. II : Le Général en mai, 1968-1969, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1998, p. 438.
  • [31]
    Témoignage de Jacques Godfrain, 10 octobre 2009.
  • [32]
    Témoignage de Michel Bongrand, 4 octobre 2004 ; Michel Bongrand, Le Marketing politicien, Paris, François Bourin, 2006, p. 93.
  • [33]
    Les CDR sécurisèrent la rentrée 1968 par des vigiles, cassèrent des grèves initiées par la CGT dans les transports publics en novembre 1969 et mars 1971.
  • [34]
    Témoignage de Pierre Lefranc, 19 décembre 2009.
  • [35]
    Le changement intervient après l’incident des Verreries mécaniques champenoises en juin 1977. Dans cette usine de Reims, un commando CFT dirigé par un ancien du SAC tua un militant CGT.
  • [36]
    Les élections présidentielles de 1981 vit des éléments du SAC soutenir Michel Debré et Marie-France Garaud.
  • [37]
    L’exécution d’un membre du SAC marseillais et de sa famille par des rivaux entraîna l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire puis la dissolution du service d’ordre.
  • [38]
    Le Monde, 27-28 juillet 1986.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Le Monde, 19 février 1987.
  • [41]
    L’UNI joua un rôle important lors des manifestations contre la loi Savary en 1984.
  • [42]
    Mathias Bernard, La Guerre des droites, de l’affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Odile Jacob, 2007.
  • [43]
    « Le MIL, j’y suis entré parce que c’est un lieu de combat, avec de vrais militants. Notre sigle comporte une authentique croix de Lorraine sur une cocarde tricolore, pas la petite croix du RPR… Le MIL, c’est le RPR idéal. » (Emmanuel Hecht et Éric Mandonnet, Au cœur du RPR, enquête sur le parti du président, Paris, Flammarion, 1998, p. 131)
  • [44]
    Philippe Boggio et Alain Rollat, Ce terrible monsieur Pasqua, Paris, Olivier Orban, 1988.
  • [45]
    Pascal Sigoda, « Les cercles extérieurs », Pouvoirs, numéro spécial sur le RPR, 28, 1984, p. 143-158.
  • [46]
    Le Courrier des CAR, 6, hiver 1982.

1La crise de Mai 68 contribue à faire émerger au sein du gaullisme un nouveau courant, le gaullisme d’ordre, qui se définit « en lutte contre la chienlit et la subversion marxiste » et se structure autour du Service d’action civique et des réseaux Foccart. Mais quels sont ses moyens d’action ? Et son influence réelle ? Cet article revient sur l’histoire encore mal connue de cette nébuleuse, complexe et souvent caricaturée, pour en évaluer le poids, l’efficacité et le déclin.

Qu’est-ce que le gaullisme d’ordre ?

Gaullisme conservateur et gaullisme d’ordre

2Le gaullisme d’ordre se constitue politiquement et idéologiquement à partir de Mai 68 et en réaction à cette crise [1]. Avant cette date, il existait déjà au sein du gaullisme des éléments très conservateurs. À la création du Rassemblement du peuple français (RPF) en 1947, son anticommunisme virulent, ses liens avec le monde militaire, son appui à l’école libre comme sa défense de l’Empire lui avaient valu le soutien électoral et militant d’éléments marqués à droite. Certes l’ampleur des effectifs du RPF qui supposait des adhésions interclassistes, l’existence de l’association capital-travail qui ouvrait le gaullisme sur la gauche comme le souvenir du combat contre Vichy qui interdisait des ralliements trop traditionalistes, validaient a priori le discours gaullien sur le rassemblement au-delà des clivages partisans. Des analyses récentes du RPF ont toutefois souligné l’ancrage majoritairement à droite des partisans du Général [2]. Après la mise en sommeil du Parti dès 1953, si les républicains sociaux continuèrent de faire exister électoralement le gaullisme, ce dernier fut aussi porté dans la rue et les réseaux par les « nationaux-gaullistes » mobilisés autour de l’Algérie française. Les tensions accompagnant le retour du Général au printemps 1958 leur firent la part belle, ranimant chez certains à gauche un discours offensif sur le gaullisme factieux et fascisant. Dès l’automne 1959, l’allocution présidentielle sur l’autodétermination de l’Algérie puis les démissions qui suivirent au sein de l’Union pour une nouvelle République (UNR) affaiblirent ce courant droitier, contribuant à recentrer le parti au pouvoir. L’intégration en novembre 1962 de son aile gauche, l’Union démocratique du travail, y contribua également.

3Mais le gaullisme conservateur ne disparut pas pour autant. Débarrassé de l’hypothèque coloniale, il se restructura autour de nouvelles problématiques. La ferme défense du régime s’accompagnait de la promotion de valeurs conservatrices. À la vulgate gaulliste (où la défense de la souveraineté et l’autorité de l’État l’emportaient sur la promotion de l’association entre le capital et le travail), les partisans de cette tendance ajoutaient des éléments relevant d’un classique corpus idéologique de droite : préservation de la société dans ses grands équilibres, respect de la morale traditionnelle, vigilance face à la « menace » marxiste. Parmi le personnel UNR de la première moitié des années 1960 adhérant à ce credo figurait par exemple le garde des Sceaux Jean Foyer [3]. Lors des conseils des ministres, Michel Debré, Roger Frey, Pierre Messmer, Christian Fouchet ou Alain Peyrefitte faisaient souvent entendre la voix de l’ordre et de l’autorité, même si ces personnalités pouvaient aussi incarner dans des champs plus techniques la modernité et les réformes. Ils s’opposaient à d’autres ministres et secrétaires d’État porteurs d’un gaullisme plus ouvert comme Edmond Michelet, Edgar Pisani, Pierre Billotte, Jean Charbonnel ou Gilbert Grandval. Si les conservateurs étaient nombreux au sein du parti, ils étaient surreprésentés dans certains satellites comme l’orthodoxe Association nationale pour le soutien à l’action du général de Gaulle et surtout le Service d’action civique (SAC) [4]. Dans ce service d’ordre cornaqué par Jacques Foccart et encore habité par l’anticommunisme de combat du RPF, la défense de la Participation ne constituait pas une priorité même si certains gros bras étaient passés par l’Action ouvrière et professionnelle (antenne du RPF puis de l’UNR dans les entreprises) [5].

4Mais ce gaullisme conservateur n’avait pas émergé de manière distincte, se limitant à une sensibilité informelle. Sur le plan idéologique, sa philosophie restait sommaire, n’ayant pas été théorisée autour de concepts originaux. Si le gaullisme d’ordre des années 68 s’inscrit dans le prolongement de ce gaullisme conservateur auquel il emprunte une part de son personnel, de ses structures, de ses méthodes et de son discours, il s’en distingue sur d’autres points. Il se définit d’abord par une réflexion novatrice sur la « subversion marxiste », ses modalités et les moyens d’y faire face. Alors que le gaullisme de gauche reste attaché en termes d’identité fédératrice à la Participation et à ses multiples traductions (de l’amendement Vallon au Plan Loichot [6]), le gaullisme d’ordre trouve son marqueur dans le rejet de la contestation née de Mai 68. Certes, l’immense majorité des gaullistes souhaitait la répression de la « chienlit » perçue comme une menace pour le régime. En témoigne la nouvelle appellation adoptée par le parti pour les législatives de juin 1968 : Union pour la défense de la République (UDR). Mais les gaullistes d’ordre se différencièrent en inscrivant cette contestation dans un plan organisé et secret de sédition, en consacrant à cette menace une partie importante de leur action militante et de leur réflexion théorique, en organisant enfin la riposte autour d’associations et d’individus réunis en réseaux.

Mai 68 et ses conséquences

5Mai 68 traumatisa les gaullistes qui gérèrent mal la crise avec un président absent puis en décalage, un Premier ministre énergique mais impuissant, des préfets et une police globalement dépassés, une Union des démocrates pour la Cinquième République (UD.Ve) évanouie et un groupe parlementaire flottant [7]. La contre-offensive des Champs-Élysées sauva le régime mais cette « divine surprise » du 30 mai, prolongée par la « Chambre introuvable » de juin, ne rassura pas tous les gaullistes. Certains, revenant sur les événements, les interprétèrent comme la manifestation d’une subversion marxiste orchestrée de l’étranger [8]. « L’ennemi » (une sémantique militarisée amalgamait de manière peu réaliste communistes et gauchistes) s’en prenait autant aux institutions qu’à l’opinion par le jeu de la propagande, l’infiltration des médias et la politisation de l’enseignement. Face à « ce feu qui couve encore sous la braise », selon la formule de Jacques Foccart, il fallait réagir [9].

6Autour du conseiller élyséen, de ses réseaux et du SAC, se constitua dès la rentrée 1968 un système de vigilance et d’action qui doublait de facto le système officiel de surveillance et de répression mis en place par le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin. Cet ensemble militant mobilisait des organisations déjà existantes avant 1968, comme le SAC (créé fin 1959) et la Confédération française du Travail (CFT, syndicat indépendant fondé fin 1959), mais aussi des formations nées en mai-juin 1968 comme les Comités de défense de la République (CDR) et l’Union nationale interuniversitaire (UNI). Chaque organisation intervenait sur un domaine propre. Au SAC de Pierre Debizet revenaient l’action musclée de terrain et le soutien logistique des campagnes, aux CDR d’Yves Lancien la vigilance citoyenne et la sensibilisation de l’opinion, à l’UNI de Jacques Rougeot la propagande sur les campus et la formation idéologique de cadres, à la CFT de Jacques Simakis la surveillance dans les entreprises de la CGT et des gauchistes.

7Cet ensemble peut-il être appréhendé comme un système structuré d’influence, bref un réseau ? Les convergences semblent évidentes en termes de discours, de personnel et d’action. Même analyse de la subversion selon laquelle l’adversaire doit être combattu sur son terrain (campus, entreprise) et avec ses armes (agit-prop, violence, infiltration). Même personnel dans les organigrammes de direction, avec des figures (Gérard Daury au SAC et à l’UNI, Jacques Godfrain au SAC et aux CDR, Amaury Lubeck au SAC et à la CFT) qui, par leur double appartenance militante, jouent le rôle d’intermédiaires. Même action combinée dans la rue face à l’extrême gauche et auprès du pouvoir, quand il s’agit d’obtenir des crédits pour l’UNI ou d’imposer sa représentativité pour la CFT.

Efficacité et limites du gaullisme d’ordre

8Apprécier cette plateforme de vigilance au sein du gaullisme et de la société française suppose de ne pas se concentrer sur une seule organisation, mais de les appréhender dans leur fonctionnement en réseau (voir document 1). Le SAC considéré isolément reste un simple service d’ordre avec des gaullistes peut-être authentiques mais surtout rugueux (« les rudes prétoriens du régime » selon le journaliste Pierre Viansson-Ponté [10]). Le SAC ne prend sa véritable dimension qu’à condition de le replacer dans un système politique plus général, où il dispose du soutien de l’appareil d’État (police et, dans une moindre mesure, justice et diplomatie) par l’intermédiaire de Jacques Foccart, du relais de compagnons de route (parlementaires, journalistes, hauts fonctionnaires) et de l’appui d’organisations satellites spécialisées (UNI, CFT) [11]. À ce moment seulement apparaît un système disposant des moyens politiques, logistiques et intellectuels de combattre l’adversaire marxiste ainsi que d’influencer le gouvernement dans un sens conservateur. Ce gaullisme « d’ordre » ou « de veille » appuya de fait les réformes répressives, telle la loi anticasseurs du 8 juin 1970, et s’opposa à d’autres jugées trop libérales, telles la réforme Faure des Universités ou la réforme Chaban de l’ORTF.

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Le gaullisme d’ordre des années 68 (1968-1974)

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Le gaullisme d’ordre des années 68 (1968-1974)

9Le poids de ce gaullisme paraît certain. En nombre d’adhérents pour l’année 1969, l’addition des effectifs du SAC, des CDR et de l’UNI atteint sans doute les trente mille militants (les effectifs de la CFT restant modestes) [12]. L’UDR n’ayant jamais constitué un parti de masse bien que ses effectifs augmentassent après 1968, le réservoir militant en question n’est pas négligeable, même si les trois quarts de l’ensemble proviennent des CDR, dont l’appartenance au gaullisme d’ordre et au gaullisme tout court pose un problème. En termes de relais gouvernemental, parlementaire et partidaire, l’influence est aussi notable. À l’Assemblée, le SAC disposait d’une « amicale parlementaire des amis du service d’ordre » comptant une trentaine de députés UDR renforcés d’éléments Républicains indépendants (RI). De même figuraient au gouvernement des ministres sympathisants comme Henri Duvillard, Michel Inchauspé, Paul Comiti, Jacques Chirac ou Robert Galley, et le SAC jouissait d’appuis au sein des instances dirigeantes de l’UDR. Le gaullisme d’ordre bénéficiait donc d’une présence sur le terrain (au point que le parti lui sous-traitait sa militance) mais aussi d’une capacité d’influence politique et idéologique [13]. On ne peut le réduire aux seuls gros bras excités ou condottiere du gaullisme (Roger Barberot et Dominique Ponchardier) auxquels on l’associe parfois.

10Ce courant n’a pourtant pas donné lieu à une analyse globale bien que certaines de ces composantes aient fait l’objet d’études particulières [14]. S’agissant du gaullisme militant des années 1960-1970, un déséquilibre historiographique est à déplorer. Le gaullisme de gauche a suscité plusieurs travaux, alors que cette tendance, si elle disposait d’une visibilité médiatique et intellectuelle et si elle contribuait à l’originalité de l’identité gaulliste, a politiquement peu compté. Ses cohortes étiques et sa faible influence l’ont empêché d’imposer la Participation même avec l’appui gaullien. L’étude de l’autre bord de la famille gaulliste n’en apparaît que plus légitime. Elle permet d’aborder la question polémique par excellence du positionnement du gaullisme. Ce dernier est en tension permanente, assurant la difficile synthèse entre ordre et liberté, autorité et dialogue, conservatisme et progrès [15]. Selon les nécessités de l’instant et plus encore la sensibilité de ses partisans, il penche d’un côté ou de l’autre. Le gaullisme d’ordre, accentuant la dimension plébiscitaire et césarienne du gaullisme (selon la célèbre analyse rémondienne) le fait verser à droite. N’aurait-il pas contribué à faire glisser le gaullisme vers le conservatisme dans la première moitié des années 1970, à l’époque du tandem Pompidou-Messmer [16] ?

11La cohérence du gaullisme d’ordre reste cependant discutable. Une analyse plus fine révèle chez chacune des quatre formations envisagées des identités suffisamment fortes pour générer des tensions entre elles. Ces rivalités relèvent non seulement d’oppositions de personnes (maladie endémique du gaullisme), mais témoignent aussi de désaccords plus profonds. En termes de stratégie politique (jusqu’où aller à droite ?), de modalité d’action politique (faut-il investir des candidats lors des élections ? le SAC s’y refuse alors que d’autres l’envisagent) ou de réflexion doctrinale (la question sociale est sensible aux CDR, moins à l’UNI), les divisions sont nombreuses. Enfin, et surtout, le rapport au gaullisme n’est pas identique. Si les CDR ne se veulent pas gaullistes pour mieux rassembler « contre la chienlit » (alors que la majorité de leurs adhérents vient pourtant de cette famille), si l’UNI ne revendique pas cette identité pour la même raison et si la CFT se désintéresse de la doctrine au profit du terrain, le SAC se définit tel le carré des fidèles du Général, comme en témoigne l’affiche-anniversaire du SAC commémorant le décès du général de Gaulle et diffusée en novembre 1971 [17]. Sa fibre gaulliste devient toutefois moins forte après 1969, le service d’ordre attirant alors des rescapés de l’Algérie française sur fond de lutte contre le communisme. Le combat antimarxiste devenant prioritaire, le gaullisme d’ordre privilégie alors l’ordre au gaullisme. Ces clivages suscitent des tensions à l’intérieur des formations et entre elles. Le SAC connaît des remous à la fin de l’année 1969, lorsqu’une partie de la direction (René Tiné, Charles Pasqua, Jacques Le Meignen, Pierre Camy-Perret) s’oppose au tandem Foccart-Debizet sur une ligne de gaullisme orthodoxe, jusqu’à créer des SAC dissidents. Dès 1969, les relations se détériorent entre le SAC et les CDR qui s’émancipent de la tutelle originelle du service d’ordre [18]. Des heurts éclatent au sein des CDR entre réformistes et conservateurs à Dijon, notamment sur la loi Faure. La pragmatique UNI enfin reste liée au SAC, mais regarde aussi du côté des giscardiens, au point que ses dirigeants semblent plus à l’aise idéologiquement avec les RI qu’avec l’UDR.

12Le gaullisme d’ordre est également affecté par les clivages traversant la famille gaulliste de l’après de Gaulle (débréistes, pompidoliens, chabanistes) : où se situer entre les gaullistes orthodoxes et les conservateurs pompidoliens ? Si l’union existe face aux gauchistes, elle devient fragile quand il faut prendre position sur l’amicale Présence et action du gaullisme. Le problème surgit à nouveau lors de la campagne présidentielle de 1974. Une partie du SAC ne souhaita pas s’engager pour Jacques Chaban-Delmas, préférant Christian Fouchet ou Pierre Messmer (voire basculant vers Valéry Giscard d’Estaing), avant qu’un recadrage sévère de Jacques Foccart ne rappelle les troupes à la raison. Soulignons enfin les faiblesses propres à ces organisations. Le SAC, qui multipliait à certains endroits (Provence, région lyonnaise) les mauvaises fréquentations avec le Milieu et jouait à l’occasion les polices parallèles, jouissait d’une image déplorable. Georges Pompidou, qui le soupçonnait d’avoir trempé dans le scandale Markovic, exigea après son arrivée à l’Élysée la purge du service d’ordre. La CFT ne parvint ni à sortir de l’industrie automobile, ni à obtenir la représentativité. L’UNI, marginale en dehors de quelques bastions, souffrit de la concurrence de syndicats gaullistes et giscardiens plus modérés.

Discours et relais politiques du gaullisme d’ordre

Une lecture en subversion des années 1968

13Dès la rentrée 1968, Jacques Foccart et ses amis incitèrent les autorités à la fermeté dans les domaines sensibles de la sécurité, de l’éducation, des médias et des syndicats. Filant dans leur presse la métaphore du corps malade, ils préconisaient des remèdes radicaux pour guérir une société menacée par la décomposition. Ce discours relevant d’un registre familier de l’extrême droite fut accentué par le retour à la tête du SAC de Pierre Debizet qui, en désaccord avec la politique algérienne, avait quitté le service d’ordre en 1960. Ancien du service d’ordre du RPF passé par les Volontaires de l’Union française de Jean-Baptiste Biaggi, il plaça à ses côtés des individus marqués idéologiquement à l’extrême droite tel que Philippe Maintrieu. Sous l’influence de cette nouvelle génération (qui remplaça la première marquée par le combat anti-OAS), le gaullisme conservateur céda la place à un anticommunisme extrémiste, où les références gaullistes se limitaient à quelques symboles (croix de Lorraine et citations du Général).

14Quel était le discours de fond du gaullisme d’ordre, exprimé dans le bulletin du SAC Action civique, le bulletin de l’UNI Action universitaire et, dans une moindre mesure, celui des CDR, Citoyens ? Depuis Mai 68, les Français étaient « pris en otage par des élites violentes » (communistes, syndicalistes, agitateurs-provocateurs, intellectuels gauchistes). Ces « terroristes », occupant dans le pays des « places de sûreté », imposaient leurs conditions à l’État et à l’opinion. Les « autres forces organisées » avaient « abdiqué » ou s’étaient « ralliées » au point de constater dans la société « un véritable trou par le haut ». « Face au communisme, l’État résiste encore mais la société craque [19]. » Ce constat dramatique appelait une réaction énergique. Celle-ci passait d’abord par une action contre-subversive soutenant « l’État en l’éclairant sur ceux qui dans ses organes seconds favorisent la conquête communiste ». La « contre-offensive », selon la formule de Jacques Rougeot [20], supposait une action antisubversive visant « à organiser la résistance nationale dans la société réelle [21] ». À l’UNI où des universitaires comme Roger Mucchielli avaient lu Gramsci, Tchakhotine et Monnerot [22], beaucoup pensaient que l’extrême gauche sapait la société en y diffusant son vocabulaire et ses valeurs, en y banalisant puis institutionnalisant ses modèles théoriques [23]. La loi ne finissait-elle pas par libéraliser les médias, autonomiser les universités, encourager l’amour libre, préparer l’avortement et tolérer l’objection de conscience (voir document 2) ? Le gaullisme d’ordre n’était pas seul à proposer cette lecture en subversion des années 68 [24]. Raymond Marcellin se montrait également convaincu d’un feu révolutionnaire mal éteint, dont seule une politique de répression viendrait à bout. En 1969, son ouvrage sur L’Ordre public et les groupes révolutionnaires trouva un écho positif auprès de « giscardiens d’ordre » comme Michel Poniatowski [25].

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Affiche de l’UNI diffusée en 1970

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Affiche de l’UNI diffusée en 1970

15À partir de ce discours d’alerte nourri d’une sémantique maurassienne se mit en place un système d’information, d’action et d’influence doté de multiples relais et où les enjeux de pouvoir étaient forts [26]. Les gaullistes d’ordre présentaient aux décideurs politiques la menace d’un nouveau Mai, comme une évidence dont la base militante et électorale (la majorité silencieuse) avait conscience, mais qui échappait aux élites déjà perverties ou conditionnées. En réalité, ce discours de peur n’apparaît pas dominant chez les militants gaullistes, comme l’atteste à la fin de l’année 1973 la facile prise de contrôle de l’UDR par Jacques Chaban-Delmas, social et réformiste. Surtout, il n’était pas dénué d’arrière-pensées. La crainte de l’État favorisait le gaullisme d’ordre. Tant que le régime redouterait la subversion gauchiste, il soutiendrait ces réseaux et officines aux douteuses prérogatives.

Les relais

16De 1968 à 1974, le gaullisme d’ordre fut représenté dans tous les gouvernements. Des secrétaires d’État et ministres, proches de Jacques Foccart et partisans d’une répression musclée de la subversion, défendaient l’action du trio SAC-UNI-CFT. Ce lobby s’organisait lors de réunions de travail pilotées par le conseiller élyséen avec l’aide de Robert Galley. Parmi les ministres concernés figuraient Michel Inchauspé, Joseph Comiti, Henri Duvillard, André Fanton, Bernard Pons, André Bord, Christian Poncelet, Robert Galley, Jacques Chirac. Dès le 3 décembre 1968, Jacques Foccart organisa un déjeuner avec ces deux derniers, avant de rapporter dans son Journal : « Je sens ces deux jeunes ministres très désireux de faire équipe avec moi, très élogieux à propos de l’action du SAC [27]. » En Mai 68, Jacques Foccart avait été sensible à l’attitude déterminée de Robert Galley, qui avait été parmi les premiers adhérents des CDR, avait mobilisé les réseaux de la 2e division blindée. Fin février 1969, l’amicale se structura à l’occasion de repas réguliers en l’honneur de Jacques Foccart et à l’attention des « ministres amis ou membres du SAC ». Alain Peyrefitte, Maurice Druon et Jean Foyer manifestaient un fort conservatisme, tout en étant indépendants des réseaux de Jacques Foccart. Sans être gaullistes, certains ministres étaient acquis à la répression, tel le RI Philippe Malaud au ministère de l’Information. Beaucoup de gaullistes d’ordre étaient des vétérans et entretenaient des relations étroites avec le ministère des Anciens combattants tenu de 1966 à 1978 par des proches de Jacques Foccart (Alexandre Sanguinetti, Henri Duvillard puis André Bord). Situé rue de Bellechasse à quelques dizaines de mètres du siège du SAC, le ministère offrait un soutien logistique intéressant (en mai 1968, le service d’ordre s’y ravitailla en essence). Il permettait aussi de « placer » des proches dans l’appareil d’État. À la demande de Jacques Foccart, Henri Duvillard prit ainsi comme chargé de mission le secrétaire général du SAC jusqu’en 1969, Jacques Le Meignen.

17Au sein des cabinets ministériels, le phénomène de réseau semble patent. Un proche de Jacques Foccart, l’agrégé Raymond Labelle, membre de la rédaction du bulletin du SAC, conseilla plusieurs ministres de 1966 à 1974, dont Maurice Druon aux Affaires culturelles. La sortie de ce dernier en mai 1973 sur « les artistes qui tendent la sébile d’une main et le cocktail molotov de l’autre [28] » lui devait beaucoup. À Matignon à l’époque chabaniste, le conseiller et cousin germain du Premier ministre, Claude de Peyron, appartenait au SAC [29]. Tout comme en était proche Jean Labat, conseiller technique de Jacques Chaban-Delmas, qui présenta favorablement en mars 1969 à ce dernier l’action du SAC, de l’UNI et de la CFT. S’agissant des entourages, rappelons le rôle de Jacques Foccart, conseiller privilégié du Général pour les questions de politique intérieure, renseignement, défense et diplomatie africaine. Jouissant de sa confiance totale, il le voyait quotidiennement à raison d’une heure en fin d’après-midi. Avec Georges Pompidou, la relation fut moins forte, mais le président rencontrait Jacques Foccart deux à trois fois par semaine, sollicitant son avis sur le pré carré africain et prenant auprès de lui le pouls de l’opinion, de l’électorat gaulliste et de la base militante.

18Après le raz-de-marée légitimiste du mois de juin 1968, le gaullisme d’ordre disposait au Parlement d’un groupe de pression à l’intérieur du groupe UDR. La structuration de ce lobby s’opéra en novembre 1968, au même moment que le lobby gouvernemental, selon une coïncidence révélant la coordination d’un courant à différents niveaux. Le 13 novembre 1968 eut lieu le premier dîner des parlementaires membres du SAC, Jacques Foccart le présidait en compagnie des ministres Michel Inchauspé et Joseph Comiti. Une « trentaine de députés [30] » retrouvèrent cinq chargés de mission régionaux du SAC pour commenter l’action gouvernementale. Le groupe UDR de l’époque comptant deux cent soixante-dix élus, le service d’ordre touchait un député gaulliste sur neuf, soit une représentation équivalente à celle de l’amicale parlementaire Présence et action du gaullisme. Culture du secret oblige dans un monde marqué par les pratiques de clandestinité héritées de la Résistance et de la guerre froide, les cas avérés d’appartenance au SAC sont rares (Charles Pasqua, Pierre Jalu, André Fanton, Roger Souchal, René Couveinhes, Michel Inchauspé, Edmond Nessler, Maurice Herzog). Pour les autres, une proximité forte avec le service d’ordre et des interventions régulières à l’Assemblée en faveur d’une répression accrue laissent à penser que les liens étaient très forts avec le service d’ordre. Le SAC était aussi représenté chez les suppléants, à l’image de Bertrand des Garets (pour le député Robert Boulin en Gironde) ou Jean Devos (pour le député Mario Bénard dans le Var). Sous Jacques Chaban-Delmas à Matignon, ces députés intervinrent en séance publique pour critiquer l’ouverture de l’ORTF et les mesures en faveur des syndicats, protester contre l’agitation étudiante et lycéenne persistante, le « laxisme de la justice » face à la violence des maoïstes, le scandale des grèves enseignantes. Partisans résolus de la loi Debré sur le sursis étudiant en juillet 1970, ils se mobilisaient aussi sur les questions sociétales touchant à la libération sexuelle. Ce fut le cas en mai 1973, quand le Parlement évoqua l’avortement et la réforme de la loi de 1920 sur la contraception. Ils étaient enfin en pointe dans la défense de la peine de mort.

19Au sein de l’UDR, beaucoup de responsables étaient acquis à ce discours d’ordre. Il est vrai que le parti était plus à droite que son électorat, pourtant le plus conservateur au sein de la majorité (l’électorat gaulliste étant en moyenne plus âgé que celui des libéraux ou centristes de gouvernement). Parmi les responsables, René Tomasini, secrétaire général de l’UDR en 1971-1972 et directeur du bulletin de l’UDR Démocrates, ne cachait pas son goût pour la répression. En février 1971, il avait stigmatisé publiquement « la lâcheté des magistrats » face aux gauchistes. D’autres dirigeants comme Alain Peyrefitte (secrétaire général en 1972-1973), Claude Labbé (président du groupe à l’Assemblée à partir de 1971 et membre du bureau exécutif), Charles Pasqua (responsable de la fédération des Hauts-de-Seine, membre du bureau exécutif puis délégué national à l’action en juin 1974) ou Bernard Pons (responsable de la fédération du Lot, membre du comité central et du bureau exécutif dès 1967) relevaient à des degrés divers de la même sensibilité. Au sein des fédérations, celles réputées pour leur ligne dure étaient aussi connues pour leurs liens avec le SAC. C’était le cas en région parisienne, mais aussi dans le Sud (Hérault et Vaucluse, où le responsable départemental du service d’ordre, René Berguet, devint secrétaire fédéral en 1969). Figuraient également dans le gaullisme d’ordre de jeunes responsables, démentant le cliché selon lequel les nouvelles générations étaient forcément attirées par le gaullisme de gauche. Né en 1943, Jacques Godfrain, responsable de l’antenne cadette du SAC depuis la fin de l’année 1965, obtint des investitures aux élections législatives de 1968 et 1973, avant d’être coopté au comité central puis au bureau exécutif de l’UDR, grâce à la protection de Jacques Foccart [31].

20Le gaullisme d’ordre utilisait ses adhérents et compagnons de route pour relayer son exigence d’autorité dans la société civile. Les CDR disposaient d’antennes dans les médias (Lucien Barnier chroniqueur à France inter, Roland Dhordain ancien directeur de la radio et de la première chaîne à l’ORTF), l’Université (Pierre Chaunu, Georges Molinié), les syndicats (à Force ouvrière via Pierre Felce, secrétaire général de la Fédération des transports, ou André Lafond, ancien secrétaire général de la Fédération des cheminots) et les associations de parents d’élèves (Fédération Armand). Au-delà des organes gaullistes (La Nation avec Pierre Charpy), de grands quotidiens comme Le Parisien libéré du gaulliste Émilien Amaury ou France-Soir de Pierre Lazareff se faisaient l’écho de ce discours sécuritaire. Jacques Foccart était proche d’hommes de média comme André Frossard, journaliste au Figaro et collaborateur au bulletin du SAC, Édouard Sablier, directeur de l’actualité télévisée et collaborateur du même bulletin, Serge Maffert, rédacteur en chef de France-Soir ou encore Jacqueline Baudrier, directrice de l’information sur la deuxième chaîne. Il était l’ami du publiciste Michel Bongrand, pionnier du marketing politique en France, patron de la société Services et méthodes qui animait les campagnes gaullistes au début des années 1970 et membre de l’équipe de direction du SAC [32]. Il fréquentait enfin le journaliste Michel Droit.

Originalité et modernité du gaullisme d’ordre

21Le départ du Général accentua le fractionnement du gaullisme en courants rivaux. Deux types se distinguaient : ceux qui s’organisaient autour d’un leader (chabanistes, pompidoliens, dans une moindre mesure débréistes) et ceux qui se structuraient autour de valeurs ou d’héritage (gaullistes de gauche, orthodoxes). Dans cet ensemble, le gaullisme d’ordre paraît atypique. Il n’appartient pas à la catégorie du courant « personnalisé ». En effet, s’il s’agence autour de la partie politique des réseaux Foccart, il ne se constitue pas dans une logique d’allégeance à un leader (Jacques Foccart restant un conseiller et homme de l’ombre sans ambition personnelle). Le gaullisme d’ordre correspondrait-il alors à un courant « idéologique », se structurant ici autour du refus de la subversion ? Sans doute, mais cette tendance développe autant une action de terrain qu’une réflexion politique, à l’inverse du gaullisme de gauche qui reste intellectuel, sinon intellectualiste. Il y a là une valorisation du militantisme qui fait l’originalité de cette famille politique.

22Si l’efficacité militante du gaullisme d’ordre est évidente, le bilan est plus nuancé en matière de lobbying. Le manque de cohérence a joué au point que le terme de « sensibilité », voire de « nébuleuse » serait plus pertinent que celui de « courant » pour décrire cette tendance. Sensibilité transversale, puisqu’elle recrutait dans les différentes familles gaullistes. Les rivalités entre personnes (Foccart-Pasqua, Foccart-Lefranc) et organisations (SAC-CDR), les querelles doctrinales, le jeu des instrumentalisations (les pompidoliens utilisèrent ce courant contre les chabanistes ou les orthodoxes) créèrent trop d’interférences.

23Notons enfin que le gaullisme d’ordre, pour conservateur qu’il fut, n’était pas sans présenter une forme de modernité. Modernité dans la communication politique (visuel efficace des affiches CDR – voir les documents 3 et 4 – invention de l’autocollant politique par l’UNI, commande de sondages). Modernité dans l’action militante (expéditions CDR contre les piquets de grève et saturation des standards pour orienter les débats radio, mobilisation express au SAC via un système de convocation téléphonique en chaîne [33]). Modernité dans la réflexion et la formation (analyse de la subversion, école des cadres de l’UNI par laquelle passèrent de nombreux futurs responsables RPR à l’image d’Éric Raoult). Modernité enfin dans le rapport à l’histoire (le moment fondateur n’étant plus pour ces militants la dernière guerre ou le RPF, mais 1968, ce qui accentuait la « déhistoricisation » du gaullisme déjà engagée lors des assises de Lille) et à de Gaulle (le gaullisme d’ordre étant largement un gaullisme de l’après-de Gaulle).

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Cette affichette CDR, conçue pour les élections législatives de 1968, fait allusion aux destructions anarchiques de Mai 68 et témoigne de la maîtrise des codes du visuel politique

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Cette affichette CDR, conçue pour les élections législatives de 1968, fait allusion aux destructions anarchiques de Mai 68 et témoigne de la maîtrise des codes du visuel politique

(Archives privées Jean-Marie Vissouze.)
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Cette affichette CDR, conçue pour l’élection présidentielle de 1974, évoque l’alliance entre socialistes et communistes et révèle un humour efficace

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Cette affichette CDR, conçue pour l’élection présidentielle de 1974, évoque l’alliance entre socialistes et communistes et révèle un humour efficace

(Archives privées Jean-Marie Vissouze.)

Héritage du gaullisme d’ordre

Délitement et éclatement du gaullisme d’ordre

24La victoire giscardienne de 1974 affaiblit triplement le gaullisme d’ordre qui souffrit de la désunion de ses membres (Jacques Foccart, fidèle à Jacques Chaban-Delmas, se brouilla avec Jacques Chirac), de la perte de ses relais institutionnels (Élysée, ministre de l’Intérieur et dans une moindre mesure Matignon) et de son décalage par rapport à la « société libérale avancée », selon le slogan de campagne du candidat RI en 1974. Chaque organisation retrouva son indépendance sans la liaison minimale assurée autrefois par le réseau Foccart. L’UNI se rapprocha des giscardiens, notamment à partir de 1976, quand Alice Saunier-Seïté devint secrétaire d’État aux Universités. Le SAC, chassé de la rue de Solférino dès 1973 par Pierre Lefranc, qui y avait installé l’Institut Charles-de-Gaulle [34], vit son identité gaulliste se diluer jusqu’à jouer par endroit les gros bras de meetings UDF. Pierre Debizet, qui travaillait aussi pour la sécurité gabonaise, peinait à maintenir l’unité d’une formation éclatée en baronnies mal fréquentées. La CFT, déchirée dès 1975 par des luttes entre chiraquiens et giscardiens encouragés par Michel Poniatowski, fut reprise en main par Auguste Blanc et rebaptisée Confédération des syndicats libres (CSL) [35]. Ce qui restait des CDR moribonds fut intégré dans le RPR à la fin de l’année 1976 sous le nom de Rassemblement pour le civisme, le dialogue et le renouveau. Yves Lancien rejoignit le comité central du Parti, dont il devint en 1977 secrétaire de la fédération parisienne. Charles Pasqua, qui tenait l’appareil chiraquien depuis l’été 1974 et n’avait pas oublié son éviction de Solférino en 1969, s’opposait à tout entrisme du SAC rue de Lille, où il installa ses réseaux et un service de sécurité indépendant. Le gaullisme d’ordre se divisait à présent en deux familles rivales : les réseaux de Charles Pasqua et ceux de Jacques Foccart.

25La situation s’améliora à la fin de l’année 1976, quand Jacques Chirac s’émancipa de la tutelle giscardienne pour affirmer son ambition autour d’un nouveau parti à l’identité gaulliste retrouvée. Lors des élections municipales de 1977 puis des législatives de 1978, le SAC se mit au service du RPR, sous l’influence d’un Jacques Foccart réconcilié. Ses amitiés africaines devenaient précieuses pour un Parti privé des fonds secrets. Même s’il avait largement perdu ses structures militantes et souffrait des tensions entre gaullistes chiraquiens, gaullistes de l’Élysée et gaullistes orthodoxes [36], le gaullisme d’ordre n’avait pas disparu comme sensibilité politique. Au sein du groupe RPR, bien des députés élus en 1978 partageaient encore le discours sécuritaire des années 68, tel Jacques Godfrain. Le débat parlementaire en février 1981 sur la loi Peyrefitte « renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes » en fut l’illustration. Sans que l’on puisse parler de refonte idéologique, le discours du gaullisme d’ordre avait évolué, s’adaptant à de nouveaux enjeux. Si la thématique de la « menace » marxiste restait présente dans le contexte de relance de la guerre froide de la fin des années 1970, elle avait perdu de sa capacité mobilisatrice avec la décrue de la violence gauchiste et le déclin électoral du Parti communiste. La défense de la civilisation occidentale et des valeurs traditionnelles devint l’élément central d’un discours plus moral.

Recomposition et redéfinition

26Si l’alternance de 1981 fut vécue comme un drame par les gaullistes d’ordre, elle leur permit de regagner de l’influence au sein d’un RPR radicalisé par la défaite. La contre-offensive ne prit pas appui sur le SAC dissous après la tuerie d’Auriol du mois de juillet 1981 [37], mais sur d’autres structures déjà existantes (UNI) ou créées pour l’occasion. En 1981, à l’initiative officielle du général de Boissieu et de Pierre Messmer, et plus officieuse de Jacques Foccart, fut lancé le Mouvement initiative et liberté (MIL) pour « défendre et promouvoir une organisation de la société française inspirée des valeurs civiques, culturelles, morales et spirituelles de la civilisation française [38] ». Domiciliée rue Musset et présidée par Jacques Rougeot, cette organisation partageait avec l’UNI le même responsable et la même adresse. La collusion entre l’UNI, le MIL et l’ancien SAC devint évidente quand le MIL fut présidé par le professeur de droit de l’Université Paris-II, André Decocq, passé par le syndicat universitaire et le service d’ordre. Dans son comité d’honneur figuraient d’anciens ministres comme Alain Peyrefitte et Alice Saunier-Seïté, l’académicien Michel Droit, le professeur de médecine Christian Cabrol et le compagnon de la Libération Pierre Clostermann. Branche dure du RPR, le MIL se voulait « un mouvement de réflexion et d’action », s’opposant « à tout pouvoir d’inspiration collectiviste [39] ». À ceux qui doutaient d’une pareille menace, Pierre Debizet déclarait en 1987 à Toulon : « Il faut gueuler la vérité aux Français, car nous sommes dans une situation de guerre subversive [40]. »

27Le développement du MIL s’inscrit dans le contexte politico-idéologique du début des années 1980. Estimant qu’elle avait perdu la présidentielle puis les législatives de 1981 sur le terrain des idées, la droite souhaitait se renforcer intellectuellement. Elle entendait s’opposer au triomphe des valeurs de 68 en présentant un nouveau et attractif corpus doctrinal, organisé autour du libéralisme économique anglo-saxon alors à la mode et du conservatisme moral (valorisation de la famille, critique de l’immigration, défense de l’école libre [41]). Il fallait s’imposer dans le débat pour gagner dans les urnes. Des clubs se développèrent, comme le Club de l’Horloge animé par le gaulliste Yvan Blot. En rassemblant les éléments droitiers du RPR sur la préférence nationale ou le combat contre l’avortement, le MIL souhaitait empêcher ces derniers de dériver vers le Front national. Dans la réalité, ce type d’organisation joua les passerelles entre droite et extrême droite, contribuant à acclimater les thèses frontistes au sein d’une partie de l’opinion [42]. Le gaullisme d’ordre des années 1970-1980 porte ainsi une certaine responsabilité dans la résurgence du courant nationaliste. Si le MIL se concevait comme un laboratoire où se croisaient les influences contradictoires de la droite ultralibérale, du catholicisme conservateur et d’un gaullisme rigide, il se différenciait des autres clubs liés au RPR (Clubs 89) par sa participation aux campagnes. Lors de la présidentielle de 1988, les affiches mitterrandiennes dans la capitale furent couvertes de bandeaux « Mitterrand, c’est le droit de vote aux immigrés », dont le visuel était inspiré des autocollants UNI. Le parrainage de Jacques Foccart n’échappa pas à Charles Pasqua, qui rechigna à fournir au MIL le soutien logistique du RPR. La formation évolua donc dans une relative autonomie. Présidée dans les années 1990 par le député de Seine-Saint-Denis Raoul Béteille (ancien magistrat inspirateur des lois « sécurité et liberté » et victime de l’alternance de 1981 [43]), animée par l’ancien ministre Robert Pandraud et soutenue par des figures gaullistes (Michel Habib-Deloncle, Maurice Schumann, Bernard Debré, Jean Tibéri, Xavier Deniau, Philippe de Gaulle), elle diffusait le même discours sécuritaire anti-immigration. Le MIL jouait enfin à l’occasion le service d’ordre du RPR bien que le Parti se fût doté dès 1983 de son propre appareil de sécurité, le Service d’ordre républicain.

28Sénateur des Hauts-de-Seine depuis 1977 et président du groupe RPR au Sénat à partir de 1981, Charles Pasqua organisa ses réseaux avec l’aide de proches installés dans l’appareil RPR (Dominique Vescovali, Jean Taousson, Patrick Devedjian, Bernard Guillet, William Abitbol, Bernard Tomasini, Paul d’Ornano, Paul-Marie Couteaux, Isabelle Caullery). Apparu en décembre 1981, son mouvement Solidarité et défense des libertés se définissait comme « un centre de rassemblement ferme et résolu “pour ceux” qui refusent le socialisme et veulent agir [44] ». Des gaullistes droitiers comme Jacques Toubon, Franck Borotra et Jacques Médecin pour le RPR y croisaient des UDF de combat tel Jacques Dominati, témoignant de la nouvelle plasticité idéologique du gaullisme d’ordre des années 1980. Le combat contre le pouvoir de gauche autorisait de larges ralliements au-delà du seul noyau gaulliste, au sein des partis de droite (du Parti radical au Front national en passant par le Centre national des indépendants et paysans de Philippe Malaud) et dans la société civile (association Légitime défense, Fédération professionnelle indépendante de la police). Mais la présence d’extrémistes et les méthodes musclées de SDL inquiétèrent la direction du RPR. Charles Pasqua préféra retrouver le terrain parlementaire, ferraillant contre le gouvernement sur l’insécurité et le rétablissement de la peine de mort. Son arrivée place Beauvau en 1986 fut saluée par la presse acquise au discours sécuritaire (Figaro magazine et Valeurs actuelles), même si l’on notait que le ministre était secondé par son rival Robert Pandraud appartenant à l’autre branche du gaullisme d’ordre, celle incarnée par Jacques Foccart à nouveau dans l’ombre du pouvoir comme conseiller du Premier ministre pour les affaires africaines.

29Alors que le contexte des premières années Mitterrand lui était a priori favorable, le gaullisme d’ordre ne retrouva pas la puissance organisationnelle et les relais gouvernementaux et parlementaires des années 68. Les effectifs militants restaient limités, parfois volontairement comme au MIL qui filtrait ses adhésions. La seule organisation ayant eu des ambitions étaient les Comités d’action républicaine fondés à l’automne 1981 par Bruno Mégret sur le modèle des CDR [45]. Si les CAR entendaient incarner « la représentation de la majorité silencieuse [46] », ils restèrent embryonnaires en dépit de leurs huit mille adhérents revendiqués. Après avoir modestement participé aux élections municipales de 1983 et à la campagne contre les lois Savary, ils suivirent leur président au Front national. Dans la sphère parlementaire, les législatives de 1988 avaient envoyé à l’Assemblée une vingtaine de gaullistes d’ordre sur les cent vingt-sept membres du groupe RPR (anciens comme Robert Galley et Alain Peyrefitte, nouveaux comme Patrick Balkany et Éric Raoult). Cependant, cette sensibilité n’était plus structurée comme autrefois. Rue de Lille, au siège du RPR, des responsables nationaux comme Claude Labbé (président du groupe à l’Assemblée nationale de 1976 à 1986) et Bernard Pons (secrétaire général de 1979 à 1984) continuaient de professer un antisocialisme virulent, mais leur discours musclé paraissait anachronique pour la génération montante des futurs « rénovateurs », tels Philippe Séguin, Michel Noir, Alain Carignon, Michel Barnier et François Fillon. Bien qu’opposée activement à la gauche, cette génération n’adhérait pas à la thématique datée de la subversion, ce qui n’empêcha pas l’union, très opportuniste, des rénovateurs et des orthodoxes du courant de Charles Pasqua aux assises de 1990 contre la direction Chirac-Juppé. La référence aux années 68 semblait également moins prégnante chez les technocrates libéraux (Alain Juppé) et gaullistes sociaux (Roger Karoutchi), qui formaient les autres tendances d’un RPR de plus en plus composite et conflictuel. Le Front national gênait aussi le gaullisme d’ordre, tant par la concurrence qu’il exerçait sur ses troupes que par le discrédit qu’il faisait peser sur les valeurs d’autorité. Par ailleurs, en devenant une formation de masse, le parti gaulliste s’était affranchi de l’aide des satellites militants du gaullisme d’ordre. En termes d’image enfin, après avoir hésité sur la ligne à tenir par rapport à Jean-Marie Le Pen et s’être trop associé au discours répressif pasquaïen, Jacques Chirac comprit que sa défaite de 1988 tenait en partie à son image droitière. La campagne victorieuse de 1995, menée sur la thématique séguiniste recentrée de la fracture sociale, lui permit de se poser en rassembleur, retrouvant les sources d’un gaullisme peut-être plus authentique. Actuellement, le MIL et, dans une moindre mesure, la Droite populaire (courant droitier de l’UMP où des anciens « durs » du RPR, tels Christian Vanneste, Thierry Mariani, Jacques Myard et Lionnel Luca, sont influents) représentent les dernières expressions militantes du gaullisme d’ordre.


Mots-clés éditeurs : Jacques Foccart, réseau politique, ordre, gaullisme, droite

Date de mise en ligne : 22/10/2012

https://doi.org/10.3917/vin.116.0053

Notes

  • [1]
    L’expression « gaullisme d’ordre » nous a été suggérée par le bulletin des militants CDR (Citoyens), dans lequel ces derniers se définissaient comme des « républicains d’ordre », « l’avant-garde de la majorité silencieuse », « en lutte contre la chienlit et la subversion marxiste ».
  • [2]
    François Audigier et Frédéric Schwindt, Gaullisme et gaullistes dans la France de l’Est sous la Quatrième République, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009 ; Jean-Paul Thomas, « Droite et rassemblement du PSF au RPF, 1936-1948 : hommes, réseaux et cultures, rupture et continuité d’une histoire politique », thèse de doctorat en histoire, Paris, Institut d’études politiques, 2002.
  • [3]
    Témoignage de Jean Foyer, 25 mars 2008.
  • [4]
    François Audigier, Histoire du SAC, la part d’ombre du gaullisme, Paris, Stock, 2003.
  • [5]
    La « participation », au centre de la pensée sociale du gaullisme, se voulait une troisième voie entre capitalisme et socialisme. Il s’agissait de dépasser la lutte des classes en associant les salariés à leur entreprise selon des modalités diverses (actionnariat populaire, participation aux bénéfices, etc.).
  • [6]
    L’amendement Vallon, présenté en 1965, introduisait le principe de la participation des travailleurs aux plus-values en capital des entreprises. Le pan-capitalisme de Marcel Loichot prévoyait, via une large distribution d’actions aux salariés, l’entrée de ces derniers au conseil d’administration de leurs entreprises.
  • [7]
    Bernard Lachaise et Sabrina Tricaud (dir.), Georges Pompidou et mai 1968, Bruxelles, Peter Lang, 2009 ; François Audigier, « Le groupe gaulliste : quand les godillots doutent », Parlements, revue d’histoire politique, 9, 2008, p. 12-30.
  • [8]
    Le discours gaullien du 30 mai 1968 avait validé en partie ces fantasmes par ses allusions à « l’intoxication et à la tyrannie exercées par des groupes organisés de longue main ».
  • [9]
    Dès la rentrée 1968, le patron des CDR Yves Lancien envisagea, avec l’accord de Jacques Foccart, Pierre Messmer (ministère de l’Armée) et Joël Le Theule (ministère de l’Information), l’installation d’un poste émetteur secret sur le Mont- Valérien pour contrecarrer la désinformation gauchiste en cas de nouvelle émeute (Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, t. II : Le Général en mai, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1998, p. 448).
  • [10]
    Le Monde, 14 octobre 1979.
  • [11]
    Sur les réseaux de Jacques Foccart et la notion de « réseaux » plus généralement, voir Jean-François Médard, « La politique est au bout du réseau, questions sur la méthode Foccart », Cahiers du Centre de recherches historiques, « Foccart entre France et Afrique », 30, octobre 2002, p. 99-116 ; Jean-Pierre Bat, « La Décolonisation de l’AEF selon Foccart : entre stratégies politiques et tactiques sécuritaires (1956-1969) », thèse de doctorat d’histoire contemporaine sous la direction de Pierre Boilley, Université Paris-I, 2011.
  • [12]
    En 1969, le SAC rassemblait dix mille adhérents revendiqués et deux mille militants réels. L’estimation correspond aux effectifs mobilisés lors du référendum sont connus (Archives nationales, Fonds de l’Association nationale pour la fidélité au général de Gaulle, 81/AS/92, lettre du secrétaire général du SAC Jacques Le Meignen au comité directeur de l’Association nationale, le 19 avril 1969).
  • [13]
    Le contrôle que Jacques Foccart exerçait sur les investitures électorales et certains circuits de financement parallèles du Parti expliquait aussi l’influence de ce courant au sein du gaullisme.
  • [14]
    Nassera Mohraz, « L’Union nationale interuniversitaire, 1968-1988 : tentative de décryptage d’une organisation polémique de la guerre froide », mémoire de master recherche, Université de Nancy-II, 2010 ; Didier Favre, Ni rouge, ni jaune : de la CGSI à la CSL, l’expérience du syndicalisme indépendant, Paris, Éd. Midi moins le quart, 1998 ; François Audigier, « Des gaullistes engagés contre la subversion marxiste, le cas des Comités pour la défense de la République en mai-juin 1968 », in François Cochet et Olivier Dard (dir.), Subversion, anti-subversion, contre-subversion, Paris, Riveneuve, 2010, p. 79-94.
  • [15]
    Bernard Lachaise, Du général de Gaulle à Jacques Chirac, le gaullisme et les Français, Bordeaux, CRDP Aquitaine, 2006.
  • [16]
    Serge Berstein évoque « le tournant conservateur de l’automne 1973 » (Histoire du gaullisme, Paris, Perrin, 2001, p. 387).
  • [17]
    Archives privées Philippe Ezan.
  • [18]
    Témoignages de Charles Pasqua, 22 novembre 2010, et d’Yves Lancien, 25 juin 2005.
  • [19]
    Action civique, février et novembre 1973.
  • [20]
    Jacques Rougeot, La Contre-offensive, Paris, La Pensée universelle, 1974.
  • [21]
    Action civique, mars 1972.
  • [22]
    Roger Mucchielli, La Subversion, Paris, Bordas, 1972.
  • [23]
    Analyse proche du « gramscisme de droite » défendu par Alain de Benoist au sein du Grece fondé à la fin de l’année 1968. Le philosophe prônait une stratégie métapolitique consistant à combattre l’hégémonie intellectuelle de la gauche, condition nécessaire à la prise du pouvoir.
  • [24]
    La thèse de la subversion marxiste faisait écho à celle gauchiste du complot répressif d’un État policier préfasciste. Jean-Pierre Le Goff a montré combien ces deux discours fantasmatiques se nourrissaient l’un l’autre (Mai 68, l’héritage impossible, Paris, La Découverte, 2002).
  • [25]
    Raymond Marcellin, L’Ordre public et les groupes révolutionnaires, Paris, Plon, 1969.
  • [26]
    François Audigier, « Le SAC de 1968 à 1974, une officine de renseignement politique », in Sébastien Laurent (dir.), Politiques du renseignement, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2009, p. 109-136.
  • [27]
    Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, op. cit., t. II, p. 480.
  • [28]
    Philippe Poirrier, La Politique culturelle en débat : anthologie, 1955-2005, Paris, La Documentation française, 2006. La sortie du ministre provoqua à Paris une manifestation d’artistes dénonçant, par un cortège funèbre symbolique, la mort de la liberté d’expression.
  • [29]
    Témoignage de Claude de Peyron, 16 septembre 2004.
  • [30]
    Jacques Foccart, Journal de l’Élysée, t. II : Le Général en mai, 1968-1969, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1998, p. 438.
  • [31]
    Témoignage de Jacques Godfrain, 10 octobre 2009.
  • [32]
    Témoignage de Michel Bongrand, 4 octobre 2004 ; Michel Bongrand, Le Marketing politicien, Paris, François Bourin, 2006, p. 93.
  • [33]
    Les CDR sécurisèrent la rentrée 1968 par des vigiles, cassèrent des grèves initiées par la CGT dans les transports publics en novembre 1969 et mars 1971.
  • [34]
    Témoignage de Pierre Lefranc, 19 décembre 2009.
  • [35]
    Le changement intervient après l’incident des Verreries mécaniques champenoises en juin 1977. Dans cette usine de Reims, un commando CFT dirigé par un ancien du SAC tua un militant CGT.
  • [36]
    Les élections présidentielles de 1981 vit des éléments du SAC soutenir Michel Debré et Marie-France Garaud.
  • [37]
    L’exécution d’un membre du SAC marseillais et de sa famille par des rivaux entraîna l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire puis la dissolution du service d’ordre.
  • [38]
    Le Monde, 27-28 juillet 1986.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Le Monde, 19 février 1987.
  • [41]
    L’UNI joua un rôle important lors des manifestations contre la loi Savary en 1984.
  • [42]
    Mathias Bernard, La Guerre des droites, de l’affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Odile Jacob, 2007.
  • [43]
    « Le MIL, j’y suis entré parce que c’est un lieu de combat, avec de vrais militants. Notre sigle comporte une authentique croix de Lorraine sur une cocarde tricolore, pas la petite croix du RPR… Le MIL, c’est le RPR idéal. » (Emmanuel Hecht et Éric Mandonnet, Au cœur du RPR, enquête sur le parti du président, Paris, Flammarion, 1998, p. 131)
  • [44]
    Philippe Boggio et Alain Rollat, Ce terrible monsieur Pasqua, Paris, Olivier Orban, 1988.
  • [45]
    Pascal Sigoda, « Les cercles extérieurs », Pouvoirs, numéro spécial sur le RPR, 28, 1984, p. 143-158.
  • [46]
    Le Courrier des CAR, 6, hiver 1982.

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