Notes
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[1]
Jean-Yves Mollier, « Les mutations de l’espace éditorial français du xviiie au xxe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, 126-127, mars 1999, p. 29-38 ; id., Édition, presse et pouvoir en France au xxe siècle, Paris, Fayard, 2008.
-
[2]
Cité dans Jean-Yves Mollier, L’Argent et les Lettres : histoire du capitalisme d’édition, Paris, Fayard, 1988, p. 111.
-
[3]
Patricia Sorel et Frédérique Leblanc (dir.), Histoire de la librairie française, Paris, Cercle de la librairie, 2008.
-
[4]
Ibid.
-
[5]
Yvan Leclerc, Crimes écrits : la littérature en procès au 19e siècle, Paris, Plon, 1991.
-
[6]
Christian Delporte et alii (dir.), L’Humanité de Jaurès à nos jours, Paris, Nouveau Monde, 2004.
-
[7]
Classées « monument historique » en 2002 pour remercier Jean-Luc Lagardère d’en avoir confié la gestion à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), elles sont consultables sur autorisation.
-
[8]
Pascal Fouché, L’Édition française sous l’Occupation, Paris, Bibliothèque de littérature contemporaine de l’Université Paris-VII, 1987, 2 vol.
-
[9]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir…, op. cit., chap. 1.
-
[10]
Ibid.
-
[11]
Ibid., p. 52-54.
-
[12]
Bruno Dubot, « La Librairie Larousse de 1895 à 1952 », thèse de doctorat en histoire, Université de Versailles – Saint-Quentin-en Yvelines, 2009, 3 vol.
-
[13]
Bibliographie de la France des 28 février-7 mars 1941, p. 16. Toutes les citations extraites des archives du Syndicat national de l’édition (SNE) – qui nous ont été, pour la première fois, ouvertes libéralement – sont reproduites, avec la mention de leur provenance précise, dans Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir…, op. cit.
-
[14]
SNE, procès-verbal du Comité des éditeurs, 27 août 1940.
-
[15]
Gérard Loiseaux, La Littérature de la défaite et de la collaboration : juin 1940-décembre 1941, d’après « Phönix oder Asche ? », « Phénix ou cendres ? », Laon, G. Loiseaux, 1981, Paris, Fayard, 3e éd. 1995, p. 71-73.
-
[16]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 63-67. Voir notamment la reproduction de l’article qu’il tenta de faire publier en ces circonstances et qui lui valut, à la Libération, une condamnation personnelle (p. 66).
-
[17]
Ibid. Pour une lecture des documents qui prouvent l’étendue de cette collaboration intellectuelle dont la soumission aux directives du pouvoir, quel qu’il soit, est le ressort majeur.
-
[18]
On lira avec intérêt le rapport allemand dans lequel l’interlocuteur du président du Syndicat des éditeurs (SE) écrit que ce dernier avait « les pieds gelés » – kalte füsse en allemand, c’est-à-dire une « trouille terrible » ou la « pétoche » – face aux conséquences à long terme de l’apposition de sa signature sur la convention de censure. Voir Archives nationales, AJ40/1005, Tätigkeitsbericht für die Zeit von 25/9/1940 bis 2/10/1940 ; ainsi que la traduction de Pascal Fouché, op. cit., t. I, p. 51 ; et la nôtre, nettement plus crue que la précédente, Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir…, op. cit., p. 85.
-
[19]
Il a encore changé de nom depuis et est devenu le Syndicat national de l’édition en 1971.
-
[20]
Interdit par les autorités de Vichy en zone non occupée, le livre de Jean de La Hire est rarement cité par les historiens de la Collaboration, alors que ce reportage est un document saisissant sur la complaisance qu’un officier français ancien combattant de la Grande Guerre pouvait éprouver envers l’occupant. Voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 70-74, pour le commentaire et les citations extraites de ce livre.
-
[21]
Ibid., p. 109 ; Anne Simonin, Les Éditions de Minuit : le devoir d’insoumission, 1942-1945, Paris, IMEC, 1994, p. 192.
-
[22]
Pour un portrait de Victor Bassot, personnage qui gagnerait à être davantage éclairé tant son implication dans le programme d’inculcation douce de l’idéologie nazie apparaît majeure, voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 91-92, 172-176 et 178-180.
-
[23]
Nous avions signalé le parcours de Henry Jamet à Pascal Fouché, parce qu’il nous avait été décrit en 1986 par un des élèves du collège des pères maristes de Marseille, devenu depuis éditeur de presse catholique. Le secret était mal gardé en 1945-1946 et les supérieurs du collège savaient pertinemment qui était le surveillant affublé d’un faux nom à qui ils avaient confié l’avenir des jeunes gens qui étaient sous leur autorité. Voir Pascal Fouché, op. cit., t. II, p. 253.
-
[24]
Une bibliothécaire américaine a récemment publié une sorte de roman vrai de cet assassinat, mais sa lecture laisse perplexe, comme celle de l’épais dossier conservé aux archives de la préfecture de police de Paris (APP). Voir A. Louise Staman, Assassinat d’un éditeur à la Libération : Robert Denoël (1902-1945), Paris, E-dite, 2005 ; APP, H 55 63 : dossier Robert Denoël. L’écrivain Jean Voilier, Jeanne Loviton à l’état civil, la maîtresse de Robert Denoël à qui il avait cédé ses parts et qui les revendit ensuite à Gaston Gallimard, fut fortement soupçonnée d’être pour quelque chose dans cette disparition énigmatique, mais rien ne put jamais être établi à son encontre. Voir Célia Bertin, Portrait d’une femme romanesque : Jean Voilier, Paris, Éd. de Fallois, 2008, pour un portrait favorable à l’ancienne égérie de Paul Valéry et de la femme d’un ancien président du Conseil de la Quatrième République.
-
[25]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 116-124 et 127-128.
-
[26]
Ibid., p. 124-128.
-
[27]
Axel Peytavi, « Castelnaudary et Jean Mistler : “le moment supprimé” », mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Toulouse-Le Mirail, 2004. À noter que la reproduction du document condamnant Jean Mistler comme gérant du journal Présent joint en annexe à ce mémoire a été arrachée de l’exemplaire conservé à la bibliothèque universitaire de cet établissement. L’enquête demandée à notre intention par Patrick Cabanel n’a pas permis de connaître l’identité de celui ou celle qui a tenté d’effacer les traces du passé.
-
[28]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 195-201.
-
[29]
Les archives Hachette, comme sans doute celles de bon nombre d’entreprises françaises, ont fait l’objet d’une révision systématique en fonction de trois principes érigés en dogme par la direction : « à modifier », « à garder » ou « à supprimer ». Voir IMEC, archives Hachette, S 5 C 176 B 5, PV des CA 1940-1945. Nous avions obtenu, avant de rédiger Édition, presse et pouvoir en France au xxe siècle, l’accès sans réserve à la totalité de ces archives qui n’ont conservé qu’une seule trace flagrante de cette volonté de réécrire leur histoire dès la Libération de Paris. On lit en effet la phrase suivante sur le procès-verbal du conseil d’administration du 18 janvier 1943 à propos d’une entrevue avec Laval : « Ajouter : “M. Laval, qui a conservé pendant tout l’entretien une attitude hostile, prend congé de M. Fouret”. » Il va de soi que cette trace aurait dû disparaître avant que les archives de l’entreprise ne soient déposées à l’IMEC mais, comme l’a souvent répété Carlo Ginzburg, il demeure, pour le plus grand bonheur de l’historien, des traces qu’une enquête minutieuse fait réapparaître même là où elles ont été soigneusement effacées. Voir Carlo Ginzburg, Miti, emblemi, spie : morfologia e storia, Turin, Einaudi, « Nuovo Politecnico », 1986 ; trad. fr., id., Mythes, traces, emblèmes : morphologie et histoire, nouv. éd. aug., trad. de l’it. par Monique Aymard, Christian Paoloni, Elsa Bonan et al., rev. par Martin Rueff, Lagrasse, Verdier, « Verdier poche : histoire », 2010.
-
[30]
Voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir…, op. cit., p. 201-218. Nous y donnons toutes les preuves du soutien accordé par les banques privées, en l’occurrence le Crédit industriel et la Banque ottomane, qui octroyèrent l’équivalent de vingt-trois millions d’euros d’aujourd’hui à la Librairie Hachette à partir du mois d’août 1946 pour qu’elle brise les reins des Messageries de l’État. L’accord intervenu en mai 1947 confia la direction des Nouvelles Messageries de la presse parisienne au groupe privé, pourtant minoritaire au capital (49 %), et surtout une rétribution annuelle de 1 % du chiffre d’affaires, ce qui explique très largement la hausse continue du prix des journaux français après 1947 !
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[31]
En avril 1967, François Mitterrand touchait une mensualité équivalant à 4 300 euros et René Tomasini à 835 euros pour des « frais d’études publicitaires », qui étaient d’ailleurs déclarés au fisc ! Voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 286 ; et, pour la source de ce système de corruption des parlementaires, IMEC, archives Hachette S 5 C 190 B4, dossier « Contacts politiques : Réaumur NMPP ».
-
[32]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 287.
-
[33]
Ibid., p. 208-211 ; et, fondamental pour l’histoire de ce mouvement, l’ouvrage d’Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la France : Défense de la France (1940-1949), Paris, Éd. du Seuil, 1995.
-
[34]
La lettre que nous reproduisons est sans contestation possible sur ce point. Voir Jean-Yves Mollier, op. cit., p. 38.
-
[35]
Ibid., p. 209-211 pour le rachat de France-Soir, et 283-290 pour l’avènement de la Cinquième République.
-
[36]
Anne Simonin, op. cit.
-
[37]
Jean Lacouture, Paul Flamand, éditeur : la grande aventure des Éditions du Seuil, Paris, Les Arènes, 2010 ; Hervé Serry, Les Éditions du Seuil : 70 ans d’histoire, Paris, Éd. du Seuil/IMEC, 2008.
-
[38]
Anne Simonin, op. cit.
-
[39]
Michel Puche, Edmond Charlot éditeur, Pézenas, Domens, 1995.
-
[40]
François Vignale, « La revue Fontaine : inscription d’une revue littéraire algéroise dans le paysage intellectuel français et mutations du champ littéraire dans la période, 1934-1950 », thèse de doctorat en histoire, Université de Versailles – Saint-Quentin-en Yvelines, 2010, 3 vol.
-
[41]
Jean-Claude Lamy, René Julliard, Paris, Julliard, 1972 ; Jean-Yves Mollier, op. cit., p. 113-115.
-
[42]
Robert Laffont, Éditeur, Paris, Robert Laffont, 1974 ; id., Une si longue quête, Paris, Anne Carrière, 2005 ; Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 131-133.
-
[43]
Cette triple cooptation des proches de Gaston Gallimard est, elle aussi, une jolie et savoureuse « trace » pleine d’enseignements sur les angoisses du fondateur de la librairie du même nom à la veille de la Libération. Voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 136 ; procès-verbal du conseil d’administration du SE daté du 11 février 1944.
-
[44]
José Corti, Souvenirs désordonnés, Paris, José Corti, 2003.
-
[45]
Martine Poulain, Livres pillés, lectures surveillées : les bibliothèques française sous l’Occupation, Paris, Gallimard, 2008.
-
[46]
Jacques Debû-Bridel, Les Éditions de Minuit : historique et bibliographie, Paris, Éd. de Minuit, 1945.
-
[47]
Olivier Cariguel, Les Cahiers du Rhône dans la guerre, 1941-1945 : la résistance du « glaive de l’esprit », Fribourg, Presses de l’Université, 1996.
-
[48]
Véronique Chabrol, « Jeune France : une expérience de recherche et de décentralisation culturelle, novembre 1940-mars 1942 », thèse de doctorat en littérature française, Université Paris-III, 1974.
-
[49]
Dr Guillotin [André Wurmser], Le Scandale du trust vert, Paris, Curial-Archereau, 1947 ; Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 204-206.
-
[50]
Ernst Jünger, Mémoires de guerre, 1939-1948, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 238 ; Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 56.
-
[51]
Voir, par exemple, Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration, préf. de Jean-Pierre Azéma, Paris, Fayard, « Pour une histoire du 20e siècle », 2001 ; Kathrin Engel a dépouillé la totalité des comptes rendus d’activités (Tätigkeitsberichte) conservés (Kathrin Engel, Deutsche Kulturpolitik im besetzten Paris, 1940-1944 : Film und Theater, Munich, Oldenbourg, 2003).
-
[52]
Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, 1940-1944, Paris, Éd. du Seuil, 1995, p. 525.
-
[53]
Pierre Assouline, Gaston Gallimard, Paris, Balland, 1984, p. 338-341.
-
[54]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 90-91.
-
[55]
Pour les chiffres prouvant la croissance phénoménale des éditions Alsatia pendant la guerre, voir ibid., p. 88-89.
-
[56]
Ibid., p. 117-118.
-
[57]
Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, 1940-1953, Paris, Fayard, 1995.
1Comme d’autres secteurs, mais avec une portée symbolique toute particulière de par son aura intellectuelle, le monde de l’édition a connu d’importants tourments pendant la période de l’Occupation, sur lesquels toute la lumière n’a pas encore été faite. Suivant un récit tenace, construit à la Libération, les grandes maisons d’édition auraient en effet largement subi les exigences nazies venues de Berlin. Archives inédites à l’appui, Jean-Yves Mollier démontre ici au contraire que, s’il y eut quelques éditeurs résistants, l’essentiel de la profession mit bien en œuvre une réelle « collaboration intellectuelle », prolongeant de cette manière un « habitus de soumission » vieux de plus d’un siècle.
2Avant d’examiner la situation qui fut celle de l’édition française entre juin 1940 et août 1944, il convient de rappeler qu’on peut difficilement comprendre l’état dans lequel se trouvait ce secteur de la vie culturelle de la nation à la veille de l’Occupation allemande sans connaître les grandes lignes de son évolution. De même, pour saisir le sens profond de l’attitude des principaux éditeurs qui composent alors les instances supérieures de leur syndicat, il faut conserver en mémoire cet « habitus pluriséculaire de soumission » aux volontés du pouvoir central que nous avons analysé ailleurs [1]. Sans accorder à ce geste plus d’importance qu’il n’en eut à l’époque, on pourrait voir dans « la délégation volontaire des notables de l’industrie parisienne » conduite par Émile Menier, Jean-François Cail et l’imprimeur Henri Plon, venus à l’Élysée, le 19 décembre 1851, offrir à l’auteur du coup d’État perpétré dix-sept jours auparavant « leurs remerciements pour avoir assuré la défense de l’ordre, de la famille et de la propriété [2] », le symbole de cette attitude veule que l’on retrouvera presque inchangée à l’été 1940. Napoléon Ier et ses successeurs utilisèrent une police de la Librairie, avec ses inspecteurs et ses commissaires chargés de la surveillance non seulement des ports et des frontières, mais également des imprimeries, des librairies, du colportage et même des bouquinistes et autres libraires sédentaires ou nomades. Le brevet qui imposait à l’heureux élu un double serment de fidélité au souverain et d’obéissance à la Constitution, serment prêté au tribunal, ne fut aboli que le 10 septembre 1870 [3]. Les inspecteurs furent mis à la retraite en 1877, mais c’est la grande loi libérale du 29 juillet 1881 qui mit un terme définitif au régime précédent, l’imprimerie, la librairie, la presse, l’affichage et le colportage étant désormais affranchis de tout carcan oppresseur [4].
3Il y eut bien des tentatives pour revenir en arrière et Louis Desprès, Lucien Descaves et Georges Darien en surent quelque chose [5] mais, globalement, les anarchistes purent faire imprimer leur prose – malgré les lois scélérates de 1893-1894 – et les communistes, plus tard, faire de l’agit-prop, malgré le procès intenté à L’Humanité en 1929 [6]. Du côté des éditeurs, on compta quelques rebelles, Laurent Pagnerre, Pierre Larousse, Maurice Lachâtre ou Poulet-Malassis, l’éditeur de Baudelaire, mais, sous la Commune comme pendant la Première Guerre mondiale, la profession ne brilla pas par sa volonté de donner la parole à tous ceux qui exprimaient des opinions hétérodoxes. Paradoxalement, les libertés nouvelles dont jouissaient les écrivains et les politiques ne modifièrent pas en profondeur le paysage éditorial fortement structuré après 1860 et peu susceptible de laisser se développer de nouvelles entreprises capables de rivaliser avec les grandes maisons ayant pignon sur rue, Hachette, Calmann-Lévy, Plon, Flammarion et Fayard avant 1914, Grasset, Gallimard et Denoël les ayant rejointes après 1918. D’une certaine manière, la disparition du petit « Comptoir d’édition de la NRF » de 1911 au profit de la « Librairie Gallimard » en 1919 traduisait la difficulté pour des structures indépendantes de diffuser les auteurs qui entendaient rompre avec les mœurs ou les habitudes de leur époque.
4Les archives du Syndicat des éditeurs (SE) apparu en 1891 nous ayant été libéralement ouvertes, de même que celles, gigantesques, du groupe Hachette et de l’ensemble de ses filiales [7], il était tentant de revenir sur cet épisode peu reluisant des années noires en profitant également de la modification des règles de consultation des archives de la Seconde Guerre mondiale, désormais délivrées de l’obligation de demander sans cesse des dérogations qui empêchaient la publication des documents conservés. On verra que des débats très vifs se déroulèrent à la Libération dans les commissions d’épuration et qu’une partie de la vérité concernant ce secteur déterminant de l’opinion fut mise à jour mais, comme en d’autres domaines, l’apparition précoce de la guerre froide et les divisions intervenues dans le camp de la Résistance sauvèrent les chefs des principales entreprises d’édition dont les dossiers furent vite refermés. Les nouveaux venus, Edmond Charlot, Pierre Seghers ou Max Pol Fouchet pesèrent peu après 1947 et, si les Éditions de Minuit ou celles du Seuil continuèrent leurs activités, elles ne deviendront des acteurs majeurs qu’après 1958 pour l’essentiel. C’est donc à partir d’archives ultra-sensibles que nous proposons ce retour sur une époque que le livre de Pascal Fouché, L’Édition française sous l’Occupation [8], avait commencé à éclairer mais sans bénéficier de la lecture des sources appartenant aux entreprises concernées. Or celles-ci modifient considérablement la perception que l’on peut avoir de l’attitude des éditeurs français sous l’Occupation.
L’édition française à la veille de la Seconde Guerre mondiale
5La croissance de la Librairie Hachette, devenue la plus grosse entreprise de messageries autour de 1900, avait continué après la Première Guerre mondiale. Transformée en société anonyme en 1919, mariée avec la Banque de Paris et des Pays-Bas en 1920, elle acceptait d’introduire son capital (quarante millions d’euros actuels) à la Bourse en 1922. Peu de temps après, elle ajoutait à ses Messageries de presse de la rue Réaumur des Messageries du livre installées quai de Grenelle, et elle proposait aux principaux éditeurs français de les délivrer de la gestion de leur stock en effectuant, à leur place, l’ensemble des tâches de distribution et d’acheminement des colis aux libraires français ou étrangers. Plus de soixante-dix d’entre eux acceptèrent, y compris Gallimard en 1931 qui trouvait là un moyen d’assurer le financement de ses activités [9]. La Librairie Hachette avait répondu par cette restructuration interne aux défis du temps. Au sortir de la Grande Guerre en effet, la Librairie Larousse, Armand Colin et plusieurs dizaines d’autres entreprises avaient constitué leur propre outil de distribution, la Maison du livre français (MLF). Après une décennie de luttes au couteau, le Syndicat des libraires pesa pour qu’un accord intervienne entre les deux entreprises de messageries. Celle que la presse de gauche appelait « la pieuvre verte » signa donc, en juillet 1933, un gentleman agreement avec la Librairie Larousse. À cette dernière, on abandonnait le secteur du dictionnaire et de l’encyclopédie ainsi que la distribution, par la MLF, des livres scolaires, tandis que l’ensemble de la littérature générale demeurait la spécialité de la Librairie Hachette. Le Syndicat des éditeurs se félicita de cette décision et celui des libraires approuva ce partage du marché qui explique qu’à l’été 1940, la Librairie Hachette ait été la proie privilégiée des nouveaux maîtres de l’Europe [10].
6Pour gérer ses services de Messageries, qui desservent 80 000 points de vente dont 21 000 dits « de petite librairie », et occupent des milliers de salariés, organisés militairement en brigades (6 000 à Javel, 5 000 à Réaumur), les dirigeants ont fait appel à des hommes à poigne, Georges Lamirand, l’énergique centralien appelé à un bel avenir ou Jean Filliol, cofondateur de la Cagoule. Chez Larousse, le concurrent neutralisé [11], la direction a dû se résoudre à se séparer de Lucien Moreau, le bailleur de fonds de l’Action française, parce que la clientèle risquait de ne pas apprécier ces compromissions. Pour autant, le paternalisme ambiant n’a rien à envier à celui mis en œuvre par la direction de la Librairie Hachette et l’on traque le rouge avec la même vigilance, persuadé que les bons syndicats sont les seuls syndicats maison [12]. Chez Grasset ou Gallimard, on emploie une main-d’œuvre plus réduite, comme chez Calmann-Lévy, Plon, Tallandier, Fayard, Ferenczi et Rouff. Notons cependant qu’Arthème Fayard, mort en 1936, a lancé Candide et Je suis partout et que sa veuve mène campagne pour faire entrer Charles Maurras à l’Académie française – ce sera chose faite en 1938 –, tandis que chez Plon, Robert Mainguet, le P.-D.G., est un conservateur très attaché à la défense du catholicisme traditionnel et des valeurs qui ont fait la France d’autrefois.
7Il faut avoir présent à l’esprit cette surreprésentation des idéaux de la droite française, avec un penchant affirmé pour l’ordre et un refus du partage de l’autorité, si l’on veut comprendre les réactions des éditeurs parisiens en juin 1940. Qu’ils soient monarchistes comme les patrons des éditions Calmann-Lévy, Fayard et Larousse, ou conservateurs et très à droite de l’échiquier politique, comme chez Hachette, Plon, Tallandier ou Grasset, la plupart des éditeurs partagent une vision du monde assez proche. Attachés à l’ordre, ils ont accepté de mauvaise grâce la loi des quarante heures et celle instituant les congés payés. Les procès-verbaux du Syndicat de l’édition en témoignent : leurs représentants à la tête de la Confédération générale du patronat français (CGPF), l’ancêtre du MEDEF, Robert Mainguet, Robert Talamon et Hervé Delagrave, avaient soutenu la direction de la confédération patronale dans son effort pour reprendre le terrain cédé en 1936. Lors des « portos » (l’apéritif des gens bien élevés avant 1940) organisés en fin d’après-midi, ces hommes qui fréquentaient les mêmes cercles, les mêmes restaurants, et se sentaient très proches d’André Tardieu, fortement soutenu par la famille Flammarion, de Pierre Laval ou de Paul Reynaud, éprouvaient envers les maréchaux Lyautey et Pétain une admiration sans bornes qui allait les conduire à soutenir immédiatement l’action du second quand il s’emparera du pouvoir le 16 juin 1940. Comme le dira avec émotion le président du Syndicat en février 1941 :
« Parmi tous nos malheurs, un bonheur nous a été donné : celui de voir la France personnifiée dans le chef qui la représente. Le maréchal Pétain a galvanisé les volontés défaillantes, fait naître l’espoir et prouvé que l’honneur de la France restait intact et debout. Nous n’avons qu’à le suivre pour trouver la route où nous engager. Et je lui adresse, en votre nom à tous, l’expression de notre respectueuse admiration et l’assurance de notre soumission à ses appels [13]. »
9À cette date, et malgré l’imposition du statut des juifs en octobre 1940, du début de l’aryanisation des entreprises considérées comme juives, même Fernand Nathan approuvait René Philippon et il ne démissionne de ses fonctions que deux mois plus tard, après avoir obtenu l’assurance que sa maison d’édition serait protégée par des acheteurs fictifs emmenés par la Librairie Larousse. Il avait entériné, en avril 1940, la radiation du Cercle de la librairie de Léon Moussénac, administrateur des Éditions sociales internationales, enfermé au camp de Gurs, et celle de René Hilsum, chef de fabrication juif de cette entreprise, l’association faîtière des éditeurs français ne pouvant décemment pas conserver en son sein des proches du parti communiste français interdit. D’ailleurs, fin août 1940, le même Robert Talamon, P.-D.G. des éditions Masson, se félicitait qu’en vertu des règles imposées par les autorités militaires allemandes, le nouveau syndicat qui succéderait à l’ancien permettrait « d’assainir la profession » en en chassant tous les individus suspects qui s’y étaient infiltrés dans les années 1920 et 1930 [14].
La confection des listes « Otto » et l’habitus de soumission de l’édition française
10Si l’on savait que les premières listes d’interdits avaient été dressées à Berlin et à Leipzig avant l’entrée de la Wehrmacht dans Paris le 14 juin 1940 [15], on ignorait que, du côté des éditeurs français, un travail d’épuration parallèle des fonds, d’essorage des catalogues, avait été effectué de manière préventive dès les mois de juillet et août 1940. Comme le dira, avec une certaine dignité, la gérante de la Librairie Payot à Henri Filipacchi et aux dirigeants des PUF qui s’étaient livrés, comme elle, à ce premier tri sélectif, c’était une chose de ne pas provoquer la colère de l’Occupant en retirant des vitrines ou des catalogues des auteurs antinazis ou juifs. C’en était une autre que de livrer sa propre liste aux autorités allemandes, ce que firent avec empressement ou zèle Henri Filipacchi pour les éditions Hachette, Louis Rischhoffer chez Flammarion, Victor Bassot chez Tallandier, Lucien Tisserant chez Fayard, Kyriack Stameroff, le beau-frère de Pierre-Antoine Cousteau, chez Gallimard, Georges Poupet chez Plon, et Bernard Grasset pour son propre fonds. Celui-ci avait d’ailleurs pris les devants, cherché à publier dans la presse des articles où il exprimait sa communauté de vues avec les nazis, antisémitisme, antimaçonnisme et anticommunisme inclus [16]. Ses confrères n’étaient pas allés aussi loin mais, puisque la direction unanime du Cercle de la librairie, Fernand Nathan compris, encourageait les éditeurs à confectionner ces listes de proscription et à les confier à Henri Filipacchi qui travaillerait, dans son bureau des Messageries Hachette, en accord avec le censeur allemand affecté à cette tâche, la très grande majorité des professionnels participa sans état d’âme à cette destruction de ce qui était le cœur même de l’univers des livres et de la pensée, les catalogues qui affichaient orgueilleusement leurs auteurs et leurs titres de gloire. Issues par conséquent d’une authentique collaboration entre autorités allemandes et dirigeants du Cercle de la librairie appuyés par les chefs des grandes maisons ayant pignon sur rue, les trois listes Otto, celle du 2 octobre 1940 et les suivantes de juillet 1942 et mai 1943, reflètent la commune volonté de continuer à travailler malgré l’Occupation et ses contraintes [17].
11Les hésitations de René Philippon au moment d’apposer sa signature traduisaient, elles, la peur – la « trouille » ou la « pétoche » écrira le représentant nazi à ses supérieurs [18] – du président du Syndicat d’assumer ultérieurement la responsabilité de cette mise au pas de l’édition française. Dès le 6 octobre, il avait fixé, avec ses partenaires du Cercle, la vérité officielle, celle que le Syndicat national des éditeurs (SNE), héritier du SE en 1947 [19], maintiendra pendant cinquante ans contre vents et marées en refusant d’ouvrir ses registres et ses cartons : c’étaient les Allemands qui avaient imposé l’épuration des catalogues et les Français ne s’y étaient résolus qu’afin de ne pas priver la population de livres et le personnel de l’édition de son travail. Or cette vérité ne résiste pas à l’examen et au croisement des sources qui font apparaître la responsabilité et l’identité des castrateurs de la pensée française. Louis Aragon, Georges Duhamel, André Malraux étaient désormais interdits, pour tout ou partie de leurs œuvres, comme Thomas Mann ou Stefan Zweig. Pis, les éditions Tallandier, administrées par un collaborateur qui se prétendra résistant à la Libération et réussira à gruger les dirigeants du Grand Orient auquel il appartenait, Victor Bassot, mettait immédiatement en fabrication ce qu’on pourrait appeler le journal de la débâcle (Le Crime des évacuations : les horreurs que nous avons vues), une série de reportages dus à Jean de La Hire, talentueux auteur de romans scouts et admirateur inconditionnel de l’armée allemande et de ses soldats qu’il décrivait, à demi nus, leur torse d’athlètes éclairé par le soleil et distribuant du pain et du lait concentré aux enfants croisés sur les routes de l’exode [20].
12Il ne manquait à ce récit aucune des pièces retenues au procès de Riom : la responsabilité de la Troisième République, de ses cadres et de ceux qui l’avaient pillée, était totale et seul un terrible châtiment et des changements complets dans la conduite du pays permettraient à la France de se relever. Jean de La Hire n’hésita donc pas à prendre, quelques mois plus tard, la direction des éditions Ferenczi aryanisées et, jusqu’au mois d’août 1944, il mit tout en œuvre pour aider la puissance occupante à atteindre ses objectifs idéologiques. Comme lui, la nouvelle direction aryenne de la Société parisienne d’édition (SPE), fondée par les frères Offenstadt, alla jusqu’à faire imprimer un faux volume des Éditions de Minuit pour jeter le trouble chez les résistants [21]. Quant à Victor Bassot, les archives allemandes prouvent jusqu’à l’écœurement son étroite collaboration dans la tentative d’inculquer des valeurs nazies aux lecteurs. En introduisant systématiquement des héros allemands, autrichiens, hongrois, finlandais et roumains positifs dans les romans d’aventures du Livre national destinés à la jeunesse et publiés chez Tallandier, il espérait corriger l’état d’esprit des Français et les amener progressivement à une autre vision de l’Europe en construction [22].
Collaboration et épuration
13À la Libération, le Comité national des écrivains (CNE) se montra très vigilant envers les hommes de lettres qui avaient servi le Troisième Reich par leur plume. Toutefois, le CNE ne s’intéressa qu’aux intellectuels de renom et, comme ses membres, Louis Aragon ou Jean-Paul Sartre, n’avaient jamais lu les petits fascicules du Livre national des éditions Tallandier où paraissaient les aventures des héros aryens, l’initiateur de ce programme de décérébration de la conscience nationale échappa à la suspicion et aux poursuites que d’autres eurent à subir. Les profiteurs de l’aryanisation des maisons juives, Calmann-Lévy, Ferenczi, Gedalge et Offenstadt, furent jugés quand on parvint à les arrêter avant qu’ils ne s’enfuient. Toutefois, Jean de La Hire avait quitté la France avec la même complicité bienveillante des réseaux catholiques qui cachèrent, sous une fausse identité, dans le grand établissement des maristes de Marseille, Henry Jamet, patron des éditions Balzac (ex-Calmann-Lévy), avant de l’aider à passer en Suisse. Ce dernier y mourut tout aussi pétainiste et maurrassien qu’à l’époque où il dirigeait la maison Calmann-Lévy [23]. D’autres, comme Bernard Grasset, durent répondre de leurs écrits, mais Robert Denoël fut opportunément assassiné la veille de l’ouverture de son procès, en décembre 1945 [24].
14Certains eurent plus de chance, tel Gaston Gallimard, protégé par Jean Paulhan, cofondateur des Lettres françaises, de l’ignominie attachée au nom de Drieu La Rochelle, directeur de la NRF nazifiée, ou les patrons de la maison Plon, sauvés par le témoignage de Charles Orengo, un éditeur qu’ils avaient tardivement financé en avril 1944 et qui, en échange, fit oublier son passé de censeur pour le compte du gouvernement de Vichy [25]. Associé en 1944 avec Jean Mistler dans le lancement des éditions du Rocher (de Monaco évidemment), il parvint à mystifier le Tout-Paris des Lettres et à faire réhabiliter l’ancien parlementaire qui, du 8 au 10 juillet 1940, se démena pour obtenir le vote accordant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Jusqu’à la fin du mois d’août 1944, son hebdomadaire publié à Lyon, Présent, stigmatisa les bombardements alliés faisant des victimes innocentes, ce qui ne l’empêcha pas – ou lui permit – d’être recruté, d’abord par la Maison du livre français en 1947 puis par la Librairie Hachette qui en fit son directeur général en 1958, et de finir secrétaire perpétuel de l’Académie française [26]. Seules les associations d’anciens combattants lui infligèrent, post mortem, une cinglante flétrissure, quand elles empêchèrent, en 1991, la ville de Castelnaudary dont il avait été le maire pétainiste, de donner son nom à la nouvelle médiathèque. Sa fille unique, Marie-Dominique Lancelot, journaliste dans la presse d’extrême droite, retira alors sa promesse de déposer les archives de son père, afin de venger l’affront infligé par ceux qui conservaient encore un peu de mémoire de la réalité des temps obscurs [27].
15La Librairie Hachette craignait, à juste titre, que les résistants n’appliquent à la lettre le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) et ne nationalisent cet exceptionnel outil que les nazis admiraient et dont ils avaient envisagé de faire la base d’une énorme entreprise européenne placée sous leur contrôle. En tergiversant, en retardant la signature des accords qui leur étaient proposés, les administrateurs de la Librairie Hachette gagnèrent du temps. Obligés de céder, ils firent tout pour maintenir leurs positions au plus haut niveau dans la reconfiguration du capital envisagée [28]. À la Libération, pour être sûrs que nul ne songerait à les accabler, ils firent réécrire une partie de leurs archives, en ajoutant par exemple qu’au cours d’une entrevue, Laval s’était montré glacial alors que, dans les faits, il avait été d’un commerce agréable, ou d’autres remarques que l’historien éprouve les plus grandes difficultés à repérer quand il consulte aujourd’hui ces documents savamment élagués en 1945 [29]. En 1947, l’aide des banques non nationalisées permit à l’entreprise d’acculer les Messageries de l’État à la faillite et un accord de dernière minute, imposé par le gouvernement, confia à la Librairie Hachette la direction des Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP) qui allaient leur servir de banque privée pendant plus de vingt ans [30]. Lorsqu’on lit les noms des hommes politiques de la Quatrième et de la Cinquième République que cette énorme entreprise de messageries devait subventionner (de François Mitterrand à René Tomasini [31]) on comprend mieux la remarque cynique du nouveau P.-D.G. de la Librairie Hachette, Robert Meunier du Houssoy, montrant à ses invités, du haut de sa terrasse privée du 288, boulevard Saint-Germain, le Palais-Bourbon qu’elle domine : « Ça, c’est mon zoo [32]… » Quoi qu’il y ait bien de la forfanterie dans cette affirmation, le patron de l’entreprise qui avait racheté France-Soir aux résistants du mouvement Défense de la France en 1947 sans qu’ils sachent d’où venait l’argent [33], ou avait lancé, en 1934, le Journal de Mickey en mettant en avant un homme de main, Paul Winkler [34], connaissait parfaitement l’étendue de son pouvoir et il l’avait démontré en faisant imprimer à la une de France Soir, le 19 mai 1958, en énormes caractères et sur les huit colonnes du journal : « DE GAULLE : “JE PUIS ÊTRE UTILE À LA TÊTE DU GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE” [35]. » La Librairie Hachette qui avait été maréchaliste en 1940 et pétainiste ensuite entendait bien ne pas commettre la même erreur lors de la chute de la Quatrième République et elle accompagnera l’ensemble des présidents et des chefs de gouvernement de la Cinquième République jusqu’à la mort de Georges Pompidou en avril 1969.
Les éditeurs résistants
16Interrompre ici le tableau de l’édition française dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale serait aussi injuste qu’incomplet. Tous les professionnels ne se plièrent pas aux volontés des Allemands. Les frères Émile Paul préfèrent interrompre leurs publications et l’on sait que Vercors et Pierre de Lescure créèrent les Éditions de Minuit pour manifester publiquement l’existence d’une résistance intellectuelle. Comme l’a montré Anne Simonin, c’est après avoir vu Jacques Decour et Gabriel Politzer faire renaître La Pensée libre et publier des livres antinazis et communistes, qu’ils décidèrent de lancer une maison purement littéraire, afin d’élargir au maximum sa capacité de toucher l’opinion. Le résultat fut exceptionnel avec quarante-trois titres publiés dans la nuit de l’Occupation [36]. En zone sud, les éditions de la Bibliothèque française et de très nombreuses revues illustrèrent les efforts de Louis Aragon, Max Pol Fouchet, Pierre Seghers, Jean Blanzat ou René Tavernier pour donner à lire autre chose que les œuvres des collaborateurs. Fontaine, Les Lettres françaises, Les Cahiers du Témoignage chrétien, pour ne citer qu’eux, contribuèrent à maintenir en France vivace, si ce n’est intact, le désir de penser par soi-même, ce qui devait contribuer à régénérer l’édition au lendemain de la guerre.
17S’il est vrai que les Éditions du Seuil, grâce à la revue Esprit puis, en 1951, à Don Camillo, allaient faire irruption dans la cour des grands [37], tout comme les Éditions de Minuit, grâce au Nouveau Roman et à Jérôme Lindon (qui avait remplacé Vercors en 1947) [38], Edmond Charlot abandonna néanmoins la partie en 1950 [39], tandis que Pierre Seghers réussissait dans la distribution et que Max Pol Fouchet se contentait de la direction de collections littéraires [40]. René Julliard allait attacher son nom au lancement de Françoise Sagan et de Minou Drouet et, en soutenant le sultan du Maroc et le leader tunisien Habib Bourguiba en 1956, tenter de faire oublier qu’en 1944, il s’était hâté de publier Éluard pour masquer le fait qu’il était entré en édition, en 1942, afin de faire connaître et apprécier les discours du maréchal Pétain [41]. Robert Laffont jouera, après guerre, la carte de la traduction des bestsellers américains, mais il avait moins de choses à se faire pardonner, Pierre Guillain de Bénouville et Louis Parrot ayant garanti sa bonne conduite à la Libération [42]. Gaston Gallimard s’était préparé à son exclusion temporaire du Cercle de la librairie où il fit admettre trois des siens, frère, fils et neveu, en février 1944 [43], mais il n’eut même pas à répondre de sa prudence ou de ses dîners compromettants avec le capitaine Ernst Jünger, le lieutenant Heller et quelques autres. Sartre et Aragon le protégeaient rue Sébastien-Bottin et, si Les Temps Modernes étaient passés chez René Julliard en 1947, la Nouvelle NRF refit surface en 1953, après la prise de distance fracassante de Jean Paulhan avec les « directeurs de la Résistance ».
18José Corti avait conservé sa librairie où l’on se procurait de bons livres pendant toute l’Occupation, mais son fils unique, déporté, était mort en captivité [44]. D’autres commerçants alimentèrent un marché parallèle – noir, quand il s’agissait seulement de gagner de l’argent, plus lumineux quand il s’agissait de faire lire des œuvres interdites. Avec la littérature de contrebande, le jeu du double sens, des sous-entendus, allégories et tous les procédés stylistiques qui s’y prêtaient furent utilisés pour entretenir le moral des lecteurs et, dans les bibliothèques publiques, il y eut aussi des fonctionnaires courageux qui prirent des risques pour communiquer à certains lecteurs des livres interdits [45]. De même, la plupart des mouvements de résistance possédaient leur bulletin ou leur journal, et distribuaient des tracts dans lesquels certains écrivains pouvaient s’exprimer. Toutefois si l’on se souvient que le Mercure de France avait basculé dans l’apologie de la Collaboration, que Gilbert Baudinière et Fernand Sorlot durent être exclus du Cercle de la librairie, avec Jacques Bernard, Jean de La Hire et Louis Thomas en 1945, on voit que les deux plateaux de la balance ne penchaient pas du même côté. C’est le contexte très particulier de la Libération, la lenteur des procès et le difficile travail des commissions d’épuration qui permirent la pérennité des structures en place. Les tribunaux se montrèrent plus cléments dès 1946 et, en 1947, l’arrivée fracassante de la guerre froide, l’éclatement du tripartisme, et la mise à l’écart du gaullisme et du communisme firent le reste.
19Avec raison, Jacques Debû-Bridel rendit un magnifique hommage aux Éditions de Minuit en rédigeant l’historique de cette entreprise exemplaire [46]. Chez Robert Laffont, Louis Parrot salua à sa façon L’Intelligence en guerre, tandis que Pierre Seghers faisait connaître les poètes résistants, comme Max-Pol Fouchet ou Albert Béguin qui transportait ses Cahiers du Rhône au Seuil [47]. On oubliait l’épisode pour le moins ambigu du mouvement Jeune France [48] et la légende dorée de la France largement résistante, au moins après 1942, commençait à prendre racine, profitant aux éditeurs, finalement moins exposés parce que moins connus du grand public. Le président du Syndicat, René Philippon, dirigeant de la maison Armand Colin, se fit oublier, comme Marcel Rives, le haut fonctionnaire qui avait dirigé le Comité d’organisation du livre et tenté de mettre sur pied la corporation. Robert Mainguet s’abrita derrière le pseudo-résistant Charles Orengo, Jean Mistler dirigea la Maison du livre français, Hachette les NMPP et tout rentra dans l’ordre, les capacités de nuisance de cette énorme entreprise de distribution effrayant quiconque voulait être lu dans le pays. Il y eut bien un docteur Guillotin pour s’attaquer frontalement à la pieuvre verte en 1947 [49] mais, sitôt les NMPP constituées sous l’autorité du gouvernement, les critiques se turent ou se firent plus discrètes.
20Si l’on veut procéder à un rapide bilan de ces années noires, on dira d’abord que l’habitus de soumission des éditeurs aux ordres du pouvoir en place s’est globalement vérifié et a montré la pertinence d’un concept sociologique utilisé pour rendre compte d’une situation mûrie pendant plus de quatre siècles. Le conservatisme de la profession, son appartenance avérée aux courants de pensée les plus traditionnels, du légitimisme à l’Action française, en passant par l’orléanisme, ainsi que sa promiscuité avec certaines ligues, de la Fédération nationale catholique aux Croix-de-Feu, et les partis politiques de la droite qui accepta Pétain et la collaboration d’État avec l’Allemagne, ont pesé lourd dans l’adoption des conduites individuelles du plus grand nombre d’éditeurs parisiens. Bien entendu, certains que leur formation aurait pu entraîner de ce côté s’engagèrent dans la Résistance mais, en tant qu’institutions, le Cercle de la librairie et le Syndicat des éditeurs apportèrent leur contribution à la volonté allemande de mise au pas du pays. En 1981, une misérable opération de librairie, bien relayée par la télévision et Bernard Pivot, tenta de faire passer le lieutenant Heller pour un ami de la France et de sa littérature. Il en fut de même pour Otto Abetz, l’ambassadeur nazi ou, plus tard, pour Ernst Jünger, le capitaine qui appartenait aux services de renseignements allemands quand Georges Poupet, de la Librairie Plon, et Sacha Guitry, de l’Académie Goncourt, lui offraient des autographes et des livres rares destinés à enrichir sa bibliothèque personnelle [50].
21Que ces trois personnages aient connu, après guerre, des itinéraires apaisés est une chose ; qu’ils n’aient pas été des nazis convaincus en est une autre. La lecture des Journaux de guerre de Jünger montre que son opposition au nazisme a été tardive et qu’à aucun moment elle n’est venue contrarier son nationalisme intégral. Magnifiquement traités au Lapérouse ou chez Prunier, invités aux premières et aux générales des représentations théâtrales, ces hommes y côtoyaient une bonne partie du Tout-Paris des Arts et Lettres et les éditeurs les plus en vue de la profession. Bien plus sévère que l’historiographie française, l’historiographie allemande contemporaine a souligné à maintes reprises l’engagement idéologique du lieutenant Heller et d’Otto Abetz au NSDAP [51]. C’est un historien suisse, Philippe Burrin, qui a le mieux souligné la responsabilité des éditeurs français en émettant ce jugement : « Au total, une profession qui fait preuve d’une complaisance quasi générale, soutenue par une connivence idéologique substantielle [52]. » Les deux termes retenus, « complaisance » et « connivence », résument bien l’état d’esprit du plus grand nombre de ces éditeurs, mais ces deux attitudes ne peuvent se comprendre que replacées dans une conjoncture longue où les habitus jouent pleinement leur rôle.
22Contrairement à Pierre Assouline qui, en 1984, publiait une lettre de Gaston Gallimard cherchant à s’emparer des éditions Calmann-Lévy en 1941 [53] mais qui ignorait que Bernard Grasset et Jean Fayard avaient tenté de constituer un consortium destiné à prendre les Allemands du groupe Hibbelen de vitesse [54], il ne s’agit nullement d’ouvrir un procès a posteriori. Nous avons d’ailleurs montré que, dans le cas des éditions Nathan, il y eut bien accord entre le propriétaire et ses repreneurs fictifs qui lui rendirent sa société à la Libération. Cela signifie que l’aryanisation des entreprises juives n’est absolument pas le fait majeur dans ce secteur, puisqu’elle ne toucha que Calmann-Lévy, Ferenczi, Gedalge et la Société parisienne d’édition. L’essentiel n’est pas là mais dans l’accommodation qui permit par exemple au groupe Alsatia de prospérer de façon indécente pendant la Seconde Guerre mondiale [55], à Plon de se payer tous les immeubles et imprimeries dont il n’était pas encore propriétaire [56], comme à Charles Orengo et à Jean Mistler de s’immiscer dans un monde qui n’était pas le leur avant la guerre. Avec Victor Bassot et quelques autres, Henri Filipacchi notamment, Maurice Girodias ou Jean-Alexis Néret, ils surent profiter des événements pour s’enrichir, améliorer leur situation ou celle de leurs proches. Gaston Gallimard, Bernard Grasset et Robert Denoël, les plus exposés en raison de la notoriété de leurs maisons, ne sortent pas grandis de la confrontation entre morale et affaires. Du moins le premier joua-t-il un double ou un triple jeu, à la manière de son maître, Jean Paulhan, et ne peut-il être soupçonné de sympathies pronazies, sentiments qui lui étaient parfaitement étrangers.
23Pour ses deux confrères, la soif de vivre, la volonté de se hisser au sommet de la profession pesa lourd. Plus discrets, les Robert Mainguet et autres René Philippon participèrent sans état d’âme à la Collaboration. Ils n’étaient nullement pro-allemands et encore moins hitlériens, mais tout simplement épris d’ordre et respectueux du pouvoir en place, quand bien même celui-ci était l’émanation d’un coup de force entrepris pour abattre cette République qu’ils n’aimaient pas. L’État français de Philippe Pétain présentait un visage plus rassurant à leurs yeux et la corporation ne les effrayait nullement, puisqu’elle était destinée à écarter les intrigants et les parvenus. C’est donc ici qu’il faut chercher les raisons de la soumission des institutions représentatives de la profession et l’on constate dans ce milieu professionnel des phénomènes proches de ceux qu’a étudié Gisèle Sapiro à propos des écrivains pendans la Seconde Guerre mondiale [57]. Apparemment soumise à la Libération, l’édition se rattrapa après guerre en devenant le refuge de bon nombre de pétainistes. L’élection de Jean Mistler en 1966 à l’Académie française en fut l’éclatante démonstration, Jacques Chastenet, Jérôme Carcopino, André François-Poncet et Pierre Gaxotte soutenant fermement sa candidature. Son élection ultérieure au fauteuil de secrétaire perpétuel dit à sa manière le poids des institutions, des structures, celui des entreprises aussi et des réseaux que l’action d’un Vercors ou d’un Edmond Charlot avait été impuissante à entraver durablement. La retraite de ce dernier en 1950 et son retour à Alger traduisent à leur manière la défaite des éditeurs de la nuit, même si le combat de Jérôme Lindon pour faire entendre les voix discordantes et enchaînées pendant la guerre d’Algérie semble prouver que l’engagement des éditeurs résistants n’avait pas été inutile.
24Jean-Yves Mollier, Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines, Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC), 78047, Guyancourt cedex, France.
Mots-clés éditeurs : Seconde Guerre mondiale, édition, Résistance, collaboration française, épuration
Mise en ligne 23/11/2011
https://doi.org/10.3917/vin.112.0127Notes
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[1]
Jean-Yves Mollier, « Les mutations de l’espace éditorial français du xviiie au xxe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, 126-127, mars 1999, p. 29-38 ; id., Édition, presse et pouvoir en France au xxe siècle, Paris, Fayard, 2008.
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[2]
Cité dans Jean-Yves Mollier, L’Argent et les Lettres : histoire du capitalisme d’édition, Paris, Fayard, 1988, p. 111.
-
[3]
Patricia Sorel et Frédérique Leblanc (dir.), Histoire de la librairie française, Paris, Cercle de la librairie, 2008.
-
[4]
Ibid.
-
[5]
Yvan Leclerc, Crimes écrits : la littérature en procès au 19e siècle, Paris, Plon, 1991.
-
[6]
Christian Delporte et alii (dir.), L’Humanité de Jaurès à nos jours, Paris, Nouveau Monde, 2004.
-
[7]
Classées « monument historique » en 2002 pour remercier Jean-Luc Lagardère d’en avoir confié la gestion à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), elles sont consultables sur autorisation.
-
[8]
Pascal Fouché, L’Édition française sous l’Occupation, Paris, Bibliothèque de littérature contemporaine de l’Université Paris-VII, 1987, 2 vol.
-
[9]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir…, op. cit., chap. 1.
-
[10]
Ibid.
-
[11]
Ibid., p. 52-54.
-
[12]
Bruno Dubot, « La Librairie Larousse de 1895 à 1952 », thèse de doctorat en histoire, Université de Versailles – Saint-Quentin-en Yvelines, 2009, 3 vol.
-
[13]
Bibliographie de la France des 28 février-7 mars 1941, p. 16. Toutes les citations extraites des archives du Syndicat national de l’édition (SNE) – qui nous ont été, pour la première fois, ouvertes libéralement – sont reproduites, avec la mention de leur provenance précise, dans Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir…, op. cit.
-
[14]
SNE, procès-verbal du Comité des éditeurs, 27 août 1940.
-
[15]
Gérard Loiseaux, La Littérature de la défaite et de la collaboration : juin 1940-décembre 1941, d’après « Phönix oder Asche ? », « Phénix ou cendres ? », Laon, G. Loiseaux, 1981, Paris, Fayard, 3e éd. 1995, p. 71-73.
-
[16]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 63-67. Voir notamment la reproduction de l’article qu’il tenta de faire publier en ces circonstances et qui lui valut, à la Libération, une condamnation personnelle (p. 66).
-
[17]
Ibid. Pour une lecture des documents qui prouvent l’étendue de cette collaboration intellectuelle dont la soumission aux directives du pouvoir, quel qu’il soit, est le ressort majeur.
-
[18]
On lira avec intérêt le rapport allemand dans lequel l’interlocuteur du président du Syndicat des éditeurs (SE) écrit que ce dernier avait « les pieds gelés » – kalte füsse en allemand, c’est-à-dire une « trouille terrible » ou la « pétoche » – face aux conséquences à long terme de l’apposition de sa signature sur la convention de censure. Voir Archives nationales, AJ40/1005, Tätigkeitsbericht für die Zeit von 25/9/1940 bis 2/10/1940 ; ainsi que la traduction de Pascal Fouché, op. cit., t. I, p. 51 ; et la nôtre, nettement plus crue que la précédente, Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir…, op. cit., p. 85.
-
[19]
Il a encore changé de nom depuis et est devenu le Syndicat national de l’édition en 1971.
-
[20]
Interdit par les autorités de Vichy en zone non occupée, le livre de Jean de La Hire est rarement cité par les historiens de la Collaboration, alors que ce reportage est un document saisissant sur la complaisance qu’un officier français ancien combattant de la Grande Guerre pouvait éprouver envers l’occupant. Voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 70-74, pour le commentaire et les citations extraites de ce livre.
-
[21]
Ibid., p. 109 ; Anne Simonin, Les Éditions de Minuit : le devoir d’insoumission, 1942-1945, Paris, IMEC, 1994, p. 192.
-
[22]
Pour un portrait de Victor Bassot, personnage qui gagnerait à être davantage éclairé tant son implication dans le programme d’inculcation douce de l’idéologie nazie apparaît majeure, voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 91-92, 172-176 et 178-180.
-
[23]
Nous avions signalé le parcours de Henry Jamet à Pascal Fouché, parce qu’il nous avait été décrit en 1986 par un des élèves du collège des pères maristes de Marseille, devenu depuis éditeur de presse catholique. Le secret était mal gardé en 1945-1946 et les supérieurs du collège savaient pertinemment qui était le surveillant affublé d’un faux nom à qui ils avaient confié l’avenir des jeunes gens qui étaient sous leur autorité. Voir Pascal Fouché, op. cit., t. II, p. 253.
-
[24]
Une bibliothécaire américaine a récemment publié une sorte de roman vrai de cet assassinat, mais sa lecture laisse perplexe, comme celle de l’épais dossier conservé aux archives de la préfecture de police de Paris (APP). Voir A. Louise Staman, Assassinat d’un éditeur à la Libération : Robert Denoël (1902-1945), Paris, E-dite, 2005 ; APP, H 55 63 : dossier Robert Denoël. L’écrivain Jean Voilier, Jeanne Loviton à l’état civil, la maîtresse de Robert Denoël à qui il avait cédé ses parts et qui les revendit ensuite à Gaston Gallimard, fut fortement soupçonnée d’être pour quelque chose dans cette disparition énigmatique, mais rien ne put jamais être établi à son encontre. Voir Célia Bertin, Portrait d’une femme romanesque : Jean Voilier, Paris, Éd. de Fallois, 2008, pour un portrait favorable à l’ancienne égérie de Paul Valéry et de la femme d’un ancien président du Conseil de la Quatrième République.
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[25]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 116-124 et 127-128.
-
[26]
Ibid., p. 124-128.
-
[27]
Axel Peytavi, « Castelnaudary et Jean Mistler : “le moment supprimé” », mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Toulouse-Le Mirail, 2004. À noter que la reproduction du document condamnant Jean Mistler comme gérant du journal Présent joint en annexe à ce mémoire a été arrachée de l’exemplaire conservé à la bibliothèque universitaire de cet établissement. L’enquête demandée à notre intention par Patrick Cabanel n’a pas permis de connaître l’identité de celui ou celle qui a tenté d’effacer les traces du passé.
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[28]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 195-201.
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[29]
Les archives Hachette, comme sans doute celles de bon nombre d’entreprises françaises, ont fait l’objet d’une révision systématique en fonction de trois principes érigés en dogme par la direction : « à modifier », « à garder » ou « à supprimer ». Voir IMEC, archives Hachette, S 5 C 176 B 5, PV des CA 1940-1945. Nous avions obtenu, avant de rédiger Édition, presse et pouvoir en France au xxe siècle, l’accès sans réserve à la totalité de ces archives qui n’ont conservé qu’une seule trace flagrante de cette volonté de réécrire leur histoire dès la Libération de Paris. On lit en effet la phrase suivante sur le procès-verbal du conseil d’administration du 18 janvier 1943 à propos d’une entrevue avec Laval : « Ajouter : “M. Laval, qui a conservé pendant tout l’entretien une attitude hostile, prend congé de M. Fouret”. » Il va de soi que cette trace aurait dû disparaître avant que les archives de l’entreprise ne soient déposées à l’IMEC mais, comme l’a souvent répété Carlo Ginzburg, il demeure, pour le plus grand bonheur de l’historien, des traces qu’une enquête minutieuse fait réapparaître même là où elles ont été soigneusement effacées. Voir Carlo Ginzburg, Miti, emblemi, spie : morfologia e storia, Turin, Einaudi, « Nuovo Politecnico », 1986 ; trad. fr., id., Mythes, traces, emblèmes : morphologie et histoire, nouv. éd. aug., trad. de l’it. par Monique Aymard, Christian Paoloni, Elsa Bonan et al., rev. par Martin Rueff, Lagrasse, Verdier, « Verdier poche : histoire », 2010.
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[30]
Voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir…, op. cit., p. 201-218. Nous y donnons toutes les preuves du soutien accordé par les banques privées, en l’occurrence le Crédit industriel et la Banque ottomane, qui octroyèrent l’équivalent de vingt-trois millions d’euros d’aujourd’hui à la Librairie Hachette à partir du mois d’août 1946 pour qu’elle brise les reins des Messageries de l’État. L’accord intervenu en mai 1947 confia la direction des Nouvelles Messageries de la presse parisienne au groupe privé, pourtant minoritaire au capital (49 %), et surtout une rétribution annuelle de 1 % du chiffre d’affaires, ce qui explique très largement la hausse continue du prix des journaux français après 1947 !
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[31]
En avril 1967, François Mitterrand touchait une mensualité équivalant à 4 300 euros et René Tomasini à 835 euros pour des « frais d’études publicitaires », qui étaient d’ailleurs déclarés au fisc ! Voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 286 ; et, pour la source de ce système de corruption des parlementaires, IMEC, archives Hachette S 5 C 190 B4, dossier « Contacts politiques : Réaumur NMPP ».
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[32]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 287.
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[33]
Ibid., p. 208-211 ; et, fondamental pour l’histoire de ce mouvement, l’ouvrage d’Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la France : Défense de la France (1940-1949), Paris, Éd. du Seuil, 1995.
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[34]
La lettre que nous reproduisons est sans contestation possible sur ce point. Voir Jean-Yves Mollier, op. cit., p. 38.
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[35]
Ibid., p. 209-211 pour le rachat de France-Soir, et 283-290 pour l’avènement de la Cinquième République.
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[36]
Anne Simonin, op. cit.
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[37]
Jean Lacouture, Paul Flamand, éditeur : la grande aventure des Éditions du Seuil, Paris, Les Arènes, 2010 ; Hervé Serry, Les Éditions du Seuil : 70 ans d’histoire, Paris, Éd. du Seuil/IMEC, 2008.
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[38]
Anne Simonin, op. cit.
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[39]
Michel Puche, Edmond Charlot éditeur, Pézenas, Domens, 1995.
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[40]
François Vignale, « La revue Fontaine : inscription d’une revue littéraire algéroise dans le paysage intellectuel français et mutations du champ littéraire dans la période, 1934-1950 », thèse de doctorat en histoire, Université de Versailles – Saint-Quentin-en Yvelines, 2010, 3 vol.
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[41]
Jean-Claude Lamy, René Julliard, Paris, Julliard, 1972 ; Jean-Yves Mollier, op. cit., p. 113-115.
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[42]
Robert Laffont, Éditeur, Paris, Robert Laffont, 1974 ; id., Une si longue quête, Paris, Anne Carrière, 2005 ; Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 131-133.
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[43]
Cette triple cooptation des proches de Gaston Gallimard est, elle aussi, une jolie et savoureuse « trace » pleine d’enseignements sur les angoisses du fondateur de la librairie du même nom à la veille de la Libération. Voir Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 136 ; procès-verbal du conseil d’administration du SE daté du 11 février 1944.
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[44]
José Corti, Souvenirs désordonnés, Paris, José Corti, 2003.
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[45]
Martine Poulain, Livres pillés, lectures surveillées : les bibliothèques française sous l’Occupation, Paris, Gallimard, 2008.
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[46]
Jacques Debû-Bridel, Les Éditions de Minuit : historique et bibliographie, Paris, Éd. de Minuit, 1945.
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[47]
Olivier Cariguel, Les Cahiers du Rhône dans la guerre, 1941-1945 : la résistance du « glaive de l’esprit », Fribourg, Presses de l’Université, 1996.
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[48]
Véronique Chabrol, « Jeune France : une expérience de recherche et de décentralisation culturelle, novembre 1940-mars 1942 », thèse de doctorat en littérature française, Université Paris-III, 1974.
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[49]
Dr Guillotin [André Wurmser], Le Scandale du trust vert, Paris, Curial-Archereau, 1947 ; Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 204-206.
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[50]
Ernst Jünger, Mémoires de guerre, 1939-1948, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 238 ; Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 56.
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[51]
Voir, par exemple, Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration, préf. de Jean-Pierre Azéma, Paris, Fayard, « Pour une histoire du 20e siècle », 2001 ; Kathrin Engel a dépouillé la totalité des comptes rendus d’activités (Tätigkeitsberichte) conservés (Kathrin Engel, Deutsche Kulturpolitik im besetzten Paris, 1940-1944 : Film und Theater, Munich, Oldenbourg, 2003).
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[52]
Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, 1940-1944, Paris, Éd. du Seuil, 1995, p. 525.
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[53]
Pierre Assouline, Gaston Gallimard, Paris, Balland, 1984, p. 338-341.
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[54]
Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France…, op. cit., p. 90-91.
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[55]
Pour les chiffres prouvant la croissance phénoménale des éditions Alsatia pendant la guerre, voir ibid., p. 88-89.
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[56]
Ibid., p. 117-118.
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[57]
Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, 1940-1953, Paris, Fayard, 1995.