Notes
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[1]
Pour réaliser cette recherche, nous avons bénéficié de l’accès au fonds documentaire constitué par Dominique Jacomet, aujourd’hui directeur général de l’Institut français de la mode, comprenant notamment les interviews inédites qu’il a réalisées auprès d’Antoine Pinay et de ses principaux collaborateurs ou collègues ; qu’il soit ici très vivement remercié de m’avoir permis d’utiliser ce fonds privé (noté ADJ).
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[2]
Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, 1997, p. 63-70.
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[3]
Ibid., p. 83.
-
[4]
Sur les limites du « miracle Poincaré » de 1926-1927, c’est-à-dire le rétablissement soudain du franc face à la livre, la reprise économique et le rapatriement des capitaux, voir Joseph Soavi, « La crise de stabilisation de 1927-1928 en France », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 77, janvier-mars 2003, p. 85-93 ; et surtout Kenneth Mouré, Managing the Franc Poincaré, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; trad. fr., id., La Politique du franc Poincaré : perception de l’économie et contraintes politiques dans la stratégie monétaires de la France, 1926-1936, préf. de Jean-Charles Asselain, trad. de l’angl. par Jean-Marc Mendel, Paris, Albin Michel, « Histoire de la mission historique de la Banque de France », 1998, en particulier le premier chapitre « Le miracle Poincaré », p. 33 sqq.
-
[5]
René Girault, « Les relations économiques avec l’extérieur (1945-1975) », in Fernand Braudel et Ernest Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, t. IV, vol. 3 : 1950-1980, Paris, PUF, 1982, 1993, p. 1398.
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[6]
Sylvie Guillaume, Antoine Pinay ou la confiance en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1984 ; à compléter par sa thèse, « Antoine Pinay, un destin national », thèse pour le doctorat d’État, sous la direction de Georges Dupeux, Université Bordeaux-III, 1981, 3 vol.
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[7]
Selon le mot fameux d’Édouard Herriot que Pierre-Olivier Lapie rapporte ainsi : « Bonne gueule d’électeur, en somme. » (Pierre-Olivier Lapie, De Léon Blum à de Gaulle : le caractère et le pouvoir, Paris, Fayard, 1971, p. 429)
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[8]
Hubert Bonin, Histoire économique de la IVe République, Paris, Economica, 1987, p. 206 ; François Caron et Jean Bouvier, Histoire économique et sociale de la France, t. IV, vol. 3 : Années 1950-1980, Paris, PUF, 1982, 1993, p. 1109 ; André de Lattre, Histoire de la politique économique française de 1945 à 1977 : cours de l’Institut d’études politiques de Paris, 1978-1979, Paris, Les cours de droit, 1978, section II ; Paul Delouvrier et Roger Nathan, Politique économique de la France, Paris, Les cours de droit, 1956, p. 123-127.
-
[9]
Raoul Girardet, op. cit., p. 63 sq.
-
[10]
Françoise Giroud, Le Tout-Paris, Paris, Gallimard, 1953, Bruxelles, Éd. C.M.4, 1956, portrait d’Antoine Pinay, p. 240-246, paru le 21 mars 1952.
-
[11]
Les discours d’Antoine Pinay sont d’ailleurs qualifiés de « discours-actes » par Henri Yrissou, qui les rédigeait avec Raymond Arasse. (ADJ, Henri Yrissou, discours prononcé pour le 90e anniversaire d’Antoine Pinay, document dactylographié, p. 4)
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[12]
Françoise Giroud, op. cit., p. 241.
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[13]
Ibid.
-
[14]
Antoine Pinay et Antoine Veil, Un Français comme les autres : entretiens avec Antoine Veil, Paris, Belfond, 1984. L’auteur de l’ouvrage est abusivement présenté comme étant Antoine Pinay.
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[15]
D’après Édouard Herriot, selon Pierre-Olivier Lapie, op. cit., p. 429.
-
[16]
Serge Berstein, « Introduction : nature et fonction des cultures politiques », in Serge Berstein (dir.), Les Cultures politiques en France, Paris, Seuil, 1999, p. 9.
-
[17]
Ibid., p. 14.
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[18]
Propos rapporté par Jean-Antoine Giansily, Pinay l’indépendant, Paris, Denoël, 1995, p. 24.
-
[19]
Antoine Pinay commence sa carrière d’industriel vers 1917 et « entre » en politique en 1928 ; il quitte définitivement le monde de l’entreprise en 1948, après trente et un ans de service ; il prend sa retraite politique en 1979, après cinquante et un ans de mandats divers, pratiquement sans interruptions.
-
[20]
Jean-Antoine Giansily, op. cit., p. 41 ; Christiane Rimbaud, Pinay, Paris, Perrin, 1990, p. 33.
-
[21]
Christiane Rimbaud, op. cit., p. 33.
-
[22]
Sylvie Guillaume, op. cit., p. 4-44.
-
[23]
André Ballet, synthèse des débats d’investiture d’Antoine Pinay le 6 mars 1952, Le Monde, 8 mars 1952. Marius Patinaud est député PCF de la Loire, donc concurrent direct de Pinay.
-
[24]
Antoine Pinay fut titulaire de nombreuses décorations militaires et civiles, mais refusa la Légion d’honneur jusqu’en 1986, peut-être à l’image de Scheurer-Kestner, « pour rester dans la tradition républicaine ». (Jérôme Grévy, La République des opportunistes, 1870-1885, Paris, Perrin, 1998, p. 120-121)
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[25]
Sur l’évolution de l’industrie du cuir pendant l’entre-deux-guerres : Michel Usquin, Les Industries du cuir et la crise, Paris, Librairie technique et économique, 1937 ; Patrice Baubeau, « Les transformations des circuits de financement des PME ou le contre-effet de la pression », in Jean Garrigues (dir.), Les Groupes de pression dans la vie politique contemporaine en France et aux États-Unis de 1820 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 127-141 ; Florent Le Bot, La Fabrique réactionnaire : antisémitisme, spoliations et corporatisme dans le cuir (1930-1950), Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
-
[26]
Voir les interviews de Henri Guignard et Antoine Pinay : ADJ et Bilans hebdomadaires, politiques économiques et sociaux, 454, 10 février 1955, pages G1 et G2 ; Georgette Elgey, Histoire de la IVe République. Deuxième partie : La République des contradictions, 1951-1954, Paris, Fayard, 1968, 1993, p. 61.
-
[27]
ADJ, entretiens avec Antoine Pinay.
-
[28]
Alphonse Derome, La Dernière Carte : qui est Pinay ? quelles sont ses chances ?, Paris, Éd. Médicis, 1952, p. 35. C’est l’un des ouvrages hagiographiques qui paraissent en 1952-1953 autour de « l’expérience Pinay ». On ne sait rien de l’auteur qui se présente comme le patron d’une PME industrielle déçu par la politique.
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[29]
Antoine Pinay a été délégué puis président du syndicat régional des cuirs et peaux dès avant la Deuxième Guerre mondiale. Il a aussi été président de la délégation régionale du Comité d’organisation du cuir pendant l’Occupation (voir Monique Luirard, La Région stéphanoise dans la guerre et dans la paix (1936-1951), s.l. [Saint-Étienne], sans éditeur, s.d. [1980], p. 316). Après-guerre il devient vice-président de la Fédération nationale des cuirs et peaux.
-
[30]
« Le personnel du bureau était des amis. » (ADJ, entretiens avec Antoine Pinay)
-
[31]
Ibid.
-
[32]
Sylvie Guillaume, op. cit., p. 6, n. 2.
-
[33]
Ibid., p. 6.
-
[34]
Ibid., p. 4.
-
[35]
Deux exemples : « En 1948, j’ai quitté l’entreprise. » ; « Je m’en suis occupé jusqu’en 1948. À partir de 48, on a nommé un autre président. C’est devenu une société anonyme, je ne suis même pas resté administrateur. » (ADJ, entretiens avec Antoine Pinay)
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[36]
Ibid.
-
[37]
Interview par Merry Bromberger, citée dans Pierre Drouin, Qu’est-ce qui fait courir la France ?, Paris, Plon, 1979, p. 56.
-
[38]
Bertrand Blancheton, Le Pape et l’Empereur : la Banque de France, la direction du Trésor et la politique monétaire de la France (1914-1928), Paris, Albin Michel, 2001, graphique 6-1, p. 386.
-
[39]
Ian Kershaw montre, dans le cas de Hitler, comment le charisme ne peut être déduit du personnage qui en est supposé porteur : « Autrement dit, son pouvoir était “charismatique”, non pas institutionnel. Il dépendait de l’empressement des autres à lui prêter des qualités “héroïques”. Et ils les perçurent, peut-être avant même qu’il n’y crût lui-même. » (Ian Kershaw, Hitler, vol. 1 : Hubris, New York, W. W. Norton, 1998 ; trad. fr., id., Hitler, vol. 1 : Hubris, trad. de l’angl. par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Flammarion, 1999, p. 30.
-
[40]
Raymond Boudon et François Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982, 1994, p. 78.
-
[41]
La loi Barangé, votée le 21 septembre 1951, étend l’aide scolaire publique (loi Marie) aux établissements primaires privés et son vote déchire la troisième force, mais aussi la cohérence du groupe gaulliste.
-
[42]
Dans Pierre Limagne, Éphémère IVe République, Paris, France-Empire, 1977, p. 190.
-
[43]
On a choisi ici de ne pas traiter en tant que tel de cet effondrement monétaire, qui suppose des développements conséquents, mais uniquement du levier politique qu’il a représenté. En particulier, le rôle de Wilfrid Baumgartner, alors gouverneur de la Banque de France, a souvent été mis en avant dans la chute d’Edgar Faure, et parfois dans l’arrivée d’Antoine Pinay à la présidence du Conseil et le soutien à la politique monétaire et financière adoptée. Voir notamment Gilles Richard, « Le Centre national des indépendants et paysans de 1948 à 1962 ou l’échec de l’union des droites françaises dans le parti des modérés », thèse de l’Institut d’études politiques de Paris, 1998, vol. 1, p. 187-188 ; et surtout Olivier Feiertag, Wilfrid Baumgarntner, un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978), Paris, CHEFF, 2006, p. 399-414.
-
[44]
Georgette Elgey, op. cit., p. 43 et 57 : « Dans les périodes de crise, les Français aiment à trouver un chef qui leur rend confiance dans les vérités simples, qui les entretient dans l’illusion de la stabilité : Adolphe Thiers, Raymond Poincaré, Gaston Doumergue, Philippe Pétain … Antoine Pinay s’inscrit dans cette lignée. »
-
[45]
Alphonse Derome, op. cit., p. 109 : « Les Français souhaitaient un nouveau ministère Poincaré. »
-
[46]
Roger Duchet, La République épinglée, Paris, Alain Moreau, 1975, p. 38 : « Et beaucoup ne reconnaissaient pas dans la rue ce “nouveau Poincaré”. »
-
[47]
Georgette Elgey, op. cit., p. 56.
-
[48]
« Pinay, renouvelant Poincaré, fait figure de sauveur. » (René Sédillot, Histoire du franc, Paris, Sirey, 1979, p. 214)
-
[49]
Georgette Elgey, op. cit., p. 72.
-
[50]
François Bloch Lainé, Profession fonctionnaire, Paris, 1976, p. 20 sq.
-
[51]
Louis Franck, 697 Ministres : souvenirs d’un directeur général des prix, 1947-1962, Paris, CHEFF, 1990, p. 72, 67 et 74. Mais il témoigne de son attachement pour l’homme (p. 70). En tant que directeur des prix au ministère de l’Économie et des Finances, Louis Franck a vécu de près les contradictions des politiques budgétaire et monétaire pendant toute la période de l’après-guerre.
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[52]
Georgette Elgey, op. cit., notamment p. 39.
-
[53]
Entretien de Sylvie Guillaume avec Roger Goetze (ex-directeur du Budget), le 22 janvier 1979, Sylvie Guillaume. Antoine Pinay, un destin national, op. cit., p. 115.
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[54]
Ibid., p. 115-116 ; Georgette Elgey, op. cit., p. 52, avec le témoignage d’Étienne Hirsch.
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[55]
Il n’y a aucun article d’Antoine Pinay dans France indépendante de 1950 à 1952 et son nom y est rarement cité. (Sylvie Guillaume, op. cit., p. 113)
-
[56]
Ibid., p. 41.
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[57]
Mais il ne faut pas tomber dans le piège de l’homme neuf : voir Gilles Richard, op. cit., p. 187-190.
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[58]
Sylvie Guillaume, op. cit., t. II, vol. 3, p. 19.
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[59]
ADJ, discours dactylographié d’Antoine Pinay devant l’Assemblée nationale, le 6 mars 1952, dix-huit feuillets.
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[60]
Roger Duchet, op. cit., p. 39.
-
[61]
Sylvie Guillaume, op. cit., p. 113 et 83. Elle ne retient qu’une « intervention notable » dans les Débats parlementaires, le 30 mai 1947, sur un sujet de technique financière.
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[62]
Entretien de Sylvie Guillaume avec René Pleven, le 19 juin 1979. (Ibid., p. 84)
-
[63]
Bertrand Blancheton, op. cit., p. 249-250.
-
[64]
Archives de la Commission des finances de l’Assemblée nationale (noté ACFAN), procès verbaux des séances, 25 février 1952, p. 26.
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[65]
ACFAN, procès verbaux des séances, 25 février 1952, p. 41. Pierre Courant donne le détail de la mesure et rappelle son abandon.
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[66]
Archives de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, procès verbaux des séances, séance du 13 février 1952, p. 6.
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[67]
ACFAN, procès verbaux des séances, 25 février 1952, p. 28-29. Un peu plus loin, Edgar Faure revient sur le précédent Poincaré pour le repousser, en rappelant « que proportionnellement M. Poincaré a fait voter plus d’impôts que je n’en propose » (p. 38).
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[68]
ACFAN, procès verbaux des séances, 25 février 1952, p. 25-26 ; Commission des finances, Communiqué de presse n° 101, p. 2.
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[69]
ACFAN, procès verbaux des séances, 25 février 1952, 26 mars 1952. Par le volume, il s’agit de la principale audition de l’année de la Commission des finances.
-
[70]
ACFAN, procès verbaux des séances, 26 mars 1952, p. 76.
-
[71]
Ibid.
-
[72]
Selon Antoine Pinay : « Il [Mendès France] a raison. La politique d’emprunt est une politique inflationniste si on fait des emprunts pour l’équilibre budgétaire. » (Ibid., p. 83)
-
[73]
Ibid., p. 91.
-
[74]
ACFAN, procès verbaux des séances, 20 mai 1952, p. 5.
-
[75]
Ibid., p. 6-7.
-
[76]
Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Assemblée nationale, 4 avril 1952, p. 1927, cité dans Sylvie Guillaume, op. cit., p. 287.
-
[77]
Louis Franck témoigne : « Pour ce qui est de discourir et aussi d’écouter, il n’avait pas son pareil. » (Ibid., p. 68)
-
[78]
Le Monde, 5 mars 1952.
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[79]
La Commission des finances le lui reproche, par la voix de Charles Barangé : « La deuxième observation générale, je la prends dans une allocution que vous avez prononcée hier soir à la radio, dont vous aviez d’ailleurs le choix très libre de la faire suivre ou précéder les travaux de la Commission des finances et de l’Assemblée [ …]. » (ACFAN, procès verbaux des séances, 26 mars 1952, p. 21) En revanche, Jean-André Faucher s’en félicite, dans L’Agonie d’un régime (1952-1958), Paris, Éd. Atlantic, 1959, le 4 septembre 1952, p. 9, et le 18 novembre 1952, p. 23.
-
[80]
Jacques Fauvet écrit en février 1953 : « C’est donc plus le style [de Pinay] que le fond qui a pu être mis en cause, le style plus dédaigneux à l’endroit du Parlement, plus discret à l’égard de la Résistance. Mais ce mélange d’antiparlementarisme, de paternalisme et de pétainisme était plus sous-jacent qu’apparent. » (Jacques Fauvet, op. cit., p. 114)
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[81]
Nicolas Roussellier, « La culture politique libérale », in Serge Berstein (dir.), op. cit., p. 75.
-
[82]
Sur cette question, voir Georgette Elgey, op. cit., p. 70 et 98.
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[83]
Serge Berstein, « Introduction … », op. cit., p. 15.
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[84]
« Une culture politique n’est d’ailleurs pas faite pour être philosophiquement cohérente. » (Nicolas Roussellier, « La culture politique libérale », in Serge Berstein (dir.), op. cit., p. 69-112, p. 73)
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[85]
Raymond Boudon et François Bourricaud, op. cit., p. 145.
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[86]
La rente Pinay, ainsi appelée en référence à la Belle Époque, car elle vaut de l’or …
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[87]
D’après André Diethelm, au nom du RPF divisé par la candidature d’Antoine Pinay, le 6 mars 1952. (Le Monde, 8 mars 1952)
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[88]
Pierre Drouin, op. cit., p. 62.
« Quelle conception étroite de l’homme d’État ! Aussi étroite qu’étaient étriquées la pensée et la politique de Poincaré ! Un “défenseur du franc” peut être un excellent technicien, s’il réussit dans son entreprise. Il n’est pas, par ce seul fait, un homme d’État […]. »
1En 1952, Antoine Pinay réussit à juguler une crise monétaire et devint un nouveau sauveur du franc, à l’instar de Raymond Poincaré en 1926. Analysant la pertinence de la comparaison, l’auteur envisage la manière dont Pinay instrumentalisa cette référence au service de son projet politique, à partir de la culture politique libérale.
2Il y a un « mystère » Pinay [1], et en premier lieu ce mythe Pinay [2] qui naît dès les débuts de l’expérience Pinay, en mars 1952. Or ce mythe n’arrive pas tout seul selon Raoul Girardet : « Les valeurs incarnées par le personnage de M. Pinay [sont] en exacte continuité avec le légendaire d’un Raymond Poincaré et d’un Gaston Doumergue [ …] [3]. » Cette continuité avec Poincaré s’appuie sur trois éléments principaux : l’ancrage dans la province française ; l’épreuve de la Première Guerre mondiale ; l’image de sauveur du franc [4]. Les deux personnages ont d’ailleurs attaché leur nom à la monnaie nationale. Le franc Poincaré désigne le franc-or issu de la loi monétaire du 25 juin 1928, qui suit le rétablissement initié en 1926 et « le franc Pinay » [5], expression qui ne s’est pas imposée, correspond au nouveau franc né du décret du 18 novembre 1959.
3Quant au mythe Pinay à proprement parler, il repose sur un contraste : le rétablissement monétaire presque miraculeux de la confiance [6] en la monnaie que suscite son arrivée à la tête du gouvernement (à l’instar de Poincaré) et le caractère commun, « moyen » du personnage, allant jusqu’à « se faire une tête d’électeur » [7]. En effet, contrairement au Poincaré de 1926, Pinay passe aux yeux du grand public de 1952 pour un débutant en politique. Ce contraste est encore renforcé par l’appréciation pour le moins nuancée que portent techniciens et historiens sur l’action d’Antoine Pinay en 1952 [8], tandis que sa popularité persiste bien au-delà de sa retraite politique nationale (en 1960) et locale (en 1977). Même si, depuis son décès en 1994, cette popularité s’étiole, c’est bien elle qui explique que Raoul Girardet l’ait retenu parmi les figures mythiques dont il explore les ressorts [9].
4Le point de départ pertinent, face à ces deux composantes du mythe – la soi-disant nouveauté du personnage et l’efficacité discutée de son action mais non de sa présence –, pourrait bien se trouver dans l’un de ces articles que Françoise Giroud compose en 1952 pour France Dimanche, sans tout à fait y croire, à partir des poncifs qui se cristallisent autour d’un personnage [10]. Elle concentre ainsi en trois traits le « mythe Pinay ». Vient d’abord son caractère discret, voire silencieux, s’exprimant moins par des discours que par des actes [11]. Ensuite, elle prétend croire à son manque d’ambition : « Il ne se prend ni pour Napoléon, ni pour Jeanne d’Arc, ni même pour Poincaré [12]. » C’est pourtant bien cette dernière référence qui porte l’expérience Pinay au niveau du mythe. Enfin, son souci d’ordre, d’économie, issu de disciplines et de pratiques concrètes : « L’art de dépenser toujours un franc de moins qu’il ne possède [13] », ce franc qu’il va donc sauver … Antoine Pinay est donc un homme ordinaire, Un Français comme les autres [14].
5Or, cette image de Pinay Français moyen [15] n’est pas neutre politiquement. Lui-même la rattache explicitement à sa formation intellectuelle et professionnelle et à sa conception de la politique. Ainsi, à partir des facettes qui constituent le mythe, on constate un lien entre les dimensions économique et politique de la culture politique à laquelle participe Antoine Pinay. Bien entendu, ces images ne sont pas sans rapport avec des éléments avérés de sa biographie et l’existence même d’un mythe est peut-être révélatrice de certains traits de sa culture politique définie comme « l’ensemble des représentations, porteuses de normes et de valeurs, qui constituent l’identité » de sa famille politique [16]. Or, « dans l’ordre de la culture politique, c’est la légende qui est la réalité, puisque c’est elle qui est mobilisatrice et détermine l’action politique concrète à la lumière des représentations qu’elle propose [17] ».
6Afin de situer rapidement Antoine Pinay, nous commencerons donc par dégager la portée « légendaire », c’est-à-dire embellie ou stylisée pour mieux former un symbole, de son histoire intellectuelle et professionnelle. Se dessineront ainsi les contours, forcément flous, de sa culture politique, à partir desquels nous essaierons d’analyser deux aspects de son action qui, en 1952, ont aidé à forger le mythe : la manière dont il s’est saisi du précédent de Poincaré, puis les ressorts de son comportement politique dans les premières semaines de gouvernement.
Antoine Pinay, « industriel » ou « politique » ?
7Antoine Pinay, à de nombreuses reprises, affirme qu’il n’aime pas la politique, c’est même un lieu commun de ses discours électoraux ou gouvernementaux : « La politique ? Elle a gâché ma vie [18] ! » Il en a pourtant fait la principale activité de sa vie d’homme [19] et lui doit toute sa popularité. Cette exclamation renvoie en réalité à la critique des idéologies et en particulier de l’affrontement gauche/droite. Il s’autorise ainsi à louer certaines des réformes du Front populaire « que nous n’aurions eu ni le courage ni la possibilité de faire nous-mêmes [20] » avant, fort de cette apparente objectivité, de condamner le rôle que jouent l’idéologie et l’esprit de parti [21]. On retrouve là un fonds commun à la droite indépendante et modérée à laquelle appartient Antoine Pinay. On sait bien que la critique du communisme, de la fracture gauche/droite et des dangers de l’idéologie ou de « l’exagération » désigne en général un positionnement politique à droite. Il en va de même de l’étiquette « apolitique » qu’a revendiquée Antoine Pinay lors des premières élections auxquelles il a participé, de 1929 à 1938 [22]. Antoine Pinay apporte une deuxième explication, également très traditionnelle, à son mépris pour la politique : il en fait le moins possible, car il n’est pas un homme politique mais un gestionnaire ancré dans sa province.
Un notable provincial
8Antoine Pinay est né en 1891 à Saint-Symphorien-sur-Coise (Rhône) d’une petite famille d’industriels, bourgeois très catholiques. Plus séduit par la réussite de ses oncles maternels, notamment l’un d’eux devenu général, que par celle de son père, chapelier industriel, il interrompt ses études chez les frères maristes de Saint-Chamond l’année du baccalauréat, sans le passer : de sa scolarité, on retiendra principalement ses goûts littéraires (ce n’est pas un scientifique) et une mémoire exceptionnelle.
9Comme beaucoup de jeunes gens, sa période militaire s’éternise de 1911 à 1917 : il est réformé cette année-là à la suite d’une grave blessure au bras droit, en septembre 1914, qui l’empêche de beaucoup écrire. Cette même année, il épouse Marguerite Fouletier, fille du propriétaire d’une tannerie de Saint-Chamond. Il s’y installe et, rapidement, en devient l’un des dirigeants. C’est donc comme notable qu’il est rattrapé par la politique, locale d’abord, suivant en cela le cursus honorum républicain : élu maire de Saint-Chamond en mai 1929, il accède au conseil général en 1934 et enfin à la Chambre des députés en 1936. Mais cette assemblée le déçoit et il se replie de 1938 à 1941 sur le Sénat. Après la guerre, il retrouve ses deux sièges locaux, qu’il conservera respectivement jusqu’en 1977 et 1979, mais redevient député, de 1946 à 1959. Ses réélections ininterrompues le justifient face aux accusations de Marius Patinaud qui l’attaque en 1952 sur son attitude après l’armistice de mai 1940 : « Je n’accepte pas d’autre jugement, M. Patinaud [23]. »
10Ce parcours indistinctement politique, matrimonial et professionnel, typique d’un notable provincial, le destinait aux horizons souples de la France rurale, aux récompenses vertes et rouges de son chef-lieu de canton [24], aux consécrations édilitaires de l’âge mûr. Il n’en est pourtant rien. Dès lors, soit Antoine Pinay est un notable provincial qui a mieux réussi que d’autres, soit (et ce n’est pas incompatible) il a bénéficié de ressources, personnelles et sociales, plus importantes qu’il ne semble au premier abord.
Un entrepreneur innovant dans un secteur archaïque
11Le parcours professionnel d’Antoine Pinay dans la tannerie apparaît remarquable. En effet, depuis la mise au point, à la fin du 19e siècle, des méthodes chimiques de tannage du cuir, l’industrialisation ruine la plupart des petites tanneries, phénomène accentué par l’émergence de produits de substitution du cuir et le déclin des débouchés de la sellerie. Les industries du cuir, deuxième employeur industriel dans la France de l’entre-deux-guerres, connaissent donc une crise durable marquée par l’évolution des techniques, les surcapacités et des marchés qui s’européanisent [25].
12La survie de la tannerie Fouletier n’est donc pas seulement le résultat de l’exploitation routinière d’une position locale bornée par les monts du Lyonnais et le massif du Pilat. Elle suppose des adaptations techniques et commerciales constantes [26]. Le portrait du petit industriel est alors soumis à une triple révision. En premier lieu, l’horizon professionnel d’Antoine Pinay est vaste, européen [27] : il voyage dans les pays voisins, à la recherche de marchés, de procédés, de techniques. Cette ouverture à l’international, via des contraintes opérationnelles, est une facette clé de la formation d’Antoine Pinay, surtout si l’on se souvient que ce n’est pas un homme de dossiers, mais de contacts, qui fait confiance à sa mémoire, à son intuition.
13Ensuite, Antoine Pinay doit gérer une entreprise sous forte contrainte financière : il n’est pas sur un marché en expansion où il serait aisé de reporter les frais de fonctionnement sur ses clients. Son souci sans cesse affirmé d’économie y trouve un motif puissant, qui certes peut s’expliquer par une éducation stricte et des valeurs d’ordre et d’épargne, mais qui prend un sens tout différent dans ce contexte industriel.
14Enfin, l’innovation est un élément important du processus industriel, et sous cet aspect, Pinay est considéré comme un bon industriel. Il est bien difficile, à partir de témoignages, de faire de Pinay le moteur de l’innovation technique dans sa tannerie. Mais à tout le moins il sut en prendre le risque et en voir les avantages. Il a ainsi orienté la tannerie Fouletier dans deux directions : les produits à forte valeur ajoutée, comme les cuirs fins pour chaussures, et les produits techniques en forte expansion, comme les cuirs pour harnachements, les courroies pour moteurs et les membranes de cuir poreux pour compteurs à gaz. Mais cette tannerie demeure une PME d’une centaine d’ouvriers au plus, comme en témoigne cette description :
« Aujourd’hui, la direction technique, commerciale et financière de l’entreprise est assurée par M. Fouletier, le “technicien du tannage”, beau-frère de M. Pinay ; par M. Roy, gendre de M. Pinay, et un troisième spécialiste dont j’ai oublié le nom. Chacun des dirigeants est prêt à tout instant à remplacer un ouvrier absent et l’unique bureau dans lequel ils travaillent avec les autres employés se trouve de plain-pied sur la tannerie [28]. »
16Le petit industriel a donc été confronté aux grands défis de l’industrie française : modernisation des procédés, amélioration des méthodes de gestion, conquête des marchés. Ce dynamisme industriel peut expliquer une part de son ancrage de notable : il participe très tôt aux organes patronaux du cuir [29]. Associée à la gestion très paternaliste [30] de son entreprise qui n’a, se flatte-t-il, jamais connu une journée de grève [31], cette insertion dans les syndicats patronaux d’une branche alors importante de l’économie nationale fait d’Antoine Pinay un patron reconnu au plan local et dans les cénacles professionnels.
Une socialisation politique tardive ?
17Puisque Pinay est reconnu comme patron et qu’il déclare détester la politique, qu’est-il venu y faire ? Il répond : « Je n’ai jamais été heureux dans l’industrie ; je trouvais l’atmosphère mièvre et monotone [32]. » Par la vie politique, Pinay aurait donc échappé à une vie provinciale et conformiste [33]. Mais comment a-t-il pu être attiré par la politique plutôt que par d’autres activités, alors qu’il lui reproche de lui avoir « gâché la vie » ? Pourquoi déclare-t-il qu’il n’aime pas la politique mais lui préfère l’administration – qu’il pouvait à loisir exercer dans le cadre de son entreprise et dans celui, élargi, des syndicats professionnels ?
18Ces deux questions n’en font peut-être qu’une : ce n’est pas l’administration en général, mais bien l’administration publique qui intéresse Pinay, celle qui s’adresse aux intérêts généraux, au service public. De ce point de vue, l’existence d’un modèle familial maternel (notabilité de la terre, service « noble » de l’État, légitimité du savoir et de la compétence) a pu jouer [34]. Dès lors, sa participation aux organes patronaux de sa branche professionnelle peut témoigner du même souci de s’intéresser aux questions d’intérêt général, mais sous l’angle de l’administration concrète, comme il le proclame fréquemment.
19Ainsi s’expliquerait non seulement la rapidité avec laquelle il abandonne ses fonctions industrielles, mais encore les contradictions de dates relatives à cet abandon. En effet, le statut actuel ou passé d’industriel représente un élément important du capital politique de Pinay. S’il affirme généralement avoir quitté l’industrie dès 1948, avec son premier poste ministériel [35], il évoque aussi un processus plus progressif de mise à distance. La tannerie exploitée sous forme de société en nom collectif a en effet été transformée en SARL puis en SA. Or, pour ces transformations, outre la date de 1948 implicite ci-dessus, il indique aussi celle de 1929, quand il est devenu maire de Saint-Chamond. De même, si son éloignement opérationnel en 1948 est confirmé par sa notice dans le Who’s Who de 1973-1974, il affirme donner avis et conseils à son beau-frère et à son gendre, ses successeurs [36], et se prévaut évidemment de sa qualité d’industriel, comme en 1952 : « J’ai organisé mon travail comme celui d’un industriel à la tête de la maison France [37]. » Bref, la durée des fonctions industrielles de Pinay semble varier surtout selon l’intérêt qu’il y trouve …
20Ces notations sur la vie et les lieux d’Antoine Pinay témoignent de la difficulté de l’exercice biographique. En effet, il en ressort le portrait d’un patron de province, notable de la Loire, attiré par la politique pour des motifs indissolublement personnels, sociaux et idéologiques. Mais ce cadre biographique, tout en situant le personnage, peut aussi être trompeur, puisque des individus présentant un certain nombre de traits communs peuvent s’éloigner notablement, par leurs convictions politiques ou leur parcours professionnel, de cette moyenne que forme leur milieu. Face à la difficulté de reconstituer, rétrospectivement, sa psychologie et ses motivations, la notion de culture politique peut alors aider à l’exégèse du face-à-face entre le « Pinay historique » et le « Pinay du mythe », puisque c’est bien le mythe, et le mouvement de confiance dont il procède, qui intéresse l’histoire. Et ce mythe prolonge et actualise celui de Raymond Poincaré.
Antoine Pinay et le précédent Poincaré
Le plébiscite silencieux de l’épargne française
21Le graphique présenté ci-dessous, emprunté à Bertrand Blancheton [38], illustre à merveille le phénomène de la confiance : du moment où se profile l’éventualité d’un cabinet Poincaré, les anticipations défavorables des marchés quant à la valeur du franc (estimée ici par rapport à la livre sterling) se renversent, entraînant un redressement spectaculaire de la monnaie.
Cour quotidien de la livre en francs entre juillet el août 1926
Cour quotidien de la livre en francs entre juillet el août 1926
22Ce même phénomène peut être observé pendant la formation du gouvernement Pinay. Ce parallélisme pourrait justifier au moins en partie la filiation évoquée entre Raymond Poincaré et Antoine Pinay. Par leur ressemblance même, ces deux événements sortent de l’explication purement individuelle, reposant sur les seuls ressorts du charisme [39], lequel repose aussi sur la possibilité, voire l’attente, de la croyance en ces qualités parmi ceux qui en subissent la séduction et lui donnent donc réalité. De plus, la notion même de charisme s’applique difficilement à Antoine Pinay dans la mesure où l’individu charismatique s’oppose au personnage populaire, « proche de nous [40] ».
23Si Raymond Poincaré, en 1926, bénéficie de son « passé » de sauveur de la nation, Antoine Pinay ne dispose de rien d’équivalent. Pourtant, l’analyse de la presse et des débats dans les semaines précédentes apporte un premier indice : « on » attend quelque chose, comme en 1926. Ainsi, Louis Terrenoire, l’un des porteparole du général au RPF, dont le monolithisme apparent a été faillé par le vote de la loi Barangé [41], repousse en février 1952 la proposition du cabinet Reynaud en ces termes : « L’Union nationale risque d’être un “poincarisme” sans Poincaré [42]. »
24Face à l’effondrement monétaire [43], clairement perceptible dans le cours de l’or depuis le début de l’année, l’évocation du redressement opéré par Raymond Poincaré est en effet devenue un lieu commun de cette période critique : « Les Français cherchent toujours l’homme providentiel qui va sauver la France en leur épargnant tout effort [44]. » Alphonse Derome [45] et Roger Duchet [46], bien davantage témoins qu’historiens, tracent un parallèle entre Raymond Poincaré et Antoine Pinay et Georgette Elgey rapporte que « Roger Duchet lui [Antoine Pinay] a conseillé d’être Poincaré. Il [Antoine Pinay] approuve [47]. »
25Mais que d’obstacles pour faire de Pinay, surnommé « simplet » par ses opposants et même par ses supposés amis politiques, un nouveau Poincaré ! Pourtant, il y parvient [48]. N’est-ce pas Auriol qui aurait déclaré : « Avec Pinay, j’ai trouvé mon petit Poincaré [49] ! » ? Pour comprendre comment cela a pu se faire sans « charisme », deux pistes sont envisageables : la volonté d’Antoine Pinay lui-même ; le rôle diffus et l’instrumentalisation d’une culture politique, y compris dans ses dimensions économiques, appréhendée dans le cercle des relations politiques et des pratiques parlementaires d’Antoine Pinay.
Antoine Pinay, Poincaré autoproclamé ?
26S’il prend au sérieux la proposition de Roger Duchet, Antoine Pinay doit pour cela se composer un personnage d’autorité. Or l’image qu’en ont transmis les hauts fonctionnaires qui l’ont côtoyé dans ses fonctions gouvernementales précédentes est assez contradictoire : François Bloch Lainé [50] en fait un portrait plutôt condescendant. Louis Franck décrit un « libéral perdu dans notre Babylone dirigiste », un « ingénu » au « regard facilement tendre » [51]. Ses collègues politiques, notamment Edgar Faure, Roger Duchet et Robert Buron décrivent un être à la fois ignorant et inconstant, guidé par une sentimentalité excessive, sans l’étoffe d’un homme d’État [52]. Seul Roger Goetze, alors directeur du Budget, trace un portrait positif du personnage, au moins sur cet aspect : « Je n’ai jamais vu défendre le budget en tant que moyen commun des Français ; chacun pensait à sa clientèle électorale, à son secteur. [ …] Antoine Pinay, lui, m’a paru être le grand honnête homme qui concevait cette chose de l’État [53]. »
27Si cette citation ne permet pas de trancher le débat sur la stature d’homme d’État d’Antoine Pinay, elle confirme avec d’autres indices sa fermeté sur les questions budgétaires [54], qui avait pu le faire remarquer de Vincent Auriol lors des débats sur la SNCF ou la RATP en mars-avril 1951. En fait, le problème est qu’en l’absence d’articles ou de prises de positions nombreuses d’Antoine Pinay sur les questions de l’État et des finances [55], on est un peu réduit aux conjectures, malgré quelques traces anciennes. Ainsi, le 19 mars 1938, Le Mémorial de la Loire écrit : « Antoine Pinay veut aider à sauver le franc » avant d’appeler à voter pour lui [56]. On peut surtout se reporter au discours qu’il a prononcé, en tant que ministre des Travaux publics, au banquet du Syndicat professionnel des entrepreneurs de travaux publics de France en janvier 1952. Lorsqu’il prononce ce discours, il n’est évidemment pas conscient de l’opportunité prochaine que lui offrira Vincent Auriol [57]. Pourtant, un passage évoque clairement le discours d’investiture du 6 mars suivant, au point qu’on peut en dresser le tableau comparatif suivant : [58] [59]
28Cette proximité frappante des thèmes et de l’argumentation pourrait évidemment s’inscrire dans une stratégie politique, consistant à endosser le costume d’un « nouveau Poincaré » pour accéder au pouvoir. Mais à un moment où les chances de Pinay d’être pressenti et investi sont impossibles à anticiper, cette interprétation stratégique pèche, selon nous, par machiavélisme. Il semble plus réaliste et plus raisonnable d’envisager que, dans ce contexte et à ce moment, le professionnel de la politique qu’est Antoine Pinay sait souligner les traits de sa culture politique les mieux à même d’améliorer son image et sa perception, donc ses chances de se maintenir au pouvoir et même de se rapprocher de son sommet.
Antoine Pinay, une culture politique « poincariste » ?
Un parlementaire et un ministre discret
29On a rappelé plus haut combien la discrétion d’Antoine Pinay, le fait qu’il serait piètre orateur, fait partie de son mythe, tant du point de vue de ses laudateurs que de ses critiques. Roger Duchet, tout à son entreprise de démolition, décrit les efforts considérables mais vains de ses collaborateurs pour faire d’Antoine Pinay un orateur [60]. Cette faiblesse expliquerait la rareté de ses interventions en séance publique au Parlement, comme député ou comme ministre : dans ce dernier cas, elles sont brèves et techniques, en réponse aux questions des députés [61]. Mais il s’exprime mieux dans des petits cénacles : siégeant à la commission des Finances, il s’y fait remarquer d’Edgar Faure, Maurice Petsche ou René Pleven [62]. Ministre pratiquement sans interruption à partir 1948, c’est donc devant cette Commission qu’il se livre au jeu des questions et des réponses face à des hommes politiques de premier plan, en particulier Pierre Mendès France, qui en est, en 1952, le leader incontestable.
Le débat en commission ou la « stratégie Poincaré »
30La chute du Cartel des gauches, en avril 1925, s’était jouée sur des mesures de rétablissement financier prévoyant notamment l’imposition du capital. Débutait alors une descente accélérée du franc, accentuée par le scandale des faux bilans de la Banque de France, à laquelle seule l’arrivée de Poincaré mettrait fin. En formant son gouvernement, Poincaré bénéficiait donc de longs mois d’espoirs frustrés, d’un franc manifestement sous-évalué, mais aussi de l’abandon définitif d’un certain nombre de projets fiscaux agités comme des épouvantails devant les épargnants [63].
31En 1952, un tel épouvantail existe : c’est l’impôt de 10 % sur les livrets de caisse d’épargne [64]. La perspective d’un tel impôt, même faussée par des interprétations hâtives [65], est deux fois nuisible : elle entraîne une diminution des ressources collectées par les caisses d’épargne, qui font partie des moyens de trésorerie du Trésor public, en partie traduits dans les situations hebdomadaires publiées par la Banque de France ; elle aggrave la méfiance des épargnants envers les placements d’État.
32En ce mois de février 1952, Antoine Pinay n’est pas le seul à proposer de s’adresser à l’épargne plutôt qu’à la planche à billets. À l’occasion d’un débat sur le commerce et l’importation de l’or en France, Guy Jarrosson, membre de la Commission des affaires économiques, expose sa pensée :
« Le commissaire est persuadé que la thésaurisation de l’or ne se terminera que lorsque le public reprendra confiance dans le franc. Pour ce faire, il conviendrait selon lui de lancer un emprunt présentant les mêmes garanties que l’or ce qui provoquerait un effondrement des cours de ce métal et un assainissement de la situation monétaire [66]. »
34Les trois questions de l’épargne, de l’or et de l’inflation sont donc nouées, dès ce moment-là, parmi les parlementaires qui sont particulièrement au fait de l’actualité économique et financière.
35Ces éléments définissent donc un contexte qui peut rappeler la situation de faillite du franc en 1926. C’est exactement ce que signifie l’un des membres de la Commission des finances, Guy Petit, dans un dialogue avec Edgar Faure le 25 février 1952, donc à la veille de sa chute :
« Enfin, dernière question, il ne faut évidemment pas invoquer trop souvent les morts, mais enfin, il y a peut-être des facteurs psychologiques qui pourraient jouer dans les circonstances actuelles. M. Poincaré hélas n’est plus. On écrit couramment dans les journaux que si M. Poincaré existait, il serait absolument impuissant à redresser la situation. Je n’en suis pas aussi assuré. M. Poincaré était un homme ; c’était aussi une politique. M. Faure : “Il a fait plus d’impôts que je n’en propose.”
M. Guy Petit : “Proportionnellement, il a fait beaucoup moins d’impôts. Sa politique était une politique d’union pour sauver la monnaie. Cette politique ne peut-elle être envisagée actuellement, et ne donnerait-elle pas de bien meilleurs résultats que tous les moyens techniques qui sont proposés par le Gouvernement [67] ? »
37Enfin, comme en juillet 1926, une atmosphère de panique financière est sensible, dont la Commission des Finances se fait l’écho, puisque le vendredi précédent (22 février), des mouvements spéculatifs sur l’or ont manifesté la méfiance envers le franc [68].
38Aussi, lorsqu’à partir du 13 mars 1952, la Commission des finances de l’Assemblée nationale, sous la présidence de Paul Reynaud, reçoit Antoine Pinay, les cadres d’interprétation de sa politique par les parlementaires sont-ils déjà en place.
39La séance clé est celle du 26 mars : Antoine Pinay, accompagné de Jean Moreau, secrétaire d’État au budget, y présente la nouvelle mouture du budget pour l’exercice 1952, incluant les mesures d’économie et le projet d’emprunt, dont les caractéristiques ne sont pas encore précisées [69]. Le dernier commissaire à intervenir est Pierre Mendès France, qui critique les moyens proposés par Antoine Pinay pour faire face aux dépenses de l’État. Il rappelle d’abord que les pays étrangers n’ont pas recours à l’emprunt pour ce type de dépenses, et il poursuit :
« Ces pays savent que le financement ou le soidisant financement par emprunt n’est rien d’autre que de l’inflation. Nous en avons eu un témoignage il n’y a pas tellement longtemps, en 1926, au lendemain de la Première Guerre mondiale, alors que la France se trouvait en présence de problèmes assez semblables à ceux d’aujourd’hui, encore que d’une ampleur moindre [70]. »
41On peut imaginer trois motifs principaux à l’évocation de Pierre Mendès France : le parallélisme des situations ; le souci d’éviter qu’Antoine Pinay ne s’autorise de ce glorieux précédent ; la critique de la captation, à ses yeux imméritée, de l’héritage Poincaré. Aussi poursuit-il en précisant le sens de la politique suivie en 1926 :
« Et c’est bien ce qu’a fait M. Poincaré, puisque si M. Poincaré a émis des emprunts considérables, il les a affectés à l’assainissement de la monnaie et à la diminution du plafond des avances de la Banque de France au Trésor. Lorsqu’il avait besoin d’équilibrer son budget, M. Poincaré n’y affectait jamais des ressources d’emprunt, il y affectait des augmentations d’impôt ; il y affectait des économies, mais jamais des ressources d’emprunt [71]. »
43Cela lui permet de conclure qu’« il n’est pas possible de repousser toute fiscalité », au contraire de ce que propose Pinay.
44La réponse de Pinay, puis le débat assez vif qui s’instaure entre les deux hommes, apportent deux indications. En premier lieu, Antoine Pinay, supposé falot et piètre économiste, ne se laisse pas démonter, essayant de reprendre à son compte les arguments de Pierre Mendès France [72], afin de capter son aura et peut-être aussi l’énervement de ses collègues devant de longs développement brillants mais jugés trop théoriques. En second lieu, il répond sur le fond (nous ne jugerons pas ici de la validité de ses arguments), démontrant la solidité de son équipe et sa capacité à maîtriser la rhétorique au sein d’une petite assemblée. Ici encore, on est très loin des portraits plus ou moins condescendants du personnage, même si sa manière de répondre est plus madrée que convaincante.
45Surtout, il continue d’ancrer largement ses références dans l’avant-guerre. Ainsi, pour justifier l’indexation de l’emprunt, il évoque la spoliation provoquée par l’affaiblissement du franc depuis 1939 [73]. Enfin, il martèle deux aspects liés de son action : l’effet psychologique et le refus de dévaluer, qui ne vont pas l’un sans l’autre. Ce sont en effet les deux faces de la confiance. La démarche beaucoup plus rationnelle de Pierre Mendès France n’y faisait pas allusion : pas une seule fois il n’emploie le mot de confiance.
46Cette capacité d’Antoine Pinay à profiter du contexte, à s’y appuyer, apparaît de nouveau lors du débat sur l’emprunt, le 20 mai. Pierre Mendès France critique l’exonération fiscale dont bénéficie l’emprunt, et rappelle : « En 1925, des inconvénients de cette nature furent gravement ressentis [74] », replaçant toujours l’interprétation des propositions Pinay dans ce cadre « poincariste ». Même Paul Reynaud qui, d’après Jacques Duclos, était auparavant hostile à la formule d’un emprunt indexé sur l’or, y donne son acquiescement devant la nécessité de lever deux cents milliards de francs d’argent frais [75].
47Antoine Pinay sort donc globalement conforté de ses interventions à la Commission des Finances, notamment parce qu’il a su inscrire son action dans le cadre de référence de ses collègues parlementaires, bénéficiant des repères en même temps que des espérances du précédent Poincaré. Désamorçant les critiques de Pierre Mendès France, il peut même s’appuyer sur l’expérience de 1926 lors de son discours devant l’Assemblée nationale, le 4 avril 1952 [76]. Non content de se situer dans la filiation de Raymond Poincaré, Antoine Pinay a su utiliser les critiques de Pierre Mendès France pour passer de la parole en comité, qu’il maîtrise, au discours en Assemblée, où il est a priori moins habile.
Une explication « libérale » du silence de Pinay
48Il n’en reste pas moins que l’image d’un Pinay modeste, discret, silencieux, demeure problématique. En effet, l’explication par son tropisme pour les petits cénacles n’emporte pas entièrement l’adhésion. D’abord, parce que bien parler est rarement un obstacle à la popularité … ; ensuite, car cette popularité de Pinay s’est d’abord matérialisée autour de ses mots radiodiffusés, à une époque où la télévision ne joue qu’un rôle marginal ; enfin parce que, on l’a vu, son habileté en la matière est peut-être sous-évaluée.
49Or, c’est moins la capacité à s’exprimer que celle à discourir en majesté qui ferait défaut à Antoine Pinay [77]. Cette capacité rhétorique, celle du tribun ou de l’intellectuel, s’oppose absolument à l’image qu’Antoine Pinay projette de lui-même. Industriel de province, sans diplôme, il dit se méfier également des séductions intellectuelles et des emportements de la foule. La parole d’Antoine Pinay est donc à l’image de son positionnement politique : modérée, dans tous les sens du terme.
50Il peut ainsi concilier l’image d’un homme fuyant la publicité, tout en étant l’un des premiers hommes d’État républicain à s’adresser systématiquement à l’opinion publique. La veille de son investiture, le 5 mars, il informe les Français par la radio « qu’il était nécessaire de constituer un ministère de Défense du franc », exigeant « la trêve politique pour la défense de la monnaie » [78]. Ensuite, il intervient à la radio tous les quinze jours. Son équipe lance également les émissions radiophoniques « DDF », « Défense du franc », quotidiennes.
51Dès lors il faut s’interroger : pourquoi Pinay s’adresse-t-il à l’opinion pardessus la tête des parlementaires [79], au risque d’être qualifié d’« antiparlementaire [80] » ? L’attachement au parlementarisme est en effet un des traits classiques du libéralisme. Mais ce trait est à nuancer :
« Ni le monarque, ni le chef de l’État, ni le Parlement ne doivent régner seul. À la différence de la culture républicaine qui affirmait sa préférence pour le régime d’assemblée unique, le modèle de référence des libéraux n’a jamais été fixé [81]. »
53Opposant aux institutions de la Quatrième République et au monocamérisme de fait qu’elle a pu signifier, attaché à la conception libérale du parlementaire, mandataire de la nation et non député de ses mandants ou de leur substitut, le parti politique, Antoine Pinay pouvait bien passer dans ce contexte pour « antiparlementaire ». Cette interprétation a pu être renforcée à partir du moment où, s’adressant directement à l’opinion, comme plus tard Pierre Mendès France, il a paru un précurseur de la Cinquième République, laquelle s’est identifiée par sa rupture avec le parlementarisme [82]. Mais cette démarche vise moins à court-circuiter le Parlement que les partis politiques qui le dominent, puisqu’il affirme détester la politique.
54En décortiquant le Pinay historique, nous avons essayé de mieux comprendre le Pinay du mythe, parce que le mythe dépasse largement la personne, et qu’il se propose comme un problème historique, là où la personne demeure entourée d’opacité. Problème historique, le mythe est aussi l’une des formes, l’une des composantes, d’une culture politique : il s’offre à l’étude des sentiments collectifs et des structures ; il peut être l’objet de calculs et résulter de dynamiques repérables dans le temps. En nous mettant sur la trace de ces phénomènes, la notion de culture politique nous permet de les comprendre et de les situer, sans en oublier la dimension contingente ou périssable : le mythe Pinay est un faux mythe, en ce sens qu’il ne résistera pas à la mort de son objet, au contraire de ces demi-dieux grecs, dont la mort seule assurait la divinité.
55Héritier de Raymond Poincaré parce qu’il a eu l’habileté d’en actualiser le mythe en participant de la même culture politique, du même imaginaire et des mêmes références, Antoine Pinay a su se taire assez pour ne pas le galvauder et parler pourtant pour conquérir l’opinion. Cette approche par la culture, entendue au sens des attitudes et des mentalités plus que des savoirs, nous a permis, nous l’espérons, de mieux approcher la naissance de la confiance et sa transsubstantiation en mythe, selon un processus largement circulaire : le mythe incite à la confiance, la confiance institue le mythe.
56On voit là tout l’intérêt de cette notion de culture politique en histoire, qui autorise le stratège, c’est-à-dire l’homme ou la femme politique, à manipuler la culture dont il s’estime l’un des représentants de manière à éviter son obsolescence. C’est là, du point de vue individuel autant que du point de vue collectif, l’un des facteurs d’évolution des cultures politiques. Ces mythes, enfin, parce qu’ils croisent des traits passablement contradictoires, concilient l’apparence globalement cohérente d’une culture politique, surtout pour les contemporains, et le jeu indispensable aux évolutions. Une culture politique ne forme donc pas un ensemble logique, mais apparaît comme « la traduction dans l’organisation politique d’une vision globale du monde et de la société [83] », selon une cohérence faible [84]. Tout en enserrant l’individu dans un cadre de références, de croyances, voire de réflexes, la culture politique offre une palette étendue de choix, elle forme comme une ressource dans l’épreuve de la confrontation au réel et à la durée, ce qui implique que l’individu peut être un acteur de sa propre « acculturation politique [85] ». Cette caractéristique nous semble essentielle pour comprendre à la fois la capacité d’adaptation et d’évolution des cultures politiques et, en même temps, le fait que cette adaptation et cette évolution sont aussi le fait d’individus, assez habiles pour utiliser leur culture politique et celle qu’ils partagent avec leurs pairs comme leurs concitoyens.
57Par un entre-deux permanent, Antoine Pinay répond admirablement à cette instrumentalisation de la culture politique, ne serait-ce que par la connexion qu’il établit entre ses dimensions politique et économique. À la fois contempteur des technocrates et garant des hiérarchies traditionnelles ; entrepreneur et créateur d’une nouvelle « rente [86] » ; inquiet du poids de la fiscalité mais chef éventuellement dirigiste de l’État ; réglementant les ententes économiques mais négociant les baisses de prix avec les syndicats professionnels ; silencieux à l’Assemblée et prolixe à la radio, Antoine Pinay cultive les contradictions du libéralisme à la française, « oscillant entre le libéralisme et le dirigisme [87] ».
58C’est donc cet arrière-plan libéral au sens culturel plutôt que partisan, bien davantage que la personnalité ou les qualités propres d’Antoine Pinay, même si elles en furent une condition nécessaire, qui permit de forger le mythe et donna sa valeur politique au « silence » de Pinay, de sorte que « la photographie d’une poignée de main avec M. Pinay vaut … de l’or [88] ».
Mots-clés éditeurs : confiance, culture politique, Quatrième République, politique monétaire, France
Date de mise en ligne : 24/10/2010.
https://doi.org/10.3917/ving.108.0127Notes
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[1]
Pour réaliser cette recherche, nous avons bénéficié de l’accès au fonds documentaire constitué par Dominique Jacomet, aujourd’hui directeur général de l’Institut français de la mode, comprenant notamment les interviews inédites qu’il a réalisées auprès d’Antoine Pinay et de ses principaux collaborateurs ou collègues ; qu’il soit ici très vivement remercié de m’avoir permis d’utiliser ce fonds privé (noté ADJ).
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[2]
Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Seuil, 1986, 1997, p. 63-70.
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[3]
Ibid., p. 83.
-
[4]
Sur les limites du « miracle Poincaré » de 1926-1927, c’est-à-dire le rétablissement soudain du franc face à la livre, la reprise économique et le rapatriement des capitaux, voir Joseph Soavi, « La crise de stabilisation de 1927-1928 en France », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 77, janvier-mars 2003, p. 85-93 ; et surtout Kenneth Mouré, Managing the Franc Poincaré, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; trad. fr., id., La Politique du franc Poincaré : perception de l’économie et contraintes politiques dans la stratégie monétaires de la France, 1926-1936, préf. de Jean-Charles Asselain, trad. de l’angl. par Jean-Marc Mendel, Paris, Albin Michel, « Histoire de la mission historique de la Banque de France », 1998, en particulier le premier chapitre « Le miracle Poincaré », p. 33 sqq.
-
[5]
René Girault, « Les relations économiques avec l’extérieur (1945-1975) », in Fernand Braudel et Ernest Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, t. IV, vol. 3 : 1950-1980, Paris, PUF, 1982, 1993, p. 1398.
-
[6]
Sylvie Guillaume, Antoine Pinay ou la confiance en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1984 ; à compléter par sa thèse, « Antoine Pinay, un destin national », thèse pour le doctorat d’État, sous la direction de Georges Dupeux, Université Bordeaux-III, 1981, 3 vol.
-
[7]
Selon le mot fameux d’Édouard Herriot que Pierre-Olivier Lapie rapporte ainsi : « Bonne gueule d’électeur, en somme. » (Pierre-Olivier Lapie, De Léon Blum à de Gaulle : le caractère et le pouvoir, Paris, Fayard, 1971, p. 429)
-
[8]
Hubert Bonin, Histoire économique de la IVe République, Paris, Economica, 1987, p. 206 ; François Caron et Jean Bouvier, Histoire économique et sociale de la France, t. IV, vol. 3 : Années 1950-1980, Paris, PUF, 1982, 1993, p. 1109 ; André de Lattre, Histoire de la politique économique française de 1945 à 1977 : cours de l’Institut d’études politiques de Paris, 1978-1979, Paris, Les cours de droit, 1978, section II ; Paul Delouvrier et Roger Nathan, Politique économique de la France, Paris, Les cours de droit, 1956, p. 123-127.
-
[9]
Raoul Girardet, op. cit., p. 63 sq.
-
[10]
Françoise Giroud, Le Tout-Paris, Paris, Gallimard, 1953, Bruxelles, Éd. C.M.4, 1956, portrait d’Antoine Pinay, p. 240-246, paru le 21 mars 1952.
-
[11]
Les discours d’Antoine Pinay sont d’ailleurs qualifiés de « discours-actes » par Henri Yrissou, qui les rédigeait avec Raymond Arasse. (ADJ, Henri Yrissou, discours prononcé pour le 90e anniversaire d’Antoine Pinay, document dactylographié, p. 4)
-
[12]
Françoise Giroud, op. cit., p. 241.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
Antoine Pinay et Antoine Veil, Un Français comme les autres : entretiens avec Antoine Veil, Paris, Belfond, 1984. L’auteur de l’ouvrage est abusivement présenté comme étant Antoine Pinay.
-
[15]
D’après Édouard Herriot, selon Pierre-Olivier Lapie, op. cit., p. 429.
-
[16]
Serge Berstein, « Introduction : nature et fonction des cultures politiques », in Serge Berstein (dir.), Les Cultures politiques en France, Paris, Seuil, 1999, p. 9.
-
[17]
Ibid., p. 14.
-
[18]
Propos rapporté par Jean-Antoine Giansily, Pinay l’indépendant, Paris, Denoël, 1995, p. 24.
-
[19]
Antoine Pinay commence sa carrière d’industriel vers 1917 et « entre » en politique en 1928 ; il quitte définitivement le monde de l’entreprise en 1948, après trente et un ans de service ; il prend sa retraite politique en 1979, après cinquante et un ans de mandats divers, pratiquement sans interruptions.
-
[20]
Jean-Antoine Giansily, op. cit., p. 41 ; Christiane Rimbaud, Pinay, Paris, Perrin, 1990, p. 33.
-
[21]
Christiane Rimbaud, op. cit., p. 33.
-
[22]
Sylvie Guillaume, op. cit., p. 4-44.
-
[23]
André Ballet, synthèse des débats d’investiture d’Antoine Pinay le 6 mars 1952, Le Monde, 8 mars 1952. Marius Patinaud est député PCF de la Loire, donc concurrent direct de Pinay.
-
[24]
Antoine Pinay fut titulaire de nombreuses décorations militaires et civiles, mais refusa la Légion d’honneur jusqu’en 1986, peut-être à l’image de Scheurer-Kestner, « pour rester dans la tradition républicaine ». (Jérôme Grévy, La République des opportunistes, 1870-1885, Paris, Perrin, 1998, p. 120-121)
-
[25]
Sur l’évolution de l’industrie du cuir pendant l’entre-deux-guerres : Michel Usquin, Les Industries du cuir et la crise, Paris, Librairie technique et économique, 1937 ; Patrice Baubeau, « Les transformations des circuits de financement des PME ou le contre-effet de la pression », in Jean Garrigues (dir.), Les Groupes de pression dans la vie politique contemporaine en France et aux États-Unis de 1820 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 127-141 ; Florent Le Bot, La Fabrique réactionnaire : antisémitisme, spoliations et corporatisme dans le cuir (1930-1950), Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
-
[26]
Voir les interviews de Henri Guignard et Antoine Pinay : ADJ et Bilans hebdomadaires, politiques économiques et sociaux, 454, 10 février 1955, pages G1 et G2 ; Georgette Elgey, Histoire de la IVe République. Deuxième partie : La République des contradictions, 1951-1954, Paris, Fayard, 1968, 1993, p. 61.
-
[27]
ADJ, entretiens avec Antoine Pinay.
-
[28]
Alphonse Derome, La Dernière Carte : qui est Pinay ? quelles sont ses chances ?, Paris, Éd. Médicis, 1952, p. 35. C’est l’un des ouvrages hagiographiques qui paraissent en 1952-1953 autour de « l’expérience Pinay ». On ne sait rien de l’auteur qui se présente comme le patron d’une PME industrielle déçu par la politique.
-
[29]
Antoine Pinay a été délégué puis président du syndicat régional des cuirs et peaux dès avant la Deuxième Guerre mondiale. Il a aussi été président de la délégation régionale du Comité d’organisation du cuir pendant l’Occupation (voir Monique Luirard, La Région stéphanoise dans la guerre et dans la paix (1936-1951), s.l. [Saint-Étienne], sans éditeur, s.d. [1980], p. 316). Après-guerre il devient vice-président de la Fédération nationale des cuirs et peaux.
-
[30]
« Le personnel du bureau était des amis. » (ADJ, entretiens avec Antoine Pinay)
-
[31]
Ibid.
-
[32]
Sylvie Guillaume, op. cit., p. 6, n. 2.
-
[33]
Ibid., p. 6.
-
[34]
Ibid., p. 4.
-
[35]
Deux exemples : « En 1948, j’ai quitté l’entreprise. » ; « Je m’en suis occupé jusqu’en 1948. À partir de 48, on a nommé un autre président. C’est devenu une société anonyme, je ne suis même pas resté administrateur. » (ADJ, entretiens avec Antoine Pinay)
-
[36]
Ibid.
-
[37]
Interview par Merry Bromberger, citée dans Pierre Drouin, Qu’est-ce qui fait courir la France ?, Paris, Plon, 1979, p. 56.
-
[38]
Bertrand Blancheton, Le Pape et l’Empereur : la Banque de France, la direction du Trésor et la politique monétaire de la France (1914-1928), Paris, Albin Michel, 2001, graphique 6-1, p. 386.
-
[39]
Ian Kershaw montre, dans le cas de Hitler, comment le charisme ne peut être déduit du personnage qui en est supposé porteur : « Autrement dit, son pouvoir était “charismatique”, non pas institutionnel. Il dépendait de l’empressement des autres à lui prêter des qualités “héroïques”. Et ils les perçurent, peut-être avant même qu’il n’y crût lui-même. » (Ian Kershaw, Hitler, vol. 1 : Hubris, New York, W. W. Norton, 1998 ; trad. fr., id., Hitler, vol. 1 : Hubris, trad. de l’angl. par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Flammarion, 1999, p. 30.
-
[40]
Raymond Boudon et François Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982, 1994, p. 78.
-
[41]
La loi Barangé, votée le 21 septembre 1951, étend l’aide scolaire publique (loi Marie) aux établissements primaires privés et son vote déchire la troisième force, mais aussi la cohérence du groupe gaulliste.
-
[42]
Dans Pierre Limagne, Éphémère IVe République, Paris, France-Empire, 1977, p. 190.
-
[43]
On a choisi ici de ne pas traiter en tant que tel de cet effondrement monétaire, qui suppose des développements conséquents, mais uniquement du levier politique qu’il a représenté. En particulier, le rôle de Wilfrid Baumgartner, alors gouverneur de la Banque de France, a souvent été mis en avant dans la chute d’Edgar Faure, et parfois dans l’arrivée d’Antoine Pinay à la présidence du Conseil et le soutien à la politique monétaire et financière adoptée. Voir notamment Gilles Richard, « Le Centre national des indépendants et paysans de 1948 à 1962 ou l’échec de l’union des droites françaises dans le parti des modérés », thèse de l’Institut d’études politiques de Paris, 1998, vol. 1, p. 187-188 ; et surtout Olivier Feiertag, Wilfrid Baumgarntner, un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978), Paris, CHEFF, 2006, p. 399-414.
-
[44]
Georgette Elgey, op. cit., p. 43 et 57 : « Dans les périodes de crise, les Français aiment à trouver un chef qui leur rend confiance dans les vérités simples, qui les entretient dans l’illusion de la stabilité : Adolphe Thiers, Raymond Poincaré, Gaston Doumergue, Philippe Pétain … Antoine Pinay s’inscrit dans cette lignée. »
-
[45]
Alphonse Derome, op. cit., p. 109 : « Les Français souhaitaient un nouveau ministère Poincaré. »
-
[46]
Roger Duchet, La République épinglée, Paris, Alain Moreau, 1975, p. 38 : « Et beaucoup ne reconnaissaient pas dans la rue ce “nouveau Poincaré”. »
-
[47]
Georgette Elgey, op. cit., p. 56.
-
[48]
« Pinay, renouvelant Poincaré, fait figure de sauveur. » (René Sédillot, Histoire du franc, Paris, Sirey, 1979, p. 214)
-
[49]
Georgette Elgey, op. cit., p. 72.
-
[50]
François Bloch Lainé, Profession fonctionnaire, Paris, 1976, p. 20 sq.
-
[51]
Louis Franck, 697 Ministres : souvenirs d’un directeur général des prix, 1947-1962, Paris, CHEFF, 1990, p. 72, 67 et 74. Mais il témoigne de son attachement pour l’homme (p. 70). En tant que directeur des prix au ministère de l’Économie et des Finances, Louis Franck a vécu de près les contradictions des politiques budgétaire et monétaire pendant toute la période de l’après-guerre.
-
[52]
Georgette Elgey, op. cit., notamment p. 39.
-
[53]
Entretien de Sylvie Guillaume avec Roger Goetze (ex-directeur du Budget), le 22 janvier 1979, Sylvie Guillaume. Antoine Pinay, un destin national, op. cit., p. 115.
-
[54]
Ibid., p. 115-116 ; Georgette Elgey, op. cit., p. 52, avec le témoignage d’Étienne Hirsch.
-
[55]
Il n’y a aucun article d’Antoine Pinay dans France indépendante de 1950 à 1952 et son nom y est rarement cité. (Sylvie Guillaume, op. cit., p. 113)
-
[56]
Ibid., p. 41.
-
[57]
Mais il ne faut pas tomber dans le piège de l’homme neuf : voir Gilles Richard, op. cit., p. 187-190.
-
[58]
Sylvie Guillaume, op. cit., t. II, vol. 3, p. 19.
-
[59]
ADJ, discours dactylographié d’Antoine Pinay devant l’Assemblée nationale, le 6 mars 1952, dix-huit feuillets.
-
[60]
Roger Duchet, op. cit., p. 39.
-
[61]
Sylvie Guillaume, op. cit., p. 113 et 83. Elle ne retient qu’une « intervention notable » dans les Débats parlementaires, le 30 mai 1947, sur un sujet de technique financière.
-
[62]
Entretien de Sylvie Guillaume avec René Pleven, le 19 juin 1979. (Ibid., p. 84)
-
[63]
Bertrand Blancheton, op. cit., p. 249-250.
-
[64]
Archives de la Commission des finances de l’Assemblée nationale (noté ACFAN), procès verbaux des séances, 25 février 1952, p. 26.
-
[65]
ACFAN, procès verbaux des séances, 25 février 1952, p. 41. Pierre Courant donne le détail de la mesure et rappelle son abandon.
-
[66]
Archives de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, procès verbaux des séances, séance du 13 février 1952, p. 6.
-
[67]
ACFAN, procès verbaux des séances, 25 février 1952, p. 28-29. Un peu plus loin, Edgar Faure revient sur le précédent Poincaré pour le repousser, en rappelant « que proportionnellement M. Poincaré a fait voter plus d’impôts que je n’en propose » (p. 38).
-
[68]
ACFAN, procès verbaux des séances, 25 février 1952, p. 25-26 ; Commission des finances, Communiqué de presse n° 101, p. 2.
-
[69]
ACFAN, procès verbaux des séances, 25 février 1952, 26 mars 1952. Par le volume, il s’agit de la principale audition de l’année de la Commission des finances.
-
[70]
ACFAN, procès verbaux des séances, 26 mars 1952, p. 76.
-
[71]
Ibid.
-
[72]
Selon Antoine Pinay : « Il [Mendès France] a raison. La politique d’emprunt est une politique inflationniste si on fait des emprunts pour l’équilibre budgétaire. » (Ibid., p. 83)
-
[73]
Ibid., p. 91.
-
[74]
ACFAN, procès verbaux des séances, 20 mai 1952, p. 5.
-
[75]
Ibid., p. 6-7.
-
[76]
Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Assemblée nationale, 4 avril 1952, p. 1927, cité dans Sylvie Guillaume, op. cit., p. 287.
-
[77]
Louis Franck témoigne : « Pour ce qui est de discourir et aussi d’écouter, il n’avait pas son pareil. » (Ibid., p. 68)
-
[78]
Le Monde, 5 mars 1952.
-
[79]
La Commission des finances le lui reproche, par la voix de Charles Barangé : « La deuxième observation générale, je la prends dans une allocution que vous avez prononcée hier soir à la radio, dont vous aviez d’ailleurs le choix très libre de la faire suivre ou précéder les travaux de la Commission des finances et de l’Assemblée [ …]. » (ACFAN, procès verbaux des séances, 26 mars 1952, p. 21) En revanche, Jean-André Faucher s’en félicite, dans L’Agonie d’un régime (1952-1958), Paris, Éd. Atlantic, 1959, le 4 septembre 1952, p. 9, et le 18 novembre 1952, p. 23.
-
[80]
Jacques Fauvet écrit en février 1953 : « C’est donc plus le style [de Pinay] que le fond qui a pu être mis en cause, le style plus dédaigneux à l’endroit du Parlement, plus discret à l’égard de la Résistance. Mais ce mélange d’antiparlementarisme, de paternalisme et de pétainisme était plus sous-jacent qu’apparent. » (Jacques Fauvet, op. cit., p. 114)
-
[81]
Nicolas Roussellier, « La culture politique libérale », in Serge Berstein (dir.), op. cit., p. 75.
-
[82]
Sur cette question, voir Georgette Elgey, op. cit., p. 70 et 98.
-
[83]
Serge Berstein, « Introduction … », op. cit., p. 15.
-
[84]
« Une culture politique n’est d’ailleurs pas faite pour être philosophiquement cohérente. » (Nicolas Roussellier, « La culture politique libérale », in Serge Berstein (dir.), op. cit., p. 69-112, p. 73)
-
[85]
Raymond Boudon et François Bourricaud, op. cit., p. 145.
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[86]
La rente Pinay, ainsi appelée en référence à la Belle Époque, car elle vaut de l’or …
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[87]
D’après André Diethelm, au nom du RPF divisé par la candidature d’Antoine Pinay, le 6 mars 1952. (Le Monde, 8 mars 1952)
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[88]
Pierre Drouin, op. cit., p. 62.