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Article de revue

Une théorie de la civilisation face à « l'effondrement de la civilisation »

Pages 54 à 70

Notes

  • [1]
    Norbert Elias, Studien über die Deutschen : Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989. Je citerai par la suite la traduction anglaise d’Eric Dunning et Stephen Mennell : Norbert Elias, The Germans : Power Struggles and the Development of Habitus in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Cambridge, Polity Press, 1996. Sur ce sujet, voir aussi Françoise Lartillot (dir.), Norbert Elias : Étude sur les Allemands. Lecture d’une œuvre, Paris, L’Harmattan, 2009.
  • [2]
    Theodor W. Adorno, « Critique de la culture et société » [1949], Prismen, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1955 ; trad. fr., id., Prismes : critique de la culture et société, trad. de l’all. par Geneviève et Rainer Rochlitz, Paris, Payot, 1986, p. 23.
  • [3]
    Dominique Colas, Sociologie politique, Paris, PUF, 2002, p. xvi-xvii.
  • [4]
    Theodor W. Adorno, op. cit.
  • [5]
    Jürgen Habermas, « Conscience historique et identité posttraditionnelle », Kleine politische Schriften, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1981 ; trad. fr., id., Écrits politiques : culture, droit, histoire, trad. de l’all. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Cerf, 1990, p. 297.
  • [6]
    Publié pour la première fois à Bâle en 1939, Über den Prozess der Zivilisation est réédité aux Éditions Suhrkamp en 1969 (Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939). Le livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975).
  • [7]
    Roger Chartier, « Appréhender la barbarie allemande », Le Monde, 19 juin 1998.
  • [8]
    C’est le titre du quatrième essai : Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 299-402.
  • [9]
    Roger Chartier, op. cit. En réalité, c’est chez les disciples d’Elias qu’on retrouve le plus souvent l’expression de processus de décivilisation. Voir Eric Dunning et Stephen Mennell, « Elias on Germany, Nazism and the Holocaust : On the Balance between “Civilising” and “De-civilising” Trends in the Social Development of the Western Europe », British Journal of Sociology, 49 (3), 1998, p. 339-357 ; Stephen Mennell, Norbert Elias : An Introduction, Dublin, University College Dublin Press, 1998, p. 227-250 ; id., « L’envers de la médaille : les processus de décivilisation », in Alain Garrigou et Bernard Lacroix (dir.), Norbert Elias : la politique et l’histoire, Paris, La Découverte, « L’armillaire », 1997, p. 213-236 ; id., « L’étude comparative des processus de civilisation et de décivilisation », in Yves Bonny, Jean-Manuel De Queiroz et Erik Neveu (dir.), Norbert Elias et la théorie de la civilisation : lectures et critiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 27-36.
  • [10]
    Voir notamment Jeffrey Herf, « The Uncivilizing Process », The New Republic, avril 1997, p. 39-41, cité dans Olivier Rémaud, « Norbert Elias et l’effondrement de la civilisation : les Studien über die Deutschen », document de travail n° 8, Centre Marc-Bloch, Berlin, septembre 2002, p. 4.
  • [11]
    Voir à ce sujet la lumineuse synthèse d’Ian Kershaw, The Nazi Dictatorship : Problems and Perspectives of Interpretation, Londres, Edward Arnold, 1985 ; trad. fr., id., Qu’est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d’interprétation, trad. de l’angl. par Jacqueline Carnaud, Paris, Gallimard, 1992.
  • [12]
    Pierre Ayçoberry, La Société allemande sous le IIIe Reich, 1933-1945, Paris, Seuil, 1998, p. 14.
  • [13]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 304.
  • [14]
    Sur la question, je renvoie au débat qui oppose Martin Broszat et Saul Friedländer à propos des rapports entre histoire et mémoire : « De l’historisation du national-socialisme : échange de lettres », Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, 24, avril-septembre 1990, p. 43-90. Pour Broszat, s’il est légitime que les victimes reconstruisent l’histoire « à reculons » à partir d’Auschwitz, les historiens doivent refuser ce genre de téléologie et traiter cet aspect comme un autre, suivant les mêmes critères scientifiques. Friedländer, inquiet de voir l’histoire sociale ou « par en bas » laisser dans l’ombre l’essentiel (la violence et le crime), réaffirme quant à lui les exigences de l’éthique et le primat de la dimension morale.
  • [15]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 303.
  • [16]
    Voir aussi les « Notes biographiques », dans Norbert Elias, entretiens avec Arend-Jan Heerma van Vors et Abram von Stolk, Norbert Elias par lui-même, trad. de l’all. par Jean-Claude Capèle, Paris, Fayard, 1991, p. 150-160 (« Notes sur les juifs en tant que participant à une relation établis-marginaux »).
  • [17]
    Daniel J. Goldhagen, Hitler’s Willing Executioners : Ordinary Germans and the Holocaust, New York, Knopf, 1996 ; trad. fr., id., Les Bourreaux volontaires de Hitler : les Allemands ordinaires et l’Holocauste, trad. de l’angl. par Pierre Martin, Paris, Seuil, 1997, p. 15-19.
  • [18]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 317.
  • [19]
    Ibid., p. 304.
  • [20]
    Ibid., p. 299-402.
  • [21]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence : On the State Monopoly of Physical Violence and its Transgression », The Germans…, op. cit., p. 171-297.
  • [22]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 1-21.
  • [23]
    Norbert Elias, « Civilization and Informalization », The Germans…, op. cit., p. 21-119.
  • [24]
    Norbert Elias, « Digression on Nationalism », The Germans…, op. cit., p. 121-170.
  • [25]
    La critique du nationalisme évoquée ici peut être reliée au plaidoyer discret mais récurrent en faveur d’une intégration postnationale, notamment dans Norbert Elias, La Société des individus, avant-propos de Roger Chartier, trad. de l’all. par Jeanne Étoré, Paris, Fayard, 1991, p. 205-301. Voir Florence Delmotte, Norbert Elias : la civilisation et l’État. Enjeux épistémologiques et politiques d’une sociologie historique, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, 2007, chap. 3 « L’État-nation, la démocratie et l’intégration postnationale », p. 85-112 ; id., « Norbert Elias et l’intégration postnationale », Swiss Political Science Review, 8 (1), 2002, p. 3-26.
  • [26]
    Ibid., p. 313.
  • [27]
    Ibid., p. 315.
  • [28]
    Ibid., p. 315-316.
  • [29]
    Ibid., p. 315.
  • [30]
    « Hitler fut essentiellement un sorcier-guérisseur politique d’un nouveau type » (ibid., p. 389). L’analyse par Norbert Elias du pouvoir de Hitler peut être rapprochée de celle d’Ian Kershaw dans Hitler, Londres, Longman, 1991 ; trad. fr., id., Hitler : essai sur le charisme en politique, trad. de l’angl. par Jacqueline Carnaud et Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Gallimard, 1995. Bien qu’Elias privilégie le temps long, il emprunte lui aussi à Weber, qui considère le charisme non comme une qualité inhérente à un individu mais comme un attribut procédant de la manière dont cet individu est subjectivement perçu par ses adeptes (Max Weber, Wirtschaft und Gesellschaft : Grundriß der Verstehenden Soziologie, Tübingen, Paul Siebeck, 1922 ; trad. fr., id., Économie et société, trad. de l’all. par Julien Freund, Pierre Kamnitzer, Pierre Bertrand, Éric de Dampierre sous la dir. de Jacques Chavy et Éric de Dampierre, Paris, Plon, 1971, Pocket, 1995, t. 1, p. 321).
  • [31]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 330.
  • [32]
    Ibid., p. 331.
  • [33]
    Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, New York, Harcourt, Brace, 1951 ; trad. fr., id., Les Origines du totalitarisme, vol. 1: Le système totalitaire, trad. de l’angl. par Jean-Loup Bourget, Robert Davren et Patrick Lévy, Paris, Seuil, 1972, p. 219 ; Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », op. cit., p. 330.
  • [34]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 387.
  • [35]
    Ibid., p. 372-373.
  • [36]
    Hannah Arendt, op. cit., p. 32.
  • [37]
    Ibid., p. 37.
  • [38]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 372-373.
  • [39]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence », The German…, op. cit., p. 178.
  • [40]
    Ibid., p. 190.
  • [41]
    La notion d’habitus est utilisée par Elias dès les années 1930, pour contourner l’essentialisme et le statisme induits selon lui par la notion de caractère national.
  • [42]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 18.
  • [43]
    Voir, à ce sujet, Guillaume Devin, « Norbert Elias et l’analyse des relations internationales », Revue française de science politique, 45 (2), 1995, p. 305-327.
  • [44]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence », The Germans…, op. cit., p. 186 sq.
  • [45]
    Ibid., p. 228.
  • [46]
    Herbert Marcuse, « Qu’est-ce que le national-socialisme ? » [1942], Le Monde diplomatique, octobre 2000, p. 26-27.
  • [47]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 7 sq.
  • [48]
    Ibid., p. 2-3.
  • [49]
    Ibid., p. 8.
  • [50]
    Ibid., p. 6.
  • [51]
    Ibid.
  • [52]
    Ibid., p. 13-15.
  • [53]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence », The Germans…, op. cit., p. 179-182.
  • [54]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 328.
  • [55]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 7-13.
  • [56]
    Norbert Elias, « Civilization and Informalization », The Germans…, op. cit., p. 44-119 (« Duelling and Membership of the Imperial Ruling Class : Demanding and Giving Satisfaction »).
  • [57]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence », The Germans…, op. cit., p. 207-213 (« The Pro-War Literature of the Weimar Republic : Ernst Jünger »).
  • [58]
    Ibid., p. 189.
  • [59]
    Ibid., p. 197.
  • [60]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 379.
  • [61]
    Norbert Elias, « Notes biographiques », The Germans…, op. cit., p. 154.
  • [62]
    Ibid., p. 152-155.
  • [63]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 309. Elias s’inscrit en faux contre la vision de Zygmunt Bauman, qui conçoit cette identification comme le fondement « naturel » d’une conduite « morale » mise en péril par la modernité (voir Eric Dunning, « Norbert Elias, la civilisation et la formation de l’État », in Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. 43). Pour Elias, c’est en vertu de certaines valeurs (d’un certain procès de socialisation) que l’identification à l’autre en est venue à nous sembler « morale » et « naturelle », bonne et nécessaire ; c’est en vertu d’autres valeurs (d’un autre procès de socialisation) que les nazis étaient persuadés du bien-fondé de leurs actes.
  • [64]
    Norbert Elias, « The Breakdown of civilization », The Germans…, op. cit., p. 308.
  • [65]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 7.
  • [66]
    Abram de Swaan, « La dyscivilisation, l’extermination de masse et l’État », in Yves Bonny, Jean-Manuel De Queiroz et Erik Neveu (dir.), op. cit., p. 67.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    Ibid. La compartimentation typique des sociétés dyscivilisées serait incompatible avec le procès d’informalisation (voir Cas Wouters, « Formalization and Informalization : Changing Tension Balances in Civilizing Processes », Theory, Culture and Society, 3 (2), 1986, p. 1-21), dans lequel la négociation remplace une gestion des relations fondée sur des ordres. En effet, les sociétés dyscivilisées sont forcées de développer des formes de contrôle puissantes mais rigides – qu’on songe à nouveau à l’analyse du duel : « Des codes de conduites et d’expression très élaborés sont entretenus dans le moindre détail, jusqu’au point où l’on franchit le seuil et où l’on entre dans le compartiment de la barbarie, où toutes les formes de cruauté et de sauvagerie sont permises, jusqu’à ce que l’on quitte cette réserve de nouveau pour retrouver sa conduite contrôlée, comme si rien ne s’était passé : voilà comment se présente un comportement dyscivilisé » (Abram de Swaan, op. cit., p. 70).
  • [69]
    Voir notamment Loïc Wacquant, « Dé-civilisation et diabolisation : la mutation du ghetto noir américain », in Christine Fauré et Tom Bishop (dir.), L’Amérique des Français, Paris, François Bourin, 1993, p. 103-125 ; id., « Elias dans le ghetto noir », Politix, 56, 2002, p. 209-218.
  • [70]
    Abram de Swaan, op. cit., p. 70.
  • [71]
    Ibid.
  • [72]
    Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 225.
  • [73]
    Ibid., p. 216.
  • [74]
    Voir Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, op. cit., p. 299-318.
  • [75]
    Voir déjà « Die Vertreibung der Hugenotten aus Frankreich », Der Ausweg, 1 (2), 1935, p. 369-376, cité dans Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 219.
  • [76]
    Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, trad. de l’all. par Yasmin Hoffman, Aix-en-Provence, Pandora, 1991, Paris, Pocket, 1993, p. 76 sq.
  • [77]
    C’est la définition même de la « double contrainte » ou du « double lien » (double bind) emprunté à la psychologie de Gregory Bateson. Voir Norbert Elias, Engagement et distanciation : contributions à la sociologie de la connaissance, avant-propos de Roger Chartier, trad. de l’all. par Michèle Hulin, Paris, Fayard, 1993, « Les pêcheurs dans le Maelström », p. 74 sq.
  • [78]
    Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 223.
  • [79]
    Voir Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem : A Report of the Banality of Evil, New York, Viking, 1963 ; trad. fr., id., Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal, trad. de l’angl. par Anne Guérin, Paris, Gallimard, « Témoins », 1966. Christopher Browning défend sur ce point une thèse fort proche dans Christopher R. Browning, Ordinary Men : Reserve Police Battalion 101 and the Final Solution in Poland. A Study of German Ordnungspolizei, New York, HarperCollins, 1992 ; trad. fr., id., Des hommes ordinaires : le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne, préf. de Pierre Vidal-Naquet, trad. de l’angl. par Élie Barnavi, Paris, Les Belles Lettres, 1994, 10/18, 1996, p. 107.
  • [80]
    Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 225.
  • [81]
    Stephen Mennell, Norbert Elias…, op. cit., p. 248.
  • [82]
    Ibid.
  • [83]
    Norbert Elias, Engagement et distanciation…, op. cit., p. 7-68.
  • [84]
    Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. 1.
  • [85]
    Norbert Elias, entretiens avec Arend-Jan Heerma van Vors et Abram von Stolk, op. cit., p. 100.
  • [86]
    Ibid., p. 70, 99.
  • [87]
    Voir la préface d’Eric Dunning et Stephen Mennell à Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. xv.
  • [88]
    Voir sir Edmund Leach, « Violence », London Review of Books, 23 octobre 1986, cité par Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 215 ; voir aussi Ian Burkitt, « Civilization and Ambivalence », British Journal of Sociology, 47 (1), 1996, p. 136-150 ; Zygmunt Bauman, Modernity and the Holocaust, Ithaca, Cornell University Press, 1989 ; trad. fr., id., Modernité et holocauste, trad. de l’angl. par Paule Guivarch, Paris, La Fabrique, 2002, p. 181 sq.
  • [89]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 314.
  • [90]
    Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 215-216.
  • [91]
    Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, op. cit., p. 300-301.
  • [92]
    Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 245.
  • [93]
    Stephen Mennell, Norbert Elias…, op. cit., p. 246.

1Comment peuvent se conjuguer procès de civilisation et phénomènes de décivilisation ? Le nazisme constitue-t-il une rupture dans un processus linéaire ? À ces questions, Norbert Elias a tenté de répondre de manière nuancée, en particulier dans le dernier ouvrage paru de son vivant, Studien über die Deuschen[1]. Il puise dans l’histoire longue de l’Allemagne, réfléchit à ce que pourraient être habitus et ethos germaniques, étudie la place qu’y occupent la violence, les codes d’honneur et la faiblesse de l’État. En bref, le sociologue tâche de décrire une personnalité sociale allemande, tout en la situant dans une comparaison avec d’autres nations et surtout sans verser dans le jugement moral. Dans cet article, Florence Delmotte suit ce dernier opus, analyse ses hypothèses en regard de l’œuvre dans son ensemble, et en discute les diverses interprétations.

La barbarie nazie, un thème central

2Après Auschwitz, écrire un poème est barbare, écrivait Theodor W. Adorno [2]. Partant de là, d’aucuns estiment qu’il est « tout aussi “barbare” d’élaborer une sociologie ou une philosophie politiques qui oublient le nazisme et le communisme et qui opposent la “civilisation occidentale” à la barbarie des autres peuples [3] ». On souscrira volontiers à ce jugement, d’autant que celui d’Adorno porte sur l’esthétique, non sur la théorie. S’il est donc vrai qu’Auschwitz « affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes [4] », toute tentative de penser la civilisation n’est pas devenue, après Auschwitz, impossible ou « barbare » : elle s’en voit bouleversée. Or la pensée de Norbert Elias est bouleversée par Auschwitz, par la volonté de comprendre ce qui s’est passé et d’expliquer pourquoi, comme l’a écrit Jürgen Habermas, « on a touché là-bas à une sphère profonde de la solidarité existant entre tout ce qui porte face humaine [5] ».

3Le nazisme, la guerre et la Shoah semblent révoquer en doute certaines idées forces de Über den Prozess der Zivilisation[6] de la manière la plus cinglante qui soit. Force est toutefois de rappeler que la réflexion de Norbert Elias n’oublie aucunement les tragédies du siècle. Les guerres, les génocides, en particulier le nazisme et ses camps, occupent en effet dans ses écrits une place de premier plan. Il n’est nul besoin de lire entre les lignes de La Civilisation des mœurs et de La Dynamique de l’Occident pour s’en rendre compte. En outre, il suffit de considérer qu’Elias a consacré à l’Allemagne sa dernière grande œuvre publiée de son vivant.

4Studien über die Deutschen (littéralement, Études sur les Allemands) est publié en 1989, cinquante ans après la première parution de Über den Prozess der Zivilisation. Plus qu’une suite, il s’agit là d’une autre contribution majeure à l’étude du politique. L’ouvrage est donc le dernier dont l’auteur ait supervisé la publication avant sa mort, le 1er août 1990 à Amsterdam. Norbert Elias tente d’y apporter une réponse à une question pour lui obsédante : « Comment tant d’Allemands dans les années 1930 et 1940 ont-ils pu accepter l’extermination des juifs d’Allemagne et d’ailleurs et perpétrer les plus effroyables cruautés [7] ? »

5Les pages qui suivent proposent une lecture et une mise en contexte de cette œuvre afin d’évaluer dans quelle mesure la sociologie d’Elias parvient à intégrer ce qu’elle considère elle-même comme un « effondrement » (Zusammenbruch) [8] ou une régression de la civilisation – la barbarie nazie –, tout en apportant une plus-value originale aux études sur le national-socialisme. Autrement dit : comment une théorie de la civilisation peut-elle, sans se trahir ou du moins se dédire, rendre compte du « processus de “décivilisation” qui a saisi l’Allemagne hitlérienne [9] » ?

6Bien qu’il ne soit pas spécialiste de cette période – ce qui lui vaudra des critiques portant sur l’exactitude factuelle de ses analyses [10] –, Norbert Elias développe une approche sans nul doute originale au regard des clivages qui marquent l’historiographie du national-socialisme [11]. Fidèle à lui-même, le sociologue fait mine d’ignorer ces controverses, en particulier celle qui porte sur la possibilité même d’une connaissance « objective » du nazisme et de ses crimes, qu’il contribue pourtant à éclairer.

7L’approche adoptée par Norbert Elias, en premier lieu sa tentative de traiter le sujet en adoptant la posture d’une « compréhension distanciée » (distanciée des enjeux politiques et idéologiques mais aussi éthiques et moraux), non seulement tient de la « gageure [12] », mais encore transcende la plupart des oppositions qui marquent les études sur le national-socialisme. Pour Elias, il s’agit certes d’expliquer le passé, mais en vue de l’empêcher de se reproduire. En d’autres termes, la dimension morale définit clairement la mission de la science, mais elle n’induit aucun tabou, puisque « tenter de comprendre n’est pas nécessairement tenter d’excuser [13] ». Il est d’autant plus remarquable qu’Elias assume cette position tout en « partant d’Auschwitz », car il s’inscrit en faux contre nombre de présupposés propres aux réflexions centrées sur la Shoah [14]. Primo, au 20e siècle, d’autres régressions vers la barbarie seraient selon Elias comparables, même si non identiques, à celle que résume « Auschwitz ». Secundo, non seulement on ne pourrait se contenter de condamner, mais on ne saurait, surtout, suspendre la tragédie au hasard de la naissance du fou ou du monstre qui l’aurait imaginée, ni isoler cette période de l’histoire de ce qui la précède, en faire un accident, une parenthèse. S’en tenir au caractère exceptionnel d’un meurtre de masse initié par Hitler ne contribuerait en effet qu’à nous procurer une sorte de « réconfort » à bon compte [15].
En s’intéressant à l’évolution des structures de pouvoir, aux facteurs culturels et économiques, à la vie quotidienne sous le nazisme et aux continuités de divers ordres avec l’Allemagne pré-hitlérienne, Norbert Elias échappe aussi au téléologisme de « l’histoire d’en haut » critiqué par les tenants de « l’histoire d’en bas », dont il se rapproche à maints égards. Toutefois, Elias dépasse aussi ce clivage-là. Contrairement à la plupart des historiens de la société, il accorde une importance de premier plan à Hitler et à l’idéologie – de manière a priori surprenante si l’on songe à la critique développée ailleurs, notamment dans Über den Prozess der Zivilisation, à l’encontre de l’histoire des idées et de celle des grands hommes. Mais, à l’inverse des spécialistes d’histoire politique focalisés sur le rôle des hauts dignitaires nazis, il voit dans l’idéologie national-socialiste, et dans le succès massif qu’elle a remporté grâce au charisme de Hitler, non ce qui « explique tout » mais quelque chose qu’il faut à son tour expliquer. Comme toujours, Elias rejette l’idée de cause finale ou ultime.
Enfin, son explication se fonde largement sur une psychologie historique, une sorte de psychanalyse de la société allemande, des « Allemands ordinaires » qui ont soutenu ou toléré le régime. Il ne s’agit toutefois pas de mettre l’accent sur l’antisémitisme ni de faire de l’identité juive des victimes l’élément clé. Il y a eu, insiste Norbert Elias, d’autres génocides au 20e siècle et les juifs n’étaient pas les seules victimes du plus massif et du plus organisé d’entre eux. Il s’agit donc plutôt d’insister sur la relation de type « établis-marginaux » qui caractérisait d’une manière tout à fait spécifique les rapports entre juifs et non juifs au sein de la société allemande [16], dont l’antisémitisme n’était pas une exception en Europe. Au-delà, la perspective d’une condamnation morale des Allemands dans leur ensemble est définitivement absente de l’œuvre d’Elias. À l’opposé sur ce point de l’entreprise d’un Daniel J. Goldhagen [17], celle de Norbert Elias ne verse en rien dans une diabolisation permettant de court-circuiter toute interrogation [18]. Pour Elias, le nazisme et le génocide sont, à l’instar des multiples autres régressions civilisationnelles observables à l’époque contemporaine, issus de processus socio-historiques longs et complexes. Ces phénomènes ont des « causes sociales [19] » et le scientifique ne peut se soustraire à son devoir qui est de les élucider. Les Studien über die Deutschen ont pour objet premier la mise au jour de ces causes.

Studien über die Deutschen

8Sous-titrées « Luttes de pouvoir et développement de l’habitus aux 19e et 20e siècles », les Studien über die Deutschen sont constituées de cinq essais datant de diverses périodes, dont « L’effondrement de la civilisation [20] », écrit en 1961-1962 à la suite du procès d’Adolf Eichmann ; « Civilisation et violence : sur le monopole étatique de la violence physique et sa transgression [21] » datant de 1980 ; et « Introduction [22] », rédigée la fin des années 1980. À l’inverse de ce que suggère le titre du recueil, les textes rassemblés ne concernent pas l’histoire des seuls « Allemands ». Norbert Elias vise en effet à mettre en évidence les caractéristiques de leur « habitus national » en comparant la trajectoire de l’Allemagne à celles de la France et de la Grande-Bretagne (et de la Hollande dans une moindre mesure), productrices d’identités collectives et individuelles spécifiques mais liées les unes aux autres, ces sociétés étatiques s’étant développées en interaction les unes avec les autres. Le premier essai, « Civilisation et informalisation [23] », envisage ainsi les critères d’appartenance à la classe dirigeante sous l’Empire (entre 1871 et 1918) et en particulier l’importance du duel, en regard des changements qui ont affecté les conduites ailleurs en Europe. Le second, « Digression sur le nationalisme [24] », entend mettre en exergue les spécificités du nationalisme allemand mais aussi les traits communs à toutes les « croyances nationales » [25].

9Centrés sur l’histoire européenne des deux derniers siècles, ces essais se soucient en outre, en ce qui concerne l’Allemagne, de replacer cette période dans une perspective plus large et Norbert Elias n’hésite pas à remonter jusqu’aux origines des peuples germaniques. En cela, son credo se trouve une fois de plus illustré : combinant réflexions théoriques et observations empiriques, il s’agit de réaffirmer la pertinence d’une « psychosociologie » historique du temps long pour appréhender le politique. 1933-1945 a beau représenter une fracture, le paroxysme d’une régression ou l’aboutissement apocalyptique de processus décivilisateurs, cette période n’est en définitive que l’actualisation de l’évolution historique que rendait possible, sinon probable (et certainement pas inéluctable), le développement allemand dans son ensemble. L’essentiel du propos n’est d’ailleurs pas consacré aux douze années du régime nazi.

10Quant à la « catastrophe » elle-même, le projet de Norbert Elias dans les Studien über die Deutschen débouche sur la défense d’une thèse qu’on pourrait résumer comme suit. Le nazisme, la guerre et les camps constituent un effondrement, une rupture ou une régression du processus de civilisation. Cette décivilisation qui a saisi l’Allemagne est indissociable de la faiblesse congénitale de l’État allemand et de son monopole de la violence. Elle résulte aussi de la spécificité de l’habitus allemand qui s’est développé dans le cadre d’une société dont la généalogie est marquée par la faiblesse des référents démocratiques dans la sphère politique de l’identité collective. Il s’agit ainsi d’expliquer comment une majorité d’Allemands ont favorisé l’accession de Hitler au pouvoir, accepté les sacrifices que le régime leur imposait et retourné sur les juifs leurs frustrations et leur haine, en soutenant ou en tolérant, quand ils n’en étaient pas les acteurs directs, leur exclusion progressive de la société puis leur élimination physique pure et simple.

11L’idéologie offre ici une première explication. Norbert Elias y insiste : il n’est « pas difficile de savoir pourquoi les juifs ont été exterminés ». La décision et sa mise en application découlent directement du système de croyances nazi. Elias tient cependant à préciser que cette « explication simple » n’implique nullement qu’il faille toujours considérer les « croyances irrationnelles » comme déterminant premier de l’action humaine. La plupart du temps, les buts déclarés des dirigeants politiques font plutôt office d’écran ou d’arme idéologique masquant des objectifs plus terre à terre et, dans une majorité de cas, il est donc illusoire ou très incomplet de s’en tenir aux doctrines affichées. Il arrive cependant qu’une action ne soit rien d’autre que la conséquence ultime d’un ensemble de croyances. Celles-ci peuvent être extrêmement irréalistes et irrationnelles ; c’est même souvent pour cette raison qu’elles promettent à ceux qui les honoreront une satisfaction émotionnelle immédiate. L’obéissance à ces croyances devient alors impérative et les implications importent peu, même si elles sont dommageables aux fidèles. Selon Elias, l’entreprise nazie d’extermination des juifs est ainsi « un des exemples les plus frappants du pouvoir qu’une croyance peut exercer sur les êtres – une croyance sociale en ce cas, plus exactement une croyance nationale [26] ». Plus loin, il confirme :

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« Peu de mythes sociaux – et plus encore nationaux – de notre temps sont dépourvus de mensonges et de contenus barbares de ce genre. La doctrine national-socialiste montre, comme dans un miroir déformant, quelques-uns de leurs traits communs dans une forme aveuglante [27]. »

13Ce qui peut paraître bien plus surprenant, nous dit Norbert Elias, est que si peu de gens, en particulier si peu de dirigeants politiques des puissances adverses, aient été capables d’imaginer que les nationaux-socialistes pourraient accomplir ce qu’ils avaient annoncé. Cela s’explique néanmoins par la tendance largement prédominante à sous-estimer la force des idéologies qui relèvent de la foi. Il a dû paraître inconcevable de prendre au sérieux un mouvement purement fondé sur l’usage de la violence et l’anéantissement de l’ennemi et dont les membres n’ont jamais cessé de valoriser le meurtre et la cruauté la plus sauvage. Ce manque de lucidité de la part des contemporains du nazisme (et, par suite, leur trop longue passivité) trouverait d’ailleurs ses racines dans une conception erronée et toujours dominante de la « civilisation ».
Cette hypothèse rappelle directement l’avertissement qui clôt Über den Prozess der Zivilisation. Parce qu’ils conçoivent la civilisation comme un donné « naturel » ou un acquis définitif, les nations et les peuples qui s’en prévalent ne peuvent tout simplement pas imaginer qu’elle s’effondre, chez eux ou chez leurs voisins également « civilisés ». Les acteurs de l’époque n’ont pu, pour cette raison, prendre la mesure du fait que Hitler et ses collaborateurs « croyaient profondément » en ce qu’ils disaient. En effet, qu’ils aient été « maîtres en dissimulation, aient répandu des mensonges délibérés et que leurs discours aient contenu une forte dose de haine, de fumisterie et d’hypocrisie n’est aucunement incompatible avec leur foi fervente en la vérité ultime de leurs principes » [28]. La stupéfiante sincérité de leur foi en une doctrine aussi primitive s’explique pour Norbert Elias par une caractéristique sociale distinctive de l’élite du mouvement nazi : « la majorité des dirigeants du parti n’étaient qu’à “demi éduqués” », des « ratés de l’ancien régime » [29] dévorés par leurs frustrations et se souciant peu de recouvrir d’un vernis pseudo-scientifique une mythologie nationale d’un autre âge.

La biographie d’une société étatique

14Reste à savoir quelles conditions spécifiques à l’Allemagne y ont donné leur chance à cette « secte », à son chef [30] et à cet « idéalisme noir [31] » plus approprié au monde préindustriel – comme l’était d’ailleurs l’inutile conquête de l’« espace vital » qui se révéla fatale pour le Troisième Reich. Y compris dans les guerres et autres situations d’état d’urgence où la nation semble en danger, la force que ces croyances acquièrent varie d’une société à une autre, notamment en vertu des différences entre les traditions nationales de conduite (national behavioural traditions). En se défendant de tout déterminisme, Norbert Elias écrit :

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« Certaines nations inclinent davantage, d’autres moins, à cette reddition totale en faveur d’un idéal exclusif du nous. Il serait assez injustifié d’en déduire que l’ascension d’un mouvement tel le national-socialisme découlait nécessairement et inéluctablement de la tradition nationale allemande. Mais […] il était certainement un des développements possibles que cette tradition portait implicitement en elle. À certains égards, le national-socialisme en partage tous les marqueurs caractéristiques [32]. »

16Si, dans l’attribution d’un rôle de premier plan aux « croyances sociales », les analyses de Norbert Elias peuvent être rapprochées des réflexions de Hannah Arendt, qui conçoit l’idéologie comme la « logique d’une idée [33] » dont le contenu importe peu par rapport à sa fonction identitaire, Elias ne partage donc pas les autres principes de la théorie arendtienne du totalitarisme. Non seulement Elias affirme que le nazisme diffère plutôt en degré qu’en nature d’autres régimes autoritaires ; il n’utilise d’ailleurs pas le terme « totalitarisme » et n’opère aucun rapprochement avec le communisme soviétique ni même avec la période stalinienne. Mais en outre il entend démontrer que l’hitlérisme trouve son origine dans des causes sociales qui, loin de le couper de la tradition culturelle et de l’histoire sociale allemandes, l’y rattachent fermement.

17Sans déterrer ces racines, on ne saurait comprendre et expliquer ce qui importe finalement : qu’une majorité d’Allemands « n’aient jamais cessé d’obéir [34] ». Selon Elias en effet, au 20e siècle, même en Allemagne, Hitler et ses seconds n’auraient pu accéder au pouvoir, s’y maintenir douze ans, imaginer la Solution finale et la faire appliquer sans ce soutien [35] plus ou moins fervent ou résigné, volontaire ou contraint, actif ou passif, des « masses ». Des « masses » entendues ici en un sens proche de celui de Hannah Arendt, c’est-à-dire de « vastes couches de gens neutres et politiquement indifférents [36] » qui, contrairement aux « classes », ne sont pas unies par la conscience d’intérêts communs à défendre mais seulement par une « terrifiante solidarité négative [37] ». Selon le sociologue toutefois, ces « masses » n’en détiennent pas moins, depuis la république de Weimar, un potentiel de pouvoir grandissant [38].

18Norbert Elias s’intéresse donc aux « Allemands ordinaires » et remonte aux origines les plus reculées de leur histoire pour mettre au jour ce qui a pu favoriser chez eux, davantage que chez leurs voisins, l’effondrement qu’il diagnostique. Le sociologue entreprend à cet effet d’écrire la « biographie d’une société étatique », car « si dans le développement d’un individu les expériences du passé continuent de porter leur effet dans le présent, il en va de même des expériences passées pour le développement d’une nation [39] ». Bien sûr, Elias ne nie pas l’importance des causes plus immédiates du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale, comme la paix « honteuse » de Versailles, la crise de 1929 ou encore la peur du bolchevisme, qui expliquerait pour partie l’inaction des puissances occidentales face au réarmement de l’Allemagne [40]. Mais au-delà, l’origine de la violence qui caractérise la période serait à rechercher dans « l’habitus allemand [41] » : au fil des siècles, « le destin d’une nation se sédimente dans des institutions par l’entremise desquelles les différents groupes d’une société acquièrent les mêmes caractéristiques, possèdent le même habitus national [42] ». L’hypothèse d’Elias est que la « structure de la personnalité sociale » des Allemands en appelait à un régime qui lui corresponde. Et une telle proposition n’implique aucune condamnation morale ni ne contribue à disculper les puissances alliées. Cette focalisation sur l’Allemagne se soucie même d’éviter le piège des analyses germano-centrées, en rappelant que la compréhension du passé allemand ne peut en aucun cas faire abstraction des relations nouées au fil des siècles entre « les Allemands » et les autres peuples, dans une perspective toujours soucieuse de l’interdépendance entre l’ordre politique interne et la scène internationale [43].

19Plus précisément, il s’agit d’expliquer le retour ou la persistance du recours à la violence physique dans les relations sociales à l’intérieur d’un État, soit la transgression d’un monopole fondamental pour la théorie du processus de civilisation. Cette transgression se manifeste notamment dans le développement des corps francs dès 1918 [44] et caractérise largement toute la république de Weimar, que la spirale d’une « double contrainte » en matière de violence extra-étatique devait conduire à la ruine [45], avant que l’État national-socialiste, « débarrassé des caractéristiques essentielles de l’État moderne [46] », rétablisse pour partie le monopole de la violence mais sans en limiter l’usage contre les opposants réels ou supposés du régime et contre les groupes exclus, en premier lieu les juifs. Au-delà, il faut élucider la tendance structurelle à la fragilité de ce monopole étatique en Allemagne, et donc la « faiblesse » de l’État [47], et par conséquent l’habitus social qui y est associé et qui rend tolérable la violence, la valorise souvent au plus haut point et nourrit de puissantes aspirations à voir s’installer enfin un pouvoir fort.

20La situation géographique des peuples germaniques, entre Latins et Slaves [48], apparaît comme un premier élément d’explication. En découleraient « l’habitude » pour les futurs Allemands d’envahir leurs voisins et d’être envahis par eux, et l’idéalisation de la figure du guerrier dans l’imaginaire social. Le second trait dérive du premier. Norbert Elias accorde ainsi beaucoup d’intérêt au long processus d’effritement territorial et de morcellement du pouvoir impérial au profit des princes locaux qui caractérise le Saint-Empire et contraste avec la centralisation politique croissante observée presque partout ailleurs en Europe occidentale, où se constituent des monarchies plus fortes et pacifiées [49]. L’histoire de la future Allemagne apparaît, en comparaison, comme celle d’un déclin continu, fait de guerres souvent perdues. Il en résulterait un fort sentiment d’humiliation et un ardent désir de revanche. Une immense nostalgie pour le Premier Reich expliquerait par ailleurs le caractère hautement fantasmatique de l’habitus social. Elias insiste ensuite sur les implications de la guerre de Trente Ans, qui ravive le caractère épique de « l’ethos germanique [50] », signifie la brutalisation des conduites et voit naître l’apparition de confréries universitaires étudiantes déjà radicales, laissant « des traces indélébiles dans l’habitus allemand [51] ».

21Le caractère discontinu et tardif du processus de formation de l’État expliquerait aussi pourquoi le pouvoir fut conservé jusqu’au 20e siècle par l’aristocratie : par manque d’unité, la bourgeoisie allemande n’aurait joué aucun rôle politique majeur [52]. Les idéaux des Lumières allemandes (leur égalitarisme, leur humanisme, leur universalisme) n’auraient pour cette raison jamais pu pénétrer l’habitus des élites politiques, administratives et militaires [53]. Elias note l’absence dans le « panthéon allemand » de figures politiques comparables à celles de Cromwell, Jefferson ou Marat, osant contester l’autorité et l’ordre établi. Frédéric Le Grand ou Bismarck incarnent tout au contraire une tradition autocratique, alors que Goethe ou Beethoven sont des héros de la Kultur, non des hommes qui « font l’histoire [54] ».

22D’ailleurs, en 1870-1871, l’unification tardive est le fait de la noblesse en armes. Et à cette époque, l’aristocratie détient encore les pouvoirs clés, c’est-à-dire l’armée, la diplomatie et la haute administration, et non l’industrie et le commerce comme dans la plupart d’autres grandes nations européennes [55]. Mais sous ce Second Empire allemand, souligne Norbert Elias, l’aristocratie se sent vite menacée par la création d’un puissant parti ouvrier et par l’ascension des classes industrielles en général. L’establishment se voit donc obligé d’intégrer des fractions de plus en plus larges de la bourgeoisie. Dépourvues de traditions politiques propres, libérales et parlementaires, les classes moyennes s’approprient l’ethos guerrier autocratique de l’aristocratie et le radicalisent progressivement en une doctrine nationale qui trouve une nouvelle raison d’être et un nouveau terrain d’expansion après 1918.

23De manière générale, Norbert Elias accorde une importance décisive au Second Empire. Il décrit cette société comme une société orientée par la référence à un code d’honneur dans lequel demander et donner « réparation » par des duels livrés à l’épée ou au pistolet occupe une place éminente. Brèche ouverte dans le monopole étatique de la violence, le duel standardise, au sein des écoles militaires et des confréries étudiantes, les manières de ressentir et de se comporter d’une classe dirigeante éparse et de plus en plus mixte [56]. Alors qu’il a disparu presque partout en Europe, le duel représente dans l’Allemagne unifiée une pièce majeure du code d’honneur qui distingue l’élite des masses, auxquelles s’applique l’interdiction de l’usage de la violence physique. Véritable institution, le duel normalise l’idée qu’il est à la fois nécessaire ou prestigieux de se substituer à l’État pour régler par la force des problèmes sociaux de tous ordres.
Dans un contexte profondément marqué par la défaite de 1918, la violence se répand et investit, avec la littérature d’Ernst Jünger, la sphère jusque-là préservée de la Kultur[57]. Et le développement d’institutions parlementaires n’entraîne aucune démocratisation des attitudes et des convictions. La majorité de ceux qui ont appartenu à l’establishment sous l’Empire sont radicalement opposés à Weimar : ils considèrent le parlement comme un « lieu de bavardage », la République comme une « porcherie » et la démocratie comme étrangère à la germanité [58]. À ce point, le coup de génie des nazis entraînés par Hitler aurait été de faire partager par des couches de plus en plus larges de la population le credo nationaliste par le biais d’une doctrine raciale qui le brutalise à l’extrême… et le rend accessible à tous en les déclarant « Aryens » :

« Le caporal Hitler renversa les barrières élitistes du mouvement des étudiants et des officiers et le transforma en un vaste mouvement populiste […]. Appartenir à la “race allemande” ouvrait la porte à bien davantage de gens que l’appartenance à la “bonne société” […] [59]. »
Issu d’une tradition autocratique sans alternative libérale ou démocratique influente, l’habitus allemand se distinguerait finalement par une tendance forte à se soumettre à l’autorité, à « s’identifier à son oppresseur » (la minorité nazie pour la majorité des Allemands) et à retourner contre ceux qui sont en dessous de soi sa colère, sa révolte et sa peur. En Allemagne, « toute la violence contre les juifs était de ce type [60] », écrit Norbert Elias ; « moins on était sûr de son statut, plus on était antisémite [61] », précise-t-il dans ses mémoires. Les juifs ont ainsi fait figure de bouc émissaire des frustrations d’une grande partie du peuple allemand, pour qui il était devenu insupportable qu’un groupe marginal désormais décrété « racialement inférieur » n’accepte pas sa condition, ne s’approprie pas cette image humiliante de lui-même qui aurait valorisé en retour l’image positive du « nous » de groupes établis bien fragiles [62]. Dans ce contexte, le rétablissement du monopole étatique de la violence rendra possible, une fois la guerre venue, l’organisation administrative, technique et industrielle de la Shoah. En prenant le plus souvent soin d’en situer le cadre hors d’Allemagne, le crime sera accompli par ses multiples exécutants sans émotion, dans une froide division des tâches et en parfaite conformité avec la volonté de l’État, incarnée par celle du Führer. « Effondrement de la civilisation » ? Au-delà des mots employés par Elias lui-même, reste à prendre la mesure de cette rupture dans le cours de l’histoire et de ses répercussions sur la théorie de la civilisation.

La théorie d’Elias face au nazisme

24Quand Norbert Elias parle d’« effondrement », il semble le concevoir comme la focale d’une régression, ou l’apogée de l’escalade que constitue une suite : le nazisme, la guerre, les camps, l’extermination des juifs. Ce qui « s’effondre » à partir de l’Allemagne, dans l’idéologie national-socialiste et à travers la Solution finale qui en découle, est un aspect bien particulier du processus de civilisation, non une disposition morale naturelle que la modernité tout entière concourait à détruire [63] : l’identification croissante de l’homme à son semblable, y compris à l’ennemi et à la victime. La Shoah peut alors être considérée comme l’actualisation d’une issue que l’histoire allemande avait rendue possible et, au-delà de la singularité de tout phénomène socio-historique, le degré, l’intensité de cet effondrement en font bel et bien un événement distinct des nombreux autres mouvements de décivilisation qui, selon Elias, « peuvent aller de pair » avec les processus de civilisation [64]. Par rapport au texte de 1939, on notera au passage une précision majeure : l’emploi du pluriel, qui vient renforcer le refus de concevoir l’évolution comme unilinéaire et permet de considérer le nazisme comme un épisode à part entière de l’histoire européenne.

25Cependant, la lecture des Studien über die Deutschen met au jour une autre hypothèse : celle d’un retard propre à l’Allemagne au regard du processus de civilisation en Occident, soit une reprise du thème de la voie particulière (Sonderweg) allemande. Partant de la comparaison avec la France et l’Angleterre, il s’agit de mettre en évidence non seulement le caractère tardif mais surtout la « faiblesse structurelle [65] » de l’État germanique et ses conséquences sur la personnalité sociale des Allemands, enclins à un autoritarisme militarisé, non à une démocratie parlementaire. Dans cette hypothèse, le modèle éliassien, qui lie les autocontrôles individuels au développement de l’État moderne, permet bien de rendre compte de ce qui s’est passé en Allemagne. Mais au prix de l’argument (typiquement évolutionniste en un sens) du « retard », de « l’exception » allemande, qui renvoie à la question de la portée axiologique d’une notion de civilisation prétendument neutre.

26Cette interprétation est assez proche de celle qu’avance Abram de Swaan. Ce dernier rappelle que, depuis le début du 19e siècle, deux conceptions s’opposent sur ces questions. Selon l’une, la tyrannie et la barbarie représentent un revirement par rapport au progrès et à la rationalisation ; pour l’autre, elles marquent l’apogée même de la modernité et de la rationalité. Quoique subtilement, la position de Norbert Elias privilégierait la première, ce qu’attesterait l’usage des termes « décivilisation » ou « effondrement ». Au cœur de la réflexion d’Elias sur l’Allemagne nazie et sur l’extermination, on trouve certes l’idée d’un « double mouvement », de rationalisation et de bureaucratisation d’un côté, de régression et de barbarie de l’autre ; selon Abram de Swaan, cependant :

27

« L’hypothèse sous-jacente à la théorie de la civilisation chez Elias est que la formation de l’État, c’est-à-dire la monopolisation de la violence (et de la fiscalité), débouche sur des modes plus civilisés de relations et d’expression, c’est-à-dire sur une diminution de toutes les formes de comportement violent, y compris la violence étatique. Et il assume implicitement que l’État traitera tous les citoyens qui respectent la loi plus ou moins également, c’est-à-dire qu’il existera un minimum d’égalité devant la loi[66]. »

28Et Abram de Swaan de souligner que cette intuition ne va pas de soi. En dehors de l’Allemagne nazie, il ne manque pas d’exemples où « la monopolisation de la violence par l’État peut déboucher sur une civilisation d’ensemble de la société et en même temps, dans certains cas, ces canons civilisés peuvent malgré tout ne pas protéger certaines catégories de citoyens » qui, dans les cas extrêmes, seront « exposées à toutes les ressources de violence associées au monopole étatique [67] ». Dans une situation de ce type, il faudrait, pour que se déclenche le mécanisme qui conduit à l’extermination, qu’un processus de « compartimentation », tant psychologique que social et spatial, soit mené à son terme. Les victimes doivent d’abord être isolées et faire l’objet d’un travail de « déshumanisation » (de « désidentification affective ») qui va de pair avec une campagne visant à renforcer les identifications positives dans le reste de la population. Ensuite, des unités spécialisées doivent être formées pour rassembler le groupe cible dans des lieux spécifiques, dissimulés aux non-initiés. Pendant ce temps, « le reste de la société conserve ses modes de vie pacifiés, et la vaste majorité des citoyens continuent d’être protégés par la loi […] ». C’est pourquoi il conviendrait mieux de parler de dyscivilisation [68].

29Abram de Swaan affirme que des phénomènes de compartimentation peuvent s’observer au cœur même de nos sociétés. Qu’on songe, nous dit-il, à l’isolement spatial et à l’exclusion sociale d’une catégorie donnée de personnes qui s’opèrent avec la « ghettoïsation » de certains centres urbains aux États-Unis [69] (ou dans les « banlieues ») : « Au fur et à mesure que l’État se retire de ces quartiers, les chaînes d’interdépendance se brisent, les formes d’autorestriction se désagrègent, la “dépacification” progresse alors que la violence prolifère […] [70]. » Ces phénomènes, pour radicalement incomparables qu’ils soient avec l’entreprise d’extermination menée par l’État nazi, mettraient en cause un élément majeur de la théorie éliassienne de l’État, s’il est vrai qu’« au centre des idées d’Elias sur le processus de civilisation, on trouve une hypothèse implicite d’égalité minimale, d’un certain degré de traitement et de considération identique pour tous [71] ». C’est pour cette raison qu’Elias aurait été forcé de « parier gros » sur l’argument de l’exception allemande afin d’expliquer ce qui s’est passé en Allemagne sans abandonner son credo.

30Une autre interprétation est néanmoins envisageable. Elle consiste à privilégier la thèse de la continuité sur celle de la rupture, au premier plan dans les Studien über die Deutschen. La lecture de Stephen Mennell invite même à relativiser doublement celle-ci : à la fois comme thème dans la théorie d’Elias et au regard du fait historique. « L’Holocauste, écrit Mennell à ce sujet, réfute la théorie du processus de civilisation en Europe à peu près de la même façon que la peste noire conduit à douter de l’accroissement de la population du continent sur la longue durée [72]. »

31Autrement dit, le nazisme n’invalide la théorie du processus de civilisation de 1939 que si l’on voit en elle une théorie du progrès, conçu comme inéluctable et continu [73]. Or deux éléments au moins permettent d’écarter ce soupçon. Le premier : l’importance accordée à la persistance de la guerre, à l’absence de diminution de la violence entre les États [74]. Certes, le processus de formation de l’État, combiné à la division croissante du travail, à la croissance démographique, à l’expansion des villes et des échanges, au développement des appareils administratifs et de l’usage de l’argent, favorisa l’« identification mutuelle ». Mais la fréquence et le caractère impitoyable des poussées de violence et de cruauté (pogromes, meurtres collectifs d’ennemis vaincus) ne s’affaiblirent que très progressivement avec ce processus, le menaçant en fait constamment. Second élément : la place accordée dans l’œuvre à la question des rapports « établis-marginaux [75] ». Selon Stephen Mennell, les pressions inhérentes à la démocratisation fonctionnelle (i.e. due aux interdépendances accrues entre les groupes sociaux [76]) n’éradiquent jamais les conflits de ce type. Néanmoins, s’ils se déroulent à l’intérieur d’un État « efficace », c’est le plus souvent de manière non violente et, même en Allemagne, les juifs se sentaient généralement en sécurité.

32Pour comprendre le processus qui a pourtant mené à l’extermination, Stephen Mennell propose donc de suivre un chemin qui s’éloigne un peu de celui des Studien über die Deutschen. La théorie de Norbert Elias, nous rappelle-t-il, pense les processus civilisateurs comme entraînant un changement dans l’équilibre entre contraintes externes (Fremdzwänge) et internes (Selbstzwänge) en faveur de ces dernières. Les processus décivilisateurs peuvent alors être conçus comme un mouvement de recul qui survient dans les contextes où les phénomènes sociaux semblent de moins en moins maîtrisés : les risques et les dangers paraissent plus imprévisibles, alimentant les peurs des individus, minant leur capacité à prévoir et à maîtriser les événements en s’appuyant sur les normes en vigueur [77].

33L’Allemagne après 1918, qui connaît coup sur coup une défaite militaire, plusieurs tentatives révolutionnaires et une crise économique majeure, fournit ainsi un contexte favorable au développement de croyances assez fantasques pour apaiser ces peurs et à l’installation d’un régime autoritaire. Si les forces décivilisatrices furent en réalité les plus puissantes sous la république de Weimar, le « cruel paradoxe, c’est que l’on en revint à une très efficace monopolisation par l’État de la violence (bien que “moins dans les coulisses qu’auparavant”) sous Hitler, avec conjointement un regain des risques et des peurs alimentés par la Seconde Guerre mondiale, ce qui permit à l’Holocauste d’être si efficacement organisé [78] » ; d’autant que la « dynamique de l’Occident » ne s’est pas interrompue : l’allongement des chaînes d’interdépendance et la division des fonctions sociales furent en effet indispensables à l’exécution de la Solution finale, à son organisation bureaucratique « rationnelle ». Qu’on songe au détachement émotionnel d’Adolf Eichmann mettant au point depuis un bureau les horaires de trains à destination d’Auschwitz [79].
Suivant cette lecture, il nous faudrait donc relativiser non seulement la portée heuristique du thème de la rupture ou de l’exception allemande dans l’œuvre, mais également la signification historique de l’effondrement ; et ce, même en ce qui concerne « l’intensification de l’identification mutuelle », au cœur du processus de civilisation. Les efforts que dut déployer le régime nazi pour amoindrir le sentiment d’identification de nombreux Allemands vis-à-vis de leurs compatriotes juifs seraient éloquents à cet égard. On pourrait même interpréter en ce sens la ghettoïsation des juifs ainsi que leur déportation puis leur extermination dans des camps situés à l’Est, « dans les coulisses de l’Allemagne métropolitaine ». Ces efforts furent certes couronnés de succès. Reste que « les tendances civilisatrices regagnèrent leur prédominance après très peu d’années [80] ».
Non sans audace, Stephen Mennell défend ainsi qu’à côté de l’ampleur du meurtre lui-même, l’autre « trait distinctif » du génocide perpétré par les nazis réside dans « l’ampleur de la répulsion qu’il suscita quand tout fut connu [81] », qu’on pourrait estimer « symptomatique de l’extension de la capacité de la majorité des contemporains de s’identifier aux souffrances de leurs frères humains, pour la seule raison qu’ils sont des êtres humains [82] ». Comme si, en dépit de l’incrédulité coupable et de la longue passivité d’une grande partie de l’Occident, le produit le plus fragile de l’évolution étudiée par Norbert Elias, le développement de la capacité à adopter le point de vue d’un autre toujours plus éloigné, avait non seulement survécu au nazisme, à la guerre et à la Shoah, mais s’était également vu renforcé par leur fin.
En un mot, la théorie d’Elias autorise bien, en ce qui concerne son appréhension de la « barbarie moderne », des interprétations divergentes. Loin de s’exclure mutuellement, celles-ci démontrent plutôt la fécondité du modèle éliassien quand il est confronté à lui-même comme si l’intérêt de l’œuvre d’Elias – l’œuvre en général et les Studien über die Deutschen en particulier – résidait aussi dans les incertitudes qu’elle recèle, dans cette capacité d’ouvrir et de bousculer les débats.

Elias et les Allemands, les Allemands dans l’œuvre d’Elias

34La place, essentielle, que le nazisme occupe dans l’œuvre de Norbert Elias doit beaucoup au rapport biographique évident que le sociologue entretient à son endroit. Si l’auteur le souligne à plusieurs reprises dans son autobiographie, les Studien über die Deutschen ne manquent pas de faire écho à un souci constant de clarté à ce sujet. Elias y précise d’emblée comment se définit sa position, conformément au modèle de connaissance développé dans Engagement et distanciation[83], où l’objectivité de tout discours scientifique se voit conditionnée par une autodistanciation scrupuleuse.

35

« À demi caché derrières les études ici publiées se trouve un témoin qui a vécu pendant près de quatre-vingt-dix ans et traversé les événements analysés dans ce qui suit. Le plus souvent, l’image que se fait de ces événements quelqu’un que ceux-ci ont touché personnellement diffère de manière caractéristique à maints égards de la représentation que s’en fait celui qui appréhende ces mêmes événements avec la distance et le détachement du chercheur. C’est un peu comme un appareil photo qui pourrait faire la mise au point à différentes distances, du gros plan à la vue d’ensemble. Le point de vue d’un chercheur qui a aussi vécu les faits qu’il étudie ressemble à cela [84]. »

36Norbert Elias, selon ses propres termes, est « né juif » en Allemagne [85]. Sa vie est tout entière marquée par cette double origine. Comme la plupart des juifs d’Europe ayant échappé aux camps de la mort, Elias perd toute sa famille et tous ses amis. Il connaît la faim, l’exil, il est apatride pendant plus de vingt ans. Dès l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933, il doit quitter Francfort sans avoir eu le temps de soutenir sa thèse de doctorat en sociologie. Certes, son statut d’intellectuel le force à fuir assez tôt pour échapper à la déportation que connaît sa mère, morte à Auschwitz, mais il en développe une culpabilité qu’il n’arrivera jamais à surmonter [86]. Au point qu’il ne peut se pencher sur la question allemande et sur le génocide qu’après le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961. Si Elias assume le statut de « témoin » sans jamais revendiquer celui de victime, et si la sobriété émotionnelle des essais sur l’Allemagne marque avant tout le lecteur, le rapport à l’objet est donc bien des plus intimes. À travers son travail, l’auteur espère même explicitement parvenir à comprendre ce qui lui est arrivé et pourquoi.

37On ne peut toutefois s’en tenir à cette justification. Dans les Studien über die Deutschen, Norbert Elias entend probablement aussi répondre à ses détracteurs ou anticiper leurs critiques, notamment sur l’évolutionnisme de sa théorie ou sur le caractère optimiste de sa pensée [87], sans renier les fondamentaux de sa sociologie historique. Elias refuse ainsi d’adopter la position de repli à laquelle on aurait pu s’attendre. À aucun moment il n’appréhende la « catastrophe allemande » comme une parenthèse ou un accident, contrairement à Friedrich Meinecke et d’autres à sa suite. Cette catastrophe, Elias la considère à l’inverse comme partie intégrante de l’histoire des peuples qui l’ont déclenchée ou subie.

38Un bref retour sur la perspective ouverte par Über den Prozess der Zivilisation paraît ici utile pour se convaincre d’une telle cohérence, a priori bien improbable. D’une part, il est possible, au-delà des expressions employées dans les Studien über die Deutschen, qu’Elias ne considère pas véritablement le « retour de la barbarie » comme une rupture totale du processus de longue durée décrit ailleurs ; c’est ce qu’on vient d’essayer de montrer. D’autre part, c’est définitivement à tort qu’on prêterait à Über den Prozess der Zivilisation la tentation d’un optimisme béat et eurocentré, tourné en ridicule par le fait historique [88].

39Tout d’abord, rien n’indique que Über den Prozess der Zivilisation puisse peu ou prou être lu comme l’apologie d’une civilisation particulière, ni qu’il fasse l’éloge des attributs moraux et des réalisations que la société occidentale s’est attribués pour se distinguer comme l’avant-garde des autres sociétés, jugées inférieures. Au contraire, le livre de Norbert Elias commence par l’élucidation de cette conception commune de la civilisation et par l’analyse du rôle qu’elle a joué dans l’histoire, précisément pour qu’on ne puisse se méprendre sur le processus qu’il décrit. Son analyse vise entre autres à rendre compte de l’émergence et du développement d’une notion historiquement située, et souligne les usages sociaux et politiques qui en ont été faits, par exemple pour justifier la colonisation. Contre toute réification, Elias insiste particulièrement sur le caractère inachevé du processus de civilisation. C’est là que s’ancre d’ailleurs l’essentiel du « message » de Über den Prozess der Zivilisation, plus explicite encore dans les Studien über die Deutschen : il faut cesser de voir la civilisation comme un stade atteint ou un ensemble de traits acquis une fois pour toutes. « Une fois civilisés, civilisés pour toujours » (« einmal zivilisiert, immer zivilisiert ») : c’est exactement là, nous dit Elias, que réside l’illusion [89].

40Pour certains, Über den Prozess der Zivilisation tout entier peut même être lu comme une mise en garde empreinte de pessimisme [90]. Pour le moins, sa conclusion fait preuve d’une indéniable lucidité. D’une part, Norbert Elias y affirme que la guerre n’arrêtera certainement pas le mouvement des interdépendances économiques et géopolitiques appelant au regroupement des êtres humains dans des entités sans cesse plus vastes [91]. D’autre part, il avance que cette même guerre risque bien, à travers la résurgence des peurs collectives, de faire « éclater la cuirasse » des comportements tenus pour civilisés [92]. Über den Prozess der Zivilisation a beau avoir été écrit bien avant la Solution finale, certains traits du régime nazi étaient déjà évidents, et si Elias n’a pas plus prévu qu’un autre quelle serait son issue, la fin de son ouvrage sonne comme un avertissement [93].
Dans cette optique, on comprend mieux que les études consacrées plus tard à la « barbarie nazie » ne portent en rien l’accent d’un mea culpa. Les Studien über die Deutschen revendiquent même une double continuité, à la fois méthodologique et substantielle, par rapport à la démarche et aux thèses défendues depuis les années 1930. En tout cas, la question de l’Allemagne nazie n’introduit pas un élément de rupture majeure dans l’œuvre d’ensemble ; elle amène plutôt certaines précisions. Ceci ne veut pas dire qu’elle permet à Elias de résoudre tous les problèmes que sa réflexion soulève. En témoigne la pluralité – l’ambiguïté parfois, la richesse souvent – des pistes ouvertes par les analyses de Norbert Elias sur le national-socialisme pour penser la civilisation.


Mots-clés éditeurs : processus de civilisation, Norbert Elias, nazisme, Allemagne, sociologie historique

Date de mise en ligne : 07/04/2010

https://doi.org/10.3917/vin.106.0054

Notes

  • [1]
    Norbert Elias, Studien über die Deutschen : Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989. Je citerai par la suite la traduction anglaise d’Eric Dunning et Stephen Mennell : Norbert Elias, The Germans : Power Struggles and the Development of Habitus in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Cambridge, Polity Press, 1996. Sur ce sujet, voir aussi Françoise Lartillot (dir.), Norbert Elias : Étude sur les Allemands. Lecture d’une œuvre, Paris, L’Harmattan, 2009.
  • [2]
    Theodor W. Adorno, « Critique de la culture et société » [1949], Prismen, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1955 ; trad. fr., id., Prismes : critique de la culture et société, trad. de l’all. par Geneviève et Rainer Rochlitz, Paris, Payot, 1986, p. 23.
  • [3]
    Dominique Colas, Sociologie politique, Paris, PUF, 2002, p. xvi-xvii.
  • [4]
    Theodor W. Adorno, op. cit.
  • [5]
    Jürgen Habermas, « Conscience historique et identité posttraditionnelle », Kleine politische Schriften, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1981 ; trad. fr., id., Écrits politiques : culture, droit, histoire, trad. de l’all. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Cerf, 1990, p. 297.
  • [6]
    Publié pour la première fois à Bâle en 1939, Über den Prozess der Zivilisation est réédité aux Éditions Suhrkamp en 1969 (Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939). Le livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975).
  • [7]
    Roger Chartier, « Appréhender la barbarie allemande », Le Monde, 19 juin 1998.
  • [8]
    C’est le titre du quatrième essai : Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 299-402.
  • [9]
    Roger Chartier, op. cit. En réalité, c’est chez les disciples d’Elias qu’on retrouve le plus souvent l’expression de processus de décivilisation. Voir Eric Dunning et Stephen Mennell, « Elias on Germany, Nazism and the Holocaust : On the Balance between “Civilising” and “De-civilising” Trends in the Social Development of the Western Europe », British Journal of Sociology, 49 (3), 1998, p. 339-357 ; Stephen Mennell, Norbert Elias : An Introduction, Dublin, University College Dublin Press, 1998, p. 227-250 ; id., « L’envers de la médaille : les processus de décivilisation », in Alain Garrigou et Bernard Lacroix (dir.), Norbert Elias : la politique et l’histoire, Paris, La Découverte, « L’armillaire », 1997, p. 213-236 ; id., « L’étude comparative des processus de civilisation et de décivilisation », in Yves Bonny, Jean-Manuel De Queiroz et Erik Neveu (dir.), Norbert Elias et la théorie de la civilisation : lectures et critiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 27-36.
  • [10]
    Voir notamment Jeffrey Herf, « The Uncivilizing Process », The New Republic, avril 1997, p. 39-41, cité dans Olivier Rémaud, « Norbert Elias et l’effondrement de la civilisation : les Studien über die Deutschen », document de travail n° 8, Centre Marc-Bloch, Berlin, septembre 2002, p. 4.
  • [11]
    Voir à ce sujet la lumineuse synthèse d’Ian Kershaw, The Nazi Dictatorship : Problems and Perspectives of Interpretation, Londres, Edward Arnold, 1985 ; trad. fr., id., Qu’est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d’interprétation, trad. de l’angl. par Jacqueline Carnaud, Paris, Gallimard, 1992.
  • [12]
    Pierre Ayçoberry, La Société allemande sous le IIIe Reich, 1933-1945, Paris, Seuil, 1998, p. 14.
  • [13]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 304.
  • [14]
    Sur la question, je renvoie au débat qui oppose Martin Broszat et Saul Friedländer à propos des rapports entre histoire et mémoire : « De l’historisation du national-socialisme : échange de lettres », Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, 24, avril-septembre 1990, p. 43-90. Pour Broszat, s’il est légitime que les victimes reconstruisent l’histoire « à reculons » à partir d’Auschwitz, les historiens doivent refuser ce genre de téléologie et traiter cet aspect comme un autre, suivant les mêmes critères scientifiques. Friedländer, inquiet de voir l’histoire sociale ou « par en bas » laisser dans l’ombre l’essentiel (la violence et le crime), réaffirme quant à lui les exigences de l’éthique et le primat de la dimension morale.
  • [15]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 303.
  • [16]
    Voir aussi les « Notes biographiques », dans Norbert Elias, entretiens avec Arend-Jan Heerma van Vors et Abram von Stolk, Norbert Elias par lui-même, trad. de l’all. par Jean-Claude Capèle, Paris, Fayard, 1991, p. 150-160 (« Notes sur les juifs en tant que participant à une relation établis-marginaux »).
  • [17]
    Daniel J. Goldhagen, Hitler’s Willing Executioners : Ordinary Germans and the Holocaust, New York, Knopf, 1996 ; trad. fr., id., Les Bourreaux volontaires de Hitler : les Allemands ordinaires et l’Holocauste, trad. de l’angl. par Pierre Martin, Paris, Seuil, 1997, p. 15-19.
  • [18]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 317.
  • [19]
    Ibid., p. 304.
  • [20]
    Ibid., p. 299-402.
  • [21]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence : On the State Monopoly of Physical Violence and its Transgression », The Germans…, op. cit., p. 171-297.
  • [22]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 1-21.
  • [23]
    Norbert Elias, « Civilization and Informalization », The Germans…, op. cit., p. 21-119.
  • [24]
    Norbert Elias, « Digression on Nationalism », The Germans…, op. cit., p. 121-170.
  • [25]
    La critique du nationalisme évoquée ici peut être reliée au plaidoyer discret mais récurrent en faveur d’une intégration postnationale, notamment dans Norbert Elias, La Société des individus, avant-propos de Roger Chartier, trad. de l’all. par Jeanne Étoré, Paris, Fayard, 1991, p. 205-301. Voir Florence Delmotte, Norbert Elias : la civilisation et l’État. Enjeux épistémologiques et politiques d’une sociologie historique, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, 2007, chap. 3 « L’État-nation, la démocratie et l’intégration postnationale », p. 85-112 ; id., « Norbert Elias et l’intégration postnationale », Swiss Political Science Review, 8 (1), 2002, p. 3-26.
  • [26]
    Ibid., p. 313.
  • [27]
    Ibid., p. 315.
  • [28]
    Ibid., p. 315-316.
  • [29]
    Ibid., p. 315.
  • [30]
    « Hitler fut essentiellement un sorcier-guérisseur politique d’un nouveau type » (ibid., p. 389). L’analyse par Norbert Elias du pouvoir de Hitler peut être rapprochée de celle d’Ian Kershaw dans Hitler, Londres, Longman, 1991 ; trad. fr., id., Hitler : essai sur le charisme en politique, trad. de l’angl. par Jacqueline Carnaud et Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Gallimard, 1995. Bien qu’Elias privilégie le temps long, il emprunte lui aussi à Weber, qui considère le charisme non comme une qualité inhérente à un individu mais comme un attribut procédant de la manière dont cet individu est subjectivement perçu par ses adeptes (Max Weber, Wirtschaft und Gesellschaft : Grundriß der Verstehenden Soziologie, Tübingen, Paul Siebeck, 1922 ; trad. fr., id., Économie et société, trad. de l’all. par Julien Freund, Pierre Kamnitzer, Pierre Bertrand, Éric de Dampierre sous la dir. de Jacques Chavy et Éric de Dampierre, Paris, Plon, 1971, Pocket, 1995, t. 1, p. 321).
  • [31]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 330.
  • [32]
    Ibid., p. 331.
  • [33]
    Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, New York, Harcourt, Brace, 1951 ; trad. fr., id., Les Origines du totalitarisme, vol. 1: Le système totalitaire, trad. de l’angl. par Jean-Loup Bourget, Robert Davren et Patrick Lévy, Paris, Seuil, 1972, p. 219 ; Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », op. cit., p. 330.
  • [34]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 387.
  • [35]
    Ibid., p. 372-373.
  • [36]
    Hannah Arendt, op. cit., p. 32.
  • [37]
    Ibid., p. 37.
  • [38]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 372-373.
  • [39]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence », The German…, op. cit., p. 178.
  • [40]
    Ibid., p. 190.
  • [41]
    La notion d’habitus est utilisée par Elias dès les années 1930, pour contourner l’essentialisme et le statisme induits selon lui par la notion de caractère national.
  • [42]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 18.
  • [43]
    Voir, à ce sujet, Guillaume Devin, « Norbert Elias et l’analyse des relations internationales », Revue française de science politique, 45 (2), 1995, p. 305-327.
  • [44]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence », The Germans…, op. cit., p. 186 sq.
  • [45]
    Ibid., p. 228.
  • [46]
    Herbert Marcuse, « Qu’est-ce que le national-socialisme ? » [1942], Le Monde diplomatique, octobre 2000, p. 26-27.
  • [47]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 7 sq.
  • [48]
    Ibid., p. 2-3.
  • [49]
    Ibid., p. 8.
  • [50]
    Ibid., p. 6.
  • [51]
    Ibid.
  • [52]
    Ibid., p. 13-15.
  • [53]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence », The Germans…, op. cit., p. 179-182.
  • [54]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 328.
  • [55]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 7-13.
  • [56]
    Norbert Elias, « Civilization and Informalization », The Germans…, op. cit., p. 44-119 (« Duelling and Membership of the Imperial Ruling Class : Demanding and Giving Satisfaction »).
  • [57]
    Norbert Elias, « Civilization and Violence », The Germans…, op. cit., p. 207-213 (« The Pro-War Literature of the Weimar Republic : Ernst Jünger »).
  • [58]
    Ibid., p. 189.
  • [59]
    Ibid., p. 197.
  • [60]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 379.
  • [61]
    Norbert Elias, « Notes biographiques », The Germans…, op. cit., p. 154.
  • [62]
    Ibid., p. 152-155.
  • [63]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 309. Elias s’inscrit en faux contre la vision de Zygmunt Bauman, qui conçoit cette identification comme le fondement « naturel » d’une conduite « morale » mise en péril par la modernité (voir Eric Dunning, « Norbert Elias, la civilisation et la formation de l’État », in Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. 43). Pour Elias, c’est en vertu de certaines valeurs (d’un certain procès de socialisation) que l’identification à l’autre en est venue à nous sembler « morale » et « naturelle », bonne et nécessaire ; c’est en vertu d’autres valeurs (d’un autre procès de socialisation) que les nazis étaient persuadés du bien-fondé de leurs actes.
  • [64]
    Norbert Elias, « The Breakdown of civilization », The Germans…, op. cit., p. 308.
  • [65]
    Norbert Elias, « Introduction », The Germans…, op. cit., p. 7.
  • [66]
    Abram de Swaan, « La dyscivilisation, l’extermination de masse et l’État », in Yves Bonny, Jean-Manuel De Queiroz et Erik Neveu (dir.), op. cit., p. 67.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    Ibid. La compartimentation typique des sociétés dyscivilisées serait incompatible avec le procès d’informalisation (voir Cas Wouters, « Formalization and Informalization : Changing Tension Balances in Civilizing Processes », Theory, Culture and Society, 3 (2), 1986, p. 1-21), dans lequel la négociation remplace une gestion des relations fondée sur des ordres. En effet, les sociétés dyscivilisées sont forcées de développer des formes de contrôle puissantes mais rigides – qu’on songe à nouveau à l’analyse du duel : « Des codes de conduites et d’expression très élaborés sont entretenus dans le moindre détail, jusqu’au point où l’on franchit le seuil et où l’on entre dans le compartiment de la barbarie, où toutes les formes de cruauté et de sauvagerie sont permises, jusqu’à ce que l’on quitte cette réserve de nouveau pour retrouver sa conduite contrôlée, comme si rien ne s’était passé : voilà comment se présente un comportement dyscivilisé » (Abram de Swaan, op. cit., p. 70).
  • [69]
    Voir notamment Loïc Wacquant, « Dé-civilisation et diabolisation : la mutation du ghetto noir américain », in Christine Fauré et Tom Bishop (dir.), L’Amérique des Français, Paris, François Bourin, 1993, p. 103-125 ; id., « Elias dans le ghetto noir », Politix, 56, 2002, p. 209-218.
  • [70]
    Abram de Swaan, op. cit., p. 70.
  • [71]
    Ibid.
  • [72]
    Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 225.
  • [73]
    Ibid., p. 216.
  • [74]
    Voir Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, op. cit., p. 299-318.
  • [75]
    Voir déjà « Die Vertreibung der Hugenotten aus Frankreich », Der Ausweg, 1 (2), 1935, p. 369-376, cité dans Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 219.
  • [76]
    Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, trad. de l’all. par Yasmin Hoffman, Aix-en-Provence, Pandora, 1991, Paris, Pocket, 1993, p. 76 sq.
  • [77]
    C’est la définition même de la « double contrainte » ou du « double lien » (double bind) emprunté à la psychologie de Gregory Bateson. Voir Norbert Elias, Engagement et distanciation : contributions à la sociologie de la connaissance, avant-propos de Roger Chartier, trad. de l’all. par Michèle Hulin, Paris, Fayard, 1993, « Les pêcheurs dans le Maelström », p. 74 sq.
  • [78]
    Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 223.
  • [79]
    Voir Hannah Arendt, Eichmann in Jerusalem : A Report of the Banality of Evil, New York, Viking, 1963 ; trad. fr., id., Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal, trad. de l’angl. par Anne Guérin, Paris, Gallimard, « Témoins », 1966. Christopher Browning défend sur ce point une thèse fort proche dans Christopher R. Browning, Ordinary Men : Reserve Police Battalion 101 and the Final Solution in Poland. A Study of German Ordnungspolizei, New York, HarperCollins, 1992 ; trad. fr., id., Des hommes ordinaires : le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne, préf. de Pierre Vidal-Naquet, trad. de l’angl. par Élie Barnavi, Paris, Les Belles Lettres, 1994, 10/18, 1996, p. 107.
  • [80]
    Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 225.
  • [81]
    Stephen Mennell, Norbert Elias…, op. cit., p. 248.
  • [82]
    Ibid.
  • [83]
    Norbert Elias, Engagement et distanciation…, op. cit., p. 7-68.
  • [84]
    Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. 1.
  • [85]
    Norbert Elias, entretiens avec Arend-Jan Heerma van Vors et Abram von Stolk, op. cit., p. 100.
  • [86]
    Ibid., p. 70, 99.
  • [87]
    Voir la préface d’Eric Dunning et Stephen Mennell à Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. xv.
  • [88]
    Voir sir Edmund Leach, « Violence », London Review of Books, 23 octobre 1986, cité par Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 215 ; voir aussi Ian Burkitt, « Civilization and Ambivalence », British Journal of Sociology, 47 (1), 1996, p. 136-150 ; Zygmunt Bauman, Modernity and the Holocaust, Ithaca, Cornell University Press, 1989 ; trad. fr., id., Modernité et holocauste, trad. de l’angl. par Paule Guivarch, Paris, La Fabrique, 2002, p. 181 sq.
  • [89]
    Norbert Elias, « The Breakdown of Civilization », The Germans…, op. cit., p. 314.
  • [90]
    Stephen Mennell, « L’envers de la médaille… », op. cit., p. 215-216.
  • [91]
    Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, op. cit., p. 300-301.
  • [92]
    Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 245.
  • [93]
    Stephen Mennell, Norbert Elias…, op. cit., p. 246.

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