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Article de revue

Le processus de civilisation et la peine capitale aux États-Unis

Pages 193 à 208

Notes

  • [1]
    Voir Pieter Spierenburg, The Spectacle of Suffering. Executions and the Evolution of Repression : From a Preindustrial Metropolis to the European Experience, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 ; David Garland, Punishment and Modern Society : A Study in Social Theory, Oxford, Oxford University Press, 1990 ; John Pratt, « Toward the “Decivilization” of Punishment », Social and Legal Studies, 7 (4), p. 487-515 ; id., Punishment and Civilization : Penal Tolerance and Intolerance in Modern Society, Londres, Sage, 2002 ; id., « Elias, Punishment and Decivilization », in John Pratt et al., The New Punitiveness : Trends, Theories, Perspectives, Devon, Willan Publishing, 2005 ; James Whitman, Harsh Justice : Criminal Punishment and the Widening Gap between America and Europe, New York, Oxford University Press, 2003 ; Barry Vaughan, « The Civilizing Process and the Janus-Face of Modern Punishment », Theoretical Criminology, 4 (1), 2000, p. 71-92.
  • [2]
    Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939. Ce livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975).
  • [3]
    Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 456.
  • [4]
    Ibid., p. 258-259 (traduction corrigée). Passages soulignés par l’auteur.
  • [5]
    Ce passage, et en partie ce qui suit, est inspiré de travaux antérieurs. Voir David Garland, op. cit.
  • [6]
    David Garland, The Culture of Control : Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford, Clarendon Press, 2001 ; John Pratt, « Toward the “Decivilization” of Punishment », op. cit. ; id., « The Return of the Wheelbarrow Men : or, the Arrival of Postmodern Penality », British Journal of Criminology, 40 (1), 2000, p. 127-145 ; James Whitman, Harsh Justice : Criminal Punishment and the Widening Gap between America and Europe, New York, Oxford University Press, 2003 ; Leon Radzinowicz, « Penal Regressions », Cambridge Law Jounal, 50, 1991, p. 422-444.
  • [7]
    John Pratt, « Toward the “Decivilization” of Punishment », op. cit. ; Barry Vaughan, « The Influence of Norbert Elias upon Criminology », Figurations, 15, 2001.
  • [8]
    Pour une discussion plus approfondie du concept de décivilisation, voir John Fletcher, Violence and Civilization, Cambridge, Polity Press, 1997 ; John Pratt, « Elias, Punishment and Decivilization », op. cit.
  • [9]
    Les dispositifs américains contemporains font 1) que la peine capitale est rarement prononcée, en dépit du taux élevé d’homicides ; 2) que même là où la peine de mort est prononcée, les condamnés sont rarement exécutées, 66 % des jugements étant cassés après coup ; 3) que là où les exécutions ont lieu, elles se déroulent en moyenne douze ans après la condamnation ; 4) que l’injection létale, technique d’exécution à présent en vigueur dans tous les États, est censée être une procédure médicale indolore ; et 5) que le processus menant à la peine capitale est extrêmement coûteux, bien plus que les formes de peines alternatives. Les opposants comme les partisans de la peine de mort s’accordent à dire que ces dispositifs minent les objectifs de dissuasion et de rétribution du système.
  • [10]
    Voir David Garland, Punishment and Modern Society…, op. cit. ; Pieter Spierenburg, The Spectacle of Suffering…, op. cit.
  • [11]
    V.A.C. Gatrell, The Hanging Tree : Executions and the English People, 1770-1868, Oxford, Oxford University Press, 1994.
  • [12]
    Louis Masur, Rites of Execution : Capital Punishment and the Transformation of American Culture, 1776-1865, New York, Oxford University Press, 1984 ; V.A.C. Gatrell, op. cit. ; Stuart Banner, The Death Penalty : An American History, Cambridge, Harvard University Press, 2002.
  • [13]
    Norbert Elias débat de ces valeurs « civilisées » sur un ton à la neutralité étudiée, mais nous pourrions remarquer avec quelle précision il décrit une sensibilité typique de la classe moyenne occidentale avec son besoin névrotique de privauté, ses gênes à propos de tout ce qui touche au corps et son désir de se détourner des aspects les plus crus de la vie humaine.
  • [14]
    « La peine » par opposition à la vengeance, implique une autorité publique quelle qu’elle soit. Il faut donc opérer une distinction entre peine capitale et meurtre par vengeance ou entre factions. Les études portant sur les sociétés anciennes, qu’il s’agisse de la Grèce, de la Rome classique, etc., montrent très clairement que les exécutions étaient un outil courant du pouvoir étatique ou seigneurial. L’exécution publique comme spectacle était connu du monde antique. Elle est réapparue à la fin du Moyen Âge avec l’émergence des États. Voir Pieter Spierenburg, The Spectacle of Suffering, op. cit.
  • [15]
    Les développements ici mentionnés sont surtout de nature légale et institutionnelle et ne rendent pas compte des changements de signification de l’institution au plan culturel.
  • [16]
    Louis Masur, op. cit. ; Michael Madow, « Forbidden Spectacle : Executions, the Public and the Press in Nineteenth Century New York », Buffalo Law Review, 43, 1990 ; Stuart Banner, op. cit.
  • [17]
    John Galliher, Larry Koch, David Keys et Teresa Guess (dir.), America Without the Death Penalty : States Leading the Way, Boston Northeastern University Press, 2002.
  • [18]
    William Miller, « Clint Eastwood and Equity : Popular Culture’s Theory of Revenge », in Austin Sarat et Thomas R. Kearns (dir.), Law in the Domains of Culture, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1998.
  • [19]
    Atkins v. Virginia (2002) ; Roer v. Simmons (2005).
  • [20]
    Je suis reconnaissant à Stephen Mennell de ses remarques sur ce point.
  • [21]
    Trente-huit États élisent leurs juges. Parmi les douze États qui n’élisent pas la plupart de leurs juges (le Connecticut, le Delaware, Hawaii, le Maine, le Massachusetts, le New Hampshire, le New Jersey, Rhode Island, la Caroline du Nord, le Vermont et la Virgine), seuls trois ont eu recours à la peine capitale depuis 1976 et la plupart sont abolitionnistes. Voir Jed Shugerman, « The People’s Courts ; Elected Judges and Judicial Independence in America », non publié, communiqué par l’auteur.
  • [22]
    Robert Lerner, Athea Nagai et Stanley Rothman, American Elites, New Haven, Yale University Press, 1996 ; Joachim Savelsberg, « Knowledge, Domination, and Criminal Punishment », American Journal of Sociology, 99, 1994, p. 911-943.
  • [23]
    Les conflits de race et de classe constituent évidemment une variable et non une constante. Les relations entre les races et les classes varient dans l’espace et dans le temps. Elles sont influencées par les formes qu’emprunte la compétition économique et politique et par d’autres problèmes spécifiques comme les niveaux de criminalité et de désordre, les luttes pour les droits civiques, etc. (Voir William Wilson, The Declining Significance of Race : Blacks and Changing American Institutions, Chicago, Chicago University Press, 1980)
  • [24]
    Pour trouver des preuves du fort taux d’homicides américain, voir Leonard Beeghley, Homicide : A Sociological Explanation, New York, Rowman & Littlefield, 2003, p. 49 ; Eric Monk-konen, « Homicide Explaining America’s Exceptionalism », American Historical Review, février 2006, p. 82 ; Douglas Eckberg, « Estimates of Early Twentieth Century U.S. Homicide Rates », Demography, 32 (1), 1995, p. 1-16, p. 14. Norbert Elias affirme que les structures de contrôle de la violence au niveau individuel et au niveau de l’État se conditionnent mutuellement et qu’elles doivent être considérées de concert. Il faudrait donc voir un lien entre la violence criminelle et la peine capitale aux États-Unis : entre les niveaux relativement non contraints de violence révélés par le taux d’homicides et l’usage relativement peu restreint de la violence pénale par les États américains.
  • [25]
    Norbert Elias note que les mœurs peuvent se déliter en temps de guerre, dans des situations d’urgence et quand la sécurité disparaît. La « guerre contre la criminalité » va à l’encontre de l’élan civilisateur dans le cadre de la justice criminelle. Le recours à la métaphore guerrière s’oppose aux métaphores « civilisatrices ».
  • [26]
    Voir V.O. Keys, Southern Politics in State and Nation, New York, Knopf, 1949.
  • [27]
    Stuart Banner, op. cit. ; William Bowers, Legal Homicide : Death as a Punishment in America, 1864-1982, Boston, Northeastern University Press, 1984.
  • [28]
    David Garland, « Penal Excess and Surplus Meaning : Public Torture Lynching in 20th Century America », Law & Society Review, 39, 2005, p. 795-834.
  • [29]
    Franklin Zimring, The Contradictions of American Capital Punishment, New York, Oxford University Press, 2003.
  • [30]
    Voir David Jacob et Jason Carmichael, « The Political Sociology of the Death Penalty : A Pooled Time-Series Analysis », American Sociological Review, 67 (1), p. 109-131 ; id., « Ideology, Social Threat and the Death Sentence : Capital Sentences across Time and Space », Social Forces, 83 (1), p. 249-278.
  • [31]
    Voir Franklin Zimring, op. cit. Dans certains de ces pays (comme le Royaume-Uni, la France ou la Canada) les contraintes institutionnelles pesant sur la réforme par les élites étaient moins fortes qu’aux États-Unis. Dans d’autres (comme l’Italie, l’Espagne ou la RFA), le poids des événements historiques (en l’occurrence, le renversement de régimes autoritaires) a desserré les contraintes existantes et permis l’abolition. Zimring suggère que c’est seulement dans des contextes révolutionnaires, quand le vieux régime est rejeté, qu’une majorité du peuple se prononce en faveur de la suppression de la peine capitale.
  • [32]
    Le Congrès pourrait bien évidemment abolir la peine capitale au niveau fédéral. Il pourrait aussi utiliser plusieurs mécanismes pour faire pression sur le parlement des États. Mais seul un amendement constitutionnel ratifié par des super-majorités au Congrès et par trois quarts des États pourrait conduire à une abolition au plan national.
  • [33]
    Voir Pieter Spierenburg, « Democracy Came Too Early : A Tentative Explanation for the Problem of American Homicide », American Historical Review, 111 (1), février 2006, p. 104-114.
  • [34]
    Pour une tentative intéressante d’application de la théorie de Norbert Elias aux États-Unis, voir Stephen Mennell, The American Civilizing Process, Cambridge, Polity Press, 2007.
  • [35]
    Voir Cas Wouters, Informalization : Manners and Emotions since 1890, Londres, Sage, 2007.
  • [36]
    V.A.C. Gatrell établit une distinction nette entre ce qui émane de la compassion et ce qui est lié à l’aversion face à la violence. (V.A.C. Gatrell, op. cit.)
  • [37]
    Voir les passages à la fin de Über den Prozess der Zivilisation, où cet aspect normatif, voire téléologique, apparaît très clairement. (Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, op. cit.)
  • [38]
    David Garland, Punishment and Modern Society…, op. cit.
  • [39]
    La traduction, française et anglaise du terme « figuration » employé par Norbert Elias soulève un problème depuis longtemps. « Configuration » s’est imposé comme un équivalent pertinent, d’ailleurs utilisé par Elias lui-même dans certains de ses textes anglais. Il est cependant revenu dessus au début des années 1960 : le préfixe « con- » (du latin com, cum, « avec ») donnait selon lui à la notion un caractère systémique qu’il voulait éviter et suggérait que la figuration s’effectuait « avec » quelque chose d’autres (alors qu’au contraire, il voulait évoquer par là les figurations en elles-mêmes, pour définir la forme des relations sociales d’un groupe, un lieu, ou à une époque donnée). Les termes « figuration », « figurational » ont été adoptés en anglais, et sont devenus plus courants aujourd’hui (sur ces précisions, voir Stephen Mennell, « Figurational Sociology », in George Ritzer (dir.), Encyclopaedia of Social Theory, Londres, Sage, 2004, vol. 1, p. 279-280). Nous avons décidé de respecter les choix des auteurs, traduisant « figuration », « figurational », par « figuration », « figurationnel » lorsqu’il était employé, et laissant « configuration » lorsque le terme était utilisé dans le texte initial.
  • [40]
    Norbert Elias, La Société de cour, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1974.
  • [41]
    Norbert Elias, Engagement et distanciation : contributions à la sociologie de la connaissance, avant-propos de Roger Chartier, trad. de l’all. par Michèle Hulin, Paris, Fayard, 1993.
  • [42]
    Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l’exclusion : enquête sociologique au cœur des problèmes d’une communauté, avant-propos de Michel Wieviorka, trad. de l’angl. par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Fayard, 1997.
  • [43]
    Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, trad. de l’all. par Yasmin Hoffman, Aix-en-Provence, Pandora, 1981.
  • [44]
    Voir Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, op. cit.
  • [45]
    Voir David Garland, Peculiar Institution : America’s Death Penalty in an Age of Abolition, Cambridge, Harvard University Press, 2010.

1Le maintien de la peine de mort aux États-Unis semble apporter un cruel démenti aux prédictions de Norbert Elias qui affirmait que la civilisation des mœurs tendait à refouler les pratiques barbares. Faut-il dès lors adapter le schéma du sociologue allemand à la réalité états-unienne ou admettre, tout bien considéré, que sa théorie, valable pour l’Europe de l’Ouest, ne saurait s’appliquer à une démocratie américaine qui a emprunté un chemin différent des grandes nations occidentales ? Ce rejet ne doit pas pour autant aboutir à mésestimer les apports théoriques et méthodologiques que livre l’œuvre d’Elias.

2Les chercheurs ont montré ces dernières années que la théorie du processus de civilisation de Norbert Elias fournissait un cadre adéquat à l’étude de la peine et du contrôle pénal. À commencer par Pieter Spierenburg et son travail sur l’histoire pénale, plusieurs auteurs, dont moi-même, ont utilisé cette théorie pour mettre en lumière les caractéristiques des institutions pénales modernes et la manière dont elles évoluent au cours du temps [1]. Quand elle est bien utilisée, et en combinaison avec d’autres cadres théoriques, cette approche éliassienne souligne le rôle que jouent la culture et la sensibilité dans la définition de la peine, nous aidant à comprendre l’évolution historique des institutions sociales par lesquelles les délinquants (offenders) sont punis et contrôlés.

3Dans son œuvre en deux volumes Über den Prozess der Zivilisation[2], Norbert Elias détaille la façon dont la sensibilité des élites occidentales a changé depuis la période médiévale, dévoilant un processus de civilisation à l’œuvre derrière la multitude de minuscules et graduels changements d’attitudes et de comportements révélés par les sources historiques. Dans cet ouvrage en particulier et dans son œuvre en général, Elias n’évoque guère la manière dont les formes que prend la peine (punishment) s’intègrent dans ces évolutions. Il présente quelques remarques sur la place de la potence dans le monde médiéval du chevalier : elle « fait partie du décor de sa vie, il n’y attache peut-être pas une grande importance, mais sa vue ne suscite en lui aucun sentiment de malaise. Les condamnations, les exécutions, la mort, tout cela est présent dans la vie de ces hommes » ; il note, à la première page de son ouvrage que « les méthodes de répression judiciaire » constituent l’un des faits sociaux auquel le terme civilisation se rapporte typiquement [3]. Mais on ne trouve rien de plus précis. L’analyse de l’évolution et des caractéristiques de la sensibilité moderne n’en conserve pas moins une réelle importance pour l’étude de la peine – une sphère de la vie sociale profondément affectée par les définitions de ce qui est ou non civilisé.

Qu’entendre par civilisation ?

4La conception que Norbert Elias propose de la civilisation renvoie à « une transformation spécifique du comportement humain » qui s’est inscrite au cours de l’histoire occidentale dans le sillage des sociétés guerrières du Moyen Âge, puis des formes sociales organisées autour des cours monarchiques d’abord, des marchés commerciaux ensuite. Provoquée par des changements sous-jacents dans l’organisation sociale du pouvoir, de la violence et des relations entre les groupes, cette transformation comporte plusieurs facettes liées entre elles : tout d’abord un renforcement du contrôle social et de la maîtrise de soi, une intensification des émotions sociales comme la honte et la gêne (en lien particulièrement avec les fonctions corporelles et les aspects les plus crus de la vie humaine), ainsi que l’adoption de manières de plus en plus raffinées.

5Norbert Elias explique bien que l’évolution des sensibilités, des inhibitions et des rituels culturels associés à la civilisation moderne s’étend sur une longue période temporelle, avec toutes les irrégularités et les vicissitudes que cela implique. Mais il identifie à un moment ce qu’il baptise « courbe de civilisation typique », qui résume en une sorte d’idéal-type les phases caractéristiques de ce processus de développement. Dans cette histoire en style télégraphique, il résume comment les manières de table des élites européennes et leurs méthodes pour découper la viande se sont civilisées au cours du temps :

6

« La tendance générale à soustraire à la vue de la société ce qui pourrait offenser sa sensibilité s’applique – si l’on fait abstraction de quelques exceptions – aussi au dépeçage de l’animal entier. Ce dépeçage faisait jadis partie […] de la vie sociale de la couche supérieure. Mais peu à peu, la vue du dépeçage fut ressentie comme pénible. Le dépeçage comme tel ne pouvait être supprimé puisqu’il faut bien découper l’animal que l’on veut manger. Mais ce qui offense la sensibilité est relégué maintenant dans la coulisse, loin de la vie sociale. Des spécialistes s’en chargent au magasin ou à la cuisine. Nous verrons à nouveau à quel point ce geste d’isolement, ce déplacement dans la coulisse de ce qu’on ressent comme pénible, est caractéristique de tout processus que nous désignons par le mot de “civilisation”. La courbe qui aboutit, du dépeçage des grands animaux ou de grands morceaux de viande sur la table en passant par la progression du seuil de sensibilité face à la vue de l’animal mort, au déplacement de l’opération dans des enceintes spécialisées, est une courbe typique de civilisation [4]. »

7Outre qu’il résume quelques éléments clés de la théorie d’Elias – le recul grandissant devant la violence physique, le raffinement des manières, l’entrée dans la sphère privée de conduites autrefois publiques, l’apparition d’enclaves institutionnelles où des spécialistes accomplissent les tâches désormais considérées comme répugnantes –, ce paragraphe montre également à quel point l’histoire de la peine se conforme au schéma d’évolution du sociologue.

8Si on lit ce passage en conservant une vue d’ensemble de l’histoire pénale, plusieurs parallèles apparaissent clairement. Sur la même période de temps, les mœurs pénales ont connu une série de changements très similaires. Au début de la période moderne, la peine capitale et les châtiments corporels étaient exécutés en public. Le rituel de l’exécution capitale et l’exhibition des souffrances du délinquant appartenaient à la vie sociale. Plus tard, aux 17e et 18e siècles, les élites culturelles commencèrent à trouver répugnante la vue de ces spectacles. Elles persuadèrent les autorités de l’État d’interrompre les exécutions publiques et de placer l’échafaud dans les cours de prison, les reléguant ainsi dans « les coulisses » de la vie sociale. On trouva ensuite détestable l’idée même de soumettre les délinquants à la violence physique. Peine capitale et châtiments corporels furent largement abolis, pour être remplacés par des peines de prison, de la surveillance et des amendes, sans violence ou atteinte corporelle ostensibles. Dès le milieu du 20e siècle, les institutions pénales de nombreux pays occidentaux avaient banni les peines rétributives, considérées comme des actes barbares et honteux. Ils les remplacèrent par le correctionalisme et la réhabilitation – des idéologies professionnelles qui présentent le traitement pénal non pas comme une punition mais comme une forme d’éducation et de thérapie [5].

9Au lieu de s’intégrer à la vie quotidienne et de s’insérer dans l’espace public, les peines infligées aux délinquants se déroulèrent alors dans des enclaves spécialisées (cellules de la police, prisons, centres de probation) à l’abri des regards. La déviance criminelle fut progressivement traitée « en coulisse », ce qui réduisit fortement la visibilité sociale des peines. Comme l’abattage et le découpage des animaux, les peines subies par les délinquants disparurent derrière le rideau, la violence résiduelle devint déguisée et cachée. Ce que l’on avait jadis considéré comme un spectacle édifiant et distrayant devint quelque peu honteux et gênant.
Avec la peine « civilisée » du milieu du 20e siècle, la souffrance ne s’exerçait plus sous des formes physiques brutales. Les châtiments corporels disparurent pratiquement, pour être remplacés par des sanctions plus abstraites, moins corporelles, telles que privation de liberté ou de ressources financières. Du même coup, la violence ouverte de la peine rétributive se trouva cachée et niée par les routines administratives de froids professionnels. Dans les années 1960, l’approche réhabilitative du traitement des délinquants atteignit son apogée, ce qui entraîna une suspension des pulsions de vengeance et la mise en action de hauts niveaux de retenue émotionnelle et de détachement, de la part des fonctionnaires du système pénal mais aussi de la part du public, qui approuvait ces méthodes pénales « rationnelles » leur permettant de déplacer leurs pulsions vengeresses les plus primitives.

Le maintien de la peine de mort : civilisation ou décivilisation des mœurs ?

10La coïncidence entre la théorie du processus de civilisation et l’évolution de l’histoire pénale occidentale apparaît rétrospectivement être la plus forte au début des années 1970, une période qui correspond à l’apogée de l’État providence aux États-Unis comme dans la plupart des pays d’Europe occidentale. Depuis, les politiques et la culture sont redevenues plus conservatrices, donnant lieu en retour à des méthodes pénales plus punitives qui, très souvent, tranchent avec le récit « civilisateur » [6].

11Si les travaux sur la peine et l’histoire pénale ont dans un premier temps montré la fertilité et la puissance heuristique des thèses de Norbert Elias, des études plus récentes, conduites dans le contexte d’une culture du contrôle plus répressive, ont montré certaines de leurs limites et ambiguïtés. Si l’évolution des méthodes pénales sur la longue durée avant les années 1960 ont paru parfaitement illustrer le processus de civilisation en action, les dernières évolutions paraissent atypiques et interpellent la théorie. Le retour à des méthodes punitives, à des peines sévères, à la peine de mort, voire à des châtiments corporels ne correspond pas à ce qu’avait prévu Elias et semble même inverser la tendance civilisatrice.

12Ces récentes régressions pénales (selon une expression employée par les criminologues progressistes) ont été théorisées par certains disciples de Norbert Elias comme un processus de décivilisation, un renversement de la tendance observée sur la longue durée dans l’Occident moderne [7]. À mon sens, on devrait éviter de recourir à ce concept trop facilement, car, ce faisant, tout le cadre conceptuel éliassien est remis en cause. Pour Elias, l’émergence des sensibilités civilisées et des manières raffinées étaient un effet culturel et psychologique des changements survenus dans la structure de l’organisation sociale ; il s’ensuit que tout retournement dans les sensibilités devrait correspondre à un changement structural de l’organisation sociale sous-jacente. En réalité, les sociétés qui manifestent le plus clairement un tournant répressif ne montrent par ailleurs aucun signe d’une diminution de l’exercice du monopole de la violence par l’État ou d’une réduction des chaînes d’interdépendance, les corrélats structuraux qu’Elias identifie comme les fondements matériels d’une société civilisée [8].
Le recours aux idées de Norbert Elias pour expliquer l’histoire pénale du 20e siècle a donc produit des résultats mitigés : certaines analyses semblant confirmer et étendre la théorie, d’autres la remettant en question. Dans mes propres travaux sur la peine capitale aux États-Unis, je me suis servi de ses idées, d’une manière qui me paraît affiner notre compréhension des changements survenus dans le meurtre d’État (state killing). Mais tout en développant mes interprétations, je me suis aussi rendu compte des limites de certaines des théories d’Elias, du moins quand elles sont appliquées à ce domaine particulier. Au total, bien que le processus de civilisation fournisse un cadre théorique utile pour penser la transformation de la peine capitale sur la longue durée, il ne peut, sans d’importantes modifications, servir de base à une étude comparative plus détaillée du cas américain, certes atypique, mais hautement révélateur. Je montrerai que plusieurs raisons peuvent expliquer cette relative inadéquation du cadre théorique éliassien à la situation américaine. Mais montrons tout d’abord de quelles manières il pourrait néanmoins éclairer notre enquête.

De la peine capitale aux États-Unis

13Deux raisons surprennent les observateurs qui se penchent sur la peine capitale aux États-Unis au 21e siècle. La première concerne les procédures légales et administratives au travers desquelles elle est mise en œuvre ; de nombreux commentateurs sont frappés par leur inadaptation aux objectifs traditionnels de la justice criminelle [9]. La seconde concerne la persistance de la peine capitale dans ce pays, alors que d’autres États l’ont résolument abandonnée. Comment expliquer les spécificités institutionnelles du système américain, d’une part, et la place particulière des États-Unis parmi les autres nations, d’autre part ? Je tenterai d’esquisser une réponse éliassienne à ces questions, avant d’en pointer certaines lacunes.

14Qu’est-ce qu’un processus de civilisation ? Comme je l’ai précisé, il s’agit de l’analyse théorique des changements sociaux et culturels sur le long terme, l’accent étant placé sur l’histoire et la dynamique sociale des États-nations occidentaux. L’expression de processus de civilisation est malheureuse. Norbert Elias la voulait neutre, mais elle n’est évidemment pas totalement dénuée de jugement de valeur. Nous pourrions, au contraire, la considérer comme un processus de réforme contre-majoritaire, du haut vers le bas, accompli par des élites politiques et culturelles que la quête d’un statut distinctif conduit à cultiver une sensibilité raffinée et « un point de vue scientifique détaché ». Je voudrais insister, comme Elias lui-même, sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un processus téléologique, d’une loi inéluctable d’évolution historique, mais plutôt d’un projet activement porté par des acteurs sociaux identifiables au sein d’un processus continu de lutte.

15Norbert Elias décrit le processus de civilisation comme une dynamique culturelle qui s’empare des aspects dérangeants, du côté animal de l’existence humaine (fonctions corporelles, folie, maladie, violence, mort), pour les transporter dans les coulisses de la vie sociale. Cette dynamique les place dans des lieux clos spécialisés et les entoure de sentiments de gêne et de dégoût, voire les interdit, en les cantonnant à la sphère de la déviance et du fantasme. Les exemples que choisit Elias concernent les manières de table, le crachat, les façons de se moucher, le comportement dans la chambre à coucher et la maîtrise de l’agressivité, mais sa théorie s’applique aussi fort bien aux châtiments des délinquants.

16Plutôt que d’appliquer un modèle éliassien tout fait, force est de le retravailler pour le rendre plus approprié à l’objet de notre analyse. À cette fin, je prends son explication des racines sociales des sensibilités raffinées, en la combinant à une approche plus foucaldienne de l’exercice du pouvoir [10]. J’émets l’hypothèse que les sentiments civilisés fonctionnent comme une force culturelle structurante dans l’histoire de la peine capitale, mais qu’ils sont d’autant plus puissants qu’ils s’ajoutent à des intérêts plus matériels [11]. Le déplacement du lieu d’exécution de la place publique à la cour de prison offre une bonne illustration. Ce déplacement transforme un événement ouvert, interactif, public, en un événement tombant sous le strict contrôle de l’État. Ce passage « dans la coulisse » d’un rituel public marque une évolution typique du processus de civilisation et c’est ainsi qu’il a été présenté par ses partisans [12]. Mais on peut aussi le voir comme un changement stratégique opéré par la puissance étatique. Le fait que la procédure se déroule désormais dans un lieu clos permettait un renforcement drastique du contrôle par les autorités et réduisait les possibilités pour les condamnés et leurs défenseurs de mettre en scène leur rébellion.
La tendance des fonctionnaires gouvernementaux à donner à l’exercice de la violence d’État un caractère plus « civilisé » est due en partie à l’esthétique de la sensibilité et en partie à la volonté de rendre cette violence plus discrète, la minimisation de la violence participant à la légitimation de la domination dans un contexte pacifié où le gouvernement prétend appuyer son pouvoir sur le consentement des gouvernés. Les réformes civilisatrices séduisaient les acteurs gouvernementaux, parce qu’elles renforçaient leur contrôle sur un événement délicat et sur sa signification sociale. Le pouvoir du raffinement, c’est là sa force, permettait le raffinement du pouvoir.
Suivant la théorie de Norbert Elias, les mécanismes sociaux présidant au processus de civilisation sont les suivants : 1) l’émergence d’États centralisés forts jouissant du monopole de la violence légitime et de l’impôt ; 2) des chaînes d’interdépendance (commerciale et sociale) toujours plus étendues permettant le développement des possibilités d’identification entre individus et la propagation du sentiment humanitaire ; et 3) la quête de la distinction culturelle qui pousse les élites de l’État à raffiner leur sensibilité, à s’imposer une maîtrise de soi croissante et à renforcer les exigences normatives pesant sur les classes inférieures. Le processus de civilisation est un mécanisme de transformation sociale qui, sur le long terme, produit des changements psychologiques, culturels et comportementaux spécifiques. Il est à l’origine des espaces privés caractéristiques de la société moderne (les toilettes, la chambre matrimoniale, la cellule de prison, la chambre d’hôpital et l’abattoir) et d’une tendance psychologique caractéristique qui pousse les gens cultivés à se détourner du spectacle de la souffrance, des fonctions corporelles et de la violence physique. Les émotions qui le caractérisent sont la répugnance et le dégoût combinés au dédain pour ceux dont la sensibilité n’est pas aussi raffinée [13].

Une civilisation de la peine capitale ?

17Quelles preuves démontrent-elles qu’un tel processus de civilisation a joué pour la peine capitale aux États-Unis ? La meilleure preuve nous est fournie par un fait : durant toute la période moderne, au moins jusqu’aux années 1970, l’histoire américaine de la peine capitale a manifesté tous les critères classiques propres à la trajectoire civilisatrice, suivant une direction de changement correspondant largement à celle prédite par la théorie générale de Norbert Elias, et, ajouterai-je, similaire à celle que les autres pays occidentaux suivirent.

18Rappelons d’emblée que la peine capitale, l’exécution d’un criminel sous l’autorité du groupe, n’est pas une institution rare ou exotique lorsqu’on l’envisage dans la perspective à long terme que Norbert Elias adopte. Au contraire, cette pratique sociale est quasiment consubstantielle à la société humaine, même si l’émergence de l’État-nation au début de la période moderne semble avoir favorisé son développement et renforcé sa signification [14]. L’abolition de la peine de mort constitue donc une forte rupture avec l’histoire longue des sociétés humaines. Si nous pouvons nous étonner que certains pays (les États-Unis avant tout) conservent aujourd’hui encore cette pratique, nous devons aussi nous souvenir que les sentiments et les actions en faveur de l’abolition constituent des phénomènes qui nécessitent une explication et nous interroger : quels types de pensées, quels genres d’acteurs sociaux ont permis d’abord de restreindre puis d’interdire cette pratique largement répandue ? Cette enquête peut débuter par la description du mouvement qui a marqué sur le long terme l’histoire de la peine capitale à la période moderne, tout au moins en Occident.

19Cette trajectoire se présente ainsi : au début de la période moderne, la peine de mort était partout largement répandue, elle jouissait d’une légitimité incontestée, visait toutes sortes de crimes et de délinquants et s’offrait au regard de tous sous une forme plus ou moins brutale. À partir du 17e siècle, l’institution, lentement modifiée, se raréfia avant d’être abolie [15]. Onze phases clés scandent ce déclin : 1) l’abolition des peines aggravées ; 2) une gamme réduite de crimes et de criminels passibles de la peine capitale ; 3) l’émergence de discours normatifs – dont la raison des Lumières, le libéralisme et l’humanitarisme – qui contestaient l’institution ; 4) un passage de la peine capitale aux peines de prison et à leurs disciplines « correctives » et soustraites aux regards ; 5) le retrait progressif des exécutions de l’espace public pour les faire entrer d’abord dans les cours de prison, puis dans les chambres d’exécution à l’intérieur de la prison de chaque État ; 6) l’adoption de techniques conçues pour accélérer la mort et réduire la souffrance ; 7) un déclin séculaire du nombre d’exécutions ; 8) le remplacement des peines capitales obligatoires par des peines discrétionnaires ; 9) la réduction encore plus forte du champ des crimes passibles de la peine capitale, excluant tout crime autre que le meurtre aggravé ; enfin, 10) le mouvement en faveur de l’abolition totale, d’abord de facto, puis 11) de jure, mouvement qui a culminé avec les accords légaux transnationaux interdisant la condamnation à mort au nom des droits humains fondamentaux. Comme toutes les transformations sur le long terme, des interruptions et des régressions marquèrent un processus caractérisé par des variations et une évolution irrégulière. Néanmoins doté des caractéristiques d’un changement au long cours, il se lit aussi dans d’autres domaines connexes, tels que le déclin des châtiments corporels, l’interdiction du duel et des sports sanguinaires ainsi que l’amélioration du traitement des animaux.

20Ces développements historiques intervinrent aux États-Unis comme dans le reste du monde occidental. Les États-Unis furent même à certains égards à l’avant-garde de cette tendance. La Pennsylvanie du 18e siècle réserva la peine capitale aux meurtres et le Michigan l’abolit en 1846, bien avant nombre de pays européens. Les exécutions se déroulèrent dans des espaces fermés dès les années 1830 et des techniques soi-disant plus humaines (la chaise électrique par exemple) furent inventées dans les années 1880.

21La théorie éliassienne du processus de civilisation prédit correctement ce mouvement, tout en montrant la dynamique et le caractère des processus spécifiques de réforme décrits par les historiens qui ont étudié ces moments de transformation dans le détail [16]. Et la sociologie de Norbert Elias, dans sa globalité (son analyse de la dynamique des groupes, des individus établis et des marginaux, de l’identité et de ses limites, de l’engagement et du détachement), rend bien compte des forces sociales à l’œuvre lors de ces épisodes (le rôle dominant des élites ; les contrôles sociaux visant l’autocontrôle ; l’investissement de l’espace privé ; le refoulement du plaisir pris à la souffrance des autres, même quand il s’agit de délinquants ; la transformation de rituels publics en pratiques administratives accomplies par des spécialistes, mais aussi des motivations exprimées des acteurs impliqués et, surtout, du discours explicitement « civilisateur » par lequel ces questions étaient typiquement présentées.

22Le rôle des élites réformatrices, l’importance de l’identification mutuelle entre les individus et les groupes sociaux, etc. : autant de thèmes éliassiens qui semblent s’appliquer aux États américains qui ont effectivement aboli la peine de mort. Comparés avec des États du Sud ou de l’Ouest, les États abolitionnistes (Minnesota, Iowa, Maine, Dakota du Nord, Vermont, Rhode Island et Wisconsin, auxquels s’ajoute même le Michigan au milieu du 19e siècle) avaient des populations relativement homogènes et des institutions politiques qui permettaient à leurs dirigeants d’abolir la peine capitale, bien qu’une majorité de citoyens s’y opposât [17].

23La description que propose Norbert Elias de l’évolution des interdits et des normes sociales nous aide aussi à comprendre l’étrange statut culturel de la vengeance dans les États-Unis contemporains. Dans le contexte de la peine capitale, la vengeance est devenue un désir officiellement ignoré et effacé des discours, mais elle constitue indéniablement un fait social opératoire et un soutien institutionnel [18]. Censée ne tenir aucun rôle dans le fonctionnement de la loi ou les motivations des acteurs judiciaires, elle constitue cependant l’une des forces psychiques et culturelles qui confère à la peine capitale son énergie et son attrait.

24Lorsqu’une réaction humaine jadis « standard » est repoussée par les normes de la société policée dans les marges subliminales de la culture officielle, lorsqu’elle est recouverte par les euphémismes (« rétribution » au lieu de « vengeance ») – cachés dans le sous-texte des déclarations publiques –, et ne s’exprime ouvertement que dans les comportements détestables de foules vulgaires (qui organisent des soirées dans les parkings des prisons pour fêter les exécutions qui se déroulent à l’intérieur), alors nous savons qu’un processus de civilisation est à l’œuvre. Loin d’être un principe archaïque ou inconnu, le meurtre par vengeance forme un thème « classique » de notre culture qui inspire les westerns, les romans de gare, les films de gangsters, tout autant que le théâtre classique et shakespearien. C’est une réalité de la vie dans de nombreux quartiers livrés à eux-mêmes et dans l’économie de la drogue. Le plus étrange est que l’on puisse encore le nier, en particulier dans le cas du châtiment infligé au responsable d’un crime odieux (heinous muderer). Les autorités légales et les représentants de l’État y consacrent pourtant beaucoup d’énergie.

25La théorie de Norbert Elias nous aide aussi à comprendre la dynamique à l’œuvre dans les tribunaux, où l’avocat de la défense cherche à encourager un processus d’identification compassionnelle entre les jurés et l’accusé, tandis que le procureur le décrit comme un dangereux marginal qui menace le groupe plutôt qu’il n’y appartient.

26Enfin, la description par Norbert Elias des institutions civilisées de la société moderne (avec leurs enclaves à l’écart des regards, peuplées de spécialistes, où règnent des sentiments de gêne et de dégoût, l’euphémisme et le déni) s’applique parfaitement aux étranges protocoles d’exécution créés dans l’Amérique contemporaine. Le dégoût inspiré par la vision d’un corps souffrant, même celui d’un abominable meurtrier, ainsi que la volonté des agents de l’État de ne pas être vus exerçant leur pouvoir dans toute sa cruauté, a transformé un rituel public violent en une procédure invisible dont la souffrance physique a été pratiquement effacée, une procédure inspirée non par un discours de violence d’État mais par des gestes de sollicitude légale et médicale.
Nombre de raisons incitent à penser qu’un processus de civilisation (ou, plus précisément, un projet de réforme culturelle et politique mené par une élite) a pu être facteur d’évolution du système pénal américain. En outre, le processus de civilisation ne s’est pas totalement arrêté aux États-Unis. De nombreuses évolutions récentes semblent être en phase avec cette dynamique à long terme : ainsi, la disparition progressive d’anciennes méthodes d’exécution telle que la chaise électrique, désormais considérée comme barbare, ou d’autres cas récents où la Cour suprême a déclaré anticonstitutionnelle l’exécution de certains types de délinquants, comme les jeunes adolescents ou les déficients mentaux [19].
Mais, si l’histoire pénale américaine semble correspondre au récit éliassien, qu’en est-il de l’époque actuelle ? Le fait pénologique le plus flagrant concernant les États-Unis aujourd’hui est qu’ils conservent la peine de mort, alors que la plupart des autres pays occidentaux l’ont résolument abandonnée. Comment une théorie du processus de civilisation explique-t-elle ce phénomène ? Dans un premier temps, on pourrait voir dans le système politique américain et ses contraintes institutionnelles ce qui limite l’impact du processus de civilisation, du moins dans les domaines du droit pénal et de la peine capitale. Ceci amène à examiner la notion de ce que nous pourrions appeler un processus de civilisation contraint.

Un processus de civilisation sous contraintes ?

27Qu’entendre par processus de civilisation contraint ? Je me réfère à certaines caractéristiques du cadre institutionnel ou de l’organisation sociale qui limitent la capacité ou la volonté des élites à faire passer des réformes contre-majoritaires qu’elles seraient par ailleurs prêtes à mettre en œuvre. Certes les processus de civilisation et les élans réformateurs subissent ce genre de contraintes en tout lieu et à toute époque, mais je voudrais montrer qu’à cet égard l’organisation politique et sociale des États-Unis oppose des résistances particulièrement puissantes [20].

28Ces contraintes trouvent leur origine dans le système politique décentralisé des États-Unis où cohabitent un gouvernement national limité et une multitude d’États locaux « souverains », dont certains sont beaucoup moins avancés et moins démocratiques que le gouvernement central. Ces contraintes sont inhérentes aux structures de représentation populistes du pays qui rendent les politiciens, les fonctionnaires, et même les juges au pénal directement comptables de leurs actions devant les électeurs [21]. Ces structures influencent les choix des dirigeants politiques, ainsi que la formation des élites économiques et culturelles, qui tendent à être également plus populistes dans leurs goûts et leurs façons de se mettre en scène que dans d’autres pays. Cette tendance, combinée à la grande diversité régionale, religieuse et ethnique de la population américaine, milite contre l’émergence d’élites dotées de la même cohésion que celles qui constituent l’establishment politique et culturel des pays européens [22].

29En outre, les formes propres aux États-Unis d’organisation sociale et de stratification raciale limitent la naissance de relations identificatoires ou empathiques entre les différents groupes de la population, tout comme par le passé, l’esclavagisme et les lois de ségrégation avaient pratiquement empêché toute forme de sociabilité interraciale. Une population diverse, aux ethnies multiples et aux différences religieuses marquées, rend plus difficile l’identification et la reconnaissance mutuelle. Cela apparaît non seulement dans la longue histoire américaine du racisme et de la division ethnique mais aussi dans la tolérance à l’égard des très fortes disparités économiques et dans le faible développement des institutions gouvernementales visant à assurer la solidarité [23].
Enfin, la persistance au cours du temps de taux de violence criminelle relativement élevés, et, en particulier, de taux élevés d’homicides, joue en défaveur du processus de civilisation dans le domaine de la peine capitale [24]. De forts niveaux de violence préviennent l’instauration d’un sentiment de sécurité et interdisent à la vision distanciée et dépassionnée, caractéristique des élites cultivées, de prévaloir sur la peur et le ressentiment populaires dans la mise en œuvre d’une politique. Des taux élevés de crimes violents (qui tout en variant au fil du temps furent particulièrement prononcés entre le milieu des années 1960 et le début des années 1990 et marquent depuis longtemps nombre de régions américaines, surtout dans le Sud) confèrent un tour passionnel au débat, qui va à l’encontre d’une analyse détachée et de réformes dites civilisatrices, surtout quand celles-ci sont présentées par leurs opposants comme susceptibles de nuire à la sécurité publique ou comme marquant un signe de faiblesse dans la « guerre contre la criminalité [25] ».

Une preuve par le Sud

30Quelles preuves avons-nous que ces « contraintes » ont eu des répercussions sur la peine capitale aux États-Unis ? Ces preuves nous sont fournies avant tout par le Sud, où le racisme a été le plus fort, les mécanismes démocratiques les moins poussés et les méthodes de gouvernement des États les moins professionnelles [26]. Des États comme le Kentucky ont pratiqué les exécutions publiques pour les délinquants noirs jusque dans les années 1930. De nombreux États sudistes ont conservé la peine de mort pour des délits autres que le meurtre (i.e. le viol ou le hold-up) jusque dans les années 1960, la peine capitale étant le plus souvent retenue à l’encontre des prévenus noirs accusés d’avoir violé une femme blanche [27]. Des années 1890 aux années 1930, les autorités de ces États sudistes sont restées sans intervenir à des centaines de reprises, alors que des foules blanches lynchaient des suspects noirs au cours d’actes de torture publics ressemblant aux châtiments médiévaux par leur cruauté et leur exhibitionnisme [28]. Dans tous ces cas, la haine raciale et la déshumanisation des hommes africains-américains, des États faibles et des mécanismes politiques populistes ont contribué à inverser ou à retarder la tendance aux réformes dites civilisatrices. La persistance de conditions similaires aujourd’hui encore pourrait expliquer pourquoi l’ensemble des anciens États esclavagistes et ségrégationnistes ont conservé la peine capitale et pourquoi, comme le montre Franklin Zimring, on constate le plus fort taux d’exécutions dans les États où le lynchage était le plus présent il y a cent ans [29]. Au Sud comme au Nord, ce sont les États où les divisions sociales et raciales sont les plus marquées, la politique la plus populiste et le gouvernement le moins professionnel, qui sont le plus susceptibles de conserver la peine de mort et d’y recourir le plus souvent [30].
Une contrainte forte pesant sur la réforme conduite par les élites ne s’est révélée qu’à un stade avancé du développement historique aux États-Unis. Dans d’autres sociétés occidentales, les dirigeants politiques avaient la volonté et la capacité de promulguer l’abolition de la peine capitale par la voie parlementaire, malgré la forte opposition de leur opinion publique. Quand le gouvernement socialiste de François Mitterrand a aboli la peine capitale en 1981, 73 % de la population française se prononçait en faveur de son maintien dans le cas de crimes graves. En Allemagne, elle fut abolie dans les années 1940, contre l’opinion des deux tiers de la population. En 1995, trente ans après l’abolition votée par le Parlement britannique pour les crimes ordinaires, 76 % de la population, selon les sondages, souhaitaient sa réintroduction. 65 % des citoyens canadiens exprimaient, la même année, une opinion identique. Les élites politiques de ces pays ont pu procéder à cette réforme grâce à des accords bipartisans et à la discipline des partis qui ont permis de soustraire le sujet à la compétition électorale. De plus, ils en avaient le pouvoir légal parce qu’il entrait dans les prérogatives de leur parlement national de promulguer des peines criminelles s’appliquant à l’ensemble de la nation [31].

Spécificités de la démocratie aux États-Unis

31La structure gouvernementale des États-Unis rend une réforme nationale de ce genre pratiquement impossible. Puisque la Constitution américaine donne la prérogative en matière de juridiction criminelle aux États plutôt qu’au gouvernement fédéral, le Congrès ne peut abolir la peine de mort que par le biais d’un amendement constitutionnel [32]. Le gouvernement américain ne dispose pas du mécanisme abolitionniste utilisé par la plupart des autres États occidentaux, une spécificité qui ne se révèle que dans la dernière phase de l’abolition. La divergence entre les États-Unis et le reste du monde occidental, une divergence qui ne date que de quelques décennies, est en partie due à cette spécificité institutionnelle.

32Cet argument est recevable. Mais la théorie du processus de civilisation présente à mes yeux d’importantes faiblesses qui ne sont pas surmontées, même si l’on corrige et l’on adapte la théorie dans le sens que je viens d’évoquer.

33Avant tout, la théorie de Norbert Elias semble adopter un modèle de formation de l’État qui est enraciné dans l’histoire européenne et qui ne correspond pas, à moins de lui faire subir d’importantes modifications, à la réalité de l’évolution politique (et pénologique) américaine. L’État-nation américain a vu, dès l’origine, sa portée et ses capacités strictement limitées. Son échec initial à désarmer la population et à accaparer le monopole de la violence a permis à la violence interpersonnelle et au pouvoir privé de se développer durablement ; sa structure radicalement décentralisée le place en relative situation de faiblesse vis-à-vis des affaires intérieures. De plus, le fait que la démocratie (masculine et blanche) ait précédé l’émergence d’une bureaucratie d’État centralisée signifie que la gouvernance a toujours été radicalement politisée et localisée, limitant du même coup le pouvoir des élites nationales et des fonctionnaires d’État [33]. Par conséquent, nombre des processus de civilisation qu’Elias associe aux élites libérales européennes ne se sont tout simplement jamais produits aux États-Unis.
Toute tentative d’appliquer le cadre éliassien à la nation américaine se heurte à d’importantes difficultés en raison de ces différences de fond. L’évolution et l’organisation spécifiques de l’État américain, les élites culturelles relativement fragmentées et moins puissantes qu’en Europe, les relations fondamentalement inégales et entravées par les différences raciales entre les groupes, la forte incidence de la violence entre personnes, etc., tous ces phénomènes cadrent mal avec la théorie éliassienne, qui les associent avec des formes d’organisations sociales moins complexes et moins interdépendantes [34]. En outre, l’histoire de la violence entre individus, entre groupes, entre races aux États-Unis dément le postulat éliassien tacite qui suggère que l’interdépendance sociale tend à produire de l’identification entre les individus, à accroître la compassion et à réduire la brutalité au sein de la société. La société américaine connaît depuis longtemps un marché développé caractérisé par de longues chaînes d’actions interdépendantes. Elle n’en reste pas moins violente et divisée.

Réviser la théorie ?

34Il est sans doute possible de réviser la théorie éliassienne à la lumière de la réalité américaine, tout comme elle l’a été pour se conformer aux nouvelles caractéristiques de la culture populaire informalisée [35]. Mais une telle révision risque de diluer la puissance explicative et prédictive de la théorie originale. Il s’agit de sauver la théorie plutôt que de résoudre le problème ; et ma proposition de processus de civilisation contraint me semble franchir cette borne. Nous avons besoin, pour comprendre la peine capitale aux États-Unis, d’un modèle heuristique plus américain, où la puissance étatique, les élites libérales et le raffinement des manières comptent moins et où le processus de civilisation est sans cesse contesté par des forces populistes et régionales.

35En outre, la description qu’opère Norbert Elias de la société et de la sensibilité civilisées modernes a été, dans une large mesure, rendue obsolète par les récents changements intervenus dans la culture populaire. La culture (populaire) dominante dans nos sociétés de médias de masse valorise l’exhibitionnisme plutôt que la pudeur, se repaît d’images crues et préfère mettre sur le devant de la scène les détails les plus intimes, plutôt que de les réserver à la « coulisse ». Les tabous concernant la mort et la violence subsistent peut-être, mais pas ceux liés au corps et à la sexualité. Les « coulisses » refoulées de la vie sociale peuvent de plus en plus être examinées au grand jour, parfois au service de la transparence politique, plus souvent pour tenir lieu de divertissement populaire.

36Par conséquent, la description éliassienne des manières et des sensibilités civilisées apparaît moins définir les caractéristiques culturelles nécessaires à une société interdépendante moderne que décrire les mœurs privilégiées d’une classe bourgeoise à un moment donné de l’histoire. Les formes culturelles que Norbert Elias qualifie de civilisées (la répulsion face aux corps et à la violence, la tendance à cacher certaines conduites embarrassantes dans les coulisses de la vie sociale, l’intensification des sentiments de honte, de dégoût et de gêne socialement induits) sont plus contingentes et plus éphémères qu’il ne le suppose. En tant que formes culturelles, il vaut mieux les envisager comme reflet des sensibilités propres à certaines élites sociales, avant tout les classes moyennes bourgeoises – à un moment donné de l’histoire de l’Occident, plutôt que comme les caractéristiques culturelles structurellement requises des sociétés modernes différenciées. Mais cette évolution culturelle n’est pas un problème de décivilisation, et n’implique ni des chaînes d’interdépendance plus courtes, ni une diminution de la différenciation, ou l’affaiblissement de l’État. Il s’agit plutôt d’une mutation culturelle qui tend à remettre en question les hypothèses éliassiennes. Les relations d’étroite détermination mutuelle que suggère sa théorie entre style culturel et structure sociale semblent beaucoup trop déterministes et accordent trop peu de place à l’autonomie des formes culturelles.

37Enfin, l’étude de la peine capitale a révélé une tension au sein même du concept de civilisation (entre son aspect esthétique et son aspect moral), ambiguïté qui limite la valeur du concept en question quand il s’agit de rendre compte du recours à la peine de mort (judicial killing). Il ne fait aucun doute que dans l’histoire de la peine capitale, le discours dit civilisateur a joué un rôle déterminant dans le processus de réforme. Cependant, il semblerait que ce soit davantage le versant esthétique du processus de civilisation qui ait joué dans le cas qui nous intéresse. Il est certain qu’une sensibilité civilisée a laissé son empreinte sur les formes et la dramaturgie actuelles des exécutions, qui, comme nous l’avons vu, sont souvent médicalisées, aseptisées, et se déroulent dans des lieux clos. Mais il reste à savoir si la civilisation a entraîné un accroissement de l’identification interhumaine et une sensibilité accrue aux souffrances d’autrui. Et, de fait, le pays occidental qui a le plus œuvré pour civiliser l’esthétique de la peine de mort est aussi celui qui l’a maintenue.

38Historiquement, en Europe et en Amérique, le processus de civilisation de la peine capitale a plus été une histoire de dissimulation que d’abolition, cette réduction de la visibilité cheminant avec la volonté redoublée de maintenir cette violence létale. L’histoire de la peine capitale en Occident (depuis l’introduction de la guillotine par les révolutionnaires français) est celle des efforts faits pour trouver une méthode d’exécution « acceptable ». Depuis cette époque, les autorités ont cherché à trouver des moyens de pratiquer cet acte d’inhumanité absolue en dissimulant sa brutalité. Et même s’il paraît pervers de tergiverser à propos de problèmes de décorum et de mise en scène quand il s’agit d’une question de vie ou de mort, c’est un fait de la vie politique que ces questions cosmétiques jouent un rôle crucial pour faire accepter la peine de mort à l’opinion publique moderne. Au cours du temps, les pays occidentaux ont transformé une question morale en une question esthétique sur les apparences : la peine de mort pouvait-elle être pratiquée de manière à camoufler ses aspects violents ? Pouvait-elle, en bref, être civilisée ? L’injection létale pratiquée aux États-Unis, une technique d’exécution aseptisée soi-disant indolore déguisée en procédure médicale, est ce qui s’approche le plus de l’objectif à ce jour. Dans notre examen de la peine capitale, il nous faut distinguer les pratiques civilisatrices, conçues pour éviter le mauvais goût et le désagrément, des pratiques humaines à proprement parler, conçues pour éviter la souffrance, respecter la personne humaine et minimiser la cruauté [36].
Cela soulève, de manière aiguë, une profonde ambiguïté normative dans la position de Norbert Elias. Bien qu’il s’efforce d’utiliser de façon neutre les termes « civilisation » et « civilisé », il en a finalement une conception positive. Quoi qu’il fasse pour l’éviter, il finit par l’employer en superposant description positive et évaluation normative d’une façon problématique [37].
Si le concept de civilisation dissimule cette ambiguïté normative, il recèle également un aspect multidimensionnel qui brouille ses implications analytiques. D’un côté, l’attrait du concept très large de processus de civilisation est lié au fait qu’il tente d’appréhender l’interdépendance des changements se produisant dans des domaines et à des niveaux très différents de la société [38]. On voit bien dans l’œuvre d’Elias comment les processus de rationalisation discutés par Weber correspondent aux changements dans la structure de l’organisation sociale décrits par Durkheim et à la structure de la personnalité humaine telle que la présente par Freud. Vue au travers de son concept multidimensionnel, la société, ses pratiques, ses institutions, et ses membres sont toujours des aboutissements historiques et configurationnels [39], jamais le produit d’un déterminant unique ou d’une loi nécessaire. Cela constitue, selon moi, le bénéfice majeur d’une vision synthétique qui souligne la complexité, l’interdépendance, la réciprocité, et évite l’atomisme des explications factorielles. Mais, le vice de cette vertu est d’assembler des processus en réalité fort distincts. Ce qu’Elias appelle le processus de civilisation n’a rien d’un processus unique, mais correspond plutôt à une série de processus qui tantôt convergent tantôt divergent totalement, chacun d’entre eux exerçant des effets différents sur la pratique de la peine capitale.

Des processus multiples

39Le concept de processus de civilisation condense en réalité de multiples processus (formation de l’État, rationalisation, libéralisation, démocratisation, identification interhumaine accrue et raffinement des manières), qui diffèrent sur le plan conceptuel, et varient empiriquement, même s’ils s’entremêlent souvent au cours du processus historique. L’histoire comparée démontre que chacun de ces processus distincts a bel et bien un impact sur la peine capitale, et influe sur son évolution au cours du temps. Mais cette même histoire montre aussi que la nature de ces effets varie et que les différents processus, présentant des caractéristiques variables, peuvent produire des conséquences très diverses sur l’évolution de la peine capitale. Pour fournir un seul exemple d’importance, le processus de démocratisation s’est produit sans exception dans tout l’Occident, exactement comme l’affirme Norbert Elias. Mais il a donné naissance à des formes institutionnelles très différentes, en particulier aux États-Unis, où la démocratie est fondamentalement de type local et populiste, et où les considérations raciales ont exclu les Africains-Américains du droit de vote jusque dans les années 1960. Dans un tel contexte, le processus de démocratisation s’est soldé par le maintien de la peine capitale, alors qu’ailleurs, ayant pris une autre forme, il a favorisé son abolition.

40Pour toutes ces raisons, j’en suis venu à considérer que le processus de civilisation éliassien ne pouvait pas servir de cadre théorique universellement applicable, mais qu’il était plutôt lui-même une brillante application de la sociologie générale de Norbert Elias à une période particulière de l’histoire culturelle de l’Occident, une application qui éclaire et explique cet ensemble spécifique de faits historiques mais ne s’étend guère au-delà de ce domaine initial. En revanche, la sociologie plus générale de Norbert Elias (un ensemble plus lâche de méthodes, de concepts et de formes de raisonnements qu’il expose dans des œuvres telles que La Société de cour[40], Engagement et distanciation[41], Logiques de l’exclusion[42], Qu’est-ce que la sociologie ?[43], et d’où est tiré Über den Prozess der Zivilisation) constitue à la fois une synthèse remarquablement pertinente et puissante de Weber, Durkheim, Marx et Freud et un guide indispensable à la recherche sociologique et comparative au 21e siècle.

41Quels que soient nos doutes au sujet des mérites spécifiques du processus de civilisation, il n’en reste pas moins vrai que, lorsqu’on se penche sur l’évolution à long terme de la peine capitale, les méthodes socio-historiques et les concepts figurationnels avancés par Norbert Elias dans le cadre plus général de sa sociologie processuelle offrent de précieux angles d’approche [44]. Son insistance à envisager le présent à la lumière de la longue durée ; l’intérêt porté à la dynamique et à l’interrelation des processus sociaux (plutôt qu’aux facteurs statiques et atomisés) ; son attention à la formation et à la nature de l’État : tout ces éléments jouent un rôle crucial dans l’analyse de la peine capitale ici présentée. Il en va de même pour le lien qu’il établit entre changement culturel et changements dans la structure de l’État et du contrôle social ; sa description détaillée de la culture civilisée moderne ; ainsi que son analyse de la dynamique entre établis et marginaux, qui façonne les relations entre les groupes et la course au statut.

42Les concepts éliassiens que je trouve les plus utiles dans le cadre spécifique de mes recherches ne sont pas ceux qui apparaissent dans son chef-d’œuvre reconnu Über den Prozess der Zivilisation, mais ceux qui sont mis en jeu dans son ouvrage plus ancien, La Société de cour, qui fournit de précieux outils pour penser la dynamique de la peine capitale et les forces qui la sous-tendent. Dans cet ouvrage, Norbert Elias présente une analyse sociologique des rapports de force entre le roi, la noblesse de cour et les autres élites aristocratiques sous le règne de Louis XIV. Davantage que dans ses autres livres, il insiste sur la dynamique des réseaux de relations ; sur les rapports de forces, et la façon dont ils sont déterminés par la distance sociale et la dépendance ; sur la sublimation de la violence dans un contexte où une classe de guerriers a été récemment pacifiée. Il met tout particulièrement en lumière les normes culturelles et les habitudes psychologiques créées par des groupes concurrents au moment où ils luttaient pour le pouvoir dans le monde extrêmement stratifié des cours monarchiques européennes au début de l’époque moderne, normes et habitudes qui accordaient une grande importance aux manières, aux civilités et à la culture du raffinement. La façon dont Elias raconte comment ces groupes sociaux utilisaient les symboles du raffinement pour marquer la supériorité de leur statut et pour servir leurs intérêts politiques nous fournissent de précieux indices sur les origines sociales des « réformes civilisatrices » qui se révèlent fort utiles pour étudier la politique menée par les fonctionnaires d’État et les élites libérales, ainsi que leur influence sur l’institution de la peine capitale.
Ces considérations m’ont conduit, dans mes recherches présentes, à abandonner le cadre théorique du processus de civilisation pour adopter une vision plus large de l’évolution historique, vision qui continue néanmoins à souligner les notions de longue durée, de processus, de configuration et d’État, sur lesquelles Norbert Elias insiste à juste titre dans sa sociologie processuelle [45].


Mots-clés éditeurs : processus de civilisation, États-Unis, formation de l'État, Norbert Elias, peine capitale

Date de mise en ligne : 07/04/2010

https://doi.org/10.3917/vin.106.0193

Notes

  • [1]
    Voir Pieter Spierenburg, The Spectacle of Suffering. Executions and the Evolution of Repression : From a Preindustrial Metropolis to the European Experience, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 ; David Garland, Punishment and Modern Society : A Study in Social Theory, Oxford, Oxford University Press, 1990 ; John Pratt, « Toward the “Decivilization” of Punishment », Social and Legal Studies, 7 (4), p. 487-515 ; id., Punishment and Civilization : Penal Tolerance and Intolerance in Modern Society, Londres, Sage, 2002 ; id., « Elias, Punishment and Decivilization », in John Pratt et al., The New Punitiveness : Trends, Theories, Perspectives, Devon, Willan Publishing, 2005 ; James Whitman, Harsh Justice : Criminal Punishment and the Widening Gap between America and Europe, New York, Oxford University Press, 2003 ; Barry Vaughan, « The Civilizing Process and the Janus-Face of Modern Punishment », Theoretical Criminology, 4 (1), 2000, p. 71-92.
  • [2]
    Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939. Ce livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975).
  • [3]
    Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 456.
  • [4]
    Ibid., p. 258-259 (traduction corrigée). Passages soulignés par l’auteur.
  • [5]
    Ce passage, et en partie ce qui suit, est inspiré de travaux antérieurs. Voir David Garland, op. cit.
  • [6]
    David Garland, The Culture of Control : Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford, Clarendon Press, 2001 ; John Pratt, « Toward the “Decivilization” of Punishment », op. cit. ; id., « The Return of the Wheelbarrow Men : or, the Arrival of Postmodern Penality », British Journal of Criminology, 40 (1), 2000, p. 127-145 ; James Whitman, Harsh Justice : Criminal Punishment and the Widening Gap between America and Europe, New York, Oxford University Press, 2003 ; Leon Radzinowicz, « Penal Regressions », Cambridge Law Jounal, 50, 1991, p. 422-444.
  • [7]
    John Pratt, « Toward the “Decivilization” of Punishment », op. cit. ; Barry Vaughan, « The Influence of Norbert Elias upon Criminology », Figurations, 15, 2001.
  • [8]
    Pour une discussion plus approfondie du concept de décivilisation, voir John Fletcher, Violence and Civilization, Cambridge, Polity Press, 1997 ; John Pratt, « Elias, Punishment and Decivilization », op. cit.
  • [9]
    Les dispositifs américains contemporains font 1) que la peine capitale est rarement prononcée, en dépit du taux élevé d’homicides ; 2) que même là où la peine de mort est prononcée, les condamnés sont rarement exécutées, 66 % des jugements étant cassés après coup ; 3) que là où les exécutions ont lieu, elles se déroulent en moyenne douze ans après la condamnation ; 4) que l’injection létale, technique d’exécution à présent en vigueur dans tous les États, est censée être une procédure médicale indolore ; et 5) que le processus menant à la peine capitale est extrêmement coûteux, bien plus que les formes de peines alternatives. Les opposants comme les partisans de la peine de mort s’accordent à dire que ces dispositifs minent les objectifs de dissuasion et de rétribution du système.
  • [10]
    Voir David Garland, Punishment and Modern Society…, op. cit. ; Pieter Spierenburg, The Spectacle of Suffering…, op. cit.
  • [11]
    V.A.C. Gatrell, The Hanging Tree : Executions and the English People, 1770-1868, Oxford, Oxford University Press, 1994.
  • [12]
    Louis Masur, Rites of Execution : Capital Punishment and the Transformation of American Culture, 1776-1865, New York, Oxford University Press, 1984 ; V.A.C. Gatrell, op. cit. ; Stuart Banner, The Death Penalty : An American History, Cambridge, Harvard University Press, 2002.
  • [13]
    Norbert Elias débat de ces valeurs « civilisées » sur un ton à la neutralité étudiée, mais nous pourrions remarquer avec quelle précision il décrit une sensibilité typique de la classe moyenne occidentale avec son besoin névrotique de privauté, ses gênes à propos de tout ce qui touche au corps et son désir de se détourner des aspects les plus crus de la vie humaine.
  • [14]
    « La peine » par opposition à la vengeance, implique une autorité publique quelle qu’elle soit. Il faut donc opérer une distinction entre peine capitale et meurtre par vengeance ou entre factions. Les études portant sur les sociétés anciennes, qu’il s’agisse de la Grèce, de la Rome classique, etc., montrent très clairement que les exécutions étaient un outil courant du pouvoir étatique ou seigneurial. L’exécution publique comme spectacle était connu du monde antique. Elle est réapparue à la fin du Moyen Âge avec l’émergence des États. Voir Pieter Spierenburg, The Spectacle of Suffering, op. cit.
  • [15]
    Les développements ici mentionnés sont surtout de nature légale et institutionnelle et ne rendent pas compte des changements de signification de l’institution au plan culturel.
  • [16]
    Louis Masur, op. cit. ; Michael Madow, « Forbidden Spectacle : Executions, the Public and the Press in Nineteenth Century New York », Buffalo Law Review, 43, 1990 ; Stuart Banner, op. cit.
  • [17]
    John Galliher, Larry Koch, David Keys et Teresa Guess (dir.), America Without the Death Penalty : States Leading the Way, Boston Northeastern University Press, 2002.
  • [18]
    William Miller, « Clint Eastwood and Equity : Popular Culture’s Theory of Revenge », in Austin Sarat et Thomas R. Kearns (dir.), Law in the Domains of Culture, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1998.
  • [19]
    Atkins v. Virginia (2002) ; Roer v. Simmons (2005).
  • [20]
    Je suis reconnaissant à Stephen Mennell de ses remarques sur ce point.
  • [21]
    Trente-huit États élisent leurs juges. Parmi les douze États qui n’élisent pas la plupart de leurs juges (le Connecticut, le Delaware, Hawaii, le Maine, le Massachusetts, le New Hampshire, le New Jersey, Rhode Island, la Caroline du Nord, le Vermont et la Virgine), seuls trois ont eu recours à la peine capitale depuis 1976 et la plupart sont abolitionnistes. Voir Jed Shugerman, « The People’s Courts ; Elected Judges and Judicial Independence in America », non publié, communiqué par l’auteur.
  • [22]
    Robert Lerner, Athea Nagai et Stanley Rothman, American Elites, New Haven, Yale University Press, 1996 ; Joachim Savelsberg, « Knowledge, Domination, and Criminal Punishment », American Journal of Sociology, 99, 1994, p. 911-943.
  • [23]
    Les conflits de race et de classe constituent évidemment une variable et non une constante. Les relations entre les races et les classes varient dans l’espace et dans le temps. Elles sont influencées par les formes qu’emprunte la compétition économique et politique et par d’autres problèmes spécifiques comme les niveaux de criminalité et de désordre, les luttes pour les droits civiques, etc. (Voir William Wilson, The Declining Significance of Race : Blacks and Changing American Institutions, Chicago, Chicago University Press, 1980)
  • [24]
    Pour trouver des preuves du fort taux d’homicides américain, voir Leonard Beeghley, Homicide : A Sociological Explanation, New York, Rowman & Littlefield, 2003, p. 49 ; Eric Monk-konen, « Homicide Explaining America’s Exceptionalism », American Historical Review, février 2006, p. 82 ; Douglas Eckberg, « Estimates of Early Twentieth Century U.S. Homicide Rates », Demography, 32 (1), 1995, p. 1-16, p. 14. Norbert Elias affirme que les structures de contrôle de la violence au niveau individuel et au niveau de l’État se conditionnent mutuellement et qu’elles doivent être considérées de concert. Il faudrait donc voir un lien entre la violence criminelle et la peine capitale aux États-Unis : entre les niveaux relativement non contraints de violence révélés par le taux d’homicides et l’usage relativement peu restreint de la violence pénale par les États américains.
  • [25]
    Norbert Elias note que les mœurs peuvent se déliter en temps de guerre, dans des situations d’urgence et quand la sécurité disparaît. La « guerre contre la criminalité » va à l’encontre de l’élan civilisateur dans le cadre de la justice criminelle. Le recours à la métaphore guerrière s’oppose aux métaphores « civilisatrices ».
  • [26]
    Voir V.O. Keys, Southern Politics in State and Nation, New York, Knopf, 1949.
  • [27]
    Stuart Banner, op. cit. ; William Bowers, Legal Homicide : Death as a Punishment in America, 1864-1982, Boston, Northeastern University Press, 1984.
  • [28]
    David Garland, « Penal Excess and Surplus Meaning : Public Torture Lynching in 20th Century America », Law & Society Review, 39, 2005, p. 795-834.
  • [29]
    Franklin Zimring, The Contradictions of American Capital Punishment, New York, Oxford University Press, 2003.
  • [30]
    Voir David Jacob et Jason Carmichael, « The Political Sociology of the Death Penalty : A Pooled Time-Series Analysis », American Sociological Review, 67 (1), p. 109-131 ; id., « Ideology, Social Threat and the Death Sentence : Capital Sentences across Time and Space », Social Forces, 83 (1), p. 249-278.
  • [31]
    Voir Franklin Zimring, op. cit. Dans certains de ces pays (comme le Royaume-Uni, la France ou la Canada) les contraintes institutionnelles pesant sur la réforme par les élites étaient moins fortes qu’aux États-Unis. Dans d’autres (comme l’Italie, l’Espagne ou la RFA), le poids des événements historiques (en l’occurrence, le renversement de régimes autoritaires) a desserré les contraintes existantes et permis l’abolition. Zimring suggère que c’est seulement dans des contextes révolutionnaires, quand le vieux régime est rejeté, qu’une majorité du peuple se prononce en faveur de la suppression de la peine capitale.
  • [32]
    Le Congrès pourrait bien évidemment abolir la peine capitale au niveau fédéral. Il pourrait aussi utiliser plusieurs mécanismes pour faire pression sur le parlement des États. Mais seul un amendement constitutionnel ratifié par des super-majorités au Congrès et par trois quarts des États pourrait conduire à une abolition au plan national.
  • [33]
    Voir Pieter Spierenburg, « Democracy Came Too Early : A Tentative Explanation for the Problem of American Homicide », American Historical Review, 111 (1), février 2006, p. 104-114.
  • [34]
    Pour une tentative intéressante d’application de la théorie de Norbert Elias aux États-Unis, voir Stephen Mennell, The American Civilizing Process, Cambridge, Polity Press, 2007.
  • [35]
    Voir Cas Wouters, Informalization : Manners and Emotions since 1890, Londres, Sage, 2007.
  • [36]
    V.A.C. Gatrell établit une distinction nette entre ce qui émane de la compassion et ce qui est lié à l’aversion face à la violence. (V.A.C. Gatrell, op. cit.)
  • [37]
    Voir les passages à la fin de Über den Prozess der Zivilisation, où cet aspect normatif, voire téléologique, apparaît très clairement. (Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, op. cit.)
  • [38]
    David Garland, Punishment and Modern Society…, op. cit.
  • [39]
    La traduction, française et anglaise du terme « figuration » employé par Norbert Elias soulève un problème depuis longtemps. « Configuration » s’est imposé comme un équivalent pertinent, d’ailleurs utilisé par Elias lui-même dans certains de ses textes anglais. Il est cependant revenu dessus au début des années 1960 : le préfixe « con- » (du latin com, cum, « avec ») donnait selon lui à la notion un caractère systémique qu’il voulait éviter et suggérait que la figuration s’effectuait « avec » quelque chose d’autres (alors qu’au contraire, il voulait évoquer par là les figurations en elles-mêmes, pour définir la forme des relations sociales d’un groupe, un lieu, ou à une époque donnée). Les termes « figuration », « figurational » ont été adoptés en anglais, et sont devenus plus courants aujourd’hui (sur ces précisions, voir Stephen Mennell, « Figurational Sociology », in George Ritzer (dir.), Encyclopaedia of Social Theory, Londres, Sage, 2004, vol. 1, p. 279-280). Nous avons décidé de respecter les choix des auteurs, traduisant « figuration », « figurational », par « figuration », « figurationnel » lorsqu’il était employé, et laissant « configuration » lorsque le terme était utilisé dans le texte initial.
  • [40]
    Norbert Elias, La Société de cour, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1974.
  • [41]
    Norbert Elias, Engagement et distanciation : contributions à la sociologie de la connaissance, avant-propos de Roger Chartier, trad. de l’all. par Michèle Hulin, Paris, Fayard, 1993.
  • [42]
    Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l’exclusion : enquête sociologique au cœur des problèmes d’une communauté, avant-propos de Michel Wieviorka, trad. de l’angl. par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Fayard, 1997.
  • [43]
    Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, trad. de l’all. par Yasmin Hoffman, Aix-en-Provence, Pandora, 1981.
  • [44]
    Voir Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, op. cit.
  • [45]
    Voir David Garland, Peculiar Institution : America’s Death Penalty in an Age of Abolition, Cambridge, Harvard University Press, 2010.

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