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Article de revue

Biographie de Norbert Elias

Pages 14 à 18

Notes

  • [1]
    Norbert Elias, entretiens avec Arend-Jan Heerma van Voss et Abram van Stolk, Norbert Elias par lui-même, trad. de l’all. par Jean-Claude Capèle, Paris, Fayard, 1991. Les autres références sont tirées des introductions de Roger Chartier aux éditions françaises ; du « Portrait sociologique de l’auteur », proposé par Bernard Lacroix dans Alain Garrigou et Bernard Lacroix (dir.), Norbert Elias, la politique et l’histoire, Paris, La Découverte, « L’armillaire », 1997, p. 31-51, p. 44 ; et de l’introduction générale de l’ouvrage de Stephen Mennell, Norbert Elias : An Introduction, Oxford, Blackwell, 1992, Dublin, UCD Press, 1998.
  • [2]
    Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939. Ce livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975).
  • [3]
    Norbert Elias, entretien avec Arend-Jan Heerma van Voss et Abram van Stolk, op. cit., p. 80.
  • [4]
    Cette nouvelle édition est publiée par la maison d’édition Franckverlag. C’est cependant la parution de cet ouvrage au format poche en 1976, aux Éditions Suhrkamp, qui constitue un tournant pour sa réception en Allemagne.
  • [5]
    Norbert Elias, Studien über die Deutschen : Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Michael Schröter (éd.), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989.
  • [6]
    Norbert Elias, « The Symbol Theory », Theory Culture & Society, 6, 1989, p. 169-217, 339-383.
  • [7]
    Norbert Elias, Mozart : sociologie d’un génie, trad. de l’all. par Jeanne Étoré et Bernard Lortholary, Paris, Seuil, 1991.
English version

1L’exercice biographique est particulièrement délicat concernant Norbert Elias, sociologue dont la vie fut marquée par les ruptures les plus fortes mais aussi par une pensée à la fois cohérente et évolutive. La principale source dont nous disposons est un entretien qu’il a lui-même accordé en 1984 et dans lequel il revient sur son parcours. Les informations ont été complétées et discutées avec celles contenues dans d’autres biographies réalisées par la suite[1].

2Norbert Elias naît le 22 juin 1897 à Breslau (actuelle Wroclaw). Il appartient à une famille de la bourgeoisie juive allemande ; son père, Hermann Elias, dirige notamment une entreprise textile. Il fait ses études secondaires à Breslau jusqu’en 1915, année au cours de laquelle il s’engage comme volontaire dans l’armée allemande. Intégré dans une unité de transmissions, il sert sur le front oriental allemand, puis sur le front occidental, sur la Somme notamment, où il est confronté à la dureté des combats.

3À son retour de la guerre, à Breslau, Norbert Elias se rapproche d’un mouvement sioniste allemand, Blau Weiss, et fréquente Erich Fromm ainsi que Léo Strauss. Il effectue conjointement des études de médecine et de philosophie à Breslau. S’il abandonne finalement la médecine, il estimera ensuite que cette discipline fut très importante pour son parcours. Il soutient en 1924 sa thèse de philosophie intitulée « Idée et individu : une contribution à la philosophie de l’histoire », sous la direction de Richard Hönigswald (1875-1947). Il y rejette notamment l’héritage kantien de l’a priori de l’entendement et se brouille avec son professeur à ce sujet. Cette première étape de réflexion expliquerait qu’il se tourne ensuite vers la sociologie. Sa famille connaissant des difficultés financières dans le contexte de la crise d’après-guerre, il travaille néanmoins pendant un an dans une ferronnerie.

4Norbert Elias part l’année suivante, en 1925, étudier la sociologie à Heidelberg. Il se rapproche d’Alfred Weber, le frère de Max Weber, puis de Karl Mannheim, alors Privatdozent et déjà l’un des principaux animateurs de la sociologie allemande. Il suit ce dernier à Francfort en tant qu’assistant et rejoint le département de sociologie de l’Université, qui occupait alors le bâtiment de l’Institut für Sozialforschung. Il se trouve ainsi au cœur de l’école de Francfort, un des pôles de réflexion européen en sciences sociales les plus dynamiques de l’entre-deux-guerres. Très impliqué dans les discussions qui s’y déroulent, il s’occupe notamment, comme assistant de Karl Mannheim, de l’accueil des étudiants. Il poursuit surtout sa thèse de doctorat consacrée à la société de cour. Premier jalon permettant, à travers l’analyse du jeu des étiquettes à la cour de Louis XIV, de mener une réflexion sur les mutations conjointes de l’État, des relations de dépendance et de l’économie psychique, il soutient celle-ci en 1933. Elle n’est toutefois pas immédiatement publiée.

Norbert Elias à New York en 1978, lors d’une conférence organisée par Richard Sennett à l’occasion de la publication du premier volume de The Civilizing Process

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Norbert Elias à New York en 1978, lors d’une conférence organisée par Richard Sennett à l’occasion de la publication du premier volume de The Civilizing Process

5La même année, Norbert Elias, parce que juif, doit quitter l’Allemagne. Il se rend d’abord en Suisse, puis en France (où il tient un temps un magasin de jouets en bois), avant de s’installer finalement en Angleterre en 1935. Grâce à un comité d’assistance aux réfugiés juifs, il y poursuit ses recherches. Menées à partir de la documentation disponible à la British Library, celles-ci aboutiront à la réalisation de son œuvre de référence, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen[2]. Après maintes difficultés, le manuscrit est finalement publié, à Bâle, grâce à son père. « Je pense souvent qu’il a été sauvé d’un cheveu », avouera-t-il plus tard [3]. Le livre rencontre un écho qui lui paraît très faible, tandis qu’il peine à trouver un poste en Angleterre.

6Le déclenchement de la guerre accroît la fragilité de sa position. Son père décède en 1940 et sa mère est déportée à Auschwitz l’année suivante. Elle y meurt, laissant à Norbert Elias un profond sentiment de culpabilité. Durant la guerre, le sociologue bénéficie d’un contrat d’assistant de recherche à la London School of Economics repliée à Cambridge, après avoir été interné huit mois à l’île de Man, en tant que réfugié allemand. Il travaille alors avec le spécialiste de la révolution industrielle Hugh L. Beales sur la structure des professions. Après la guerre, il donne des cours du soir et des conférences afin de subvenir à ses besoins. Il prolonge également son intérêt pour la psychanalyse et participe en 1952 à la fondation de la Group Analytic Society, autour de S. H. Foulkes, un proche d’Anna Freud. En 1954, à 57 ans, il obtient enfin un poste de lecturer en sociologie à l’Université de Leicester. Il entame alors, avec son étudiant Eric Dunning, une vaste recherche sur la « sportification », lue comme élément du processus de civilisation. Il s’intéresse parallèlement à l’opinion publique et aux processus d’exclusion.

7À la retraite en 1962, Norbert Elias accepte un poste de professeur émérite à l’Université du Ghana. Il part pour deux ans et y découvre notamment l’art africain. Sa reconnaissance s’affirmant, il est à son retour professeur invité en Allemagne, puis fait des allers et retours entre l’Allemagne et les Pays-Bas. Ce n’est qu’avec la nouvelle parution en allemand de Über den Prozess der Zivilisation en 1969 [4] que Norbert Elias accède à une réelle notoriété, confirmée par la traduction du livre en français en 1973 et 1975, et en anglais. Son œuvre devient une référence en sciences sociales, selon des trajectoires spécifiques aux espaces académiques, aux environnements intellectuels et aux passeurs de chaque pays. Norbert Elias obtient, en 1977, le prix Adorno et, en 1987, le prix européen Amalfi de la sociologie et des sciences sociales.

8Ses œuvres publiées dans les années 1940-1970 sont traduites ou rééditées, faisant parfois l’objet de corrections et d’augmentations par leur auteur. Elles commencent à être discutées par des spécialistes des différentes disciplines des sciences sociales, toujours selon des logiques spécifiques. Parallèlement, Norbert Elias poursuit ses recherches sur la sociologie de la connaissance, sur le sport, sur le rapport au temps ou à la mort. De 1978 à 1984, il travaille principalement au Centre de recherche interdisciplinaire de l’Université de Bielefeld. En 1984, il se fixe définitivement à Amsterdam, travaille et poursuit sa réflexion, toujours dans la perspective d’un approfondissement de son analyse en termes de processus de civilisation. En 1989, paraissent ainsi Studien über die Deutschen[5], le dernier ouvrage publié de son vivant, où il revient sur la question centrale du nazisme. Il meurt à Amsterdam le 1er août 1990. Ses derniers travaux paraissent après son décès, parmi lesquels « The Symbol Theory [6] » et Mozart : sociologie d’un génie[7], ce dernier étant cette fois immédiatement traduit en français et en anglais. Il est salué à sa mort en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, en France ou encore aux Pays-Bas comme l’un des sociologues les plus pénétrants de son temps. Une reconnaissance plus institutionnalisée s’organise également autour de ses élèves et de la Fondation Norbert Elias qu’il a créée en 1984. Elle attribue depuis 1999 un prix, le Norbert Elias prize, tandis qu’une chaire Norbert Elias est fondée à l’Université d’Utrecht en 1992, puis à Rotterdam. Sa réception académique et extra-académique, elle, façonnée par les dates des traductions comme par les critiques et discussions qui ont, parfois à contre-temps, jalonné son œuvre, se poursuit encore aujourd’hui.


Date de mise en ligne : 07/04/2010

https://doi.org/10.3917/vin.106.0014

Notes

  • [1]
    Norbert Elias, entretiens avec Arend-Jan Heerma van Voss et Abram van Stolk, Norbert Elias par lui-même, trad. de l’all. par Jean-Claude Capèle, Paris, Fayard, 1991. Les autres références sont tirées des introductions de Roger Chartier aux éditions françaises ; du « Portrait sociologique de l’auteur », proposé par Bernard Lacroix dans Alain Garrigou et Bernard Lacroix (dir.), Norbert Elias, la politique et l’histoire, Paris, La Découverte, « L’armillaire », 1997, p. 31-51, p. 44 ; et de l’introduction générale de l’ouvrage de Stephen Mennell, Norbert Elias : An Introduction, Oxford, Blackwell, 1992, Dublin, UCD Press, 1998.
  • [2]
    Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939. Ce livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975).
  • [3]
    Norbert Elias, entretien avec Arend-Jan Heerma van Voss et Abram van Stolk, op. cit., p. 80.
  • [4]
    Cette nouvelle édition est publiée par la maison d’édition Franckverlag. C’est cependant la parution de cet ouvrage au format poche en 1976, aux Éditions Suhrkamp, qui constitue un tournant pour sa réception en Allemagne.
  • [5]
    Norbert Elias, Studien über die Deutschen : Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Michael Schröter (éd.), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989.
  • [6]
    Norbert Elias, « The Symbol Theory », Theory Culture & Society, 6, 1989, p. 169-217, 339-383.
  • [7]
    Norbert Elias, Mozart : sociologie d’un génie, trad. de l’all. par Jeanne Étoré et Bernard Lortholary, Paris, Seuil, 1991.

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