Notes
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[1]
Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, trad. de l’all. par Yasmin Hoffman, Aix-en-Provence, Pandora, 1981, chap. 2.
-
[2]
Stephen Mennell, The American Civilizing Process, Cambridge, Polity Press, 2007.
-
[3]
Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939. Ce livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975).
-
[4]
Louis Hartz (dir.), The Founding of New Societies : Studies in the History of the United States, Latin America, South Africa, Canada and Australia, New York, Harcourt, Brace & World, 1964.
-
[5]
Stephen Mennell, op. cit. p. 1-4.
-
[6]
Voir Samuel P. Huntington, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, New York, Simon & Schuster, 1996 ; trad. fr., id., Le Choc des civilisations, trad. de l’angl. par Jean-Luc Fidel, Geneviève Joublain, Patrick Jorland et al., Paris, Odile Jacob, 1997.
-
[7]
Charles A. Jones, American Civilization, Londres, Institute for the Study of the Americans, 2007.
-
[8]
John Winthrop, « A Modell of Christian Charity » [1630], in Giles Gunn (dir.), Early American Writing, New York, Penguin, 1994, p. 108-112.
-
[9]
Michael Mann, Incoherent Empire, Londres, Verso, 2003.
-
[10]
« The Dispensable Nation ? », International Herald Tribune, 7 août 2007.
-
[11]
Habitus est le terme toujours utilisé par Norbert Elias en allemand. Il était d’usage courant entre les deux guerres. Avant que Bourdieu ne popularise l’expression, Elias, en anglais, utilisait plus volontiers (ainsi que ses traducteurs) des expressions comme « structure de la personnalité » (personality make-up).
-
[12]
Pierre Bourdieu, La Distinction : critique sociale du jugement, Paris, Minuit, « Le sens commun », 1979.
-
[13]
Norbert Elias, « National Peculiarities of British Public Opinion » [1962], in Essays II : On Civilising Process, State Formation and National Identity, Dublin, UCD Press, 2008, p. 230-255.
-
[14]
Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 220 (traduction corrigée).
-
[15]
Norbert Elias, Studien über die Deutschen : Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Michael Schröter (éd.), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989 ; trad. angl., id., The Germans : Power Struggles and the Development of Habitus in the 19th and 20th Centuries, préf. et trad. de l’all. par Eric Dunning et Stephen Mennell, Cambridge, Polity Press, 1996, p. 10-13. Dans la suite de cet article, nous nous référons à l’édition anglaise.
-
[16]
Arthur M. Schlesinger Sr, Learning How to Behave : A Historical Study of American Books, New York, Macmillan, 1947.
-
[17]
Louis B. Wright, First Gentlemen of Virginia, San Marino, Huntington Library, 1940 ; Stow Persons, The Decline of American Gentility, New York, Columbia University Press, 1973 ; Richard L. Bushman, The Refinement of America : Persons, Houses, Cities, New York, Knopf, 1993 ; C. Dallett Hemphill, Bowing to Necessity, New York, Oxford University Press, 1999.
-
[18]
Stephen Mennell, op. cit., p. 51-80.
-
[19]
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gosselin, 1835-1840, t. II, 3e partie, chap. 2.
-
[20]
Cas Wouters, Informalization : Manners and Emotions since 1890, Londres, Sage, 2007.
-
[21]
Cas Wouters, Sex and Manners : Female Emancipation in the West, 1890-2000, Londres, Sage, 2004.
-
[22]
Le travail de Thomas Piketty et de ses collaborateurs jette une lumière particulièrement intéressante sur les tendances à long terme de la distribution des revenus et des richesses en Europe et aux États-Unis. Anthony B. Atkinson et Thomas Piketty (dir.), Top Incomes over the Twentieth Century : A Contrast between Continental European and English-Speaking Countries, Oxford, Oxford University Press, 2007.
-
[23]
Jo Blanden et al., Intergenerational Mobility in Europe and North America, Londres, London School of Economics, Centre of Economic Performance, 2005.
-
[24]
Stephen Mennell, op. cit., p. 249-265.
-
[25]
Avec mes remerciements à Johan Goudsblom qui m’a suggéré cette expression.
-
[26]
Harriet Martineau, Society in America, Londres, Saunders & Otley, 1837, 3 vol., vol. 3, p. 10.
-
[27]
Norbert Elias, La Société de cour, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1974.
-
[28]
Harriet Martineau, Retrospect of Western Travel [1838], New York, Haskell House, 1969, 2 vol., vol. 1, p. 145.
-
[29]
Pendant plus des trois quarts de cette période de soixante-douze ans, le président fut un propriétaire esclavagiste du Sud ; après la guerre, aucun sudiste ne fut élu avant Lyndon B. Johnson en 1964. Au Congrès, 23 des 34 présidents de la Chambre des représentants et 24 des 36 présidents pro tempore du Sénat furent des sudistes ; il n’y en eut aucun au cours du demi-siècle qui suivit la guerre. Avant celle-ci, 20 des 35 juges de la Cour suprême avait été des sudistes, et ils avaient été majoritaires tout au long de la période ; seuls cinq des 26 juges nommés au cours des cinq décennies suivant la guerre étaient originaires du Sud. Voir James M. McPherson, Abraham Lincoln and the Second American Revolution, New York, Oxford University Press, 1990, p. 12-13.
-
[30]
Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. 44-119.
-
[31]
S. D. Bowman, Masters and Lords : Mid-Nineteenth Century United States Planters and Prussian Junkers, New York, Oxford University Press, 1993.
-
[32]
Bertram Wyatt-Brown, Southern Honor : Ethics and Behavior in the Old South, New York, Oxford University Press, 1982.
-
[33]
Allan Nevins (dir.), America through British Eyes,, New York, Oxford University Press, 1948, p. 403.
-
[34]
Ted R. Gurr, « Historical Trends in Violents Crime », Crime and Justice : An Annual Review of Research, Chicago, University of Chicago Press, 1981, vol. 3, p. 295-353.
-
[35]
Manuel Eisner, « Modernity Strikes Back ? A Historical Perspective on the Latest Increause in Interpersonal Violence (1960-1990) », International Journal of Conflict and Violence, 2 (2), 2008, p. 288-316.
-
[36]
Stephen Mennell, op. cit., p. 122-154.
-
[37]
L’Afrique du Sud, la Russie et quelques États d’Europe de l’Est ont des taux encore plus élevés, mais ils ont tous en commun d’avoir connu de graves troubles politiques et sociaux ces dix dernières années.
-
[38]
Franklin E. Zimring et Gordon Hawkins, Crime is not the Problem : Lethal Violence in America, New York, Oxford University Press, 1997.
-
[39]
Loïc Wacquant, « Elias dans le ghetto noir », Politix, 56, 2002, p. 209-218.
-
[40]
Becky Pettit et Bruce Western, « Mass Imprisonment and the Life Course : Race and Class Inequality in US Incarcération », American Sociological Rewiew, 69 (2), 2004, p. 151-169.
-
[41]
Roger Lane, Murder in America, Columbus, Ohio State University Press, 1997, p. 350.
-
[42]
Max Weber, Wirtschaft und Gesellschaft : Grundriß der Verstehenden Soziologie, Tübingen, Paul Siebeck, 1922 ; trad. fr., id., Économie et société, trad. de l’all. par Julien Freund, Pierre Kamnitzer, Pierre Bertrand, Éric de Dampierre, sous la dir. de Jacques Chavy et Éric de Dampierre, Paris, Plon, 1971, Pocket, 1995, p. 97.
-
[43]
Stephen Mennell, op. cit., p. 85-94.
-
[44]
Peter N. Stearns, Jealousy : The Evolution of an Emotion in American History, New York, New York University Press, 1989.
-
[45]
Steven Messner et al., « The Legacy of Lynching and Southern Homicide », American Sociological Review, 70 (4), 2005, p. 633-655.
-
[46]
Richard D. Brown, Strain of Violence : Historical Studies of American Violence and Vigilantism, New York, Oxford University Press, 1975.
-
[47]
Franklin E. Zimring, The Contradictions of American Capital Punishment, New York, Oxford University Press, 2003, p. 89-118.
-
[48]
Pieter Spirenburg, « Democracy Came Too Early : A Tentative Explanation for the Problem of American Homicide », American Historical Review, 111 (4), 2006, p. 104-114.
-
[49]
Ibid., p. 109-110.
-
[50]
Ibid., p. 110.
-
[51]
Cité par J. S. Gordon, Hamilton’s Blessing, New York, Penguin, 1998, p. 43.
-
[52]
Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, op. cit., p. 61-82.
-
[53]
Francis Jennings, The Creation of America : Through Revolution to Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 216.
-
[54]
David E. Stannard, American Holocaust, New York, Oxford University Press, 1992.
-
[55]
Shepard Krech, The Ecological Indian : Myth and History, New York, W.W. Norton, 1999, p. 93.
-
[56]
David E. Stannard, op. cit., p. 226.
-
[57]
Ibid., p. 230.
-
[58]
Ulysses Grant, Personal Memoirs of Ulysses Grant, New York, Smithmark, 1885, p. 37.
-
[59]
Norbert Elias, La Société des individus, trad. de l’all. par Jeanne Etoré, Paris, Fayard, 1991, p. 108.
-
[60]
Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, op. cit., chap. 6 « Le modèle du jeu ».
-
[61]
Warren Zimmerman, First Great Triumph : How Five Great Americans made their Country a World Power, New York, Farrar, Strauss & Giroux, 2002.
-
[62]
Stephen Mennell, op. cit., p. 211-212.
-
[63]
Michael Mandelbaum, The Case for Goliath : How America Acts as the World’s Government in the Twenty-First Century, New York, Public Interest, 2006.
-
[64]
Pour voir leurs délimitations, consulter les cartes sur les pages de garde de Robert D. Kaplan, Imperial Grunts, New York, Random House, 2005.
-
[65]
En 2004, les États-Unis avaient des bases dans 130 des 194 pays du monde. Cf. Chalmers Johnson, The Sorrows of Empire, Londres, Verso, 2004.
-
[66]
Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 292-293.
-
[67]
Une version plus pacifique de cette tactique – que Norbert Elias (La Dynamique de l’Occident, op. cit., p. 99-147) a appelé « le mécanisme absolutiste » –, où des dirigeants centraux mettent leurs forces au service du deuxième groupe social en termes de puissance pour s’opposer au groupe qui pose le plus de problèmes à l’autorité centrale, a joué un rôle significatif dans de nombreux processus de formation de l’État. Et cette tactique a évidemment été utilisée par les États-Unis pour accroître leur pouvoir dans le monde. Mais, sous sa forme violente, elle est contre-productive.
-
[68]
Warren Zimmerman, op. cit., p. 330-338.
-
[69]
Dans ce passage, j’applique de manière implicite le modèle de Norbert Elias des « relations établis-marginaux » ; pour la version explicite, voir Stephen Mennell, op. cit., p. 311-314.
-
[70]
Bram van Stolk et Cas Wouters, Vrouwen in tweestrijd, Deventer, Van Longhum Slaterus, 1987.
-
[71]
Encore une fois, je remercie Johan Goudsblom pour l’analogie du miroir à sens unique : « Dutch Sociology in the 1950s : A View from Behind the One-Way Mirror », in Rob Kroes et Maarten van Rossum (dir.), Anti-Americanism in Europe, Amsterdam, Vu Press, 1986, p. 12-20.
-
[72]
Gore Vidal, Imperial America : Reflections on the United States of Amnesia, Londres, Clairview, 2004, p. 6.
-
[73]
David Potter, « Civil War », in Comer Vann Woodward (dir.), The Comparative Approach to American History, New York, Oxford University Press, 1968, p. 136.
-
[74]
John Locke, The Second Treatise of Civil Government [1690], section 49.
-
[75]
Thomas J. Scheff, Bloody Revenge : Emotions, Nationalism and War, Boulder, Westview, 1994.
1Que sont fondamentalement les États-Unis ? L’auteur propose quelques éléments de réponse à partir d’une nouvelle visite de l’histoire américaine, du 18e siècle à nos jours. Dans cette enquête, il mobilise plusieurs concepts de Norbert Elias, et illustre par là toute leur fécondité. Outre le brio et l’élégance de la démonstration, l’article est aussi à savourer par quelques traits d’humour.
Débusquer les mythes
2Norbert Elias a dit que les sociologues devaient être des « chasseurs de mythes », débusquant les croyances mal fondées du public [1]. On peut se demander si le simple fait de mettre ces croyances à l’épreuve des données contradictoires rassemblées par les universitaires suffit à tuer ces mythes définitivement et à les transformer en trophées accrochés aux murs de nos universités. Néanmoins, il est de notre devoir de les remettre en question, et d’engager une discussion avec ceux qui souhaitent les conserver dans la grande réserve naturelle de l’opinion publique.
3Dans mon livre récemment publié The American Civilizing Process [2], je cherche à voir comment la théorie du processus de civilisation et de décivilisation de Norbert Elias devait être modifiée à la lumière de l’histoire américaine et dans quelle mesure elle pouvait s’appliquer telle quelle au développement des États-Unis. Norbert Elias a initialement élaboré cette théorie en se fondant sur le développement social de l’Europe occidentale [3]. Néanmoins, je pense que globalement elle résiste bien aux données américaines et jette un éclairage intéressant sur plusieurs aspects du récit conventionnel que les Américains opèrent de leur histoire.
4Je voudrais commencer par remettre en question trois croyances répandues qui pourraient se révéler être des mythes interdépendants. Premièrement, l’affirmation courante selon laquelle les États-Unis sont fondamentalement européens, ce que Louis Hartz appelle un fragment de société européenne [4], ce qui revient à dire, par extension, que les Américains sont « des gens comme nous [5] ». Cette thèse a un fort écho au Royaume-Uni, parce que les Américains (du moins la plupart d’entre eux) parlent anglais ; et si j’en crois mon expérience, cela suffit à convaincre les Britanniques que les Européens du continent leurs sont bien plus étrangers que les Américains. Certes, les États-Unis ont commencé par être un fragment d’Europe qui s’est détaché politiquement du Vieux Continent il y a un peu plus de deux siècles. Mais il en va de même pour les pays de ce que nous appelons « l’Amérique latine », et nous continuons cependant à les voir comme nettement non européen dans leurs caractéristiques générales [6]. Charles A. Jones a relevé cette anomalie, en soulignant que les États-Unis ressemblaient en réalité bien davantage à l’Amérique latine qu’à l’Europe occidentale [7]. Pour simplifier un raisonnement complexe, Jones affirme que les États-Unis et leurs voisins du Sud ont en partage un certain nombre d’expériences qui confèrent à leurs sociétés des caractéristiques communes et les éloignent des sociétés européennes. Parmi ces caractéristiques, on trouve l’héritage de la Conquête et de l’esclavage (qui ont contribué à faire de la race et du racisme un trait saillant), une religiosité marquée et un niveau de violence relativement élevé. Nous pourrions ajouter une consommation vorace des ressources naturelles née de l’abondance rencontrée par les colons.
5En second lieu, on trouve le mythe de « l’exceptionnalisme américain », dans lequel les traits distinctifs de l’American way of life sont en général comparés, non plus avec l’Amérique latine, mais avec l’Europe. Depuis la description par John Winthrop du Nouveau Monde comme d’une « ville sur une colline [8] », d’un phare éclairant la vieille Europe, il y a ce sentiment, qui ne va pas sans une certaine fierté, que l’Amérique n’est pas l’Europe, qu’elle est différente. Mais les discussions sur cet exceptionnalisme américain prennent souvent la forme d’un débat visant à savoir si le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Si l’on examine les êtres humains d’un point de vue suffisamment abstrait, on peut trouver que tous les hommes et toutes les sociétés se ressemblent. Au contraire, si on choisit de les observer avec un très faible degré d’abstraction, les différences apparaissent si nombreuses qu’il est impossible de dégager des grandes lignes au milieu d’une masse de détails. Chaque pays possède ses propres particularités, tout en partageant des traits communs avec d’autres pays. Dans la plupart des cas, ces particularités suscitent soit une fierté nationale échappant à tout esprit critique, soit la préoccupation d’historiens ou de sociologues spécialisés. Lorsqu’ils font l’objet d’une attention plus générale, comme dans le cas de la voie particulière (Sonderweg) allemande ou de l’exceptionnalisme américain, les débats se teintent d’une forte dimension morale, dans un sens positif ou négatif.
6Enfin, selon le plus pernicieux de ces mythes, les États-Unis seraient par nature une puissance morale bienveillante. Cette vision est parfois défendue en termes très explicites. J’ai été témoin de la réaction d’une universitaire américaine à la thèse défendue par Michael Mann dans son livre Incoherent Empire [9] : « Mais l’Amérique agit pour le bien dans le monde ! » disait-elle, perplexe, comme si elle venait d’énoncer un axiome. Et il ne s’agit pas d’un cas isolé. Le général Brent Scowcroft (conseiller à la sécurité nationale de George Bush père) écrit en 2007 :
Même quelqu’un d’aussi proche du pouvoir central que Scowcroft n’arrive pas à se convaincre tout à fait que les États-Unis poursuivent leurs propres intérêts au même titre que n’importe quel autre pays. Dangereux, ce genre d’aveuglement (self-deception) individuel et collectif ne constitue certes pas un point de départ réaliste pour comprendre la position des États-Unis dans le monde ou le caractère social américain. Les États-Unis ne sont ni absolument mauvais ni absolument bons ; comme tous les autres pays, ils sont un mélange des deux. Mais, comme le montrent les sondages d’opinion internationaux, pour la plupart des gens vivant hors des États-Unis, c’est l’aspect négatif qui a pris le dessus ces dernières années.« Nous sommes en train de perdre notre aura “spéciale”, cette croyance dans le fait que les États-Unis ne sont pas une grande puissance comme les autres. Du coup, les gens sont de moins en moins enclins à nous accorder le bénéfice du doute. Nous sommes chaque jour davantage considérés comme n’importe quelle autre puissance défendant ses intérêts propres [10] ».
Le problème du « caractère national »
8Les différences entre les pays concernant leur histoire et leur mode de développement social laissent leurs marques sur le caractère et les habitudes des individus. Aujourd’hui, les gens ont tendance à être un peu gênés à l’évocation du « caractère national ». Mais par là, j’entends simplement les présupposés et les conduites partagées par un pays donné de manière largement inconsciente et comme si cela allait de soi. En d’autres termes, je fais référence, à ce qu’on a aujourd’hui coutume d’appeler l’habitus [11]. Pierre Bourdieu a décrit les différences d’habitus telles qu’elles se reflètent dans les goûts des membres des différentes classes de la société française [12]. C’est un phénomène semblable que je vise dans ma description des différentes expériences entre les nations. Comme l’écrivait Norbert Elias :
« Ces différences sont condensées dans la langue et les modes de pensée des nations. Elles se manifestent dans la manière dont les gens s’accordent entre eux dans la communication et dans la façon dont ils réagissent à des événements personnels ou impersonnels. Dans chaque pays, les manières de percevoir et de se comporter, dans toutes leurs dimensions, ont une tonalité nationale très marquée. Très souvent, on ne s’en aperçoit que lorsqu’on a affaire à des étrangers. Quand nous entrons en interaction avec nos compatriotes, les différences individuelles ont d’habitude une telle prise sur notre conscience que la coloration nationale commune, ce qui nous distingue des individus des autres nations, passe souvent inaperçue. Tout d’abord, nous nous attendons à ce que, d’où qu’ils viennent, les gens réagissent à des situations identiques de la même façon que nos compatriotes. Lorsque nous nous trouvons dans une situation où nous sommes forcés de constater que les membres de nations différentes réagissent souvent de manière très différente de ce à quoi nous sommes habitués chez nous, nous attribuons mentalement ce fait à leur “caractère national” [13]. »
10L’habitus des gens porte typiquement les marques de l’histoire et du mode de gouvernement de leur pays, du régime sous lequel ils vivent :
« Dans la conduite des travailleurs en Angleterre, par exemple, on détecte encore la trace des mœurs de la noblesse terrienne et de la gentry, des marchands dans le cadre d’un vaste réseau commercial ; en France, les manières des courtisans et de la bourgeoisie amenée au pouvoir par la Révolution [14] ».
12Ou bien, aux Pays-Bas, on perçoit les effets de la longue domination de la classe des Regenten, les marchands patriciens des villes [15].
13Dans cet essai, je voudrais montrer que l’expérience historique centrale qui a forgé le caractère national américain est le sentiment de devenir toujours plus puissant en comparaison avec ses voisins. Cette expérience exerce des effets à long terme et à tous les niveaux sur la façon dont les Américains se voient eux-mêmes, dont ils voient le reste du monde et dont les autres les voient. À l’appui de cette thèse je m’intéresserai d’abord aux mœurs américaines, puis à l’incidence de la violence dans la société américaine, et enfin au développement de l’État et de l’Empire américains.
Mœurs américaines
14Situées dans une perspective historique, les mœurs américaines apparaissent moins spécifiques que ce que l’on pensait généralement à la fin du 20e et au début du 21e siècle. Même si Arthur M. Schlesinger Sr., dans son étude pionnière sur les manuels de manières américains, a en gros raison de dire que les colonies furent principalement peuplées par des gens pour la plupart peu au fait des usages en cours dans les meilleurs cercles européens [16], les recherches récentes montrent amplement que cela n’empêchait pas une aspiration à mieux connaître ces usages [17]. Nombreux étaient ceux qui possédaient un manuel de manières européen, et le marché pour ce genre d’ouvrages était particulièrement prospère dans les États du Sud où se développait rapidement une classe aisée ; dans les États du Nord-Est et en Nouvelle-Angleterre, la recherche du standing et la déférence envers le modèle anglais étaient chose courante, et cela continua longtemps après l’Indépendance. Certains des manuels qui circulaient en Amérique étaient des versions d’ouvrages européens plus anciens, remontant parfois à la Renaissance et qui ne renvoyaient pas aux critères de « raffinement » alors en usage dans les plus hauts cercles de l’aristocratie européenne. Les célèbres Rules of Civility (Règles de la civilité) que le jeune George Washington recopia pour son propre usage (ouvrage finalement publié en 1890) étaient tirées d’une traduction anglaise du 17e siècle d’un livre français lui-même traduit d’un livre italien du 16e siècle, le Galateo de Giovanni della Casa. Mais ce genre d’ouvrage circulait également en Europe dans les couches sociales n’ayant pas accès au gotha. Quand on examine l’évolution du contenu des manuels de manières au cours du temps, on s’aperçoit en gros que les changements dans les normes sociales décrits par Norbert Elias (manières de table, attitude envers les « fonctions naturelles », les manières de se moucher, de cracher, de se déshabiller, etc.) ont suivi à peu près le même cours en Amérique et en Europe [18]. Alors, sur quoi se fonde la croyance – très répandue à la fois aux États-Unis et au-delà – selon laquelle il y aurait quelque chose de spécifique, de spécifiquement égalitaire dans les mœurs américaines ?
15L’étude des mœurs est intéressante, parce qu’elle tend à refléter les rapports de pouvoir entre les gens concernés. Et les mœurs américaines sont souvent considérées comme étant le reflet du caractère globalement égalitaire de la société américaine. La vérité est un peu plus compliquée.
16Dans la première période de la colonisation anglaise de l’Amérique du Nord, la société était relativement uniforme. Les colons étaient rarement issus de la classe supérieure de la société anglaise : on ne comptait aucun aristocrate, aucun membre de la gentry. L’élite de ces premiers temps était composée d’ecclésiastiques ayant reçu une formation universitaire, d’hommes de loi et de marchands qu’on aurait pu considérer comme appartenant à la classe moyenne aisée en Angleterre. Mais, d’un autre côté, rares étaient les individus appartenant aux strates les plus pauvres de la société qui traversaient l’Atlantique. Pourtant, les colons ont bel et bien apporté avec eux la conscience aiguë du statut propre à la société anglaise, et au cours des 17e et 18e siècles, a émergé une gentry coloniale assez importante qui se conformait consciemment au modèle anglais. Après l’Indépendance, cette gentry fut largement éclipsée, excepté dans les États esclavagistes du Sud bien sûr. La république agraire que visita Alexis de Tocqueville au début des années 1830 était le reflet de la société américaine dans sa phase la plus égalitaire, l’ère de la démocratie jacksonienne. Tocqueville décrit longuement les manières relativement informelles et décontractées qui prévalent dans les relations entre hommes et femmes, maîtres et serviteurs, et même entre officiers et simples soldats dans l’armée. Il propose, à ce sujet, une comparaison édifiante avec l’Angleterre :
« En Amérique, où les privilèges de naissance n’ont jamais existé, et où la richesse ne donne aucun droit particulier à celui qui la possède, des inconnus se réunissent volontiers dans les mêmes lieux, et ne trouvent ni avantage ni péril à se communiquer librement leurs pensées. […] Leur abord est donc naturel, franc et ouvert [19]. »
18Par contraste, les Anglais qui se rencontraient par hasard se montraient généralement réservés, de peur qu’une relation informelle (nouée lors d’un voyage à l’étranger par exemple) ne se révèle embarrassante une fois de retour dans leur cadre social rigide habituel.
19Cependant, la fin du 19e siècle, l’âge doré du développement industriel caractérisé par la constitution d’immenses fortunes, fut également une période d’intense concurrence sociale aux États-Unis ; des vagues de nouveaux riches renversèrent alors les barrières des vieilles élites sociales. Ce phénomène est très bien décrit dans les romans d’Edith Wharton. Les marques de distinction sociale se renforcèrent, les manuels de manières trouvèrent un grand nombre d’acheteurs désireux non seulement d’imiter les mœurs propres aux anciennes classes supérieures américaines, mais aussi à celles de l’élite européenne. On tenta d’introduire la pratique du chaperonnage, sans succès ; les traditions égalitaires conservaient une certaine force.
20Cette époque pourrait sembler être une anomalie. En effet, on assista au 20e siècle à un renversement de tendance, et à un retour au premier plan de l’informalisation [20]. Et cela ne touche pas simplement les convenances, les formules de politesse, mais aussi les relations entre les sexes [21].
21Il est important de souligner que, même si le lien est indirect et complexe, cette tendance à l’informalisation a suivi une trajectoire parallèle à celle de la distribution des revenus et des richesses dans une société américaine qui, de 1913 aux dernières décennies du 20e siècle, s’est, avec quelques variations, relativement uniformisée comparée à la fin du 19e siècle. Mais nous vivons aujourd’hui un nouvel âge d’or du capitalisme, puisque, aux États-Unis (et dans une moindre mesure au Royaume-Uni), les revenus des plus riches ont cru de manière astronomique, tandis que les pauvres devenaient plus pauvres encore et que même le niveau de vie de ceux que les Américains appellent la classe moyenne (qui comprend les ouvriers qualifiés ayant un emploi stable) stagne, voire diminue [22]. En outre, la mobilité sociale n’est pas aussi importante qu’on le pense habituellement : une étude récente montre qu’elle est plus faible aux États-Unis (et au Royaume-Uni) qu’au Canada, en Allemagne et dans les quatre pays scandinaves [23]. J’ai déjà parlé du décalage entre perception et réalité comme de « la malédiction du rêve américain [24] ».
22Je ne peux montrer preuves à l’appui que cette inégalité flagrante au cœur de la société américaine se reflète déjà dans un processus de distanciation au niveau des mœurs. Celles-ci, me semble-t-il, manifestent les rapports de pouvoir entre les gens, et des mœurs plus égalitaires sont en général le signe d’un élargissement du cercle d’« identification mutuelle ». Mais la célèbre remarque de la défunte Leona Helmsley, selon laquelle « c’est aux petites gens de payer des impôts », n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres du mépris affiché par les riches Américains pour le bien-être des pauvres et des catégories modestes. Ce qui pourrait bien prévaloir n’est pas un élargissement du cercle d’identification mutuelle dans toutes les couches de la population américaine, mais une sorte d’« identification verticale [25] » (upwards identification) : le mythe/rêve américain de l’égalité est activement promu à travers l’encouragement au « patriotisme » (c’est-à-dire au nationalisme américain) dans les couches moyennes et inférieures de la population, tandis que chez les détenteurs du pouvoir, le mépris prévaut envers ces populations défavorisées. Dans une attitude que l’on pensait caractéristique du 19e siècle, les pauvres sont toujours considérés comme étant « responsables » de leur sort. Les mœurs égalitaires sont peut-être en train de devenir un exemple de ce que Marx appelle « la fausse conscience ».
23D’un point de vue historique, les États-Unis diffèrent de nombreux pays européens dans la mesure où ils n’ont jamais possédé une classe sociale unique capable de façonner à elle seule les mœurs et les habitus. Les États-Unis n’ont jamais eu de noblesse, mais ils ont bien eu plusieurs aristocraties en concurrence. Parmi celles-ci, le Massachusetts (le Philadelphie des quakers est parfois mentionné également) continue à occuper une trop grande place dans l’idée que se font les Européens de l’élément ayant forgé le caractère américain. Certes, en Nouvelle-Angleterre, a existé quelque chose comme la bourgeoisie des talents allemande, une élite de marchands et de travailleurs instruits. C’est à eux et aux pressions exercées par la vie commerciale et professionnelle qu’on peut, dans une certaine mesure, attribuer l’inclination égalitaire de l’habitus américain ; le fait de ne pas montrer son dédain envers ses concitoyens, même si l’on était intimement convaincu de la supériorité de son éducation, de sa compréhension et de sa perception des choses. Alors qu’elle visitait les États-Unis à la fin des années 1830, peu de temps après Tocqueville, Harriet Martineau parle de la grande prudence très précocement et très profondément inculquée aux individus originaires du Nord des États-Unis [26] ; elle décrit une « crainte de l’opinion » très semblable à ce qu’Elias appelle l’autocontrôle par anticipation de ce que les autres pourraient penser [27]. Elle prétendait pouvoir distinguer les membres nordistes des membres sudistes du Congrès rien qu’en observant leur démarche :
« C’est à Washington qu’on peut le mieux observer une grande diversité de manières. Les sudistes s’y montrent tout à leur avantage, au contraire des New Englanders ; l’aisance et la franche courtoisie de la gentry du Sud (avec, de temps à autre, une touche d’arrogance, cependant), contraste avec la prudence, parfois la gaucherie, et l’attitude trop révérencieuse des représentants nordistes. On a le sentiment de pouvoir reconnaître un représentant de la Nouvelle-Angleterre rien qu’à sa démarche contrite. Il semble toujours avoir à l’esprit qu’il lui est interdit de se battre en duel, alors que d’autres le peuvent [28]. »
25Ceci nous amène à l’autre grande aristocratie rivale, celle du Sud esclavagiste. De l’Indépendance à la guerre civile, les sudistes se sont taillés la part du lion concernant le pouvoir politique de l’Union [29]. L’évocation de la pratique du duel est très significative. Comme le faisait remarquer Norbert Elias, dans l’Allemagne du 19e siècle, le fait d’être jugé digne de donner satisfaction dans un duel (Satisfaktionsfähigkeit) était devenu l’un des critères principaux pour appartenir à la classe supérieure [30]. Et, même si les plus grands planteurs avaient peut-être davantage conscience de regarder en direction de leur homologues anglais ou français, c’est avec les Junkers prussiens qu’il convient d’abord de les comparer [31]. Ils partageaient avec ces derniers le fait de fournir à l’armée nationale une bonne partie des officiers. De même, ces deux groupes régnaient chez eux de manière autocratique sur un État de droit privé (Privatrechtstaat) – ils avaient le droit d’arbitrer les décisions de justice et de les faire appliquer sur leur domaine, sans que les institutions gouvernementales n’interviennent, ou rarement. Les autorités de l’État ne se mêlaient pas des relations entre les maîtres blancs et la population noire, ni pendant la période esclavagiste antérieure à la guerre civile, ni pendant les longues décennies des lois ségrégationnistes et des lynchages s’étendant de la Reconstruction à l’entre-deux-guerres ; pas plus qu’elles n’intervenaient dans ce qu’on appelle désormais la violence des « Noirs contre les Noirs ». Cette absence d’intervention jette une immense ombre sur la société américaine jusqu’à aujourd’hui.
26Mais les conflits entre Blancs n’étaient pas davantage pris en compte par les autorités de l’État. Les structures sociales du Vieux Sud ont aussi été mises en rapport avec le code de l’honneur en vigueur [32], et, en effet, ces questions d’honneur étaient fréquemment réglées par le duel. Beaucoup de voyageurs européens, dont Harriet Martineau et le célèbre géologue sir Charles Lyell, furent surpris par sa fréquence : rien qu’à la Nouvelle-Orléans, une personne par jour en moyenne perdait la vie au cours d’un duel. On a largement débattu du code de l’honneur et de ses variantes en Europe et en Amérique. Roger Lane oppose « l’homme d’honneur » sudiste à « l’homme de la dignité » de la Nouvelle-Angleterre, qui avait plutôt tendance à régler ses différends en justice. La propension à porter les litiges devant les juridictions de l’État n’est pas d’abord liée à des dispositions individuelles culturellement conditionnées, mais au degré de pacification interne et à la réalité du monopole de l’État dans l’usage légitime de la violence sur un territoire donné. Cependant, la différence entre code de l’honneur et code de la dignité est liée à des styles personnels et émotionnels différents : le sudiste, comme l’homme de la Satisfaktionsfähigkeit de l’Empire, était d’un caractère « dur » et impassible ; certains commentateurs pensent qu’on peut en retrouver la trace encore aujourd’hui dans le débit haché et rugueux de nombreux porte-parole de l’armée américaine.
D’autres élites en compétition méritent d’être mentionnées : celles relativement autonomes de nombreuses grandes villes américaines dans le passé, la ploutocratie qui s’est développée après la guerre civile et qui, aujourd’hui, exerce une très forte domination économique et politique. Peut-être devrions-nous aussi mentionner Hollywood, les héros et les héroïnes de la culture populaire. Mais, je veux simplement revenir sur le fait que, dans notre perception de l’Amérique d’hier comme d’aujourd’hui, le modèle de la Nouvelle-Angleterre occupe une trop grande place, et son rival sudiste une trop petite. C’est un point très important, étant donné le transfert massif de puissance relative en faveur du Sud depuis les années 1970.
Et on peut faire le constat d’une grande ironie de l’histoire concernant l’habitus et les mœurs américains : si les États-Unis n’ont pas fait l’expérience au même degré que beaucoup de pays d’Europe de l’Ouest d’une classe supérieure unique servant de modèle, on pourrait néanmoins dire qu’aujourd’hui l’Amérique et les Américains servent de classe supérieure au reste du monde, Europe comprise. Et cela n’a pas été toujours le cas. Comme le faisait remarquer Allan Nevins, jusqu’aux environs de 1825, les Britanniques qui se rendaient aux États-Unis appartenaient surtout à la classe ouvrière ou moyenne. C’était en particulier des commerçants qui parlaient avec respect des mœurs de leurs homologues. Mais, après 1825, des visiteurs de couches sociales plus élevées et plus instruits commencèrent à arriver, et en général, ils faisaient preuve d’une certaine condescendance dans leurs commentaires sur ce qu’ils voyaient, ou sur les gens qu’ils rencontraient. Puis, cet effet de perspective fut encore compliqué par le changement dans l’équilibre des forces entre la Grande-Bretagne et les États-Unis qui s’opéra entre les deux guerres :
À l’heure actuelle, certains Américains considèrent que l’attraction exercée par la culture populaire américaine, et les imitations constantes qu’elle suscite (dans les domaines de la mode vestimentaire, de la nourriture ou de la langue) constitue une sorte de soft power au service des intérêts américains. Toutefois, il serait bon de se souvenir que la bourgeoisie d’Ancien Régime n’avait de cesse de singer les gens de cour, sans que cela les guérisse du ressentiment qu’ils éprouvaient à l’encontre de l’aristocratie.« Pour la première fois, la grande majorité des visiteurs britanniques manifestaient clairement leur respect à l’égard de cette nation riche, puissante et extrêmement complexe par-delà les océans. Pendant la période que nous avons décrite comme celle de la condescendance Tory [1825-1845], les voyageurs avaient tendance à regarder les Américains de haut ; puis au cours de la période que nous avons appelée celle de l’analyse [1870-1922], ils se mirent à les considérer sur un pied d’égalité ; mais, aujourd’hui, ils ont plutôt tendance à regarder l’Amérique avec respect [33] ! »
Le problème de la violence aux États-Unis
27Il y a sur cette question une vaste littérature, ainsi que des perceptions largement partagées par l’opinion qui ne sont pas elles-mêmes exemptes de mythes.
28Contrairement à la perception du grand public, les historiens criminologues s’accordent à présent pour reconnaître que l’évolution de la violence sur le long terme dans les sociétés occidentales est à la baisse. En Angleterre, où l’on a accès à des données sur une durée plus importante que partout ailleurs, Ted R. Gurr dans un travail de recherche reconnu, a montré que la probabilité de se faire assassiner était à peu près quarante fois supérieure au 13e siècle à Oxford qu’au milieu du 20e siècle [34]. Le déclin de la violence n’a pas suivi une courbe régulière : on observe des fluctuations à plus court terme. Ainsi, la plupart des pays ont connu un regain de violence à partir des années 1960, puis un nouveau retournement de tendance à partir des années 1990. La courbe des homicides aux États-Unis suit de très près celle des pays d’Europe occidentale et de pays semblables comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les données compilées par Manuel Eisner le démontrent de manière très frappante [35].
29Mais il faut bien distinguer évolution et niveau de violence [36]. Ce qui différencie les États-Unis est leur niveau de violence : on y trouve simplement plus d’homicides que dans d’autres pays comparables. Même s’il faudrait en réalité considérer à part d’autres formes de violence, le taux d’homicides par an pour cent mille personnes constitue un bon indice pour établir des comparaisons internationales. Contrairement à des formes moins graves de violence qui, d’un pays à l’autre, peuvent recevoir des définitions légales très différentes ou qui peuvent être sujettes à des modifications de la législation, la mesure des homicides (crime dénué d’ambiguïté par définition) fournit des chiffres susceptibles d’être comparés quels que soient les pays. Or, les États-Unis ont un taux d’homicides environ quatre fois supérieur à celui de pays comparables [37].
30Encore une fois, un autre mythe est mis en jeu : l’expression « criminalité et violence », très souvent reprise par les politiques et largement répandue dans le public, implique une sorte de synonymie. Mais, comme l’ont montré Franklin E. Zimring et Gordon Hawkins, aux États-Unis, le problème n’est pas la criminalité [38]. On a beaucoup plus de chance de se faire cambrioler à Londres qu’à New York. Les auteurs ont montré que les homicides aux États-Unis ne sont pas corrélés à la délinquance ordinaire (cambriolages, vols, etc.). Le taux de meurtres survenant au cours de délits instrumentaux (instrumental crimes), ceux visant à dérober de l’argent notamment, n’a rien d’exceptionnel. Le taux exceptionnellement élevé d’homicides aux États-Unis est dû à une forte incidence de la violence émotionnelle (affective violence), c’est-à-dire des meurtres commis de manière impulsive, sous le coup de très fortes émotions. Pourquoi les Américains auraient-ils plus de mal à maîtriser leurs impulsions émotionnelles et meurtrières que les Européens ? On pourrait d’abord répondre que ce n’est pas le cas : une bagarre au sortir d’un pub (ou une dispute familiale) qui, en général, se termine par des contusions et des coupures, a plus de chance de faire un mort dans une société inondée d’armes à feu. Même si c’est certainement en partie vrai, cela n’explique pas tout. Dans ce cas précis, il est plus difficile que jamais de parler des Américains en général ; on constate de grandes disparités dans la répartition géographique des taux d’homicide.
31On connaît bien le cas des ghettos de centre-ville, en particulier les ghettos noirs, dans la période 1960-1990. Loïc Waquant a attribué le processus de décivilisation qui s’est produit dans ces zones à deux phénomènes interdépendants : d’une part, à l’effondrement de l’emploi stable et à son remplacement par le chômage, l’emploi précaire et l’économie illégale, notamment le trafic de drogue ; d’autre part, au retrait des services publics (des postes de police aux bureaux de poste) au cours de l’ère Reagan et dans les années suivantes [39]. Il faut ajouter à cela le remplacement du « filet de sécurité sociale » par une « nasse pénale » qui a envoyé en prison un nombre considérable de jeunes Américains, en particulier des Afro-Américains [40].
32Phénomène moins connu que le précédent, mais historiquement lié : les homicides sont en grande partie commis dans les États du Sud et dans les régions de l’Ouest américain qui ont été majoritairement peuplées à partir du Sud [41]. Le point commun est la relative faiblesse des institutions de l’État. Je ne parle pas, évidemment, de « l’État de l’Union », sinon de manière incidente, mais du concept d’État au sens sociologique tel que formulé par Max Weber : une organisation qui « revendique avec succès, dans l’application de ses règlements, le monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné [42] ». Le processus de monopolisation a été fortement retardé et est moins profond dans le Sud que dans le Nord, comme l’a montré implicitement notre analyse du code de l’honneur sudiste [43]. La tradition consistant à « prendre la loi à son propre compte » est restée forte. Dans de nombreux États du Sud, il a longtemps été légal pour un mari de tuer l’amant de sa femme [44]. Dans les années 1920, la Georgie a très tôt milité en faveur de la libération des femmes en les autorisant, elles aussi, à tuer la maîtresse de leur mari. Le lynchage, qui touchait en priorité les Afro-Américains, a commencé à décliner après les années 1920, mais n’a complètement disparu que dans les années 1960. Comté par comté, on trouve une forte corrélation entre la fréquence des lynchages par le passé et celle des homicides aujourd’hui [45]. Il est frappant de constater que le recours à la peine de mort est de loin le plus répandu dans les États et les comtés où les groupes d’autodéfense étaient les plus actifs [46] et les lynchages les plus fréquents, et qu’une fraction disproportionnée des exécutions concerne des Afro-Américains [47].
33Pieter Spirenburg avance la thèse provocatrice selon laquelle, dans l’histoire des processus de formation de l’État en Amérique, « la démocratie est arrivée trop tôt [48] ». Dans la plupart des régions d’Europe occidentale, se sont développés des processus de centralisation s’étalant sur des siècles et conduisant à la concentration des instruments de la violence dans les mains d’un nombre toujours plus restreint d’individus, pour finir par la formation d’un appareil monopolistique relativement efficace dirigé par des monarques. Cette évolution fut sans doute graduelle, mais les combats au sein d’une élite guerrière furent sanglants, alors même que de moins en moins d’acteurs avaient la capacité de faire la guerre indépendamment d’un pouvoir central. Ce processus était dans sa phase ultime lorsque la colonisation européenne de l’Amérique du Nord débuta. Une fois le monopole royal de la violence fermement établi (comme c’était en général le cas vers la fin du 17e ou du 18e siècles), l’objectif des populations dans les combats qui suivirent (la Révolution française en étant l’exemple le plus spectaculaire) était non de défier ou de détruire ce monopole, mais de le partager (co-possess). En d’autres termes, il s’agissait soit d’assurer un contrôle plus large sur ceux qui exerçaient ce monopole, soit de le démocratiser.
34Cependant, en Amérique du Nord, « aucune phase de centralisation n’a précédé la démocratisation » et c’est pourquoi « la démocratie est arrivée trop tôt ». Ce que veut signifier Spierenburg renvoie à des faits très simples :
« Les habitants n’avaient pas eu le temps de s’habituer à être privés de leurs armes. Par conséquent, resta vivace l’idée selon laquelle l’existence même d’un monopole de la force était indésirable. Et elle resta vivace au sein d’une structure de plus en plus démocratique : non pas [comme dans l’Europe médiévale] des élites régionales se battant pour régner sur leur propre principauté, mais des gens ordinaires revendiquant le droit à l’autodéfense. […] Pour les élites locales et, de plus en plus souvent, pour les gens ordinaires, la démocratie signifiait le droit de protéger sa propriété et ses intérêts par les armes [49]. »
36Pieter Spierenburg reconnaît erronée l’affirmation selon laquelle il n’y a pas eu du tout, aux États-Unis de passage des luttes pour détruire l’appareil possédant le monopole de la violence aux luttes pour le partager, « mais, ce qu’on peut dire, au mieux, est que la majorité des gens voulait profiter des deux systèmes » :
« Ils acceptaient la réalité des institutions gouvernementales, mais dans le même temps ils étaient tenants d’une éthique de l’autonomie [self-help]. […] Aujourd’hui, cette idée selon laquelle les individus ne peuvent et ne doivent pas compter sur les institutions gouvernementales pour protéger leur maison est encore bien présente. C’est ce que disent explicitement des membres de la Milice du Michigan dans Bowling for Columbine [le film documentaire de Michael Moore] [50]. »
La formation de l’État et de l’Empire américains
37On a tendance à voir les États-Unis comme une émanation de l’esprit humain, comme si leur existence et leur organisation constitutionnelle étaient sorties directement, sans effusion de sang, des Lumières, de John Locke, du génie des pères fondateurs, et du pur esprit démocratique résumé par la formule : « pas d’impôts sans représentation ! » John Kenneth Galbraith fait néanmoins remarquer que, si les Américains du 18e siècle étaient hostiles à l’impôt sans représentation, ils l’étaient tout autant à l’impôt avec représentation [51].
38En fait, l’édification de cette unité territoriale que sont les États-Unis s’est forgée dans le sang, pas très différemment de la manière dont s’est construite l’Europe occidentale. Si nous regardons un millier d’années en arrière, l’Europe était fragmentée en un grand nombre de minuscules territoires dirigés, c’est-à-dire protégés et exploités, par des seigneurs de guerre locaux. De ce patchwork, ont émergé au cours des siècles des territoires plus étendus mais moins nombreux. Il s’agissait de violents « combats d’élimination » (elimination contest) [52]. C’est une erreur de faire de « l’agressivité » le moteur de ce processus, comme si les traits de personnalité de certains guerriers en étaient l’origine principale. À une époque où la maîtrise de la terre était au fondement du pouvoir, un petit magnat local pacifique ne pouvait pas rester sans réagir pendant que ses voisins se tapaient dessus : car le vainqueur, en prenant le contrôle d’un territoire plus vaste, aurait été bientôt en mesure d’avaler son pacifique voisin. La guerre et « l’agressivité » étaient donc une question de survie. Le processus avait deux facettes : à mesure que des territoires plus vastes étaient pacifiés à l’intérieur, les guerres entre territoires se jouaient à une échelle toujours plus importante.
39L’histoire de la formation de l’État en Amérique du Nord suit un cours similaire. Avec une différence néanmoins, dans la mesure où la lutte pour le territoire au début de la colonisation a été menée à la fois par des conflits exogènes entre les grandes puissances européennes en Europe et par des rivalités endogènes en Amérique du Nord. Au cours des premières phases, ce processus ressemblait un peu à la lutte pour la conquête du territoire africain au 19e siècle. La plupart des conflits au début en prolongeaient d’autres se déroulant au même moment en Europe : les guerres anglo-hollandaises, la guerre de succession d’Espagne, la guerre de Sept Ans, etc. Au cours de ces guerres, les colonies suédoises puis hollandaises furent éliminées. Plus tard, vint le tour des puissances françaises et espagnoles. Plusieurs tribus indiennes s’engagèrent également dans le conflit auprès des puissances européennes, tout en entrant dans une lutte d’élimination entre elles. Mais progressivement, les conflits se jouèrent de plus en plus entre des forces endogènes.
40Je ne vais pas refaire ici le récit de l’Indépendance américaine, sinon pour rappeler que l’impôt auquel les colons refusaient d’être soumis sans la représentation était lié aux coûts engendrés par l’extension du contrôle militaire sur un territoire beaucoup plus vaste après l’élimination effective des Français du Canada et de la région transappalachienne. Cependant, au-delà de ces faits bien connus, il y a une autre facette à cette histoire. Les Britanniques avaient l’intention de réserver la vallée de l’Ohio à leurs alliés iroquois, mais ils tracèrent une frontière sur la carte entre les Blancs et les Indiens, sans avoir les moyens de la mettre en place et de la contrôler [53]. Les colons avaient déjà commencé leur mouvement vers l’Ouest. Comme cela a été reconnu au moins depuis la publication de The Winning of the West (La conquête de l’Ouest) (1889-1899) par Théodore Roosevelt, la guerre d’Indépendance fut aussi une guerre pour s’assurer le contrôle des territoires conquis. Les coloniaux étaient aussi les colonisateurs.
41David E. Stannard a qualifié ce qui est arrivé aux Indiens d’« Holocauste américain [54] ». On ne connaît pas de façon certaine le chiffre de la population indienne avant l’arrivée des colons européens. Les estimations calculées par des chercheurs au 20e siècle varient énormément. Pendant longtemps, on s’est largement accordé sur un chiffre d’environ un million. Cependant, depuis les années 1960, des chiffres allant jusqu’à dix-huit millions ont été avancés. Tout bien considéré, un chiffre compris entre quatre et sept millions semble raisonnable pour la période précédant les premiers contacts avec les Européens [55]. Même si l’on part de cette estimation, le déclin de la population indigène fut rapide et continu. Dans d’autres parties du monde, les populations touchées par des épidémies se sont reconstituées ; mais en Amérique du Nord, on a pu observer localement des baisses de 80 % ou plus entre les premiers contacts avec les Européens et le niveau le plus bas atteint par la population indienne au 19e siècle. Afin d’expliquer l’extermination des Américains de souche sur une grande partie du territoire des États-Unis, David E. Stannard souligne la croyance très répandue au 17e siècle en Europe – et partagée par des philosophes comme John Locke et Gottfried Leibniz –, selon laquelle il existait une espèce hybride mi-animale mi-homme, les Indiens n’étant pas classés parmi les humains [56]. Cette croyance, dit-il, eut les effets d’une prédiction autoréalisatrice :
« Ce qui se passa, en réalité, durant ces premiers contacts entre les Britanniques et les peuples natifs d’Amérique, fut un cas typique de prédiction autoréalisatrice, mais avec des effets génocidaires. Partant du préjugé selon lequel les Indiens ne correspondaient pas à la vision conventionnelle que se faisaient les Européens des humains (qu’ils les décrivent comme vivant “selon les mœurs de l’Âge d’or” ou comme “des bêtes sauvages et des créatures dépourvues de raison”), tout ce qui les faisait apparaître comme incorrigiblement non européens et non chrétiens – et donc non civilisés aux yeux des Britanniques – soulignait par définition leur statut de moins qu’humains [less-than-human status] [57]. »
43À mon avis, c’est établir une relation de causalité trop forte entre les conceptions intellectuelles des premiers colons et leurs comportements au quotidien. L’expansion vers l’Ouest aux dépens des Américains natifs était la conséquence des pressions exercées par des migrants en quête de terres et qui devançaient le gouvernement fédéral dans le contrôle effectif du territoire, contrairement aux politiques suivies pour la colonisation du Canada et de la Sibérie. Les scènes familières de Western ne sont que des versions glamour d’un processus de conquête et de pacification internes.
44Les Américains aiment à faire remarquer qu’ils ont acheté et non conquis par la force des armes une grande part de leur territoire. L’achat de la Louisiane doubla ainsi la surface du territoire en 1803. Mais cet achat s’est effectué dans un contexte particulièrement favorable eu égard aux rapports de force sur le théâtre politique européen, à un moment où Napoléon avait besoin de se décharger de ses responsabilités extérieures. Une vaste bande de terre fut également acquise au Mexique, après avoir laissé clairement entendre à ce pays, en l’envahissant et en mettant à sac sa capitale, qu’il n’avait pas le choix de refuser. « Pauvre Mexique ! Si loin de Dieu, et si près des États-Unis », devait s’exclamer plus tard le président Porfírio Diáz. Le président Ulysses Grant, qui combattit comme jeune officier pendant la guerre du Mexique, considérait cette dernière comme « l’une des plus injustes menée par une nation plus forte contre une nation plus faible. C’était une république qui suivait le mauvais exemple des monarchies européennes, en ignorant la justice dans son désir d’acquérir de nouveaux territoires [58] ».
45Il est inutile de porter un jugement moral sur cet épisode, comme sur de nombreux autres. Je n’ai pas l’intention de dénoncer « les coupables » ; cela serait tomber dans le piège d’un individualisme semblable à celui qui pervertit la vision du monde du gouvernement américain. Je cherche simplement à montrer que le développement américain fut dans l’ensemble un processus social de long terme et relativement peu planifié. C’est un exemple de ce que Norbert Elias a résumé dans son couplet : « Née de multiples projets, mais sans projet / Animée par de multiples finalités, mais sans finalité [59]. »
46En revanche, la balance entre l’« accidentel » et l’« intentionnel » penche du côté de la planification dès qu’une des parties prend nettement le dessus dans le rapport de forces [60]. On peut observer le jeu entre ces deux tendances dans l’acquisition de la première colonie des États-Unis, qui a immédiatement suivi la « fermeture de la frontière » déclarée en 1891 [61]. Les États-Unis ont envahi les Philippines avec le soutien de la Grande-Bretagne (la flotte américaine fut envoyée de Hong Kong), parce que les deux pays craignaient d’être devancés soit par l’Allemagne soit par le Japon.
47La doctrine Monroe de suzeraineté des États-Unis sur le continent se situe dans la même ligne. En 1819, les Britanniques proposèrent une déclaration commune pour s’opposer à la recolonisation de l’Amérique du Sud par les Espagnols. Entre-temps, le secrétaire d’État, John Quincy Adams, insista pour que cette déclaration se fasse au nom de l’Amérique seule. Mais il n’était pas question qu’elle s’applique lorsque, quelque temps plus tard, les Britanniques s’emparèrent des îles Falkland, les États-Unis n’ayant alors pas les moyens de s’opposer à cette annexion. Au début du 20e siècle, leur pouvoir s’étant nettement accru, le corollaire Roosevelt à la doctrine Monroe fut utilisé pour justifier un grand nombre d’interventions militaires américaines en Amérique latine tout au long du siècle. Et au début du 21e siècle, ce que j’ai appelé « l’addendum Dubya [pour George W. Bush] [62] », mis en avant par la stratégie de sécurité nationale en 2002, déclarait que les États-Unis avaient le droit d’intervenir contre ses adversaires partout sur la planète, et n’était pas loin de revendiquer pour le gouvernement américain un monopole de l’usage légitime de la force dans le monde entier. En d’autres termes, et si l’on reprend la définition de Max Weber, le régime de George W. Bush faillit faire des États-Unis un État mondial. En effet, sous certains aspects les États-Unis se comportent actuellement comme un gouvernement mondial [63]. Celui-ci réclame l’application de sa propre juridiction hors de son territoire dans de nombreux domaines, tout en refusant de se plier au corpus du droit international que la plupart des autres pays acceptent. Ses dépenses militaires sont à présent aussi importantes que toutes celles des autres pays du monde additionnées. Il a installé des troupes sur toute la planète, la divisant en plusieurs zones de commandement [64]. Les États-Unis ont maintenant des bases dans les deux tiers des pays du monde, y compris un grand nombre d’anciennes républiques de l’URSS [65]. Je vais tenter dans ma conclusion de développer quelques-unes des conséquences de cette situation.
48Il ne faut pas se méprendre : les bénéfices seraient énormes si les États-Unis (ou un tout autre pays, d’ailleurs) parvenaient à réaliser leurs ambitions déclarées, et réussissaient la pacification interne du monde entier. Pour ceux d’entre nous qui vivent dans des sociétés relativement paisibles, sûres et démocratiques, il est difficile d’imaginer à quel point ce n’est pas le cas pour le reste de l’humanité. La plus grande difficulté à laquelle les hommes ont à faire face est l’insécurité au quotidien : la vulnérabilité face à la violence, la mort brutale, la faim, la maladie, les dangers causés par d’autres hommes ou par les forces de la nature. Si l’on pouvait leur assurer sur la durée un niveau élevé de sécurité, semblable au nôtre, nous pourrions alors assister pour la première fois à un véritable processus de civilisation à l’échelle mondiale. Comme le dit Elias :
« Quand, dans telle ou telle région, le pouvoir de l’autorité centrale grandit, quand sur une plus ou moins grande zone les gens sont obligés de vivre en paix les uns avec les autres, alors la formation des affects et les normes de gestion des émotions se modifient aussi très progressivement [66]. »
50La question est de savoir si cela est possible, et réalisable à long terme par les seuls États-Unis, plutôt que par l’action concertée des pays du monde au travers d’organisations multilatérales telles que les Nations unies.
51À court terme, la domination militaire américaine ne peut pas être contestée. Mais, l’ampleur même des dépenses militaires des États-Unis pourrait finir par leur faire subir le sort que, dit-on, le président Reagan a fait subir à l’URSS : un effondrement consécutif à des dépenses militaires au-dessus de leurs moyens. On saisit de mieux en mieux la sagesse du discours d’adieu à la nation prononcé par le président Eisenhower en 1961, lorsqu’il mit en garde contre la puissance grandissante de ce qu’il appelait « le complexe militaro-industriel ». C’est ce dernier qui semble à présent être le propriétaire du gouvernement américain. Ses activités sembleraient aller exactement à l’encontre de ce que nécessite un processus de civilisation mondial. Les Américains ne sont pas les seuls fournisseurs d’armes aux régions en guerre de la planète, mais ce sont les principaux. Ces approvisionnements en armes semblent souvent être utilisés pour faire jouer diverses puissances armées les unes contre les autres, comme lorsque les Américains encouragent les conflits entre sunnites et chiites (et entre factions chiites rivales). Cette tactique du « diviser pour mieux régner » est censée servir les intérêts à court terme des États-Unis, mais elle va totalement à l’encontre de ce que requiert un processus de civilisation à long terme [67].
52Il y a plusieurs raisons de douter de la réussite de cette stratégie de pacification du monde. La première est que le reste du monde supporterait mal d’être dominé unilatéralement par un pouvoir monopolistique, sans qu’aucun contrôle démocratique ne puisse s’exercer. (La démocratie arrive trop tard, ou pas du tout, dans l’imperium américain). Des anti-impérialistes américains comme Mark Twain ou Carl Schurz ne disaient pas autre chose un siècle plus tôt. Pour eux, les États-Unis ne pouvaient pas dominer les peuples de leurs colonies sur le long terme sans leur offrir de représentation démocratique [68]. Ils devraient leur donner soit l’indépendance, soit la citoyenneté et le droit de vote. Aujourd’hui, la domination américaine est bien plus étendue. Dans ces conditions, il se pourrait que les gouvernements américains finissent par se dire que l’option la plus prudente serait d’en passer par les structures des Nations unies.
Prenons un peu de recul par rapport à ces questions de rapports de force et de relations internationales, et concentrons-nous sur un aspect plus spécifiquement sociologique du problème : la perception faussée qu’ont les Américains à la fois d’eux-mêmes et du monde. Je l’interprète comme un effet du changement à long terme du rapport de forces entre les États-Unis et le reste du monde. Lorsque des personnes ont un énorme avantage de puissance, cela affecte de multiples façons la manière dont elles se perçoivent et perçoivent les autres [69]. On constate ce phénomène aussi bien au niveau du microcosme d’un couple, par exemple, qu’au niveau du macrocosme des relations internationales. Bram van Stolk et Cas Wouters ont découvert que les femmes cherchant à se mettre à l’abri de la violence conjugale prêtaient davantage attention à leur mari que l’inverse, et qu’elles étaient aussi beaucoup plus attentives à leurs souhaits et à leurs besoins [70]. Quand on demande à ces femmes de décrire le caractère de leur conjoint, elles peuvent le faire avec une très grande précision, avec beaucoup de perspicacité et de nuances, alors que les hommes ne peuvent les décrire qu’en recourant à des clichés applicables à toutes les femmes en général. Il semble que ce soit une caractéristique générale dans les rapports de forces inégaux que la partie la plus faible « comprenne » mieux la partie la plus forte. En tant qu’individu originaire de Grande-Bretagne et vivant à présent en Irlande, je constate que les Irlandais sont très bien informés sur l’île voisine, plus peuplée et plus puissante, ainsi que sur les affaires et le peuple britanniques. Au contraire, les Britanniques ne savent en général pas grand-chose de la politique irlandaise et ne voient cette partie des îles britanniques qu’au travers des clichés les plus éculés. Des millions de gens instruits vivant hors des États-Unis savent énormément de choses sur ce pays, sa Constitution, son système politique, ses mœurs et sa culture ; tout cela apparaît très clairement aux yeux du monde. Cependant, c’est comme s’ils regardaient dans un miroir à sens unique (one-way mirror) [71].
L’immense avantage de puissance des États-Unis semble fonctionner un peu comme un trou noir à l’envers : une quantité d’études montre que nombreux sont les Américains qui ne voient pas clairement à l’extérieur, et ont tendance à considérer le « monde extérieur », si tant est qu’ils essaient, de façon manichéenne et stéréotypée. Gore Vidal remarque qu’il y a toujours « un affreux ennemi quelque part prêt à nous faire sauter pendant la nuit par haine de notre Bonté et de nos bonnes joues roses [72] ». Il existe toujours un déficit en matière de connaissance collective de soi, que l’historien David Potter avait déjà identifié dans les années 1960. Il notait que c’était le « curieux destin » des États-Unis que d’exercer une immense influence sur le monde moderne « sans vraiment comprendre eux-mêmes la nature de cette influence ». « Au 20e siècle les États-Unis ont produit ce qui est peut-être la première société de masse, mais le culte américain de l’égalité et de l’individualisme les a empêchés d’analyser cette société de masse de manière réaliste. Ils ont souvent fait comme s’il s’agissait simplement d’une addition infinie de petites villes moyennes conservatrices [73]. »
Cela me ramène aux trois mythes interdépendants que j’ai mentionnés au départ : celui de l’essentielle « européanité » des États-Unis ; celui de « l’exceptionnalisme » américain ; et celui de la « bonté » inhérente des États-Unis. Il serait sans doute plus réaliste de considérer que le développement de l’État société américain montre un certain nombre de caractéristiques propres, mais qu’il a aussi de grandes similitudes avec les processus s’étant déroulés dans beaucoup d’autres pays, et que la vertu morale est équitablement partagée entre tous.
Cependant, chacun de ces mythes est entretenu par l’actuelle position de domination des États-Unis dans le monde. Dans les premiers temps de la colonisation européenne, en imaginant le potentiel du territoire sauvage, John Locke écrit : « Ainsi au commencement, le Monde entier était comme une Amérique [74]. » Depuis, les énormes réalisations américaines dans les domaines de la technologie, de la science, du gouvernement et de la culture ont aidé à transformer le monde, et très souvent à le rendre meilleur. Parfois, on a toutefois l’impression que le monde entier va devenir les États-Unis.
Partout dans le monde, nombreux sont ceux qui envisagent cette perspective avec inquiétude. On peut pour le moins se dire que les Américains ont besoin de porter un regard plus critique sur eux-mêmes et sur leur société. Mais la vision très émotionnelle de leur pays ou d’eux-mêmes, très centrée sur le « nous », rend cela difficile. Même les très nombreux Américains qui éprouvent un certain malaise face au rôle joué par leur pays dans le monde et qui ont connaissance de la façon dont les États-Unis sont vus de l’extérieur, ont souvent du mal à accepter la critique des autres. Cette situation n’est pas sans présenter quelque danger. On peut interpréter la réaction de l’Amérique aux attaques du 11 septembre 2001 sur New York et Washington, à l’aide du concept de « spirales de la honte et de la colère » décrit par Tom Scheff [75]. Ces attaques avaient pour but de créer un sentiment d’humiliation nationale, qui, à juste titre, a produit une réaction de colère, qui, à son tour, a entraîné une contre-attaque violente en partie fondée sur des fantasmes. La puissance américaine dans le monde ayant sans doute amorcé son déclin, les États-Unis vont probablement devoir affronter d’autres humiliations dans les décennies à venir, avec le risque d’entraîner d’autres comportements irresponsables. Le monde devra-t-il apprendre à gérer la menace posée par des États-Unis furieux ? Et si oui, comment ?
Mots-clés éditeurs : États-Unis, exception, formation de l'État, violence, mœurs
Date de mise en ligne : 07/04/2010
https://doi.org/10.3917/vin.106.0143Notes
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[1]
Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, trad. de l’all. par Yasmin Hoffman, Aix-en-Provence, Pandora, 1981, chap. 2.
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[2]
Stephen Mennell, The American Civilizing Process, Cambridge, Polity Press, 2007.
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[3]
Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939. Ce livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975).
-
[4]
Louis Hartz (dir.), The Founding of New Societies : Studies in the History of the United States, Latin America, South Africa, Canada and Australia, New York, Harcourt, Brace & World, 1964.
-
[5]
Stephen Mennell, op. cit. p. 1-4.
-
[6]
Voir Samuel P. Huntington, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, New York, Simon & Schuster, 1996 ; trad. fr., id., Le Choc des civilisations, trad. de l’angl. par Jean-Luc Fidel, Geneviève Joublain, Patrick Jorland et al., Paris, Odile Jacob, 1997.
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[7]
Charles A. Jones, American Civilization, Londres, Institute for the Study of the Americans, 2007.
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[8]
John Winthrop, « A Modell of Christian Charity » [1630], in Giles Gunn (dir.), Early American Writing, New York, Penguin, 1994, p. 108-112.
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[9]
Michael Mann, Incoherent Empire, Londres, Verso, 2003.
-
[10]
« The Dispensable Nation ? », International Herald Tribune, 7 août 2007.
-
[11]
Habitus est le terme toujours utilisé par Norbert Elias en allemand. Il était d’usage courant entre les deux guerres. Avant que Bourdieu ne popularise l’expression, Elias, en anglais, utilisait plus volontiers (ainsi que ses traducteurs) des expressions comme « structure de la personnalité » (personality make-up).
-
[12]
Pierre Bourdieu, La Distinction : critique sociale du jugement, Paris, Minuit, « Le sens commun », 1979.
-
[13]
Norbert Elias, « National Peculiarities of British Public Opinion » [1962], in Essays II : On Civilising Process, State Formation and National Identity, Dublin, UCD Press, 2008, p. 230-255.
-
[14]
Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 220 (traduction corrigée).
-
[15]
Norbert Elias, Studien über die Deutschen : Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Michael Schröter (éd.), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989 ; trad. angl., id., The Germans : Power Struggles and the Development of Habitus in the 19th and 20th Centuries, préf. et trad. de l’all. par Eric Dunning et Stephen Mennell, Cambridge, Polity Press, 1996, p. 10-13. Dans la suite de cet article, nous nous référons à l’édition anglaise.
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[16]
Arthur M. Schlesinger Sr, Learning How to Behave : A Historical Study of American Books, New York, Macmillan, 1947.
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[17]
Louis B. Wright, First Gentlemen of Virginia, San Marino, Huntington Library, 1940 ; Stow Persons, The Decline of American Gentility, New York, Columbia University Press, 1973 ; Richard L. Bushman, The Refinement of America : Persons, Houses, Cities, New York, Knopf, 1993 ; C. Dallett Hemphill, Bowing to Necessity, New York, Oxford University Press, 1999.
-
[18]
Stephen Mennell, op. cit., p. 51-80.
-
[19]
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gosselin, 1835-1840, t. II, 3e partie, chap. 2.
-
[20]
Cas Wouters, Informalization : Manners and Emotions since 1890, Londres, Sage, 2007.
-
[21]
Cas Wouters, Sex and Manners : Female Emancipation in the West, 1890-2000, Londres, Sage, 2004.
-
[22]
Le travail de Thomas Piketty et de ses collaborateurs jette une lumière particulièrement intéressante sur les tendances à long terme de la distribution des revenus et des richesses en Europe et aux États-Unis. Anthony B. Atkinson et Thomas Piketty (dir.), Top Incomes over the Twentieth Century : A Contrast between Continental European and English-Speaking Countries, Oxford, Oxford University Press, 2007.
-
[23]
Jo Blanden et al., Intergenerational Mobility in Europe and North America, Londres, London School of Economics, Centre of Economic Performance, 2005.
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[24]
Stephen Mennell, op. cit., p. 249-265.
-
[25]
Avec mes remerciements à Johan Goudsblom qui m’a suggéré cette expression.
-
[26]
Harriet Martineau, Society in America, Londres, Saunders & Otley, 1837, 3 vol., vol. 3, p. 10.
-
[27]
Norbert Elias, La Société de cour, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1974.
-
[28]
Harriet Martineau, Retrospect of Western Travel [1838], New York, Haskell House, 1969, 2 vol., vol. 1, p. 145.
-
[29]
Pendant plus des trois quarts de cette période de soixante-douze ans, le président fut un propriétaire esclavagiste du Sud ; après la guerre, aucun sudiste ne fut élu avant Lyndon B. Johnson en 1964. Au Congrès, 23 des 34 présidents de la Chambre des représentants et 24 des 36 présidents pro tempore du Sénat furent des sudistes ; il n’y en eut aucun au cours du demi-siècle qui suivit la guerre. Avant celle-ci, 20 des 35 juges de la Cour suprême avait été des sudistes, et ils avaient été majoritaires tout au long de la période ; seuls cinq des 26 juges nommés au cours des cinq décennies suivant la guerre étaient originaires du Sud. Voir James M. McPherson, Abraham Lincoln and the Second American Revolution, New York, Oxford University Press, 1990, p. 12-13.
-
[30]
Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. 44-119.
-
[31]
S. D. Bowman, Masters and Lords : Mid-Nineteenth Century United States Planters and Prussian Junkers, New York, Oxford University Press, 1993.
-
[32]
Bertram Wyatt-Brown, Southern Honor : Ethics and Behavior in the Old South, New York, Oxford University Press, 1982.
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[33]
Allan Nevins (dir.), America through British Eyes,, New York, Oxford University Press, 1948, p. 403.
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[34]
Ted R. Gurr, « Historical Trends in Violents Crime », Crime and Justice : An Annual Review of Research, Chicago, University of Chicago Press, 1981, vol. 3, p. 295-353.
-
[35]
Manuel Eisner, « Modernity Strikes Back ? A Historical Perspective on the Latest Increause in Interpersonal Violence (1960-1990) », International Journal of Conflict and Violence, 2 (2), 2008, p. 288-316.
-
[36]
Stephen Mennell, op. cit., p. 122-154.
-
[37]
L’Afrique du Sud, la Russie et quelques États d’Europe de l’Est ont des taux encore plus élevés, mais ils ont tous en commun d’avoir connu de graves troubles politiques et sociaux ces dix dernières années.
-
[38]
Franklin E. Zimring et Gordon Hawkins, Crime is not the Problem : Lethal Violence in America, New York, Oxford University Press, 1997.
-
[39]
Loïc Wacquant, « Elias dans le ghetto noir », Politix, 56, 2002, p. 209-218.
-
[40]
Becky Pettit et Bruce Western, « Mass Imprisonment and the Life Course : Race and Class Inequality in US Incarcération », American Sociological Rewiew, 69 (2), 2004, p. 151-169.
-
[41]
Roger Lane, Murder in America, Columbus, Ohio State University Press, 1997, p. 350.
-
[42]
Max Weber, Wirtschaft und Gesellschaft : Grundriß der Verstehenden Soziologie, Tübingen, Paul Siebeck, 1922 ; trad. fr., id., Économie et société, trad. de l’all. par Julien Freund, Pierre Kamnitzer, Pierre Bertrand, Éric de Dampierre, sous la dir. de Jacques Chavy et Éric de Dampierre, Paris, Plon, 1971, Pocket, 1995, p. 97.
-
[43]
Stephen Mennell, op. cit., p. 85-94.
-
[44]
Peter N. Stearns, Jealousy : The Evolution of an Emotion in American History, New York, New York University Press, 1989.
-
[45]
Steven Messner et al., « The Legacy of Lynching and Southern Homicide », American Sociological Review, 70 (4), 2005, p. 633-655.
-
[46]
Richard D. Brown, Strain of Violence : Historical Studies of American Violence and Vigilantism, New York, Oxford University Press, 1975.
-
[47]
Franklin E. Zimring, The Contradictions of American Capital Punishment, New York, Oxford University Press, 2003, p. 89-118.
-
[48]
Pieter Spirenburg, « Democracy Came Too Early : A Tentative Explanation for the Problem of American Homicide », American Historical Review, 111 (4), 2006, p. 104-114.
-
[49]
Ibid., p. 109-110.
-
[50]
Ibid., p. 110.
-
[51]
Cité par J. S. Gordon, Hamilton’s Blessing, New York, Penguin, 1998, p. 43.
-
[52]
Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, op. cit., p. 61-82.
-
[53]
Francis Jennings, The Creation of America : Through Revolution to Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 216.
-
[54]
David E. Stannard, American Holocaust, New York, Oxford University Press, 1992.
-
[55]
Shepard Krech, The Ecological Indian : Myth and History, New York, W.W. Norton, 1999, p. 93.
-
[56]
David E. Stannard, op. cit., p. 226.
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[57]
Ibid., p. 230.
-
[58]
Ulysses Grant, Personal Memoirs of Ulysses Grant, New York, Smithmark, 1885, p. 37.
-
[59]
Norbert Elias, La Société des individus, trad. de l’all. par Jeanne Etoré, Paris, Fayard, 1991, p. 108.
-
[60]
Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, op. cit., chap. 6 « Le modèle du jeu ».
-
[61]
Warren Zimmerman, First Great Triumph : How Five Great Americans made their Country a World Power, New York, Farrar, Strauss & Giroux, 2002.
-
[62]
Stephen Mennell, op. cit., p. 211-212.
-
[63]
Michael Mandelbaum, The Case for Goliath : How America Acts as the World’s Government in the Twenty-First Century, New York, Public Interest, 2006.
-
[64]
Pour voir leurs délimitations, consulter les cartes sur les pages de garde de Robert D. Kaplan, Imperial Grunts, New York, Random House, 2005.
-
[65]
En 2004, les États-Unis avaient des bases dans 130 des 194 pays du monde. Cf. Chalmers Johnson, The Sorrows of Empire, Londres, Verso, 2004.
-
[66]
Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 292-293.
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[67]
Une version plus pacifique de cette tactique – que Norbert Elias (La Dynamique de l’Occident, op. cit., p. 99-147) a appelé « le mécanisme absolutiste » –, où des dirigeants centraux mettent leurs forces au service du deuxième groupe social en termes de puissance pour s’opposer au groupe qui pose le plus de problèmes à l’autorité centrale, a joué un rôle significatif dans de nombreux processus de formation de l’État. Et cette tactique a évidemment été utilisée par les États-Unis pour accroître leur pouvoir dans le monde. Mais, sous sa forme violente, elle est contre-productive.
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[68]
Warren Zimmerman, op. cit., p. 330-338.
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[69]
Dans ce passage, j’applique de manière implicite le modèle de Norbert Elias des « relations établis-marginaux » ; pour la version explicite, voir Stephen Mennell, op. cit., p. 311-314.
-
[70]
Bram van Stolk et Cas Wouters, Vrouwen in tweestrijd, Deventer, Van Longhum Slaterus, 1987.
-
[71]
Encore une fois, je remercie Johan Goudsblom pour l’analogie du miroir à sens unique : « Dutch Sociology in the 1950s : A View from Behind the One-Way Mirror », in Rob Kroes et Maarten van Rossum (dir.), Anti-Americanism in Europe, Amsterdam, Vu Press, 1986, p. 12-20.
-
[72]
Gore Vidal, Imperial America : Reflections on the United States of Amnesia, Londres, Clairview, 2004, p. 6.
-
[73]
David Potter, « Civil War », in Comer Vann Woodward (dir.), The Comparative Approach to American History, New York, Oxford University Press, 1968, p. 136.
-
[74]
John Locke, The Second Treatise of Civil Government [1690], section 49.
-
[75]
Thomas J. Scheff, Bloody Revenge : Emotions, Nationalism and War, Boulder, Westview, 1994.