Couverture de VIN_106

Article de revue

Du relâchement des mœurs en régime tempéré

Corps et civilisation dans l'entre-deux-guerres

Pages 115 à 125

Notes

  • [1]
    Pour donner toute la rigueur de l’analyse à ce qui apparaîtra ici un peu trop vite dit, lire Christophe Granger, Les Corps d’été : naissance d’une variation saisonnière, Paris, Autrement, « Mémoires/Culture », 2009, en particulier p. 41-69.
  • [2]
    C’est notamment la position qui structure les chapitres que Anne-Marie Sohn et Pascal Ory (respectivement « Le corps sexué », p. 94-127, et « Le corps ordinaire », p. 129-161) ont donnés à la récente Histoire du corps, t. III : Les mutations du regard : le xxe siècle, Paris, Seuil, « L’univers historique », 2006, dirigée par Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, et dont l’exemple le plus abouti se trouve dans l’histoire intuitive de Pascal Ory, L’Invention du bronzage : essai d’une histoire culturelle, Paris, Complexe, 2008.
  • [3]
    Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939. Ce livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975). Ici Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 271-272.
  • [4]
    Exemplaire est, à ce sujet, l’usage restrictif qui est fait d’Elias par ceux qui, dans le giron de l’« histoire culturelle » surtout, font dériver leur lecture d’Elias des lectures parcellaires qu’Alain Corbin, par exemple, a développées. Ce dernier s’appuie sur des pièces bien particulières de la théorie d’Elias (autocontention, seuil de tolérance, maîtrise de soi, etc.) pour mener à bon port son histoire des sensibilités (et dont il s’est expliqué sur un mode plus formalisé dans « “Le vertige des foisonnements” : esquisse panoramique d’une histoire sans nom », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 39 (1), janvier-mars 1992, p. 103-125). Pour éclairer de tels rétrécissements, André Burguière n’a pas tort, lorsqu’il souligne que « les historiens ont privilégié, dans l’œuvre d’Elias, la notion d’autocontrôle, qui leur permettait, à la fois, d’avaler la pilule de la psychanalyse et d’annexer l’étude du corps au champ des pratiques culturelles (maîtrise des pulsions, apprentissage du sens de la pudeur, dissimulation des fonctions naturelles, etc.) » (« Processus de civilisation et processus national chez Norbert Elias », in Alain Garrigou et Bernard Lacroix (dir.), Norbert Elias, la politique et l’histoire, Paris, La Découverte, « L’armillaire », 1997, p. 146). Sur les modalités d’importation des théories d’Elias dans le champ de l’histoire, on peut lire aussi les (courtes) suggestions de Philippe Poirrier, Les Enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Seuil, « L’histoire en débat », 2004, p. 380-384.
  • [5]
    La formulation théorique la plus aboutie de ce point de vue se trouve dans La Dynamique de l’Occident, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, « Archives des sciences sociales », 1975, Paris, Pocket, 2003, « La pudeur et la gêne », p. 263-273. De ces mécanismes de décivilisation bien civilisés, qui traversent toute l’œuvre d’Elias, et qui donnent plus spécialement sa trame aux études de Quest for Excitement, menées avec Eric Dunning (autrement dit Sport et civilisation : la violence maîtrisée, trad. de l’angl. par Josette Chicheportiche et Fabienne Duvigneau, Paris, Fayard, 1994, on lira notamment l’avant-propos de Roger Chartier, « Le sport ou la libération contrôlée des émotions », p. 7-24), on trouve un exposé éclairant dans Stephen Mennell, « L’envers de la médaille : les processus de décivilisation », in Alain Garrigou et Bernard Lacroix (dir.), op. cit., p. 213-236.
  • [6]
    C’est oublier les mises au point dont Norbert Elias a truffé ses ouvrages, prenant soin de marquer tout ce qui distingue la perspective sociogénétique qui est la sienne de celle que déploie un historien. Lire en particulier, La Société de cour, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1974, préf. de Roger Chartier, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer et Jeanne Étoré, Flammarion, « Champs », 1985, « Sociologie et histoire », p. xxix-lxxvii. On peut lire aussi les éclairages de Nathalie Heinich, La Sociologie de Norbert Elias, Paris, La Découverte, « Repères », 1997, « Sociologue ou historien ? », p. 70-74.
  • [7]
    On peut se faire une idée du basculement à l’œuvre, opéré à mesure que monte le processus de salarisation de la « morte-saison », dont le Front populaire portera le couronnement tardif, en considérant le système d’appréciation des vacances, fait de diversion psychologique et de « dérivation » biologique, de juste mesure et d’équilibre continué des conduites, tel qu’il prévaut vers 1900 aussi bien dans les rangs des élites de la République, que des hygiénistes et des pédagogues de l’école républicaine, et que ramassent entre mille les recommandations d’Ernest Lavisse, « En vacances », La Revue de Paris, 1er novembre 1913, p. 57-77, ou celles, plus clairement prescriptives, de l’illustre Dr Édouard Toulouse, « Les vacances », Comment conserver sa santé, Paris, Hachette, 1914, p. 294-297.
  • [8]
    « Le stade sur la plage », Miroir du monde, 12 mai 1934, p. 21-23 ; Femina, juillet 1934, p. 33.
  • [9]
    « Les maillots féminins devenaient, à vue d’œil, de plus en plus courts sur les cuisses ; d’autre part, on constatait qu’ils étaient de plus en plus échancrés sur la poitrine et dans le dos. Était-ce un effet de l’eau salée sur des étoffes peu solides, sujettes au rétrécissement ? On l’aurait cru naïvement si l’on n’avait signalé que certaines baigneuses avaient été vues échancrant largement leurs maillots à coup de ciseaux », rapporte L’Œuvre, 1er septembre 1927.
  • [10]
    Revue de Paris, 1er octobre 1927, p. 689-703.
  • [11]
    Marie-Claire, 13 août 1937, p. 6-7. Comme souvent, la vérité des usages se dit plus clairement sur le mode satirique ; ainsi Le Rire en 1938 (22 juillet, p. 6-7) : « Il n’y a pas de lieux plus convenable qu’une plage, pas d’endroit où l’on soit plus correct. Comme on y est à peu près nu, le moindre geste équivoque risque de passer pour un attentat à la pudeur. »
  • [12]
    Miroir du monde, 26 juillet 1930, p. 90-91.
  • [13]
    On peut se référer sur ce point à l’étude classique d’Edmond Goblot, La Barrière et le niveau : étude sociologique de la bourgeoisie française moderne, Paris, F. Alcan, « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1925 ; et plus largement aux éclairantes synthèses de Christophe Charle, La Crise des sociétés impériales : Allemagne, France, Grande-Bretagne, 1900-1940. Essai d’histoire sociale comparée, Paris, Seuil, « L’univers historique », 2001, p. 358-414.
  • [14]
    Maurice Halbwachs, Les Causes du suicide, Paris, F. Alcan, « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1925, p. 11.
  • [15]
    « Vivez sportivement », Ève, 17 juillet 1927, p. 3.
  • [16]
    « C’est le moment, lit-on dans Ève (28 juin 1939, p. 11), où nous devons abandonner cette coquetterie qui est un souci permanent l’hiver. Certaines d’entre nous n’ont-elles pas renoncé à leurs boucles l’été ? N’est-ce pas là le plus grand sacrifice que l’on puisse demander à une femme coquette ? » Sur l’effet de transgression que porte alors cette beauté du dehors, si étrangère à l’univers de la jeune fille comme il faut, lire les analyses de Georges Vigarello, Histoire de la beauté : le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Seuil, « L’univers historique », 2004, p. 197-199.
  • [17]
    Hans Peter Duerr, Der Mythos vom Zivilisationsprozess, t. I : Nacktheit und Scham, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1988 ; trad. fr., id., Nudité et pudeur : le mythe du processus de civilisation, préf. d’André Burguière, trad. de l’all. par Véronique Bodin avec la participation de Jacqueline Pincemain, Paris, Éd. de la MSH, 1998, p. 135-146 ; et, notamment concernant l’erreur qui consiste à parler de la pudeur à partir de son « objectivation […] en des obstacles physiques » (vêtements, parures, etc.), voir les critiques formulées par Étienne Anheim et Benoît Grévin, « Le procès du “procès de civilisation” ? Nudité et pudeur selon H.P. Duerr », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48 (1), janvier-mars 2001, p. 160-181. Lire aussi Dominique Linhardt, « Le procès fait au Procès de civilisation : à propos d’une récente controverse allemande autour de la théorie du processus de civilisation de Norbert Elias », Politix, 55, 2001, p. 151-188.
  • [18]
    Norbert Elias, Studien über die Deutschen : Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Michael Schröter (éd.), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989 ; trad. angl., id., The Germans : Power Struggles and the Development of Habitus in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Michael Schröter (éd.), préf. et trad. de l’all. par Eric Dunning et Stephen Mennell, New York, Columbia University Press, 1996, « Civilization and informalization », en particulier p. 23-43. Sur « la montée de l’informel », lire les travaux de Cas Wouters, Informalization : Manners and Emotions since 1890, Londres, Sage, 2007, et ceux de Claudine Haroche, « Des formes et des manières en démocratie » [2001], repris dans L’Avenir du sensible : les sens et les sentiments en question, Paris, PUF, « Sociologie d’aujourd’hui », 2008, p. 97-121.
  • [19]
    Sur ces reclassements, et sur leur importance dans les procédures sociales et politiques de constitution et de représentation des « classes moyennes », dont les enjeux sont renforcés par la crise des années 1930, lire les mises au point de Luc Boltanski, Les Cadres : la formation d’un groupe social, Paris, Minuit, « Le sens commun », 1982, p. 63-127 surtout.
  • [20]
    Développement sur ce point dans Louise-Marie Ferré, Les Classes sociales dans la France contemporaine, Paris, Vrin, 1934, p. 19. On trouve de précieuses pistes d’exploration, sur l’histoire de ces usages informels, dans Jan Bremmer et Herman Roodenburg (dir.), A Cultural History of Gestures : From Antiquity to the Present Day, Cambridge, Polity Press, 1991.
  • [21]
    Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs [1919], Paris, Gallimard, « Folio », 1988, p. 356-357. On trouve de très belles analyses, à ce sujet, dans Jacques Dubois, « La culture des plages », Pour Albertine : Proust et le sens du social, Paris, Seuil, « Liber », 1997, p. 111-126.
  • [22]
    Léo Larguier, « Silhouettes de vacances », Ève, 28 août 1927, p. 2. Et aussi, mais sur un mode différent : Paul Allard, Le Rouspéteur en vacances, Paris, Éd. de France, 1939.
  • [23]
    Le Petit Journal, 8 août 1930, p. 1.
  • [24]
    Paris-Matinal, 30 août 1927, p. 1-3.
  • [25]
    Georges Anquetil, Le Bal sur le volcan : mœurs de vacances, Paris, Anquetil, 1927.
  • [26]
    Pour plus de détails, voir Christophe Granger, op. cit., p. 70-94 ; et sur un mode plus scrupuleusement académique, id., « Batailles estivales : nudité et pudeur dans l’entre-deux-guerres », Le Corps dénudé : rives nord-méditerranéennes, 30, juin 2008, p. 117-134. (On trouve du reste, dans tout ce numéro, dirigé par Régis Bertrand et Anne Carol, des critiques circonstanciées du travail de Norbert Elias.)
  • [27]
    Le suspens de la pacification des sociétés dans l’entre-deux-guerres, dont Elias, dans son dernier grand livre (Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. 218-220), fait un ressort explicatif des lignes de fuite qui conduisent la société allemande au nazisme, mériterait d’être étudié avec soin dans le contexte français, où la violence sociale et idéologique culmine en 1934.
  • [28]
    C’est en ces termes que, amorcée vers 1925 dans le Relèvement social et le Bulletin d’information anti-pornographique, la lutte est reconnue comme juste cause dans une résolution officielle de la Fédération en mars 1933. (Bulletin de la Fédération française des Sociétés contre l’immoralité publique, 94, avril 1933)
  • [29]
    L’une d’elle disait ceci : « Considérant que la plage de Calais est surtout une plage de famille, [le Comité] déplore le laisser-aller, signalé dans la presse locale, pendant les dernières saisons […]. Pour éviter ces inconvénients, le Comité demande à M. le Maire de vouloir bien prendre un arrêté réglementant le port du costume de bain, le déshabillage à la plage, le port du peignoir, les bains de soleil, comme cela a été fait dans un grand nombre de stations balnéaires, notamment à Biarritz, Bayonne, Deauville, Wimereux, Malo-les-Bains, etc. » (Pétition du Groupement calaisien pour le Relèvement de la moralité publique à M. le Maire de Calais, 25 mai 1934, publiée sous le titre « Un exemple à suivre », Le Relèvement social, 1er juillet 1934, p. 4)
  • [30]
    Pour une présentation d’ensemble, lire l’ouvrage de Henri Pradel (chanoine honoraire de Paris et directeur de l’école Massillon), « La lutte contre l’immoralité des plages », Les Devoirs de vacances des parents, Paris, Desclée de Brouwer, « Problèmes d’éducation », 1935, p. 233-245.
  • [31]
    On peut se faire une idée du recrutement social des acteurs qui se mobilisent à la lecture des listes que publie régulièrement le Bulletin de la Fédération française des Sociétés contre l’immoralité publique. Sur cette Fédération, par ailleurs, protestante à l’origine (1905), œcuménique par la suite et versée à droite dans les années 1920, lire l’étude de Jean-Yves Le Naour, « Un mouvement antipornographique : la Ligue pour le relèvement de la moralité publique (1883-1946) », Histoire, Économie et Société, 3, 2003, p. 385-394. Importants éclairages, également, sur les logiques sociales de la morale familiale dans Remi Lenoir, Généalogie de la morale familiale, Paris, Seuil, « Liber », 2003.
  • [32]
    Pour saisir les logiques qui structurent cette protestation, voir les tracts de la Ligue féminine d’action catholique, et notamment de l’Appel aux femmes chrétiennes (1934), dont est tirée la citation, mais aussi la Revue des lectures, 5 juin 1936, et plus largement Henri Pradel, op. cit., p. 233-245.
  • [33]
    Éclairante à ce sujet est la note de Louis Hugueney, « Crimes et délits contre les particuliers : nudité constitutive d’outrage public à la pudeur », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, avril-juin 1938, p. 301-302.
  • [34]
    Sur cette importante question, on dispose de l’éclairage minutieux de Johan Vincent, L’Intrusion balnéaire : les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945), Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Histoire », 2007, en particulier p. 103-130.
  • [35]
    Archives municipales de La Rochelle, 2 Fi 4140, arrêté municipal de juillet 1934, commune de La Rochelle ; arrêté municipal du 24 juin 1934, commune de Calais, extraits du Recueil de décisions juridiques et administratives concernant les outrages aux bonnes mœurs, Bordeaux, 1937.

1Comment analyser les conduites estivales dans la France de l’entre-deux-guerres à la lumière du procès de civilisation ? Christophe Granger, grâce à la « boîte à outil d’Elias », réinscrit ce relâchement des mœurs dans une dynamique sociale et historique plus large. Il rappelle néanmoins combien, sous le soleil, la plage fut aussi un lieu de tensions et de violences.

2Quelque chose se passe, dans l’entre-deux-guerres, qui rend possible l’avènement d’un ordre assoupli des conduites. Disputé, inégal et mal cadastré encore, il conjugue volontiers le relâchement des allures et l’assouplissement des convenances à la dénudation plus poussée des corps en public. Parmi les incarnations les plus lisibles de cet ébranlement historique des manières d’être, parmi celles qui ont été sans doute les plus mobilisées pour dire le changement des mœurs, se tiennent les conduites estivales, et en particulier les manières de plage. Pour être déjà de vieilles connaissances, celles-ci reçoivent à ce moment précis une fonction et une signification radicalement renouvelées. C’est alors, en effet, que s’invente un art proprement estival de porter son corps, de le préparer, de l’habiter et de lui trouver du sens, qui noue ensemble l’habitude du bronzage et celle de l’horizontalité publique, la frénésie des mouvements « sportifs » et l’audace de dévoilements insoupçonnés. Une équation de pratiques nouvelles, donc, qui met à l’épreuve les seuils de la pudeur. Mais c’est aussi un lieu symbolique, à partir duquel une société profondément ébranlée par la guerre négocie les certitudes qu’elle cherche à se donner d’elle-même. Or pour qui veut bien se souvenir que la dénonciation du laisser-aller corporel, de la dépravation des mœurs privées et de la corruption morale de la Nation comptent parmi les arguments sociaux et politiques les mieux partagés pour dire et disputer l’ordre des choses, cette histoire de relâchement paraîtra d’un coup moins ténue [1].

« Il est impensable qu’une femme ait pu… »

3Sur quoi fonder alors la compréhension des opérations qui ont insinué en ces hommes et en ces femmes la nouvelle évidence de ce qui se fait l’été ? Faut-il, comme y incline l’explication que se donnaient les contemporains, s’attacher à débusquer les déterminants psychologiques, et accréditer la diffusion d’un puissant « esprit de jouissance », qui aurait, de lui-même, dans des formes identiques, et au même moment, affecté les structures de la personnalité et plié à une commune pulsion de permissivité des individus que tout le reste sépare ? Ou faut-il, suivant l’analyse qui circule ici ou là dans une historiographie portée pour l’essentiel aux abonnés absents, invoquer une vaste entreprise d’acculturation menée par une élite intéressée à conserver sa distinction en s’inventant des usages distinctifs, et qui aurait fini, conformisme aidant, par engager le long de la pyramide sociale la cascade des adhésions populaires [2] ? Sans leur tourner le dos, il faut bien reconnaître que, sauf à convertir en vérités savantes les intuitions du sens commun, ces explications, au fond, n’expliquent pas grand-chose : insoucieuses des conditions de formation et plus encore d’adoption individuelle des normes collectives de comportement, elles laissent intact le mouvement d’ensemble dont elles sont les parties.

4Mieux vaut du coup se doter de montages explicatifs qui, comme chez Norbert Elias, s’efforcent, pour élucider la transformation des conduites, de penser ensemble les inflexions de l’économie affective, des relations sociales et des rapports de pouvoir. Le sociologue, justement, il y a soixante-dix ans déjà, n’a pas manqué de faire une place aux « mœurs balnéaires », telles qu’il les découvrait sur les plages du milieu des années 1930, dans le processus de civilisation des mœurs qu’il s’occupait d’échafauder. Remarquant qu’il « est impensable qu’une femme ait pu se montrer au 19e siècle en public, sans se faire conspuer par la société, dans un de ces costumes de bain qui sont aujourd’hui d’usage courant », il explique que « ces changements, ainsi que la pratique universelle des sports par les hommes aussi bien que par les femmes, présupposent un niveau élevé de contrôle des pulsions ». Conclusion ? « Il s’agit d’un “relâchement” s’inscrivant parfaitement dans le cadre d’un “comportement-standard” civilisé, c’est-à-dire d’une répression et d’une transformation de l’affectivité qui, du fait du “conditionnement”, ont pris le caractère d’une habitude pour ainsi dire automatique. » [3] Ces choses-là sont connues, obscurcies il est vrai par les faux procès faits au procès de civilisation et par les rétrécissements qui ont parfois accompagné son acclimatation académique, historienne notamment, prompte à en rapetisser les logiques au seul périmètre des sensibilités et de la maîtrise de soi [4]. L’important est bien que, pour Elias, ces oscillations de la pudeur, ou plus exactement ces mécanismes de décivilisation, s’enchâssent dans les mutations du tissu social et des interdépendances qui l’animent sans cesse, là où prennent vie, fermement articulées l’une à l’autre, la psychogenèse de l’individu civilisé, rompu désormais au refoulement des pulsions affectives, et la sociogenèse du dispositif propre à imposer et à garantir le jeu des contraintes collectives, en l’occurrence l’État central, dépositaire de la définition légitime des normes de conduite et des modalités de leur organisation concrète [5].
L’analyse, pour l’historien piqué d’aventure des corps, est d’une rencontre précieuse et déroutante à la fois. Elle a le mérite de qualifier au rang des objets académiques légitimes les choses de la frivolité, comme cette affaire de maillots de bain. Et celui, plus grand encore, d’enhardir l’enquête historienne, en lui donnant un lieu d’énonciation un peu particulier qui, comme le fait aussi la sociologie bourdieusienne, impose de déployer une pensée relationnelle, attachée à rendre raison des liens logiques et sociologiques qu’entretiennent les structures sociales et les structures mentales d’ordinaire tenues pour séparées, ou si l’on préfère la culture sous sa forme objectivée et l’expérience pratique qu’en ont les acteurs. Mais si elle offre un gain d’intelligibilité, la démarche a aussi de quoi laisser insatisfait : outre que la circularité du raisonnement ne suffit pas à clarifier les modes concrets d’incorporation de l’habitus civilisé qui trame le relâchement estival des corps, elle a surtout pour travers d’escamoter, derrière la longue durée du mouvement à l’œuvre, combien ces usages-là sont le produit de la rencontre entre un contexte historique particulier, fait de contraintes et d’incertitudes spécifiques, et les stratégies, particulières elles aussi, des acteurs en présence. Combien aussi ils sont le résultat de conflits et d’arbitrages, marqués les uns et les autres par la promotion historique des usages du corps et les reclassements sociaux qu’elle sert, par le regain de l’Église catholique, le tassement du pouvoir étatique et la résurgence des violences civiles. Pas question, bien sûr, de rejouer ici l’opposition sans fin de l’histoire et de la sociologie, vieil instrument de torture académique [6] ; il s’agit, avec la boîte à outils d’Elias, de débroussailler l’histoire des conditions sociales et historiques qui, à ce moment précis, ont ordonné cette mise en jeu particulière des corps et lui ont donné son efficacité.

Le sens du relâchement

5On ne comprendrait rien à l’ordre des conduites qui prend vie sur les plages d’entre-deux-guerres, sous l’effet notamment des hardiesses de l’« été méditerranéen », si l’on ne remarquait pas d’abord ce qu’il doit à la structuration sociale d’un univers à part, ou pour mieux dire d’une configuration singulière, qui, en un temps donné et en un lieu déterminé, soumet les acteurs en présence à des règles du jeu bien à elle, et réclame d’eux des propriétés, des compétences et des manières de faire qui n’ont pas cours le reste du temps. Les manières de plage, en effet, réalisent en chair et en os l’inversion radicale des modes de vie dont est faite à partir de ce moment la définition sociale des vacances [7], détachée depuis la guerre de l’idéal de « diversion » qui prévalait jusque-là dans la bourgeoisie cultivée. Elles s’incarnent ainsi tout entières dans le renversement des habitudes et en particulier dans la distance prise à l’égard des convenances ordinaires. Ce « retour à l’état de nature », bien accordé alors à l’interminable condamnation des « excès de civilisation », que véhiculent, à droite comme à gauche, les programmes de régénération de la race et de la nation, structure les façons de se tenir, de se vivre et de lier connaissance. C’est une impression de familiarité, de désinvolture et de spontanéité que les observateurs n’en finissent pas de découvrir, jusque sur les « plages de familles » et surtout dans les rangs de la « jeunesse active ». Ils disent la levée estivale des cérémoniels, la mixité inhabituelle des coudoiements, les gestes libérés et le recours facilité au tutoiement.

6Les usages du corps, détachés peu à peu du répertoire hygiéniste si prégnant avant-guerre, les façons de se tenir, de marcher, de s’asseoir, sont au diapason de cet estival déplacement de ce qui est convenable et de ce qui ne l’est pas. Il y a les positions et les expositions que réclame le brunissement en vogue de l’épiderme. Il y a la pleine activité des jeux, des courses et des exubérances « sportives » (« on se couche, on se relève, on s’assoit, on se balance, on saute, on rampe, on fait tour à tour le chat, l’ours, le reptile, la chèvre »), qui « n’ont aucune utilité pratique » et que l’on fait « pour rien », c’est-à-dire « pour se reposer des autres, de ceux qui sont imposés » [8]. Et enfin vient l’état licite des nudités et des sollicitations sensuelles qui, suivant la ligne des maillots ajustés, échancrés, rétrécis, dévoilent des bras, des cuisses, des dos d’ordinaire insaisissables [9]. Bref, comme le rapporte entre mille la sérieuse Revue de Paris en 1927, « c’est un grouillement de tons, de chairs, dans lequel les jambes et les bras s’affirment, nus, différemment hâlés, du cuivre au café au lait […]. Les jambes nues des jeunes femmes voisinant les jambes nues des jeunes hommes, les bras se touchant presque, dans une promiscuité sportive qui donne le sentiment d’une grande liberté d’allures, mais non ambiguë [10] ».

7« Non ambiguë » : là se tient l’essentiel, justement. Car cet ordre assoupli des comportements, comme l’a bien vu Norbert Elias, commande l’exhaussement des surveillances de soi, la traque scrupuleuse des débordements impudiques, et quelque chose comme cette « résistance aux émois » que Marcel Mauss place alors au principe des « techniques du corps ». En témoigne, parfois entre les lignes, la multitude des évocations attachées à dire l’escamotage de l’érection embarrassante, l’extrême correction des regards et plus encore les précautions qui doivent entourer les rites du déshabillage public. Il n’est alors pas de mots assez fermes pour mettre en garde, au féminin, contre les contorsions et le risque de faire durer l’opération : « Même si vous avez un maillot de bain dessous, attention à la façon dont vous vous déshabillez. La robe boutonnée devant : oui. La robe qu’on enlève par la tête : non [11] ! »
L’erreur est grande de s’en tenir ici à l’élémentaire édification d’un corps de saison, avec sa silhouette, ses proportions et sa carnation légitimes. Et plus grande encore de réduire ce qui se joue alors à une pure et simple montée historique de la permissivité. C’est toute une morale du relâchement provisoire, qui s’institue, localisée et codifiée, et qui trouve son sens dans l’effacement conjugué des signes ordinaires de la hiérarchie sociale et des marques de déférence qui vont avec. Ainsi, dans ce monde social de circonstance, sans passé ni avenir, où chacun est réduit à ses coordonnées immédiates et immédiatement visibles, la compétence à se montrer naturel, et en particulier à porter son corps de façon détendue et informelle, tient lieu de repères symboliques de rechange, connus et reconnus de tous, à partir desquels s’organisent pour un temps les échanges sociaux. Les « reportages de vacances », bien faits d’ailleurs pour autonomiser par avance une scène, saisie sur le vif et résumée à la seule réalité de l’instant, ne manquent pas d’en faire une « loi » estivale. En 1930, Henri Duvernois, fameux auteur à succès, remarque combien, sur la plage, la démarche assouplie, la nudité portée avec assurance et l’aptitude à se jouer de la pudeur ordonnent « tout un code, compliqué et mystérieux, de signaux de sympathie [qui] s’échange de corps à corps, sans se connaître [12] ». Pour expliquer ce sens du relâchement, qui fait une règle de jouer avec les règles, pour saisir aussi comment il a pu s’insinuer dans la structure historique des comportements, il ne suffit évidemment pas d’observer qu’il prend corps en des années où montent les disciplines nouvelles de la civilisation salariale et de la rationalisation du travail. Il faut s’efforcer d’établir comment il a été le terrain de jeu des concurrences et des reclassements sociaux à l’œuvre depuis la guerre, dont il a constitué tout à la fois le produit et l’instrument.

Manières informelles et classements sociaux

8L’incertitude des statuts sociaux, que signent l’affaissement du monde des oisifs, la montée du salariat et notamment l’ascension des emplois féminins dans la bourgeoisie [13], mais aussi l’impression de morcellement identitaire, dont Maurice Halbwachs remarquait déjà dans les années 1920 combien il éreintait les individus [14], inclinent les fractions modernistes des « classes moyennes » et de la bourgeoisie ascendante à adopter d’autres principes de conduite propres à marquer autrement la distance à l’égard de la bourgeoisie ancienne et des classes populaires. C’est dans ce cadre social, celui d’un ordre moins nettement hiérarchisé, que s’avance l’exaltation estivale d’un relâchement des manières, dont il faudrait aussi pouvoir suivre l’inscription dans la structure des rapports professionnels et des échanges matrimoniaux. La chose se dit avec une clarté particulière dans le processus de codification et de rationalisation des conduites estivales auquel se livrent les magazines féminins à partir du milieu des années 1920, et tout spécialement ceux destinés à la bourgeoisie moderniste, comme Vogue, et aux classes moyennes éduquées, comme Ève, Femina, Votre beauté et un peu plus tard Marie-Claire. Ils portent en effet à l’état explicite les valeurs qui gouvernent les manières de plage. Il ne suffit pas, à ce propos, de décrire l’avènement d’un physique de l’été, dont les formes principales sont pour partie parvenues jusqu’à nous, et qui exige de soigner les apparences, autrement dit d’apprendre à voir comment on va apparaître. Il faut surtout observer qu’il réclame, dans son existence même, l’aptitude à se montrer informel, à renoncer pour un temps à la coquetterie, « souci permanent l’hiver », à la sophistication de la coiffure et au maquillage, qui se font ici marque de vulgarité, pour adopter les codes d’une « beauté du dehors », qui conjugue la simplicité du maillot et celle des postures, et plus largement la compétence à « vivre sportivement », c’est-à-dire à « aller sans contrainte », à retrouver sa « nature primitive », son animalité [15]. Il commande aussi l’aisance à se montrer à demi nue, à tolérer des voisinages et des formes de sociabilités inenvisageables le reste du temps, à s’allonger en public en faisant taire ses préventions usuelles, en un mot à se jouer de la pudeur, avec un naturel qui emprunte à la fois aux « mœurs du sauvage » et à « la simplicité des enfants » [16]. Cette manière de faire, en un lieu où l’abolition des repères ordinaires est portée à son comble, est d’autant mieux incorporée qu’elle s’accorde à la définition « bourgeoise » du corps, et du corps féminin surtout, qui, le dépouillant de ses usages proprement utilitaires, fait de lui un spectacle à donner et à déchiffrer.

9On le voit, c’est s’exposer à n’y rien comprendre que de réduire ces mécanismes à un simple arrangement entre la pudeur et la nudité. Car s’il se peut bien comme l’affirme Hans Peter Duerr, attaché à dénoncer le mythe du procès de civilisation, qu’il y eut par le passé des dénudations plus poussées, des tenues moins couvrantes encore, le jeu avec la pudeur assouvit ici une fonction sociale bien particulière : il enferme, en réalité, tout un mouvement de valorisation du relâchement des manières [17]. Norbert Elias, sur ses vieux jours, parlait à ce sujet d’informalisation, pour décrire les libertés prises avec la formalité des conduites, et dans lesquelles il voyait une marque du déclin des hiérarchisations de rang [18]. Et c’est bien quelque chose de cet ordre qui se niche alors dans les conduites de plage. Mais il faut pousser plus loin. Car, sur un mode synchronique du moins, le relâchement estival, s’il n’assure pas à lui seul la formation de nouvelles hiérarchies, entre bel et bien dans le tracé de nouveaux principes de différenciation sociale. Il constitue l’un des éléments suivant lesquels les classes moyennes « avancées » – cette bourgeoisie salariée qui, des « cadres » d’industrie aux personnels supérieurs des administrations, tirant profit de la diffusion d’une morale de la « modernité par la consommation », est alors portée à s’investir dans les formes nouvelles de dépense symbolique (d’apparence, de temps, de loisir, etc.) –, deviennent en ces années le fragment dominant des classes moyennes, celui qui en incarne la représentation moderne [19]. À égale distance des postures « tape-à-l’œil » et des scrupuleuses rectitudes de la vieille bourgeoisie, la célébration estivale des allures décontractées, qui est aussi une promotion du corps dans les échanges sociaux, participe à imposer un monde au sein duquel les individus, irréductibles à leur position d’autorité ou à leurs conditions économiques, sont jugés sur leurs « capacités » personnelles, et où les distances se mesurent à l’aune des libertés prises avec la formalisation usuelle des relations sociales.
Le long de ce jeu avec les règles, en effet, passent de nouvelles lignes de démarcation sociale, invisibles à ceux qui n’en maîtrisent pas l’usage. De même que le recours au tutoiement ou aux gestes publics d’affectivité, auquel répugne encore largement le monde des employés [20], le relâchement estival disqualifie non seulement les manières de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie d’avant-guerre, dont Marcel Proust consignait déjà le déclin amorcé [21], mais aussi celles, frappées d’excessive correction, d’une indécidable classe moyenne « inférieure ». Rien n’est mieux réprouvé, ici, que ces « silhouettes de vacances », employés de bureau « étriqués » et petits commerçants de province, note Léo Larguier en 1927, qui, incapables de se laisser aller, se « font des politesses », maintiennent des postures cérémonieuses et arborent des tenues « endimanchées ». « Prisonniers de leurs habitudes » et du souci des impressions produites et à produire, ils s’obstinent à mettre des formes et à « faire des manières ». La pudeur qui enveloppe leurs faits et gestes les rend suspects de simulation et de dissimulation : ils « jouent un rôle, ils ne sont pas naturels », jamais ils n’entrent dans le jeu des conduites informelles, qui, justement, donne dorénavant tout son prix, objectif et subjectif, à l’expérience balnéaire [22]. Il faut, autrement dit, toute l’aptitude à prendre au sérieux la levée du sérieux, ou si l’on préfère toute l’habitude distinguée de la « distance au rôle », où entre le plaisir de dénoncer en acte la « prison » des règles et des rangs, pour satisfaire comme il faut à ce relâchement des manières.
Mais plus encore, pour qui veut bien ne pas l’enfermer dans cette « morale de midinette » dont parle Henry de Montherlant, ce sens du relâchement éclaire alors la structuration d’un marché « moderne » des valeurs, où les façons de se comporter (et en l’occurrence le naturel, la spontanéité et le contrôle exacerbé des émotions) valent désormais bien davantage, dans les jeux sociaux, que les fonctions, les titres, les origines et le respect scrupuleux des hiérarchies. Ou pour le dire autrement : dans les manières de plage, soigneusement indexées à la situation présente et à la mise en jeu des corps, bien faites donc pour assurer l’abolition des différences sociales, se tient, grandeur nature, la promotion historique des manières de se conduire dans l’organisation des classements et des échanges sociaux. Et là réside sans doute l’essentiel : cette éthique moderne tire son efficacité, non pas d’un effet de contrainte extérieure, mais bien de ce qu’elle conduit chacun à se représenter le monde et la place qu’il y tient à partir de ces valeurs, portant en particulier ceux qui s’en éloignent à se vivre sur le mode de la gêne, de l’embarras ou du manquement. L’amoncellement des anxiétés estivales, la peur de se « montrer gauche », qu’enregistrent alors les magazines pour dames, en disent long sur ce point. « Il faut, résume un journal populaire en 1930, qu’une femme soit bien sûre de soi pour sortir de l’eau toute mouillée. On se rend compte de la confiance qu’elle peut avoir en elle d’après le parcours qu’elle fait, en sortant des vagues, jusqu’à son peignoir. La pudeur – du moins sur le sable – n’est bien souvent que l’aveu discret d’une imperfection [23]. » Reste que, parce que cette nouvelle donne soumet les modes d’organisation des conduites en vigueur avant-guerre à une brusque disqualification, et parce qu’elle ne va pas, du coup, sans opérer une sorte de dépossession à l’égard de ceux qu’elle prive du pouvoir de fixer l’ordre légitime des choses, l’exacte saisie des mécanismes à l’œuvre réclame de faire une place aux affrontements oubliés qui les travaillent et aux arbitrages qui vont avec.

Affrontements et arbitrages

10Ce que Norbert Elias ne disait pas, pour faire court, c’est bien que le relâchement estival, loin d’un simple ajustement des habitus, est justement le lieu de luttes et de violences, qui ont pour enjeu la définition des conduites légitimes et leur régulation. Or, pour peu qu’on renonce à en faire d’inévitables soubresauts du mourant, les mots de haine, qui condamnent cette « vermine », ce « ramassis de métèques », « cette promiscuité sans pudeur qui fait songer à une “partouze” licite » [24], les pétitions, les usages politiques du thème, à l’image du pamphlet nationaliste qu’y consacre Georges Anquetil en 1927 [25], mais aussi l’intervention des autorités et les empoignades publiques, comme à Malo-les-Bains ou à Sanary-sur-Mer à l’été 1933, se révèlent instructifs [26]. Pris dans le regain des violences, qui ajournent alors la pacification d’une société civile travaillée, comme on sait, par les crises sociales et idéologiques [27], ils éclairent les logiques à l’œuvre. Toutefois, c’est dans la croisade des ligues de moralité, et d’abord de la plus influente d’entre elles, la Fédération française des sociétés contre l’immoralité publique, que réside l’essentiel des résistances. Vouée à faire de la « tenue sur la plage » une priorité dans l’« assainissement du pays » [28], la mobilisation, après plusieurs années d’activisme, culmine dans le sillage de février 1934. « Les anciens combattants l’ont crié à Paris le 6 février : “La France veut vivre dans la propreté”. Nous ne tolérerons donc pas que les plages soient déshonorées par des exhibitions et des jeux malpropres, qui constituent parfois de véritables attentats publics à la pudeur », proclame la Protestation des pères de famille, placardée en juillet à travers le pays. Portée par une nébuleuse de comités et de groupements locaux, et forte du soutien du clergé, qu’un mandement épiscopal appelant à « répudier le libertinage des costumes et des mœurs » est venu enhardir, la « lutte contre l’immoralité des plages » est dotée d’un véritable « plan de bataille ». Déployé sous la forme d’affiches, de meetings, de sermons du dimanche, de « commandos de noyautage » et de pétitions à adresser aux maires, aux préfets ou au ministre de l’Intérieur [29], il consiste, dans l’ordre, à « former les consciences », à « mettre en mouvement les autorités publiques » et à « réprimer les excès » [30].

11L’important, ici, est que la protestation s’enracine dans les rangs d’une petite-bourgeoisie conservatrice (médecins, avocats, professeurs d’université, journalistes, militaires, etc.), souvent liée à la droite chrétienne et issue de ces classes moyennes libérales, dont on sait que, animées de ressentiments, elles mobilisent en ces années la morale, et surtout la morale familiale, comme capital symbolique de substitution face à la perte de leur influence politique et culturelle [31]. Hostiles à l’assouplissement estival des conduites, ils en font le signe d’un laisser-aller universel, d’un relâchement général des mœurs qu’ils relient au goût pour les « sports faciles et les plaisirs instantanés » et à la montée du « m’as-tu-vu ». Ils se pensent en défenseurs de la « pudeur chrétienne », de la tenue et de la retenue, de la modestie et du respect pour soi-même, ces « vertus naturelles des femmes ». Ils exaltent le « devoir de constance » et l’esprit de discipline, ces signes de caractère et de volonté, qui font la qualité des « chefs » (de famille). Et par-dessus tout, ils marquent ainsi leur attachement à un ordre traditionnel des comportements, fondé sur une logique formelle et hiérarchisée des rôles (familiaux, sociaux, etc.), qui dénie aux manières et à leur relâchement l’importance qu’ils prennent sur les plages : « Vous seules pouvez lutter efficacement contre les désordres qui se produisent dans les plages […]. Votre dignité de mère, votre honneur de femme, votre réputation de Française, votre noblesse de chrétienne vous en font une rigoureuse obligation [32]. »

12Et à ce titre, ce conflit, virulent et durable, n’a rien d’un simple épisode pittoresque ; en particulier parce que ceux qui l’animent, résolus à arracher les conduites balnéaires à la simple affaire de goût et de liberté individuels, s’emploient à en faire une question de morale et d’intérêt général, justiciable selon eux d’une réglementation publique des mœurs privées, propre à assurer la continuité des repères et des principes d’organisation des comportements. Ils s’essaient, en vain, à mobiliser le droit, et notamment les catégories d’attentat à la pudeur et d’outrage public aux bonnes mœurs. Et surtout ils mettent l’État en demeure de prendre position. D’abord par le relais que les députés de la droite chrétienne assurent à la Chambre, comme lorsqu’en 1929 Georges Pernot, par ailleurs président de la Fédération des associations de familles nombreuses, appelle le gouvernement à déposer un projet de loi fixant les tenues autorisées. Et puis par l’intervention du ministère de l’Intérieur, en 1927 et 1929, devant l’amoncellement des pétitions et les désordres que rapportent certains préfets. La voie retenue par l’État mérite justement attention. C’est celle du désengagement, celle de la conciliation locale. André Tardieu, en effet, renvoie le règlement de la question, et notamment l’opportunité de régler les conduites, aux administrations municipales.
Ce désengagement de l’État est d’importance. Accordé à la montée d’une lecture libérale de la « pudeur normale », qui s’affirme alors jusque devant les tribunaux [33], et accordé aussi à une reconfiguration du pouvoir étatique et du droit qui lui est reconnu à ordonner les mœurs, il arbitre l’articulation d’un laisser-faire, abrité derrière l’« évolution des mœurs », et, au cas par cas, d’un apaisement négocié des discordes. Les estivants ont alors à compter avec un broussailleux massif d’arrêtés municipaux. Suivant l’infinie déclinaison des périmètres locaux et des politiques municipales [34], ces derniers interdisent les déshabillages et les rhabillages sur la plage, et parfois les « cures de soleil », commandent une « attitude correcte » et « non provocante », et exigent le port d’un « costume de bain décent », dont certaines municipalités, à l’exemple de La Rochelle en 1934, précisent qu’il « doit être établi de manière telle qu’il recouvre entièrement les cuisses, les hanches, l’abdomen, la poitrine et le dos » [35]. En réalité, ces arrêtés, habités d’importantes questions de droit, et dont la mise à exécution se révèle souvent difficile, n’ont rien de manuels de civilité. Ils ne sont pas là pour redresser le relâchement des manières, mais pour organiser la coexistence pacifique d’attitudes sans eux inconciliables. Et à ce titre, s’ils s’avèrent malhabiles, au fond, à gouverner les conduites, ils dotent les pratiques de plage de repères objectifs communs, et disent ainsi combien la formation et la transformation de l’habitus civilisé ne sont pas suspendues en l’air, ni n’opèrent sur le mode d’un ajustement spontané des pulsions et des pratiques personnelles, mais combien elles sont aussi, au niveau collectif comme au niveau individuel, le produit de transactions, particulières et localisées, avec lesquelles les acteurs doivent compter.
Ainsi le relâchement des conduites, tel qu’il s’impose sur les plages françaises de l’entre-deux-guerres, ne se réduit ni à l’inculcation planifiée de nouvelles (in)disciplines, ni à une petite mécanique de l’imitation sociale, ni même à un déplacement des sensibilités et des dispositions psychiques. Indissociable de l’évolution des structures sociales, et notamment de la montée de l’illisibilité des découpes, il relève de la formation d’un habitus, qui, acquis par les acteurs au fil d’une incorporation des codes de conduite et de leur raison d’être, mais également des valeurs à travers lesquelles ils les apprécient, fait prendre pour naturel l’assouplissement estival des règles de conduites, l’adoption de positions et de postures savamment impudiques, l’émancipation des rangs et des déférences de rang, dont l’évidence est déposée à la fois dans les référents objectifs communs (la plage, l’été, les vacances) et dans les catégories subjectives spontanément mobilisées pour en faire l’expérience. Sur un mode exacerbé, bien sûr, mais dont il n’est pas difficile de voir qu’il trame aussi les usages du dancing, du stade, etc., ce relâchement estival porte donc à l’état explicite une dynamique plus grande que lui. Il dit l’avènement historique d’une configuration sociale, dans laquelle les manières d’être et de faire, et en l’occurrence le jeu circonstancié avec les formes qu’elles prennent, autrement dit l’affaissement des cérémoniels et des étiquettes, constituent désormais un enjeu d’importance dans l’organisation des positions individuelles et collectives. C’est dire que, si elle échoue à rendre compte véritablement des objets historiques dont elle traite, la théorie sociale élaborée jadis par Norbert Elias, et qu’il n’a eu de cesse d’amender, d’ajuster, d’éprouver, a des choses à apprendre aux historiens. À l’image de cette affaire de relâchement, qui autorise de construire un problème historique à part entière, elle se révèle efficace à échafauder d’autres principes d’intelligibilité des sociétés passées.


Mots-clés éditeurs : relâchement, corps, croisade morale, classes moyennes, Norbert Elias

Date de mise en ligne : 07/04/2010

https://doi.org/10.3917/vin.106.0115

Notes

  • [1]
    Pour donner toute la rigueur de l’analyse à ce qui apparaîtra ici un peu trop vite dit, lire Christophe Granger, Les Corps d’été : naissance d’une variation saisonnière, Paris, Autrement, « Mémoires/Culture », 2009, en particulier p. 41-69.
  • [2]
    C’est notamment la position qui structure les chapitres que Anne-Marie Sohn et Pascal Ory (respectivement « Le corps sexué », p. 94-127, et « Le corps ordinaire », p. 129-161) ont donnés à la récente Histoire du corps, t. III : Les mutations du regard : le xxe siècle, Paris, Seuil, « L’univers historique », 2006, dirigée par Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, et dont l’exemple le plus abouti se trouve dans l’histoire intuitive de Pascal Ory, L’Invention du bronzage : essai d’une histoire culturelle, Paris, Complexe, 2008.
  • [3]
    Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, t. I : Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes, t. II : Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation, Bâle, Haus zum Falken, 1939. Ce livre a été partiellement traduit en français par Pierre Kamnitzer et publié aux Éditions Calmann-Lévy, dans la collection « Archives des sciences sociales », sous deux titres distincts : La Civilisation des mœurs (1973) et La Dynamique de l’Occident (1975). Ici Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, op. cit., p. 271-272.
  • [4]
    Exemplaire est, à ce sujet, l’usage restrictif qui est fait d’Elias par ceux qui, dans le giron de l’« histoire culturelle » surtout, font dériver leur lecture d’Elias des lectures parcellaires qu’Alain Corbin, par exemple, a développées. Ce dernier s’appuie sur des pièces bien particulières de la théorie d’Elias (autocontention, seuil de tolérance, maîtrise de soi, etc.) pour mener à bon port son histoire des sensibilités (et dont il s’est expliqué sur un mode plus formalisé dans « “Le vertige des foisonnements” : esquisse panoramique d’une histoire sans nom », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 39 (1), janvier-mars 1992, p. 103-125). Pour éclairer de tels rétrécissements, André Burguière n’a pas tort, lorsqu’il souligne que « les historiens ont privilégié, dans l’œuvre d’Elias, la notion d’autocontrôle, qui leur permettait, à la fois, d’avaler la pilule de la psychanalyse et d’annexer l’étude du corps au champ des pratiques culturelles (maîtrise des pulsions, apprentissage du sens de la pudeur, dissimulation des fonctions naturelles, etc.) » (« Processus de civilisation et processus national chez Norbert Elias », in Alain Garrigou et Bernard Lacroix (dir.), Norbert Elias, la politique et l’histoire, Paris, La Découverte, « L’armillaire », 1997, p. 146). Sur les modalités d’importation des théories d’Elias dans le champ de l’histoire, on peut lire aussi les (courtes) suggestions de Philippe Poirrier, Les Enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Seuil, « L’histoire en débat », 2004, p. 380-384.
  • [5]
    La formulation théorique la plus aboutie de ce point de vue se trouve dans La Dynamique de l’Occident, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, « Archives des sciences sociales », 1975, Paris, Pocket, 2003, « La pudeur et la gêne », p. 263-273. De ces mécanismes de décivilisation bien civilisés, qui traversent toute l’œuvre d’Elias, et qui donnent plus spécialement sa trame aux études de Quest for Excitement, menées avec Eric Dunning (autrement dit Sport et civilisation : la violence maîtrisée, trad. de l’angl. par Josette Chicheportiche et Fabienne Duvigneau, Paris, Fayard, 1994, on lira notamment l’avant-propos de Roger Chartier, « Le sport ou la libération contrôlée des émotions », p. 7-24), on trouve un exposé éclairant dans Stephen Mennell, « L’envers de la médaille : les processus de décivilisation », in Alain Garrigou et Bernard Lacroix (dir.), op. cit., p. 213-236.
  • [6]
    C’est oublier les mises au point dont Norbert Elias a truffé ses ouvrages, prenant soin de marquer tout ce qui distingue la perspective sociogénétique qui est la sienne de celle que déploie un historien. Lire en particulier, La Société de cour, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1974, préf. de Roger Chartier, trad. de l’all. par Pierre Kamnitzer et Jeanne Étoré, Flammarion, « Champs », 1985, « Sociologie et histoire », p. xxix-lxxvii. On peut lire aussi les éclairages de Nathalie Heinich, La Sociologie de Norbert Elias, Paris, La Découverte, « Repères », 1997, « Sociologue ou historien ? », p. 70-74.
  • [7]
    On peut se faire une idée du basculement à l’œuvre, opéré à mesure que monte le processus de salarisation de la « morte-saison », dont le Front populaire portera le couronnement tardif, en considérant le système d’appréciation des vacances, fait de diversion psychologique et de « dérivation » biologique, de juste mesure et d’équilibre continué des conduites, tel qu’il prévaut vers 1900 aussi bien dans les rangs des élites de la République, que des hygiénistes et des pédagogues de l’école républicaine, et que ramassent entre mille les recommandations d’Ernest Lavisse, « En vacances », La Revue de Paris, 1er novembre 1913, p. 57-77, ou celles, plus clairement prescriptives, de l’illustre Dr Édouard Toulouse, « Les vacances », Comment conserver sa santé, Paris, Hachette, 1914, p. 294-297.
  • [8]
    « Le stade sur la plage », Miroir du monde, 12 mai 1934, p. 21-23 ; Femina, juillet 1934, p. 33.
  • [9]
    « Les maillots féminins devenaient, à vue d’œil, de plus en plus courts sur les cuisses ; d’autre part, on constatait qu’ils étaient de plus en plus échancrés sur la poitrine et dans le dos. Était-ce un effet de l’eau salée sur des étoffes peu solides, sujettes au rétrécissement ? On l’aurait cru naïvement si l’on n’avait signalé que certaines baigneuses avaient été vues échancrant largement leurs maillots à coup de ciseaux », rapporte L’Œuvre, 1er septembre 1927.
  • [10]
    Revue de Paris, 1er octobre 1927, p. 689-703.
  • [11]
    Marie-Claire, 13 août 1937, p. 6-7. Comme souvent, la vérité des usages se dit plus clairement sur le mode satirique ; ainsi Le Rire en 1938 (22 juillet, p. 6-7) : « Il n’y a pas de lieux plus convenable qu’une plage, pas d’endroit où l’on soit plus correct. Comme on y est à peu près nu, le moindre geste équivoque risque de passer pour un attentat à la pudeur. »
  • [12]
    Miroir du monde, 26 juillet 1930, p. 90-91.
  • [13]
    On peut se référer sur ce point à l’étude classique d’Edmond Goblot, La Barrière et le niveau : étude sociologique de la bourgeoisie française moderne, Paris, F. Alcan, « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1925 ; et plus largement aux éclairantes synthèses de Christophe Charle, La Crise des sociétés impériales : Allemagne, France, Grande-Bretagne, 1900-1940. Essai d’histoire sociale comparée, Paris, Seuil, « L’univers historique », 2001, p. 358-414.
  • [14]
    Maurice Halbwachs, Les Causes du suicide, Paris, F. Alcan, « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1925, p. 11.
  • [15]
    « Vivez sportivement », Ève, 17 juillet 1927, p. 3.
  • [16]
    « C’est le moment, lit-on dans Ève (28 juin 1939, p. 11), où nous devons abandonner cette coquetterie qui est un souci permanent l’hiver. Certaines d’entre nous n’ont-elles pas renoncé à leurs boucles l’été ? N’est-ce pas là le plus grand sacrifice que l’on puisse demander à une femme coquette ? » Sur l’effet de transgression que porte alors cette beauté du dehors, si étrangère à l’univers de la jeune fille comme il faut, lire les analyses de Georges Vigarello, Histoire de la beauté : le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Seuil, « L’univers historique », 2004, p. 197-199.
  • [17]
    Hans Peter Duerr, Der Mythos vom Zivilisationsprozess, t. I : Nacktheit und Scham, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1988 ; trad. fr., id., Nudité et pudeur : le mythe du processus de civilisation, préf. d’André Burguière, trad. de l’all. par Véronique Bodin avec la participation de Jacqueline Pincemain, Paris, Éd. de la MSH, 1998, p. 135-146 ; et, notamment concernant l’erreur qui consiste à parler de la pudeur à partir de son « objectivation […] en des obstacles physiques » (vêtements, parures, etc.), voir les critiques formulées par Étienne Anheim et Benoît Grévin, « Le procès du “procès de civilisation” ? Nudité et pudeur selon H.P. Duerr », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48 (1), janvier-mars 2001, p. 160-181. Lire aussi Dominique Linhardt, « Le procès fait au Procès de civilisation : à propos d’une récente controverse allemande autour de la théorie du processus de civilisation de Norbert Elias », Politix, 55, 2001, p. 151-188.
  • [18]
    Norbert Elias, Studien über die Deutschen : Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Michael Schröter (éd.), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989 ; trad. angl., id., The Germans : Power Struggles and the Development of Habitus in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Michael Schröter (éd.), préf. et trad. de l’all. par Eric Dunning et Stephen Mennell, New York, Columbia University Press, 1996, « Civilization and informalization », en particulier p. 23-43. Sur « la montée de l’informel », lire les travaux de Cas Wouters, Informalization : Manners and Emotions since 1890, Londres, Sage, 2007, et ceux de Claudine Haroche, « Des formes et des manières en démocratie » [2001], repris dans L’Avenir du sensible : les sens et les sentiments en question, Paris, PUF, « Sociologie d’aujourd’hui », 2008, p. 97-121.
  • [19]
    Sur ces reclassements, et sur leur importance dans les procédures sociales et politiques de constitution et de représentation des « classes moyennes », dont les enjeux sont renforcés par la crise des années 1930, lire les mises au point de Luc Boltanski, Les Cadres : la formation d’un groupe social, Paris, Minuit, « Le sens commun », 1982, p. 63-127 surtout.
  • [20]
    Développement sur ce point dans Louise-Marie Ferré, Les Classes sociales dans la France contemporaine, Paris, Vrin, 1934, p. 19. On trouve de précieuses pistes d’exploration, sur l’histoire de ces usages informels, dans Jan Bremmer et Herman Roodenburg (dir.), A Cultural History of Gestures : From Antiquity to the Present Day, Cambridge, Polity Press, 1991.
  • [21]
    Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs [1919], Paris, Gallimard, « Folio », 1988, p. 356-357. On trouve de très belles analyses, à ce sujet, dans Jacques Dubois, « La culture des plages », Pour Albertine : Proust et le sens du social, Paris, Seuil, « Liber », 1997, p. 111-126.
  • [22]
    Léo Larguier, « Silhouettes de vacances », Ève, 28 août 1927, p. 2. Et aussi, mais sur un mode différent : Paul Allard, Le Rouspéteur en vacances, Paris, Éd. de France, 1939.
  • [23]
    Le Petit Journal, 8 août 1930, p. 1.
  • [24]
    Paris-Matinal, 30 août 1927, p. 1-3.
  • [25]
    Georges Anquetil, Le Bal sur le volcan : mœurs de vacances, Paris, Anquetil, 1927.
  • [26]
    Pour plus de détails, voir Christophe Granger, op. cit., p. 70-94 ; et sur un mode plus scrupuleusement académique, id., « Batailles estivales : nudité et pudeur dans l’entre-deux-guerres », Le Corps dénudé : rives nord-méditerranéennes, 30, juin 2008, p. 117-134. (On trouve du reste, dans tout ce numéro, dirigé par Régis Bertrand et Anne Carol, des critiques circonstanciées du travail de Norbert Elias.)
  • [27]
    Le suspens de la pacification des sociétés dans l’entre-deux-guerres, dont Elias, dans son dernier grand livre (Norbert Elias, The Germans…, op. cit., p. 218-220), fait un ressort explicatif des lignes de fuite qui conduisent la société allemande au nazisme, mériterait d’être étudié avec soin dans le contexte français, où la violence sociale et idéologique culmine en 1934.
  • [28]
    C’est en ces termes que, amorcée vers 1925 dans le Relèvement social et le Bulletin d’information anti-pornographique, la lutte est reconnue comme juste cause dans une résolution officielle de la Fédération en mars 1933. (Bulletin de la Fédération française des Sociétés contre l’immoralité publique, 94, avril 1933)
  • [29]
    L’une d’elle disait ceci : « Considérant que la plage de Calais est surtout une plage de famille, [le Comité] déplore le laisser-aller, signalé dans la presse locale, pendant les dernières saisons […]. Pour éviter ces inconvénients, le Comité demande à M. le Maire de vouloir bien prendre un arrêté réglementant le port du costume de bain, le déshabillage à la plage, le port du peignoir, les bains de soleil, comme cela a été fait dans un grand nombre de stations balnéaires, notamment à Biarritz, Bayonne, Deauville, Wimereux, Malo-les-Bains, etc. » (Pétition du Groupement calaisien pour le Relèvement de la moralité publique à M. le Maire de Calais, 25 mai 1934, publiée sous le titre « Un exemple à suivre », Le Relèvement social, 1er juillet 1934, p. 4)
  • [30]
    Pour une présentation d’ensemble, lire l’ouvrage de Henri Pradel (chanoine honoraire de Paris et directeur de l’école Massillon), « La lutte contre l’immoralité des plages », Les Devoirs de vacances des parents, Paris, Desclée de Brouwer, « Problèmes d’éducation », 1935, p. 233-245.
  • [31]
    On peut se faire une idée du recrutement social des acteurs qui se mobilisent à la lecture des listes que publie régulièrement le Bulletin de la Fédération française des Sociétés contre l’immoralité publique. Sur cette Fédération, par ailleurs, protestante à l’origine (1905), œcuménique par la suite et versée à droite dans les années 1920, lire l’étude de Jean-Yves Le Naour, « Un mouvement antipornographique : la Ligue pour le relèvement de la moralité publique (1883-1946) », Histoire, Économie et Société, 3, 2003, p. 385-394. Importants éclairages, également, sur les logiques sociales de la morale familiale dans Remi Lenoir, Généalogie de la morale familiale, Paris, Seuil, « Liber », 2003.
  • [32]
    Pour saisir les logiques qui structurent cette protestation, voir les tracts de la Ligue féminine d’action catholique, et notamment de l’Appel aux femmes chrétiennes (1934), dont est tirée la citation, mais aussi la Revue des lectures, 5 juin 1936, et plus largement Henri Pradel, op. cit., p. 233-245.
  • [33]
    Éclairante à ce sujet est la note de Louis Hugueney, « Crimes et délits contre les particuliers : nudité constitutive d’outrage public à la pudeur », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, avril-juin 1938, p. 301-302.
  • [34]
    Sur cette importante question, on dispose de l’éclairage minutieux de Johan Vincent, L’Intrusion balnéaire : les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945), Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Histoire », 2007, en particulier p. 103-130.
  • [35]
    Archives municipales de La Rochelle, 2 Fi 4140, arrêté municipal de juillet 1934, commune de La Rochelle ; arrêté municipal du 24 juin 1934, commune de Calais, extraits du Recueil de décisions juridiques et administratives concernant les outrages aux bonnes mœurs, Bordeaux, 1937.

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