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Article de revue

La délation antisémite sous l'Occupation

Pages 137 à 149

Notes

  • [1]
    Voir Robert Gellately et Sheila Fitzpatrick (dir.), Accusatory Practice. Denunciation in Modern European History 1789-1989, Chicago, University of Chicago Press, 1997 ; à l’origine, un numéro spécial de la revue Journal of Modern History, paru en décembre 1996.
  • [2]
    André Halimi, La Délation sous l’Occupation, Paris, Alain Moreau, 1983.
  • [3]
    Des erreurs importantes sur le sujet, notamment sur les attributions et l’action législative du CGQJ.
  • [4]
    L’auteur se fonde, sans le citer explicitement, sur un article paru dans Historia en 1975, dans lequel il est écrit que l’ensemble des services allemands furent « abreuvés de lettres anonymes. On a parlé de trois millions. Ces délateurs étaient, eux, de véritables collaborateurs et de l’espèce la plus basse ». (Richard Grossmann, « Les gestapistes français », Historia, hors-série « La collaboration », 39, 1975). André Halimi élargit cette évaluation hasardeuse aux services de police français, d’où le chiffre de trois à cinq millions…
  • [5]
    Helga Schubert, Les Femmes qui dénoncent, préf. de Christine Angot, Paris, Stock, 2002, 1re éd. all. 1990, p. 16. L’auteur présente plusieurs cas de délations féminines : la femme qui veut prouver aux autres qu’elle n’est pas bête et qui est fière d’avoir reconnu un homme recherché ; la délation purement idéologique d’une épouse de dirigeant nazi contre son médecin ; une « pipelette » qui rapporte une discussion compromettante qu’elle a eue dans un train avec un ancien combattant « communiste » ; la dénonciation passionnelle d’une maîtresse ou d’une femme trompée par son mari ; etc.
  • [6]
    Mis sous scellés à la Libération et consultables sous dérogation, Archives nationales (AN), Z6 1377 à 1379.
  • [7]
    Mais, toutes n’étaient pas des délations (il s’agissait souvent de lettres d’insultes ou de suppliques de victimes de la politique antijuive) et, bien entendu, il est pratiquement impossible de repérer les lettres de dénonciation signées et destinées à un interlocuteur précis.
  • [8]
    AN AJ38 3 à 70.
  • [9]
    AN AJ38 152 à 194.
  • [10]
    Pour le reste, la totalité des dossiers nominatifs constitués par la SEC ont été brûlés peu avant la Libération.
  • [11]
    Bibliothèque nationale de France, lettre de A. Lartige, ancien chef de bataillon d’infanterie légère, au ministre de l’Intérieur, s. d. [début des années 1790].
  • [12]
    Christiane Kohser-Spohn, « Théories et pratiques de la dénonciation (1789-1793) : analyse d’un exemple », in Friso Ross et Achim Landwehr (dir.), Denunziation und Justiz. Historische Dimensionen eines sozialen Phänomens, Tübingen, Diskord, 2000, p. 78. Depuis la Révolution française, le délateur a deux visages, celui qui informe les autorités, le plus souvent anonymement, et le « dénonciateur » de presse, vaguement maître chanteur, type de personnage veule que l’on retrouve par exemple dans les romans de Dostoïevski : « Un beau matin, moi qui n’avais jamais donné dans la littérature, j’ai soudain eu l’idée de décrire cet officier sur le mode “dénonciateur”, comme une caricature, sous forme de nouvelle. Cette nouvelle, quel plaisir de l’écrire ! Dénoncé, je l’ai dénoncé, je l’ai même un peu calomnié ; j’ai transformé son nom, d’abord, de telle sorte qu’on pouvait le reconnaître tout de suite mais, plus tard, après mûre réflexion, je l’ai changé et j’ai envoyé le paquet aux Notes patriotiques. Mais les dénonciations n’étaient pas encore à la mode, et ma nouvelle a été refusée. » (Fédor Dostoïevski, Les Carnets du sous-sol, trad. du russe par André Markowicz, Arles, Actes Sud, 1992, p. 71, 1re éd. 1864) « La compagnie de Rogojine était presque entièrement la même que le matin ; s’y était ajoutée une espèce de petit vieux débauché qui, en son temps, avait été le rédacteur d’on ne savait trop quelle feuille de chou dénonciatrice. » (Id., L’Idiot, trad. du russe par André Markowicz, Arles, Actes Sud, 1993, vol. 1, livre 2, p. 267, 1re éd. 1867-1871)
  • [13]
    Être qualifié de délateur est infamant. Après le célèbre discours de Jean Guyot de Villeneuve du 28 octobre 1904, qui dénonce à la Chambre des députés le scandale des fiches (soit la « délation » dans l’armée des officiers catholiques et nationalistes par des camarades « républicains »), fleurissent de nombreuses brochures stigmatisant La Délation maçonnique dans l’armée, La Délation à l’école, etc.
  • [14]
    François-Xavier Nérard, Cinq pour Cent de vérité. La dénonciation dans l’URSS de Staline (1928-1941), Paris, Tallandier, 2004.
  • [15]
    La dénonciation de juifs, comme celle visant les personnes écoutant la radio étrangère, ne comprend que rarement l’expression de mobiles affectifs (croyance dans le nazisme, dévotion pour Hitler, etc.), d’après les lettres qu’a consultées Robert Gellately, Backing Hitler : Consent and Coercion in Nazi Germany, Oxford, Oxford University Press, 2001 ; trad. fr., id., Avec Hitler. Les Allemands et leur Führer, trad. de l’angl. par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Flammarion, 2003, p. 186-191 et p. 255-259.
  • [16]
    Selon le psychanalyste Jacques Hassoun, le délateur « croit en l’autorité qu’il sert humblement ». Ne cherchant qu’à se conformer à la volonté de l’autre, il « prévient, devance et anticipe la volonté de son Maître. Il ne se substitue jamais à lui car le délateur aime que le pouvoir se prenne au sérieux. Il aime le bâton du Maître. » (Jacques Hassoun, « L’hommage du minable à la canaille », in Nicole Czechowski et Jacques Hassoun (dir.), La Délation. Un archaïsme, une technique, Paris, Autrement, 1992, p. 14-15)
  • [17]
    Le délateur est donc un particulier, un citoyen anonyme. Il n’y a pas de dénonciation entre organismes, mais transmission d’informations. Ainsi, plusieurs sociétés immobilières demandent directement au CGQJ la nomination d’administrateurs provisoires aux appartements abandonnés par des juifs réfugiés en zone non occupée et dont les loyers ne sont plus payés, afin de liquider le mobilier, payer les loyers dus et rendre le logement libre. (Voir AN AJ38 801, dossier « Litiges entre propriétaires aryens et locataires juifs (1941-1942) »)
  • [18]
    Pour la période de l’Occupation, l’historien Marcel Baudot évalue de 50 à 55 % de dénonciations motivées par l’intérêt personnel (y compris indicateurs attitrés), environ 40 % par conviction politique, et moins de 10 % par vengeance. (Marcel Baudot, « La résistance française face aux problèmes de répression et d’épuration », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, 81, janvier 1971, p. 45)
  • [19]
    AN F7 14958, lettre de Germaine L. à « Messieurs », 2 août 1941.
  • [20]
    Dans les archives du CGQJ, on constate que souvent les correspondants de la SEC ont également écrit à la préfecture de police ou à la Gestapo. De fait, quand les inspecteurs de la SEC se mettent en action, leur victime a parfois déjà été arrêtée. Par exemple AN Z6 1387, scellé 39, rapport de la SEC, 1er septembre 1943.
  • [21]
    AN AJ38 160, dossier Zina B., lettre anonyme, 20 octobre 1943.
  • [22]
    AN AJ38 193, dossier Charles Weill, lettre de François-Brajon à Xavier Vallat, 26 mai 1941.
  • [23]
    Propos rapporté oralement à une officine du parti par un citoyen, transmis à la justice politique, etc., jusqu’à la condamnation d’un innocent sur la foi de témoignages oraux. C’est le cas en URSS et en Allemagne nazie où un tribunal du peuple juge, dès 1934, les opposants au régime pour trahison ou haute trahison. Du temps du juge Roland Freisler (1942-1945), plusieurs milliers de personnes sont condamnées à la décapitation. Ainsi un médecin dénoncé par une cliente pour avoir douté de la victoire de l’Allemagne à l’été 1943.
  • [24]
    Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), XXXVIII-108, lettre anonyme envoyée au CGQJ, s. d.
  • [25]
    Calcul effectué à partir des archives de la préfecture de police de Paris, PJ37, dossier « Lettres anonymes. Délation », échantillon de cent lettres. Notons que la délation antisémite peut ne pas viser un juif, mais un non-juif apportant de l’aide à un juif.
  • [26]
    Julie Chassin, « La délation sous l’Occupation dans le Calvados », Annales de Normandie, 54, 2004, p. 91, établit une proportion de 2 % de dénonciations visant les juifs. La proportion établie par Barbara Engelking pour la Pologne des années 1940-1941 est sans commune mesure : 30 % des lettres de dénonciation étudiées par l’auteur concernent des juifs. Barbara Engelking, « “Cher Monsieur gestapo…”. La délation aux autorités allemandes en Pologne dans les années 1940-1941 », communication au colloque franco-polonais de Lublin, « Histoire et mémoires des communautés juives en France et en Pologne après 1945 », janvier 2004.
  • [27]
    Certes, avant 1940, les services de police exploitaient déjà des lettres anonymes de caractère antisémite. Ainsi une direction du ministère de l’Intérieur transmettait en mai 1939 à une autre direction de ce ministère une lettre anonyme signalant un trafic de visas concernant des émigrés juifs. (AN F7 16080, note pour l’inspecteur général des services de police criminelle, au sujet de l’affaire « Palestine et Orient Floyd », signée d’Amédée Bussière, 2 mai 1939)
  • [28]
    « Tribune de La Libre parole », La Libre Parole, 11 mai 1892.
  • [29]
    Archives israélites, 3 janvier 1895.
  • [30]
    Béatrice Philippe, « “L’identité épinglée”. L’Indicateur israélite de Philippe Sapin (1896). Un ouvrage antisémite au temps de l’Affaire », Yod, 24, 1987, p. 91-113.
  • [31]
    Voir notamment la dénonciation de Cécile Lehwess, qui provoque une enquête de la SEC. (AN AJ38 177, dossier Lehwess, rapport de la SEC, 9 mars 1943)
  • [32]
    Nommé plus tard « Référendum populaire organisé sous les auspices de RADIO-PARIS ».
  • [33]
    AN AJ38 159, dossier Blum, lettre d’Antignac à la « Rose des vents », 24 mai 1943.
  • [34]
    AN AJ38 176, dossier Kutener, lettre du président du Comité de défense contre les communistes et les juifs au CGQJ, 30 juillet 1942 ; réponse du 15 octobre 1942.
  • [35]
    AN AJ38 160, dossier Zina B., lettre anonyme, 20 octobre 1943. L’enquête provoque l’arrestation de Mme B., qui n’a pas été déportée.
  • [36]
    AN AJ38 180, dossier Esther M., lettre anonyme parvenue le 28 octobre 1943.
  • [37]
    L’affaire est transmise au service des affaires juives de la préfecture de police (6e Bureau-J). Odette Dreyfus, dentiste, est une « demi-juive » de religion catholique. Elle n’est donc pas juive selon les textes en vigueur. (AN AJ38 165, dossier Dreyfus Ernestine, lettre de dénonciation anonyme envoyée au CGQJ, juin 1941)
  • [38]
    AN AJ38 172, dossier Herscovici, lettre anonyme, 27 septembre 1941.
  • [39]
    Même les lettres signées suscitent d’abord prudence et réticence. Ainsi une lettre datée du 20 août 1941 : « Je vous signale (aussi bien dans l’intérêt de la communauté française que ce que je considère comme un simple acte de justice envers moi-même) un sujet hongrois juif Zoltan Lieberman. » La lettre est soulignée en gras et un énorme point d’exclamation est apposée dans la marge, avec cette remarque : « Dénonciation à classer ». (AN AJ38 179)
  • [40]
    AN AJ38 136, lettre du statut des personnes de Vichy à la direction régionale du CGQJ à Marseille, 27 septembre 1941.
  • [41]
    CDJC CCXXXVIII-17, lettre du chef de la PQJ à Vichy (rédigée par François Luciani) au CGQJ à Vichy, 19 février 1942.
  • [42]
    AN AJ38 181, lettre du cabinet du CGQJ, 7 octobre 1941.
  • [43]
    Il avait été un ami de François Mitterrand durant son adolescence. Voir Pierre Péan, Une jeunesse française. François Mitterrand, 1934-1947, Paris, Fayard, 1995.
  • [44]
    Voir particulièrement AN Z6 1387, scellé 55, environ 45 pour les mois de juin et surtout juillet 1942 ; scellé 53, une trentaine de lettres transmises par le CGQJ à la PQJ/SEC Paris en août et en septembre 1942 ; scellé 52, une dizaine de lettres transmises par le CGQJ à la SEC du 15 au 30 septembre 1942 ; scellé 51, une douzaine transmises en septembre 1942 ; scellé 54, une trentaine pour le mois d’octobre 1942.
  • [45]
    CDJC CCXXXIX-18, lettre de Mme J. à Xavier Vallat, 21 juin 1941.
  • [46]
    CDJC XXIX-145, lettre d’un administrateur provisoire au CGQJ, 7 octobre 1942.
  • [47]
    Robert Gellately signale également la forte représentation des hommes (Robert Gellately, op. cit.).
  • [48]
    Même constat dressé par Patrice Betbeder, qui détermine 30 % de femmes parmi les auteurs de lettres de délation figurant dans les archives de la préfecture de police de Paris (Patrice Betbeder, « Dénoncer à Paris durant la Seconde Guerre mondiale », in Jean-Paul Brodeur et Fabien Jobard (dir.), Citoyens et Délateurs. La délation peut-elle être civique ?, Paris, Autrement, 2005, p. 72). En revanche, étudiant 225 lettres de dénonciations dans les archives départementales de l’Eure, Julien Papp détermine une proportion de 65,5 % de femmes (Julien Papp, La Collaboration dans l’Eure 1940-1944, Paris, Tirésias, 1993, p. 181-182).
  • [49]
    CDJC XXXVIII-17a, trois lettres à Xavier Vallat, du 23 septembre 1941 au 17 février 1942.
  • [50]
    CDJC XXXVIII-99, lettre de M. Lévy au CGQJ, 14 juillet 1943.
  • [51]
    AN Z6 1377 à 1379, registres du courrier « arrivée » (service du courrier) du 12 janvier 1942 au 30 août 1944.
  • [52]
    AN AJ38 6, lettre de Jean-Claude Maubourguet à Jean Bouvyer, 23 juin 1942, jointe à une lettre de dénonciation d’un lecteur de Je suis partout.
  • [53]
    L’immeuble du 12, rue Laugier, à Paris, abritait le local du Rassemblement antijuif de Darquier.
  • [54]
    Sa délation provoquera l’arrestation de Hirch O. : « Voilà, il s’agit d’un certain HIRCH O. 97, Bd de la République à St Cloud. Ce gaillard était un membre de l’Aéro Club de France et en son temps j’ai eu avec lui de grosses prises de bec […]. J’ai rencontré ce gros type, toujours aussi gras et rose et sans la moindre étoile à la terrasse d’un café et en me voyant il avait un peu l’air de se payer ma tête. Ne pourrait-on pas “étoiler” ce gars-là. » (AN Z6 1387, scellé 41, lettre de R. A., greffier de la justice de paix, à Louis Darquier de Pellepoix, 24 octobre 1942) Après enquête de la SEC, l’intéressé sera arrêté, interné à Drancy, mais semble avoir évité la déportation.
  • [55]
    AN AJ38 19, lettre de Philippe Henriot à Louis Darquier de Pellepoix, 24 septembre 1942.
  • [56]
    Bernard Bruneteau, « L’Europe nouvelle » de Hitler. Une illusion des intellectuels de la France de Vichy, Monaco, Éd. du Rocher, 2003, p. 221-235.
  • [57]
    AN AJ38 168, dossier F., carte postale de F. à Riou, 1er septembre 1941.
  • [58]
    Figurant dans les archives du CGQJ, cette carte porte l’annotation manuscrite suivante : « Transmis à M. Jacques Ditte ce… » La date est illisible.
  • [59]
    Laurent Joly, Vichy dans la « solution finale ». Histoire du commissariat général aux Questions juives (1941-1944), Paris, Grasset, 2006, p. 623-643.
  • [60]
    En août 1942, le budget de la SEC en zone libre comprend un poste « fonds spéciaux » pour les « invitations » et les « informateurs » de dix mille francs. (AN AJ38 244, lettre de Antignac à Schweblin, 7 septembre 1942)
  • [61]
    Mais souvent l’origine de la source n’est pas mentionnée ou alors le rapport indique un vaste travail d’initiative, afin de justifier les frais de mission correspondants, alors que l’enquête a été menée sur une simple lettre de dénonciation.
  • [62]
    Sous l’Occupation, aucune instruction n’interdit aux prostituées juives l’exercice de leur métier. (Jean-Marc Dreyfus, « L’aryanisation économique des maisons de prostitution : un éclairage sur quelques proxénètes juifs en France occupée, 1940-1944 », Revue des études juives, 1-2, 2003, p. 225-226)
  • [63]
    AN Z6 1387, scellé 37, lettre de dénonciation enregistrée le 31 mai 1943.
  • [64]
    AN Z6 1387, scellé 37, rapport de la SEC, 24 juin 1943. Viviane Chich, née le 31 décembre 1914 à Alger, survivait depuis plusieurs mois. Son époux ayant été déporté le 22 juin 1942, elle avait placé ses cinq enfants à la campagne et était restée à Paris certainement pour leur envoyer de l’argent.
  • [65]
    Les renseignements semblent émaner d’un administrateur provisoire. Sur cette missive, on reconnaît l’écriture d’Antignac : « Faire faire une enquête. Renseignements fournis par de Fontréault. » Le dossier est transmis le 26 mai 1943 à la SEC. Le délateur à l’origine de cette affaire n’est autre que Marcel de Font-Réaulx, futur président de l’Association française des propriétaires de biens aryanisés. Font-Réaulx avait été l’associé de l’ami de Bella Ariel au sein de la société Line Peuch. Notons qu’interrogé en 1949 (Font-Réaulx est, lui, décédé en 1948), ce dernier avoue son incrédulité : « Je ne pense pas qu’il soit le dénonciateur. Je précise que lorsque cette dernière était internée à Drancy, j’avais également chargé De Font-Réaulx d’intervenir auprès d’ANTIGNAC pour la faire libérer. Il m’a dit ne pas avoir obtenu satisfaction. » (Centre des archives contemporaines (CAC), 890158/13, audition d’Édouard M., 18 juin 1949) Mais il est plus que probable que Font-Réaulx ait fait à peu près l’inverse, alimentant Antignac des ragots et informations précises que l’on peut lire dans une lettre adressée par le directeur de cabinet du CGQJ à la Gestapo : « Je vous confirme que les renseignements qui viennent de me parvenir m’indiquent que l’amant de cette juive, M. M. Édouard […] ne cesse de faire des démarches en vue de faire libérer sa maîtresse. […] En conséquence, je vous demande de vouloir bien maintenir la juive ARIEL à DRANCY et de la faire déporter le plus rapidement possible à moins que son pays d’origine ne la réclame. Je vous signale enfin qu’une liaison est établie entre M. M et sa maîtresse et, grâce à la complicité du personnel de DRANCY, cette dernière reçoit des lettres et des paquets tous les jours et qu’il lui est possible de pouvoir écrire à son amant quotidiennement. » (CAC, 890158/13, copie d’une lettre de Joseph Antignac à Heinz Röthke, 1er juillet 1943)
  • [66]
    AN Z6 1384, scellé 66, dossier du cabinet Bella Ariel, rapport de la SEC, 21 juin 1943.
  • [67]
    « Invitée à présenter un vêtement portant l’étoile elle fut dans l’impossibilité de le faire, et fut contrainte de reconnaître qu’elle ne la portait pas ce jour-là. » En conséquence, elle est consignée au poste de police de Saint-Vincent-de-Paul à Paris à 11 h 15. (AN Z6 1387, scellé 41, rapport de la SEC, 17 juin 1943)
  • [68]
    AN Z6 1387, scellé 41, lettre de dénonciation signée Roger F., qui donne ses deux adresses, 24 avril 1943.
  • [69]
    Deux visites infructueuses suivies de deux convocations n’ont pas permis de mettre la main sur elle. Le 25 mai 1943, les inspecteurs de la SEC trouvent enfin leur victime à son domicile. Ils l’interrogent, la confondent, lui font consciencieusement remplir une feuille de « Détermination du caractère juif » et, « Comme la nommée LECHASSAGNE arguait de sa nationalité allemande pour ne pas être l’objet d’une enquête de la part de nos services, son cas a été signalé aux services de la rue des Saussaies avec qui nous nous sommes trouvés accidentellement en rapport. Ils nous ont donné verbalement l’ordre de mettre l’intéressée à leur disposition. » L’inspecteur Douillet la remet à la Gestapo à 10 h 30. (AN Z6 1387, scellé 41, rapport de la SEC, 25 mai 1943)
  • [70]
    AN AJ38 203, rapport de la SEC à la préfecture de police de Paris, 16 janvier 1943.
  • [71]
    Sur l’ensemble de ces problèmes, voir les interrogations et les analyses prometteuses de Benn Williams, « Letters of Denunciation in the Lyon region, 1940-1944 », Historische Sozialforschung, 26 (2-3), 2001, p. 136-152.
  • [*]
    Chargé de recherche au CNRS (Centre de recherche d’histoire quantitative, Caen), Laurent Joly est notamment l’auteur de Vichy dans la « solution finale ». Histoire du commissariat général aux Questions juives (1941-1944) (Grasset, 2006). Il travaille actuellement sur le nationalisme français de la première moitié du 20e siècle, ainsi que sur l’histoire de l’administration et de la population française durant la seconde guerre mondiale. (llaurentjoly1@ yahoo. fr)

1Grâce aux archives du Commissariat général aux Questions juives, Laurent Joly explore les caractéristiques et les motivations de ceux qui eurent à cœur, pendant l’Occupation, de dénoncer les juifs. Il montre la prégnance d’un antisémitisme, viscéral ou circonstanciel, aux fondements divers, qu’ils fussent économiques, professionnels ou passionnels, ou qu’ils fussent animés par la seule haine xénophobe. À pareil égard, ces délations puisent dans la tradition et les références propres à l’extrême droite française du siècle précédent.

2Le délateur est l’une des figures les plus méprisées des années d’Occupation. On l’imagine vil, envieux, méchant et médiocre, assis à la table d’une sombre salle à manger, dénonçant, sur une vulgaire feuille de papier, son voisin de palier juif… Les clichés sur le sujet abondent et, de fait, il est peu d’objets aussi insaisissables pour l’historien que celui de la dénonciation. L’historiographie sur le sujet est inexistante ou presque en France, alors qu’elle s’est développée, depuis une vingtaine d’années, à l’étranger, notamment en ce qui concerne l’étude de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique [1]. Et le seul travail d’ensemble concernant la « délation sous l’Occupation » est l’œuvre du journaliste André Halimi. Dans ce livre, publié pour la première fois en 1983 [2], l’auteur stigmatise la « veulerie », la « mesquinerie », l’« ignoble » comportement de ces « petites gens » qui ont dénoncé. Se fondant notamment sur les archives du Commissariat général aux Questions juives (CGQJ) [3], l’administration antijuive de Vichy créée au printemps 1941, il estime qu’entre trois et cinq millions de lettres ont été envoyées aux autorités de 1940 à 1944 [4]. La délation sous l’Occupation apparaît donc comme un phénomène massif, matérialisé par des lettres avant tout anonymes qui, pour l’essentiel, ont visé les juifs persécutés par les autorités allemandes et l’État français. À cet ensemble d’idées communément admises, on peut en ajouter une dernière, évitée par Halimi : la féminisation de la délation ou le mythe de la « concierge ». Préfaçant un ouvrage consacré aux délatrices sous le nazisme, la romancière Christine Angot notait avec humour : « Et les femmes qui dénoncent, c’est radio-pipelette après tout, rien de nouveau [5]. »

3L’histoire de la dénonciation en France pendant la seconde guerre mondiale est donc davantage objet de croyances et de représentations que de connaissances. Il est vrai que les difficultés de méthode ne manquent pas. Pour tenter de caractériser et d’évaluer la délation antisémite sous l’Occupation, nous avons choisi de partir d’une exploitation, la plus méthodique possible, des archives du Commissariat général aux Questions juives.

4Nous avons d’abord pu retrouver les registres du courrier « arrivée » du CGQJ, tenus à jour de janvier 1942 à août 1944 par le service du courrier de la direction du cabinet à Paris [6], et ainsi pu faire une estimation précise du nombre de lettres « anonymes » parvenues et enregistrées comme telles [7]. Nous avons ensuite dépouillé la correspondance générale du cabinet [8] et, surtout, les neuf mille dossiers nominatifs constitués par la direction du cabinet et qui ont été conservés dans les papiers du CGQJ aux Archives nationales [9]. Sur ces neuf mille dossiers, nous en avons comptabilisé près de trois cents concernant des personnes dénoncées. Cent trois renferment des lettres de délation laissées sans suite ; cent quatre-vingt-quatre, des dénonciations ayant entraîné une enquête de la direction policière du Commissariat, la section d’enquête et de contrôle, dite SEC.

5De fait, nous avons été amené à porter notre attention sur l’activité de cette direction qui, à Paris, disposait d’un pouvoir quasi discrétionnaire. De novembre 1942 à la Libération, ses inspecteurs ont procédé à l’arrestation de près de neuf cents personnes, dont plus de la moitié à la suite de dénonciations. Outre les rapports d’arrestations, disséminés dans les archives du CGQJ, nous avons pu retrouver plusieurs dizaines de dossiers mis sous scellés à la Libération par la cour de justice de la Seine et qui contiennent autant de missives ayant entraîné arrestations et déportations [10].

6En pratique, un grand nombre de lettres de délation concernaient la politique de spoliation. Or, les sources évoquées ci-dessus sont très pauvres dans ce domaine, la direction générale de l’aryanisation économique du CGQJ disposant de son propre service du courrier et des archives, et les dénonciations se trouvant au hasard des milliers de dossiers de spoliation. Du coup, il était difficile de constituer un échantillon représentatif à partir d’un fonds aussi vaste. En revanche, les archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) conservent une série de cent six missives délatrices parvenues aux différents services du CGQJ, série que nous avons utilisée pour catégoriser les différents types de dénonciations. Mais, avant d’entrer dans le vif du sujet, il importe de cerner la notion même de délation antisémite.

Quelques caractéristiques générales

7Depuis que le pouvoir existe, il s’est toujours trouvé des hommes et des femmes pour dénoncer leurs semblables aux « autorités ». Dans la Grèce pré-hellénistique, c’était devenu une véritable profession (les sycophantes raillés par Aristophane) et, sous la Révolution française, la « dénonciation » au nom du « bien public » s’est institutionnalisée par opposition à la « délation ». « Si la délation est odieuse, la dénonciation civique est une vertu », se flattait un disciple du Père Duchesne, qui dénonçait publiquement deux prêtres de sa contrée, « êtres pervers & malfaisans [11] ». De même, dans L’Ami du peuple, Marat opposait la « dénonciation », entendue comme la stigmatisation de l’homme public, de l’homme « en place », à la « délation », anonyme et calomnieuse [12].

8Mais la distinction entre la « délation » et la « dénonciation civique » semble bien floue et subjective [13], et les historiens spécialistes du sujet ne font pas de réelle différence entre les deux notions. Étudiant le cas de l’URSS de Staline, François-Xavier Nérard décrypte l’acte de dénoncer comme une manifestation de la « marge d’action » de l’individu ; la délation est un signe de mécontentement populaire que les institutions du parti et de l’État doivent gérer [14]. Spécialiste de l’Allemagne nazie, Robert Gellately remarque que l’intérêt personnel constitue le mobile principal de la dénonciation, même lorsqu’elle vise l’« ennemi » juif, et met en valeur l’utilisation instrumentale de la Gestapo par les dénonciateurs [15].

9Bien que parfois suscitée par les autorités, la délation répond généralement à une initiative de la personne qui dénonce [16]. Le délateur [17] devance la volonté du pouvoir ou, plus particulièrement dans les situations de crise économique, de guerre ou de dictature, pense utiliser celui-ci dans le but de régler ses comptes personnels, qu’ils soient motivés par l’idéologie, l’intérêt, la vengeance ou la frustration [18]. L’intéressé s’exprime toujours au nom de la justice, mais d’une justice définie à sa manière. Le dénonciateur n’aspire pas à l’application du droit, mais espère toujours que l’autorité qu’il sollicite usera de ses pouvoirs discrétionnaires. En 1941, une « professionnelle » de la délation, Germaine L., membre d’un parti fasciste, le Mouvement social révolutionnaire, et de l’Institut d’étude des questions juives (IEQJ), écrit ainsi : « Je ne me contente pas de lutter avec acharnement contre les juifs et les Francs-Maçons, je m’occupe également de dénoncer les trafiquants du marché noir, et je poursuis sans répit les mercantis. […] Je termine en demandant qu’on agisse vite, avant qu’il ne soit trop tard, avant que l’immense majorité qui souffre ne s’aigrisse et se révolte [19]. »

10Sous l’Occupation, bien des délateurs écrivent à plusieurs services, allemands et français [20], jouent du contexte politique trouble pour mettre leurs multiples interlocuteurs en devoir de répondre à leur désir de vengeance. Il n’est pas rare que l’auteur d’une dénonciation se montre insistant. Après avoir envoyé une lettre écrite à la main, il rédige quelque temps plus tard un courrier d’apparence plus officiel, « administratif », tapé parfois à la machine à écrire. Lorsqu’il ne signe pas, il craint que sa lettre ne produise pas les effets escomptés et se justifie maladroitement : « Je m’excuse Monsieur de ne pas signer cette lettre, mais je suis employé chez des amis de cette dame ; je crains des indiscrétions, j’ai besoin de gagner ma vie, faites votre enquête et vous constaterez que je n’ai pas menti [21]. »

11Contrairement à l’image commune, celle du délateur-petites-gens chère à André Halimi, la délation n’épargne aucun milieu social, même le plus élevé. Maurice François-Brajon, ancien membre du Conseil national de la Fédération républicaine, écrit ainsi au commissaire général aux questions juives, Xavier Vallat (membre du même parti dans les années 1930) : « N’ayant aucune ambition politique personnelle, j’estime tout de même de mon devoir de vous signaler le danger que présentent pour l’œuvre du Maréchal Pétain et la politique de l’amiral Darlan, la présence dans le département des Vosges des anciens hauts fonctionnaires Front populaire et dans le canton de Raon-l’Étape, de celle d’un juif tel que Charles Weill [22]. » Notons que Weill avait été le maire de Raon-l’Étape et que François-Brajon fut, quelques années plus tôt, son rival malheureux.

12La délation peut revêtir bien des formes. La fameuse « lettre anonyme » reste attachée à la période de l’Occupation. Mais, outre que la plupart des lettres sont, comme nous le verrons, signées, l’écrit n’est pas la seule modalité de la délation. Au contraire, plus un régime tend vers le totalitarisme, plus la délation revêt une forme orale [23]. En France, les autorités occupantes, la Milice ou le Commissariat général aux Questions juives utilisent les services d’« informateurs » et exploitent les renseignements oraux qui leur sont apportés. On sait ainsi que régulièrement des particuliers téléphonent directement au bureau de la SEC à Paris. De même, bien des opérations d’arrestations initiées par la direction policière du CGQJ sont menées avec l’aide d’« informateurs ».

13Enfin, dernier élément de définition, le contenu d’une dénonciation doit viser explicitement un individu ou un groupe d’individus ou permettre de les identifier. Ainsi, on considérera comme une délation cette lettre envoyée au CGQJ par « un groupe de français [sic] qui désirent travailler » et qui dénoncent des artisans juifs domiciliés au 18-20 rue du Caire dans le 2 e arrondissement à Paris [24]. En revanche, tels correspondants qui stigmatisent le rôle joué par les juifs dans le marché noir à Nîmes ou l’« invasion » des juifs à Pau ne peuvent être qualifiés de dénonciateurs.

Les spécificités de la délation antisémite

14La haine antisémite occupe une place de choix dans l’histoire de la dénonciation sous l’Occupation. Mais, si l’on se fie aux archives de la préfecture de police de Paris, 6 % des lettres anonymes parvenues à la police judiciaire visaient des juifs [25]. Sur l’ensemble du territoire, la proportion est peut-être inférieure encore [26] : dans la France des années noires, la plupart des délateurs ont, en réalité, dénoncé des « communistes » ou des délits économiques.

15Au-delà des facteurs liés au contexte de l’Occupation (frustration, échauffement des esprits, possibilité de jouer de divers interlocuteurs, etc.), la délation antisémite s’enracine dans une longue tradition politique [27]. En 1886, Édouard Drumont dénonce la mainmise des juifs sur la France dans un ouvrage à scandale intitulé La France juive. Fort du succès de ce livre, il bâtit tout un fonctionnement littéraire et journalistique autour de la délation. Ses nombreux ouvrages et son quotidien La Libre Parole, lancé en 1892, se fondent sur les « révélations » de toutes natures envoyées par ses admirateurs et sympathisants : curés de campagne dénonçant les « amitiés juives » de leur évêque ; voyageurs de commerce stigmatisant les manœuvres de collègues juifs, signalant les banquiers ou les préfets qui favorisent des juifs, etc. La plupart de ces missives sont publiées en page trois du quotidien dans la rubrique « La tribune de La Libre Parole » : « Pourquoi Potain a choisi pour chef de laboratoire Springer (Maurice) ? Springer a triché au concours de l’internat », signe ainsi un médecin « antisémite » qui garde l’anonymat [28].

16La presse juive dénonce l’« éclosion quotidienne de ces délations, de ces calomnies qui est la manne des journaux antisémites [29] ». La Libre Parole est baptisée le « Père Duchesne de l’antisémitisme ». La rubrique « La tribune de La Libre Parole » est supprimée après un procès en diffamation perdu par le journal, mais la tradition des « fiches », des « petits papiers » et de la délation perdure. À la fin du 19e siècle, un obscur voyageur de commerce publie une dizaine de brochures, dont L’Indicateur des Juifs. Les Juifs dans toute la presse française, l’armée et la finance parisienne[30]. De 1908 à 1914, la rubrique « Échos » et le « Calendrier de l’affaire Dreyfus » du quotidien L’Action Française comportent des menaces à peine voilées à l’encontre d’Alfred Dreyfus, dont les déplacements sont notés au jour le jour. C’est ce style de littérature que l’on retrouve dans la presse parisienne des années 1940-1944. Au pilori, et ses diverses rubriques spécialisées, est bien l’héritier de La Libre Parole, en particulier sous la direction du vieux Jean Drault (1943-1944), ancien pilier du quotidien d’Édouard Drumont.

17Pour les antisémites, toute fonction occupée par un juif dans l’État, le commerce ou les professions libérales, surtout quand elle est élevée, est le fruit d’une manœuvre occulte ; on la dénonce dans la presse, on signale, on stigmatise, on menace. À partir de 1940, les multiples incapacités infligées aux juifs offrent autant de possibilités de dénonciation, en cas de « délit ». C’est cette tradition qui explique le foisonnement d’instances intermédiaires entre le citoyen délateur et les autorités que l’on peut constater sous l’Occupation – situation spécifique à la délation antisémite. Le journal Au pilori et d’autres du même genre dénoncent ouvertement dans leurs colonnes les juifs non déclarés ou exerçant des professions interdites ; ils provoquent ainsi enquêtes et arrestations par les autorités policières [31]. L’Institut d’étude des questions juives se spécialise dans le domaine et transmet systématiquement au CGQJ et à la Gestapo les informations qu’il reçoit de ses adhérents et sympathisants. L’« Office des auditeurs [32] » de l’émission de Radio-Paris intitulée la « Rose des vents » transmet également des lettres de délation au CGQJ. En mai 1943, le directeur de cabinet du Commissariat Joseph Antignac remercie ainsi l’office : « Je suis heureux de constater votre dévouement à la cause qui nous est commune, et je vous remercie tout particulièrement de votre collaboration bénévole et constante [33]. »

18D’autres organismes se font un devoir d’avertir les autorités des « manœuvres juives ». Ainsi le Comité de défense contre les communistes et les juifs, qui dénonce en juillet 1942 un juif russe employé comme interprète franco-allemand par la mairie de la Mothe-Saint-Heray, « qui n’a point rompu ses attaches avec le Front Populaire » : « Tous les bons Français sont indignés. » Le CGQJ obtient du préfet l’internement de l’intéressé dans le camp de Poitiers et remercie ainsi le Comité : « Les renseignements que vous avez bien voulu me communiquer m’ont permis de débarrasser de cet indésirable les habitants de la Mothe et je vous en remercie [34]. »

19Pour l’essentiel, la délation antisémite est mue par la haine simple, laquelle, parfois, trouve sa source dans la jalousie professionnelle ou l’esprit de lucre, mais bien souvent se suffit à elle-même : « Monsieur, Je hais les Juifs qui nous ont fait tant de mal et c’est pourquoi je me fais une joie de démasquer l’un d’entre eux quand il triche pour se soustraire aux lois prises pour les empêcher de nuire [35]. » « Monsieur, Ayant en horreur les juifs, je me fais un devoir de vous signaler le cas d’une personne juive, étrangère qui ne s’étant pas déclarée, circule et voyage librement sans porter d’étoile bien entendu [36]. »

20Même lorsque le mobile premier est l’intérêt ou le sentiment de jalousie, l’acte de délation n’est jamais vierge de toute considération politique ou intellectuelle. On ne dénonce pas un juif au CGQJ, à la police ou à la Gestapo hors de toute conscience. Les délations faites par des juifs à l’encontre d’autres juifs sont à cet égard édifiantes. Le mari d’une dentiste « empêchée de continuer », écrit ainsi à Xavier Vallat en mai 1941 : « J’admire votre justice et suis tout à fait pour vous même étant Juif, ma famille date des croissade [sic], mon frère est mort à cette guerre, mes deux frères prisonniers. » Or, une dentiste nommée Dreyfus a changé sa plaque et exerce sous le nom de sa mère qui n’est pas juive : « À mon sens les deux filles ont quand même le sang juif par leur père, ils ont donné très gros comme argent pour arriver à cela. » « C’est injuste ! », s’insurge ce « bon juif français » [37]. De même, un tailleur juif dénonce anonymement un collègue marié à une catholique et dont le magasin est toujours ouvert : « J’espere que vous ferai le necesaire que ce monsieur soit frapée de la loi come moi et des Autres dans le quartier [sic] [38]. »

Le CGQJ face à la délation

21Le Commissariat général aux Questions juives est probablement l’administration des années d’Occupation à avoir reçu le plus de dénonciations antisémites, envoyées directement par des particuliers ou transmises par d’autres organismes et par les instances intermédiaires évoquées plus haut.

22Au début, les services de Xavier Vallat tentent d’instituer quelques principes dans l’utilisation de ce type d’informations. En 1941, le CGQJ ne prend pas en compte les courriers non signés [39], avant de se raviser, les impératifs de la politique antijuive primant toute considération morale. La direction de Vichy transmet ainsi à ses services de Marseille une lettre anonyme dénonçant un avocat juif : « Malgré le peu d’importance qu’il appartient d’attacher en général aux lettres anonymes, je vous prie de bien vouloir, à titre exceptionnel, procéder à une enquête et me tenir au courant [40]. »

23Du côté de la police aux Questions juives (PQJ), créée en octobre 1941 afin de seconder l’action du CGQJ et qui sera remplacée par la SEC un an plus tard, les mêmes velléités de rigueur se font jour. Le juriste en chef des services de Vichy, François Luciani, prie ainsi ses collègues du CGQJ de conserver les enveloppes des lettres de dénonciation reçues, qu’elles soient ou ne soient pas anonymes : « Si vous nous demandez une enquête sur ces lettres je vous prie de m’envoyer un double de la lettre, ainsi que l’original et l’enveloppe. Il sera ainsi relativement facile de rechercher l’auteur de cette lettre, si l’enquête prescrite prouve que la lettre de dénonciation est une calomnie ou faite dans le but d’induire dans l’erreur nos services [41]. »

24Mais les délations s’avèrent vite indispensables à la politique antisémite. La détection des commerces, sociétés et entreprises sous « influence juive » s’opère ainsi largement grâce aux « informations », comme on les nomme, transmises par des particuliers. « Madame, Il nous intéresserait de savoir l’adresse exacte de ces magasins juifs du Passage-Brady ainsi que les noms des juifs qui les exploitent. Vous pouvez compter sur la discrétion absolue des services du Commissariat à votre égard », répond, à l’automne 1941, le cabinet du CGQJ à une délatrice [42].

25À Paris, un rédacteur de la direction du cabinet est chargé de la transmission aux différents services du Commissariat de ce type de correspondance. Jean Bouvyer s’occupe de cette ingrate mission pendant deux ans [43]. Par exemple, chaque jour, en moyenne, une lettre est transmise par ses soins à la police aux questions juives puis à la section d’enquête et de contrôle [44]. Sous l’autorité de Joseph Antignac, qui dirige de fait le CGQJ à partir de 1943, l’exploitation des lettres de délation devient systématique.

Qui sont les délateurs ?

26Grâce aux analyses, document par document, réalisées par le Centre de documentation juive contemporaine, il nous a été possible de décrypter le contenu d’une centaine de lettres de dénonciation envoyées au CGQJ entre 1941 et 1944. De cet échantillon, on peut distinguer quatre types de délation. La première catégorie recouvre diverses accusations, souvent sans portée (juifs ayant fui en zone libre ou impliqués, affirme-t-on, dans le marché noir, etc.). Ainsi Mme J., « victime de la malhonnêteté juive », écrit à Xavier Vallat pour lui faire part de son conflit avec son locataire juif, « mauvais payeur [45] ». De temps en temps, le Commissariat transmet une de ces lettres à la préfecture de police de Paris (juif étranger impliqué dans le marché noir par exemple). On recense 49 lettres de ce type. La deuxième catégorie, représentée par 29 lettres, concerne la politique de spoliation des biens juifs – du paysan qui signale une propriété foncière « juive » à l’administrateur provisoire zélé qui croit détecter un commerce appartenant à un juif. La troisième catégorie, qui comprend 18 lettres, concerne l’exercice de professions interdites (un tiers de ces délateurs sont des médecins qui dénoncent des collègues juifs). Enfin, la dernière catégorie rassemble les lettres envoyées par des personnes qui dénoncent directement des juifs de zone occupée ne portant pas l’étoile jaune, qui se cachent, etc., et qui sont donc susceptibles d’être arrêtés immédiatement par les services de police allemands et français. On recense 10 missives de cette sorte.

27Sur ces 106 lettres, 31 sont anonymes, 75 sont signées. Ces chiffres sont à prendre avec précaution : il arrive que des dénonciateurs signent leur envoi d’un patronyme fantaisiste, afin de donner du crédit à leur délation, sans pour autant dévoiler leur identité – tel un « Jean Richard » qui écrit à plusieurs reprises au CGQJ pour dénoncer l’aryanisation fictive d’une société [46] ; cependant, on constate que la plupart des délateurs ne se cachent pas. C’est surtout vrai pour ceux qui dénoncent des affaires économiques (seulement 4 lettres anonymes sur 29) et les juifs exerçant des professions interdites (3 lettres anonymes sur 18). Les délateurs les plus farfelus ou les plus odieux se masquent davantage (19 lettres anonymes sur 49 pour la première catégorie, 5 sur 10 pour la dernière).

28En ce qui concerne le sexe des délateurs, on remarque une nette domination des hommes, contrairement aux idées reçues [47]. Si l’on tient compte des 7 lettres anonymes pour lesquelles l’identité sexuelle de l’auteur est évidente – « un légionnaire », « Une Française », « un antijuif », etc. –, on constate que, sur les 82 lettres « signées » de notre échantillon, 65 sont écrites par des hommes et 17 par des femmes [48]. Au demeurant, la « délation passionnelle » n’est pas l’apanage de ces dernières, comme le veut un autre cliché. Un M. Dupont, en instance de divorce, dénonce l’amant de sa femme, un juif hongrois [49].

29Enfin, on constate que 2 des 106 lettres sont l’œuvre de juifs. Un M. Lévy, ancien interné à Drancy, dénonce une famille de son immeuble qui pratique le marché noir et, ainsi, l’expose à une nouvelle rafle ; les « mauvais Juifs » font du tort aux « bons Juifs », explique-t-il [50].

30Il est difficile d’évaluer le nombre de lettres de délation reçues au total par le CGQJ. Grâce à l’exploitation des registres du service du courrier [51], on sait cependant que chaque jour une poignée de lettres « anonymes » (en moyenne 2 ou 3, avec des pointes à 7-8 après les rafles des 16 et 17 juillet 1942) arrivait au 1, place des Petits-Pères, à Paris. On peut estimer le nombre de lettres de délation de ce type envoyées au Commissariat général aux Questions juives, entre le printemps 1941 et l’été 1944, à environ 5 000 – en tenant compte qu’une trentaine de dénonciations anonymes environ sont parvenues chaque semaine à l’ensemble des services du CGQJ (services centraux, directions régionales). En considérant, sur la base de notre échantillon de 106 lettres, que près des trois quarts des délations étaient signées, on peut estimer qu’au minimum 20 000 lettres de dénonciation sont parvenues au CGQJ sous l’Occupation. Cette estimation est minimale. Bien des délations figurent de manière subsidiaire dans les correspondances envoyées aux dirigeants du Commissariat. Les lettres reçues par Darquier de Pellepoix à sa nomination se découpent souvent en trois temps : félicitations ; propos généraux contre les juifs ; petite dénonciation…

31De l’ensemble des lettres consultées apparaissent nettement deux types de correspondants. Le premier, l’antisémite militant et « cultivé », écrit directement à Vallat ou à Darquier. Il est sûr de lui ; sa lettre signale d’entrée une complicité, une harmonie de pensée. Il sait que le Commissariat a besoin de ses informations et il se met de bonne grâce à son service. Se distingue de lui, le délateur plus fruste, qui souvent ne signe pas, ignore les rouages de la persécution et écrit au CGQJ (adresse souvent inexacte ou imprécise) comme il écrirait ou écrit à l’Institut d’étude des questions juives, à la préfecture de police ou à la Gestapo. Celui-ci tape au hasard, en espérant que sa dénonciation fera mouche.

32L’« influence » des juifs est jugée « nocive » depuis tant d’années qu’elle justifie tous les procédés pour la combattre. « Nous regrettons d’avoir à vous fournir des informations venant de correspondants aussi peu courageux ; mais n’est-il pas nécessaire de lutter par tous les moyens contre la race détestée ? », se justifie ainsi Jean-Claude Maubourguet, journaliste à Je suis partout, lorsqu’il transmet une série de lettres anonymes au CGQJ [52]. « Le mouchardage n’étant pas dans mon tempérament, j’ai hésité un peu à vous signaler le cas suivant mais je me souviens de ce que vous nous disiez rue Laugier [53] », explique un ancien militant du Rassemblement antijuif à Louis Darquier de Pellepoix [54].

33D’autres n’ont pas ces problèmes de conscience. Pour Philippe Henriot, qui transmet trois lettres anonymes en septembre 1942, il s’agit d’un procédé tout à fait naturel [55]. De même un diplomate, M. F., envoie le plus normalement du monde une carte à son ami Gaston Riou, député de l’Ardèche et célèbre combattant de l’idée européenne durant l’entre-deux-guerres [56], dans laquelle, « puisque vous êtes auprès de M. Xav. Vallat » (sous-entendu : puisque Riou est à Paris et qu’il connaît Vallat, également député de l’Ardèche), il dénonce un bibliothécaire juif : « J’apprends que Chapiro continue impunément ses délits, jouissant depuis 10 ans d’une impunité scandaleuse. Ne pourriez-vous pas renvoyer ce malfaiteur dangereux juif dans un camp ? Il est polonais. Vs rendrez service aussi bien à l’Académie qu’à votre pays. Affectueux souvenirs de nous deux à vous deux [57]. »

34L’objet a toutes les allures d’une carte de bons souvenirs, avec les amitiés du couple F. pour le couple Riou – les épouses se trouvant en quelque sorte associées à cette délation au vue de tous (carte postale avec le timbre de quatre-vingts centimes à l’effigie du maréchal Pétain). De manière tout aussi normale, Gaston Riou a transmis cette carte, qui contient l’adresse de l’intéressé, au Commissariat général aux questions juives [58].

Les « informations » de la SEC

35La plupart des dénonciations envoyées au CGQJ n’ont eu, semble-t-il, aucune suite. Une minorité d’entre elles ont néanmoins pesé de tout leur poids dans la politique de persécution : nombre de biens appartenant à des juifs ont été mis sous administration provisoire et spoliés à la suite d’« informations » ; de plus, la SEC a eu massivement recours à la délation. Outrepassant largement ses attributions, la direction policière du Commissariat a arrêté, dans les rues de Paris, entre huit cent cinquante et neuf cents personnes, parmi lesquelles plus de six cent cinquante ont été déportées pour avoir commis des infractions aux ordonnances allemandes (non-port de l’étoile juive, fréquentation de lieux publics, etc.) [59]. Prenant la suite de la police aux Questions juives à l’automne 1942, la SEC ne dispose pas des outils policiers traditionnels, fichiers et autres instruments d’enquêtes. Elle doit donc compter sur les « informations » transmises par des particuliers. En zone sud, un réseau de délateurs rémunérés est vaguement constitué en 1942 [60]. À la veille de la Libération, à Paris, l’un des derniers dirigeants de la SEC, André Haffner, travaillera avec une équipe d’indicateurs à sa solde. Mais ce sont les lettres de délation et les renseignements oraux ou téléphoniques transmis par des militants antisémites qui alimentent l’essentiel de l’activité policière du CGQJ.

36Si l’on se fie aux rapports rédigés par les inspecteurs de la SEC, au moins la moitié des enquêtes ont été réalisées sur la base d’une dénonciation. Quand la délation a été enregistrée au service du courrier du CGQJ, puis transmise par les soins du cabinet (Jean Bouvyer et Joseph Antignac généralement) à la SEC, les rapports d’enquête signalent comme « Origine » : « Information cabinet ». L’autre moitié des enquêtes relève du travail « d’initiative » [61].

37Le 31 mai 1943, le CGQJ enregistre ainsi la dénonciation d’une prostituée juive par une collègue [62] : « Ne portant pas l’étoile la plupart du temps, cette femme se livre à la prostitution d’une façon clandestine, et est un danger public au point de vue sanitaire, ne passant aucune visite médicale [63]. » Le 24 juin, l’intéressée est arrêtée par l’inspecteur Meynadier [64]. Elle est déportée le 18 juillet 1943 et assassinée à Auschwitz. Une mannequin turque, travaillant chez Jeanne Lanvin, faubourg Saint-Honoré à Paris, est dénoncée de la même manière : « Elle est donc en contact constant avec la clientèle. Elle se vante de sa race, injurie les anti-sémites et fait de la propagande gaulliste. Le numéro de téléphone de son domicile est Littré 45.28 mais les renseignements du téléphone ont instruction de ne pas indiquer l’adresse [65]. » En juin 1943, l’inspecteur Arrighi se rend chez Jeanne Lanvin ; il y trouve Bella Ariel, née en 1912 à Constantinople, qui prétend « ne travailler qu’en studio et de ce fait ne pas se trouver en contact avec le public ». Comme elle loue un appartement près de son travail, sans autorisation, elle se trouve en infraction avec les ordonnances allemandes 3 et 6, et est consignée au poste de police de l’Opéra [66]. Elle est déportée le 18 juillet 1943 dans le convoi 57. Elle n’est pas revenue.

38Les juifs ne portant pas l’étoile jaune sont les plus exposés : « Monsieur, je viens vous signaler le cas de 2 juifs qui ne portent – déjà – plus l’étoile. Une juive qui travaille chez Delangre 202, Fbg St-Denis au fond du passage et qui depuis plusieurs mois déjà ne porte plus l’étoile. » Cette lettre provoque une enquête, menée à l’adresse indiquée. Liba Polonski (née Kozlowski) est arrêtée [67], puis déportée le 18 juillet 1943 ; elle est morte à Auschwitz. De fait, sans le zèle de voisins ou collègues antisémites, plusieurs centaines de juifs parisiens auraient certainement pu échapper à la mort.

39Comment le CGQJ aurait-il pu découvrir la véritable origine d’Agathe Lachassagne, juive alsacienne non déclarée, qu’un voisin dénonce en avril 1943 ? « Elle est née Kahn Agathe Alice, fille de Kahn et de Lippmann son épouse, à Brumath, Alsace, en 1882 ou 1883. […] Dans l’espoir que vous voudrez bien prendre note de ces informations et que vous voudrez également agir comme il se doit, veuillez croire, Monsieur le Commissaire général, à l’expression de mes sentiments les plus dévoués et les plus respectueux [68]. » L’intéressée est arrêtée par les inspecteurs Douillet et Delerse à son domicile et confiée directement au service des affaires juives de la Gestapo [69]. Elle est déportée le 7 octobre 1943.

40De même, comment les inspecteurs de la SEC auraient-ils pu débusquer cette famille juive si efficacement cachée depuis la rafle du Vél’ d’hiv ? « J’ai l’honneur de vous signaler que nous avons appris que la famille MENDELSOHN, 110 boulevard Ménilmontant, Paris (20e), qui avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt le 16 juillet 1942, s’était cachée ce jour-là chez la concierge, avait ensuite pris la fuite à Villepinte (Seine-et-Oise) et enfin était venue se cacher à son domicile d’où elle ne sortait jamais, étant approvisionnée par ladite concierge./Deux inspecteurs se sont rendus au domicile du Juif MENDELSOHN et l’ont effectivement trouvé ainsi que sa famille. […]/Nous avons mis la famille MENDELSOHN à votre disposition au Commissariat de Police de l’Opéra hier 15 janvier 1943 à 19 heures [70]. » Une odieuse dénonciation met donc un terme au sauvetage de Benjamin et Tauba Mendelsohn, juifs polonais nés respectivement en 1895 et 1896, et de leurs deux filles, Sarah et Rachel, nées en 1925 et 1929. Toute la famille est déportée, le 11 février 1943, dans le convoi 47. Aucun n’est revenu.

41Ces quelques centaines de cas, bien que relativement peu nombreux (des recherches dans les archives de la police nationale en apporteraient incomparablement plus), illustrent bien les conséquences criminelles qu’une simple lettre de dénonciation pouvait entraîner dans le contexte de l’Occupation. À cet égard, le Commissariat général aux Questions juives, qui, pour l’essentiel, était chargé de la bureaucratie de la spoliation, disposait aussi bel et bien d’un pouvoir de vie ou de mort sur ses « administrés ».

42Si l’on s’en tient aux développements précédents, la délation antisémite des années 1940-1944 présente plusieurs caractéristiques qui permettent de la distinguer des autres formes de dénonciations. Elle s’inscrit d’abord dans une tradition politique solidement implantée dans les bas-fonds de l’extrême droite (rubrique spécialisée dans La Libre Parole de la fin du 19e siècle, multiples brochures et pamphlets dénonçant l’« influence juive », etc.), ce qui permet d’expliquer l’existence de nombreuses officines intermédiaires entre le « citoyen délateur » et les autorités. L’envie et la convoitise, s’appuyant sur les préjugés habituels de l’antisémitisme, constituent le mobile principal de la dénonciation antisémite. La haine pure, gratuite et méchante, occupe cependant une place majeure. En ce sens, la délation visant les juifs semble plus facile à définir que les autres formes de dénonciations, étant avant tout une manifestation des angoisses et des haines propres au racisme.

43Le Commissariat général aux Questions juives fut la principale instance d’accueil des lettres de dénonciations antisémites sous l’Occupation. Selon nos estimations, ses services auraient reçu, entre 1941 et 1944, un minimum de vingt mille délations, dont un quart d’anonymes. La plupart d’entre elles n’ont eu aucune suite, mais il est clair qu’une grande partie des crimes de la SEC a été la conséquence de dénonciations et que la politique de spoliation y a également eu massivement recours.

44Pour autant, il nous faut souligner les limites de la notion que nous avons tenté de définir et de caractériser. Toute dénonciation visant un juif est-elle obligatoirement une « délation antisémite » ? Une telle notion ne conduit-elle pas à essentialiser l’antisémitisme (et l’expression de l’antisémitisme) et à simplifier le contenu même de la délation (visant souvent d’autres groupes) et la psychologie du délateur ? Toute dénonciation ne recoupe-t-elle pas, finalement, les mêmes motivations : frustrations provoquées par les difficultés économiques du moment, appât du gain, convoitise, désir de se conformer à la norme politique dominante et de montrer son civisme « national [71] », etc. ?

45À ces objections, toutes recevables, on ne peut répondre qu’en se référant au corpus utilisé pour cette étude et aux centaines de lettres consultées dans les archives du Commissariat général aux Questions juives : ce sont incontestablement des antisémites qui ont pris leur plume, souvent au courant des lois et des interdictions visant les juifs, et se faisant une « joie » de « démasquer » ceux qui étaient en infraction. Même les quelques cas de juifs dénonçant d’autres juifs font apparaître l’intériorisation de préjugés antisémites.

46Les délateurs de juifs s’offraient peut-être aussi la « joie » de dénoncer d’autres « ennemis » du régime et des autorités allemandes, francs-maçons, communistes, « terroristes », en écrivant à la police nationale, la police anticommuniste, la Milice ou la Gestapo. En somme, c’est bien une histoire de la délation « politique » sous l’Occupation – dans laquelle la délation antisémite doit être replacée – qui reste plus que jamais à écrire.


Date de mise en ligne : 24/10/2007

https://doi.org/10.3917/ving.096.0137

Notes

  • [1]
    Voir Robert Gellately et Sheila Fitzpatrick (dir.), Accusatory Practice. Denunciation in Modern European History 1789-1989, Chicago, University of Chicago Press, 1997 ; à l’origine, un numéro spécial de la revue Journal of Modern History, paru en décembre 1996.
  • [2]
    André Halimi, La Délation sous l’Occupation, Paris, Alain Moreau, 1983.
  • [3]
    Des erreurs importantes sur le sujet, notamment sur les attributions et l’action législative du CGQJ.
  • [4]
    L’auteur se fonde, sans le citer explicitement, sur un article paru dans Historia en 1975, dans lequel il est écrit que l’ensemble des services allemands furent « abreuvés de lettres anonymes. On a parlé de trois millions. Ces délateurs étaient, eux, de véritables collaborateurs et de l’espèce la plus basse ». (Richard Grossmann, « Les gestapistes français », Historia, hors-série « La collaboration », 39, 1975). André Halimi élargit cette évaluation hasardeuse aux services de police français, d’où le chiffre de trois à cinq millions…
  • [5]
    Helga Schubert, Les Femmes qui dénoncent, préf. de Christine Angot, Paris, Stock, 2002, 1re éd. all. 1990, p. 16. L’auteur présente plusieurs cas de délations féminines : la femme qui veut prouver aux autres qu’elle n’est pas bête et qui est fière d’avoir reconnu un homme recherché ; la délation purement idéologique d’une épouse de dirigeant nazi contre son médecin ; une « pipelette » qui rapporte une discussion compromettante qu’elle a eue dans un train avec un ancien combattant « communiste » ; la dénonciation passionnelle d’une maîtresse ou d’une femme trompée par son mari ; etc.
  • [6]
    Mis sous scellés à la Libération et consultables sous dérogation, Archives nationales (AN), Z6 1377 à 1379.
  • [7]
    Mais, toutes n’étaient pas des délations (il s’agissait souvent de lettres d’insultes ou de suppliques de victimes de la politique antijuive) et, bien entendu, il est pratiquement impossible de repérer les lettres de dénonciation signées et destinées à un interlocuteur précis.
  • [8]
    AN AJ38 3 à 70.
  • [9]
    AN AJ38 152 à 194.
  • [10]
    Pour le reste, la totalité des dossiers nominatifs constitués par la SEC ont été brûlés peu avant la Libération.
  • [11]
    Bibliothèque nationale de France, lettre de A. Lartige, ancien chef de bataillon d’infanterie légère, au ministre de l’Intérieur, s. d. [début des années 1790].
  • [12]
    Christiane Kohser-Spohn, « Théories et pratiques de la dénonciation (1789-1793) : analyse d’un exemple », in Friso Ross et Achim Landwehr (dir.), Denunziation und Justiz. Historische Dimensionen eines sozialen Phänomens, Tübingen, Diskord, 2000, p. 78. Depuis la Révolution française, le délateur a deux visages, celui qui informe les autorités, le plus souvent anonymement, et le « dénonciateur » de presse, vaguement maître chanteur, type de personnage veule que l’on retrouve par exemple dans les romans de Dostoïevski : « Un beau matin, moi qui n’avais jamais donné dans la littérature, j’ai soudain eu l’idée de décrire cet officier sur le mode “dénonciateur”, comme une caricature, sous forme de nouvelle. Cette nouvelle, quel plaisir de l’écrire ! Dénoncé, je l’ai dénoncé, je l’ai même un peu calomnié ; j’ai transformé son nom, d’abord, de telle sorte qu’on pouvait le reconnaître tout de suite mais, plus tard, après mûre réflexion, je l’ai changé et j’ai envoyé le paquet aux Notes patriotiques. Mais les dénonciations n’étaient pas encore à la mode, et ma nouvelle a été refusée. » (Fédor Dostoïevski, Les Carnets du sous-sol, trad. du russe par André Markowicz, Arles, Actes Sud, 1992, p. 71, 1re éd. 1864) « La compagnie de Rogojine était presque entièrement la même que le matin ; s’y était ajoutée une espèce de petit vieux débauché qui, en son temps, avait été le rédacteur d’on ne savait trop quelle feuille de chou dénonciatrice. » (Id., L’Idiot, trad. du russe par André Markowicz, Arles, Actes Sud, 1993, vol. 1, livre 2, p. 267, 1re éd. 1867-1871)
  • [13]
    Être qualifié de délateur est infamant. Après le célèbre discours de Jean Guyot de Villeneuve du 28 octobre 1904, qui dénonce à la Chambre des députés le scandale des fiches (soit la « délation » dans l’armée des officiers catholiques et nationalistes par des camarades « républicains »), fleurissent de nombreuses brochures stigmatisant La Délation maçonnique dans l’armée, La Délation à l’école, etc.
  • [14]
    François-Xavier Nérard, Cinq pour Cent de vérité. La dénonciation dans l’URSS de Staline (1928-1941), Paris, Tallandier, 2004.
  • [15]
    La dénonciation de juifs, comme celle visant les personnes écoutant la radio étrangère, ne comprend que rarement l’expression de mobiles affectifs (croyance dans le nazisme, dévotion pour Hitler, etc.), d’après les lettres qu’a consultées Robert Gellately, Backing Hitler : Consent and Coercion in Nazi Germany, Oxford, Oxford University Press, 2001 ; trad. fr., id., Avec Hitler. Les Allemands et leur Führer, trad. de l’angl. par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Flammarion, 2003, p. 186-191 et p. 255-259.
  • [16]
    Selon le psychanalyste Jacques Hassoun, le délateur « croit en l’autorité qu’il sert humblement ». Ne cherchant qu’à se conformer à la volonté de l’autre, il « prévient, devance et anticipe la volonté de son Maître. Il ne se substitue jamais à lui car le délateur aime que le pouvoir se prenne au sérieux. Il aime le bâton du Maître. » (Jacques Hassoun, « L’hommage du minable à la canaille », in Nicole Czechowski et Jacques Hassoun (dir.), La Délation. Un archaïsme, une technique, Paris, Autrement, 1992, p. 14-15)
  • [17]
    Le délateur est donc un particulier, un citoyen anonyme. Il n’y a pas de dénonciation entre organismes, mais transmission d’informations. Ainsi, plusieurs sociétés immobilières demandent directement au CGQJ la nomination d’administrateurs provisoires aux appartements abandonnés par des juifs réfugiés en zone non occupée et dont les loyers ne sont plus payés, afin de liquider le mobilier, payer les loyers dus et rendre le logement libre. (Voir AN AJ38 801, dossier « Litiges entre propriétaires aryens et locataires juifs (1941-1942) »)
  • [18]
    Pour la période de l’Occupation, l’historien Marcel Baudot évalue de 50 à 55 % de dénonciations motivées par l’intérêt personnel (y compris indicateurs attitrés), environ 40 % par conviction politique, et moins de 10 % par vengeance. (Marcel Baudot, « La résistance française face aux problèmes de répression et d’épuration », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, 81, janvier 1971, p. 45)
  • [19]
    AN F7 14958, lettre de Germaine L. à « Messieurs », 2 août 1941.
  • [20]
    Dans les archives du CGQJ, on constate que souvent les correspondants de la SEC ont également écrit à la préfecture de police ou à la Gestapo. De fait, quand les inspecteurs de la SEC se mettent en action, leur victime a parfois déjà été arrêtée. Par exemple AN Z6 1387, scellé 39, rapport de la SEC, 1er septembre 1943.
  • [21]
    AN AJ38 160, dossier Zina B., lettre anonyme, 20 octobre 1943.
  • [22]
    AN AJ38 193, dossier Charles Weill, lettre de François-Brajon à Xavier Vallat, 26 mai 1941.
  • [23]
    Propos rapporté oralement à une officine du parti par un citoyen, transmis à la justice politique, etc., jusqu’à la condamnation d’un innocent sur la foi de témoignages oraux. C’est le cas en URSS et en Allemagne nazie où un tribunal du peuple juge, dès 1934, les opposants au régime pour trahison ou haute trahison. Du temps du juge Roland Freisler (1942-1945), plusieurs milliers de personnes sont condamnées à la décapitation. Ainsi un médecin dénoncé par une cliente pour avoir douté de la victoire de l’Allemagne à l’été 1943.
  • [24]
    Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), XXXVIII-108, lettre anonyme envoyée au CGQJ, s. d.
  • [25]
    Calcul effectué à partir des archives de la préfecture de police de Paris, PJ37, dossier « Lettres anonymes. Délation », échantillon de cent lettres. Notons que la délation antisémite peut ne pas viser un juif, mais un non-juif apportant de l’aide à un juif.
  • [26]
    Julie Chassin, « La délation sous l’Occupation dans le Calvados », Annales de Normandie, 54, 2004, p. 91, établit une proportion de 2 % de dénonciations visant les juifs. La proportion établie par Barbara Engelking pour la Pologne des années 1940-1941 est sans commune mesure : 30 % des lettres de dénonciation étudiées par l’auteur concernent des juifs. Barbara Engelking, « “Cher Monsieur gestapo…”. La délation aux autorités allemandes en Pologne dans les années 1940-1941 », communication au colloque franco-polonais de Lublin, « Histoire et mémoires des communautés juives en France et en Pologne après 1945 », janvier 2004.
  • [27]
    Certes, avant 1940, les services de police exploitaient déjà des lettres anonymes de caractère antisémite. Ainsi une direction du ministère de l’Intérieur transmettait en mai 1939 à une autre direction de ce ministère une lettre anonyme signalant un trafic de visas concernant des émigrés juifs. (AN F7 16080, note pour l’inspecteur général des services de police criminelle, au sujet de l’affaire « Palestine et Orient Floyd », signée d’Amédée Bussière, 2 mai 1939)
  • [28]
    « Tribune de La Libre parole », La Libre Parole, 11 mai 1892.
  • [29]
    Archives israélites, 3 janvier 1895.
  • [30]
    Béatrice Philippe, « “L’identité épinglée”. L’Indicateur israélite de Philippe Sapin (1896). Un ouvrage antisémite au temps de l’Affaire », Yod, 24, 1987, p. 91-113.
  • [31]
    Voir notamment la dénonciation de Cécile Lehwess, qui provoque une enquête de la SEC. (AN AJ38 177, dossier Lehwess, rapport de la SEC, 9 mars 1943)
  • [32]
    Nommé plus tard « Référendum populaire organisé sous les auspices de RADIO-PARIS ».
  • [33]
    AN AJ38 159, dossier Blum, lettre d’Antignac à la « Rose des vents », 24 mai 1943.
  • [34]
    AN AJ38 176, dossier Kutener, lettre du président du Comité de défense contre les communistes et les juifs au CGQJ, 30 juillet 1942 ; réponse du 15 octobre 1942.
  • [35]
    AN AJ38 160, dossier Zina B., lettre anonyme, 20 octobre 1943. L’enquête provoque l’arrestation de Mme B., qui n’a pas été déportée.
  • [36]
    AN AJ38 180, dossier Esther M., lettre anonyme parvenue le 28 octobre 1943.
  • [37]
    L’affaire est transmise au service des affaires juives de la préfecture de police (6e Bureau-J). Odette Dreyfus, dentiste, est une « demi-juive » de religion catholique. Elle n’est donc pas juive selon les textes en vigueur. (AN AJ38 165, dossier Dreyfus Ernestine, lettre de dénonciation anonyme envoyée au CGQJ, juin 1941)
  • [38]
    AN AJ38 172, dossier Herscovici, lettre anonyme, 27 septembre 1941.
  • [39]
    Même les lettres signées suscitent d’abord prudence et réticence. Ainsi une lettre datée du 20 août 1941 : « Je vous signale (aussi bien dans l’intérêt de la communauté française que ce que je considère comme un simple acte de justice envers moi-même) un sujet hongrois juif Zoltan Lieberman. » La lettre est soulignée en gras et un énorme point d’exclamation est apposée dans la marge, avec cette remarque : « Dénonciation à classer ». (AN AJ38 179)
  • [40]
    AN AJ38 136, lettre du statut des personnes de Vichy à la direction régionale du CGQJ à Marseille, 27 septembre 1941.
  • [41]
    CDJC CCXXXVIII-17, lettre du chef de la PQJ à Vichy (rédigée par François Luciani) au CGQJ à Vichy, 19 février 1942.
  • [42]
    AN AJ38 181, lettre du cabinet du CGQJ, 7 octobre 1941.
  • [43]
    Il avait été un ami de François Mitterrand durant son adolescence. Voir Pierre Péan, Une jeunesse française. François Mitterrand, 1934-1947, Paris, Fayard, 1995.
  • [44]
    Voir particulièrement AN Z6 1387, scellé 55, environ 45 pour les mois de juin et surtout juillet 1942 ; scellé 53, une trentaine de lettres transmises par le CGQJ à la PQJ/SEC Paris en août et en septembre 1942 ; scellé 52, une dizaine de lettres transmises par le CGQJ à la SEC du 15 au 30 septembre 1942 ; scellé 51, une douzaine transmises en septembre 1942 ; scellé 54, une trentaine pour le mois d’octobre 1942.
  • [45]
    CDJC CCXXXIX-18, lettre de Mme J. à Xavier Vallat, 21 juin 1941.
  • [46]
    CDJC XXIX-145, lettre d’un administrateur provisoire au CGQJ, 7 octobre 1942.
  • [47]
    Robert Gellately signale également la forte représentation des hommes (Robert Gellately, op. cit.).
  • [48]
    Même constat dressé par Patrice Betbeder, qui détermine 30 % de femmes parmi les auteurs de lettres de délation figurant dans les archives de la préfecture de police de Paris (Patrice Betbeder, « Dénoncer à Paris durant la Seconde Guerre mondiale », in Jean-Paul Brodeur et Fabien Jobard (dir.), Citoyens et Délateurs. La délation peut-elle être civique ?, Paris, Autrement, 2005, p. 72). En revanche, étudiant 225 lettres de dénonciations dans les archives départementales de l’Eure, Julien Papp détermine une proportion de 65,5 % de femmes (Julien Papp, La Collaboration dans l’Eure 1940-1944, Paris, Tirésias, 1993, p. 181-182).
  • [49]
    CDJC XXXVIII-17a, trois lettres à Xavier Vallat, du 23 septembre 1941 au 17 février 1942.
  • [50]
    CDJC XXXVIII-99, lettre de M. Lévy au CGQJ, 14 juillet 1943.
  • [51]
    AN Z6 1377 à 1379, registres du courrier « arrivée » (service du courrier) du 12 janvier 1942 au 30 août 1944.
  • [52]
    AN AJ38 6, lettre de Jean-Claude Maubourguet à Jean Bouvyer, 23 juin 1942, jointe à une lettre de dénonciation d’un lecteur de Je suis partout.
  • [53]
    L’immeuble du 12, rue Laugier, à Paris, abritait le local du Rassemblement antijuif de Darquier.
  • [54]
    Sa délation provoquera l’arrestation de Hirch O. : « Voilà, il s’agit d’un certain HIRCH O. 97, Bd de la République à St Cloud. Ce gaillard était un membre de l’Aéro Club de France et en son temps j’ai eu avec lui de grosses prises de bec […]. J’ai rencontré ce gros type, toujours aussi gras et rose et sans la moindre étoile à la terrasse d’un café et en me voyant il avait un peu l’air de se payer ma tête. Ne pourrait-on pas “étoiler” ce gars-là. » (AN Z6 1387, scellé 41, lettre de R. A., greffier de la justice de paix, à Louis Darquier de Pellepoix, 24 octobre 1942) Après enquête de la SEC, l’intéressé sera arrêté, interné à Drancy, mais semble avoir évité la déportation.
  • [55]
    AN AJ38 19, lettre de Philippe Henriot à Louis Darquier de Pellepoix, 24 septembre 1942.
  • [56]
    Bernard Bruneteau, « L’Europe nouvelle » de Hitler. Une illusion des intellectuels de la France de Vichy, Monaco, Éd. du Rocher, 2003, p. 221-235.
  • [57]
    AN AJ38 168, dossier F., carte postale de F. à Riou, 1er septembre 1941.
  • [58]
    Figurant dans les archives du CGQJ, cette carte porte l’annotation manuscrite suivante : « Transmis à M. Jacques Ditte ce… » La date est illisible.
  • [59]
    Laurent Joly, Vichy dans la « solution finale ». Histoire du commissariat général aux Questions juives (1941-1944), Paris, Grasset, 2006, p. 623-643.
  • [60]
    En août 1942, le budget de la SEC en zone libre comprend un poste « fonds spéciaux » pour les « invitations » et les « informateurs » de dix mille francs. (AN AJ38 244, lettre de Antignac à Schweblin, 7 septembre 1942)
  • [61]
    Mais souvent l’origine de la source n’est pas mentionnée ou alors le rapport indique un vaste travail d’initiative, afin de justifier les frais de mission correspondants, alors que l’enquête a été menée sur une simple lettre de dénonciation.
  • [62]
    Sous l’Occupation, aucune instruction n’interdit aux prostituées juives l’exercice de leur métier. (Jean-Marc Dreyfus, « L’aryanisation économique des maisons de prostitution : un éclairage sur quelques proxénètes juifs en France occupée, 1940-1944 », Revue des études juives, 1-2, 2003, p. 225-226)
  • [63]
    AN Z6 1387, scellé 37, lettre de dénonciation enregistrée le 31 mai 1943.
  • [64]
    AN Z6 1387, scellé 37, rapport de la SEC, 24 juin 1943. Viviane Chich, née le 31 décembre 1914 à Alger, survivait depuis plusieurs mois. Son époux ayant été déporté le 22 juin 1942, elle avait placé ses cinq enfants à la campagne et était restée à Paris certainement pour leur envoyer de l’argent.
  • [65]
    Les renseignements semblent émaner d’un administrateur provisoire. Sur cette missive, on reconnaît l’écriture d’Antignac : « Faire faire une enquête. Renseignements fournis par de Fontréault. » Le dossier est transmis le 26 mai 1943 à la SEC. Le délateur à l’origine de cette affaire n’est autre que Marcel de Font-Réaulx, futur président de l’Association française des propriétaires de biens aryanisés. Font-Réaulx avait été l’associé de l’ami de Bella Ariel au sein de la société Line Peuch. Notons qu’interrogé en 1949 (Font-Réaulx est, lui, décédé en 1948), ce dernier avoue son incrédulité : « Je ne pense pas qu’il soit le dénonciateur. Je précise que lorsque cette dernière était internée à Drancy, j’avais également chargé De Font-Réaulx d’intervenir auprès d’ANTIGNAC pour la faire libérer. Il m’a dit ne pas avoir obtenu satisfaction. » (Centre des archives contemporaines (CAC), 890158/13, audition d’Édouard M., 18 juin 1949) Mais il est plus que probable que Font-Réaulx ait fait à peu près l’inverse, alimentant Antignac des ragots et informations précises que l’on peut lire dans une lettre adressée par le directeur de cabinet du CGQJ à la Gestapo : « Je vous confirme que les renseignements qui viennent de me parvenir m’indiquent que l’amant de cette juive, M. M. Édouard […] ne cesse de faire des démarches en vue de faire libérer sa maîtresse. […] En conséquence, je vous demande de vouloir bien maintenir la juive ARIEL à DRANCY et de la faire déporter le plus rapidement possible à moins que son pays d’origine ne la réclame. Je vous signale enfin qu’une liaison est établie entre M. M et sa maîtresse et, grâce à la complicité du personnel de DRANCY, cette dernière reçoit des lettres et des paquets tous les jours et qu’il lui est possible de pouvoir écrire à son amant quotidiennement. » (CAC, 890158/13, copie d’une lettre de Joseph Antignac à Heinz Röthke, 1er juillet 1943)
  • [66]
    AN Z6 1384, scellé 66, dossier du cabinet Bella Ariel, rapport de la SEC, 21 juin 1943.
  • [67]
    « Invitée à présenter un vêtement portant l’étoile elle fut dans l’impossibilité de le faire, et fut contrainte de reconnaître qu’elle ne la portait pas ce jour-là. » En conséquence, elle est consignée au poste de police de Saint-Vincent-de-Paul à Paris à 11 h 15. (AN Z6 1387, scellé 41, rapport de la SEC, 17 juin 1943)
  • [68]
    AN Z6 1387, scellé 41, lettre de dénonciation signée Roger F., qui donne ses deux adresses, 24 avril 1943.
  • [69]
    Deux visites infructueuses suivies de deux convocations n’ont pas permis de mettre la main sur elle. Le 25 mai 1943, les inspecteurs de la SEC trouvent enfin leur victime à son domicile. Ils l’interrogent, la confondent, lui font consciencieusement remplir une feuille de « Détermination du caractère juif » et, « Comme la nommée LECHASSAGNE arguait de sa nationalité allemande pour ne pas être l’objet d’une enquête de la part de nos services, son cas a été signalé aux services de la rue des Saussaies avec qui nous nous sommes trouvés accidentellement en rapport. Ils nous ont donné verbalement l’ordre de mettre l’intéressée à leur disposition. » L’inspecteur Douillet la remet à la Gestapo à 10 h 30. (AN Z6 1387, scellé 41, rapport de la SEC, 25 mai 1943)
  • [70]
    AN AJ38 203, rapport de la SEC à la préfecture de police de Paris, 16 janvier 1943.
  • [71]
    Sur l’ensemble de ces problèmes, voir les interrogations et les analyses prometteuses de Benn Williams, « Letters of Denunciation in the Lyon region, 1940-1944 », Historische Sozialforschung, 26 (2-3), 2001, p. 136-152.
  • [*]
    Chargé de recherche au CNRS (Centre de recherche d’histoire quantitative, Caen), Laurent Joly est notamment l’auteur de Vichy dans la « solution finale ». Histoire du commissariat général aux Questions juives (1941-1944) (Grasset, 2006). Il travaille actuellement sur le nationalisme français de la première moitié du 20e siècle, ainsi que sur l’histoire de l’administration et de la population française durant la seconde guerre mondiale. (llaurentjoly1@ yahoo. fr)

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