Histoires et mémoires d’empires
Malon Claude, Le Havre colonial de 1880 à 1960, Le Havre, Publications des universités de Rouen et du Havre/Presses universitaires de Caen, 2005, 681 p., 35 €
1La mode de l’histoire ultramarine impériale privilégie souvent l’histoire des représentations et des choix politiques (et militaires). L’histoire économique est en revanche quelque peu négligée depuis les travaux collectifs de l’équipe de Catherine Coquery-Vidrovitch (avec Hélène d’Almeida-Topor, etc.), les thèses de Jacques Marseille et Daniel Lefeuvre (rééditées sans changement) et la parution de la collection d’ouvrages (ceux de Xavier Daumalin et Guy Durand, en particulier) sur le port marseillais par la collection de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence. Or un courant renouvelé émerge qui redonne toute sa place à l’histoire économique pour mieux comprendre « les forces profondes » qui sous-tendent les mutations sociomentales collectives à propos de l’empire colonial. En amont de plusieurs ouvrages à venir (sur Lyon ou Bordeaux et sur plusieurs milieux professionnels spécifiques), la thèse de Claude Malon constitue un jalon décisif dans la reconstitution du déploiement des forces économiques et sociales reliant expansion ultramarine et la fameuse « mise en valeur » des territoires coloniaux. C’est une sorte d’application au pôle havrais des enjeux de la thèse de Jacques Marseille, c’est-à-dire une tentative de mesure de l’impact de l’Empire sur les flux et les structures économiques du port, sur le monde des affaires normand et sur les mentalités des décideurs face aux enjeux du devenir de l’Empire.
2Or ce travail ample et persévérant débouche sur un livre certes épais et complet, mais bien lisible et passionnant. En effet, l’on y voit se constituer une nouvelle économie ultramarine (après celle de l’Ancien Régime) qui se bâtit autour de l’outre-mer impérial, qu’il soit antillais (rhum, loin devant Bordeaux), africain (surtout le Cameroun, le Togo et l’Afrique équatoriale française), malgache et néocalédonien – tandis que Marseille et Bordeaux s’occupent de l’Afrique orientale française. Des compagnies maritimes animent les flux (Chargeurs réunis, Havraise péninsulaire, Delmas-Vieljeux). Mais Claude Malon contredit la fausse évidence d’autarcie qu’on continue à diffuser, puisque 55 % des importations coloniales du Havre et 44 % du trafic havrais avec l’Empire sont assurés par des armateurs étrangers ; Le Havre n’est pas seulement « porte océane », c’est aussi une « porte ouverte ». Il importe beaucoup de denrées venues d’autres territoires que l’Empire, notamment pour le café et le coton : c’est de loin le premier port cotonnier et aussi le premier port caféier français, avec une percée de l’Empire par rapport au Brésil et Haïti à partir des années 1930. Un même processus de transfert s’effectue pour le cacao, dont Le Havre devient le premier importateur en accompagnant la révolution de la consommation (Côte d’Ivoire, Togo, Cameroun), tout en s’affirmant comme le grand port d’importation de bois tropicaux.
3Cette histoire économique se métamorphose souvent en une belle histoire sociale et en « histoire d’entreprise », quand Claude Malon narre et analyse la percée d’entrepreneurs qui construisent le capitalisme havrais. Le livre est haché de biographies passionnantes, de sagas de capitaines d’industrie ou du négoce (Ancel, Raoul-Duval, Charles, notamment), issus du vivier de trois cent cinquante entreprises coloniales suivies sur plusieurs quarts de siècle – et beaucoup sont nées dans les années 1920. L’histoire sociologique et « culturelle » complète cette approche par la reconstitution du capital immatériel de cette bourgeoisie d’affaires ; ses réseaux et institutions de sociabilité et d’influence sont dessinés avec délicatesse (Institut colonial, École pratique coloniale, Société de géographie commerciale, chambre de commerce, etc.), avec des relais comme l’élu normand Félix Faure, dont on a oublié que, avant d’exercer le commerce de ses « pratiques » à l’Élysée, il fut le premier secrétaire d’État aux Colonies en novembre-décembre 1881, puis ministre des Colonies en 1883-1885 (gouvernement Ferry) et en 1888. Cela débouche sur une analyse classique mais non bien structurée de « l’esprit colonial » des hommes d’affaires, par l’étude de leurs discours, de la presse professionnelle, des cérémonies et commémorations. Comme sur d’autres places et dans d’autres réseaux ultramarins, protectionnisme, pacte colonial, crispation devant le destin de l’Empire, nourrissent les débats.
4L’on pourra déplorer que, malgré la richesse de ce livre, une déception surgit de l’absence quasiment complète de Rouen, alors que les deux cités étaient à la fois complémentaires et rivales. De même, le déploiement du Havre dans l’outre-mer latino-américain, puisque c’était le principal point de regroupement des marchandises, d’armement et d’affrètement pour La Plata et le Brésil, est négligé. Mais ce gros ouvrage ne pouvait devenir une encyclopédie des affaires havraises alors que, tel qu’il est, souvent stimulant et toujours précis et délié, il rejoint d’autres « pavés » décisifs dans la galerie des grands ouvrages d’histoire ultramarine. Claude Malon participe ainsi au renouveau récent d’un courant d’histoire économique et culturelle impériale, qui permet à cette « école française » ragaillardie de redevenir compétitive avec nos collègues anglophones (britanniques, américains mais aussi australiens, comme Robert Aldrich).
5Hubert Bonin
Sasse Dirk, Franzosen, Briten und Deutsche im Rifkrieg (1921-1926). Spekulanten und Sympathisanten, Deserteure und Hasardeure im Dienste Abdelkrims, Munich, Oldenbourg, 2006, 432 p., 49,80 €
6Cet ouvrage, issu d’une thèse de doctorat et publié sous les auspices de l’Institut historique allemand, offre une synthèse neuve sur la guerre du Rif, premier grand conflit colonial auquel furent confrontées la France et l’Espagne après la Grande Guerre. L’auteur adopte un point de vue original parce qu’il traite de la guerre du Rif sous un angle réellement international. Par ailleurs, s’il prend en compte les études politicomilitaires publiées en français, en espagnol et en anglais (il souligne la rareté des études en allemand) et qu’il présente très précisément le contexte dans la première partie de son ouvrage, il choisit ensuite d’analyser le rôle d’un certain nombre d’individus ayant soutenu Abd el-Krim. Les personnalités françaises, allemandes et britanniques, plus rarement espagnoles, qui ont aidé le chef rifain sont donc au cœur de la réflexion. Pour dresser ce tableau des soutiens d’Abd el-Krim (ils n’avaient pas encore été l’objet d’une analyse d’ensemble) l’auteur a consulté outre une très complète bibliographie, un grand nombre de sources publiées, puisées dans des fonds d’archives d’une grande diversité en France, en Allemagne et au Royaume-Uni (les archives espagnoles ne conservent pratiquement pas de documents permettant d’étudier le rôle de ces soutiens occultes).
7Dirk Sasse identifie les difficultés auxquelles Abd el-Krim est confronté pour réaliser un État indépendant sur les territoires qu’il espère conquérir militairement (nécessité de former ses troupes, de les équiper, de développer les moyens de communication, de faire face aux problèmes sanitaires, de financer la guerre, etc.). Il montre alors quels ont été les personnages prêts à l’aider et quelles étaient leurs motivations. L’échantillon d’hommes étudié est large, comme le précise le sous-titre de l’ouvrage, réels sympathisants de la cause rifaine, humanitaires (travaillant pour la Croix-Rouge ou la British Red Crescent Society), déserteurs des armées de protectorat ou aventuriers prêts à se mettre à la solde de n’importe quelle cause susceptible de leur rapporter quelque profit. Soixante-neuf personnages ont été précisément identifiés et donnent lieu à une notice biographique publiée en fin d’ouvrage. L’auteur distingue les rôles prêtés à ces individus dans l’entre-deux-guerres de ceux qu’ils ont réellement joué. Qu’ils aient été médecins, ingénieurs, techniciens, conseillers militaires ou politiques, instructeurs, l’auteur se demande toujours ce qu’Abd el-Krim en attendait, ce qu’il en a finalement reçu et dans quelle mesure l’implication des uns et des autres a pesé sur ses décisions et sur l’évolution de la situation dans le Rif. Il conclut à une réelle importance de ces soutiens : ils sont l’un des éléments d’explication au fait qu’Abd el-Krim ait tenu cinq années contre les armées espagnole puis française prêtes à tester en Afrique du Nord les moyens de combat les plus modernes. Il estime également que l’aide reçue des Européens permit à Abd el-Krim durant la phase de soulèvement de planifier la modernisation de la région du Rif dans les domaines de la santé, des transports, des communications et de l’économie. Mais il dresse un bilan mitigé des réalisations, peu de projets visant à réformer en profondeur la région du Rif ayant finalement abouti. Il montre également que les soldats européens engagés dans le camp rifain étaient en grande majorité des déserteurs français ou espagnols et que, contrairement à ce que la propagande hexagonale prétendit à l’été 1925, les soldats allemands y furent peu nombreux. Un ouvrage qui contribue donc de manière originale à affiner les analyses du phénomène de décolonisation et des liens entre puissances coloniales et mouvement anticolonial.
8Anne-Laure Anizan
Eades Caroline, Le Cinéma postcolonial français, Paris/Condé-sur-Noireau, Cerf/Corlet, 2006, 423 p., 41 €
9Alors que c’est en voyant une fiction récente (Indigènes, Rachid Bouchareb, 2006) que le président de la République française semble avoir pris conscience de la disparité de traitement entre anciens combattants d’origines métropolitaine et coloniale durant la seconde guerre mondiale, la publication du livre de Caroline Eades tombe à point nommé. L’auteur, enseignante dans une université américaine, revitalise les études sur les images coloniales et postcoloniales françaises en les analysant à la fois en spécialiste de littérature et en promotrice d’une lecture transversale empreinte de cultural studies, de postcolonial studies et de women studies. Caroline Eades poursuit ainsi les travaux sur la question du postcolonial et des représentations filmiques du fait colonial initiés bien souvent au Royaume-Uni ou aux États-Unis (en dehors de Benjamin Stora ou Abdelkader Benali), notamment dans les livres de Philip Dine et d’Elizabeth Ezra, après les travaux séminaux d’Edward Saïd.
10Mettant en œuvre une vaste filmographie de fiction, ainsi qu’une non moins vaste bibliographie (parfois au risque de l’erreur), l’auteur met en perspective les images visuelles et littéraires postcoloniales (livres, bandes dessinées, films, photographies rares) avec les images, sons et écrits (fictions, tableaux, cartes, opéras…) issus de la période coloniale, brossant un tableau complet des continuités et ruptures à l’œuvre dans la longue durée, tous pays colonisés confondus. De la même manière, elle traite à égalité films de répertoire et téléfilms pour mieux faire ressortir les grands axes thématiques du corpus. Ce mode d’analyse riche, peu employé en France pour des livres entiers, lui permet de faire mouche à de nombreuses reprises au long de quelque quatre cents pages denses et documentées ; il a néanmoins ses limites quand l’auteur évoque par exemple des films étrangers comme La Bataille d’Alger sans les séparer clairement des productions françaises.
11Il s’agit bien pour l’auteur de décortiquer des films censés apporter un « éclairage du présent par le passé » sur une question certes centrale dans la société française contemporaine, mais souvent renvoyée aux notes de bas de page du cinéma (petits rôles et sous-entendus). Or la production postcoloniale existe bien, et les films cités, s’ils ne sont pas forcément les plus intéressants d’un point de vue formel, constituent un axe particulier de la culture hexagonale. De ce point de vue, Indigènes, là encore, amorce un changement important dans la représentation du colonisé (le grand public entend peut-être pour la première fois la langue arabe dans un film français) et de son intégration dans la société, sonnant le glas d’un « Empire glottophage » disant toujours à l’écran la supériorité coloniale.
12Sébastien Denis
Wittersheim Éric, Après l’indépendance. Le Vanuatu, une démocratie dans le Pacifique, La Courneuve, Aux lieux d’être, 2006, 192 p., 28,50 €
13Cet ouvrage est consacré à une curiosité de l’espace postcolonial dans le Pacifique : le Vanuatu. Cet archipel comprenant cent treize langues vernaculaires pour à peine deux cent mille habitants, a eu la particularité d’avoir été partagé entre la France et le Royaume-Uni. Ce territoire morcelé, condominium franco-britannique en 1906 puis finalement indépendant en 1980, est un champ d’étude tout à fait passionnant.
14En effet, Éric Wittersheim rappelle tout d’abord la prégnance de l’image de société primitive attachée au Vanuatu, apparemment en décalage complet avec l’idée de nation et de démocratie. Il s’attache ensuite tout au long de son essai à montrer combien il existe au contraire une dynamique politique propre au Vanuatu. Pourtant l’histoire coloniale, en partageant ces populations entre l’influence de deux autorités politiques européennes, a laissé de profondes divisions entre anglophones et francophones. Les premiers ont été conduits très rapidement par les Britanniques à prendre en main leur destin politique, tandis que les seconds souhaitaient un retrait plus lent des Français. L’État français s’est par ailleurs montré, jusqu’au dernier moment, volontairement hostile à toute création d’une élite locale, car il s’est toujours accroché à l’idée d’une souveraineté possible sur cet espace. Ce véritable entêtement français, comme le montre Éric Wittersheim à l’aide de notes d’archives, s’explique d’ailleurs en partie par une vision parfois méprisante des populations mélanésiennes considérées comme incapable de prendre en main leur propre destin. Ce manque de préparation à l’indépendance du côté francophone, ajouté à l’antagonisme franco-anglais, a accru les difficultés de mise en place de la démocratie au Vanuatu. Néanmoins, malgré des problèmes importants de corruption de la classe administrative et politique du nouvel État indépendant, force est de constater que cette région n’a pas été livrée aux régimes dictatoriaux qui ont pu naître de la décolonisation en Afrique. Et ce n’est pas parce que les analystes européens ne trouvent aucune trace d’idéologie dans l’étude des comportements politiques des Ni-Vanuatu, qu’il n’existe pas de cultures politiques. Bien au contraire, l’auteur nous montre que la démocratie locale, qui est toujours en dynamique de construction, est une synthèse entre les institutions occidentales et des concepts propres à la société mélanésienne.
15Ce travail nous incite finalement à une double remise en cause. Tout d’abord, il invite les analystes et les sciences sociales à réfléchir aux dynamiques internes et aux cultures politiques propres aux anciennes sociétés colonisées par la France. Ensuite, il invite à réfléchir aux liens entre la démocratie et les identités communautaires.
16Gilles Gauvin
Wittersheim Éric, Des sociétés dans l’État. Anthropologie et situations postcoloniales en Mélanésie, La Courneuve, Aux lieux d’être, 2006, 200 p., 28,50 €
17Dans cet essai d’une lecture accessible à tout public, Éric Wittersheim nous livre une analyse fort intéressante sur un espace peu connu des métropolitains : la Mélanésie. Cet espace géopolitique du Pacifique comprend la Nouvelle-Calédonie, les îles Fidji, le Vanuatu, les îles Salomon et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’auteur s’attache à démontrer qu’au-delà de la vision figée de sociétés primitives transmises au monde occidental par l’anthropologie traditionnelle, les sociétés mélanésiennes ont une dynamique politique propre qui ne peut être réduite à la reproduction de coutumes ancestrales figées.
18Cette étude se divise en deux grandes parties. Dans la première, l’auteur souligne les apports, mais plus encore les limites de l’anthropologie classique. Il démontre en particulier combien l’approche qui a consisté à privilégier le postulat d’une Mélanésie immuable a pesé dans la vision que nous avons de ces sociétés. C’est ainsi que s’est construite l’image de sociétés primitives, restées en dehors du temps et de l’histoire. Cette anthropologie fixiste a consacré l’image du chef et celle de la tribu comme les clés de lecture incontournables des sociétés mélanésiennes des origines au 21e siècle. À cela s’ajoute le concept de coutume qui serait censé expliquer un hermétisme de ces sociétés à la démocratie moderne. Pourtant, comme le montre l’auteur, dans ces archipels terriblement marqués par l’empreinte du colonialisme, il a toujours existé une culture politique. L’émergence de mouvements indépendantistes dans les années 1970, montre d’ailleurs que les figures politiques locales ont cherché à écarter de la représentation politique les chefs coutumiers sur lesquels l’administration coloniale a toujours tenté de s’appuyer.
19Dans la seconde partie, Éric Wittersheim nous invite à suivre le parcours de deux figures indépendantistes dans l’espace colonial français : Jean-Marie Tjibaou en Nouvelle-Calédonie et le père Leymang aux Nouvelles-Hébrides, condominium franco-britannique. On mesure alors toute la différence d’appréciation des colonisateurs français et britanniques dans l’évolution de leurs relations avec les Mélanésiens. Tandis que pour les premiers il a toujours été hors de question de promouvoir une véritable élite autochtone, les seconds ont très rapidement cherché à préparer l’accession à l’indépendance des territoires colonisés. L’auteur montre alors combien l’anthropologie, à travers l’image qu’elle proposait des peuples mélanésiens, s’est constituée comme un facteur du conservatisme colonial des Français. Il n’est donc pas étonnant que ce soit dans l’espace anglophone qu’est apparue une remise en cause de l’anthropologie classique à travers les études postcoloniales.
20Gilles Gauvin
Violences et contestations
Moussaoui Abderrahmane, De la violence en Algérie. Les lois du chaos, Arles, Actes Sud/MMSH, 2006, 446 p., 26 €
21Comment comprendre la violence et la cruauté qui ont frappé l’Algérie dans la décennie 1990 ? Stupéfaits devant ce déferlement qui semblait s’enfoncer toujours plus loin dans une horreur quasiment inimaginable, les observateurs de l’époque tentèrent toutes sortes d’explications. Certains puisèrent dans une naturalisation des Algériens fortement marquée par une vision coloniale et arrimée, parfois, à une lecture du passé téléologique tout autant que cyclique qui ne verrait dans l’histoire algérienne qu’une succession d’affrontements violents marqués du sceau de la barbarie. D’autres eurent recours aux facteurs économiques et sociaux mettant en avant la crise des hydrocarbures et le bouleversement de l’équilibre social résultant de l’effritement de la rente pétrolière sur lequel le pouvoir avait réussi à s’appuyer, jusqu’aux années 1980, pour gouverner le pays. Mettant en avant la montée en puissance des islamistes, certaines lectures privilégiaient le facteur religieux, l’islam étant tantôt rapidement renvoyé à son statut de religion violente, tantôt présenté comme un instrument habilement manœuvré par ceux qui avaient su s’engouffrer dans les béances sociales d’un pouvoir faiblissant. Enfin, c’était ce pouvoir lui-même qui était, pour certains analystes, le principal responsable de la violence, que ce soit par son impuissance dans de nombreux champs ou par sa surpuissance.
22Ce livre paraît dans une autre conjoncture. En dépit des grandes souffrances endurées par le peuple algérien et perpétuées, pour beaucoup, par l’absence de reconnaissance véritable dont le pouvoir fait preuve de manière réitérée à l’égard de nombreuses victimes, l’Algérie semble retrouver le calme et le pouvoir algérien promeut des politiques de « concorde civile » puis de « réconciliation nationale », qu’il s’attache à valider par référendum.
23Dans ce livre, Abderrahmane Moussaoui jette un regard englobant sur la période écoulée depuis la fin des années 1980 et recherche « les lois du chaos », le sens manifesté dans la violence, qu’elle soit physique ou verbale. La violence est en effet une configuration (Norbert Elias) et son explosion témoigne de l’« échec des dispositifs de gestion du conflit qu’adopte toute société ». Le regard de l’auteur est anthropologique : il s’attache aux formes de la violence et postule qu’un sens s’y loge toujours, y compris quand elles provoquent une stupeur glacée.
24La religion est bien sûr un des réservoirs de significations explorés prioritairement : comment et pourquoi l’islam peut-il donner du sens aux meurtres de bébés ? Comment justifie-t-il les mariages forcés ou, pour prendre un tout autre exemple, les embuscades tendues aux forces de l’ordre ? L’auteur étudie les textes justificatifs produits par les islamistes avant leurs actions, mais aussi les textes normatifs édictés pour encadrer les maquis ou encourager le développement du djihad. Il s’attache plus particulièrement à la place de la mort dans ce dispositif, qui emprunte aussi à la geste de légitimation construite par l’État algérien à partir de la guerre de Libération nationale et de ses « martyrs » (chouhada). Il ajoute à cette exploration des textes une étude des comportements se rapportant à l’islam ou, plus largement, au religieux dans les milieux islamistes et dans la société algérienne.
25Cette société est caractérisée par une histoire et un espace spécifiques colorant ce que l’auteur observe : ainsi, sur le vaste territoire algérien, les violences ont toujours préféré les refuges des montagnes et des forêts, a fortiori quand les découpages politiques ou sociaux venaient renforcer ce que la géographie déterminait initialement. Cette société est aussi baignée par la Méditerranée : c’est elle qui lui a donné un certain nombre de codes dans desquels elle s’exprime toujours aujourd’hui. L’honneur des hommes et la virginité des femmes sont noués ensemble, dans les discours et les blagues comme dans les plus effroyables des violences.
26Ainsi l’intérêt de ce livre est double. Il est d’abord une étude de la violence et du fonctionnement des groupes islamistes radicaux qui ont mis à feu et à sang l’Algérie pendant près de quinze ans. Ce travail approfondi, mené à des échelles variées et à travers de multiples objets, renouvelle ce que l’on savait de ces groupes, apportant informations nouvelles et interprétations stimulantes. Mais il est aussi un regard porté sur la société algérienne des vingt dernières années, une société dont les islamistes sont bien les fils – au-delà d’une interprétation qui renvoie trop exclusivement leur existence aux errements du pouvoir (sans que cela dédouane pour autant l’État algérien de sa responsabilité, hier comme aujourd’hui). Sur cette société, différents discours anthropologiques ont été tenus et Abderrahmane Moussaoui les discute en les confrontant aux manières dont les Algériens ont réagi à la violence et à la peur de cette grande décennie.
27In fine, l’auteur veut surtout rappeler à ses lecteurs francophones que les Algériens sont bien vivants et qu’ils ont su trouver mille manières de narguer la mort qui aurait pu les submerger. Le bilan de cette période pourrait alors contenir aussi du positif, si cette violence témoignait d’une mutation profonde et rapide de la société algérienne vers plus de modernité (en dépit des usages parfois problématiques de cette notion), d’une mue dont elle aurait été la monstrueuse chrysalide.
28Raphaëlle Branche
Dorronsoro Gilles (dir.), La Turquie conteste. Mobilisations sociales et régime sécuritaire, Paris, CNRS éditions, 2005, 247 p., 29 €
29Ce que La Turquie conteste, c’est la nature même d’un régime sécuritaire identifié dans l’introduction de l’ouvrage comme le cadre qui fonde la spécificité de l’État turc et limite l’expression des mobilisations sociales (Gilles Dorronsoro). À l’étude de cette problématique se consacrent dix turcologues réunis à l’occasion d’un séminaire organisé en janvier 2002. Une synthèse est proposée en fin d’ouvrage par un spécialiste de la sociologie des mobilisations, Olivier Fillieule, invité à approfondir les réflexions proposées à la lumière des chantiers de recherche menés dans d’autres domaines. À la lecture de l’ensemble, il apparaît que la turcologie française s’est constituée ces dernières années en une sociologie politique renouvelée et inventive dont voici les conclusions principales.
30L’émergence de nouveaux registres d’action (comme les mouvements écologiques analysés par Alexandre Toumarkine) et l’essor des mobilisations identitaires non violentes (le courant aléviste étudié par Élise Massicard) sont les indicateurs d’une libéralisation du système politique par rapport au régime militaire. Les modes d’action politiques et syndicaux tirent profit des nouveaux réseaux que leur offre l’ouverture européenne : qu’il s’agisse du redéploiement de la question kurde en Turquie hors d’une « arène publique bipolaire » (Olivier Grojean) principalement disputée jusque dans les années 1990 par l’État sécuritaire turc et le PKK ; qu’il s’agisse de la mobilisation « transnationale » opérée ces dernières années par le syndicalisme turc (Emre Öngün). À Istanbul ou ailleurs, la société civile agit dans le cadre d’institutions nouvelles (la Fondation d’histoire turque, lieu de reconversion d’une génération intellectuelle présentée par Nicolas Monceau), se mobilise autour d’acteurs anonymes ou populaires dans des actions de quartiers (Jean-François Pérouse) ou dans des négociations organisées par des chefs de village auprès des autorités (Benoît Fliche).
31Mais les moyens d’action sont limités par le mode de fonctionnement de la sphère publique : Benoît Fliche montre en quoi la dépendance vis-à-vis des ressources étatiques rend nécessaire la personnalisation de la relation des citoyens avec l’administration ; Aysen Uysal note toutes les restrictions (au sein de la Constitution comme dans la pratique effective) qui pèsent sur le droit de réunion et de manifestation ; Elser Köker et Ülkü Doganay établissent que le « cadrage sécuritaire » (surexploitation du thème de « l’ennemi intérieur ») imposé aux médias justifie l’intervention des institutions de sécurité dans de multiples domaines de la vie sociale.
32Bref, le lecteur comprend clairement que la mobilisation politique et sociale en Turquie participe de l’ouverture démocratique du pays autant qu’elle bute sur la nature sécuritaire du régime. Il apprécie la mobilisation conceptuelle d’auteurs qui approchent des sujets (habituellement traités sur le ton de la polémique) avec objectivité et méthode, même s’il ne perçoit pas toujours l’utilité de certaines réflexions sur des paradigmes présentés comme inadaptés ou « épuisés ». Si par ailleurs l’accent est mis sur les acteurs de la mobilisation sociale, les formes sociologiques du régime sécuritaire ne sont pas abordées, à l’exception de l’enquête très instructive d’Aysal Uysal sur les origines socioculturelles des policiers. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la remise en question des oppositions entre État et société civile, démocratisation et démocratie incomplète qui fonde l’armature conceptuelle de l’ouvrage n’est pas pleinement convaincante. Il n’en reste pas moins vrai que La Turquie conteste est le meilleur ouvrage collectif publié ces dernières années en France sur la Turquie contemporaine.
33Olivier Bouquet
L’ère du communisme bureaucratique
Hellbeck Jochen, Revolution on my Mind. Writing a Diary under Stalin, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2006, 436 p., 29,95 $
34Ce livre entreprend de démonter une idée couramment avancée : il était impossible, car dangereux, de tenir un journal intime dans l’URSS stalinienne. Or, Jochen Hellbeck a trouvé de nombreux journaux de cette époque, dont certains ont été publiés et d’autres reposent dans des archives russes, privées ou publiques. L’écriture d’un journal était en effet, souligne l’auteur, une pratique encouragée après la Révolution, car elle s’inscrivait dans le projet bolchevique : chacun devait développer sa conscience politique et devenir un « homme nouveau ». Cet examen critique de soi poursuivait en outre une tradition de l’intelligentsia russe.
35Ces journaux intimes des années 1930 dessinent des parcours humains passionnants. Leur étude permet de comprendre comment les Soviétiques de l’époque interprétaient les slogans lancés, les tournants pris, voire les purges. En analysant de nombreux textes, Jochen Hellbeck repère le sentiment qu’ont leurs auteurs de vivre dans une époque exceptionnelle, ainsi que leur volonté de se transformer, de devenir d’authentiques Soviétiques et de s’inscrire dans une histoire en marche. Ces journaux sont donc imprégnés des valeurs révolutionnaires, mais ils témoignent aussi d’une tension entre le social et l’intime, tension dont les diaristes ont conscience et qu’ils cherchent à réduire.
36L’historien s’attache plus précisément à quatre journaux, qu’il résume et analyse, en consacrant un chapitre à chacun. Leurs auteurs sont une enseignante de Voronej, un fils de koulaks qui dissimule ses origines sociales, un communiste qui effectue une brillante carrière et un écrivain, Alexandre Afinoguénov, qui a été l’un des dirigeants de la littérature « prolétarienne » avant d’être exclu du Parti et de l’Union des écrivains. Chacun de ces quatre textes semble indiscutablement précieux et riche d’informations originales. On peut toutefois regretter que Jochen Hellbeck n’explique pas pourquoi il a sélectionné ces quatre cas et ne précise pas les bornes chronologiques de son travail : ces journaux écrits « sous Staline » ne vont pas au-delà de la fin des années 1930, et trois couvrent, au moins en partie, les années 1920.
37Jochen Hellbeck relève que, dans les années 1930 (et avant !), le NKVD confisquait les journaux intimes des personnes arrêtées et s’en servait pour nourrir ses accusations. Il estime toutefois qu’en écrivant, les diaristes ne tenaient pas compte, « avant tout », de la police politique. Qu’il soit permis de douter d’une telle généralisation. En outre – et des témoignages existent – ceux qui ne souhaitaient pas s’inscrire dans le système n’écrivaient pas de journaux, les cachaient ou les brûlaient.
38L’historien a rencontré certains des diaristes et en tire une conclusion attendue : leur discours actuel sur les années 1930 est parfois très différent de celui qu’ils tenaient, à l’époque. Son livre confirme qu’il y a eu, dans la société stalinienne de l’entre-deux-guerres, un enthousiasme authentique et une vraie volonté d’adhésion au système. Toutefois – et Jochen Hellbeck ne le souligne peut-être pas assez – il y a eu aussi des plongées dans le silence, ainsi que des contestations dont témoignent les rapports du NKVD aujourd’hui publiés.
39Cécile Vaissié
Wettig Gerhard, Chruschtschows Berlin-Krise 1958 bis 1963. Drohpolitik und Mauerbau, Munich, Oldenbourg, 2006, 312 p., 34,80 €
40Malgré un grand nombre de publications consacrées à la seconde crise de Berlin qui débuta en novembre 1958 avec l’ultimatum de Khrouchtchev, culmina avec la construction du mur de Berlin en août 1961 et ne s’apaisa lentement que fin 1963, de nombreuses questions restaient sans réponse assurée : elles concernaient les mobiles du déclenchement de la crise, le choix d’un ultimatum, l’influence exercée par le SED est-allemand sur le Kremlin, et enfin la paternité et le moment de la décision de construire un mur entre l’Est et l’Ouest de l’ancienne capitale du Reich, au statut quadripartite depuis 1945.
41Le livre de Gerhard Wettig apporte de nombreuses réponses à ces questions, car il s’appuie sur des archives soviétiques non encore exploitées, rendues récemment accessibles par la Commission mixte de recherche sur l’histoire récente des relations germano-russes. Centré sur les analyses du Kremlin et surtout de Khrouchtchev, ce livre complète heureusement les travaux antérieurs fondés sur des sources occidentales et est-allemandes : on n’avait pu identifier clairement le rôle de Walter Ulbricht, Hope Harrison jugeant qu’il avait fait pression sur Khrouchtchev, Michael Lemke le réfutant. Gerhard Wettig donne plutôt raison au second et met en évidence que, bien que satisfaisant des revendications de la direction est-allemande qui considérait que le traité du 20 septembre 1955 entre RDA et URSS avait mis un terme au statut quadripartite et que Berlin était la capitale de la RDA, c’est seul que Khrouchtchev décida de provoquer la confrontation avec les Occidentaux. Il était convaincu que leur crainte d’un conflit était telle qu’ils céderaient et accepteraient un traité de paix figeant la division, tout en étant lui-même sérieusement prêt à un retrait des troupes soviétiques de RDA. Ses refus de toute solution de compromis s’expliquent par sa conviction que le rapport de forces se modifierait nécessairement en faveur du camp socialiste. Ainsi le poids de l’idéologie dans ses schémas de pensée s’ajouta à de nombreuses erreurs d’appréciation, en particulier sur la prétendue faiblesse de caractère de Kennedy et sur les modes de fonctionnement du camp occidental, et explique l’attitude du chef du Kremlin. C’est également seul qu’il prit la décision d’ériger un mur sur le flanc occidental de la RDA, quand il se fut convaincu que c’était le seul remède envisageable aux difficultés économiques de l’allié est-allemand. Il désavoua d’ailleurs ce dernier en reconnaissant, à l’issue de la crise, la permanence des droits quadripartites issus de la guerre. Par ce centrage sur l’étude de la décision au cœur du Kremlin, ce livre est une contribution importante à la connaissance de l’une des grandes crises de la guerre froide.
42Hélène Miard-Delacroix
Chang Jung et Halliday Jon, Mao. L’histoire inconnue, Paris, Gallimard, 2006, 844 p., 28 €
43Cette nouvelle biographie de Mao Zedong repose sur vingt ans d’enquêtes, d’entretiens, de lectures d’archives et de publications. Un grand nombre de témoins et de documents n’avaient jamais été mis au jour jusqu’ici, et cela, à soi seul, assure le considérable intérêt de l’ouvrage. Les entretiens (près de quatre cents) ont eu lieu dans trente-sept pays. On y relève pas moins de huit proches parents du président, dont sa fille, et des dizaines de personnes l’ayant connu de près. Environ mille quatre cents sources écrites sont mentionnées, parmi lesquelles une masse impressionnante de publications restreintes, plus ou moins confidentielles, souvent des Mémoires, récits ou recueils de documents dont l’écho n’avait jusqu’à présent pas débordé telle ou telle ville de province chinoise. La présence d’un très grand nombre de témoignages (oraux ou écrits) venus de Russie, et encore récemment inaccessibles, permet un regard nouveau, ou affiné, sur bien des événements, et confirme l’étroitesse des liens entre communistes chinois et soviétiques, au moins jusqu’au schisme de 1960.
44Le résultat est là : une démolition complète, pierre après pierre, année après année (le plan est assez strictement chronologique), de tout ce qui avait fait pour la Chine et le monde la légende dorée du Timonier. C’est un point fort de l’ouvrage que de montrer par le menu son itinéraire tortueux, parsemé de revers, voire de mises à l’écart, que l’histoire officielle a cherché à gommer : plus de la moitié des pages sont consacrées à l’avant-1949. Elles mettent en lumière l’alliance initiale avec des bandits de grand chemin, auxquels Mao emprunte certaines méthodes, puis l’importance de sa relation personnelle avec les services soviétiques.
45La thèse centrale des auteurs est simple. Le succès de Mao fut dû à l’intensité de sa motivation, servie par une énorme énergie. Le primum movens du Timonier fut d’abord la volonté de se ménager un pouvoir sans partage, au niveau du parti puis à celui de la nation tout entière ; et une fois ce premier but satisfait, le projet de faire de la Chine une, voire la superpuissance mondiale, dans les plus brefs délais. Le personnage, par ailleurs, aurait usé plus qu’à son tour de cynisme et de brutalité. Il n’aurait pas disposé de beaucoup d’autres atouts : il est décrit comme peu charismatique, piètre orateur, médiocre stratège, fantasque à l’occasion, et indolent dans ses jeunes années…
46La détestation légitime à l’encontre de Mao entraîne des biais assez redoutables, et mal surmontés : rien de positif ne lui est reconnu. En revanche, ses adversaires sont assez systématiquement affublés des qualités les plus improbables, à commencer par Chang Kai-Chek. Plus grave encore, d’un point de vue méthodologique : toutes les décisions et inflexions impliquant Mao tendent à être ramenées aux traits de caractère et aux quelques obsessions fondamentales d’un personnage ainsi paradoxalement confirmé dans sa position de démiurge de l’histoire chinoise récente. D’où déjà d’intenses polémiques. Les reproches portent en particulier sur les sources et leur utilisation. Outre que les auteurs font trop souvent comme s’ils étaient les premiers à traiter de leur sujet, leurs sources sont très fréquemment peu accessibles, insuffisamment référencées, et donc mal vérifiables. Néanmoins, un ouvrage désormais incontournable.
47Jean-Louis Margolin
Histoire de l’Europe du Nord
Dumoulin Michel, Gérard Emmanuel, Van Den Wijngaert Marc et Dujardin Vincent, Nouvelle Histoire de Belgique, vol. 2 : 1905-1950, Bruxelles, Complexe, 2006, 29,90 €
48Les dernières « histoire de Belgique » datent des années 1980, même si celle de Xavier Mabille sur l’histoire politique belge est régulièrement mise à jour. Depuis un quart de siècle, pourtant, l’historiographie belge a considérablement évolué, et cela dans toutes les directions. On en trouve quelques échos dans les synthèses d’histoire de la Flandre comme dans celles d’histoire de la Wallonie. Mais ces histoires séparées offrent un changement de perspective, sans doute conforme à la transformation institutionnelle de l’État belge unitaire en État fédéral, qui occulte nombre de dimensions proprement nationales. Cette Nouvelle Histoire de Belgique vient donc combler un manque. D’autant qu’il s’agit d’une vaste entreprise qui a fait appel à beaucoup d’historiens chevronnés issus de presque toutes les universités belges (notons toutefois l’absence curieuse des historiens de l’université de Liège).
49Le deuxième volume, dont nous traitons ici, couvre la période de 1905 à 1950, soit une période particulièrement riche en événements, dont la complexité et les ambiguïtés (fort bien rendues par les différents auteurs) permettent de comprendre la Belgique d’aujourd’hui et ses échafaudages quasi surréalistes. En effet, les tensions actuelles s’enracinent fondamentalement dans l’expérience de la première guerre mondiale (traitée par Michel Dumoulin), expérience que l’entre-deux-guerres (Emmanuel Gérard) n’a pas su dépasser. La seconde guerre mondiale (Mark Van den Wijngaert) ne fit qu’approfondir les fissures plus ou moins latentes dans la société belge ; ce qui aboutit à la Régence, avec la Question royale d’un côté et l’implication dans le rêve européen de l’autre (Vincent Dujardin).
50On appréciera le souci des auteurs de rendre compte des travaux les plus récents, ainsi que les encadrés mettant en valeur les documents emblématiques de l’histoire de Belgique. En revanche, on regrettera la quasi-absence de l’histoire culturelle et de la mémoire, ainsi que le caractère éclaté de la publication. Car, au fond, ce deuxième volume est la compilation de quatre contributions totalement indépendantes : chacune de ces parties a sa propre pagination, ses notes rejetées en fin de contribution, sa chronologie et sa bibliographie (parfois redondante par rapport à celle du contributeur précédent). Cette présentation rend le maniement du volume malaisé, mais surtout opère un manque d’unité de ton quelque peu désagréable. Certes, on peut objecter que cela permet de refléter les différences, voire les divergences de point de vue, présentes dans l’historiographie belge actuelle (notamment en ce qui concerne la personne du roi Léopold III). Mais, personnellement, j’aurais préféré voir le débat porté par un texte unifié, ce qui aurait permis de penser (au sens fort) les divergences d’interprétation, plutôt que d’assister à une juxtaposition de points de vue qui laisse le lecteur quelque peu démuni. Cela étant, cette Nouvelle Histoire de Belgique reflète bien les avancées de l’historiographie belge et comble un vide qui commençait à être pesant. En cela, l’entreprise mérite d’être chaleureusement saluée.
51Laurence van Ypersele
Béhague Emmanuel, Le Théâtre dans le réel. Formes d’un théâtre politique allemand après la réunification (1989-2000), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006, 382 p., 24 €
52Il n’est guère possible de rendre compte de l’écriture dramatique d’un pays ou d’une époque, en particulier quand il s’agit d’une période aussi récente et riche en changements que la décennie 1990 pour l’Allemagne réunifiée. Or, Emmanuel Béhague réussit dans cette version remaniée de sa thèse soutenue en 2002 à nous rendre ce service. Il se concentre sur l’aspect politique de certaines œuvres de théâtre d’auteurs allemands représentatifs de cette époque.
53À la suite des changements de paradigmes sociaux, économiques et politiques depuis la chute du Mur, ce nouveau théâtre politique se présente avec de nouveaux moyens et des préoccupations différentes. Ce nouvel usage marque l’abandon d’un concept précédent de ce théâtre qui se voulait didactique et engagé, comme c’était le cas des prédécesseurs tels Erwin Piscator et Bertolt Brecht.
54L’auteur présente d’abord le cadre socio-économique de la production littéraire et théâtrale allemande. Il donne un aperçu de son état actuel, de ses changements institutionnels, du statut des écrivains dramatiques et de leurs préoccupations artistiques. Des réflexions sur l’évolution des formes dramatiques et des considérations phénoménologiques sur le développement du genre « théâtre politique » offrent la base de compréhension pour la deuxième partie. Celle-ci est consacrée à l’analyse d’une vingtaine de textes d’auteurs nouveaux ayant rencontré un certain écho, traitant tous de la réalité de l’Allemagne et de sa société. La méthode d’analyse reste essentiellement inductive, partant du texte dramatique même, pour détecter lesdits messages politiques inhérents à celui-ci.
55L’aspect politique, tel que l’entend Emmanuel Béhague, s’exprime essentiellement comme une critique du contexte social immanente au texte et à la forme de la pièce. Dans tous les cas, ni un appel à une action collective et dirigée ni un message idéologique ne sont véhiculés de façon explicite. Il distingue trois catégories d’apparition de ce fait politique dans les pièces étudiées. Tout d’abord, le « théâtre de monstration » se contente de montrer le dysfonctionnement de la société en prenant l’exemple de destins individuels. En second lieu, l’auteur identifie les pièces qui mettent en relief le décalage entre l’histoire et l’expérience individuelle et authentique de ces événements. Finalement, le « théâtre de la perception » nie l’existence d’une réalité absolue et ne cesse de déconstruire les modèles offerts de celle-ci.
56Conscient du manque de recul temporel, Emmanuel Béhague reste prudent dans ses conclusions. Celui-ci confirme pour autant une certaine revalorisation de l’Auteur dans la création théâtrale en Allemagne pendant la période étudiée. L’avènement de jeunes écrivains sur les scènes allemandes est marqué du côté de leur production par la redécouverte d’éléments traditionnels de la dramaturgie tels le récit et le personnage. Ce phénomène débouche sur ce qu’il appelle une « relittérarisation » du théâtre.
57Nous recevons ici une belle contribution supplémentaire, cette fois-ci issue des sciences littéraires, à l’intérêt que la recherche française témoigne pour la production culturelle de l’Allemagne depuis sa réunification.
58Julia Aumüller
Comparaisons franco-allemandes
Carrier Peter, Holocaust Monuments and National Memory Cultures in France and Germany since 1989. The Origins and Political Function of the Vél’ d’hiv’ in Paris and the Holocaust Monument in Berlin, New York, Berghahn Books, 2005, 267 p., 75 $
59Depuis la fin des années 1970, la centralité et l’universalisation de la mémoire de la Shoah se sont traduites par la construction de musées et de mémoriaux, essentiellement en Europe occidentale et aux États-Unis. L’historien anglais Peter Carrier a précisément choisi d’étudier la culture mémorielle de la Shoah en France et en Allemagne à partir de deux monuments construits respectivement dans les années 1990 et 2000 : le mémorial du Vél’ d’hiv’ à Paris et celui de l’Holocauste à Berlin.
60L’étude de Peter Carrier se décline en trois temps. Après avoir rappelé dans une première partie les liens entre monuments et mémoire officielle dans l’histoire, il se livre à une étude détaillée de la construction des mémoriaux du Vél’ d’hiv’ et de l’Holocauste, en superposant une analyse centrée sur l’architecture des monuments et la façon dont cette mémoire douloureuse s’institutionnalise dans le paysage sociopolitique. Le recours à la comparaison permet à Peter Carrier de mettre en lumière des analogies transnationales. Par exemple, la construction des deux mémoriaux relève à la base d’initiatives citoyennes. Reste que chaque cas s’inscrit dans un contexte national particulier. En France, les débats se sont concentrés sur la question de la reconnaissance officielle par le président de la république de la responsabilité de l’État dans l’extermination des juifs. En Allemagne, la polémique a porté sur le monument en lui-même. Bien que l’analyse soit de qualité, l’historien britannique attache trop d’importance à l’étude du langage au détriment des vecteurs de cette culture mémorielle nationale : les acteurs eux-mêmes (citoyens engagés, journalistes, hommes politiques). Dans une troisième et dernière partie, Peter Carrier change d’échelles, abandonnant l’étude des deux mémoriaux pour une analyse comparative des discours nationaux sur la mémoire de la Shoah en France et en Allemagne.
61En dépit de la structure du livre qui conduit à des répétitions excessives, l’intérêt de cette étude comparative est réel. Elle est tout d’abord extrêmement bien documentée, illustrée et écrite, faisant le point sur les plus récents travaux historiques et sociologiques sur la mémoire. Ensuite, Peter Carrier montre bien le rôle de ces « lieux de mémoire négatifs » dans le cadre de la politique mémorielle de la Shoah en France et en Allemagne. Ces monuments sont censés exprimer la reconnaissance officielle d’une mémoire douloureuse dans le but de redéfinir l’identité nationale et un consensus social autour des valeurs de responsabilité et de culpabilité.
62Il est toutefois regrettable de trouver ici et là des erreurs qui peuvent irriter un lecteur français : la Quatrième République fut créée en 1946 (et non en 1944), la durée du mandat présidentiel a été réduit en septembre 2000 à cinq ans (et non six). Plus grave est l’absence de perspective transnationale, comme si l’auteur s’était laissé enfermer dans la comparaison entre la France et l’Allemagne. Ce genre d’études implique de réinscrire l’histoire de ces monuments dans un cadre transnational et de prendre en compte la concurrence d’autres groupes de victimes qui revendiquent une place dans l’espace public. Malgré ses faiblesses, le livre de Peter Carrier mérite une lecture attentive.
63Emmanuel Droit
Trumbull Gunnar, Consumer Capitalism. Politics, Product Markets, and Firm Strategy in France and Germany, Ithaca, Cornell University Press, 2006, 186 p., 39,95 $
64L’histoire de la consommation connaît aujourd’hui un développement important dans les pays anglophones. Après les travaux remarqués de Lizabeth Cohen sur la « république des consommateurs » américaine et ceux de Matthew Hilton sur le consumérisme en Grande-Bretagne, la publication du doctorat du politiste Gunnar Trumbull apporte beaucoup par son approche comparatiste. Élève de Suzanne Berger au MIT, ce chercheur veut penser la consommation au côté de la production et de la distribution comme le troisième pilier d’une analyse institutionnelle du capitalisme moderne. Poursuivant les analyses des voies nationales du capitalisme, il étudie les politiques de consommation de l’Allemagne et de la France depuis les années 1970. L’extension des droits du consommateur dans les pays occidentaux durant le dernier tiers du 20e siècle lui permet d’analyser le consommateur comme un citoyen.
65Trois grands modèles de politiques publiques sont possibles pour les questions de consommation : la protection, l’information et la négociation. Le premier suivi par les États-Unis est repris par la France et voit d’abord dans le consommateur un acteur politique. Le deuxième, typique de la Grande-Bretagne, est aussi celui de l’Allemagne et voit davantage le consommateur comme un acteur économique. Le dernier enfin est celui de la Suède. Ces modèles ne sont pas des constructions abstraites mais au contraire le produit de débats et d’équilibres entre producteurs, organisations de consommateurs et instances étatiques. L’auteur suit en particulier les dispositifs législatifs et réglementaires mis en place concernant la responsabilité des risques sur les produits, les tests comparatifs, les contrats des consommateurs, la publicité mensongère, la certification et la qualité des produits, et la fixation des prix. Trumbull insiste tout à la fois sur les différences dans les stratégies des associations de consommateurs, dans les réponses des organisations patronales et dans les configurations institutionnelles propres à chaque pays. Dans le cas français une association comme l’Union fédérale des consommateurs (UFC Que choisir ?) a construit son identité dans l’opposition aux industriels. L’approche comparatiste relativise les discours convenus sur la faiblesse du consumérisme français.
66Loin de réduire les questions de consommation à des représentations culturelles, ce livre insiste sur les dimensions politiques et économiques de la consommation. Outre sa portée théorique, cette étude offre au lecteur un matériau inédit important par l’ampleur des sources imprimées dépouillées. L’index des noms propres, institutions et notions est très utile. On regrettera juste que la question de la construction européenne ne soit posée que partiellement alors qu’elle remet sans doute en cause, certes de manière lente et complexe, les voies nationales décrites.
67Alain Chatriot
Batailles politiques aux États-Unis
Kazin Michael, A Godly Hero. The Life of William Jennings Bryan, New York, Alfred A. Knopf, 2006, 375 p., 30 $
68Il y a un siècle, Jennings Bryan, candidat par trois fois à la présidence, était le réformateur le plus important des États-Unis. Parmi les nombreuses causes qu’il défendit figurent la nationalisation des chemins de fer et des services publics, le financement public des campagnes électorales, la garantie fédérale des dépôts bancaires, la protection gouvernementale des syndicats, la régulation des affaires commerciales importantes, l’aide économique fédérale aux agriculteurs et le standard monétaire fondé sur le bimétallisme. À cette époque, il n’y avait pas de réforme majeure que Bryan ne soutint pas. De nombreuses idées ne seront pas réalisées avant le New Deal, et trois réformes seront mises en œuvre par des amendements à la Constitution : un impôt sur le revenu fédéral, l’élection directe des sénateurs américains, et l’interdiction de produire et de transporter des boissons alcoolisées. Bryan fut aussi l’anti-impérialiste et le pacifiste le plus éminent de la nation. Défendant l’idée que la guerre devait être illégale, il s’opposa aussi bien au conflit militaire avec l’Espagne en 1898 qu’à une intervention pendant la première guerre mondiale.
69Le succès de Bryan fut cependant assuré au mépris des Américains les plus désespérés : les Noirs du Sud. Il associa ici ses efforts à ceux des Blancs en vue de déterminer les politiques raciales du Sud. Mais son racisme n’est pas la seule raison du peu d’estime que la plupart des historiens lui portent depuis sa mort en 1925. Plus importante était sa religiosité, qui le conduisit à soutenir la prohibition et à défier l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles publiques. Ici comme ailleurs, Bryan marcha dans les traces de certains réformateurs américains, tentant de faire la synthèse de Jefferson et de Jésus. La croisade contre l’esclavage, la tentative d’améliorer la condition des handicapés physiques et l’opposition au militarisme, par exemple, furent imprégnées de la sensibilité d’un protestant évangéliste qui cherchait à réaliser le royaume de Dieu sur Terre.
70Si cette sensibilité religieuse se trouve aujourd’hui plus souvent associée à des causes que Bryan n’aurait pas soutenues, c’est entre autres parce que des citadins aux goûts sophistiqués ont été amenés à ridiculiser la culture pieuse de Bryan. Au moment du procès de John Scopes, accusé d’avoir enseigné la théorie de l’évolution dans le Tennessee en 1925, le journaliste H. L. Mencken écrivait que Bryan était « bercé des illusions d’une théologie puérile, empli d’une haine quasi pathologique contre tout apprentissage, toute dignité humaine, toute beauté, toutes choses nobles et raffinées. Il était un paysan revenant, chez lui, à la basse-cour ». Par contraste, la biographie de Michael Kazin, bien écrite et fruit de recherches approfondies, présente ce « grand roturier » comme « un […] chrétien progressiste », dont la « sincérité, [la] chaleur et [la] passion pour un monde meilleur gagnèrent le cœur de ceux qui ne prêtaient alors attention à aucune autre personnalité ». Les réformateurs actuels, suggère Kazin, échoueront s’ils voient dans l’expression « chrétien de gauche » une contradiction de termes. Ainsi, A Godly Hero est non seulement une étude éloquente qui revisite la figure de Bryan, mais aussi un conseil pour les hommes politiques de gauche cherchant à sortir de l’isolement.
71Edward S. Shapiro
72(trad. Hélène Bourguignon)
Mark David, Going Dirty. The Art of Negative Campaigning, Lanham, Rowman & Littlefield, 2006, 265 p., 24,95 $
73Diaboliser un ennemi politique est une vieille habitude américaine. La tentation de lui attribuer des actes dont il n’est pas l’auteur remonte à la Déclaration d’indépendance. Celle-ci, malgré ce que son important volume pourrait laisser penser, n’est pas consacrée à l’exposé de principes républicains : Thomas Jefferson, par exemple, y reproche au malheureux roi George III des fautes, voire des crimes, qu’il n’a pas commis. Les siècles qui suivent ne se distinguent que par la fréquence, l’intensité, et la sophistication avec lesquelles un opposant est calomnié et attaqué en vue de gagner une élection. Depuis 1934 – date à laquelle le politiste David Mark fait débuter son récit historique de l’influence des campagnes négatives (negative campaigning) –, l’augmentation du nombre de médias disponibles (de la radio à la télévision, des films au mailing, des téléphones aux vidéos en ligne) ont rendu certaines stratégies politiques attirantes.
74Si critiquer les candidats des autres partis politiques va à l’encontre aussi bien du discours démocratique que de la courtoisie, pourquoi David Mark n’a-t-il aucune difficulté à trouver des publicités négatives dans une douzaine de campagnes électorales majeures des sept dernières décennies ? Sa réponse relève d’un pragmatisme certain : « Going Dirty » assure du succès. Pour un concurrent, relativiser les réussites d’un membre du gouvernement est la manière la plus rapide de niveler le champ de courses avant les départs en vue du Congrès ou des gouvernements d’États. Déformer les faits accomplis par un président garantit une rotation des postes, les électeurs étant rarement suffisamment attentifs pour apprécier complexité et nuance. Comme David Mark l’observe avec perspicacité, les campagnes électorales positives peuvent être plus mensongères encore que les campagnes négatives : trop de candidats utilisent des publicités qui représentent, dans bien des cas, leur famille (si photogénique) ou leurs chiens (si attendrissant). Il en résulte un paradoxe. Certes, on regrette le faible taux de participation électorale, interprété comme une sorte de paralysie civique. Mais les citoyens semblent participer davantage aux élections qui sont dénoncées comme les plus violentes : des campagnes négatives peuvent animer le plus apathique des citoyens.
75Going Dirty n’est pas une apologie. L’ouvrage ne promeut pas la déformation et le mensonge. David Mark analyse plus qu’il ne moralise ou ne devient cynique. Il doute même que la campagne électorale la plus violente ou la plus provocante affecte les résultats électoraux (à quelques exceptions près). Les portraits trompeurs tendent à renforcer les images et les attentes préexistantes, et font ainsi moins de mal qu’on pourrait le craindre. L’auteur ne prend pas non plus parti. En 1964, les démocrates réalisèrent une publicité – la plus célèbre de toutes les campagnes présidentielles –, qui proposait comme alternative au président sortant, Lyndon B. Johnson, la guerre nucléaire. Mais David Mark montre ô combien plus empressés furent les républicains de s’orienter vers l’opposition, voire la calomnie, que ne le furent les démocrates, dont l’influence politique déclina brusquement.
76Stephen Whitfield
77(trad. Hélène Bourguignon)
Lewis George, The White South and the Red Menace. Segregationists, Anticommunism, and Massive Resistance 1945-1965, Gainesville, University Press of Florida, 2004, 227 p., 59,95 $
78Dans les années 1950 et 1960, les ségrégationnistes blancs du Sud ne purent résister à la tentation d’accuser les promoteurs du mouvement des droits civils de soutenir les intérêts du communisme. L’idée d’une égalité entre Noirs et Blancs était si difficile à accepter, que le mouvement émergent des droits civils pouvait être discrédité, de manière vraisemblable, dans un climat de suspicion et de peur de l’Union soviétique. Les plus ardents défenseurs de la ségrégation avaient aussi la possibilité d’exploiter la tradition antiradicale qui fit du Sud la région la plus hostile aux syndicats indépendants. Les habitants du Sud étaient pour la plupart xénophobes ; ils reprochaient aux initiateurs du mouvement des droits civils d’être étrangers à la tradition culturelle et à l’idée d’unité raciale des Blancs.
79Dans l’après-guerre, la majorité des Blancs du Sud ont été fermement opposés au « mélange des races », qu’impliquait la décision prise par la Cour Suprême en 1954 rendant illégale un système d’enseignement où la ségrégation est appliquée. À l’acmé de la guerre froide, l’engagement explicite des communistes américains pour l’égalité raciale était une position politique que les défenseurs du système de Jim Crow ne pouvaient ignorer. Le discours que tenaient ces derniers révélaient une volonté d’accuser le mouvement des droits civils de connivence avec l’ennemi.
80The White South and the Red Menace est avant tout une étude des discours et des dynamiques sociales, à un moment et en un lieu où les émotions sont exacerbées et où l’ombre de la violence menace constamment les hommes politiques. L’historien britannique George Lewis a construit sa monographie notamment autour d’une problématique : comment des hommes politiques ségrégationnistes, de manière imprévisible, avec précaution, et sans grand enthousiasme, utilisèrent l’anticommunisme pour ralentir le mouvement des droits civils ? Les communistes constituaient alors une fraction négligeable des activistes noirs ou blancs qui tentaient d’instaurer une justice raciale dans le Sud. Aucune preuve tangible d’un complot communiste n’existait qui ne mit à mal l’idée d’une harmonie entre les races, exprimée avec sentiments par de tels porte-parole. À l’évidence, les Noirs du Sud étaient en outre hermétiques à l’idéologie marxiste, en raison de leur religiosité, de leur méfiance et de leur vulnérabilité, ou encore parce qu’ils étaient acquis à l’idée d’une opposition nationale aux totalitarismes.
81Mais Mark Lewis propose d’autres explications. Le maccarthysme connaissait lui-même des limites intrinsèques dans le Sud blanc, lequel était presque entièrement démocrate ; le sénateur Joseph R. McCarthy, républicain, était entendu comme une voie partisane, aimant à calomnier les démocrates. Lewis décrit également la finesse avec laquelle les ségrégationnistes dénonçaient le communisme. S’il était trop lourdement reproché au communisme de saper la suprématie des Blancs, cette insistance n’aurait-elle pas encouragé les Noirs du Sud à voir dans le communisme l’espoir de leur propre délivrance ?
82Stephen Whitfield
83(trad. Hélène Bourguignon)
Relations culturelles transatlantiques
Loyer Emmanuelle, Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil 1940-1947, Paris, Grasset, 2005, 497 p., 21,90 €
84L’objet du livre d’Emmanuelle Loyer est de réinterroger le problème de la construction de l’identité nationale en effectuant un détour par le transnational. Il s’inscrit en cela dans une tendance croissante de l’historiographie envisageant comme des constructions internationales des processus jadis considérés comme autochtones. Cette interrogation s’effectue à partir de la notion d’exil et du cas des intellectuels et artistes français réfugiés aux États-Unis, principalement à New York, pendant la deuxième guerre mondiale. Analysant finement dans son introduction l’absence des exilés dans la production historiographique française jusqu’à la fin des années 1980, elle montre comment, en France, l’expérience fondatrice de l’émigration contre-révolutionnaire a abouti à assimiler durablement l’exil à la honte et à la trahison, dans notre pays où l’attachement au sol joue un rôle fondateur dans la construction de l’identité nationale. On perçoit ainsi d’emblée l’intérêt que peut avoir l’étude de ce petit groupe (quelques dizaines de personnes, sur un total d’environ quatre mille Français réfugiés aux États-Unis pendant la guerre), qui tenta d’incarner, au même titre que la Résistance de l’intérieur et avec moins de réussite, le refus de la défaite de 1940.
85Le livre est articulé autour de trois grands moments : le départ avec ses difficultés ; les années américaines ; le retour. Tout au long de l’ouvrage, Emmanuelle Loyer montre avec brio la densité de ce groupe composé de personnalités fortes et diverses (André Breton, Jacques Maritain, Henri Laugier, Pierre Lazareff, Claude Lévi-Strauss…), les clivages qui le traversent (gaullistes/antigaullistes), mais aussi la complexité des réseaux qui le structurent, ainsi que son intense production intellectuelle, par exemple sur le thème des causes de la défaite et de la nécessaire réflexion sur l’avenir de la démocratie en France. Elle montre également bien la situation de double exil que vivent ces hommes et ces femmes : exilés par rapport à leur pays et peinant à peser dans les débats sur sa réorganisation future ; exilés également par rapport à leur pays d’accueil, dans lequel peu d’entre eux ont cherché à s’intégrer (à la différence des exilés allemands), attitude illustrée parfois jusqu’à la caricature par l’exemple d’un André Breton refusant obstinément d’apprendre l’anglais. On perçoit enfin à quel point leur situation de résistant de l’extérieur est délicate dans un pays qui, jusqu’en 1944, refusera de reconnaître la légitimité du général de Gaulle. Au total, se dégage la réalité d’une expérience commune de l’exil dont un des éléments essentiels est d’avoir compris, de manière plus précoce et plus aiguë que les résistants de l’intérieur, le déclassement international de la France dans la nouvelle conjoncture géopolitique engendrée par la guerre.
86Mais si la fécondité épistémologique de la notion d’exil apparaît évidente à la lecture du livre, la pertinence de l’objet qui lui sert d’illustration ainsi que la brièveté du moment choisi (1940-1947) appellent des réserves, car l’on se prend à douter de la réalité de la participation des exilés à la recomposition de l’identité nationale française, en raison notamment de la faiblesse numérique du groupe et de son décalage par rapport aux situations politiques tant française qu’américaine sur lesquelles, comme le souligne l’auteure, il eut bien peu de prise. De ce point de vue, la troisième partie, consacrée au retour, est à la fois passionnante et frustrante : passionnante lorsqu’Emmanuelle Loyer analyse dans le onzième chapitre le nouvel exil qui les attend à Paris ; frustrante lorsqu’elle évoque le rôle des années américaines dans l’expérience ultérieure des exilés, illustrée à l’aide de quelques parcours brossés trop brièvement (Pierre Auger, Hélène Lazareff, Paul Vignaux, Boris Souvarine), là où on aurait aimé d’amples développements solidement étayés sur la suite de leurs carrières. Mais il est vrai que le problème est vaste : il y a là, en fait, la matière à un autre ouvrage, qui constituerait le prolongement naturel de celui-ci.
87Ludovic Tournès
Alexander Stephen (dir.), The Americanization of Europe. Culture, Diplomacy and Anti-Americanism after 1945, New York, Berghahn Books, 2006, 432 p., 75 $
88Cet ouvrage collectif consacré à l’influence américaine en Europe au cours du second 20e siècle a pour mérite essentiel d’envisager le continent dans son ensemble et de présenter onze études de cas nationales intégrant des pays souvent mal connus (Espagne, Grèce, Danemark…). Chaque contribution traite, avec des variations, quatre grands thèmes : le rôle de la diplomatie culturelle américaine ; la diffusion de la culture savante ; la diffusion de la culture populaire ou de masse ; l’anti-américanisme. Les chapitres sont dans l’ensemble de bonne tenue, à l’exception de ceux consacrés à l’Italie et surtout à la France, ce dernier, fort médiocre, ne traitant en fait que de l’anti-américanisme à partir d’une bibliographie très lacunaire.
89L’argument général du livre repose sur un constat : la guerre froide et la menace soviétique ont constitué le ciment de la relation entre l’Europe et l’Amérique de 1945 à 1989. C’est au cours de cette période, alors que le parapluie militaire américain a permis à l’Europe de se reconstruire sans surinvestir dans les armements, que le processus d’américanisation, engagé avant 1939, connaît une accélération. La perspective européenne permet de repérer quelques constantes valables, avec des déclinaisons diverses et quelques exceptions, sur l’ensemble du continent : le volontarisme de la diplomatie culturelle américaine, la diffusion de la culture de masse, les processus d’adaptation sélective qui en résultent, ou encore les mutations de l’anti-américanisme après 1989. Mais les auteurs mettent aussi l’accent sur la spécificité des situations nationales, qui ne sont pas sans conséquences sur le processus d’américanisation des différents pays : l’existence d’une proximité culturelle avec les États-Unis (cas de la Grande-Bretagne), le rôle des États-Unis dans la libération ou la reconstruction du pays (majeur en Allemagne, faible au Danemark libéré par les Anglais), la présence sur le sol américain d’une importante communauté d’émigrés (Suède), l’existence d’un régime politique menant lui-même la lutte contre le communisme et dispensant de facto les États-Unis d’y mener une diplomatie culturelle volontariste (l’Espagne de Franco), etc. On y ajoutera la remise en cause salutaire de quelques idées reçues : ainsi l’exemple de la Grèce, bien placée pour disputer à l’Hexagone la palme de l’anti-américanisme, vient-il relativiser l’éternel cliché de l’exception française dans ce domaine.
90Cette perspective globale n’est toutefois pas sans défauts. Le plan uniforme, s’il donne sa cohérence à l’ouvrage, rend monotone la lecture de cette juxtaposition d’études de cas peu articulées entre elles, et dans lesquelles apparaissent des thèmes qui auraient gagné à être analysés de manière comparative : par exemple du problème de l’européanisation de la culture américaine, évoqué dans l’étude sur la Grande-Bretagne ; ainsi du rôle des voyageurs et des boursiers de tous ordres : cet aspect, fondamental, est très développé dans certains chapitres (Autriche) et presque inexistant dans d’autres ; on aurait aimé disposer de plus d’analyses de parcours envisagés sur la longue durée, comme celui de la suédoise Alva Myrdal. Autres thèmes peu développés : les échanges scientifiques, ou encore la question du rôle de passeurs joué par les immigrés européens aux États-Unis. À la décharge des auteurs, il faut reconnaître qu’il s’agit là de vastes problèmes. La stimulante conclusion de Rob Kroes clôt cet ensemble en s’interrogeant avec finesse sur le rôle des États-Unis dans l’européanisation de l’Europe, une idée stimulante qui gagnerait à être développée et passée au crible de la recherche empirique.
91Ludovic Tournès
Cultures, sens et sensibilités
Corbin Alain, Courtine Jean-Jacques et Vigarello Georges (dir.), Histoire du corps, vol. 3 : Courtine Jean-Jacques (dir.), Les Mutations du regard. Le xxe siècle, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 2005, 522 p., 39 €
92Après deux volumes consacrés à l’histoire du corps de la Renaissance à la Grande Guerre, un dernier, entièrement dédié au 20e siècle, clôt la série, et en reprend le principe : des historiens mais aussi des philosophes et anthropologues – Anne-Marie Moulin, Yves Michaud, Paul Rabinow… –, apportent leurs contributions, le tout formant un ensemble riche, nourri d’abondantes et précieuses illustrations. Le lecteur retrouvera, à quelques nuances près, la logique des volumes précédents : lier les discours, représentations et pratiques qui construisent le corps en objet culturel ; traquer les nombreuses facettes du corps matériel. Quelques inflexions peuvent être notées dans l’organisation d’ensemble. Dans ce tome, dont l’axe problématique central porte sur les mutations du regard, les chapitres consacrés aux représentations encadrent l’ensemble. L’ouvrage s’ouvre sur les perspectives médicales avant de s’achever sur les regards portés par le sport, le cinéma, la danse puis les arts visuels. Les parties centrales, consacrées au désir et aux normes ainsi qu’à la déviance et aux dangerosités, reposent sur l’articulation étroite entre représentations et pratiques. Enfin, ce troisième volume s’attache à approfondir, notamment autour du thème de la souffrance et des violences, certains aspects peu vus dans le tome précédent – le monstre, le criminel ou le corps en guerre.
93L’un des intérêts majeurs de l’ouvrage réside dans l’irruption de ce corps qui n’aura jamais été autant exposé dans le champ d’une histoire qui pourrait être qualifiée de généraliste. Non que le corps ne fût présent auparavant mais il l’était soit en bénéficiant d’un traitement secondaire, soit en restant cantonné dans des domaines de recherche spécialisés, tels que l’histoire de la médecine ou du sport. Autre apport essentiel, le mélange des genres fait sens. Les représentations s’entremêlent pour transformer non seulement la perception du corps mais le corps lui-même. Qu’on en juge, par exemple, par la manière dont le regard porté par la photographie, le cinéma ou la danse transforme notre perception des corps, et du corps féminin en particulier. Ou par la façon dont toute une série de contraintes en matière diététique, cosmétique ou plastique, dicte de nouveaux codes et engendre de nouvelles attitudes (Pascal Ory). Ou par les conséquences de la volonté d’égalisation des conditions dans les sociétés démocratiques, qui va de pair avec celle d’uniformisation : ainsi, la proximité entre normaux et anormaux gagne du terrain mais, en parallèle, l’effacement de la difformité apparaît de plus en plus comme une nécessité (Jean-Jacques Courtine).
94Le livre tisse également des fils chronologiques. Le large 20e siècle est le temps d’une triple invention théorique du corps : la psychanalyse met l’accent sur un corps par lequel s’exprime l’inconscient ; la phénoménologie de la perception appelle l’attention sur le sujet corporel (Merleau-Ponty) ; l’anthropologie se fait fine observatrice des différentes « techniques du corps » (Mauss). L’individualisation va de pair avec l’uniformisation, aboutissant à un double mouvement contradictoire : le modelage des corps à l’identique, d’une part ; la recherche de conduites corporelles distinctives, de l’autre. Autre piste essentielle, Pascal Ory propose « l’hypothèse qu’il n’y a pas de corps potentiellement autonome avant le 20e siècle ». Lui faisant pendant, la question de Jean-Jacques Courtine – « Mon corps est-il toujours mon corps ? » – conduit à une réflexion sur le siècle comme un moment d’aliénation, de dépossession, d’appartenance aux autres de son propre corps, entre médecine et avancées génétiques, entre progrès des techniques judiciaire, militaire et scientifique, entre érosion de la pudeur privée et pornographie. Cependant, ici ou là, se dessinent des scansions plus précises. Se distinguent, après le premier conflit mondial, le modèle athlétique ou la silhouette féminine, tous deux mis en valeur par les spectacles, sportif, cinématographique ou publicitaire (Georges Vigarello, Antoine de Baecque). Les guerres du 20e siècle ont conduit à une transformation des comportements militaires comme des souffrances corporelles et psychiques (Stéphane Audoin-Rouzeau). L’animalisation qu’elles produisent se retrouve dans les systèmes concentrationnaires, du goulag et du nazisme, qui reposent sur une volonté de destruction inégalée des corps (Annette Becker). Le dernier tiers du siècle voit le corps devenir l’objet des luttes politiques dans les années 1970 dans une période marquée par des formes multiples d’affirmation individuelle (Anne-Marie Sohn).
95Le tout forme un « beau-livre », offrant les résultats des recherches les plus récentes, reposant souvent sur une bibliographie extrêmement fraîche, ou, à défaut, proposant des pistes de travail ultérieures. Certes, comme pour tout livre nourri de contributions de natures diverses, on pourra toujours trouver à redire sur d’inévitables manques (le discours religieux, par exemple, est absent alors qu’il est présent dans les tomes précédents) ou sur des problèmes d’articulation ou de répétition. Certes, comme pour tout ouvrage au caractère novateur, la synthèse se révèle délicate tant les recherches en cours n’autorisent parfois que quelques conclusions provisoires ; synthèse historique d’autant plus difficile à mener que la frontière entre sociologie, anthropologie et histoire est souvent ténue. Mais peu importe. Le lecteur glanera, au fil des pages et des reproductions iconographiques, une foule d’informations et matière à réflexion. Bien sûr, exclusivement sur le corps occidental. Mais l’entreprise est considérable, et le résultat, passionnant, à la hauteur des attentes.
96Pascale Goetschel
Demartini Anne-Emmanuelle et Kalifa Dominique (dir.), Imaginaires et sensibilités au xixe siècle, études pour Alain Corbin, Grâne, Créaphis, 2005, 278 p., 30 €
97Le lecteur de Vingtième Siècle pourra trouver curieux de rendre compte d’un ouvrage tout entier consacré au 19e siècle. Il sera moins étonné quand il aura compris que cette série d’essais dédiés à Alain Corbin se présente comme un plaidoyer pour une « histoire sans nom », une histoire des systèmes d’appréciations individuelles, qui ne saurait être limitée au siècle de Guizot et de Hugo. Au vrai, ce livre a un statut particulier. Parce qu’Anne-Emmanuelle Demartini et Dominique Kalifa ont eu le souci de montrer que l’œuvre de l’auteur du Village des Cannibales et des Filles de Noce n’était pas restée isolée et avait ouvert la voie à des recherches variées, ils ont eu l’idée de proposer à ses étudiants en thèse un exposé de leurs recherches. Il ne s’agit donc pas ici d’une synthèse théorique ou de déclinaisons d’un thème commun, mais d’un enchaînement d’analyses originales. Le résultat est à la mesure de leurs attentes : vingt et un auteurs ont accepté de livrer des textes, certes de nature et de qualité variées, mais l’ensemble donne un juste aperçu des ambitions de cette histoire résolument « compréhensive », qui prête attention aux sens, aux émotions et aux perceptions individuelles, nourrie de travaux issus des études littéraires, de l’anthropologie, de la psychologie ou de la médecine.
98Qu’on juge de la postérité de l’enseignement d’Alain Corbin par les méthodes sollicitées par les rédacteurs des contributions : attention aux représentations intimes et à la manière dont elles sont exprimées ; volonté d’ouvrir l’éventail des sources ; examen scrupuleux de leurs conditions d’élaboration et de conservation. De cette traque de l’« archéologie des savoirs » chère à Michel Foucault, tous sont, à un degré ou à un autre, redevables. Qu’on en juge aussi par les thèmes abordés. L’historien avait ouvert la voie à de nombreux champs d’études ignorés en histoire (le désir masculin, le paysage olfactif ou sonore, plus récemment le temps qu’il fait et les corps…) ou alimenté les champs de l’histoire sociale et politique par des analyses inédites (imaginaire politique de la violence, individu paysan…), ses « disciples » creusent les mêmes sillons. Le livre les regroupe en trois grands axes, « territoire, paysage et identité régionale », « relire l’histoire politique du 19e siècle » et « le corps, le désir et l’horreur », organisation qui lève immédiatement l’objection selon laquelle l’ensemble manquerait de cohérence.
99Certaines contributions s’inscrivent dans le droit fil des préoccupations de l’historien. Celles, dans la première partie, consacrées à la mise en place progressive des identités bretonne ou normande renvoient à son souci de montrer le caractère construit des paysages. Celles, dans la troisième, reposant sur les journaux intimes de jeunes filles prolongent ses réflexions sur le rôle du corps dans la construction des identités personnelles, tandis que l’intérêt porté à l’odeur des malades du Bicêtre ou des cadavres recueillis à la morgue reconduit l’attention aux usages des sens. Dans tous les cas de figure, les auteurs ne se contentent pas de suivre aveuglément les traces dessinées par Alain Corbin. Chacun tisse sa toile, de la foire en Haute-Vienne à la fête au Bicêtre, des affiches ferroviaires à la garde nationale à Paris.
100Mais surtout, au-delà de leurs objets particuliers, les contributeurs livrent aux lecteurs toute une série de réflexions sur les manières de faire de l’histoire. Citons, à titre d’exemple, ces enquêtes d’administrateurs menées sous la monarchie constitutionnelle qui renseignent sur les modalités de construction des représentations de l’« esprit public », l’affaire de la rue Transnonain illustrant combien le théâtre est un lieu sensible du politique ou la politisation du deuil public, significative de ce que la modernité politique repose sur la culture sensible. Quant aux recherches livrées sur l’intimité, le corps et les sens, elles invitent, à chaque fois, à porter un regard spécifique sur les sources (thèses de médecine, lettres envoyées à des romanciers…).
101Ces quelques aperçus ne rendent bien évidemment pas compte de la richesse d’ensemble. Reste qu’il est évidemment impossible, à l’issue de la lecture, de tenter la moindre synthèse. Ce n’est pas le propos. Il faut assumer ce postulat. Retenons que, pour les historiens du 20e siècle, cet ouvrage constitue une invite à s’engager sur des chemins parfois peu fréquentés – constructions identitaires multiples, culture sensible et engagement politique, usages des sens. Autant de pistes possibles pour décrypter la complexité du réel.
102Pascale Goetschel
Andrew Dudley et Ungar Stevan, Popular Front Paris and the Poetics of Culture, Cambridge (Mass.), The Belknap Press, 2005, 450 p., 35 $
103Ce volumineux ouvrage consacré à Paris dans les années 1930, fruit de la collaboration de deux universitaires américains, et plus largement inscrit dans le sillage d’une vaste réflexion collective entamée il y a quelque vingt ans, entend rompre avec une histoire trop linéaire de la capitale française, et pour tout dire, trop exclusivement liée au Front populaire. La démarche de Dudley Ungar et Stevan Ungar se veut à la fois théorique et pratique. Théorique, parce que les deux enseignants en littérature comparée, et pour l’un d’entre eux en études filmiques, partant du refus d’emboîter le pas à une histoire qui privilégierait le temps court du Front populaire, proposent un autre mode d’observation, proche de l’analyse textuelle. Usant de la métaphore météorologique, ils suggèrent de substituer aux études axées sur la rupture politique et intellectuelle des analyses mettant en évidence la circulation culturelle. Au « front » et aux violences qui l’accompagnent, ils préfèrent l’« atmosphère » dont il convient d’observer les mouvements et les turbulences. Restant dans le domaine métaphorique, Andrew et Ungar cherchent également à lire la culture comme un journal ou une partition musicale : un ensemble multiple de données à déchiffrer par le lecteur. Au total, il s’agit de traquer l’imaginaire de la période, d’en restituer la complexité et le caractère mosaïque. L’expression « poetics of culture » est ainsi préférée à celle de « politics of culture ». On comprend là ce que le projet emprunte aux approches sur les imaginaires symboliques (Marc Augé est convoqué) mais aussi aux études littéraires.
104L’approche est aussi pratique, dans la mesure où, une fois ces jalons réflexifs posés, les auteurs se réfèrent à une étude de cas pour valider leur méthode. Ils s’appuient sur le film de Resnais, Stavisky (1974), qui mêle récit politique de l’« affaire » et vues sur une série d’aspects des années 1930 – le spectacle, le faits divers criminel, le passage de Trostky en France… –, bref, toute une série de perspectives composant le « patchwork » de l’atmosphère du temps. Les deux parties de l’ouvrage sont traitées sur le même mode opératoire. Uniment fondées sur une analyse empirique d’objets choisis pour leur représentativité, elles n’obéissent cependant pas à la même logique. La première partie, intitulée « Street work », part de la journée du 6 février 1934 et de la mobilisation intellectuelle qu’elle a suscitée pour aboutir à l’analyse de La Marseillaise de Jean Renoir, après être passée par l’étude de la revue Esprit. Il s’agit là d’aller des élites à la vie quotidienne. Le lecteur retrouve de grandes figures d’écrivains, Céline et Malraux, mais aussi la presse avec Marianne ou Vendredi. On retiendra de ces pages la dramatisation politique du temps qui transforme des pages littéraires en lieux d’exposition d’idées politiques tranchées. À travers l’exemple du film de Renoir, affleure l’idée que l’atmosphère révolutionnaire préexiste à l’événement proprement dit. La deuxième partie, « Atmospheres », part à la recherche des sons et des images de la rue. Cinémas, music-halls, lieux d’expression de la mode, urbanisme et architecture Art déco sont, entre autres, passés en revue pour cerner au plus près les ambiances populaires du Paris des années 1930. Le livre s’attarde également sur les descriptions des bas-fonds de la capitale avant de conduire le lecteur vers la manière, toute en fascination, dont les Français appréhendent leurs colonies. Dès lors, c’est une France tout en contrastes qui apparaît en filigrane, entre rural et urbain, attachement à la terre et attraction pour les contrées lointaines.
105Si la première partie s’inscrit dans la lignée d’une histoire des intellectuels déjà bien entamée, moins dans celle d’une histoire du cinéma en plein renouvellement, la deuxième renvoie davantage à une historiographie américaine soucieuse de rendre compte de la vie quotidienne, à la manière de l’observation anthropologique, mais aussi de rompre avec une histoire politique et masculine pour favoriser des études prenant en compte le gender, les communautés, les imaginaires ou les aspects culturels. On songe à plusieurs ouvrages qui, chacun à sa manière, traduisent l’attrait exercé par le Paris d’avant la seconde guerre mondiale sur les Américains (Vanessa Schwartz, Spectacular Realities. Early Mass Entertainment in Fin de Siècle France, 1999 ; Charles Rearick, The Pleasures of the Belle Époque, 1985 ; Patrice Higonnet, Paris, Capital of the World, 2000). En ce sens, l’ouvrage a l’immense mérite de contribuer, comme d’autres, à faire découvrir aux Américains des facettes d’une vie parisienne sans doute mal connue d’eux. Outre-Atlantique, les lecteurs devraient en tirer le plus grand profit. En France, ils y trouveront réunis des éléments parfois connus, mais livrés en ordre dispersé, tant ce qui importait aux auteurs était de lier la chose politique et l’utopie esthétique.
106Pascale Goetschel
Passeurs et vecteurs de l’engagement intellectuel
Duclert Vincent, Alfred Dreyfus. L’honneur d’un patriote, Paris, Fayard, 2006, 1260 p., 30 €
107L’ouvrage à thèse que Vincent Duclert consacre à Alfred Dreyfus montre, contrairement au portrait souvent dressé, qu’il a été un acteur essentiel du combat dreyfusard œuvrant à sa défense dès son arrestation et résistant, avec acharnement, à la raison d’État pour obtenir sa réhabilitation. L’auteur affirme ainsi que Dreyfus « fut le meilleur de ses avocats » et que « le séparer du grand combat qui fut mené pour lui est donc une erreur historique grave ». Le capitaine est logiquement la figure centrale d’un récit qui se veut avant tout biographique. Offrant une analyse détaillée de l’Affaire, Vincent Duclert adopte un point de vue nouveau parce qu’il choisit de la retracer telle que sa victime la vécut, découvrant, souvent très tardivement, les éléments présentés à charge contre lui et les acteurs mobilisés pour le condamner.
108La famille Dreyfus apparaît exemplaire de l’intégration d’une partie de la communauté juive persuadée que la France républicaine offre à l’ensemble de ses citoyens les mêmes chances d’ascension sociale. Alfred, choisissant de mettre son talent au service de la patrie, est convaincu qu’il est possible pour lui de réussir une brillante carrière militaire. Ce polytechnicien se rallie à la voie moderniste qui suscite une très vive opposition parmi les tenants du traditionalisme. Ces derniers verrouillant l’état-major, l’auteur estime que le capitaine Dreyfus avait peu de chance de réussir suivant son mérite, d’autant que ce milieu se caractérise par un très fort antisémitisme. La rapide identification d’Alfred Dreyfus comme coupable idéal du fait d’espionnage apparaît donc comme une conséquence à la fois de l’antisémitisme qui sévit à l’état-major et de la volonté de ne pas laisser s’implanter dans l’« arche sainte » la tendance réformatrice qu’il incarne. Les circonstances de la première condamnation sont bien sûr analysées avec minutie. Dès lors, l’ouvrage fait la part belle à l’histoire de l’intime, au ressenti d’Alfred Dreyfus et aux conséquences de l’Affaire pour sa famille. Ce n’est pas le moindre de ses mérites que de faire surgir, à côté de la figure de Mathieu, déjà bien connue, celle de Lucie, omniprésente jusqu’à la fin du récit. Vincent Duclert montre combien l’amour de sa femme permit à Alfred d’endurer la réclusion et la déportation. Elle s’évertua à demeurer une épouse et une mère irréprochable et, fidèle au choix de son mari d’obtenir la reconnaissance de son innocence, elle contribua, à sa manière, à la mobilisation du camp dreyfusard. Son rôle a longtemps été négligé parce qu’elle œuvra discrètement, en femme respectueuse du rôle confié à son sexe par les traditions bourgeoises. Les histoires de l’Affaire centrées sur la mobilisation dreyfusarde n’avaient pas encore offert non plus les analyses des conditions d’emprisonnement puis de déportation sur l’île du Diable que nous propose ici l’auteur. Il montre combien Dreyfus est victime de l’acharnement des autorités qui, par des brimades et des humiliations, tentent d’annihiler chez le prisonnier tout esprit de résistance. Malgré les souffrances matérielles et morales suscitant des crises de désespoir, la volonté de faire face au régime de la déportation l’emporta et c’est, pour Vincent Duclert, l’un des aspects de l’héroïsme d’Alfred Dreyfus. Le récit alterne ensuite présentation des phases et des formes de la mobilisation dreyfusarde, développement des ripostes antidreyfusardes et différentes étapes judiciaires de l’Affaire. L’auteur poursuit la réflexion au-delà du procès de Rennes et de la réhabilitation. Il n’oublie ni les conditions de la réintégration de Dreyfus dans l’armée ni les raisons de sa démission, et il conclut à une « réhabilitation inachevée ».
109On peut certes regretter que certaines formes collectives de la mobilisation dreyfusarde (tel que le combat de la Ligue des droits de l’homme) soient un peu négligées ou encore que la démonstration soit parfois martelée. Il n’en reste pas moins que cette biographie demeure un ouvrage d’analyse historienne qui, se fondant sur un très abondant corpus d’archives (pour partie inédites) et remarquable par sa diversité, se présente comme une synthèse neuve apportant des éléments tant à la compréhension de l’histoire d’un homme et de sa famille, qu’à celles des juifs, des institutions militaires, judiciaires et pénitentiaires ou encore du fonctionnement politique et intellectuel de la France fin de siècle.
110Anne-Laure Anizan
Dard Olivier et Deschamps Étienne (dir.), Les Relèves en Europe d’un après-guerre à l’autre. Racines, réseaux, projets et postérités, Bruxelles, Peter Lang, 2005, 444 p., 53,30 €
111L’ambition du colloque à l’origine de cet ouvrage doit être saluée : proposer un panorama des différentes formes prises en Europe par les mouvements nommés « non conformistes » depuis l’étude que Jean-Louis Loubet Del Bayle consacra en 1969 au versant français de cette nébuleuse intellectuelle des années 1930. À cette époque naît une multitude de réflexions arrimées à la sensation de vivre une « crise de civilisation ». Il y a un « moment européen » de cette volonté de rompre avec les élites traditionnelles intellectuellement inadaptées aux urgences du monde qu’expriment les jeunesses « non conformistes ». Ces dernières années, des monographies ont renouvelé la connaissance de ces « nouvelles relèves », pour reprendre une notion d’Olivier Dard. Il reste à mieux cerner les points communs et les relations entre ces différents milieux, d’ampleurs diverses, animés par des motifs similaires : anticapitalisme, vitalisme, corporatisme, fédéralisme, communauté, régénération par la culture du corps, spiritualisme…
112La focale choisie est large et les difficultés que cette vision pose sont, à juste titre, assumées : on passe de groupes restreints comme celui des catholiques liégeois, ou les méconnus New Britain et New Europe, à ces vastes mouvements de la culture physique et du nationalisme völkisch, à la circulation des idées fascistes dans des revues de la république de Weimar ou celle des idées d’Ordre nouveau en Hongrie et dans les Pays-Bas, à une solide analyse des relations des nouvelles relèves et du corporatisme ou encore du rôle de médiateur de Denis de Rougemont. Impossible ici d’évoquer l’apport de ces vingt contributions. La comparaison de ces relèves européennes est difficile. Elle consiste à mettre en relations des productions issues de contextes singuliers. De plus, comme l’écrit Étienne Deschamps dans son article sur les Belges de « L’esprit nouveau », l’impact de certains de ces groupes est difficile à cerner. Il s’agit donc de situer les liens entre les exigences argumentatives et militantes et la quête de ressources internationales.
113À propos des « postérités des relèves néolibérales en France », François Denord signale que dans les années 1950, « l’adhésion au libéralisme transcende les clivages patronaux », ce qui « ne signifie pas pour autant qu’elle ait la même signification pour chaque fraction mobilisée ». Les analyses des rhétoriques et des généalogies idéologiques ou la large mobilisation des sources (ce livre en révèle d’inédites) sont d’utiles apports. Cependant, les attendus de l’histoire des idées qui structurent cet ouvrage pourraient être complétés par une attention plus soutenue à la formation et aux positions sociales de ces intellectuels ou aux carrières et trajectoires professionnelles. Si les idées voyagent sans leur contexte, les penseurs voyagent avec leurs bagages culturels et sociaux. Ceci même pour les ardents défenseurs d’un fédéralisme européen… Au final, cet ouvrage se veut une étape dans une recherche collective à poursuivre en l’ouvrant à d’autres pays, ainsi la péninsule ibérique, et à une périodisation plus large afin de compléter la connaissance des descendances de ces relèves : dans les débats autour de l’Europe ou encore lorsque certains de leurs membres montent en grade dans les mondes intellectuels et politiques, ceux de l’État ou de l’entreprise.
114Hervé Serry
Gregor A. James, Mussolini’s Intellectuals. Fascist Social and Political Thought, Princeton, Princeton University Press, 2005, 282 p., 45,13 $
115L’ouvrage de A. James Gregor vise à rendre compte de ce qu’il nomme « l’histoire d’un ensemble de pensée en élaboration proposé par des porte-parole intelligents et éloquents du régime ». Une demi-douzaine de ces « porte-parole » ont été choisis pour analyser ce que l’auteur définit comme les « intellectuels de Mussolini », soit Enrico Corradini, Alfredo Rocco, Sergio Panunzio, Ugo Spirito, Camillo Pellizzi et Carlo Costamagna. Une place à part est réservée à Julius Evola dans un chapitre intitulé « Doctrinal Interlude ». À chacun de ces personnages correspond une fonction dans l’élaboration intellectuelle, politique, juridique du fascisme, mais également une place dans l’étude de l’itinéraire du fascisme de 1919 à 1945. S’inspirant des méthodes d’analyse de Zeev Sternhell, l’auteur cherche à dresser les contours d’un fascisme entendu en tant que « système de pensée ».
116Un présupposé principal guide cette étude : le fascisme n’est pas incohérent, irrationnel et purement guidé par la violence. De fait, l’ouvrage de A. James Gregor s’inscrit dans le débat sur le rapport entre régime fasciste et monde de la culture, entre fascisme et intellectuels. Cette controverse avait particulièrement secoué la communauté historienne dès le milieu des années 1970. Depuis lors néanmoins, des études pionnières ont été rédigées par des historiens comme Emilio Gentile, Mario Isnenghi et Gabriele Turi, sans parler du renouveau actuel des analyses sur un personnage comme Alfredo Rocco par exemple. La majeure partie de l’ouvrage retrace donc les trajectoires multiples de ces « intellectuels de Mussolini ». Ample lecture est donnée des textes produits par ces derniers tant avant la période fasciste que durant celle-ci. On regrettera néanmoins que « l’analyse interne » à la culture fasciste ne permette pas mieux de questionner la configuration large de ces intellectuels. Ainsi, la partie dédiée à Julius Evola aurait-elle pu bénéficier des études relatives à l’antisémitisme en Italie tant depuis la période unitaire que durant la période fasciste (Enzo Collotti, Michele Sarfatti). De même, le biais de l’analyse interne n’est-elle pas en partie responsable de l’étrange conclusion à laquelle arrive l’auteur concernant les protagonistes de la République sociale italienne qui n’auraient été motivés que par la défense de la patrie et de son honneur ?
117Cet ouvrage s’inscrit pleinement dans la lignée des études produites par le politologue américain depuis les années 1970, visant à soutenir la cohérence du système de pensée fasciste et à souligner la singularité du fascisme italien en tant que « dictature de croissance » (« developmental dictatorship »). Nombre d’auteurs ont qualifié, depuis, les écrits de A. James Gregor de non conformistes, cet ouvrage semble une fois encore leur donner raison.
118Stéfanie Prezioso
Matonti Frédérique, Intellectuels communistes : essai sur l’obéissance politique. La Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La Découverte, 2005, 414 p., 34,50 €
119Le titre de l’ouvrage affiche l’ambition de Frédérique Matonti qui, à travers le cas singulier de la revue du « marxisme militant », fondée en 1948 puis relancée en 1967 pour accompagner l’aggiornamento du parti communiste, cherche à comprendre des « hommes doubles » selon l’expression employée pour lui-même par Jean Kanapa. Relevons d’emblée la qualité de cette étude où l’utilisation des sources est servie par une profonde culture historique et philosophique. Parmi les nombreux enseignements qu’elle nous offre, on peut s’arrêter sur la rupture avec la représentation habituelle des rapports entre la direction d’un parti et ses intellectuels, décrits fréquemment comme un face-à-face plus ou moins conflictuel. Frédérique Matonti a été frappée par la surreprésentation des khâgneux, normaliens et agrégés parmi les rédacteurs de La Nouvelle Critique, à rebours de la vision des intellectuels de parti peu dotés culturellement et donc prédisposés à la soumission. Elle envisage au contraire la relation entre intellectuels et Parti comme une relation à double sens entre une direction ou une fraction de la direction et des intellectuels qui acceptent de mettre leurs croyances et leurs pratiques au service de la stratégie de la direction.
120L’étude est fondée sur un large éventail de sources écrites et orales. Parmi les sources écrites, Frédérique Matonti a bénéficié des archives de la revue (archives Francis Cohen aujourd’hui conservées aux archives du parti communiste français) et d’autres archives privées. Elle a, en outre, constitué un important corpus d’entretiens, plus de cinquante, parmi lesquels se détachent les quinze entretiens accordés en 1991-1992 par Pierre Juquin, ainsi que d’autres rédacteurs, Michel Simon, François Hincker, Jacques Arnault. Normalienne, agrégée de philosophie et de science politique, elle a su déjouer la connivence que certains attendaient plus ou moins d’elle : « Ne nous faites pas de cadeaux », lui dit l’un d’eux. Nombre d’entre eux ne s’attendaient peut-être pas à un décryptage aussi savant et subtil de leur discours.
121Frédérique Matonti décrit avec précision le projet des responsables de la revue qui se met en place dès les années 1960 jusqu’à la suppression en 1980, à savoir devenir un des lieux privilégiés où les intellectuels élaborent les fondements théoriques des stratégies politiques. La revue va ainsi devenir une alliée efficace de la fraction politique engagée dans la rénovation du parti communiste. Sa participation aux débats en cours (dialogue avec les socialistes, réflexions sur « le culte de la personnalité », débat sur « l’humanisme scientifique » autour des thèses de Garaudy et d’Althusser) nourrit l’ambition d’avoir le monopole de la position de philosophe collectif du parti. En échange, les rédacteurs acceptent que ce soit le groupe dirigeant qui tranche en dernière instance. Ce contrat implicite est à la racine de l’« obéissance consentie » et de la définition d’une « orthodoxie » comme position médiane et négociée. Car si le Comité central d’Argenteuil de 1966 avait reconnu la liberté totale de la recherche dans le domaine de la création artistique, celle-ci était limitée dans celui des sciences sociales et l’élaboration théorique restait du ressort du groupe dirigeant. Ainsi s’explique ce que Frédérique Matonti appelle les « illusions de l’autonomie » (les rapports avec Tel Quel en sont un exemple) ou le « bricolage » en sciences sociales et humaines (histoire, psychanalyse) dont elle donne des analyses approfondies. L’ouvrage se termine par l’analyse de trois moments critiques au cours desquels la revue marche peu à peu vers une position contestataire (Mai 68, printemps de Prague, Programme commun).
122Frédérique Matonti conclut sur le sentiment d’étrangeté que lui a procuré cette étude sur une période que le déclin du parti communiste français a pratiquement close, celle de l’intellectuel de parti au détriment, pense-t-elle, de l’intellectuel expert. Les différences sont-elles aussi tranchées qu’elle le dit, puisqu’elle-même a montré la forme d’expertise, certes instrumentalisée, qu’ont acceptée les membres de La Nouvelle Critique ? Cet ouvrage, où a été si bien analysée toute la gamme des rapports à l’autorité, de la soumission à la révolte, en passant par la contrebande et le double langage, est à mettre à l’actif d’une sociologie politique qui se place ici à l’intersection de l’histoire du communisme, de l’histoire sociale des idées, de la sociopsychologie du militantisme.
123Nicole Racine
Science et politique
Pinault Michel, La Science au Parlement. Les débuts d’une politique des recherches scientifiques en France, Paris, CNRS éditions, 2006, 159 p., 18 €
124Sous ce titre, l’auteur dévoile les stratégies déployées par l’un des parlementaires de la Troisième République qui s’est sans doute le plus investi pour faire advenir une politique de la recherche scientifique en France avant la première guerre mondiale. Jean-Honoré Audiffred, député et sénateur modéré et réformateur, témoigne d’une volonté ferme d’agir auprès de ses collègues élus et leur propose d’investir un champ traditionnellement laissé au génie individuel, de légiférer sur la création d’une entité propre destinée au financement régulier des recherches non encore couronnées de la réussite. Son action aboutit, en 1901, à la création de la Caisse des recherches scientifiques, première structure administrative pérenne.
125L’histoire pourrait s’arrêter là, concluant à l’originalité d’un mode d’intervention publique et à la précocité d’une pensée en matière d’organisation collective d’une recherche dirigée et orientée, bien avant que le CNRS n’incarne l’idéal de l’entité opérationnelle et autonome en charge de la recherche publique. Au contraire, tout l’intérêt du livre réside dans la révision critique de cette supposée prise de conscience progressive des parlementaires et de son aboutissement naturel. Les négociations autour des modes d’existence de la Caisse des recherches scientifiques, les débats budgétaires qu’elles suscitent, révèlent plutôt les difficultés de légitimer l’intervention publique, mais aussi le déficit d’intérêt des industriels et des investisseurs privés. L’auteur constate et analyse la persistance d’un profond décalage entre les appels d’une communauté savante relayée par des pouvoirs publics, la prise de conscience affichée par les politiques d’une carence et l’inaction patente de ces derniers. Il en vient dès lors à examiner les conditions d’émergence des discours parlementaires sur la science et de l’assimilation de la notion de chercheur. La répétition confuse des arguments, le ressassement des bilans déplorables, les formulations mobilisées sans cesse finirent par produire des énoncés collectifs auxquels Michel Pinault confronte la réalité d’action des élus, les échecs et les projets avortés avant même d’exister, l’inertie parlementaire et ses contradictions.
126C’est donc à une histoire du travail parlementaire, celle d’une question qui devient politique, celle de l’ajustement des discours sur la science, de rencontres entre savants et politiques, celle des actions engagées à laquelle l’auteur invite. Dans cette perspective, Michel Pinault porte une attention particulière aux réseaux sociaux, aux groupes d’influence au sein de l’appareil d’État, structurés autour de la réflexion et de l’action en faveur des recherches scientifiques, et notamment de la Société d’économie sociale où s’expriment les idées d’Audiffred. En définitive, ce livre permet de saisir la façon dont la question des recherches scientifiques devient une préoccupation parlementaire. Il alimente ainsi une série de travaux récents ou en cours sur des individualités politiques ou de chercheurs proches des milieux parlementaires, porte-parole et vecteurs d’actions visant à promouvoir la production collective de savoirs par et pour la nation.
127Michel Letté
Chatriot Alain et Duclert Vincent, Le Gouvernement de la recherche. Histoire d’un engagement politique de Pierre Mendès France à Charles de Gaulle (1953-1969), Paris, La Découverte, 2006, 428 p., 34 €
128Alain Chatriot et Vincent Duclert présentent les travaux d’un séminaire. Une première partie réunit des contributions d’historiens et constitue une histoire de la politique de recherche de 1953 à 1969, à l’exclusion du CNRS, déjà bien étudié. La continuité de cette politique de Mendès à de Gaulle est connue. Ces textes ne renouvellent donc pas fondamentalement le sujet, mais aucun n’est négligeable. On retiendra plus particulièrement le portrait que brosse Diane Dosso du secrétaire d’État à la recherche de Pierre Mendès France, Henri Longchambon, l’analyse par Alain Chatriot de l’intervention jusqu’ici négligée du Conseil économique et social et de son rapport précoce (1954) sur la recherche, et les pages où Vincent Duclert retrace avec bonheur l’histoire du premier colloque – fondateur – de Caen (1956).
129La seconde partie fait entendre la voix des acteurs. C’est parfois un simple hommage, car certains textes sont trop brefs pour apporter beaucoup. D’autres, en revanche, sont substantiels. Ainsi la présentation par Philippe Wacrenier d’un bilan chiffré des dix premières années de la Direction générale de la recherche scientifique et technique, qui montre l’explosion de l’effort de recherche ; ou le témoignage de Pierre Baruch sur le laboratoire de physique de l’École normale supérieure à l’époque d’Yves Rocard. L’ensemble donne une idée très concrète du fonctionnement des différentes instances, le Comité consultatif – les douze « sages » –, les services de la DGRST, ses comités, ses procédures financières. Il met en valeur la souplesse de la nouvelle institution et sa capacité à faire converger les savants, les politiques et les industriels. Justice est ainsi rendue au travail du premier délégué général, Pierre Piganiol, bien que son témoignage soit trop bref et trop modeste.
130La troisième partie est composée de grands textes. Ceux du colloque de Caen. Ceux aussi des décrets et arrêtés statutaires et en particulier les nominations des membres des différents conseils ou comités. Il y aurait eu là matière à une belle étude de réseaux, comme celle que présente Michel Pinault dans son livre très neuf sur l’émergence d’une politique de recherche. Mais ce recueil rendra néanmoins de grands services et les auteurs ont raison de ne pas le considérer comme une simple annexe. C’est pourquoi il eût été logique qu’ils l’incluent dans leur index. Par ailleurs, comme ils mettent en garde à juste titre contre les trop nombreuses approximations de ce genre d’ouvrage (p. 15), je leur en signale quelques-unes, rares heureusement : il vaut mieux ne pas écrire CNRA pour CNRSA (p. 103, 107), et bien qu’il ait fait une thèse de physique, il est difficile de qualifier de physicien le directeur du Centre de biophysique moléculaire et professeur au Muséum, Charles Sadron (p. 182), dont on aurait pu indiquer que, grand « patron » et ancien déporté, il avait été initialement sollicité pour devenir délégué général, mais que Georges Pompidou l’avait récusé, le jugeant trop directif.
131Antoine Prost
Mythes et religion
Taguieff Pierre-André, La Foire aux illuminés. Esotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Mille et une nuits, 2005, 612 p., 23 €
132Dans le cadre de ses travaux sur les mythes et les croyances, l’intérêt que Pierre-André Taguieff porte à la pensée conspirationniste n’est pas nouveau. Dans Les Protocoles des sages de Sion, faux et usage d’un faux, il dégage les figures de l’antisémitisme doctrinal moderne et leurs liens avec la vision conspirationniste de l’histoire. Dans L’Illusion populiste, il aborde de manière marginale la théorie du complot, en tant qu’elle rejoint le populisme dans son hostilité aux élites. Avec La Foire aux illuminés, il fait de cette théorie, selon laquelle le sens des événements s’explique par la volonté de domination d’une super élite internationale (les « Maîtres du monde »), l’objet principal de sa réflexion. La force de cette pensée réside dans son explication simpliste des événements, dans la jouissance à démasquer, dans le sentiment agréable de se trouver du côté des justes et dans la légitimation de l’agression contre le soi-disant ennemi.
133L’étude historique très documentée renseigne sur les différentes formes du mythe du complot (courant chrétien, courant bouddhiste ou pagano-aryanisme…), sur les complots dénoncés (complots judéo-maçonniques, judéo-bolcheviques, américano-sionistes…), ou encore sur les comploteurs mis en accusations (sectes, francs-maçons, groupes ethniques, gouvernements, alliance entre États…). Mais, au-delà de la dimension informative sur les évolutions protéiformes du mythe et de ses cibles, Pierre-André Taguieff dégage une filiation historique et se livre à une étude sociologique et politiste des thèses complotistes. Il estime que la théorie du complot, mythe politique né à la fin du 18e siècle sous la forme du complot maçonnique visant à détruire la civilisation chrétienne et à modifier l’ordre social, est un élément constitutif de la modernité, qui structure la manière de lire l’Histoire d’un grand nombre de nos contemporains. En effet, pour l’auteur, un intérêt renouvelé pour cette pensée se manifeste à partir des années 1990, notamment avec la diffusion de l’idée, véhiculée par des antimondialistes de droite et de gauche, selon laquelle derrière l’annonce d’un « Nouvel Ordre mondial » consécutif à la chute du bloc soviétique, se cache la menace d’un gouvernement mondial occulte. Ces thèses ont essaimé dans la société, en témoigne l’engouement pour les productions culturelles « grand public » contaminées par la vision conspirationniste (cf. Da Vinci Code de Dan Brown).
134Mais ce sont surtout les raisons données par l’auteur pour expliquer cet attrait qui sont intéressantes. Il s’agirait d’une conséquence de la tentative rationaliste de la pensée des Lumières, qui a conduit à la suppression du mystère, à un désir de transparence, au développement de l’esprit critique, attitude qui, trop systématisée, peut verser dans le soupçon et la mystification. On constate ainsi une tendance de ce courant visant au désenchantement du monde à se retourner en réenchantement. À cela s’ajoute le fait que, dans un contexte de déchristianisation et d’affaiblissement des religions séculières (communisme, progressisme), la liberté devient angoissante et la demande de révélation insatiable. Ainsi, la théorie du complot masque une question sous-jacente, celle du sens, celle de savoir qui est responsable de nos malheurs. Le recours au diable rassure en inquiétant. On assiste dès lors à l’émergence d’un nouvel invisible, qui n’est pas de l’ordre du suprasensible, mais de ce qui est caché, et qui correspond à une aspiration à réconcilier des oppositions, là où la raison distingue les problèmes.
135Ces thèses complotistes sont plus particulièrement embrassées par une mouvance adhérant à l’idée d’une religiosité sans Dieu transcendant, à laquelle se mêlent des pratiques magiques et des croyances ésotériques. L’essor de ce courant marque dans l’histoire de la pensée la fin du progressisme. Mais l’actuel « dogmatisme simpliste de l’inévitable marche vers le pire [mythe du complot] n’a rien à envier à celui de la tranquille progression vers un “monde meilleur” [mythe du Progrès] ».
136Marie de Jerphanion
Fouilloux Étienne, Une Église en quête de liberté. La pensée catholique française entre modernisme et Vatican II, 1914-1962, Paris, Desclée de Brouwer, 2006, 325 p., 25 €
137L’ouvrage est la réédition d’un livre paru en 1998, chez le même éditeur, dans la même collection ; on va voir qu’il faut se réjouir de l’initiative, non sans regretter que les nombreuses et précieuses références bibliographiques infrapaginales n’aient pas fait l’objet d’une mise à jour. Le projet s’appréhende à trois niveaux. Un double enjeu historiographique : les voies et les moyens du changement de climat intellectuel (en l’occurrence, le changement qui rend possible le tournant de Vatican II, qu’Étienne Fouilloux interroge depuis longtemps) ; la fécondation de l’histoire des idées et des intellectuels français par l’histoire religieuse. Il y a près de dix ans, ce dernier effort n’était pas si courant qu’il ne vaille d’être souligné. Un objet : l’inventivité des intellectuels catholiques français et les relations subtiles qui se tissent entre eux et Rome, entendue au sens large (le pape, la Curie, les universités romaines, les supérieurs d’ordre religieux, leurs relais en France). Une séquence chronologique, qui court des lendemains de la crise du modernisme dans le catholicisme français (1893-1914) à l’automne 1962, première et décisive période du concile Vatican II.
138Ce projet est argumenté par l’introduction, l’ouverture, qui prend en écharpe les cinquante années sous un titre révélateur, « La hantise du modernisme », et la conclusion. Le cœur de la démonstration est constitué de six chapitres qui articulent approches par les philosophies et les théologies, les sensibilités individuelles et collectives, les positions ecclésiales et les rapports de force, les lieux et les réseaux. Ils dessinent les contours, l’objectif, les trajets et les résultats du groupe de réformateurs tempérés qui constitue le héros collectif de l’ouvrage.
139La densité du propos d’Étienne Fouilloux ne nuit pas à la clarté de son écriture, mais elle oblige le recenseur à des choix. Pointons de manière toute personnelle quelques-uns des éclairages apportés : la diversité d’usages de la puissante référence thomiste, l’importance de la filiation de Maurice Blondel, la force de l’événement – condamnation de l’Action française en 1926, isolement dû à l’Occupation, retournement du rapport de forces d’octobre-novembre 1962 au Concile – qui bouscule les linéarités attendues, la manière d’idéal-type de gardien du dogme que constituent les portraits du dominicain Garrigou-Lagrange et du cardinal Ottaviani ou encore l’appel récurrent des réformistes à l’Histoire, du cours d’histoire des doctrines chrétiennes du père Chenu au Saulchoir à la naissance de la collection « Sources chrétiennes » à Fourvière en 1937. La réédition d’Une Église en quête de liberté confirme l’importance et l’originalité de l’œuvre d’Étienne Fouilloux. Pour ceux qui ne la connaissent pas, voici une incitation à la découvrir.
140Yves Poncelet
Jeunesses et sports
Baubérot Arnaud et Duval Nathalie (dir.), Le Scoutisme entre guerre et paix au xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2006, 244 p., 21,20 €
141Modeste par son volume, cet ouvrage collectif ne l’est pas par son intérêt. « On nous reprochera probablement, notent Arnaud Baubérot et Nathalie Duval en introduction, la rareté des articles consacrés au scoutisme étranger. » En effet. Il aurait été judicieux de préciser dès le titre qu’il était question du scoutisme français – dans huit des neuf contributions ; seule celle de Mario Sica propose une mise en perspective internationale. Mais « entre guerre et paix », le scoutisme français l’est bel et bien : chronologiquement, puisque l’on va des années 1920 aux années 1950 ; « structurellement » aussi : fondé sur l’œuvre d’un ancien officier colonial britannique, Baden-Powell, dont Mario Sica montre l’évolution, pacifique sans être pacifiste, le scoutisme français réalise un syncrétisme original, pédagogique, culturel et moral. Jean-Noël Luc dans sa préface d’une part, Arnaud Baubérot et Nathalie Duval d’autre part le soulignent fortement.
142Les contributions nouent ces deux dimensions : le poids d’un moment, les tensions d’un mouvement. Y étant prise, la pratique scoute les déborde, en France métropolitaine et dans les colonies – traitées, et c’est notable, par Charles-Édouard Harang et Jean-Jacques Gauthé. C’est très clair dans l’article de Lionel Christien qui, à travers la figure de Jean Joussellin, brosse un tableau précis des ambiguïtés d’alors : traditionalistes mais soucieux de renouveau, tout sauf antisémites, des chefs scouts français considèrent d’abord la Révolution nationale comme une « divine surprise » et s’y engagent, puis s’en éloignent pour la plupart ou en sont écartés dès 1941. Cette évolution apparaît aussi dans l’article de Nathalie Duval consacré à Henri Marty, ou dans celui de Christophe Carichon sur la Bretagne entre 1939 et 1944 – ici, l’adhésion des scouts bretons au premier Vichy d’un côté, l’entrée en résistance d’une partie d’entre eux de l’autre auraient gagné à être mieux articulées. Autre petit regret : l’absence d’un index des noms propres qui aurait permis aux non-initiés de relever par exemple, de l’article de Lionel Christien à celui de Nathalie Duval via le rôle de Louis Garrone, l’une des ambiguïtés du premier Vichy.
143Finalement, il ressort de l’ouvrage la capacité du scoutisme français à former des « cadres » engagés, sous des options parfois opposées, hauts fonctionnaires, résistants, patriotes algériens : combattants pour certains, administrateurs pour d’autres, « cadres » en tout cas… Arnaud Baubérot et Nathalie Duval voient un Baden-Powell « convaincu que la force des armées modernes résidait dorénavant moins dans la discipline et la cohésion du groupe que dans l’audace et l’esprit d’initiative des individus qui le composent ». Mais c’est dans l’articulation complète de l’esprit d’initiative individuelle et de la cohésion du groupe que la pédagogie scoute trouve sa pleine mesure. Ceci, bien sûr, non sans tensions dynamiques entre « guerre » (mobilisation, engagement) et « paix » (organisation, construction).
144Christian Guérin
Peyre Vincent et Tétard Françoise, Des éducateurs dans la rue. Histoire de la prévention spécialisée, Paris, La Découverte, 2006, 272 p., 19 €
145Cet ouvrage est le résultat d’une longue, parfois difficile, mais avant tout fructueuse collaboration entre deux chercheurs – une historienne, un sociologue – bien connus des spécialistes de la protection de l’enfance. Françoise Tétard et Vincent Peyre ont posé les jalons d’une histoire trop méconnue, celle de la prévention spécialisée. La tâche est complexe en raison des définitions possibles d’une prévention qui « peut traiter de tout, en fonction du malaise et de l’angoisse qu’une société exprime sur elle-même ». Le sujet devient celui de la spécificité d’une démarche au croisement d’ambitions éducatives et sociales, l’histoire : celle des inventeurs et des expérimentations, puis d’un premier enracinement et des incitations, enfin celle de l’institutionnalisation de la prévention spécialisée lorsque qu’elle devient un secteur repéré et reconnu de l’action sociale.
146L’arrêté ministériel relatif aux clubs et équipes de prévention date de 1972. Le grand mérite des auteurs est de sortir de l’ombre une histoire plus ancienne et c’est un formidable enrichissement de leur histoire qui est alors proposé aux hommes et aux femmes de terrain, professionnels ou bénévoles. La prévention spécialisée est décrite comme née au tournant de la seconde guerre mondiale mais les auteurs prennent soin de préciser que la philosophie à laquelle elle se réfère remonte au 19e siècle. Dans une démarche militante, elle a d’abord été un mouvement de réaction aux modes traditionnels d’intervention auprès de jeunes délinquants. Progressivement, elle s’est retrouvée incluse dans la politique de prévention générale conduite par les pouvoirs publics. Des itinéraires d’hommes et de femmes ont été restitués après un laborieux mais fécond repérage de sources. L’entretien est venu apporter de la chair à une histoire qui s’est construite sur des rencontres, des échanges, des ruptures. Entre marginalité et intégration, la relation avec les acteurs des politiques publiques est questionnée dans une société toujours embarrassée par la place, le statut à accorder aux politiques de la jeunesse. Née dans la précarité, la prévention spécialisée n’en n’est jamais totalement sortie. Les financements par les caisses de Sécurité sociale ou par les Associations régionales de Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence ont pu être des solutions à partir desquelles asseoir certaines expériences. L’inscription dans les politiques publiques d’aide sociale à l’enfance a été une étape décisive.
147La légitimité d’une démarche, celle de la prévention spécialisée, fut et demeure une bataille. Il a fallu convaincre les écoles d’éducateurs, alors que ces expériences indisposaient bien des cadres favorables à la rééducation en internat. La bataille a été également menée auprès des interlocuteurs « naturels » du secteur : justice, santé. La prévention spécialisée a dû être à nouveau défendue lorsque, dans le contexte des grandes lois de décentralisation, les associations de prévention sont devenues des partenaires habituels des dispositifs de la politique de la ville.
148Les analyses dégagent la fidélité à une démarche à partir de laquelle il est possible de parler d’une unité de la prévention spécialisée. La réflexion des auteurs aboutit également à dégager des époques, à évoquer des changements, alors que les questions que la société se pose sur sa jeunesse ont connu de profondes mutations. La connaissance des hommes et des institutions est un des nombreux mérites de cet ouvrage qui, à partir d’expériences dispersées, réintroduit les éléments d’une filiation parfois perdue par les nouvelles générations.
149Pascale Quincy-Lefebvre
Dumont Jacques, Sport et formation de la jeunesse à la Martinique, Paris, L’Harmattan, 2006, 254 p., 22,50 €
150Plus qu’une simple contribution à l’enrichissement de la connaissance historique, le livre que Jacques Dumont consacre au sport et à la formation de la jeunesse à la Martinique de la fin du 19e siècle aux années 1960 constitue une très opportune et double démonstration. À l’heure où, à travers des « lois mémorielles », l’État éprouve la fâcheuse tentation de se « mêler de l’Histoire » au risque de figer celle-ci en vérité officielle, il souligne tout d’abord combien l’analyse et la compréhension du passé peinent à se satisfaire d’une simpliste et définitive lecture dichotomique. Apprécier le rôle de la présence française outre-mer à travers le prisme du sport martiniquais revient en effet à montrer que, comme bien d’autres pratiques sociales, cette activité importée et développée dans l’île par les métropolitains peut être simultanément perçue comme un instrument de l’oppression coloniale ou, au contraire, comme un vecteur d’émancipation.
151De fait, loin de se caractériser par cet apolitisme auquel il fut si longtemps et si naïvement associé, l’univers sportif apparaît, au fil de cette étude, saturé des ambiguïtés et contradictions d’un système colonial qui perdure souvent, dans les faits et dans les esprits, bien au-delà de la départementalisation. Cristallisant tour à tour espoirs et frustrations, il se révèle être, pour toutes les périodes étudiées, un observatoire pertinent et fécond du processus chaotique de construction d’une véritable citoyenneté française aux Antilles. Ainsi, l’auteur apporte également sa contribution à ce mouvement qui, depuis quelques années, tend à voir le sport s’imposer comme un objet respectable de la recherche historique. Que ce soit par la richesse et la diversité des archives collectées, la solidité méthodologique de leur exploitation ou par l’axe de traitement utilisé, Jacques Dumont justifie sans conteste l’utilité de ce récent enrichissement de l’historiographie.
152La pertinence de son travail ne se limite d’ailleurs pas à l’éclairage original ainsi porté sur cette toile de fond sociologique et politique. Elle réside également dans la spécificité, la dimension technique du sujet traité. À bien des égards en effet, leur mise en œuvre locale tend à très sensiblement accuser les traits caractéristiques des volontarismes publics et des initiatives privées qui constituent les habituels repères historiques du développement, en France, des gymnastiques, du sport et des mouvements de jeunesse. Ce captivant et très instructif effet de loupe est par exemple perceptible au travers de la profondeur des convictions éducatives animant les pionniers de la fin du 19e siècle. L’idéal moral et spirituel qu’ils implantent dans l’île est si profond qu’en dépit du renouvellement des générations et de l’évolution des valeurs il transparaît encore aujourd’hui. L’exceptionnelle longévité de l’emprise de l’école militaire de Joinville sur l’éducation physique de la jeunesse insulaire ou encore l’application convaincue de la politique d’éducation générale et sportive de Vichy allant jusqu’à l’institution, en 1943, d’une charte des sports de la Martinique en sus de celle de 1941 constituent d’autres illustrations de ce particularisme local des politiques d’éducation par le sport. Enfin, plusieurs études de cas et de nombreux portraits confèrent à cette analyse historique une appréciable densité qui participe de son intérêt scientifique.
153Jean-Luc Martin
Seecharan Clem, Muscular Learning. Cricket and Education in the Making of the British West Indies at the End of the 19th Century, Kingston/Miami, Ian Randle Publishers, 2006, 367 p., 24,95 $
154Le livre de Seecharan, dont les travaux précédents font autorité dans l’histoire de la Caraïbe coloniale, se penche sur le rôle du cricket dans les changements sociaux et la construction d’une identité propre aux territoires anglophones de la Caraïbe. Difficile pour des pays qui ne s’adonnent pas au culte du cricket de comprendre le profond retentissement de ce sport dans la vie des anciens territoires britanniques. L’impact social du cricket dans la Caraïbe est attesté par de nombreux indices dont une omniprésence – jusque dans le vocabulaire courant – et le nombre de publications qui lui ont été consacrées. Le cricket a été investi par les sciences sociales, et étudié plus particulièrement dans ses rapports aux luttes ethniques, de races ou de classes. Il est ainsi devenu le miroir où se reflètent les tensions anticolonialistes, les conflits de couleur, l’émergence d’une identité créole.
155L’ouvrage s’inscrit donc dans cette lignée d’études. S’attachant à la place de ce jeu dans l’éducation des West Indies britanniques, l’auteur examine la formation d’une élite intellectuelle noire et l’émergence d’une conscience créole sur l’ensemble de la Caraïbe anglophone. Il s’intéresse aux façons dont les valeurs et les pratiques emblématiques de l’ère coloniale sont réappropriées d’abord par les élites de couleur, puis incorporées par l’ensemble de la population, c’est-à-dire toutes les composantes ethniques issues de l’esclavage et des migrations suivant son abolition et liées à l’exploitation économique. Le cricket et son armature éducative sont à la fois un lieu de propagation des valeurs établies par la domination coloniale et l’espace de leur contestation. Le livre étudie donc la transformation sociale des West Indies par l’appropriation d’une pratique éducative emblématique de la domination anglaise. Il ne l’aborde pas sous l’angle du mimétisme, mais montre comment cette assimilation apparaît comme un instrument de liberté et d’ascension sociale. Le cricket, joué dès le 18e siècle, recouvre un ensemble de valeurs présentées et perçues comme symboles de civilisation. Le terrain de cricket, tout en reproduisant les divisions et hiérarchies du travail, est un lieu d’apprentissage des valeurs victoriennes. Le sport naît de la révolution industrielle et exalte la compétition, la lutte pour améliorer ses performances ou sa condition, mais aussi l’esprit d’équipe, le fair play. Il inculque le respect du résultat, l’acceptation sans plainte de la défaite. L’auteur insiste sur la diffusion de cet idéal, les modes d’instillation ou de « percolation » qui conduisent à l’incorporation des vertus mises en scène dans le cricket. L’apparition des joueurs de couleur dans les sélections se heurte à de nombreuses résistances, et une extension difficile à tous les rôles. De fait, il faudra attendre la seconde moitié du 20e siècle pour que des fonctions prestigieuses (capitaine) ou administratives (le comité du cricket) soient exercées selon la valeur et non la couleur.
156Cette histoire largement commémorée, décrite, analysée, l’avait été principalement dans une optique d’opposition entre des groupes, des classes, des races, suivant la terminologie anglo-saxonne et des points de vue hérités du marxisme. Seecharan s’appuie bien sûr sur ces luttes et ces affrontements mais pour finalement mieux en examiner ces espaces où l’individu échappe aux places assignées, détourne les comportements et les codes. Au lieu de se focaliser sur les mises à l’écart, ou la conquête d’un domaine qui reste effectivement longtemps réservé, il examine la configuration et les vecteurs par lesquels cette société coloniale se transforme. En étudiant le lien entre intelligentsia noire et culture populaire, éducation victorienne et cricket, il pointe la dynamique d’un système, reconduisant à la fois les valeurs coloniales et amenant à leur remise en cause. Un livre qui, sous ses dehors spécialisés, introduit à l’histoire des sociétés créoles anglophones de la Caraïbe en éclairant leur pratique la plus emblématique.
157Jacques Dumont
Livres reçus
158Abbassi Driss, Entre Bourguiba et Hannibal. Identité tunisienne et histoire depuis l’indépendance, préf. de Robert Ilbert, Paris/Aix-en-Provence, Karthala/Iremam, 2006, 272 p., 25 €.
159Bacevich Andrew J., American Empire. The Realities & Consequences of U.S. Diplomacy, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2002, 302 p., 17,95 $.
160Bauquet Nicolas et Bocholier François (dir.), Le Communisme et les élites en Europe centrale, préf. de François Fejtö, Paris, Éd. de l’ENS/PUF, 2006, 384 p., 26 €.
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220Revel Jacques, Un parcours critique. Douze exercices d’histoire sociale, Paris, Galaade, 2006, 448 p., 26 €.
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235Vigna Xavier, Vigreux Jean et Wolikow Serge (dir.), Le Pain, la paix, la liberté. Expériences et territoires du Front populaire, Paris, La Dispute, 2006, 384 p., 26 €.
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