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Article de revue

Le hooliganisme entre genèse et modernité

Pages 61 à 83

Notes

  • [1]
    Dominique Bodin, « Football, supporters, violences. La non application des normes comme vecteur de la violence », Revue juridique et économique du sport, 51, 1999, p. 139-149.
  • [2]
    Selon un rapport confidentiel des Renseignements généraux en date du 17 décembre 2001, intitulé « Hooliganisme, la violence supportériste ».
  • [3]
    Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, (1895) édition 1997.
  • [4]
    Harold Garfinkel, Studies in ethnomethodology, New Jersey, Prentice-Hall Inc, Englewood Cliffs, 1967.
  • [5]
    Wesley Skogan, Disorder and decline. Crime and the spiral of decay in American neighborhoods, New York, The free press, 1990.
  • [6]
    Sébastian Roché, La société incivile, Paris, Le Seuil, 1996 et La délinquance des jeunes. Les 13-19 ans racontent leurs délits, Paris, Le Seuil, 2001.
  • [7]
    Éric Debarbieux, La violence en milieu scolaire, 1, État des lieux, Paris, ESF, 1996, et L’oppression quotidienne. Recherches sur une délinquance des mineurs, Paris, Rapport dactylographié, 2002.
  • [8]
    Michel Wieviorka, Violences en France, Paris, Le Seuil, 1999, p. 8.
  • [9]
    Dominique Bodin, Sports et violences, Paris, Chiron, 2001, p. 11.
  • [10]
    Dominique Bodin, Hooliganisme. Vérités et mensonges, Paris, ESF, 1999, p. 19 et Le hooliganisme, Paris, PUF, p. 13.
  • [11]
    Jean-Paul Thuillier, Le sport dans la Rome Antique, Paris, Errance, 1996, p. 171.
  • [12]
    Frédéric Mendiague, « L’église et les interdits religieux du jeu, hasard, passion et désordre du xv e au xviii e siècle », Staps, 32, 1993, p. 57-66.
  • [13]
    Jean-Jacques Jusserand, Les sports et jeux d’exercice dans l’ancienne France, Genève, 1901, édition 1986.
  • [14]
    Alexandre Bouet et Olivier Perrin, Breiz-izel ou vie des Bretons de l’Armorique, Paris, PUF, 1835, édition de 1970.
  • [15]
    Horst Bredekamp, La naissance du football. Une histoire du calcio, Paris, Diderot, 1998.
  • [16]
    Luc Robène, « Icare et la violence des jours » in Dominique Bodin (dir.), Sports et violences, op. cit., p. 35-55.
  • [17]
    N. L. Tranter, « The Cappielow riot and the composition and behaviour of soccer crowds in Late Victorian Scotland », The international Journal of the history of sport, 3, 1995, vol. 1, p. 125-140.
  • [18]
    Norbert Elias et Eric Dunning, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1986.
  • [19]
    Michel Beaulieu, et Marc Perelman, « Histoire d’un espace. Le stade », Quel corps, 7, 1977, p. 31-40.
  • [20]
    Georges Duhamel, Scènes de la vie future, Paris, Mercure de France, 1930.
  • [21]
    Alain Ehrenberg, « Aimez-vous les stades ? Architecture de masse et mobilisation », Recherches, 43, 1980, p. 25-54.
  • [22]
    Alain Ehrenberg, op. cit.
  • [23]
    Dominique Bodin, op. cit., p. 19.
  • [24]
    Bernard Jeu, Analyse du sport, Paris, PUF, 1992.
  • [25]
    Roger Dufour-Gompers, Dictionnaire de la violence et du crime, Toulouse, Erés, 1992, p. 94.
  • [26]
    Anthony Burgess, A clockwork orange, New York, The Free Press, 1962, édition de 1980, p. 51-52.
  • [27]
    Jean-Marie Brohm, Les meutes sportives. Critique de la domination, Paris, L’Harmattan, 1993.
  • [28]
    René Thom, « Aux frontières du pouvoir humain, le jeu », in Modèles mathématiques de la morphogenèse, Paris, Bourgeois, p. 308.
  • [29]
    René Thom, op. cit., p. 310.
  • [30]
    Pour mieux comprendre l’importance des joutes oratoires dans les prémisses de la violence le lecteur peut se reporter notamment aux travaux de David Lepoutre, Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Odile Jacob, 1995, édition 2001 ; Pascal Duret, Anthropologie de la fraternité dans les cités, Paris, PUF, 1996 ; Michel Wieviorka, op. cit. ; Sébastian Roché, op. cit.
  • [31]
    Peter Marsh, Aggro the illusion of violence, Londres, Dent and Ltd, 1978.
  • [32]
    Michel Wieviorka, op. cit., p. 17.
  • [33]
    Alain Corbin, L’avènement des loisirs 1850-1960, Paris, Flammarion, 1995.
  • [34]
    Alfred Wahl, La balle au pied, histoire du football, Paris, Gallimard, 1990, édition 1996.
  • [35]
    Lire notamment les travaux de Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979 et Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1984 et ceux de Christian Pociello, Sports et sociétés. Approche socioculturelle des pratiques, Paris, Vigot, 1981 et Les cultures sportives, Paris, PUF, 1995.
  • [36]
    Christian Bromberger, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1995.
  • [37]
    Op. cit.
  • [38]
    Ian Taylor, « Football mad. A speculative sociology of football hooliganism », The sociology of sport, 1971, p. 357-377.
  • [39]
    Manfred Zimmerman, « La violence dans les stades de football, le cas de l’Allemagne fédérale », Revue de droit pénal et de criminologie, 5, 1987, p. 441-463.
  • [40]
    Patrick Mignon, La société du samedi, supporters, ultras et hooligans. Étude comparée de la Grande-Bretagne et de la France, Paris, Rapport dactylographié IHESI, 1993 et La violence dans les stades, supporters, ultras et hooligans, Paris, Éditions INSEP.
  • [41]
    Alain Ehrenberg, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Levy, 1991, p. 47.
  • [42]
    Georges Devereux, Ethnopsychanalyse complémentariste, Paris, Flammarion, 1972.
  • [43]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 338.
  • [44]
    Philippe Broussard, Génération supporter. Enquête sur les Ultras du football, Paris, Robert Lafont, 1990.
  • [45]
    Ian Taylor, « Class, violence and sport. The case of football hooliganism in Britain », in Harold Cantelon et Raymond Gruneau (dir.), Sport, culture and the modern state, Toronto, University of Toronto Press, 1982, p. 39-96.
  • [46]
    John Clarcke, « Football and working class fans », in René Ingham et al. (dir.), Football hooliganism, Londres, Inter-Action, 1978, p. 37-60.
  • [47]
    Op. cit.
  • [48]
    Patrick Mignon, op. cit., p. 22.
  • [49]
    Lewis Coser, Les fonctions du conflit social, Paris, PUF, 1956.
  • [50]
    Trilogie de John King : Football factory (1) ; Headhunters (2) ; England away (3). Cf. sur le même thème la chronique littéraire du dernier roman de John King, Human punk, dans Le Monde, 27 juin 2003 (supplément Le Monde des livres), par Jean-Luc Douin.
  • [51]
    Michel Wieviorka, op. cit., p. 30.
  • [52]
    Ian Taylor, « Soccer consciousness and soccer hooliganism », in S. Cohen (dir.), Images of deviance, Harmondsworth, Harmondsworth Penguin, 1973, p. 163-164.
  • [53]
    John Clarcke, Football hooliganism and the skinheads, Birmingham, Center for contemporary cultural studies, 1973.
  • [54]
    Michel Wieviorka, Le racisme, une introduction, Paris, La Découverte, 1998.
  • [55]
    René Girard, La violence et le sacré, Paris, Hachette, 1972.
  • [56]
    Philippe Broussard, op. cit., p. 308.
  • [57]
    Alfred Wahl, op. cit., p. 109.
  • [58]
    Patrick Mignon, op. cit., p. 24.
  • [59]
    Norbert Elias, Uber den Prozess der Zivilisation, traduit en deux tomes sous les titres de La civilisation des mœurs et La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Levy, 1969.
  • [60]
    Fonctionnement de bandes observées à Chicago où la ségrégation était forte, les normes de masculinité importantes, avec un système d’alliance élaboré.
  • [61]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 360-361.
  • [62]
    Ibid., p. 74.
  • [63]
    Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF, 1893, édition 1960.
  • [64]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 324.
  • [65]
    Ibid., p. 331-332.
  • [66]
    L’ami d’un ami est un ami ; l’ennemi d’un ennemi est un ami.
  • [67]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 334.
  • [68]
    Howard s. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1963, édition 1985.
  • [69]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 355.
  • [70]
    Ian Taylor, op. cit.
  • [71]
    John Williams, « When violence overshadows the spirit of sporting competition. Italian football fans and their clubs », Journal of community and applied social psychology, 1991, p. 23-28.
  • [72]
    John Hargreaves, « Sex, gender and the body in sport and leisure, has there been a civilitizing process ? », in Eric Dunning et Charles Rojek (dir.), Sport and leisure in the civilizing process, critique and counter-critique, Londres, Inter-Action, 1992.
  • [73]
    Dominique Bodin, « La déculturation du public comme facteur du hooliganisme, mythe ou réalité ? », Staps, 57, 2002, p. 87-88.
  • [74]
    Ryszard Kapuscinski, « Les médias reflètent-ils la réalité du monde ? », L’empire des médias. Manière de Voir, 63, 2002, p. 50-55.
  • [75]
    Norbert Rouibi, Colloque sur la sécurité et la violence dans les stades lors des manifestations sportives, Paris, 1989, mise à jour du 15 février 1994.
  • [76]
    Benoît Dupuis, « Le hooliganisme en Belgique. Histoire et situation actuelle. 1ère partie », Sport, 143, 1993, p. 133-157 et « Le hooliganisme en Belgique. Histoire et situation actuelle. 2e partie », Sport, 144, 1993, p. 195-226.
  • [77]
    Christian Bromberger, op. cit., p. 242.
  • [78]
    Au sens où l’entend Raymond Boudon, Effets pervers et ordre social, Paris, PUF, 1977.
  • [79]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 363.
  • [80]
    On peut citer entre autres : Pascal Charroin, Allez les verts ! De l’épopée au mythe, la mobilisation du public de l’association sportive de Saint-Étienne, Thèse soutenue à l’UFR Staps de l’université Claude Bernard Lyon-1, 1994 ; Christian Bromberger, Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde. Paris, Balland, 1998 et C. Bromberger, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1995 ; Nicolas Roumestan, Les supporters de football, Paris, Anthropos, 1998 ; William Nuytens, Essai de sociologie des supporters de football. Une enquête à Lens et à Lille, Thèse soutenue à la faculté des sciences économiques et sociales de l’université de Lille, 2000.
  • [81]
    On peut citer entre autres : Richard Giulianotti, « Participant observation and research into football hooliganism. Reflections on the problems of entree and everyday risks », Sociology of Sport Journal, 1995, p. 1-120 pour l’Écosse ; Bruna Zani et Erich Kirchler, « When violence overshadows the spirit of sporting competition : italian football fans and their clubs », Journal of community and applied social psychology, 1, 1991, p. 5-21 pour les hooligans de Naples et Bologne ; Manfred Zimmerman, op. cit. en Allemagne ; Kris Van Limbergen, « Aspects sociopsychologiques de l’hooliganisme, une vision criminologique », Pouvoirs, 61, 1992, p. 177-130 ; Benoît Dupuis, op. cit. en Belgique, Dominique Bodin, Sports et violences. Analyse des phénomènes de violences et de déviances chez les supporters de football à partir d’une étude comparative du supportérisme dans le basket-ball, le football, le rugby et le volley-ball, Thèse soutenue à l’université Bordeaux 2, 1998, pour la France.
  • [82]
    Patrick Mignon, 1993, op. cit. et 1995, op. cit.
  • [83]
    Patrick Mignon, « La lutte contre le hooliganisme, comparaison européennes », Football ombres au spectacle. Les cahiers de la sécurité intérieure, 26, 1996, p. 92-107.
  • [84]
    Manu Comeron, « Du gang au groupe social, une analyse socio-préventive », Football ombres au spectacle, op. cit., 1996, p. 47-67.
  • [85]
    Op. cit.
  • [86]
    Alain Ehrenberg, op. cit., p. 58.
  • [87]
    Op. cit.
  • [88]
    Éric Debarbieux, « L’oppression quotidienne. Recherches sur une délinquance des mineurs », Rapport remis à l’Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure, 2002.
  • [89]
    Lire à ce sujet les limites à apporter à l’utilisation de la notion de « noyau dur » dans Éric Debarbieux, op. cit., p. 105-112.
  • [90]
    Casual vient de casual clothing : habits « normaux », « habituels », mais dans le domaine particulier du hooliganisme, les acteurs intervenant dans le contrôle et la prévention des violences l’utilisent dans le sens d’être « bien habillé », de porter des habits de marque. Le hooligan moderne, casual, devient ainsi méconnaissable et jouit au moment du filtrage d’a priori de respectabilité.
  • [91]
    Depuis 1998 le stade est sous la responsabilité des organisateurs en vertu de l’application de l’article 23 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995.
  • [92]
    Loïc Ravenel, Le football de haut niveau en France, espaces et territoires, Thèse de doctorat de géographie de l’université d’Avignon et des pays du Vaucluse, 1997.
  • [93]
    Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, Raisons, 1999.
  • [94]
    Cf. à ce sujet l’article publié dans Le Monde du 25 janvier 2003, intitulé : « Nicolas Sarkozy veut barrer la route des stades aux hooligans ».
  • [*]
    Dominique Bodin (dominique. bodin@ uhb. fr), Luc Robène (luc. robene@ uhb. fr) et Stéphane Héas (stephane. heas@ uhb. fr) sont maîtres de conférences à l’université Rennes 2 et membres du laboratoire didactique, expertise et technologie des APS. Ils ont publié ensemble Sports et violences en Europe (Éditions du Conseil de l’Europe, 2004).

1 L’étude du spectacle sportif, et en l’occurrence ici du hooliganisme, permet une réflexion de nature historique et sociologique, tant sur la structuration des identités de groupe que sur l’âge et le genre, sur les cultures nationales et la construction des représentations sociales. Mariant les approches disciplinaires, l’article qu’on va lire brasse des éléments venus d’études sur les normes et leurs transgressions, la violence et la déviance, mais aussi les interactions sociales que l’arène sportive fait naître. Il remet en cause la vision simpliste selon laquelle le hooligan serait systématiquement anglais et extérieur à la culture sportive.

2 Récemment, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur de la France, s’est indigné face aux violences perpétrées, selon lui, de plus en plus souvent aux abords du Parc des Princes, à Paris, lors des rencontres de football du Paris-Saint-Germain. Dans l’interview accordée au journal Le Monde du 25 janvier 2003, il promettait des mesures sévères à l’encontre des hooligans.

3 Cette prise de position, pour normale qu’elle soit de la part d’un ministre de l’Intérieur, est cependant surprenante sur le fond, car les violences des spectateurs, au sens générique du terme, ne sont ni nouvelles, ni plus nombreuses qu’autrefois. Les mesures législatives qui ont été prises depuis quelques années pour endiguer ce phénomène, tout en restant très souvent inappliquées, montrent à l’évidence que le hooliganisme a déjà une histoire dans notre pays [1]. En outre, les actes de hooliganisme constatés sont en réalité comparables, en fréquence d’apparition, en dureté et en destructions de biens et matériels, à ceux qui se donnent à voir dans les autres pays européens. Ils précèdent ou suivent chaque rencontre de première division [2], même si bien souvent la qualité et l’efficacité du service d’ordre mis en place les rendent invisibles ou tout au moins obligent les supporters à se « rencontrer » à l’écart des stades. Contrairement aux idées reçues, le hooliganisme n’est donc pas un objet spatialement si éloigné du cœur de nos cultures sportives nationales.

4 Comment dès lors expliquer cette persistance à concevoir le hooliganisme tout à la fois comme étranger – le fait des autres, des Anglais en particulier – mais également comme un problème contemporain marqué par la destructuration industrielle des sociétés modernes et la crise des institutions ? C’est à ces questions que cet article tente de répondre, en essayant d’expliquer la genèse du hooliganisme et la construction des représentations sociales qui en ont, semble-t-il, limité essentiellement son acception au football anglo-saxon.

◦ Le hooliganisme, définitions et histoire

5 Pour le comprendre, il nous faut définir le hooliganisme, en fixer le finis, les limites, affirmer que là commencent ou s’arrêtent les actes hooligans. Cela relève peut-être de l’impossible ou revient tout au moins à en restreindre le sens et à en limiter l’interprétation. Car comprendre le hooliganisme oblige avant toute chose à dépasser les définitions habituelles, représentations collectives, stéréotypes et préjugés qui prévalent en la matière. Si dans l’imaginaire collectif, le hooligan est un Anglais, jeune, mal inséré socialement, délinquant dans la vie ordinaire, imbibé d’alcool, qui prend prétexte du match de football pour venir commettre ses méfaits dans le stade, la réalité sociale du phénomène est tout autre et il nous faudra déconstruire ces conceptions aberrantes à bien des niveaux.

6 Les événements au Parc des Princes le 28 août 1993, lors du match PSG-Caen, où plusieurs policiers se sont fait lyncher dans la tribune Boulogne et plus récemment ceux du match PSG-Galatasaray, en Coupe d’Europe des clubs champions, le 14 mars 2001, qui ont fait 56 blessés dans les tribunes, ont montré, si besoin était, que le hooliganisme pouvait également être français. Cette distorsion entre représentations et réalité est peut-être tout simplement due aux tragiques événements télévisés lors de la finale de la coupe d’Europe opposant la Juventus de Turin à Liverpool au stade du Heysel, en 1985, durant laquelle 31 spectateurs trouvèrent la mort. Ou bien encore, aux interprétations qui en ont été données, aux sanctions prises à l’encontre des équipes anglo-saxonnes et de leurs supporters, ainsi qu’à l’hypermédiatisation de ce dramatique incident. Pourtant ce fléau n’est pas réductible aux seuls agissements des Anglais, ni même imputable aux délinquants ordinaires : il concerne le football dans le monde entier. Mais comprendre le hooliganisme revient non pas à constater des faits, qui sont parfois d’une extrême violence physique, mais à les resituer dans une dynamique historique et sociale pour tenter de les interpréter.

7 Très souvent pour ne pas dire trop souvent, le hooliganisme est en effet caractérisé par son expression finale : la violence physique ou la dégradation de biens et matériels. Cette violence peut être exercée soit entre groupes de supporters dans le stade, ce qui est plus rare aujourd’hui compte tenu du contrôle social mis en œuvre ; soit à l’encontre des forces de l’ordre ; soit encore contre des passants sans rapport apparent avec le football ou le supportérisme ; soit enfin elle conduit à la destruction de voitures, de vitrines, au « caillassage » de bus, à la détérioration de wagons etc. Mais cette catégorisation du hooliganisme construite à partir de ses productions ne nous renseigne en aucune façon sur la manière dont des individus, bien souvent ordinaires, en arrivent à commettre pareils méfaits. Ce n’est qu’un constat amenant à considérer les violences sous le seul angle du passage à l’acte ou de la transgression réprimée de normes établies, ce qui revient à limiter son acception à la définition sociologique du crime énoncée par Émile Durkheim [3]. C’est également dans l’enchaînement de faits plus ou moins dérisoires (vols d’insignes ou d’emblèmes, insultes et provocations…) qu’il faut aller chercher la genèse d’événements beaucoup plus dramatiques et inquiétants. Il faut prendre en compte la complexité du phénomène dans son ensemble. Les violences décrites précédemment ne sont en fait qu’un « accomplissement pratique [4] », aboutissement d’un long processus fait d’interactions sociales subtiles et complexes entre les différents acteurs du spectacle sportif (supporters, dirigeants, policiers, journalistes etc.), de rivalités sportives, provocations, vendettas, elles-mêmes reflets de constructions identitaires et culturelles. À la suite des travaux de Wesley Skogan [5], Sébastian Roché [6], Éric Debarbieux [7] dans d’autres domaines des conduites agonistiques, il n’est pas possible de considérer la violence des supporters sous le seul angle du hooliganisme qui dans sa version la plus abrupte, celle d’un supporter anglo-saxon poignardé au début de l’année 1998 dans une ruelle, semble être au sport ce que l’homicide volontaire et prémédité est au code pénal. Le moindre petit fait, les incivilités ont en effet des « effets de spirale » sur la violence ou la délinquance. La violence peut être également objective ou subjective [8]. Selon que l’on se place du point de vue de l’agresseur ou de la victime, du fort ou du faible, que l’on habite en Europe occidentale ou dans un pays en guerre, dans une cité sensible ou dans un quartier « chic », que l’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, la perception de la violence diffère. Ce que nous qualifions de violence, ou tout au moins ce qui est ressenti comme telle, dans nos sociétés occidentales modernes, n’a certainement pas la même signification en d’autres lieux et en d’autres temps. « La violence dans son exercice et dans sa perception est donc socialement, spatialement et temporellement contextualisée [9]. »

8 Très souvent également sont amalgamés des faits qui n’ont rien à voir avec le hooliganisme : le drame du Heysel est-il en définitive assimilable au sens strict du terme à du hooliganisme ? Ne doit-il pas plutôt, pour une partie importante au moins, être lu à travers le prisme de la négligence et de l’erreur humaine : défaut dans la sécurité passive (procédures d’accueil, de surveillance, d’évacuation, de ségrégation des publics, etc.) du stade qui conduira ultérieurement à la mise en place de directives européennes en la matière ? Cette confusion des genres est généralement entretenue et relayée par différents canaux d’informations. Il faut ainsi souligner la manière par laquelle les médias, pour répondre à l’urgence, faire du sensationnel et garantir une couverture événementielle qui assure de l’audience, associent parfois au hooliganisme des faits qui, partiellement ou en totalité, lui sont par nature étrangers. En témoigne la perception faussée des événements de Sheffield en 1989 (96 morts) ou plus récemment de l’Élis Park de Johannesburg en 2001, où 43 personnes trouvèrent la mort dans une bousculade à l’entrée du stade. Ces incidents relèvent en effet totalement de l’incompétence des services d’ordre ou du mercantilisme de certains dirigeants qui n’hésitent pas à vendre plus de places que n’en contiennent réellement les stades, comme ce fut le cas à Furiani (Bastia) le 5 mai 1992 où les tribunes montées hâtivement et trop remplies s’effondrèrent.

9 Le hooliganisme concerne essentiellement pour ne pas dire exclusivement le football et ce, quel que soit le pays ou le continent. Il existe bien quelques affrontements lors des matches de basket-ball en Grèce ou en Turquie et lors de rencontres de cricket en Inde, mais ces manifestations de violences restent cependant sporadiques.

10 Dès lors se dessine un certain nombre de questions. D’où vient le terme de hooliganisme ? La violence des foules sportives est-elle si neuve que nous le supposons ? À partir de quel moment parle-t-on de hooliganisme ? D’où viennent les représentations sociales en la matière ?

11 La Grande-Bretagne des années 1960 voit émerger de nouvelles formes de violences concomitantes aux matches de football. Des bagarres et des affrontements accompagnent pourtant les matches depuis la fin du 19e siècle. Mais les violences qui se donnent à voir dans ou aux abords immédiats des stades semblent moins spontanées. Elles ne trouvent pas nécessairement leur origine dans le jeu, le résultat du match, les incidents émanant du terrain (arbitrages, fautes, comportement du banc de touche ou des joueurs…) ni même dans la rivalité sportive induite par la compétition elle-même. Elles sont également parfois d’une rare violence et opposent un grand nombre d’individus. La violence n’est plus occasionnelle ou spontanée, en relation avec des résultats ou des événements selon le schéma frustration-agression, mais organisée, préméditée et très souvent groupale.

12 L’apparition de la notion de hooliganisme semblerait donc mettre en exergue tout à la fois un changement de comportement et de paradigme [10]. Pour rendre compte de ces événements et voulant réaliser un bon mot, un journaliste dénomme les spectateurs violents « hoolihan » – nom d’une famille irlandaise, décapitée sous le règne de la reine Victoria pour ses comportements antisociaux d’une extrême violence lors d’émeutes. Mais nul ne sait à quel moment, ni même pourquoi on passe de « hoolihan » à « hooligan ». Tout au plus peut-on supputer qu’il s’agit d’une coquille d’imprimerie, le g et le h se côtoyant sur les claviers anglo-saxons comme sur les claviers « Azerty » en France. Le terme s’impose donc comme nouvelle appellation générique : dénominateur singulier marquant l’émergence de comportements différents. Il sera employé dans l’Europe entière. Il faut cependant remarquer que les Anglo-Saxons ne l’utilisent pas et lui préfèrent le terme de « thugs » (voyous). Mais l’adoption de ce vocable n’est pas ici dénuée de sens puisqu’il comporte une connotation péjorative. Par le choix même de ce qualificatif les hooligans sont stigmatisés et considérés comme « anormaux ». Mis en marge et au ban de la société, ils sont assimilés par avance aux délinquants ordinaires et ce, quelle que soit l’origine de leur violence, ou de leur présence sur les fichiers « hooligans ».

13 Cette pluralité dans les termes adoptés et dans le sens qu’ils véhiculent, les projections différentes qu’ils supposent dans l’imaginaire social, ces variations perceptibles d’un pays ou d’une culture à l’autre, soulignent du même coup la difficulté à laquelle renvoie toute tentative de définition et de modélisation en matière de hooliganisme, sauf à en privilégier la forme la plus immédiatement visible. C’est donc sur la construction problématique d’une catégorie particulière d’acteurs, en référence à des attitudes nouvelles, repérables, que doit porter l’analyse autant que sur l’émergence et la force des représentations collectives qui lui donnent ses significations.

14 D’un point de vue historique, il importe de bien cerner d’emblée ce qui peut permettre de définir les traits propres d’un nouvel objet. C’est-à-dire comprendre en quoi violences collectives anciennes et modernes, sous couvert de généalogies troublantes, sont aussi susceptibles de se démarquer. Comprendre en quoi et comment se distingue à un moment relativement précis dans le temps une population particulière dont les agissements vont se singulariser, définissant un nouveau paradigme d’action dans le cadre précis du spectacle et de l’assistance aux compétitions sportives.

◦ La violence des foules dans l’histoire

15 Les comportements violents des foules sportives ne sont en effet guère nouveaux. Il ne s’agit pas bien entendu, en disant cela, d’inscrire le sport moderne dans la continuité des jeux anciens, considérant le sport comme éternel dans ses formes, fondements, expressions, valeurs et finalités, mais tout simplement d’observer qu’à d’autres époques, en d’autres lieux et pour d’autres épreuves, certains comportements collectifs présentent un grand nombre de points communs avec le hooliganisme contemporain. Ces manifestations nécessitent notamment la prise en compte de mesures sociales particulières, d’une troublante modernité : maintien de l’ordre, interdiction de stade, surveillance des accessoires autorisés dans les tribunes, etc.

16 Sans recourir à une historiographie complète en la matière, quelques exemples pris à différentes époques permettent de proposer une lecture privilégiant a priori les récurrences qui semblent structurer le rapport des foules au spectacle de la compétition et aux violences dont il est le creuset. Il reste certain que des travaux devront être ultérieurement conduits pour affiner le sens de ces comparaisons, cherchant en particulier à repérer, dans cette généalogie de modèles comportementaux, des ruptures significatives.

17 Une des premières traces se trouve dans les écrits de Tacite (Annales, 14.17) relatant la rixe de Pompéi en 59 après J.-C. Lors d’un spectacle de gladiateurs organisé par Livenius Regulus à Pompéi, les spectateurs des colonies de Nucérie et Pompéi en vinrent aux insultes, à des jets de pierres pour en finir avec les armes. Cet affrontement fit de nombreux morts et blessés au point que les Pompéiens furent interdits de manifestations sportives durant dix ans et les associations dissoutes. Jean-Paul Thuil-lier [11] note pour sa part qu’en plusieurs occasions un grand nombre de personnes moururent écrasées par la foule dans le grand cirque de Rome qui pouvait accueillir jusqu’à 150 000 spectateurs.

18 Au Moyen Âge, la soule est le théâtre de passions, de désordres et de rixes parmi les spectateurs au point que l’Église exerce et édicte des interdits sur ces jeux qui, selon elle, introduisent le désordre social [12]. Les tournois de chevalerie donnent à la même époque, en France, une image singulièrement moderne des violences attachées à leurs pratiques et à leurs spectacles : les jets d’objets les plus divers en direction des concurrents en lice ne sont pas rares et la loi n’aura de cesse d’interdire aux spectateurs d’assister aux affrontements courtois munis de leurs armes, de peur de voir les partisans des combattants prendre fait et cause pour leurs champions en descendant à leur tour sur l’aire des combats pour en découdre [13].

19 À l’autre bout de la chaîne sociale en matière de culture corporelle, le gouren, lutte traditionnelle bretonne, extrêmement populaire, est également le cadre de débordements collectifs. Cette pratique est aussi le théâtre d’un maintien de l’ordre particulier où se côtoient provocations festives et rappels à l’ordre musclés : les « officiels » sont équipés de poêles noircies au feu de bois et de fouets pour, selon les cas, marquer, frapper et séparer les spectateurs qui, excités par la tension du combat et ses enjeux, investissent l’aire protégée de la compétition [14].

20 Horst Bredkamp [15] décrit les mesures nécessaires au maintien de l’ordre parmi le public (séparations des spectateurs, interdiction d’envahissement du terrain, mesures de répressions, présence « policière » etc.) du Calcio fiorentino… qui se jouait à Florence entre le 16e et le 18e siècle ! À la fin du 18e siècle, lors des premières ascensions en ballon, les soulèvements populaires, quasi systématiques, donnent lieu à de furieux embrasements, au point qu’à Bordeaux, deux spectateurs à l’origine de ces désordres seront condamnés et pen-dus [16].

21 Enfin, plus près de nous mais pourtant à la fin du 19e siècle, N. L. Tranter [17] relate l’émeute de Cappielow qui se déroula le 8 avril 1899 lors de la demi-finale de coupe entre Greenock Morton et Port Glas-gow Athletic Club opposant 200 spectateurs. Il décrit la répression policière mais aussi l’évolution quantitative des violences dans le football anglo-saxon en cette fin de siècle. Tous ces faits sont d’une redoutable modernité et correspondent trait pour trait aux comportements hooligans modernes ainsi qu’au contrôle social mis en œuvre pour prévenir ces incidents ou rétablir « l’ordre public ».

22 Durant le 20e siècle et concernant le seul football, le journal L’Équipe (1997) a dénombré plus de 1 300 morts à travers le monde suite à des actes de hooliganisme. Il serait ainsi possible de poursuivre une longue litanie des incidents qui ont émaillé les jeux, les sports et le football en particulier.

23 Ce bref survol chronologique montre combien la violence, liée aux grands rassemblements collectifs dans lesquels entrent en jeu la dimension compétitive et le spectacle, semble être une donnée récurrente, quelles que soient ses formes : chahut, incivilités, violences symboliques, verbales, envahissements de terrains, rixes, émeutes, homicides, etc.

24 Certes, au-delà de ces ressemblances et du sentiment fugace de généalogie qu’introduit subrepticement l’impression de « déjà vu », doivent être réinterprétées et recontextualisées les violences produites par les spectateurs au fil des siècles, ne serait-ce qu’en fonction des seuils de tolérance et des modes de contrôle de ces violences dans le cadre des sociétés concernées. Il est loin d’être certain que les embrasements collectifs du passé soient porteurs de significations intangibles. La nature et le sens même des pratiques et de leurs spectacles, la place qu’elles occupent dans la vie sociale et culturelle, le profil des acteurs et celui des spectateurs, les occasions de la pratique et leurs inscriptions matérielles et symboliques dans le quotidien des hommes, constituent autant de variables à prendre en compte pour travailler, dans le champ de l’histoire, sur une durée relativement longue, à la construction d’un objet historique qui placerait en son centre le rapport des spectateurs « sportifs » à la violence. Si cette piste s’avère passionnante et prometteuse, tel n’est pas ici notre propos. A contrario, ces exemples montrent surtout que les violences liées aux spectacles de la compétition physique ne sont ni inédites, ni strictement réductibles à un phénomène actuel de société, fût-il celui du problème préoccupant de désorganisation sociale des banlieues et cités sensibles. Dès lors comment observer la genèse du hooliganisme contemporain ? Entre similitudes repérables dans la longue durée et discontinuités perceptibles dans la ressemblance, quels indices permettent a priori de tracer les frontières entre violences génériques des foules sportives et hooliganisme ?

25 Deux facteurs distinguent le hooliganisme des formes observables depuis l’Antiquité : la fréquence d’apparition des violences dans un sport précis, le football, et le fait que celles-ci soient circonscrites initialement dans un pays en particulier, la Grande-Bretagne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les travaux inhérents à ces problèmes sont essentiellement d’origine anglo-saxonne. Mais pourquoi ce sport et ce pays ont-ils été les premiers concernés ?

26 Sans doute les formes répétitives et préméditées de violences qui semblent caractériser le hooliganisme et le définir comme une figure spécifique de la modernité sportive, ne pouvaient émerger qu’en un temps et un lieu où, matériellement, s’offrait une possibilité inédite de conjuguer systématiquement aux pratiques et spectacles agonistiques réglés la concentration et la canalisation des participants, la fréquence et la régularité des rassemblements, la multiplicité et la diversité des vecteurs de communication qui assurent à la pratique comme à son spectacle l’amplification de ses succès et revers. Or, en inventant le sport moderne et en développant ses formes collectives à partir du milieu du 19e siècle [18], l’Angleterre réinscrit au cœur de la ville un espace normatif de la pratique physique : le stade. Cet espace réglé, standardisé, creuset du spectacle et de l’affrontement, s’oppose à la mouvance et à la labilité des aires de la compétition physique qui ont pu caractériser les époques précédentes. Parallèlement à la « sportivisation », la « stadification », c’est-à-dire « l’obligation de pratiquer un exercice physique compétitif dans un espace localisé, réglé, mesuré à cet effet [19] », s’empare ainsi progressivement d’un spectateur qu’elle va enfermer et régulièrement confronter à ses semblables. En 1930, Georges Duhamel évoque déjà outre Atlantique ce « stade que la foule occupe comme une forteresse conquise ». En observateur attentif, il note combien le spectacle sportif, loin de se limiter à ce qui se joue sur la pelouse, se situe aussi et surtout « sur les gradins, avec la foule [20] ». Pour Alain Ehrenberg, le stade est devenu dès le premier tiers du 20e siècle l’« organe de constitution de masses sportives […] le lieu d’un mélange incertain [21] ». Il est le centre de gravité d’une massification sportive par le spectacle. Une massification qui ne peut s’opérer que « sur les gradins » au nom d’un principe commun à la guerre, à la fête et à la levée en masse : le principe de « mobilisation [22] ». Le stade, mais également ses abords immédiats et sa périphérie, deviennent alors, parallèlement au spectacle sportif lui-même, des espaces de concurrence en termes de visibilité culturelle et sociale, donc d’affrontements symboliques et matériels. Affrontements qui vont déborder le seul spectacle sportif, sans le nier, pour créer corrélativement à la compétition une scène agonistique qui tend partiellement à s’autonomiser. Rien ne nous dit cependant pourquoi ce phénomène ne semble pas se diffuser en Europe et au-delà à la même vitesse que le jeu lui-même, son spectacle et ses succès. Cette remarque en entraîne deux autres : sans doute l’Angleterre présente-t-elle un certain nombre de caractéristiques qui déterminent une forme particulièrement stable et virulente du hooliganisme ; par ailleurs, la précocité et l’intensité de ce phénomène, dans sa version britannique, contribuent probablement à masquer partiellement sa diffusion hors du Royaume-Uni, concourant à nier d’autres formes de hooliganisme naissant en Europe. C’est donc à l’observation et l’analyse plus fine de ces mécanismes ainsi qu’aux travaux qu’ils ont suscités qu’il nous faut nous consacrer maintenant.

◦ L’émergence des phénomènes hooligans

27 La première période se situe à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Journalistes et chercheurs, sociologues pour la plupart, constatent l’augmentation de violences organisées, en dehors du stade mais également à l’intérieur de celui-ci. Ces violences se distinguent a priori clairement de ce que l’on connaissait auparavant et marquent « le passage d’une violence ritualisée et dionysiaque, relative à la logique du jeu et aux antagonismes qu’il suscite, à une violence préméditée [23] ». On était jusqu’alors habitué à des violences plus ou moins sporadiques qui trouvaient sens et origine dans l’ambiguïté de l’essence même du sport. N’est-il pas en effet, comme le suggère Bernard Jeu [24], ce qui rassemble les hommes pour mieux les opposer ? Du début du 20e siècle aux années 1960 les incidents trouvaient effectivement leur origine dans la perception plus ou moins partiale de l’arbitrage, du jeu mais aussi dans la rivalité sportive. Il s’agissait davantage de chauvinisme, de dépit ou de chahut dionysiaque propre à la culture des spectateurs habituels du football issus pour la plupart des classes populaires. Ces formes de violences subsistent d’ailleurs parfois dans d’autres sports comme le rugby. Mais les conflits qui se distinguent alors font apparaître, de plus, des oppositions sociales et culturelles. Le hooliganisme est à partir de cette époque défini comme une violence exercée délibérément, d’une manière organisée, structurée et préméditée se rapprochant ainsi de la définition du « crime organisé [25] ». Sans opérer un écart trop important entre réalité et fiction, il n’est pas inutile de rappeler que le contexte politique, culturel et social dans lequel l’Angleterre des années 1960 voit émerger ces nouveaux types de comportements, a fait l’objet de spéculations narratives remarquables dans lesquelles l’organisation de violences collectives, préméditées, attendues, se lit à la fois comme une fin et comme l’horizon culturel de nouveaux rapports sociaux. L’ultra-violence prêchée et cultivée par les très jeunes héros du roman d’Anthony Burgess, A clockwork orange, porté à l’écran en 1971 par Stanley Kubrick, n’est au fond que le reflet, certes romancé, voire fantasmé, mais culturellement symptomatique, d’une réalité sociale britannique qui se transforme. Le terme même de hooligan employé par l’auteur introduit précisément du relief dans un texte qui n’est pas spécifiquement consacré au football, établissant un lien troublant entre l’univers de la rue et celui du stade : « We daren’t go out much, streets being what they are. Young hooligans and so on[26]. » La violence, bien réelle cette fois, des hooligans, s’exprimant radicalement à la périphérie du match de football, ne le cède alors en rien aux affrontements formels et aux violences structurées des droogies décrits par Anthony Burgess. Toutefois, si la littérature peut éventuellement nous aider à mieux saisir un changement de paradigme, la spécificité des affrontements réglés entre supporters pose la question de leur ancrage dans la culture même du football. Ce qui les distingue de tout autre forme de violence organisée.

28 Cette appréhension de la question du hooliganisme externalise en effet les causes potentielles et pose d’emblée un certain nombre de problèmes. Tout d’abord en distinguant la violence spontanée de la violence préméditée, les chercheurs ont éliminé de leurs analyses les facteurs liés au jeu, aux résultats, ou encore à la consommation excessive d’alcool. Les hooligans arrêtés ne sont effectivement pas tous en état d’ébriété. Les comportements violents des spectateurs ne succèdent pas non plus nécessairement aux erreurs d’arbitrage, aux actions de jeu litigieuses ou même aux défaites. Les incidents ne sont donc pas réductibles à ceux de la foule fanatisée et alcoolique dépeinte par Jean-Marie Brohm [27]. Mais en se privant de l’analyse des enjeux sportifs, des incertitudes liées au résultat et des effets qui pourraient en résulter sur des supporters passionnément partisans, le hooliganisme est restreint à des facteurs socioéconomiques. René Thom, en vertu du « principe de la contagiosité des catastrophes », explique pourtant que « le paradigme de toute situation indéterminée est le conflit » [28]. La tendance des individus regardant un conflit, fût-il ritualisé sous forme de rencontre sportive, est l’identification à l’un des protagonistes. Tous s’identifient cependant préférentiellement au gagnant. En faisant un parallèle avec le théâtre, René Thom précise que « tant qu’il y a dans l’intrigue une situation réversible, on est dans le domaine du comique. […] Par contre, dès qu’apparaissent les issues irréversibles, le comique vire au tragique […] [29] ». Le passage du réversible à l’irréversible, du comique au tragique pourrait cependant expliquer en partie le recours à la violence des supporters. Le choix de cette définition induit donc totalement les analyses successives. En restreignant l’observation à la violence physique elles excluent de fait d’autres facteurs explicatifs qui sont aujourd’hui mis en exergue dans le domaine de la délinquance juvénile : la « tchatche », les joutes oratoires, la provocation, l’historicité des antagonismes qui précédent pourtant bien souvent les rixes et bagarres [30].

29 Peter Marsh [31] critique cette conception du hooliganisme qu’il considère comme trop réductrice. Pour lui, il n’est pas possible de se cantonner à la violence physique et d’éliminer les violences morales et symboliques, ce qui reviendrait à nier « l’aggro », mise en scène ritualisée de la violence destinée à impressionner l’adversaire. Paraître fort et dangereux, chercher à faire peur aux autres supplantent ainsi bien souvent le passage à l’acte qui ne se produit que lors de la transgression des règles tacites de « l’aggro » (attaquer une fille par exemple), ou suite à l’intervention des forces de l’ordre. Mais la frontière entre violences physiques, symboliques ou morales est parfois ténue. Elles ne représentent qu’un moment ou une étape dans les processus sociaux et « alimenteront, exacerberont ou renouvelleront en spirale d’autres expressions de violence [32] ».

30 Mais si l’on admet cependant que la violence des foules sportives a changé de nature, cela n’explique pas pour autant pourquoi elle semble avoir touché préférentiellement le football par rapport aux autres sports. La deuxième période de construction du hooliganisme correspond à la modification de la composition des publics. À partir des années 1950 le football anglo-saxon connaît un certain nombre de transformations. La première moitié du 20e siècle a vu l’Angleterre dominer les autres pays d’Europe. Ayant inventé ce sport, sa structuration, sa démocratisation et sa propagation y ont été plus rapides. Alain Corbin, évoquant le destin contrasté du football britannique, s’attache ainsi à éclairer historiquement les procédures par lesquelles « l’élaboration, la propagation et le transfert d’une activité sportive entrent dans la généalogie du loisir, puis du spectacle de masse, et interviennent dans la construction des identités individuelles et collectives [33] ». Alfred Wahl [34] note que l’école a joué un grand rôle dans sa diffusion au sein de toutes les couches de la population : 8 000 d’entre elles étaient inscrites au sein de l’English School F.-B. Association en 1948. Mais dans les années 1950, les clubs connaissent une baisse de fréquentation. La société se transforme. Avec la modernité les individus s’affranchissent progressivement des carcans sociaux amorcés avec la déchristianisation de la société à partir des années 1930. L’immédiat après-guerre est témoin d’une grande richesse économique. Les temps libres augmentent. Les gens tendent à profiter de cette insouciance retrouvée et ont soif de loisirs différents, nouveaux et multiples. C’est le début de la société de consommation plus individualiste et plus individualisée. Le sport n’est qu’un plaisir parmi d’autres : sorties, cinémas… Un certain nombre de pratiques sportives plus individuelles apparaissent comme le judo, d’autres se démocratisent, ne serait-ce qu’en raison du coût plus modique de la pratique. Le football n’est plus le seul spectacle communément abordable par la multitude. Les stades connaissent alors une baisse de fréquentation. Il n’est pas encore question à cette époque de droits de retransmission ou de sponsors tels qu’on les connaît aujourd’hui. Si les joueurs sont en partie professionnels ou restent parfois encore des « amateurs marrons », leur financement est assuré essentiellement par les recettes au guichet. Pour résoudre ce problème de désaffection du public, les Britanniques optent pour la spectacularisation du jeu à travers une professionnalisation des joueurs, une amélioration du confort des tribunes, en misant également sur une transformation des stades. Ils construisent de nouvelles tribunes, les « ends », équivalents de nos virages français, situés à l’extrémité des stades anglo-saxons qui sont pour la plupart de forme rectangulaire. La démocratisation du football, sa diffusion auprès de toutes les couches de la population et ces nouvelles places disponibles participent à l’émergence de publics différents, plus hétérogènes socialement, voire moins connaisseurs. Ces transformations bousculent l’espace social du stade ainsi que l’atmosphère festive et conviviale qui y était auparavant de mise. Le développement du football et sa mise en spectacle transforment les valeurs d’une activité qui jusqu’alors était considérée comme un sport de classe [35]. À la même époque le public du football subit une seconde transformation. Certains auteurs comme Christian Bromberger [36], en se basant sur l’étude minutieuse de documents photographiques, n’hésitent pas à parler de « juvénilisation du public ». Les raisons en sont multiples. Sportives tout d’abord car en favorisant la pratique de ce sport à l’école, il semble normal qu’à terme ces jeunes pratiquants deviennent d’ardents amateurs ou de passionnés spectateurs de football. Sociales ensuite car à cette époque correspond une profonde mutation de la société à travers notamment l’autonomisation de la jeunesse qui va s’octroyer progressivement des loisirs distincts des adultes. Economiques encore car en offrant des places bon marché dans les « ends » les clubs favoriseront le regroupement des jeunes dans ce que l’on appelait jusqu’alors les « populaires », en raison du prix, et par voie de conséquence des catégories sociales qui fréquentaient ces emplacements. Culturelles enfin car la Grande-Bretagne des années 1960 et suivantes voit l’émergence de cultures ou de « sous-cultures » adolescentes très souvent liées aux habitudes et consommations culturelles d’ordre musical : « rough », « teddy boys », « skinheads », « punks »…

31 Le football n’est dès lors plus une « consommation familiale », empreinte de retenue et sous contrôle parental. Les « ends » deviennent le territoire de jeunes qui progressivement se regroupent en fonction du club qu’ils soutiennent, de leur quartier d’origine mais aussi en fonction de leur sous-culture d’appartenance. Il suffirait de rappeler ici les affrontements devenus presque rituels par leur régularité, leur préméditation et leur violences entre « mods » et « rockers » ou « teddy boys », sur les plages de Brighton, dans les années 1960, ou entre « punks » et « skinheads » dans la décennie suivante, pour comprendre la force, le poids et la pérennité d’antagonismes transposés et réactivés dans l’espace sous-culturellement sectorisé du stade.

32 Les jeunes vont ainsi en se regroupant former des communautés distinctes avec leur identité, leurs rites, emblèmes, symboles, solidarités, signes de reconnaissances et codes vestimentaires qui serviront de fondement à la construction des groupes de supporters. Ils vont également importer dans le stade des idéologies politiques et xénophobes (teddy-boys, skinheads) et les gangs de combat (skinheads, rough). L’esprit festif qui accompagnait jusqu’alors les rencontres sportives laisse place à des rivalités sportives doublées d’antagonismes sociaux et culturels. La création de cette nouvelle forme de soutien à l’équipe plus active, plus engagée et plus inconditionnelle, à travers des sous-cultures distinctes, favorise l’émergence du hooliganisme. Les envahissements de terrain et bagarres entre supporters se multiplient. Le hooliganisme conçu comme la dérive des sous-cultures adolescentes importées dans les stades est commun à de nombreux travaux : notamment Norbert Elias et Eric Dunning [37], Ian Taylor [38], Manfred Zimmerman [39], Patrick Mignon [40]. Dès 1968 Lord Harrington met en évidence que les hooligans arrêtés sont d’authentiques supporters, érudits et jeunes : âgés de moins de 21 ans, ils possèdent une profonde connaissance du football, de leur club, des joueurs, de la technique, et arborent fréquemment les insignes distinctifs de leurs groupes respectifs. Cette étude aurait alors dû trancher un débat qui perdure toujours aujourd’hui aussi bien en Grande-Bretagne qu’en France : le hooliganisme est bien le fait d’authentiques supporters et non d’éléments extérieurs au football qui viendraient commettre leurs méfaits dans le stade. Les raisons qui expliquent cette persistance à masquer l’origine véritable des hooligans sont multiples et simples. Il s’agit d’abord pour le football de garder une image de sport propre [41] mais également de s’affranchir de toute responsabilité morale, concernant le fait d’avoir suscité la venue d’un nouveau public et de l’avoir laissé sciemment ou non commettre des délits. Il s’agit enfin, au regard de la loi, de se dégager de toute responsabilité juridique et/ou financière liée aux infractions commises.

33 La politique de séparation des supporters par l’installation de grillages dans les stades aura, contrairement à son objectif de prévention, un effet de levier sur les violences. Le morcellement des ends, la ségrégation des différents groupes favorisent la territorialisation des tribunes, leur mise en spectacle et la concurrence intergroupes. Chaque groupe, dans un désir de se distinguer, de s’opposer, d’afficher sa supériorité, d’être vu et reconnu, pour venger la défaite ou prolonger la victoire, cherche à conquérir les ends adverses. S’amorcent alors des processus « d’acculturation antagoniste [42] » dans lesquels la violence est un moyen parmi d’autres de construction identitaire. Progressivement néanmoins, comme le soulignent Norbert Elias et Eric Dunning, la mise en place d’un périmètre de sécurité autour des stades, associé à cette politique d’engrillagement, réduit les violences à l’intérieur des enceintes sportives sans pour autant les faire disparaître :

34

« La conséquence de la politique officielle qui consiste à séparer les supporters rivaux – politique qui fut introduite dans les années 60 afin d’empêcher le hooliganisme, mais qui semble avoir plutôt encouragé la solidarité des “camps” et repoussé le phénomène en dehors du terrain de jeu –, les pugilats généralisés sur les gradins devinrent relativement rares dans les années 70 et au début des années 80 [43]. »

35 Pour Philippe Broussard [44] le supportérisme actif et structuré qui émerge dans le football anglo-saxon dans les années 1960 se distingue cependant nettement du supportérisme ultra qui compose les virages italiens ou français. Alors que les Ultras mettent en place des tifos (spectacles et chorégraphies bigarrées et colorées) à l’aide de bâches, papiers multicolores formant l’effigie du club ou rappelant celui de leur communauté d’appartenance, les supporters anglais n’arborent bien souvent que des écharpes ou des insignes mais apportent un soutien permanent durant le match à l’aide de chants incessants et de slogans provocateurs.

◦ Les problèmes sociaux catalyseurs du hooliganisme

36 La troisième période dans l’évolution du hooliganisme correspond pour un grand nombre de chercheurs comme Ian Taylor [45], John Clarcke [46], Norbert Elias et Eric Dunning [47], à l’effondrement socio-économique de la Grande Bretagne dans les années 1970 à 1980. Les gouvernements travaillistes successifs (Harold Wilson, de 1964 à 1970 puis de 1974 à 1976 et James Callaghan, de 1976 à 1980) n’arrivent pas à juguler l’inflation et le chômage. La Grande-Bretagne est au bord de la banqueroute. Au début des années 1970, 14 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, chiffre jamais atteint par la France qui a vu son taux de pauvreté se stabiliser aux alentours de 10 % dans les années 1990. L’inflation atteint 25 % au milieu des années 1970 et le taux de chômage passe de 3,8 % en 1972 à 11,5 % en 1983. Le secteur industriel perd à lui seul 3 millions d’emplois entre 1966 et 1986 dans les pays anglo-saxons alors que ce chiffre n’est atteint en France, sur la totalité des secteurs économiques, qu’en 1993.

37 Cet effondrement économique provoque l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir et l’instauration d’une politique dite de « rigueur et d’austérité », les dénationalisations et le développement d’un libéralisme économique strict. Les choix politiques de l’époque sont clairs : il s’agit de redresser l’économie fût-ce au détriment des classes populaires et des catégories sociales défavorisées. Le slogan punk « No future » des années 1976-1978 et les textes engagés des groupes phares de cette période comme le « London calling » des Clash (1979) rendent mieux compte que tout discours de l’état d’esprit dans lequel la jeunesse, en particulier celle des classes modestes, aborde les « années de fer ». Une image simple peut résumer les conditions de vie de la classe ouvrière anglo-saxonne de l’époque : la grève des mineurs dure un an avant d’être dispersée et réprimée violemment par le gouvernement conservateur. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de la déstructuration économique de ce pays et de la fracture sociale qui s’y installe. D’autres images, celles des films du cinéaste Ken Loach par exemple, permettent aujourd’hui de mesurer la profondeur du sillon laissé par cette politique d’austérité dont les premières victimes furent naturellement les laissés-pour-compte de la Grande-Bretagne. Les mesures économiques et sociales prises à l’encontre de la classe ouvrière ont catalysé le développement du hooliganisme : « La brutalité du projet thatchérien de l’effacer culturellement, et politiquement, sont des facteurs puissants qui permettent de rendre compte de l’autonomisation du fait supporter et des stratégies de visibilité sociale adoptées par les hooligans [48]. »

38 Le hooliganisme participe cependant moins de la lutte des classes que d’un mécanisme de survie et de reconnaissance sociale. Les violences coexistent mais ne sont pas concomitantes aux émeutes urbaines. Les hooligans ne revendiquent pas ouvertement leur appartenance sociale ou la défense de la classe populaire. Mais le hooliganisme est, comme le montrent les travaux de Lewis Coser [49], un signal de danger adressé à la communauté et une mise en évidence du dysfonctionnement social profond de la société anglo-saxonne. C’est là un malaise profond dont, ici encore, le domaine culturel, en particulier littéraire, rend particulièrement bien compte. Les hooligans, héros des romans de John King, auteur d’une remarquable trilogie consacrée au ballon rond et lui-même supporter de l’équipe de Chelsea, semblent traduire en actes une forme de désarroi existentiel confusément alimenté par le refus des inégalités, du chômage, par le racisme ambiant, la perte de pouvoir des syndicats et l’impossibilité de défendre ses droits : « Tu bouffes, tu dors, tu chies et tu pisses, tu te prends une branlée à l’occasion. C’est quoi cette vie-là ? Autant crever [50]. »

39 Ce type de violence, tout comme les émeutes urbaines, « témoigne d’abord de l’épuisement des modalités de traitement politique et institutionnel des demandes sociales [51] ». Le football est instrumentalisé et devient l’expression de l’errance socio-économique des jeunes exclus de la société. À partir d’études socio-anthropologiques, Ian Taylor [52] et John Clarcke [53] décrivent la constitution des groupes de supporters, monde complexe où se fabrique du lien social. Alors que la société semble en déliquescence, les groupes de supporters apportent réconfort, soutien et solidarité. Ces groupes se cristallisent à travers l’exclusion mais aussi contre l’autre, l’étranger, celui qui prend le travail des nationaux. Certains groupes (à dominante skinhead ou d’extrême droite) n’hésitent plus à afficher leur idéologie et des slogans racistes. Ils attirent dans leurs rangs de plus en plus de jeunes en révolte, sans repères et sans avenir, n’espérant plus obtenir ou retrouver une quelconque position sociale. Pour Michel Wieviorka [54], le racisme n’est pas un refus de la modernité, mais une peur d’en être exclu et de ne plus trouver place et rang dans la société. Le racisme n’est pas une sorte « d’état de nature » mais la situation sociale et leur proximité socioéconomique avec les populations immigrées les obligent à trouver « une victime émissaire [55] ». Le hooliganisme est pour eux une « manière d’être et de paraître, de sortir de la masse, de cultiver leur différence [56] ». Le supportérisme et la violence leur permettent de sortir d’un quotidien misérable et sordide. Ils représentent une échappatoire au quotidien le plus fade et donnent socle et sens à un avenir sans issue. Certains groupes se structurent en équipes de combat (fighting crews) : l’ICF (Inter city Firm de West Ham), Main Firm de Cambridge etc. La compétition sportive se double d’une compétition entre groupes : il faut paraître pour exister. La violence est médiatisée et exacerbe la reconnaissance sociale. Crânes rasés, Doc Martens et Bombers, l’image du supporter fanatique et désœuvré, affichant une idéologie d’extrême droite, prend forme. L’ICF sera l’un des groupes les plus représentatifs et les plus violents allant jusqu’à poignarder en 1982 un supporter d’Arsenal à la sortie d’un métro en laissant sur lui une carte où était inscrit : « Félicitations vous venez de rencontrer l’ICF. » Mais il n’est pas anormal de trouver parmi les clubs de supporters, et par voie de conséquence parmi les hooligans, des ouvriers et de jeunes exclus. Le football appartient et est assimilé à la culture populaire et ouvrière dont il exalte les valeurs : effort, engagement physique, solidarité, virilité, organisation, soumission à la discipline collective et esprit de corps. Il fait partie de ces passions ordinaires ouvertes à tous et dans lesquelles beaucoup se reconnaissent. Car le football et ses joueurs incarnent l’idéal démocratique selon lequel « n’importe qui peut devenir quelqu’un ».

40 Mais dans l’Angleterre thatchérienne, le fossé se creuse chaque jour davantage entre les joueurs, de plus en plus riches et inabordables, et les supporters, souvent exclus et sans devenir. Ian Taylor et plus tard John Clarcke voient ainsi dans « l’embourgeoisement du football » et dans la distanciation des relations public/ joueurs de cette époque des raisons supplémentaires du passage à la violence. Certains parleront de « combat de préservation ». Pour Alfred Wahl, cette évolution était perceptible depuis quelque temps déjà : « Des signes annonciateurs de régression apparaissent en Europe. La chaleur qui entourait la pratique originelle a disparu. La proximité des joueurs et des supporters relève maintenant du souvenir ; ces derniers ne reconnaissent plus le joueur comme l’un des leurs qui a réussi [57]. » Pour certains supporters le hooliganisme est alors un moyen, abominable et effrayant peut-être, mais un moyen parmi d’autres et comme un autre, de donner un sens à leur existence, d’obtenir une visibilité sociale et transformer ainsi l’exclusion en reconnaissance et l’échec en réussite : « Ils représentent le refus de l’embourgeoisement de la classe ouvrière, la défense des principes rough… Par leur style (les skinheads) ils revendiquent une masculinité violente, l’esprit de loyauté… ils sont racistes… ils vont donner le style des ends car leur dureté systématique est un idéal partagé par beaucoup [58]. »

41 Par la violence ils acquièrent un statut sublimé qui se substitue à leur statut réel leur octroyant une identité valorisée et valorisante qui leur fait défaut ou qui leur est déniée dans la vie quotidienne.

◦ L’approche culturaliste, le hooliganisme phénomène de classe

42 La quatrième période est marquée par les travaux de Norbert Elias et Eric Dunning qui viennent prolonger, à travers le champ sportif, l’œuvre principale de Norbert Elias sur le processus de civilisation des sociétés occidentales [59]. Pour Norbert Elias les sociétés se sont construites d’une part autour de l’établissement de normes de civilité et, d’autre part, autour de la question du contrôle de la violence, par l’État (curialisation des guerriers, monopolisation de la violence) mais également par les individus eux-mêmes qui intègrent progressivement des processus d’autocontrôle des pulsions. Le sport est un moyen parmi d’autres de contrôler la violence dans ou par la société car il offre tout à la fois un « espace toléré de débridement des émotions » où joueurs et spectateurs (au sens générique du terme) peuvent laisser libre cours à leurs émotions mais il est aussi un espace normatif de sociabilité favorisant l’apprentissage des règles et le contrôle de ses émotions. Norbert Elias et Eric Dunning investissent donc le problème du hooliganisme par une question simple : comment le sport moderne créé, entre autres, pour favoriser le contrôle de la violence, peut-il engendrer dans le football cette violence ?

43 À la suite des travaux précédents, Norbert Elias et Eric Dunning observent que la plupart des hooligans sont bien membres de la « rough working class », la classe ouvrière la plus basse et plus précisément des milieux les plus défavorisés de ce groupe social : « Au bas de l’échelle sociale… le fossé s’élargissait entre elles et les couches ouvrières inférieures de plus en plus appauvries… Or, ce sont ces groupes de la classe ouvrière dure – et leur nombre semble avoir augmenté avec la crise actuelle – qui tendent le plus à se comporter selon les modèles formés par ce que Wayne Suttles appelle la segmentation ordonnée [60]. Ces adolescents et ces jeunes adultes… constituent un noyau majoritaire parmi les groupes qui s’engagent dans les formes les plus sérieuses du hooliganisme [61]. »

44 Mais il n’est cependant pas possible pour eux de généraliser et d’assimiler le hooliganisme à une classe sociale comme un allant de soi : « Avant de comprendre pourquoi ce lien existe, il faut passer du statut à l’expérience [62]. » Tout d’abord, si la majeure partie des hooligans semble bien issue des classes sociales défavorisées, à l’inverse toutes les personnes en situation de précarité sociale, venant au match de football, ne deviennent pas obligatoirement hooligans ou délinquants. Ensuite, même s’ils ne s’intéressent pas réellement à cette question précise, tous les hooligans arrêtés ne sont pas membres de la « rough working class ». Enfin, pour Norbert Elias et Eric Dunning, ce n’est pas l’appartenance à la classe ouvrière qui est en cause mais le fonctionnement social de celle-ci, ses formes de socialisation et de sociabilité. Si la violence est le fait de la « rough working class » c’est que ses membres seraient moins avancés dans le processus de civilisation.

45 Dans les travaux de Norbert Elias un aspect essentiel du procès de civilisation repose sur un changement du schéma du lien social comparable à ce qu’Émile Durkheim [63] décrit comme le passage d’une solidarité mécanique à une solidarité organique. Pour analyser cet aspect du processus, Norbert Elias emploie les termes de lien segmentaire et de lien fonctionnel. La « rough working class » se caractériserait par un fonctionnement social sous la forme du lien segmentaire. La violence y est un mode traditionnel de résolution des conflits. Elle est donc pour Norbert Elias et Eric Dunning un aspect prégnant et une partie irréductible du fonctionnement social de ces groupes. En se comportant de manière violente lors des rencontres de football, ils ne font que reproduire des comportements normaux et auxquels ils sont habitués : « Chez ces groupes caractérisés par des liens segmentaires, les normes de l’affrontement sont analogues aux systèmes de vendetta que l’on observe encore dans maints pays méditerranéens [64]… »

46 Pour Norbert Elias et Eric Dunning, quatre observations confirment ce fonctionnement social :

47

« 1. le fait que les groupes concernés semblent aimer autant – sinon plus – s’affronter les uns aux autres que regarder le match…
2. le fait que tous les membres des groupes rivaux ou presque semblent venir d’une même couche sociale, c’est-à-dire des fractions dites dures de la classe ouvrière. Il faut donc voir dans leurs affrontements des conflits intra-classe et non inter-classe…
3. le fait que les affrontements de ces groupes prennent la forme d’une vendetta… Les individus et les groupes sont agressés simplement parce qu’ils arborent l’insigne d’appartenance à un groupe rival. De même les dissensions de longue date entre les groupes rivaux de supporters hooligans, qui persistent malgré le renouvellement de leurs membres, indiquent la très forte identification des hooligans avec les groupes auxquels ils appartiennent.
4. la remarquable conformité et uniformité dans l’action qui se manifeste à travers les chansons et les slogans des hooligans, dont un thème récurrent consiste à exalter l’image masculine du groupe – dans le groupe –, tout en dénigrant et émasculant le groupe “hors du groupe” [65]. »

48 La composition sexuée des groupes, les normes de masculinité agressive communément admises, la domination sexuelle, le fonctionnement sous forme de bandes intégrées depuis la plus jeune enfance, les systèmes complexes d’alliances, qualifiés par Norbert Elias et Eric Dunning de « syndrome bédouin [66] », la consommation d’alcool facilitent le recours à la violence : « Dans ces groupes segmentaires, les sentiments intenses d’affection au sein du groupe “dans-le-groupe” et d’hostilité en-vers les groupes “hors-du-groupe” sont tels que la rivalité est virtuellement inévitable lorsque leurs membres se rencontrent. À cause de leurs normes de masculinité agressive et parce qu’ils sont relativement incapables de s’autocontrôler, le conflit qui les oppose débouche facilement sur l’affrontement [67]. »

49 Cette approche appelle quelques commentaires. Elle renvoie tout d’abord à la difficulté de définir ce qu’est une norme et par voie de conséquence un comportement déviant. Le déviant est-il celui qui contourne les normes établies par une partie de la population pour assurer l’harmonie dans les relations au sein d’une communauté et la cohésion sociale ? Ou bien comme Howard Samuel Becker [68] doit-on le considérer comme un jugement qui est rendu par certains sur des comportements considérés comme anormaux car minoritaires ou marginaux ? Les sociétés modernes tendent à devenir pour Elias des « espaces sociaux pacifiés ». En étant de moins en moins confronté à la violence, chacun en a aujourd’hui de plus en plus peur. Alors que les conflits se règlent à présent essentiellement d’une manière consensuelle, notre seuil de tolérance à la violence a considérablement diminué. Toute idée de violence semble aujourd’hui insoutenable. Les bagarres de supporters inquiètent car elles ne sont plus en cette fin de 20e ou au début du 21e considérées comme normales. Elles sont perçues comme un danger par la population qui voit dans ces comportements une montée de l’insécurité. Mais est-ce réellement le cas ? Le second problème est celui de considérer la violence comme étant le fait de personnes « moins civilisées » ou moins avancées dans le processus de civilisation :

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« En énonçant, par exemple, que “parce qu’il leur est difficile de trouver un sens, un statut et une gratification et de se constituer des identités satisfaisantes dans les domaines de l’école et du travail, les mâles des fractions “dures” de la classe ouvrière adoptent des formes de comportement particulières : intimidation physique, échanges de coups, consommation excessive d’alcool, relations sexuelles fondées sur l’exploitation de l’autre [69]”, il semble légitime de s’interroger sur une assertion qui, si elle ne dénote pas un profond mépris pour la classe ouvrière, généralise cependant de manière exagérée le fonctionnement social et affectif de celle-ci. À moins que cela ne mette en évidence, dans le domaine précisé, voire limité, du hooliganisme, une théorie qu’un certain nombre d’auteurs, comme Ian Taylor [70], John Williams [71], ou encore John Hargreaves [72], n’ont pas hésité à dénoncer et à critiquer comme entachée d’un évolutionnisme latent. La qualification de théorie “évolutionniste” est peut-être néanmoins exagérée. La sociologie figurationnelle de Norbert Elias, qui s’articule autour de la théorie centrale des “procès de civilisation” en établissant un équilibre entre l’idéographique et le nomothétique, s’est essentiellement attachée à décrire l’élaboration, l’apprentissage et l’affinement des conduites et des normes comportementales socialement acceptables qui ont conduit à la formation des sociétés occidentales entre le Moyen Âge et le vingtième siècle [73]. »

◦ Les médias et l’extension du hooliganisme

51 Si les études anglo-saxonnes ont apporté un certain nombre d’interprétations tantôt divergentes ou concordantes, en fonction du choix des terrains et des approches scientifiques, le drame du Heysel favorise pour sa part l’extension du phénomène à l’Europe entière et contribue largement à construire les représentations collectives en matière de hooliganisme.

52 En mai 1985 Liverpool (déjà vainqueur de l’édition 1984) et la Juventus de Turin (qui remportera ce match) jouent la finale de la coupe d’Europe des clubs champions au stade du Heysel à Bruxelles. Si les supporters de Liverpool ne font pas partie des plus dangereux d’Angleterre, ils sont néanmoins précédés d’une réputation sulfureuse. Ainsi pour ne prendre que quelques exemples parmi de nombreux autres incidents : en mars de la même année de violentes bagarres les avaient opposés aux supporters de l’Austria de Vienne ; en juin 1984 lors du match AS Roma-Liverpool les affrontements avec les Ultras italiens avaient fait une quarantaine de blessés et provoqué l’arrestation d’une cinquantaine de supporters. Tout ceci vient s’ajouter aux diverses exactions commises, dans les mois et les années précédents, par les supporters des autres clubs anglo-saxons et ceux de l’équipe d’Angleterre. Le service d’ordre était nombreux et avait reçu des consignes de fermeté. Les supporters des deux équipes ont été introduits très tôt dans le stade, séparés seulement par un grillage. Attente, provocations, insultes, tentatives d’intimidation, alcool, jets de « canettes », panique morale, quelques supporters anglais réussissent à s’introduire dans le « bloc Z » réservé à la « Juve », et chargent. Les policiers débordés laissent passer. Les supporters italiens des derniers rangs, affolés, se mettent à descendre de leurs gradins, écrasant contre le grillage inférieur leurs congénères qui ne savaient pas ce qui se passait au-dessus d’eux. La sécurité du stade a attendu durant de longues minutes l’ordre de déverrouiller les grillages en bas de la tribune. Cela aurait pourtant permis aux supporters d’échapper à l’écrasement. Il n’y a pas eu affrontement dur direct mais un défaut dans la sécurité passive du stade malgré la présence de 2 290 policiers ! Défaut qui sera réparé le 19 août 1985 par la mise en place d’une convention européenne « sur la violence et les débordements des spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matches de football ». Il s’agit bien d’un effort rétroactif de prévention d’un phénomène pourtant prévisible, d’une « campagne périodique » (Howard Becker) visant à instaurer des normes et un contrôle social afin de rassurer la population. La commission d’enquête montrera également que des billets ont été vendus « à n’importe qui » au mépris total des règles élémentaires de sécurité.

53 Quoiqu’il en soit, dans l’urgence médiatique des événements qui se sont joués au Heysel, les journalistes, en répétant en boucle les interprétations concernant le hooliganisme anglo-saxon, ont contribué très largement à la fabrication des représentations collectives en la matière : le hooligan est devenu définitivement un Anglais, jeune, mal inséré socialement, délinquant dans la vie ordinaire et imbibé d’alcool. À aucun moment on ne s’est interrogé sur les antagonismes entre ces deux groupes ni on ne s’est demandé si les supporters de Liverpool étaient bien à l’origine de l’animosité et de cet événement tragique.

54 À l’instar de Ryszard Kapuscinski [74], on peut effectivement se demander si les médias reflètent bien la réalité ou si, devenue une marchandise, l’information se soucie vraiment de la vérité : l’essentiel est peut-être tout simplement de vendre. Le hooliganisme vient de perdre définitivement son insularité car en commentant, en reformulant, en repassant incessamment les mêmes images dans la plus pure tradition journalistique du « poids des mots et du choc des photos », les médias ont donné une visibilité sans précédent aux supporters et hooligans. Auparavant ils soutenaient leur équipe, le hooliganisme étant la forme ultime, dérive extrême du supportérisme jusqu’au-boutiste, dorénavant ils seront de plus connus et reconnus, leurs actes seront authentifiés.

55 La médiatisation du Heysel accélère donc l’extension du phénomène au niveau européen. Accélère seulement car le hooliganisme existait dans le reste de l’Europe bien avant, le passage des supporters anglais dans les autres pays ayant déjà servi, par mimétisme, de détonateur aux exactions dans les années 1975 à 1980. On peut s’étonner d’ailleurs du silence des journalistes à ce sujet tout comme de celui des instances nationales ou internationales du football. Des événements hooligans émaillaient déjà les rencontres du Paris-Saint-Germain depuis 1979 [75], de Marseille, Strasbourg, Nantes depuis 1980. Le football belge rencontrait également les mêmes problèmes depuis les années 1980 [76]. Philippe Broussard dans sa minutieuse « enquête sur les Ultras du football » européens relève des affrontements dans tous les pays d’Europe sans exception à partir de cette même période. Le hooliganisme n’était donc pas seulement anglo-saxon.

56 Mais en dehors des difficultés socioéconomiques plus précoces en Grande-Bretagne que dans les autres nations européennes, on peut se demander pourquoi ce pays a été davantage touché ou concerné par cette forme de violence. La raison est très simple, et commune d’ailleurs au hooliganisme très violent qui sévit en Belgique ou au Pays-Bas : la proximité spatiale des clubs. En 1996, pas moins de 11 clubs évoluaient en 1re ou 2e division du football anglais dans la seule ville et banlieue de Londres. La superficie de l’Angleterre ne représente que le quart de celle de la France, la Belgique et les Pays-Bas sont deux pays plus petits que la seule région Aquitaine. Les comportements agonistiques, au sens éthologique du terme, s’inscrivent bien souvent dans des rivalités sportives qui, en se conjuguant avec des antagonismes locaux et territoriaux, s’ancrent « dans des histoires singulières de villes, de pays, de classes et de crise [77] ».

57 Cependant le rôle des médias dans l’extension du hooliganisme ne s’arrête pas à l’hypermédiatisation d’un événement traité dans l’urgence. Pour combattre le hooliganisme, les journalistes anglo-saxons créent la thugs league (ligue des voyous). L’objectif, honorable en soi, de combattre les groupes hooligans en les stigmatisant, est utilisé par ces jeunes supporters en quête de visibilité sociale. Être premier de la thugs league devient progressivement l’objectif prioritaire de chacun des groupes. Cet « effet pervers [78] » catalyse la concurrence et les violences intergroupes. Il en est d’ailleurs de même en France avec la création de Sup’Mag (Supporter Magazine), magazine créé à l’origine pour parler des supporters, faire connaître et valoriser leurs tifos et qui instaure progressivement une animosité et une concurrence à travers un classement officiel des meilleurs supporters. Cette revue extrêmise peu à peu son contenu vers un supportérisme plus dur et un grand nombre d’articles consacrés aux hooligans. Ainsi « les terrains de football furent de plus en plus “vendus” comme des lieux où l’on assistait régulièrement non seulement à des matchs de football, mais, aussi à des affrontements ou “aggro”. Cette image attira les jeunes mâles des fractions “dures” de la classe ouvrière […] [79]. »

58 Si les médias ne sont pas la cause du hooliganisme, ils en sont néanmoins un élément amplificateur, multiplicateur et catalyseur. Ils ont amplement contribué à sa promotion.

59 Avec l’extension du hooliganisme à l’Europe entière on assiste à une diversification des études au niveau européen bien qu’un certain nombre de chercheurs abordant ces questions enseignent dans les universités anglo-saxonnes. Deux approches très distinctes se mettent en place : d’une part des travaux, essentiellement français, qui ne s’intéressent qu’au fait supporter considérant dès lors le hooliganisme comme un phénomène marginal [80] et, d’autre part, des approches ciblées visant à comprendre et interpréter les hooliganismes nationaux ou locaux à travers le fonctionnement interne des groupes de supporters, considérant pour leur part le hooliganisme comme une partie intégrale de l’activité de supporter [81]. Deux auteurs sont en marge de ces approches : Patrick Mignon qui effectue une approche comparative du hooliganisme en Grande-Bretagne et en France [82] ainsi que sur l’Europe [83] et Manu Comeron [84] qui à partir de 1992 s’applique à instaurer le fan-coaching (encadrement des supporters) en Belgique et à en mesurer les retombées en matière de diminution des violences.

60 D’origine anglaise, le fan-coaching consiste d’une part en la présence dissuasive et la surveillance des supporters dans le stade dans le but de prévenir les violences (c’est le rôle des stadiers en France) et d’autre part, en un travail de prévention en amont des matches en organisant diverses activités pour les jeunes fans (rencontres sportives, voyages). Cette partie du travail est assimilable à celui des éducateurs de rue. En France seul le PSG – mais c’est aussi le club qui connaît le hooliganisme le plus important – a instauré une réelle politique de fan-coaching, les autres clubs se contentant de mettre en place des stadiers.

61 Ces divers travaux interrogent les processus d’apprentissage de la violence par mimétisme, conformité aux normes des groupes, recherche d’un statut au sein du groupe, concurrence entre groupes, faisant du hooliganisme une sous-culture du supportérisme. Kris Van Limbergen [85] continue cependant à travailler sur la question de l’exclusion sociale des hooligans belges et introduit la notion de « vulnérabilité sociétale ». Les dossiers judiciaires des membres des noyaux durs des sides (équivalent des virages en France) belges font statistiquement apparaître des problèmes dans la structure familiale et sociale : 40 % d’entre eux ont connu une scolarité courte ; 16 % seulement de ceux en âge scolaire se rendent régulièrement en cours ; très souvent en situation sociale et matérielle précaire, ils sont opposés aux valeurs « bourgeoises » traditionnelles (politesse, discipline, respect des lois…) ; 75 % d’entre eux sont répertoriés depuis leur plus jeune âge par les services de police pour des affaires de délinquance.

62 Quelles que soient les approches retenues, ces différents auteurs mettent en évidence deux points communs : le hooliganisme est bien le fait de supporters et non d’individus extérieurs au football. Les hooligans appartiennent tous à des groupes structurés. En reprenant la métaphore relative à la consommation de drogue on peut ainsi affirmer que si 100 % des supporters ne deviendront pas hooligans, 100 % des hooligans sont bien quant à eux d’authentiques supporters. Le hooliganisme est effectivement, comme le suggère Alain Ehrenberg, la « dérive extrême du supportérisme » : « Plus précisément, ce qui distingue l’hooliganisme par rapport à la tradition du soutien, c’est le déplacement vers les gradins : tandis qu’un match se déroule sur le terrain, deux équipes de supporters entrent dans une compétition physique parallèle… Le comportement des hooligans s’appuie donc sur des traditions culturelles et sportives qu’ils dépassent en les transformant. Leurs violences cherchent à déplacer les pôles de la visibilité du terrain vers les gradins [86]. »

63 Le hooliganisme est par voie de conséquence le fait d’un nombre limité de supporters : le noyau dur du groupe, composé essentiellement des leaders et des individus présents à tous les matches de championnat que ce soit à domicile ou en déplacement. Leur nombre varie entre une dizaine et 200 à 300 membres comme chez les South Winners marseillais. Le terme de noyau dur n’est pas comparable dans sa définition à celui utilisé dans les études sur la délinquance juvénile. Mais le résultat est identique. À l’image des travaux de Sébastian Roché [87] et Éric Debarbieux [88] on peut effectivement constater que 50 % du hooliganisme sont le fait d’un « noyau suractif » de 5 % d’individus [89]. Il est, en fait, très difficile de dissocier le hooliganisme des études concernant la violence urbaine (ou des cités selon la terminologie employée), la délinquance des mineurs, ou encore la violence à l’école car les publics concernés sont, en majorité du moins, les mêmes. Ils ont souvent un profil sociodémographique commun.

64 L’après Heysel se caractérise également par une évolution structurelle du hooliganisme. Le contrôle social mis en place (conventions européennes, lois et décrets nationaux, périmètre de sécurité autour des stades, mesures de palpation, vidéosurveillance etc.) a provoqué l’émergence d’une nouvelle forme de hooligans : les « casuals[90] », supporters violents ne portant plus aucun signe distinctif de leur groupe d’appartenance. Le filtrage à l’entrée du périmètre de sécurité ou du stade par les forces de l’ordre [91] ou les stadiers ressemble au travail des physionomistes des boîtes de nuit ou au « délit de sale gueule ». Les jeunes supporters affublés des insignes de leur groupe ou de leur club font plus souvent que les autres l’objet de palpation. En portant une tenue vestimentaire neutre ou correcte, les « casuals » inspirent confiance et entrent sans difficulté dans le stade. Les hooligans deviennent invisibles ou peu reconnaissables. Ces transformations récentes des stratégies des hooligans montrent ainsi de quelle manière le hooliganisme ne saurait être considéré comme un élément figé dans le paysage sportif. De nouvelles règles de sécurité provoquent l’émergence de nouveaux comportements permettant de les contourner. Rien ne dit d’ailleurs que cette réglementation plus contraignante, inspirant de nouvelles tactiques d’évitement, ne participe pas, en renouvelant l’interdit, à renforcer le succès même de l’illégalisme hooligan dans une partie de cache-cache sans fin engagée avec les forces de l’ordre.

65 La mise en perspective de la genèse historique du hooliganisme et de la construction des représentations collectives attachées à ce phénomène social, permet d’expliquer partiellement les raisons pour lesquelles la figure du hooligan constitue, dans l’imaginaire collectif, une forme stéréotypique. Si les discours et le sens commun continuent d’appréhender le profil du hooligan moyen par des caractéristiques rebattues, en faisant systématiquement du fauteur de trouble un sujet mâle, anglais, jeune, imbibé d’alcool, socialement mal inséré et inculte en matière de sport, l’analyse scientifique de ce phénomène permet en revanche tout autant de montrer l’inanité de ces représentations que d’en démonter la logique de construction.

66 Plusieurs facteurs apparaissent ainsi déterminants dans ce processus de brouillage de la réalité. Chacun de ces facteurs joue historiquement un rôle bien défini dans la construction de la figure lointaine et pourtant si proche du hooligan comme « éternel étranger ». Étranger au pays qui renie de tels agissements comme émanant de ses propres citoyens ; étranger au monde du sport qui ne se reconnaît pas dans une progéniture qu’il a pourtant enfantée. Il faut ainsi distinguer à un premier niveau les facteurs liés aux pratiques majoritairement touchées par ce phénomène, en particulier le football, et aux discours des institutions qui en organisent le jeu et la structure. Le hooligan, dans l’esprit des dirigeants sportifs, ne saurait être assimilable au football et à son spectacle. Or, cet acteur désormais incontournable du paysage footbalistique est précisément issu du monde du supportérisme, généralement doté d’une solide culture sportive et de connaissances précises sur le club qu’il soutient. Mais cette mise à distance du hooliganisme par les instances dirigeantes doit être ici comprise comme le refus de faire face à la fois à des responsabilités (juridiques, pénales, administratives) et à la gestion d’un public difficile dont les actions entachent les valeurs et la virginité réelles ou rêvées du sport. Il est ainsi plus facile de laisser croire que le hooligan n’a rien à voir avec le sport ou le spectacle sportif, tout en jouant en coulisse sur les ressorts de cette activité honteuse pour effrayer des adversaires sportifs gênants.

67 Nous retrouvons dans ce refus de paternité les traces d’un discours « coubertinien » attaché aux valeurs éternelles d’un sport qui doit gérer tant bien que mal des rapports sensibles, voire conflictuels, avec le monde du spectacle. Sans doute le plus surprenant est-il de constater aujourd’hui la pérennité d’un modèle de pensée qui participe grandement à repousser hors des horizons sportifs tout fauteur de trouble et dont la naissance fut contemporaine des débuts du sport. Lorsque la Revue Olympique, en 1906, stigmatisait les « émeutes sportives » qui perturbaient alors les courses de Longchamp, ne distinguait-elle pas soigneusement les émeutiers, vils parieurs, des honorables sportsmen ? Antienne reprise en 1910 par la même revue pour laquelle « le spectateur sportif est devenu une plaie [puisqu’] il abaisse le niveau moral du sportsman, lui inspire des préoccupations étrangères à l’acte qu’il accomplit […] ».

68 Dans le cadre du hooliganisme, cette fracture entre le monde du sport et celui de ses trublions trouve singulièrement ses meilleures assises dans l’argumentation scientifique des chercheurs qui ont privilégié, dans la modélisation du jeu des hooligans, le caractère innovant des violences préméditées : l’institutionnalisant comme marque identitaire fondamentale du phénomène, au détriment d’un ancrage pourtant avéré dans une réelle culture sportive, et extériorisant du même coup les acteurs du système qu’ils contaminent. L’externalisation des mécanismes de fonctionnement du hooliganisme conduit alors à définir une forme d’idéaltype du hooligan dont les attaches avec le monde du sport sont paradoxalement secondaires, voire inexistantes.

69 À un second niveau, l’origine géographique et culturelle du sport moderne et plus particulièrement du football fait de cette activité une pratique qui, pour le meilleur et pour le pire, reste marquée dans l’imaginaire collectif, par son enracinement et sa diffusion première au cœur même du Royaume-Uni. Autrement dit, comme le souligne accessoirement la précocité des travaux scientifiques engagés en Angleterre par des chercheurs anglais, le hooliganisme serait essentiellement un phénomène anglais parce que lié à l’invention anglaise du sport moderne : en quelque sorte une spécificité culturelle britannique. Or, s’il est indubitable que l’origine du hooliganisme se situe bien au Royaume-Uni, s’il est évident que ce phénomène complexe peut être analysé en Angleterre à travers le prisme de différents catalyseurs culturels, sociaux et politiques (diffusion rapide du football, rajeunissement du public, sectorisation et dérive des sous-cultures adolescentes, effondrement économique du pays, lien social intra classes et modes d’existence, etc.), il est tout aussi juste de dire qu’il en a rapidement franchi les frontières : décliné sous d’autres formes en d’autres lieux. Certes, la concentration et la proximité des clubs dans les principales villes anglaises ainsi que la structure même des footballs nationaux fondent des différences essentielles entre l’Angleterre et la France [92], contribuant à accréditer la thèse d’une amplification plus rapide et plus intense des affrontements dans le cadre britannique. Mais le hooliganisme anglais est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt, le centre de gravité d’un phénomène dont les ondes de choc ont depuis longtemps atteint d’autres rivages, même si cette réalité est en partie combattue ou seulement ignorée. Il faut aussi noter que cette rémanence de l’;idéaltype du hooligan, sujet de Sa Majesté, a profondément été accentuée par la surmédiatisation des événements les plus dramatiques de ces dernières années dans lesquels étaient engagés des supporters anglais. C’est en effet l’image télévisée des supporters britanniques impliqués dans le drame du Heysel et le poids des sanctions afférentes qui ont renforcé cette conviction que le hooligan pourrait être définitivement considéré comme anglais.

70 Le phénomène existe donc bien au plan européen, tout en demeurant masqué dans ses formes nouvelles par la visibilité et l’ancienneté de ses manifestations dans l’univers sportif britannique. Pourtant, ne faut-il pas aussi, pour comprendre certains aspects de cette « étanchéisation » culturelle et sociale, forme d’anglicisation forcenée du hooliganisme, saisir comment le pouvoir politique, en France, l’articule aujourd’hui avec la construction d’un nouvel ordre moral ? Il conviendrait ainsi de replacer ces « nouveaux discours sur de vieux problèmes » dans le contexte politiquement sensible du « sentiment d’insécurité » et dans les perspectives beaucoup plus larges d’une pénalisation étendue et accrue des comportements sociaux dits déviants. Pénalisation qui vise notamment à insérer les violences des foules sportives, transgressions parmi d’autres, mais sans doute devenues trop visibles, voire emblématiques, dans un dispositif législatif radical de stigmatisation et de répression fondé sur le concept de « tolérance zéro », largement importé des États-Unis [93].

71 Que le sport, qui est fréquemment instrumentalisé par le pouvoir politique au nom de ses supposées vertus régénérantes pour le corps social, soit atteint par une gangrène (hooliganisme, violences, affairisme, dopage, corruption, etc.) dont l’étendue est généralement minimisée, est une réalité déjà compliquée à admettre et à gérer pour ceux qui en sont les ardents promoteurs. Mais que, de surcroît, la figure déviante et néanmoins médiatisée du hooligan puisse se superposer à celle du supporter français, introduit en creux un parasitage des représentations qui favorisent sans aucun doute la pérennité du modèle « étranger ». C’est de toute évidence une analyse plus rationnelle et sans doute plus lucide de la réalité, qui conduit aujourd’hui le pôle politique français à durcir ses positions [94]. C’est bien parce que, de l’avis même des représentants du pouvoir, les hooligans semblent se révéler en définitive aussi fils de Montaigne et non plus seulement de Shakespeare, que leurs exactions, témoignages de cette diffusion du mal, et pour ainsi dire d’une véritable contamination, honnies et vilipendées, deviennent gage de sévérité pénale accrue en France. Les discours politiques, en tout cas, semblent clairement indiquer que le hooligan made in France sera sévèrement châtié. Comme si la brutale découverte d’un fléau longtemps étiqueté britannique, rongeant aussi les structures du football et du supportérisme français, suggérait, après diagnostic « médico-politique », non plus simplement l’administration de remède mais bien l’amputation pure et simple du membre gangrené.

Notes

  • [1]
    Dominique Bodin, « Football, supporters, violences. La non application des normes comme vecteur de la violence », Revue juridique et économique du sport, 51, 1999, p. 139-149.
  • [2]
    Selon un rapport confidentiel des Renseignements généraux en date du 17 décembre 2001, intitulé « Hooliganisme, la violence supportériste ».
  • [3]
    Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, (1895) édition 1997.
  • [4]
    Harold Garfinkel, Studies in ethnomethodology, New Jersey, Prentice-Hall Inc, Englewood Cliffs, 1967.
  • [5]
    Wesley Skogan, Disorder and decline. Crime and the spiral of decay in American neighborhoods, New York, The free press, 1990.
  • [6]
    Sébastian Roché, La société incivile, Paris, Le Seuil, 1996 et La délinquance des jeunes. Les 13-19 ans racontent leurs délits, Paris, Le Seuil, 2001.
  • [7]
    Éric Debarbieux, La violence en milieu scolaire, 1, État des lieux, Paris, ESF, 1996, et L’oppression quotidienne. Recherches sur une délinquance des mineurs, Paris, Rapport dactylographié, 2002.
  • [8]
    Michel Wieviorka, Violences en France, Paris, Le Seuil, 1999, p. 8.
  • [9]
    Dominique Bodin, Sports et violences, Paris, Chiron, 2001, p. 11.
  • [10]
    Dominique Bodin, Hooliganisme. Vérités et mensonges, Paris, ESF, 1999, p. 19 et Le hooliganisme, Paris, PUF, p. 13.
  • [11]
    Jean-Paul Thuillier, Le sport dans la Rome Antique, Paris, Errance, 1996, p. 171.
  • [12]
    Frédéric Mendiague, « L’église et les interdits religieux du jeu, hasard, passion et désordre du xv e au xviii e siècle », Staps, 32, 1993, p. 57-66.
  • [13]
    Jean-Jacques Jusserand, Les sports et jeux d’exercice dans l’ancienne France, Genève, 1901, édition 1986.
  • [14]
    Alexandre Bouet et Olivier Perrin, Breiz-izel ou vie des Bretons de l’Armorique, Paris, PUF, 1835, édition de 1970.
  • [15]
    Horst Bredekamp, La naissance du football. Une histoire du calcio, Paris, Diderot, 1998.
  • [16]
    Luc Robène, « Icare et la violence des jours » in Dominique Bodin (dir.), Sports et violences, op. cit., p. 35-55.
  • [17]
    N. L. Tranter, « The Cappielow riot and the composition and behaviour of soccer crowds in Late Victorian Scotland », The international Journal of the history of sport, 3, 1995, vol. 1, p. 125-140.
  • [18]
    Norbert Elias et Eric Dunning, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1986.
  • [19]
    Michel Beaulieu, et Marc Perelman, « Histoire d’un espace. Le stade », Quel corps, 7, 1977, p. 31-40.
  • [20]
    Georges Duhamel, Scènes de la vie future, Paris, Mercure de France, 1930.
  • [21]
    Alain Ehrenberg, « Aimez-vous les stades ? Architecture de masse et mobilisation », Recherches, 43, 1980, p. 25-54.
  • [22]
    Alain Ehrenberg, op. cit.
  • [23]
    Dominique Bodin, op. cit., p. 19.
  • [24]
    Bernard Jeu, Analyse du sport, Paris, PUF, 1992.
  • [25]
    Roger Dufour-Gompers, Dictionnaire de la violence et du crime, Toulouse, Erés, 1992, p. 94.
  • [26]
    Anthony Burgess, A clockwork orange, New York, The Free Press, 1962, édition de 1980, p. 51-52.
  • [27]
    Jean-Marie Brohm, Les meutes sportives. Critique de la domination, Paris, L’Harmattan, 1993.
  • [28]
    René Thom, « Aux frontières du pouvoir humain, le jeu », in Modèles mathématiques de la morphogenèse, Paris, Bourgeois, p. 308.
  • [29]
    René Thom, op. cit., p. 310.
  • [30]
    Pour mieux comprendre l’importance des joutes oratoires dans les prémisses de la violence le lecteur peut se reporter notamment aux travaux de David Lepoutre, Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Odile Jacob, 1995, édition 2001 ; Pascal Duret, Anthropologie de la fraternité dans les cités, Paris, PUF, 1996 ; Michel Wieviorka, op. cit. ; Sébastian Roché, op. cit.
  • [31]
    Peter Marsh, Aggro the illusion of violence, Londres, Dent and Ltd, 1978.
  • [32]
    Michel Wieviorka, op. cit., p. 17.
  • [33]
    Alain Corbin, L’avènement des loisirs 1850-1960, Paris, Flammarion, 1995.
  • [34]
    Alfred Wahl, La balle au pied, histoire du football, Paris, Gallimard, 1990, édition 1996.
  • [35]
    Lire notamment les travaux de Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979 et Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1984 et ceux de Christian Pociello, Sports et sociétés. Approche socioculturelle des pratiques, Paris, Vigot, 1981 et Les cultures sportives, Paris, PUF, 1995.
  • [36]
    Christian Bromberger, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1995.
  • [37]
    Op. cit.
  • [38]
    Ian Taylor, « Football mad. A speculative sociology of football hooliganism », The sociology of sport, 1971, p. 357-377.
  • [39]
    Manfred Zimmerman, « La violence dans les stades de football, le cas de l’Allemagne fédérale », Revue de droit pénal et de criminologie, 5, 1987, p. 441-463.
  • [40]
    Patrick Mignon, La société du samedi, supporters, ultras et hooligans. Étude comparée de la Grande-Bretagne et de la France, Paris, Rapport dactylographié IHESI, 1993 et La violence dans les stades, supporters, ultras et hooligans, Paris, Éditions INSEP.
  • [41]
    Alain Ehrenberg, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Levy, 1991, p. 47.
  • [42]
    Georges Devereux, Ethnopsychanalyse complémentariste, Paris, Flammarion, 1972.
  • [43]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 338.
  • [44]
    Philippe Broussard, Génération supporter. Enquête sur les Ultras du football, Paris, Robert Lafont, 1990.
  • [45]
    Ian Taylor, « Class, violence and sport. The case of football hooliganism in Britain », in Harold Cantelon et Raymond Gruneau (dir.), Sport, culture and the modern state, Toronto, University of Toronto Press, 1982, p. 39-96.
  • [46]
    John Clarcke, « Football and working class fans », in René Ingham et al. (dir.), Football hooliganism, Londres, Inter-Action, 1978, p. 37-60.
  • [47]
    Op. cit.
  • [48]
    Patrick Mignon, op. cit., p. 22.
  • [49]
    Lewis Coser, Les fonctions du conflit social, Paris, PUF, 1956.
  • [50]
    Trilogie de John King : Football factory (1) ; Headhunters (2) ; England away (3). Cf. sur le même thème la chronique littéraire du dernier roman de John King, Human punk, dans Le Monde, 27 juin 2003 (supplément Le Monde des livres), par Jean-Luc Douin.
  • [51]
    Michel Wieviorka, op. cit., p. 30.
  • [52]
    Ian Taylor, « Soccer consciousness and soccer hooliganism », in S. Cohen (dir.), Images of deviance, Harmondsworth, Harmondsworth Penguin, 1973, p. 163-164.
  • [53]
    John Clarcke, Football hooliganism and the skinheads, Birmingham, Center for contemporary cultural studies, 1973.
  • [54]
    Michel Wieviorka, Le racisme, une introduction, Paris, La Découverte, 1998.
  • [55]
    René Girard, La violence et le sacré, Paris, Hachette, 1972.
  • [56]
    Philippe Broussard, op. cit., p. 308.
  • [57]
    Alfred Wahl, op. cit., p. 109.
  • [58]
    Patrick Mignon, op. cit., p. 24.
  • [59]
    Norbert Elias, Uber den Prozess der Zivilisation, traduit en deux tomes sous les titres de La civilisation des mœurs et La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Levy, 1969.
  • [60]
    Fonctionnement de bandes observées à Chicago où la ségrégation était forte, les normes de masculinité importantes, avec un système d’alliance élaboré.
  • [61]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 360-361.
  • [62]
    Ibid., p. 74.
  • [63]
    Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF, 1893, édition 1960.
  • [64]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 324.
  • [65]
    Ibid., p. 331-332.
  • [66]
    L’ami d’un ami est un ami ; l’ennemi d’un ennemi est un ami.
  • [67]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 334.
  • [68]
    Howard s. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1963, édition 1985.
  • [69]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 355.
  • [70]
    Ian Taylor, op. cit.
  • [71]
    John Williams, « When violence overshadows the spirit of sporting competition. Italian football fans and their clubs », Journal of community and applied social psychology, 1991, p. 23-28.
  • [72]
    John Hargreaves, « Sex, gender and the body in sport and leisure, has there been a civilitizing process ? », in Eric Dunning et Charles Rojek (dir.), Sport and leisure in the civilizing process, critique and counter-critique, Londres, Inter-Action, 1992.
  • [73]
    Dominique Bodin, « La déculturation du public comme facteur du hooliganisme, mythe ou réalité ? », Staps, 57, 2002, p. 87-88.
  • [74]
    Ryszard Kapuscinski, « Les médias reflètent-ils la réalité du monde ? », L’empire des médias. Manière de Voir, 63, 2002, p. 50-55.
  • [75]
    Norbert Rouibi, Colloque sur la sécurité et la violence dans les stades lors des manifestations sportives, Paris, 1989, mise à jour du 15 février 1994.
  • [76]
    Benoît Dupuis, « Le hooliganisme en Belgique. Histoire et situation actuelle. 1ère partie », Sport, 143, 1993, p. 133-157 et « Le hooliganisme en Belgique. Histoire et situation actuelle. 2e partie », Sport, 144, 1993, p. 195-226.
  • [77]
    Christian Bromberger, op. cit., p. 242.
  • [78]
    Au sens où l’entend Raymond Boudon, Effets pervers et ordre social, Paris, PUF, 1977.
  • [79]
    Norbert Elias et Eric Dunning, op. cit., p. 363.
  • [80]
    On peut citer entre autres : Pascal Charroin, Allez les verts ! De l’épopée au mythe, la mobilisation du public de l’association sportive de Saint-Étienne, Thèse soutenue à l’UFR Staps de l’université Claude Bernard Lyon-1, 1994 ; Christian Bromberger, Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde. Paris, Balland, 1998 et C. Bromberger, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1995 ; Nicolas Roumestan, Les supporters de football, Paris, Anthropos, 1998 ; William Nuytens, Essai de sociologie des supporters de football. Une enquête à Lens et à Lille, Thèse soutenue à la faculté des sciences économiques et sociales de l’université de Lille, 2000.
  • [81]
    On peut citer entre autres : Richard Giulianotti, « Participant observation and research into football hooliganism. Reflections on the problems of entree and everyday risks », Sociology of Sport Journal, 1995, p. 1-120 pour l’Écosse ; Bruna Zani et Erich Kirchler, « When violence overshadows the spirit of sporting competition : italian football fans and their clubs », Journal of community and applied social psychology, 1, 1991, p. 5-21 pour les hooligans de Naples et Bologne ; Manfred Zimmerman, op. cit. en Allemagne ; Kris Van Limbergen, « Aspects sociopsychologiques de l’hooliganisme, une vision criminologique », Pouvoirs, 61, 1992, p. 177-130 ; Benoît Dupuis, op. cit. en Belgique, Dominique Bodin, Sports et violences. Analyse des phénomènes de violences et de déviances chez les supporters de football à partir d’une étude comparative du supportérisme dans le basket-ball, le football, le rugby et le volley-ball, Thèse soutenue à l’université Bordeaux 2, 1998, pour la France.
  • [82]
    Patrick Mignon, 1993, op. cit. et 1995, op. cit.
  • [83]
    Patrick Mignon, « La lutte contre le hooliganisme, comparaison européennes », Football ombres au spectacle. Les cahiers de la sécurité intérieure, 26, 1996, p. 92-107.
  • [84]
    Manu Comeron, « Du gang au groupe social, une analyse socio-préventive », Football ombres au spectacle, op. cit., 1996, p. 47-67.
  • [85]
    Op. cit.
  • [86]
    Alain Ehrenberg, op. cit., p. 58.
  • [87]
    Op. cit.
  • [88]
    Éric Debarbieux, « L’oppression quotidienne. Recherches sur une délinquance des mineurs », Rapport remis à l’Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure, 2002.
  • [89]
    Lire à ce sujet les limites à apporter à l’utilisation de la notion de « noyau dur » dans Éric Debarbieux, op. cit., p. 105-112.
  • [90]
    Casual vient de casual clothing : habits « normaux », « habituels », mais dans le domaine particulier du hooliganisme, les acteurs intervenant dans le contrôle et la prévention des violences l’utilisent dans le sens d’être « bien habillé », de porter des habits de marque. Le hooligan moderne, casual, devient ainsi méconnaissable et jouit au moment du filtrage d’a priori de respectabilité.
  • [91]
    Depuis 1998 le stade est sous la responsabilité des organisateurs en vertu de l’application de l’article 23 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995.
  • [92]
    Loïc Ravenel, Le football de haut niveau en France, espaces et territoires, Thèse de doctorat de géographie de l’université d’Avignon et des pays du Vaucluse, 1997.
  • [93]
    Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, Raisons, 1999.
  • [94]
    Cf. à ce sujet l’article publié dans Le Monde du 25 janvier 2003, intitulé : « Nicolas Sarkozy veut barrer la route des stades aux hooligans ».
  • [*]
    Dominique Bodin (dominique. bodin@ uhb. fr), Luc Robène (luc. robene@ uhb. fr) et Stéphane Héas (stephane. heas@ uhb. fr) sont maîtres de conférences à l’université Rennes 2 et membres du laboratoire didactique, expertise et technologie des APS. Ils ont publié ensemble Sports et violences en Europe (Éditions du Conseil de l’Europe, 2004).
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