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Article de revue

Gergovie, un « haut lieu » de la France ?

Pages 133 à 143

Notes

  • [1]
    Jeanne d’Arc a des concurrents, parfois surprenants. Levis-Mirepois n’écrit-il pas dans La Légion. Revue mensuelle illustrée publiée par la légion française des combattants, n° 8, janvier 1942 : « J’entends que notre pays soit débarrassé de la tutelle la plus méprisable, celle de l’argent, a dit le Maréchal Pétain. Une pensée soucieuse de retrouver la continuité de l’effort français relie cette mesure de restauration de l’État à une autre qui fut prise, il y a bien des siècles, par un de ses prédécesseurs à la tête de la nation : Philippe le Bel. Certes, le dur Philippe le Bel fut un chef infiniment moins humain que Philippe le Maréchal ! Cependant ils ont un trait commun : la fermeté de caractère ! Et, avec des procédés brutaux, et une manière implacable qui étaient ceux d’une autre époque et d’une autre âme, le souverain médiéval voulut soustraire lui aussi la France de son temps à la tutelle anonyme d’une puissance d’argent. Telle est la signification suprême du fameux procès des Templiers. » On craint de deviner quelle cible est visée à travers les Templiers…
  • [2]
    J. Ott, « La nuit de Gergovie », Notre pays, 1912 ; É. Desforges et P. Balme, Gergovia, Clermont-Ferrand, 1929 ; É. Desforges, « Le pseudo oppidum des côtes de Clermont », 45e parallèle, février 1933 ; P. Fournier, « Le pseudo oppidum des côtes de Clermont », Le Moniteur du Puy-de-Dôme, 27 février 1933 ; É. Desforges et P. Fournier, La bataille de Gergovie, Clermont-Fd, 1933 ; É. Desforges, « Gergovia, Recherches archéologiques », Revue d’Auvergne, 1934 ; Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, n° 483, 1934.
  • [3]
    Commande d’Edmond Giscard d’Estaing (1894-1982), inspecteur des Finances, membre de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques), père de l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing. André Maire (1898-1985), Gergovie, peinture, L. 3, 60 m ? H. 2, 20 m 1942.
    Le tableau représente le tableau de Gergovie, en vue cavalière depuis le Sud, la ligne d’horizon étant très relevée. En haut de la composition, des nuages sombres, des nuées, des rideaux de pluie ferment la vue. Le terrain est découpé en parcelles striées ou pointillées par les cultures, sauf au Nord-Est du plateau, où ne pousse que de l’herbe rase.
    Mais le paysage montre un panorama plus vaste que le seul plateau de Gergovie à l’extrémité duquel on aperçoit, en haut à droite, très petit, le monument à Vercingétorix. Dans la partie inférieure du tableau, le peintre a représenté, en contre-bas du plateau, la vallée de l’Auzon, souligné par une rangée de peupliers, avec, à droite, le village du Crest autour du clocher de son église. Puis le regard remonte vers le village de la Roche-Blanche, au pied des falaises creusées d’habitations troglodytes. Puis, toujours en montant, on distingue le petit village de Gergovie.
    Sur la gauche du tableau, au-dessus d’un grand arbre qui lie les plans entre eux (le même procédé est employé sur la droite), s’élève un arc en ciel très lumineux. Dans le creux de la vallée de l’Auzon, tout à fait à gauche, dans les arbres, on reconnaît, tel le portrait du donateur dans les tableaux du Moyen Âge, le château de Chanonat, propriété de la famille Giscard d’Estaing.
    Au tout premier plan, sur une hauteur surplombant la vallée de l’Auzon, de petits personnages évoquent les travaux des champs. De gauche à droite : un char de foin tiré par deux bœufs conduits par un bouvier ; accompagné de deux ânes, un groupe de trois paysans dont l’un porte une faux sur l’épaule ; puis deux groupes de femmes en costume intemporel (jupes longues et gonflées) ; derrière elles un double attelage de bœufs qui transporte un énorme tronc d’arbre ; viennent dans l’autre sens deux paysans chargés d’outils. Enfin, à droite, sur une hauteur, une vache paît au pied d’un arbre et un laboureur qui guide une charrue tirée par deux bœufs trace des sillons très réguliers. Les travaux de la terre sont ainsi célébrés. En revanche, la vue vers Clermont, ville industrielle, est occultée.
  • [4]
    L’Académie n’a jamais projeté une image de Vercingétorix – « un héros dont la figure n’est pas positivement connue » –, mais préfère « signaler une localité célèbre où s’est passé un fait historique d’une grande importance qui est une des gloires de notre région ». Construit par l’entreprise Legay-Chevalier, de Volvic, sur un projet de l’architecte Teillard, donné l’année suivante à la commune de la Roche-Blanche, ce monument ne fut jamais inauguré. Sur son historique et celui de la statue de Bartholdi, leur rivalité à partir de 1885, alors qu’ils étaient issus d’un projet unique à l’origine (1843) cf. : Antoinette Ehrard, « Les Gaulois et la sculpture au 19e siècle », catalogue de l’exposition Nos ancêtres les Gaulois, Musée Bargoin, Clermont-Ferrand, 1980 ; « Vercingétorix contre Gergovie ? », actes du colloque international Nos ancêtres les Gaulois, 1980, Clermont-Ferrand, faculté des Lettres et Sciences humaines, université de Clermont 2, 1982 ; « Vercingétorix dans les beaux-arts et les arts graphiques », catalogue de l’exposition Vercingétorix et Alésia, musée des Antiquités nationales, RMN, 1994.
  • [5]
    Le texte dactylographié de ce discours qui n’a jamais été publié a été déposé, en octobre 1942, à la bibliothèque municipale et universitaire de Clermont-Ferrand, cote A 36583.
  • [6]
    Peut-on voir dans cette cérémonie funèbre un écho lointain et dénaturé de la fête de la Fédération de 1790, fête dans la préparation de laquelle les Français remuaient aussi la terre, dans une célébration joyeuse de l’unité de la nation ? La question a été posée. Il est vrai que l’État français joue sur les mots quand il emploie celui de « Révolution » nationale et l’oppose à l’ « ancien régime » honni. Mais peut-on soupçonner une volonté délibérée de la part des organisateurs ? Autre exemple de récupération de l’Histoire : la Marche consulaire est devenue en 1940 l’hymne de la Légion, dont l’écusson tricolore portait en son centre un casque « gaulois » à ailes.
  • [7]
    Ont été dépouillés pour cette étude des périodiques destinés au grand public, vecteurs plus ou moins réservés ou enthousiastes, et surtout enthousiastes, de la propagande officielle : trois quotidiens régionaux édités à Clermont dont le lectorat s’étend bien au-delà du département du Puy-de-Dôme : La Montagne, Le Moniteur du Puy-de-Dôme, et L’Avenir du plateau central, distribués dans neufs départements environnants ; un hebdomadaire riomois plus confidentiel, Le Courrier du Puy-de-Dôme ; deux périodiques nationaux « repliés » en zone libre : Le Journal des Débats, édité à Clermont, et Le Temps, quotidien édité à Lyon. En revanche, de la presse parisienne, n’a été abordée que L’Illustration. Ont également été consultés les organes officiels de la Légion publiés à Vichy : le Bulletin de l’Institut national de formation légionnaire, La Légion – Revue mensuelle illustrée, publiée par la Légion française des combattants, Le légionnaire. Organe officiel de la Légion française des combattants et de la Révolution nationale, ainsi que la Revue de l’État nouveau.
  • [8]
    Les Grands Jours du Puy. Le Pèlerinage de la jeunesse française du 15 août 1942, imprimé au Puy par l’Imprimerie Jeanne d’Arc ; V. Vailli, « Le Pèlerinage du Puy-en-Velay du 15 août 1942 : apogée de la révolution nationale ? », Revue d’Auvergne, tome 105, n° 1-2, 1991, p. 65-74 ; C. Faure, « Pèlerinage ou mise en représentation de la ferveur populaire : le pèlerinage de la jeunesse du 15 août 1942 au Puy-en-Velay », Cahiers d’Histoire, 1986, n° 1, p 23-39.
  • [9]
    Emporté par son enthousiasme, l’orateur ne commet-il pas un impair en insistant sur la jeunesse de Vercingétorix ? Comme sur celle de Pascal et de Desaix ? De même (mais pouvait-il le prévoir ?), en citant la description que faisait Camille Jullian de l’équipement rutilant du chef gaulois alors que, ce jour là, Pétain avait choisi le style austère, petite tenue kaki, médaille militaire seulement ? Le rapprochement entre les deux grands hommes, à première vue, ne s’imposait pas. Heureusement, le Maréchal est arrivé sur le plateau après le discours du président de l’Académie.
  • [10]
    Cf. Antoinette Ehrard, « Autour de la statue de Desaix par Nanteuil… [1848] », Louis Charles-Antoine Desaix, officier du roi, général de la République, actes du colloque de Riom, 2000 , Annales historiques de la Révolution française, 2001, n° 2.
  • [11]
    Les tableaux de marbre qui ornent les trois faces du socle portent les inscriptions : GERGOVIA IN. HIS. LOCUS. DVX. ARVERNORVM VERCINGETORIX CAESAREM INVADENTEM PROFLIGAVIT ;
    HOC. MONVMENTVM. AD. GLORIAM VERCINGETORIS. VICTORIS EX. ERE. PRIVATO. ACADEM. S.I.A. CLARAMONT. PROMOV ENTE ET. E. VMPTV. CVJVSDAM. CIVIS. RIOMENSIS. EREXERVNT ; ARVERNORVM. APOGONI M.C.M.
  • [12]
    Autre monument, tout à fait escamoté celui-là, le monument du Centenaire de la Révolution, petit génie de bronze dû au sculpteur Gourgouillon, installé place Lamartine en 1905 et auquel l’estrade réservée au Maréchal pour le défilé final ne pouvait que tourner le dos. Il n’en est fait aucune mention en 1942. Il disparaîtra matériellement, l’année suivante, dans l’entreprise de récupération des métaux non ferreux qui détruira nombre de monuments mal pensants.
  • [13]
    La même année 1942 Jalabert, dans Vive la France, faisait l’éloge enthousiaste des « temps romains » : « Le pays se couvrit de camps, l’air retentit des clameurs incessantes des buccins et des troupes guerrières, et le sol du pas des légions qui, entre deux assauts, bâtissaient les villes et frayent les routes. […] Un langage plus sonore, impératif et concis, qu’on eût dit coulé dans l’airain, se substitua au dialecte grec qui avait emprunté sa douceur au miel des ruches de l’Hymette ; et la Gaule marcha, casquée. » Est-ce bien des Romains qu’il s’agit ?
  • [14]
    Le Vercingétorix du Clermontois Georges Collomb, qui signale « Vercingérotix, le premier patriote », écrit en 1942, ne fut publié qu’en 1947.
  • [15]
    Quel retentissement ont pu avoir ces cérémonies en dehors de l’Auvergne ? En mesurer l’impact dans l’ensemble de la zone libre, et en zone occupée supposerait une étude de l’ensemble de la presse de l’année. Ce serait une autre recherche.
  • [16]
    1. En 1943 paraît à Clermont sous le titre Gergovie, haut lieu de France, un numéro de L’Auvergne littéraire, n° 100, rassemblant six courts articles de géographie, d’histoire et d’archéologie. Celui du docteur Pierre Balme retrace en quatre petites pages l’historique du monument de Gergovie et de la statue de Vercingétorix et résume en quelques lignes, sans commentaire, les manifestations du 30 août sur le plateau. Cette évocation sera la dernière.
  • [17]
    Gergovie, point d’attraction touristique, demeure aujourd’hui ce que l’on appelle un « lieu de mémoire », mais à un autre titre. À la libération de Clermont (27 août 1944), une des sept étoiles sculptées dans l’entourage de marbre fut martelée. Les six autres demeurèrent intactes. Les touristes qui aujourd’hui regardent le monument ne comprennent sans doute ni la signification des étoiles restantes ni la trace de la septième. Mais le monument de l’Académie de Clermont, dont la crypte est condamnée, est entretenu. Le casque de pierre jeté à bas par la tempête de 2001 a été relevé et protégé par un paratonnerre. Tout près, un petit musée présente une documentation sur la vulcanologie en Auvergne, une exposition archéologique et un court montage audio-visuel sur Vercingétorix. Mais c’est la Résistance, et non le régime de Vichy, qui est chaque année honorée à Gergovie. En effet, l’université de Strasbourg s’était « repliée » à Clermont-Ferrand. En juillet 1940, les professeurs Zeller, historien, et Lassus, archéologue, rassemblent les étudiants alsaciens en fondant un groupe pour effectuer des fouilles à Gergovie. Grâce au général de Lattre de Tassigny, gouverneur militaire de Clermont, ils construisent une maison dont les soubassements subsistent encore. Une cinquantaine d’étudiants, alsaciens ou auvergnats, fréquentent cette « Maison de Gergovie ». Sous couvert de fouilles archéologiques, au demeurant réelles, ces « Gergoviotes » forment non pas un maquis mais une pépinière de résistants pour les mouvements qui s’organisent, fin 1942, après l’occupation allemande de la zone sud. Sur le plateau a été élevée une stèle à leur mémoire, inaugurée en 1951 par de Lattre de Tassigny, fleurie tous les 11 novembre (cf. J. Lalouette, « Vercingétorix : 1940-1945. De Vichy au maquis », in C. Bougeard (dir.), Bretagne et identités régionales pendant la Seconde guerre mondiale, Rennes, PUR, 2002, p. 47-60).
  • [*]
    Ancien maître de conférence à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, Antoinette Ehrard est membre du Centre de recherches révolutionnaires et romantiques de cette université et fut, avec Paul Viallaneix, l’une des organisatrices en 1982 du colloque Nos ancêtres les Gaulois, important moment dans le renouveau historiographique à leur propos.

1 Pour s’imposer, l’État français de Vichy a eu recours, dans sa propagande, aux cérémonies grandioses, aux rassemblements de foules. Il a même instauré de nouvelles fêtes, du travail et du muguet le 1er mai, des mères ou de Jeanne d’Arc, qui illustrent sa nouvelle trilogie, Travail, Famille, Patrie. À la recherche d’une légitimité, le nouveau pouvoir fonde ces manifestations sur des références historiques, sous-tendues par un thème majeur constant, on peut même dire un mot d’ordre : l’unité, la restauration, le maintien de l’unité de la France. La continuité de l’histoire de la France depuis l’Antiquité revient comme un refrain. Mais Vercingétorix n’aurait-il pas été embarrassant ?

2 Les « instructions » d’avril 1942 du ministre de l’Éducation nationale (à cette date, Abel Bonnard) relatives aux études primaires sont à cet égard très révélatrices. L’histoire devant être « éducatrice », il importe donc de signaler « à travers toutes les époques les traits de courage et de générosité qui ont valu à notre patrie un prestige reconnu de tous », [de] « relever chez elle sous tous les régimes et en tous les temps, la présence d’hommes dévoués au bien public, qui ont servi, illustré la France et surtout manifesté avec force, quand il s’est agi d’union et de paix, qu’ils s’appellent saint Louis, Sully, l’abbé de Saint-Pierre ou Victor Hugo, la tendance commune des familles spirituelles françaises » (Le Courrier du Puy-de-Dôme, 23 mai 1942).

3 On constate l’importance donnée aux grands hommes. Il se constitue alors, d’une publication à une autre, un panthéon quelque peu disparate. Sur la couverture de l’ouvrage de Jalabert, Vive la France, destiné à la jeunesse et publié chez Nathan en 1942, figurent les portraits des sauveurs de la patrie : Vercingétorix, Jeanne d’Arc, Henri IV, Napoléon, Bugeaud et, bien sûr, Pétain. Maurice Muret, de l’Institut, dessinera en 1943, dans La France héroïque, la galerie des grands Français, commençant à Vercingétorix, en passant par sainte Blandine, sainte Geneviève, Gallifet, Ney, Guynemer, pour aboutir à Pétain. Car ces énumérations s’achèvent toutes sur le nom de celui qui est censé renouveler les vertus, le sacrifice de ces saints ou de ces héros, le Maréchal.

4 Il n’est pas étonnant qu’à ce petit jeu de la réincarnation héroïque, celui-ci soit fréquemment comparé à Jeanne d’Arc [1]. Un exemple parmi d’autres : « Ses méditations constantes [celles de Pétain] pour le rétablissement opéré par le génie de Jeanne d’Arc lui dictèrent la surprenante hardiesse qui régla les premiers principes de son gouvernement. […] Autant de leçons éclatantes où le Maréchal Pétain a puisé les inspirations qui aboutirent à son intervention en pleine conscience de la chute totale. […] Pétain combinant ses expériences avec son étude des procédés miraculeux de Jeanne d’Arc en a gardé le culte », lit-on le 22 février 1941 dans Le Courrier du Puy-de-Dôme, hebdomadaire publié à Riom, ancienne capitale de l’Auvergne, cité judiciaire dans laquelle se déroulera l’année suivante le célèbre procès. Le même hebdomadaire relate le 24 mai 1941 les manifestations riomoises du 11 mai, fête de Jeanne d’Arc. Au stade, la fête de la Jeunesse présentait un spectacle « en trois tableaux symboliques » évoquant « les grandes étapes de notre histoire ». Le premier montrait « la Gaule prenant conscience de son unité à l’appel de Vercingétorix » : « J’ai pris les armes pour la liberté de tous ». Puis Jeanne d’Arc, « envoyée de Dieu ». « Le troisième tableau, réalisé par tous les groupes de jeunes, évoquait « la France du Maréchal » […] une gerbe magnifique de saine jeunesse et d’espérance ».

5 Ce Vercingétorix que tous les Français, depuis l’école primaire, ont été appelés à considérer comme un exemple de courage et de sacrifice à la patrie, ne pouvait-il, en dépit de son destin malheureux, fournir une référence utile à la propagande du nouveau régime ? Son enrôlement parmi les prédécesseurs du Maréchal a été tenté en 1942, dans des manifestations autrement spectaculaires, à l’occasion du second anniversaire de la Légion française des combattants, une des dernières, sinon la dernière des grandes fêtes du régime de Vichy.

? Le plateau symbolique

6 Rappelons que la mise en œuvre de la « Révolution nationale » fut officiellement confiée à la Légion française des combattants et des volontaires de la Révolution nationale, fondée le 29 août 1940, et dont le président était le Maréchal Pétain. En 1941, le premier anniversaire de la Légion avait été célébré par l’envoi à travers la France de porteurs de flambeaux. Une flamme prélevée à l’Arc de Triomphe de Paris avait été portée au monument aux morts de Vichy. Là, le Maréchal avait allumé trois autres flammes, emportées vers l’Est, l’Ouest et le Sud de la zone non occupée, de commune à commune, par des coureurs qui se relayaient devant les monuments aux morts.

7 En 1942, la Légion imagine pour ses festivités de second anniversaire une autre forme de cérémonie, non plus rayonnante mais faisant se concentrer les foules, du type pèlerinage. Il lui faut donc trouver, en zone « libre » – la Légion est interdite en zone occupée – un point de ralliement, un lieu symbolique. Or il en est un, tout près de Vichy siège du gouvernement et de la Légion : le plateau de Gergovie. Sans doute d’autres lieux du territoire métropolitain seront-ils évoqués par la presse lors des cérémonies de 1942 : Poissy, parce que saint Louis y a vécu ; Rouen, qui vit le supplice de Jeanne d’Arc ; Verdun, dont le glorieux défenseur est maintenant à la tête de l’État. Mais ils se trouvent en zone occupée et il n’est pas possible de s’y rassembler. En revanche, Gergovie, à quelques kilomètres de Clermont-Ferrand où le train et la route pourront amener les milliers de participants attendus, est en zone libre. Sur ce vaste plateau qui domine la plaine de la Limagne, à 746 mètres d’altitude, on peut déployer des foules. Plus bas, la ville de Clermont offre en son centre la place de Jaude, forum de grandes dimensions, desservi par de larges avenues. La topographie se prête à des manifestations qui se veulent grandioses.

8 Mais la commodité n’est pas le seul argument – au reste jamais formulé. Le nom de Gergovie, sinon le site, a le mérite d’être connu de tous les Français, au moins par les livres d’histoire. Qui plus est, le lieu est cher aux Auvergnats. Les érudits locaux multiplient les publications à son sujet, d’autant qu’une polémique – qui n’est toujours pas éteinte – avait éclaté depuis une dizaine d’années sur l’authentique emplacement de la célèbre bataille [2]. Signe moins connu de la signification qu’un Auvergnat pouvait attacher au site, cette même année 1942 avait eu lieu à Paris, le 15 mars, l’inauguration de la nouvelle salle du conseil d’administration de la Compagnie d’Assurances Le Phénix (actuellement AGF), ornée de deux grandes peintures d’André Maire. Il s’agissait d’une commande d’Edmond Giscard d’Estaing, alors président de cette compagnie, qui avait choisi personnellement les sujets des deux grands paysages, L’Île de la Cité (Fluctuat nec mergitur) et le plateau de Gergovie. Pensant qu’il était réconfortant d’évoquer le lieu de la première victoire française, le commanditaire avait fait peindre, symbole d’espoir, un arc en ciel dans le coin du paysage de Gergovie [3].

? La crypte aux trésors

9 Que s’est-il donc passé en ces lieux, les 29 et 30 août 1942 ? Au soir du samedi 29 août commence sur la place de Jaude éclairée, bordée de tribunes, décorée de drapeaux, une « veillée » assurée par des sous-officiers du 92e régiment d’infanterie, des légionnaires et le service d’ordre de la Légion (SOL), autour du drapeau légionnaire placé sur des faisceaux de fusils, devant l’autel sur lequel doit être célébrée la messe du lendemain. Pendant la nuit, des prolonges d’artillerie montent à Gergovie les urnes, sachets, coffrets « artistiques », tonnelets, calebasses… arrivés par le train, contenant des terres recueillies dans toute la France métropolitaine – en zone sud par la Légion, en zone occupée par la Corporation paysanne – et dans les colonies. Des alpinistes ont même détaché des fragments de roc à 4 200 m d’altitude dans la Barre des Écrins. Ces terres sont destinées à être déposées solennellement le dimanche matin dans la crypte du monument érigé sur le plateau de Gergovie.

10 En bordure de celui-ci, au Nord-Est, s’élevait depuis 1900 un édifice, commande de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand, sur un terrain acheté par elle [4]. Il ne s’agit pas d’une effigie de Vercingétorix mais d’un cénotaphe en pierre de Volvic, d’une hauteur totale de 26 mètres, qui se compose de trois colonnes baguées, jumelées en triangle. Les chapiteaux supportent un haut entablement. De l’aplomb des colonnes partent trois arcs formant baldaquin soutenant un casque à crête pointue et à ailes verticales. Cette architecture reposait en 1942 sur un soubassement hexagonal aux murs verticaux, creusé d’une salle ouvrant par une porte tournée vers le rebord du plateau. Dans un premier temps, ce monument ne satisfait pas F. Valentin, alors directeur de la Légion. Il projette d’édifier sur le plateau de Gergovie, à 150 mètres du monument existant, une vasque de 15 mètres de diamètre destinée à recueillir les terres et un mât où flotterait le drapeau français. Mais, bien que ni le Secrétariat général aux Beaux-arts ni le préfet n’y fassent d’objection, entre le mois de mai et la date anniversaire de la création de la Légion, le temps passe, les affaires traînent et, début juillet, en hâte, il est décidé d’utiliser le monument existant, en en confiant l’achèvement et l’adaptation aux cérémonies prévues à l’architecte Brière. Celui-ci donne plus d’ampleur au soubassement, l’entourant de quatre hauts gradins en pierre apparente. Il déplace la porte d’Est en Ouest, pour qu’il soit possible de faire converger vers elle une foule imposante. L’entourage de marbre de cette porte en plein cintre est orné de sept étoiles en relief, rappel des sept étoiles qui ornent la manche du Maréchal.

11 C’est donc vers cet austère monument de lave devant lequel ils sont attendus par les autorités civiles et militaires que se dirigent, le dimanche 30 au matin, les délégués des diverses provinces et des colonies pour déposer les terres, en cortège, dans la crypte,

12 après le salut aux couleurs. Après une allocution de René Giscard d’Estaing, conseiller d’État, ancien combattant et légionnaire lui-même, président de l’Académie de Clermont, évocation des grands hommes auvergnats et notamment de Vercingétorix [5], arrive le Maréchal Pétain qui félicite brièvement les Légionnaires. Puis Raymond Lachal, Directeur de la Légion, lit un texte rédigé également par le Président de l’Académie : « En l’an 1942, et le dimanche 30 août, deuxième anniversaire de la fondation de la Légion française des Combattants et des volontaires de la Révolution nationale, vingt siècles après l’éveil du sentiment national en Gaule, au lieu même où l’âme française connut sa première gloire, sous le monument élevé, en 1901, à la mémoire du chef arverne, Vercingétorix, le maréchal Pétain, chef de l’État français, président de la Légion, a scellé la crypte qui abritera, comme le plus précieux des trésors, la terre française, recueillie dans la métropole et dans les colonies, sur tous les lieux où souffle l’esprit de la France, et où se garde le souvenir de ceux qui ont fait sa grandeur. » Ce texte est ensuite déposé dans la crypte avec les terres [6]. Le Maréchal scelle une plaque de marbre commémorative de l’événement et redescend aussitôt à Clermont où se poursuivent les cérémonies.

13 Place de Jaude, en présence de 30 000 légionnaires, est célébrée, à la mémoire des morts des deux guerres, une messe en plein air (radiodiffusée) suivie d’une allocution de Raymond Lachal, appel aux Légionnaires, d’un bref discours de Pétain et du renouvellement du serment de la Légion au Maréchal ; enfin d’un défilé qui traverse tout le centre de Clermont, depuis le haut de la rue Blatin jusqu’au lycée Jeanne d’Arc. Aussitôt après, le Maréchal quitte Clermont.

? À la recherche de l’unité

14 Ces manifestations sont abondamment annoncées, relatées, commentées dans la presse de la zone sud [7]. Les journaux ne se bornent pas à reproduire in extenso les discours de Lachal et du Maréchal prononcés à Clermont – l’allocution de Pétain toujours au centre de la première page, en encadré. La presse met l’accent sur la cérémonie de Gergovie. Courte – elle a duré à peine plus d’une heure –, celle-ci semble néanmoins aux commentateurs particulièrement signifiante. C’est que la cérémonie doit avoir une double portée. Il ne s’agit pas seulement d’un anniversaire, mais d’une célébration de l’Unité de la France.

15 Le Temps, dans son numéro des 29 et 30 août, annonçait : « La cérémonie du 30 août à Gergovie ne sera pas seulement un symbole, elle aura une signification, si l’on peut dire charnelle. Il y aura devant les spectateurs la présence réelle de la terre de toutes les régions de France, mêlée, brassée, animée. » À l’appui, une citation du Vercingétorix de Camille Jullian (1902) : « On doit parler d’une nation gauloise, a dit Camille Jullian, parce que les peuples de ce nom parlaient la même langue, adoraient les mêmes dieux, obéissaient aux mêmes prêtres. Quand les druides de soixante nations gauloises se réunissaient près de la Loire, de Chartres ou d’Orléans, au cœur même de la contrée, quand ils y sacrifiaient tous ensemble, au nom de leurs peuples, devant les autels des grands dieux, est-ce que ces jours-là il ne fallait pas dire que l’âme d’une patrie gauloise planait sur cette solennelle assemblée ? » D’où cette conclusion de l’auteur anonyme : « Comment ne parlerait-on pas d’unité, de l’indissolubilité de la patrie française ? […] Nous souhaitons que tous ceux qui écrivent au sujet de l’avenir, tous ceux qui ont quelque responsabilité dans le destin du pays, s’en allassent méditer dans le silence devant le cénotaphe de Gergovie quand il contiendra des parcelles de toute la terre de France. »

16 « Pourquoi Gergovie ? » avait, dès le 9 août, demandé L’Avenir du plateau central. Parce que c’est « le berceau de l’unité de la Gaule ». Le Moniteur du Puy-de-Dôme du 31 août titre l’article de première page : « À Gergovie symbole de l’unité française […] » L’article du Légionnaire (septembre), sous le même titre, « Gergovie. Symbole de l’unité française », affirme sans hésitation : « C’est là que pour la première fois la nation a pris conscience d’elle-même. […] Gergovie est le berceau de notre patriotisme. […] De la terre est venue de Cimiez et de la Maison-Carrée, d’un puits de mine et de la Barre des Écrins, du bûcher de Jeanne d’Arc […] » Où diable avait-on retrouvé les cendres ? « […] et du tombeau de Napoléon. » Il venait bien de la terre de Sainte-Hélène, mais Le Légionnaire semble ignorer que le tombeau de Napoléon se trouve à Paris. On pourrait multiplier les citations. Toute la presse répète, ad nauseam, la même formule, que martèle Pétain lui-même dans son message aux légionnaires : « Vous avez, sur le tertre de Gergovie, rassemblé ce matin les terres de nos provinces et de l’empire, l’unité française a retrouvé, grâce à vous, la puissance de son symbole. »

17 Il convient, pour bien comprendre de quelle « unité » il s’agit, de replacer ces cérémonies dans un ensemble d’autres manifestations qui les avait précédées. Le Courrier du Puy-de-Dôme l’avait rappelé le 23 mai : « La première loi du patriotisme est le maintien de l’unité de la Patrie », a déclaré le Maréchal dans son allocution du 7 avril 1941 « Unité territoriale : l’Empire. Unité politique et spirituelle ». L’unité supposée de l’Empire – entendons les colonies – est symbolisée par l’origine des terres récoltées. Or en juillet 1941 avait été instituée une semaine de la France d’Outre-Mer. En 1942, il s’agit de « Quinzaines impériales » organisées dans les grandes villes (cérémonies, conférences, expositions, films, prises d’armes, messes…), tandis que, du 1er mai au 31 juillet, un train exposition circule dans la zone sud. Une affiche largement diffusée représentait le globe terrestre entouré d’un drapeau tricolore, la France et l’Empire figurant en noir, avec le texte : « L’Empire derrière le Maréchal ». Brévié, secrétaire d’État aux Colonies, déclare à la presse : « Depuis notre défaite, l’Empire n’a pas cessé d’affirmer sa fidélité. »

18 Apparemment d’inspiration différente, en réalité tendant au même but, est la grandiose fête de l’Assomption, au Puy-en-Velay, du 12 au 16 août 1942. Ce « pèlerinage de la jeunesse » rassemble 60 000 personnes le 15 août. « Pèlerinage de prière et de pénitence », dit le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon. Mais il ne faut pas seulement « expier les fautes du pays », il faut aussi proclamer l’unité spirituelle de la France. Pétain avait délégué Georges Lamirand, secrétaire d’État à la Jeunesse, et avait enregistré un message diffusé dans la cathédrale à l’issue de la messe, appel à « rebâtir une France nouvelle [8] ».

19 L’Avenir du plateau central, quotidien d’inspiration catholique, ne s’y trompe pas quand il associe, le 13 août, dans un article de première page, « Le symbole et la vie », le pèlerinage « de la jeunesse croyante et idéaliste » à Notre-Dame-de-France et la cérémonie de Gergovie : « Le 30 août, sur le plateau de Gergovie, les délégués de la Légion déposeront un peu de la terre recueillie sur tous les points du sol français où la race affirma sa vaillance, sa foi, son enthousiasme lucide, à créer, illustrer et défendre les valeurs physiques et spirituelles de l’ordre chrétien. » En revanche La Montagne, « journal indépendant » avant la guerre, d’inspiration socialiste, qui se sabordera en décembre 1942 après avoir refusé la publication d’un article de Philippe Henriot, assure à ce sujet le service minimum, se bornant à reproduire sans commentaire le message du Maréchal aux scouts de France.

? Et Vercingétorix ?

20 Bien que par intermittence, le vainqueur de Gergovie est présent à ces fêtes. Mais l’évocation du personnage lui-même ou de ses images, la leçon même que les Français de 1942 doivent tirer de son exemple, ne vont pas sans ambiguïté.

21 On remarque tout d’abord que les différents articles de presse, aussi superficiels que redondants, sont dans l’ignorance des études historiques. Pas la moindre allusion au César de Jérôme Carcopino. Quand Le Courrier du Puy-de-Dôme fait une rapide allusion à « l’admirable César de M. Gorse », il y a erreur sur le titre. Il ne peut s’agir que du Vercingétorix chef des Gaulois, de Maxime Gorse, professeur à l’Institut catholique de Toulouse. Paru en 1935 chez Payot, l’ouvrage appartient à un ensemble en quatre volumes, L’Origine et l’essor de la nation française : la France au-dessus des races. Vercingétorix, Clovis, Jeanne d’Arc, où s’exprimait déjà pour partie la pensée qui sous-tendra le discours de la Révolution nationale. « Une enquête qui s’imposait sur les origines et la nature avant tout spirituelles et psychologiques de la France », expliquait l’éditeur.

22 Seul historien cité, très brièvement, Camille Jullian, par le Moniteur du Puy-de-Dôme, nous l’avons vu, et par René Giscard d’Estaing dans son allocution, non publiée, de Gergovie : « Le voyez-vous [Vercingétorix], avec cette grande taille qui émouvait les Romains, cet aspect farouche qui effrayait l’ennemi, droit sur son cheval de bataille, vêtu de la tunique aux couleurs bigarrées, la poitrine constellée de plaques de métal, ayant à son côté, suspendue par un baudrier d’or, la large et longue épée incrustée de corail, sur sa tête le casque surmonté d’un énorme cimier qui semblait prolonger encore sa haute stature, mais aussi flottant autour de cet appareil d’éclat et de terreur, le souffle vivant de la jeunesse, le visage du chef adolescent qui va souffrir pour la liberté [9]. » La référence la plus longue est sans doute celle que Jean Mousset fait dans le Journal des Débats, sans en donner le titre ni la date, à l’Histoire romaine en cinq volumes (1856-1885) de l’historien allemand Théodor Mommsen (1817-1903).

23 Loin d’être la référence exclusive, Vercingétorix est concurrencé par les autres figures locales. Pour établir la grandeur du lieu, le président de l’Académie de Clermont axe son allocution de Gergovie sur une « énumération de gloire » des illustres Auvergnats, qui minimise relativement Vercingétorix. Quant aux journaux, ils citent tous avec fierté les autres grands hommes que l’Auvergne a produits ou entendus : Pierre l’Ermite, Pascal, le général Desaix… Lisons L’Avenir du 31 août : à Clermont, la « terre des grands morts » destinée à Gergovie a été prélevée au monument aux morts, sur l’emplacement de la maison de Pascal, « le plus illustre des enfants de Clermont », « sur la place des Croisades » qui évoque « le plus grand moment de l’histoire locale », « au pied de la statue d’Urbain II, le pape des croisades » (actuelle place de la Victoire). Le même quotidien avait déploré que l’exiguïté de cette place, jouxtant la cathédrale, n’ait pas permis d’y tenir les cérémonies du dimanche. Mais qu’importe : la place de Jaude est « à deux pas de l’endroit où Pierre l’Ermite prêcha la première croisade ». Au moment où la presse fait part avec enthousiasme du départ des volontaires de la « Légion tricolore » pour le front de l’Est, même brèves les allusions à la croisade ne sont pas innocentes.

24 Il faut bien cependant s’accommoder des monuments situés sur la place centrale de Clermont, le Vercingétorix de Bartholdi et le Desaix de Nanteuil qui se font face, aux deux extrémités. « [À Clermont] entre les statues de Vercingétorix et de Desaix, ces deux héros si caractéristiques à la fois de l’intrépidité et de l’opiniâtreté françaises, dans le décor vif et joyeux des oriflammes et des drapeaux […] une immense ferveur montait […] », écrit Le Légionnaire (septembre 1942). L’effigie du général Desaix avait certes été le centre, en 1900, pour le centenaire de Marengo, d’une fête républicaine [10] mais était moins fortement connotée que l’œuvre de l’alsacien Bartholdi. Celle-ci, dont le premier projet date de 1866 et dont le plâtre original avait été présenté pour la première fois au Salon de Paris en 1870, avait été installée au centre de Clermont après l’arrêt des travaux à Gergovie. Le haut monument (16,50 mètres avec le piédestal) supporte une statue équestre : un fougueux guerrier gaulois lancé au galop, se retournant pour un appel aux armes, épée tendue vers l’avant, foule sous les pieds de son cheval un soldat romain terrassé. Sur les côtés du piédestal, des plaques de porphyre portent des inscriptions en français – et non en latin comme celles du monument de Gergovie [11] – dont l’une cite les paroles attribuées à Vercingétorix : « J’ai pris les armes pour la liberté de tous. » Ce bronze financé par souscription publique sous la Troisième République, avait été inauguré en 1903 en présence d’Émile Combes, président du Conseil, et du général André, ministre de la Guerre, lors de grandioses manifestations républicaines dont les Clermontois ne peuvent avoir, quarante ans plus tard, complètement perdu le souvenir. Ce Gaulois ne sent-il pas le soufre ?

25 Aussi son monument ne sera-t-il guère signalé en 1942. Seule La Montagne lui consacre un petit article d’histoire locale, le 29 août, sous le titre anodin « L’Auto de Vercingétorix ». Racontant comment le bronze avait été transporté de Paris à Clermont par un camion De Dion-Bouton, La Montagne rappelle que l’auteur en est Bartholdi, également créateur du Lion de Belfort et de la statue de la Liberté à New York. L’audace s’arrête là. Elle n’en est pas moins réelle, après l’entrée en guerre de l’Amérique.

26 Sans doute la statue est-elle mentionnée par L’Avenir, à propos de la veillée du samedi soir : « Le vaste terre-plein et les trottoirs voisins s’emplirent de la foule des légionnaires et des SOL. La population occupait le reste de ce vaste cadre, que paraient les couleurs françaises flottant dans le vent rafraîchi par l’orage de la nuit. La masse grossissante des drapeaux des sections formait le plus prestigieux des décors, autour de l’autel monumental dressé au centre de la place. Vercingétorix, le glaive levé, du haut de son socle semblait conduire d’invincibles espoirs vers l’avenir que ce spectacle parait de grandeur et d’espérance. » Mais le monument est entièrement occulté le dimanche [12]. Le nom de Vercingétorix n’avait-il pas été discrètement éliminé le matin même de la plaque scellée par Pétain à Gergovie ? Ensuite, à Clermont, le discours du Maréchal aux légionnaires exalte le culte du chef : « On peut demander beaucoup à un peuple lorsque les chefs qui le dirigent ont foi en leur mission ; j’ai foi dans celle qui m’a été confiée. » Mais Pétain lui-même ne nomme pas Vercingétorix. Il ne l’avait pas nommé davantage lorsque la terre avait été prélevée à Vichy.

27 Quant aux rares photos des cérémonies, elles ne montrent jamais l’œuvre de Bartholdi. L’autel, transformé ensuite en tribune, était élevé au milieu de la place de Jaude. Les sièges prévus pour les invalides de guerre étaient installés entre l’autel et le monument, et par conséquent tournaient le dos à ce dernier. L’Illustration publie le 12 septembre trois photos : « Les porteurs d’urnes contenant de la terre de France et de l’empire entrent dans la crypte, au plateau de Gergovie », « Devant le monument de Vercingétorix à Gergovie », « Drapeaux des sections de la Légion rassemblés sur la place de Jaude, à Clermont-Ferrand ». Le photographe a pris une vue d’ensemble de la foule des légionnaires et des drapeaux, masse confuse au milieu de laquelle on distingue à peine, dans le fond, la petite silhouette de Desaix. Les rares photos parues dans la presse locale ou dans les publications de la Légion font la même omission. Par exemple, Le légionnaire, organe officiel de la Légion française des combattants et des volontaires de la Révolution nationale publie cinq photos : le Maréchal et des délégués devant une des trois colonnes du monument de Gergovie, la foule sur la place de Jaude (sans autel ni monument), le prélèvement de la terre au Pavillon Sévigné à Vichy, deux délégués de l’Empire à Gergovie, le Maréchal scelle la dalle du monument de Gergovie. Pas de Vercingétorix !

28 Vercingétorix serait-il, à tout prendre, embarrassant ? Sans doute Maurice Vallet écrit-il dans L’Avenir du 25 août : « Vercingétorix veillera donc sur le symbole de l’Unité française. Ce rôle lui était dû : ne sacrifia-t-il pas, en effet, sa vie et sa liberté pour la préserver ? » Mais les commentateurs qui s’efforcent d’établir un parallèle entre le chef gaulois et le Maréchal doivent sans sourciller rapprocher des phrases qui peuvent paraître à première, et même à seconde lecture, sans rapport, sinon contradictoires. Ce que ne semble pas saisir le journaliste du Moniteur qui citait, le 27 août, la conclusion d’une allocution de Vimal de Fléchac, chef régional de la Légion : « Vous comprendrez alors que deux phrases jaillies de notre Histoire ont des résonances tragiquement et merveilleusement pareilles, à deux mille ans de distance : “Je prends les armes pour la liberté de tous” ; “Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer ses malheurs”. » René Giscard d’Estaing, le 30 au matin, établit sans hésiter la même équivalence entre les deux citations. Pour sa part, le journaliste anonyme du Le Légionnaire (septembre) était plus lucide : « Le Maréchal a donné à cette manifestation une signification historique. « J’ai pris les armes pour la liberté de tous », avait dit Vercingétorix. Vingt siècles après, dans des circonstances aussi sombres, le maréchal Pétain a pris le pouvoir pour le salut de tous. Aux heures les plus tragiques, la France a toujours trouvé des chefs et des apôtres pour la servir. »

29 N’eût-il pas été plus logique de faire référence à Alésia, à l’« heureuse défaite » qui, selon la pensée classique, a permis à la Gaule de se civiliser ? La douloureuse défaite de 1940 n’a-t-elle pas délivré la France d’un ancien régime néfaste, et ouvert l’avenir à la « révolution nationale » ? N’eût-il pas été plus cohérent de rapprocher la phrase de Pétain, « Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur », du sacrifice que fit Vercingétorix en se rendant à César afin d’épargner ses soldats et la population d’Alésia ? Pourtant, jamais le nom d’Alésia n’est prononcé.

30 Curieusement, l’on ne sait pas qui affrontait Vercingétorix. Il n’est jamais question des Romains [13], à part deux brèves allusions, dans L’Avenir du Plateau Central : « Sur l’éperon rocheux de Gergovie où s’élevait il y a vingt siècles les murs de l’oppidum Gaulois qui résista victorieusement aux légions de César […] » (27 août) et « le triomphe de la discipline romaine » (30 août). Pas d’envahisseur. Pas d’ennemi extérieur. Uniquement l’ennemi intérieur, les Gaulois eux-mêmes, à cause de leur division. L’exemple de Vercingétorix agit comme un repoussoir. S’il a échoué à sauver la patrie, c’est à cause du comportement des Gaulois. Que leurs descendants, les Français de 1942, ne compromettent pas l’entreprise salvatrice du nouveau Vercingétorix et s’unissent derrière le Maréchal. Le « glorieux martyr » n’appelle pas aux armes [14]. Il incarne et favorise l’unité nationale, il exhorte à obéir au chef providentiel, sans regretter la vieille Gaule. Telle est la leçon que les Français de 1942 doivent retenir de l’histoire.

31 À cet égard, un article est particulièrement éclairant, celui de Maurice Vallet, sous le titre « La France doit vouloir… », paru dans L’Avenir du 1er septembre, en partie repris d’un article signé Jean Mousset, déjà publié la veille dans Le Journal des Débats – texte lui-même démarqué des thèses du très francophobe Mommsen (emprunts ici indiqués en italiques) : « La grandeur fulgurante du destin de Vercingétorix a pour réplique sa brièveté ! Le rassemblement qu’il avait suscité des tribus gauloises, n’a pas empêché le triomphe de la discipline romaine, et Gergovie ne fut qu’une étape d’arrêt brillante et courte sur le chemin de la servitude. […] Ce qui assure à Vercingétorix une place dans l’histoire, ce ne sont pas ses batailles et ses sièges, mais bien d’avoir pu donner à une nation divisée et liée au particularisme, un point d’appui et un centre en sa personne… Destin mélancolique, mais combien enseignant ! Ainsi ce chef prestigieux n’a pu conduire sa victoire à son terme ; en faire le départ d’une reconstruction indépendante de la Gaule, parce que le fonds politique et social de son pays ne supportait pas cet effort qui, d’abord, appelait, pour la guerre difficile et longue, puis pour la paix laborieuse, une cohésion morale, un sens du sacrifice, une volonté de durer, qui manquait à notre civilisation décrépite. […] La Gaule avait aidé Vercingétorix à remporter la victoire nécessaire sur le vainqueur. La lassitude vint aussitôt après, et avec elle le renoncement au travail ; le laisser-aller commode ; la résignation à la force dont la défaite paraissait une chance miraculeuse qui ne pouvait pas avoir de lendemain. Au vrai dire, la victoire à laquelle nous sommes conviés par une voix éloquente, n’est pas militaire. Elle doit se remporter sur nous-même […] » On croit entendre le discours du Maréchal Pétain, du 16 juin 1940, dénonçant « l’esprit de jouissance » et expliquant que « notre défaite est venue de nos relâchements ».

32 Dans quelle mesure ces références hétéroclites pouvaient-elles être convaincantes [15] ? Autant le rapprochement entre Pétain et Jeanne d’Arc favorisait la rencontre, l’appui réciproque entre l’Église catholique et le nouveau régime, autant l’image du chef arverne, en dépit de quelques allusions à l’unité religieuse des Gaulois, se prêtait mal à une fusion cérémonielle. Il n’y a pas de saint Vercingétorix. La synthèse est difficile.

33 Le Courrier du Puy-de-Dôme publie le 22 août une affichette, montage qui rassemble le monument de Gergovie, la façade de Notre-Dame de Paris, les flèches gothiques d’églises non identifiées, avec l’annonce : « Veillée du 30 août/vers Gergovie/montera la prière/des cloches de France. » En effet, les cloches de toutes les églises de Clermont ont sonné les 29 et 30 août. Le texte déposé dans la crypte avec les terres était écrit « en caractères gothiques sur parchemin enluminé ». Ce document pseudo médiéval, insistait sur la continuité de l’histoire de France et valorisait les siècles chrétiens. En revanche, l’assez lugubre procession des délégués déposant la terre à Gergovie, bien que suivie, après le départ du Maréchal, d’une messe basse sur le plateau et d’une grand messe à Clermont, n’est pas plus chrétienne que gauloise. En 1941 avait eu lieu la « course du feu ». L’année suivante est mis en œuvre un culte de la terre. Paganisme et christianisme se côtoient dans un discours hétérogène pour lequel les arguments ne semblent jamais suffisants.

34 D’où faut-il faire partir l’histoire de France ? Le Temps du 31 août publie une lettre du comte Beguen, directeur des Antiquités préhistoriques du Midi, qui regrette qu’en rassemblant les parcelles de terre on se soit contenté des lieux rendus célèbres par l’histoire écrite. Après avoir rappelé Néanderthal, Cro-Magnon et Chancelade qui « ont donné leur nom à des races dont nous descendons », il demande : « Ces lieux sacrés de la préhistoire ne méritent-ils pas de donner les premières assises du cénotaphe de Gergovie ? » Estimant qu’ « il était injuste de ne faire remonter qu’à l’époque gallo-romaine l’hommage rendu à Gergovie à nos ancêtres habitant notre sol », il a pris l’initiative d’envoyer à Gergovie un peu de terre prélevée au fond de la grotte du Tuc d’Audoubert.

35 L’accumulation de modèles et de symboles disparates ne délivre finalement qu’un message brouillé. La seule image forte qui s’en dégage est peut-être celle que donnent (septembre et 31 août), Le Légionnaire et Le Moniteur du Puy-de-Dôme : « Il a fallu attendre près de 2 000 ans, il a fallu que nous subissions les plus cruelles et humiliantes épreuves, pour que nous nous décidions à faire de ce haut lieu sacré un pèlerinage, pour que nous considérions Gergovie non comme une montagne, mais comme un autel créé par la nature et magnifié par l’histoire. » « Dorénavant Gergovie fera réellement figure d’acropole de la France [16]. » Plus et mieux que l’enrôlement de Vercingétorix dans les rangs de la Légion, l’instrumentalisation de l’Antiquité nationale n’a-t-elle pas consisté, en 1942, à faire, ou tenter de faire du célèbre plateau [17] « un lieu où souffle l’esprit », une « colline inspirée » ?

36 ?


Date de mise en ligne : 01/03/2006.

https://doi.org/10.3917/ving.078.0133

Notes

  • [1]
    Jeanne d’Arc a des concurrents, parfois surprenants. Levis-Mirepois n’écrit-il pas dans La Légion. Revue mensuelle illustrée publiée par la légion française des combattants, n° 8, janvier 1942 : « J’entends que notre pays soit débarrassé de la tutelle la plus méprisable, celle de l’argent, a dit le Maréchal Pétain. Une pensée soucieuse de retrouver la continuité de l’effort français relie cette mesure de restauration de l’État à une autre qui fut prise, il y a bien des siècles, par un de ses prédécesseurs à la tête de la nation : Philippe le Bel. Certes, le dur Philippe le Bel fut un chef infiniment moins humain que Philippe le Maréchal ! Cependant ils ont un trait commun : la fermeté de caractère ! Et, avec des procédés brutaux, et une manière implacable qui étaient ceux d’une autre époque et d’une autre âme, le souverain médiéval voulut soustraire lui aussi la France de son temps à la tutelle anonyme d’une puissance d’argent. Telle est la signification suprême du fameux procès des Templiers. » On craint de deviner quelle cible est visée à travers les Templiers…
  • [2]
    J. Ott, « La nuit de Gergovie », Notre pays, 1912 ; É. Desforges et P. Balme, Gergovia, Clermont-Ferrand, 1929 ; É. Desforges, « Le pseudo oppidum des côtes de Clermont », 45e parallèle, février 1933 ; P. Fournier, « Le pseudo oppidum des côtes de Clermont », Le Moniteur du Puy-de-Dôme, 27 février 1933 ; É. Desforges et P. Fournier, La bataille de Gergovie, Clermont-Fd, 1933 ; É. Desforges, « Gergovia, Recherches archéologiques », Revue d’Auvergne, 1934 ; Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, n° 483, 1934.
  • [3]
    Commande d’Edmond Giscard d’Estaing (1894-1982), inspecteur des Finances, membre de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques), père de l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing. André Maire (1898-1985), Gergovie, peinture, L. 3, 60 m ? H. 2, 20 m 1942.
    Le tableau représente le tableau de Gergovie, en vue cavalière depuis le Sud, la ligne d’horizon étant très relevée. En haut de la composition, des nuages sombres, des nuées, des rideaux de pluie ferment la vue. Le terrain est découpé en parcelles striées ou pointillées par les cultures, sauf au Nord-Est du plateau, où ne pousse que de l’herbe rase.
    Mais le paysage montre un panorama plus vaste que le seul plateau de Gergovie à l’extrémité duquel on aperçoit, en haut à droite, très petit, le monument à Vercingétorix. Dans la partie inférieure du tableau, le peintre a représenté, en contre-bas du plateau, la vallée de l’Auzon, souligné par une rangée de peupliers, avec, à droite, le village du Crest autour du clocher de son église. Puis le regard remonte vers le village de la Roche-Blanche, au pied des falaises creusées d’habitations troglodytes. Puis, toujours en montant, on distingue le petit village de Gergovie.
    Sur la gauche du tableau, au-dessus d’un grand arbre qui lie les plans entre eux (le même procédé est employé sur la droite), s’élève un arc en ciel très lumineux. Dans le creux de la vallée de l’Auzon, tout à fait à gauche, dans les arbres, on reconnaît, tel le portrait du donateur dans les tableaux du Moyen Âge, le château de Chanonat, propriété de la famille Giscard d’Estaing.
    Au tout premier plan, sur une hauteur surplombant la vallée de l’Auzon, de petits personnages évoquent les travaux des champs. De gauche à droite : un char de foin tiré par deux bœufs conduits par un bouvier ; accompagné de deux ânes, un groupe de trois paysans dont l’un porte une faux sur l’épaule ; puis deux groupes de femmes en costume intemporel (jupes longues et gonflées) ; derrière elles un double attelage de bœufs qui transporte un énorme tronc d’arbre ; viennent dans l’autre sens deux paysans chargés d’outils. Enfin, à droite, sur une hauteur, une vache paît au pied d’un arbre et un laboureur qui guide une charrue tirée par deux bœufs trace des sillons très réguliers. Les travaux de la terre sont ainsi célébrés. En revanche, la vue vers Clermont, ville industrielle, est occultée.
  • [4]
    L’Académie n’a jamais projeté une image de Vercingétorix – « un héros dont la figure n’est pas positivement connue » –, mais préfère « signaler une localité célèbre où s’est passé un fait historique d’une grande importance qui est une des gloires de notre région ». Construit par l’entreprise Legay-Chevalier, de Volvic, sur un projet de l’architecte Teillard, donné l’année suivante à la commune de la Roche-Blanche, ce monument ne fut jamais inauguré. Sur son historique et celui de la statue de Bartholdi, leur rivalité à partir de 1885, alors qu’ils étaient issus d’un projet unique à l’origine (1843) cf. : Antoinette Ehrard, « Les Gaulois et la sculpture au 19e siècle », catalogue de l’exposition Nos ancêtres les Gaulois, Musée Bargoin, Clermont-Ferrand, 1980 ; « Vercingétorix contre Gergovie ? », actes du colloque international Nos ancêtres les Gaulois, 1980, Clermont-Ferrand, faculté des Lettres et Sciences humaines, université de Clermont 2, 1982 ; « Vercingétorix dans les beaux-arts et les arts graphiques », catalogue de l’exposition Vercingétorix et Alésia, musée des Antiquités nationales, RMN, 1994.
  • [5]
    Le texte dactylographié de ce discours qui n’a jamais été publié a été déposé, en octobre 1942, à la bibliothèque municipale et universitaire de Clermont-Ferrand, cote A 36583.
  • [6]
    Peut-on voir dans cette cérémonie funèbre un écho lointain et dénaturé de la fête de la Fédération de 1790, fête dans la préparation de laquelle les Français remuaient aussi la terre, dans une célébration joyeuse de l’unité de la nation ? La question a été posée. Il est vrai que l’État français joue sur les mots quand il emploie celui de « Révolution » nationale et l’oppose à l’ « ancien régime » honni. Mais peut-on soupçonner une volonté délibérée de la part des organisateurs ? Autre exemple de récupération de l’Histoire : la Marche consulaire est devenue en 1940 l’hymne de la Légion, dont l’écusson tricolore portait en son centre un casque « gaulois » à ailes.
  • [7]
    Ont été dépouillés pour cette étude des périodiques destinés au grand public, vecteurs plus ou moins réservés ou enthousiastes, et surtout enthousiastes, de la propagande officielle : trois quotidiens régionaux édités à Clermont dont le lectorat s’étend bien au-delà du département du Puy-de-Dôme : La Montagne, Le Moniteur du Puy-de-Dôme, et L’Avenir du plateau central, distribués dans neufs départements environnants ; un hebdomadaire riomois plus confidentiel, Le Courrier du Puy-de-Dôme ; deux périodiques nationaux « repliés » en zone libre : Le Journal des Débats, édité à Clermont, et Le Temps, quotidien édité à Lyon. En revanche, de la presse parisienne, n’a été abordée que L’Illustration. Ont également été consultés les organes officiels de la Légion publiés à Vichy : le Bulletin de l’Institut national de formation légionnaire, La Légion – Revue mensuelle illustrée, publiée par la Légion française des combattants, Le légionnaire. Organe officiel de la Légion française des combattants et de la Révolution nationale, ainsi que la Revue de l’État nouveau.
  • [8]
    Les Grands Jours du Puy. Le Pèlerinage de la jeunesse française du 15 août 1942, imprimé au Puy par l’Imprimerie Jeanne d’Arc ; V. Vailli, « Le Pèlerinage du Puy-en-Velay du 15 août 1942 : apogée de la révolution nationale ? », Revue d’Auvergne, tome 105, n° 1-2, 1991, p. 65-74 ; C. Faure, « Pèlerinage ou mise en représentation de la ferveur populaire : le pèlerinage de la jeunesse du 15 août 1942 au Puy-en-Velay », Cahiers d’Histoire, 1986, n° 1, p 23-39.
  • [9]
    Emporté par son enthousiasme, l’orateur ne commet-il pas un impair en insistant sur la jeunesse de Vercingétorix ? Comme sur celle de Pascal et de Desaix ? De même (mais pouvait-il le prévoir ?), en citant la description que faisait Camille Jullian de l’équipement rutilant du chef gaulois alors que, ce jour là, Pétain avait choisi le style austère, petite tenue kaki, médaille militaire seulement ? Le rapprochement entre les deux grands hommes, à première vue, ne s’imposait pas. Heureusement, le Maréchal est arrivé sur le plateau après le discours du président de l’Académie.
  • [10]
    Cf. Antoinette Ehrard, « Autour de la statue de Desaix par Nanteuil… [1848] », Louis Charles-Antoine Desaix, officier du roi, général de la République, actes du colloque de Riom, 2000 , Annales historiques de la Révolution française, 2001, n° 2.
  • [11]
    Les tableaux de marbre qui ornent les trois faces du socle portent les inscriptions : GERGOVIA IN. HIS. LOCUS. DVX. ARVERNORVM VERCINGETORIX CAESAREM INVADENTEM PROFLIGAVIT ;
    HOC. MONVMENTVM. AD. GLORIAM VERCINGETORIS. VICTORIS EX. ERE. PRIVATO. ACADEM. S.I.A. CLARAMONT. PROMOV ENTE ET. E. VMPTV. CVJVSDAM. CIVIS. RIOMENSIS. EREXERVNT ; ARVERNORVM. APOGONI M.C.M.
  • [12]
    Autre monument, tout à fait escamoté celui-là, le monument du Centenaire de la Révolution, petit génie de bronze dû au sculpteur Gourgouillon, installé place Lamartine en 1905 et auquel l’estrade réservée au Maréchal pour le défilé final ne pouvait que tourner le dos. Il n’en est fait aucune mention en 1942. Il disparaîtra matériellement, l’année suivante, dans l’entreprise de récupération des métaux non ferreux qui détruira nombre de monuments mal pensants.
  • [13]
    La même année 1942 Jalabert, dans Vive la France, faisait l’éloge enthousiaste des « temps romains » : « Le pays se couvrit de camps, l’air retentit des clameurs incessantes des buccins et des troupes guerrières, et le sol du pas des légions qui, entre deux assauts, bâtissaient les villes et frayent les routes. […] Un langage plus sonore, impératif et concis, qu’on eût dit coulé dans l’airain, se substitua au dialecte grec qui avait emprunté sa douceur au miel des ruches de l’Hymette ; et la Gaule marcha, casquée. » Est-ce bien des Romains qu’il s’agit ?
  • [14]
    Le Vercingétorix du Clermontois Georges Collomb, qui signale « Vercingérotix, le premier patriote », écrit en 1942, ne fut publié qu’en 1947.
  • [15]
    Quel retentissement ont pu avoir ces cérémonies en dehors de l’Auvergne ? En mesurer l’impact dans l’ensemble de la zone libre, et en zone occupée supposerait une étude de l’ensemble de la presse de l’année. Ce serait une autre recherche.
  • [16]
    1. En 1943 paraît à Clermont sous le titre Gergovie, haut lieu de France, un numéro de L’Auvergne littéraire, n° 100, rassemblant six courts articles de géographie, d’histoire et d’archéologie. Celui du docteur Pierre Balme retrace en quatre petites pages l’historique du monument de Gergovie et de la statue de Vercingétorix et résume en quelques lignes, sans commentaire, les manifestations du 30 août sur le plateau. Cette évocation sera la dernière.
  • [17]
    Gergovie, point d’attraction touristique, demeure aujourd’hui ce que l’on appelle un « lieu de mémoire », mais à un autre titre. À la libération de Clermont (27 août 1944), une des sept étoiles sculptées dans l’entourage de marbre fut martelée. Les six autres demeurèrent intactes. Les touristes qui aujourd’hui regardent le monument ne comprennent sans doute ni la signification des étoiles restantes ni la trace de la septième. Mais le monument de l’Académie de Clermont, dont la crypte est condamnée, est entretenu. Le casque de pierre jeté à bas par la tempête de 2001 a été relevé et protégé par un paratonnerre. Tout près, un petit musée présente une documentation sur la vulcanologie en Auvergne, une exposition archéologique et un court montage audio-visuel sur Vercingétorix. Mais c’est la Résistance, et non le régime de Vichy, qui est chaque année honorée à Gergovie. En effet, l’université de Strasbourg s’était « repliée » à Clermont-Ferrand. En juillet 1940, les professeurs Zeller, historien, et Lassus, archéologue, rassemblent les étudiants alsaciens en fondant un groupe pour effectuer des fouilles à Gergovie. Grâce au général de Lattre de Tassigny, gouverneur militaire de Clermont, ils construisent une maison dont les soubassements subsistent encore. Une cinquantaine d’étudiants, alsaciens ou auvergnats, fréquentent cette « Maison de Gergovie ». Sous couvert de fouilles archéologiques, au demeurant réelles, ces « Gergoviotes » forment non pas un maquis mais une pépinière de résistants pour les mouvements qui s’organisent, fin 1942, après l’occupation allemande de la zone sud. Sur le plateau a été élevée une stèle à leur mémoire, inaugurée en 1951 par de Lattre de Tassigny, fleurie tous les 11 novembre (cf. J. Lalouette, « Vercingétorix : 1940-1945. De Vichy au maquis », in C. Bougeard (dir.), Bretagne et identités régionales pendant la Seconde guerre mondiale, Rennes, PUR, 2002, p. 47-60).
  • [*]
    Ancien maître de conférence à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, Antoinette Ehrard est membre du Centre de recherches révolutionnaires et romantiques de cette université et fut, avec Paul Viallaneix, l’une des organisatrices en 1982 du colloque Nos ancêtres les Gaulois, important moment dans le renouveau historiographique à leur propos.
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