Notes
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[1]
Selon le commissaire du gouvernement, Archives nationales (AN), Z/5/257, f. 53/4.
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[2]
Archives de la préfecture de police (APP), GA-52, note du 22 avril 1942.
-
[3]
Le COSI s’installe d’abord dans un immeuble de Boulogne-Billancourt appartenant à une riche Israélite. L’organisme vend ou distribue peu après le mobilier, d’une valeur estimée à 1 million de francs. (AN, Z/5/257, f. 53/3.)
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[4]
Pour les militants syndicalistes du COSI cités dans cet article, nous renvoyons systématiquement aux notices du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (DBMOF, Maitron). Nous avons précisé la plupart de ces notices pour la période sur la version en ligne du DBMOF : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?mot3. Nous remercions Pascal Raimbault pour son aide dans le repérage de dossiers de justice de l’épuration et notamment des scellés complémentaires.
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[5]
APP, GA-52, note des Renseignements généraux du 22 avril 1942.
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[6]
L’ouvrage de référence sur le syndicalisme durant la période est celui de Jean-Pierre Le Crom, Syndicats nous voilà ! Vichy et le corporatisme, Paris, Éditions ouvrières, 1995. Voir aussi Denis Peschanski et Jean-Louis Robert (dir.), Les Ouvriers pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, CRHMSS-IHTP, 1992 ; et Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky (dir.), Le Syndicalisme dans la France occupée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008. Mais cet ouvrage ignore pratiquement les milieux collaborationnistes. On trouvera aussi des éléments nécessairement brefs dans les synthèses sur l’histoire de la CGT, notamment Michel Dreyfus, Histoire de la CGT. Cent ans de syndicalisme en France, Bruxelles, Complexe, 1995. Jean-Pierre Le Crom consacre, enfin, un chapitre au COSI dans Au secours Maréchal ! L’instrumentalisation de l’humanitaire (1940-1944), Paris, PUF, 2013.
-
[7]
Voir Gilles Morin, « Les syndicalistes collaborationnistes et la France libre », Revue de la Fondation de la France libre, 67, mars 2018, p. 3-8.
-
[8]
COSI, Imprimerie centrale de la presse, Paris, juillet 1942, 45 p. La brochure est tirée à 15 000 exemplaires. (APP, GA-52, note du 20 juillet 1942.)
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[9]
AN, Z/5/257, p. 418. Sur la lourdeur administrative et les préjugés du Secours national, voir J.-P. Le Crom, Aux Secours…, op. cit.
-
[10]
Ils se livrent parfois au pillage. Voir, par exemple, APP, JB/19, note du 16 septembre 1943.
-
[11]
Soit, environ, l’équivalent de quatre à cinq mois du salaire ouvrier de base. Le membre survivant d’un couple ayant perdu son conjoint touche 5 000 francs, plus 1 000 francs par enfant à charge. En outre, 500 francs sont alloués par enfant tué et autant pour chaque blessé.
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[12]
Andrew Knapp, Les Français sous les bombes alliées. 1940-1945, Paris, Tallandier, 2014.
-
[13]
Voir, par exemple, AN, Z6/249, p. 484-485.
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[14]
Chiffre très exagéré, semble-t-il (AN, Z6/249, dossier Jules Teulade, p. 771 et 160).
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[15]
AN, Z6/249, p. 510-511.
-
[16]
Ibid.
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[17]
AN, Z6/249, p. 514-515.
-
[18]
Voir, par exemple, les actualités « Reconnaissance des sinistrés envers le COSI » (http://www.ina.fr/video/AFE86001843).
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[19]
APP, GA/52.
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[20]
Bureau central de presse et service, de documentation du COSI, Nos Amis les Anglais, imprimerie spéciale, juillet 1942, 52 p. Tirée à 66 000 exemplaires, elle présente en couverture l’arrivée des souverains anglais à Paris en juillet 1938.
-
[21]
Voir aussi le sous-titre du Bulletin mensuel du COSI, 9, octobre 1943.
-
[22]
AN, Z6/249, p. 510-511.
-
[23]
Sur l’antisémitisme, traditionnel dans les milieux syndicaux, voir Michel Dreyfus, L’Antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009. Les témoignages rassemblés après-guerre lors des deux grands procès cités (Z/6/249, Z/5/257) attestent pourtant que, tout en faisant de la propagande pro-nazie, les membres du COSI ne s’occupaient pas, dans l’aide matérielle apportée aux personnes, de discriminations antisémites : les Juifs sinistrés étaient aidés comme les autres. Sur ce point, l’action de terrain est en contradiction avec la propagande.
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[24]
René Mesnard remercie ainsi le général allemand lors du troisième versement d’argent pour ce « nouveau geste de solidarité socialiste et européenne », Bulletin mensuel du COSI, 9, octobre 1943.
-
[25]
AN, Z6/249, p. 400. Au 30 novembre 1942, il y avait 207 employés, chiffre ramené à 106 en février 1943, « limite extrême des compressions possibles » pour assurer la marche normale des services selon René Mesnard. AN, Z/5/257, lettre à Rudolf Schleier du 11 février 1943, citée dans le rapport Pottier, p. 38. Les frais administratifs seraient ainsi, avec d’autres mesures, passés de 1 200 000 francs à 800 000 francs par mois.
-
[26]
100 millions au début de l’année 1944, autant entre la fin du mois d’avril et le mois de juin, enfin plus de 471 millions de francs après le débarquement du 6 juin 1944.
-
[27]
AN, Z/5/257, rapport Rolle, p. 125. Un compte postal, plus modeste, gère un peu plus de 8 millions de francs, dont une partie vient des versements du compte de la Banque de France. Il a servi pour l’essentiel à alimenter en numéraire les centres d’enfants.
-
[28]
AN, Z/5/257, feuillet 53.
-
[29]
AN, Z5/257/438, témoignage du 14 octobre 1944.
-
[30]
AN, Z5/257/37, déposition de Raymond Bosc, 15 novembre 1944.
-
[31]
AN, Z6/364, f. 371-372, note du 5 juin 1943.
-
[32]
AN, Z/5/257, p. 412.
-
[33]
AN, Z/5/257, p. 379.
-
[34]
AN, Z/5/257/427, témoignage d’Auguste Carré.
-
[35]
AN, Z5/257/379, témoignage du 13 novembre 1944.
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[36]
René Mesnard, mort en Allemagne, est le bouc émissaire idéal à la Libération et tous le chargent. D’autres exemples de corruption interne ou d’enrichissements soudains sont probants. Voir les cas de Jean Cothereau, chef d’équipe du COSI, qui aurait détourné des fonds (sous-dossier COSI dans AN F/60/1498 ; Z/5/257, p. 435) et le cas du typographe Charles Mesmin, trésorier du COSI (AN, Z/6NL/407/9238). On ne peut toutefois généraliser. Par exemple, Justin Bussière, mutilé de guerre, membre du RNP, qui accepte de devenir président bénévole de la section du COSI de Drancy après le bombardement de la ville en avril 1944 semble désintéressé. Voir AN, Z/6/18/948.
-
[37]
Pour gérer des dossiers de sinistrés, Jules Florimont, vieux syndicaliste radioélectricien de son métier, touche un peu plus de 3 000 francs net au début de l’année 1943, pour finir à près de 4 200 francs à la veille de la Libération, somme à laquelle s’ajoute une indemnité de fonction de 500 francs.
-
[38]
AN, Z/5/257, p. 116.
-
[39]
L’invite aurait été faite en premier à la section syndicale des ouvriers métallurgistes de Boulogne-Billancourt qui l’aurait renvoyée au syndicat des ouvriers sur métaux de la région parisienne. Ce dernier, arguant qu’il n’y avait pas seulement des métallurgistes parmi les sinistrés, transmet l’invitation à l’Union des syndicats de la région parisienne et à la Fédération des métaux qui, toutes deux, la déclinent, renvoyant au Comité syndical de coordination (CSC) qui maintenait les contacts entre fédérations et unions des syndicats. Le COSI et les Allemands auraient jugé ces refus déguisés comme une marque d’hostilité à leur égard et exigé des responsables du CSC, sous menaces d’arrestations, de désigner deux représentants, ce qui aurait alors été fait.
-
[40]
Gaston Prache, président du Groupement national des coopératives de consommation, Simon Thénaud, représentant du Secours national, et Jean Luchaire, le puissant président du Groupement corporatif de la presse quotidienne de Paris.
-
[41]
Une assistante sociale demande ainsi au docteur Grosse d’intervenir pour que son beau-frère ne parte pas en Allemagne, ce qu’elle obtient (AN, Z/6/257, p. 383).
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[42]
L’imprécision de ces chiffres tient certainement au fait que des rapports comptabilisent les renvois au siège national, alors que d’autres comptent aussi les départs dans les comités locaux.
-
[43]
Plusieurs employés obtiennent des cartes d’identités du COSI postérieurement à la date à laquelle ils déclarent avoir démissionné (AN, Z5/257/404 et F/7/14901).
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[44]
AN, Z/5/257/371/421.
-
[45]
Rappelons que le premier président du COSI a été l’anarcho-syndicaliste Georges Yvetot. Vieux dirigeant de la CGT (né en 1868), il est mort deux mois après la fondation de l’organisme.
-
[46]
Citons encore au niveau des sections, l’anarchiste Layec, vice-président de la section de Puteaux, alors membre du RNP.
-
[47]
AN, Z6/249, p. 450, témoignage du député et ancien maire de la ville, Pierre Courant, 7 juin 1946. Il précise que la Chambre civique du Havre a acquitté les responsables locaux du COSI et a constaté « la parfaite dignité de leur attitude ».
-
[48]
AN, Z6/364, p. 339, circulaire n° 139, 1er avril 1944.
-
[49]
AN, Z6/364, p. 361.
-
[50]
Par exemple deux affaires de séquestrations (AN, Z/5/25, p. 393 et 395). En outre, la responsable du secrétariat est licenciée pour avoir refusé d’assister aux obsèques de Philippe Henriot.
-
[51]
Ses membres ne portent ni uniforme ni arme, mais disposent de revolvers.
-
[52]
AN, Z/5/257, p. 439.
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[53]
Kléber Legay aurait partagé les 65 millions de francs restants avec six autres militants, Georges Deschamps, Henri Franchet, Gabriel Prouveur, Raymond Bourdon et Gaston Jacquet. René Éloy a emporté une somme indéterminée en marks. Un responsable de la Gestapo se fait remettre 5 millions de francs par Legay.
-
[54]
L’Entr’aide française est constituée séquestre du COSI par l’ordonnance du 22 août 1944.
-
[55]
AN, Z/5/257, f. 40 et f. 240.
-
[56]
Auguste Savoie a touché 100 francs par mois du COSI, puis au bout de six mois le double. Cependant, il a reversé cet argent à la caisse de solidarité de la Fédération de l’alimentation.
-
[57]
Par exemple, AD35/214W87, dossier Joséphine Jappe, âgée de 75 ans.
1Le Comité ouvrier de secours immédiat, fondé en 1942 par des syndicalistes, avec l’appui des Allemands, concurrença le Secours national dans l’aide aux sinistrés. Tenu par les collaborationnistes, il orchestra une propagande pro-nazie et passa un accord avec la Milice en avril 1944. Pourtant, la mémoire comme les tribunaux de l’épuration semblent avoir surtout retenu sa fonction humanitaire. Par une enquête documentaire minutieuse, qui contourne la disparition des archives de cette organisation, Gilles Morin lève le voile sur son histoire, celle de ses membres et de ses pratiques.
2Le 22 avril 1942 à Boulogne-Billancourt, dans la cour d’une institution juive réquisitionnée, les « autorités d’Occupation » remettent à des syndicalistes, fondateurs à la mi-mars précédent du Comité ouvrier de secours immédiat (COSI) un lot important de meubles destinés aux sinistrés des bombardements britanniques. Le chef du service allemand de la Croix-Rouge leur tient un discours bien peu conforme aux buts humanitaires proclamés par ces deux organismes :
Vous connaissez tous la guerre avec ses rigueurs. Elle doit être menée à une fin victorieuse et elle le sera, nous en sommes sûrs, pour arriver à une collaboration en Europe. Dans cette grande lutte pour la liberté de l’Europe, nombre de vies humaines ont déjà été perdues. L’Angleterre et sa RAF se sont mises à apporter la mort et la misère à la population civile, à l’abri de la nuit, au lieu de combattre sur les fronts […]. Ce n’est pas un exploit héroïque que de jeter des bombes sur la population civile […]. Ainsi, Albion nous a-t-elle apporté à nouveau la mort et la misère et, derrière elle, se trouve le Juif qui, comme toujours, tente d’ameuter les peuples contre l’ordre établi [2].
4Il ajoute, en remettant cette maison remplie de meubles provenant d’appartements spoliés à des Juifs [3] :
[A]insi, le Juif sera un peu le réparateur du mal qu’il a fait commettre car c’est lui le responsable des attaques sur Paris, et comme tel, il devra supporter le poids des dégâts.
6Le président du COSI, Georges Yvetot, ancien secrétaire de la Fédération des bourses du travail puis secrétaire adjoint de la CGT [4], remercie le service allemand qui fait ce don quelques jours après la remise d’un premier chèque de 100 millions de francs. Il salue, sans aucune réserve, un « gage de collaboration sociale entre les deux pays [5] ». Derrière ce vétéran, des centaines de syndicalistes français acceptent de jouer le jeu de la Collaboration au service du nazisme et de sa propagande.
7Après avoir retracé les conditions de la création de ce qui a été effectivement une association humanitaire, nous montrerons son rapport aux autorités nazies qui tolèrent une corruption patente. Nous interrogerons ensuite les attaches politiques de cet organisme, qui se réclame de la tradition du mouvement ouvrier français et qui dépasse parfois les milieux collaborationnistes [6]. Enfin, après avoir rappelé la dérive milicienne finale, la question de l’ampleur de l’épuration à la Libération sera posée.
La création du COSI
8Dans la nuit du 3 au 4 mars 1942, la RAF lance un raid aérien sur les usines Renault de Boulogne-Billancourt et, plus particulièrement, sur leurs ateliers de réparation de chars et de camions de la Wehrmacht. Succès militaire, l’opération se révèle politiquement et socialement très dommageable pour les Alliés. Les victimes sont très nombreuses : 623 morts, plus de 1 500 blessés et de très nombreux sinistrés. Ce premier bombardement sur la région parisienne est immédiatement exploité par les Occupants et par le régime de Vichy, grâce à la presse aux ordres qui cultive un sentiment général d’indignation. Le dimanche suivant est décrété journée de deuil national et une grande manifestation se déroule place de la Concorde.
9Dans les jours qui suivent ce bombardement, deux syndicalistes collaborationnistes rencontrent Fernand de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, pour lui proposer la création d’un nouvel organisme d’entraide [7]. Le premier, René Mesnard, ancien néosocialiste bordelais, proche de Marcel Déat, est depuis 1940 codirecteur du journal syndicaliste L’Atelier et l’un des principaux animateurs de l’appendice syndical du Rassemblement national populaire (RNP), le Front social du travail (FST). Le second, Jules Teulade, ancien communiste, a été secrétaire à la propagande de la Fédération unitaire du bâtiment et suppléant à la commission exécutive de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU). Devenu membre du bureau politique du Parti populaire français (PPF), ce spécialiste des problèmes ouvriers représente ce parti à l’Entr’aide d’hiver du Maréchal, branche du Secours national, l’organe humanitaire officiel du régime de Vichy en zone occupée. La proposition des deux hommes aussitôt soumise aux autorités allemandes est acceptée.
10Création mixte des Allemands et des collaborationnistes parisiens, située « à l’axe de la collaboration franco-allemande sur le plan social », selon la formule de son premier directeur Raymond Auriac, l’« Œuvre de secours aux sinistrés du 3 mars », bientôt devenue le COSI, est placée sous le haut patronage de l’ambassadeur Fernand de Brinon. Le COSI concrétise ce que ses promoteurs présentent comme « un geste de solidarité socialiste des Autorités d’occupation à l’égard des familles ouvrières frappées par les bombes anglaises ». Son but affirmé est de créer une œuvre « française » et non allemande ; mais il est placé sous le contrôle du représentant de l’ambassade allemande, Rudolf Schleier.
11Les caractères humanitaires et ouvrier de l’organisation sont mis en avant : le logo du COSI allie le symbole de la Croix-Rouge, représentation habituelle de la Charité, et la roue dentée, représentation de l’identité ouvrière. Les hommes du COSI exhibent cet emblème sous forme d’un insigne émaillé et d’un brassard qui permet de bien les identifier (document 1). Autre symbole de cette filiation ouvrière, le COSI s’installe dans l’ancien siège de la CGT dissoute, au 213 rue Lafayette, où il cohabite difficilement, durant deux ans, avec la Caisse d’assurances sociales, Le Travail.
Dépliant du Comité ouvrier de secours immédiat, 1942
Dépliant du Comité ouvrier de secours immédiat, 1942
12Les dirigeants du COSI se placent aussi sous la figure tutélaire du maréchal Pétain, auprès duquel ils se sont rendus à Vichy dès juin 1942. Alors que le contrôle du COSI échappe au Secours national censé coordonner toutes les œuvres humanitaires, le chef de l’État accorde, bon gré mal gré, son aval à l’organisme. Une brochure distribuée gratuitement vantant le COSI met en exergue sur sa couverture, sous une photographie du chef de l’État de Vichy, ces quelques mots :
Le bilan du COSI sur le terrain n’est effectivement pas négligeable.Je vous félicite et vous remercie pour l’action si efficace que vous avez menée en faveur des victimes des bombardements anglais. Continuez. Vous êtes l’avant-garde dans le combat contre le malheur [8].
Un organisme humanitaire au secours des populations
13Le COSI fait preuve d’une réelle efficacité, d’abord sous l’égide de Raymond Auriac. Avocat durant une quinzaine d’années, membre du PPF, chef de service au Secours national, celui-ci semble avoir tiré des leçons de la lourdeur administrative de ce dernier et donc de la lenteur des secours aux victimes. À la Libération, il déclarera avoir été témoin de l’abandon dans lequel ont été laissés les sinistrés de Boulogne-Billancourt et dénoncera le caractère archaïque du Secours national. Il ajoute :
Le COSI apporte quatre types d’aide aux victimes des bombardements. Tout d’abord, après les bombardements, des équipes dépêchées sur les lieux sinistrés organisent la recherche des personnes ensevelies, assurent déblaiements et déménagements. Le COSI dispose de nombreux camions, qui constituent autant de symboles de sa professionnalisation et de sa diligence à se rendre sur le lieu des bombardements (document 2). Sur le terrain, ses permanents forment des équipes mixtes, comprenant « inspecteurs sociaux », assistantes sociales et infirmières. Des infirmières, reconnaissables à leur uniforme (une jupe et une veste de tailleur beiges), donnent des soins aux blessés et aux sinistrés, aident à leurs évacuations, et sont plus spécialement chargées des enfants. Des équipes de volontaires munis d’un brassard participent aux déblaiements. Parmi eux, on remarque plus particulièrement des jeunes du PPF et du RNP, parfois des francistes. Ces jeunes bénévoles, en uniformes, peu discrets, ne sont pas toujours honnêtes ou désintéressés [10].Je pensais que les circonstances pouvaient permettre de mettre au point une organisation d’un mode nouveau, alliant l’efficacité de son action à la plus grande rapidité [9].
Brochure du Comité ouvrier de secours immédiat, 1942, 24 x 13,5 cm
Brochure du Comité ouvrier de secours immédiat, 1942, 24 x 13,5 cm
14Par la suite, les assistantes sociales établissent les dossiers des sinistrés et vont visiter les familles et les enfants. Elles sont chargées de remettre, contre reçus, les premières aides d’urgence, en fait une avance. Celles-ci peuvent être données par les inspecteurs ou les comités locaux. Puis, le COSI accorde une aide financière selon un barème. Ainsi, le service allocations verse en numéraire 5 000 francs pour les enfants orphelins [11].
15Plus tard, des vivres, des vêtements, des meubles, des lits, etc. sont remis aux sinistrés. Une partie de ce mobilier est fabriquée sur commande, avec des bons-matière, mis à la disposition du COSI par le Secours national et le ministère de la Production industrielle. Une autre part, moindre, provient de mobilier saisi par les Allemands chez des Juifs.
16Enfin, l’aide à l’enfance constitue un important volet humanitaire. Le COSI gère en 1944 divers centres d’accueil pour mineurs. On y place provisoirement ceux dont les parents ne peuvent se charger et des orphelins. Deux centres sont installés en Seine-et-Oise, à Bures-sur-Yvette et à Fontenay-lès-Briis. Deux autres sont situés l’un dans la Marne, à Hermonville pour accueillir les enfants sinistrés du Portel, l’autre à Coye-la-Forêt dans l’Oise. Dans la zone sud, il y a Saint-Marcel-les-Valence dans la Drôme avec, semble-t-il, le château de Roumegouse près de Rocamadour. En outre, trois châteaux du Maine-et-Loire et de Loire-Inférieure sont mis à la disposition des villes martyres de Nantes et de Saint-Nazaire pour héberger leurs enfants (Varades, la Madeleine, le Ménardeau, la Jalière). Le COSI fournit les vêtements, finance une partie de la nourriture et assure enfin les frais médicaux et d’entretien des propriétés.
17Cette action s’étend progressivement à une grande partie du territoire. En effet, les bombardements sur les villes françaises se multiplient à partir de 1943, frappant des cités industrielles en banlieue parisienne et en province (Le Creusot, Lorient, Nantes, Saint-Nazaire, etc.). Au moins 57 000 Français meurent sous les bombes entre 1940 et 1945 et 74 000 sont blessés. Cette pluie de feu et d’acier détruit par ailleurs 300 000 habitations [12]. Aussi des comités locaux sont-ils créés après les bombardements ou de façon préventive. La direction du COSI suggère qu’ils soient épaulés par un comité d’honneur, composé de personnalités officielles (préfets, sous-préfets, maires, etc.). En banlieue parisienne, les maires sont systématiquement sollicités, ce qui ne va pas sans tensions [13]. Les comités disposent de fonds, soit versés immédiatement par le COSI après les bombardements, soit ultérieurement à la suite de justificatifs. La construction de l’organisation s’avère donc rapide. Des « correspondants locaux », désignés dans des villes plus petites ou moins menacées, assurent les contacts avec les autorités officielles. Rares sont les comités locaux disposant de permanents appointés.
18Le 17 mai 1942, une « Conférence du travail » est destinée aux délégués des comités locaux. Une première réunion publique, tenue symboliquement à Boulogne-Billancourt le 28 juin, rassemble les associations locales de sinistrés, créées sous leur patronage. Le premier congrès du COSI tenu le 18 octobre 1942 salle Wagram propose la création d’un « statut des sinistrés » et la mise sur pied d’unions locales et d’une Union nationale. Selon Jules Teulade, cette dernière aurait compté, à la fin de la guerre, 700 000 sinistrés totaux ou partiels. Le COSI revendique alors 600 comités locaux [14].
19Les militants syndicalistes, les représentants des groupements corporatifs et les personnalités locales sont systématiquement sollicités. La présence des maires et des préfets ou sous-préfets aux spectacles et fêtes organisées par le COSI pour les enfants et adultes à la fin de l’année 1942 démontre qu’il est devenu un organisme incontournable. Les autorités allemandes s’y présentent aussi sous leur meilleur jour, celui de la solidarité et de la protection des populations.
20Peut-on mesurer l’efficacité et la popularité du COSI sur le terrain local ? On manque d’études de terrain sur ce point, mais il est clair que les populations sinistrées ont massivement recours à ses services. Les témoignages rassemblés après la guerre émanent le plus souvent d’anciens élus ayant intérêt, à l’heure de l’épuration, à se démarquer des collaborationnistes. Ils sont donc à prendre avec précautions et s’avèrent partagés. Antonin Poggioli, maire du Bourget bombardé le 16 août 1943, déclare à la Libération que le COSI a apporté un vrai secours. À l’inverse, l’ancien maire délégué du Blanc-Mesnil évoque une organisation s’installant au lendemain des bombardements « à grand renfort de publicité, banderoles, hauts parleurs, etc. [15] ». Ses membres se seraient contentés « de monter sur les tas de briques et de gravats afin que nul ne puisse ignorer leur présence [16] ». Le manque de liaisons avec les autres organisations humanitaires pour la distribution des secours est souvent souligné. Le maire de Chaville décrit des distributions fantaisistes et spectaculaires, avec la presse et les actualités cinématographiques, comme lorsque furent réparties des pièces de mobilier saisies aux Juifs et conclut que « ces générosités [sic] avaient surtout un but de propagande et visaient également à supplanter les organisations secouristes d’émanation françaises [17] ». Le rôle de propagandiste du COSI au service des nazis est indéniable.
Un organisme de propagande pro-nazie sous le contrôle de l’ambassade
21Le COSI diffuse la propagande allemande par des écrits, par les actualités cinématographiques [18], mais surtout en fustigeant sans relâche les « crimes anglo-saxons » et en concentrant l’indignation des populations victimes de la guerre contre les alliés et les Juifs, tout en valorisant l’aide allemande.
22L’anglophobie est première dans la propagande du COSI, d’abord dédié selon son sous-titre d’origine « à toutes les victimes en France des bombardements de la RAF » (document 3). « L’inhumanité » et « la lâcheté anglaise » sont dénoncées à longueur de discours et d’écrits, qui flétrissent « les oiseaux de mort de Churchill ». Au congrès des unions de sinistrés, le 18 octobre 1942 salle Wagram, René Mesnard, qui a succédé à Yvetot à la direction du COSI, fulmine : « Évidemment, il est beaucoup plus simple aux Anglais d’attaquer des femmes et des enfants que d’affronter les troupes allemandes [19]. » Une brochure, Nos Amis les Anglais, vendue partout au profit exclusif du COSI, illustre les diverses facettes de cette dénonciation [20]. À côté de pages consacrées aux différents « attentats » anglais contre la flotte française et les colonies, on y trouve un article du vice-président Jules Teulade, « La RAF est passée », ainsi que le « Manifeste des intellectuels français contre les crimes anglais dans les deux zones françaises et en Afrique du Nord ». Selon eux, les Anglo-américains sont non seulement des criminels, mais plus encore des « terroristes », le même qualificatif que celui attribué aux Résistants [21].
Carton 24 x 32 cm à apposer sur les permanences
Carton 24 x 32 cm à apposer sur les permanences
23Après les Anglo-saxons, auxquels ils sont associés en permanence, les Juifs constituent l’autre cible privilégiée de la propagande plébéienne et ouvriériste du COSI. À la Libération, le maire du Blanc-Mesnil blâme l’attitude de certaines équipes de jeunes, souvent vêtus de chemises noires, saluant le bras tendu et affirmant que « l’argent dont ils disposaient provenait des biens saisis aux “sales Juifs” [22] », l’expression la plus polie étant celle de « grosses fortunes juives ». Adolphe Ambrogelly, du Parti ouvrier et paysan français (POPF) explique en octobre 1942 que « cet argent avait d’ailleurs été volé au peuple français » et ajoute : « Groupés derrière le Maréchal, nous voulons que cette guerre, voulue par les banquiers Juifs, soit la dernière [23]. »
24L’action allemande est au contraire valorisée et les appels ouverts à la collaboration sont courants sous couvert de « construction de l’Europe », de vengeance des victimes, de l’achèvement du conflit par l’élimination de tous les fauteurs de guerre, Juifs et Anglo-saxons, et enfin de lutte contre le bolchevisme. Les responsables du COSI soulignent les convergences d’intérêts, la solidarité entre les peuples et la générosité allemande, en opposant l’aide allemande aux crimes anglais [24]. Le discours est explicitement pro-nazi lors d’une réunion de délégués salle Wagram, René Mesnard salue la « générosité allemande », et affirme : « ni Hitler ni le peuple allemand ne peuvent être considérés comme responsables de nos malheurs ». Les gouvernements n’ayant pas su construire la paix et l’Europe en 1918, c’est l’Allemagne qui le fera, selon lui. « Notre devoir est donc de l’aider de toutes nos forces. Ce pays mène contre le bolchevisme une bataille gigantesque, dont il faut lui être reconnaissant. » Il se prononcera par la suite pour le Service du travail obligatoire (STO).
25Le COSI dépend des nazis en termes de moyens, ses ressources provenant essentiellement des versements allemands. La campagne lancée par la presse parisienne, qui lui rapporte 7 millions de francs dont 5 entrent réellement dans ses caisses, ne compte guère. Les 100 millions de francs initiaux s’avèrent vite insuffisants. À la fin 1942, alors que les besoins s’accroissent au rythme des bombardements alliés, les trois quarts des crédits initiaux sont épuisés. Le COSI sollicite alors une deuxième subvention. Rudolf Schleier exige « des justifications » et des « explications ». Maurice Fortier, chef-adjoint du cabinet de Fernand de Brinon, chargé du contrôle financier, présente un rapport sévère : les frais de fonctionnement sont onéreux et les gaspillages la règle. Le docteur Grosse exige, avant tout nouveau versement, une compression des dépenses et du personnel, qui compte alors 209 permanents à Paris. René Mesnard en profite pour mettre en cause le directeur général Raymond Auriac, lequel est renvoyé avec une charrette d’employés, dont nombre de militants du PPF. René Mesnard cumule désormais les fonctions de président et de directeur général, assisté par un proche au secrétariat général, Aimé Banette, instituteur révoqué et chef de la section RNP de Rueil-Malmaison. Le rapport de forces internes a basculé au profit de ce parti.
26Les services du COSI sont réorganisés avec énergie : le personnel permanent et les frais généraux du siège national sont réduits de moitié, ceux des comités locaux d’un quart [25]. Les déplacements sont limités à trois jours et les notes de frais sont également compressées. L’économie réalisée semble d’un tiers en moins de trois mois. Après cette reprise en main, les Allemands versent en mars puis en septembre 1943 deux nouvelles subventions de 100 millions de francs. Le COSI reprend son expansion, multipliant les centres d’accueil, principalement pour les enfants. En 1944, alors que la France redevient un champ de bataille, au moins 671 millions de francs entrent dans les caisses du COSI [26]. Enfin, le 7 juillet 1944, Marcel Déat, ministre de la Solidarité nationale, grâce à une loi parue la semaine précédente, verse 100 millions de francs. Un véritable trésor de guerre est constitué.
27Au total, en vingt-huit mois, le COSI a reçu près d’un milliard de francs. Les deux tiers de cette somme proviennent de huit virements allemands, 200 millions étant d’origine inconnue, probablement allemande elle aussi. Ce pactole considérable n’a certes rien à voir avec le budget colossal du Secours national. Mais a-t-il été effectivement utilisé au service des victimes des bombardements ?
28La comptabilité ayant été détruite, le détail des dépenses n’a pu être établi par la justice à la Libération. L’enquête a cependant dégagé quatre grands ensembles de dépenses. Un quart des dépenses (245 millions de francs) correspond aux versements aux agences locales du COSI. Quelques comités (Lille, Nantes, Saint-Nazaire, Toulon, Rouen et Le Havre) se sont vus attribuer des sommes dépassant les 10 ou 20 millions. Boulogne-sur-Seine, première ville bombardée, n’a touché qu’un peu plus d’un demi-million.
29La part des prélèvements en nature du siège est équivalente : 23 % des dépenses, 229 000 millions de francs, soit une moyenne mensuelle de 8 millions. Ce chapitre inclut les frais d’administration du siège (traitement et salaires). Néanmoins, il est probable que les populations sinistrées ont partiellement profité de ces fonds par des aides financières directes, comme le rapportent de très nombreuses sources. Les détournements sont incontestables lors des dernières semaines, alors que les responsables du COSI se contentent de préparer leur fuite. Les 10 % de frais de fournisseurs (95 millions) incluent les besoins matériels de l’administration, les commandes de biens fournis aux sinistrés (couvertures, meubles, etc.) et les frais de transports.
30Enfin, après le 6 juin 1944, les responsables utilisent massivement des chèques circulaires, encaissables dans toutes les succursales de la Banque de France dont la valeur totale se monte à 400 millions en six semaines. Surtout, dans les huit derniers jours, ils retirent pour 360 millions, auxquels s’ajoutent près de 15 millions de lettres de crédit et chèques divers, aux provenances incertaines. On ne peut que suivre la conclusion du rapport de l’expert : « Si le COSI a secouru bien des misères occasionnées par les bombardements aériens, il n’en est pas moins vrai que plus de la moitié des sommes mises à sa disposition ont été détournées [27]. » Il est clair que la corruption et les abus ont été massifs, l’exemple venant en fait du sommet.
La corruption au sommet
31Le 7 janvier 1943, René Mesnard rendant compte des mesures de rigueur mises en œuvre déclare : « toutes ces indications sont données simplement à titre d’information, toute discussion étant par avance superflue [28] ». Les procès-verbaux des réunions du comité directeur confirment les propos de la responsable du secrétariat le qualifiant de « dictateur [29] ». « Mr Mesnard était très autoritaire et licenciait des employés pour des motifs futiles », témoignait Raymond Bosc [30]. Les interrogatoires des employés à la Libération fourmillent d’anecdotes à ce sujet. Si certains visent à se dédouaner en se posant en victimes potentielles de cette figure repoussoir, leurs convergences et leurs variétés assurent qu’ils contiennent une part de vérité. René Mesnard se montre brutal pour punir les abus des autres ou ce qu’il estime tel. Ayant licencié trois cadres coupables d’avoir fait du marché noir avec des voitures du COSI, il les pousse à s’engager « volontairement » pour travailler en Allemagne, et demande aux autorités allemandes qu’ils soient pris pour un an : « J’estime en effet que leur imprudence ou leur inconscience – pour ne pas dire plus – méritent d’être sérieusement et très sévèrement sanctionnées […]. Je ne saurais tolérer aucune défaillance, si minime soit-elle, qui mettent en cause la probité du COSI », écrit-il [31]. Une assistante sociale a été renvoyée pour « divergences politiques », accusée d’être en bons termes avec des membres du Secours national « de tendance gaulliste » et, de plus, de fréquenter un homme plus jeune qu’elle. René Mesnard l’aurait signalée à l’Office régional de la main-d’œuvre en Allemagne [32].
32Or René Mesnard est le premier à être corrompu (document 4). L’adjoint au chef comptable, Camille Gouvernaire, le décrit comme un jouisseur, « un homme qui avait besoin de beaucoup d’argent, dépensant beaucoup, aimant les femmes et la bonne chère [33] ». Son chauffeur personnel estime qu’il dépensait entre 1 500 et 2 000 francs par jour au restaurant, chez Galland, au Cercle européen avenue des Champs-Élysée, ou chez Maxim’s. Le soir, il était presque toujours accompagné d’amis (dont souvent son fidèle Aimé Banette et des femmes) invités généralement sur le compte de la propagande [34]. Il utilisait aussi les services du COSI pour tirer les circulaires de L’Atelier. Selon Camille Gouvernaire, René Mesnard, « aimait beaucoup la dive bouteille » et Aimé Banette en aurait profité pour devenir « le véritable chef du COSI [35] ». Ce dernier aurait ainsi pris des décisions importantes en accord avec les Allemands, notamment avec Otto Abetz au sujet d’une expédition punitive en Normandie en 1944.
Roger Mesnard, à gauche de l’image, lors d’une réception organisée au Cercle européen, sans date
Roger Mesnard, à gauche de l’image, lors d’une réception organisée au Cercle européen, sans date
33L’entre-soi et le népotisme règnent, comme le montre, parmi les employés, la présence de la belle-fille de René Mesnard ou la demi-sœur d’Aimé Banette. Guy de la Forterie entre au COSI parce qu’il est un cousin de René Guerdan, chef du service propagande, auquel il succédera. Marcel Déat fait embaucher l’infirmière qui l’a secouru après l’attentat de Versailles dont il a été victime avec Pierre Laval. Qu’elle soit la maîtresse d’un responsable allemand, chef des actualités politiques et censeur à Radio-Paris, constitue un avantage supplémentaire. L’assureur du COSI, Jean Cothereau, est l’amant de la secrétaire (et maîtresse selon plusieurs témoignages) de René Mesnard [36].
34Par-delà la corruption, le népotisme et l’arbitraire, les employés bénéficient de salaires confortables [37] et surtout de la garantie de ne pas être envoyés en Allemagne. Ces avantages s’avèrent de nature à attirer et à retenir des collaborationnistes ainsi que d’autres personnes.
Une chasse gardée politique ?
35Le rapport d’enquête judiciaire sur les finances, faute de connaissances politiques, n’a pas compris, selon nous, les rapports personnels et politiques internes au COSI. Il se focalise sur quelques versements, soulignant l’existence de sommes explicitement versées au PPF, sans voir la destination d’autres versements nettement plus importants. Sa conclusion surestime les « attaches avec le parti de Doriot et avec les Francistes », « certaines », selon ce document [38]. L’erreur est double : se focaliser sur des sommes très modestes versées directement au PPF, et ne pas comprendre la part d’autonomie de responsables, certes politiques, mais qui défendent leurs propres intérêts.
36Fondé à l’initiative de syndicalistes, le COSI prétend regrouper des membres issus de toutes les tendances du mouvement ouvrier. Qu’en est-il ? Examinons tout d’abord les dirigeants, puis les employés du siège national, avant d’évoquer quelques situations locales.
37Le Comité de patronage et le Comité directeur du COSI regroupe des figures du monde syndical légal dans toute sa diversité, les collaborationnistes y tenant le premier rang, tout d’abord, les membres du RNP et de ses filiales. Ces derniers ont milité à la CGT dans la tendance anticommuniste « Syndicats » dirigé avant guerre par René Belin devenu ministre du travail du régime de Vichy. Les collaborationnistes, hostiles à ce gouvernement, ont donc rompu avec Berlin, brisant en deux la tendance la plus anticommuniste de la CGT. Outre René Mesnard, sont présents Gabriel Lafaye, l’autre codirecteur du journal L’Atelier et du Centre syndicaliste de propagande (CSP), Francis Desphelippon, président du Front social du travail (FST) et Jean Pelisson, secrétaire du syndicat des techniciens, également responsable du FST. Plus tard, Roger Paul, secrétaire général du syndicat CGT du textile, les rejoint. Guère moins nombreux sont les dirigeants du COSI appartenant au PPF de Jacques Doriot : Albert Beugras et Jules Teulade représentent la Fédération nationale des groupements corporatifs français et appartiennent au bureau politique du PPF. Avec l’avocat PPF Raymond Auriac, directeur général du COSI durant les six premiers mois, Albert Beugras est le seul non syndicaliste ouvrier à avoir eu une fonction effective à la direction du COSI. Raymond Auriac chassé, Paul Cadeau, ancien membre du comité central du PCF, trouve refuge au COSI après avoir été écarté de la direction de l’organe du PPF, Le Cri du Peuple. Les communistes dissidents du POPF sont représentés par Jean Ambrogelly, secrétaire du syndicat des industries alimentaires. Parmi les autres syndicalistes figurent le trésorier Charles Mesmin, militant anarchiste de la Fédération du livre, Alix, représentant de la Confédération des cadres, Aimé Rey secrétaire du Comité syndicaliste de propagande proche du RNP, et Raymond Froideval, secrétaire du syndicat du bâtiment, ancien chargé de mission au cabinet du ministre du Travail (René Belin) qui se trouve à la confluence entre vichystes et collaborationnistes. Remarquons l’absence significative de représentants des partis collaborationnistes issus de l’extrême droite : on n’y trouve aucun membre du francisme et seulement un membre de second plan du Mouvement social révolutionnaire (MSR), Albert Pilon.
38Des syndicalistes ont pu être contraints d’entrer au COSI. Peu après sa création, les syndicalistes légaux sont invités à s’y faire représenter et deux militants éprouvés entrent alors au comité central : Auguste Savoie, secrétaire de la Fédération nationale de l’alimentation depuis la Grande Guerre (il siège déjà au Conseil national de Vichy) et Valentin Renaud de la Fédération du livre. Leur présence fait débat : selon Savoie, elle résulte d’un chantage de Mesnard appuyé par les Allemands [39], ce que les discussions au comité directeur du COSI du 1er avril 1942 semblent confirmer.
39Les autres personnalités membres du comité d’honneur ou du comité directeur du COSI semblent n’y avoir joué aucun rôle actif. Ils apportent néanmoins leur caution et leur relations [40].
40Au niveau inférieur, les cadres et permanents nationaux du COSI ne sont connus que partiellement. Les cadres sont presque exclusivement des hommes (5 femmes sur 68 identifiés) ; il en est de même pour les chefs de section (5 sur 157) et il n’y aurait aucune femme responsable départementale. Aux niveaux inférieurs, le COSI emploie de nombreux techniciens et un personnel plus féminin, comme des secrétaires et assistantes sociales. Sur 565 militants, employés ou cadres du COSI connus, 72 sont des femmes, soit 12,7 %. Pour répondre à des missions techniques, des employés de base et des techniciens du COSI sont recrutés sans jamais avoir milité auparavant. Ils sont attirés par des motifs alimentaires, par les salaires élevés, par la possibilité d’éviter les départs en Allemagne. Ils profitent aussi d’autres avantages : accès à la nourriture, possibilité de circuler et donc de se livrer à des trafics, voire le fait de côtoyer des Allemands et de pouvoir leur demander des faveurs [41].
41On constate un intense turn-over de ces personnels. Par-delà les licenciements massifs de la fin de l’année 1942, lorsqu’ont été renvoyées environ 80 personnes [42], la gestion autocratique du personnel en est la cause principale. Effectivement, si l’on en croit les dires des employés après la Libération, le temps d’appartenance au COSI a été court pour la plupart. Toutefois, ces déclarations, seule source cohérente du fait de la disparition des archives de l’organisation, doivent être regardées avec circonspection : plusieurs trichent sur leur date du départ de l’organisme pour relativiser leur implication, mieux mettre en scène une opposition ou tout au moins une divergence [43].
42La principale interrogation porte sur les appartenances politiques des cadres et permanents. Jusqu’à son départ en décembre 1942, Raymond Auriac semble avoir véritablement dirigé le mouvement, aussi « l’atmosphère du COSI était nettement PPF », affirmera Robert Bertin à la Libération [44]. Pourtant, au plan des directions parisiennes, le RNP est presque autant représenté dès la fondation, avant de l’emporter en nombre d’employés dès la fin de l’année 1942. Des représentants d’autres sensibilités sont également là dès le début. D’anciens libertaires et syndicalistes révolutionnaires notamment [45]. Plusieurs occupent des situations de cadres ou d’« inspecteurs ». Outre deux figures du syndicalisme, François Carpentier et Félix Guyard, dit Lapin, citons Georges Nicolas, inspecteur chargé de dossiers de sinistrés, avant d’entrer au Commissariat général de la main-d’œuvre en Allemagne au service du commissaire Bruneton [46]. D’autres anarchistes animent des sections, à Caen, Amiens ou à Puteaux notamment. Ils croisent à la cantine du COSI d’autres libertaires qui y ont leurs habitudes.
43Dans les sections locales du COSI, on relève la présence de syndicalistes non collaborationnistes. En effet, en dehors de la région parisienne, l’implantation politique du COSI ne correspond pas stricto sensu à celle des partis collaborationnistes. Dans la zone non occupée où le RNP n’est pas autorisé jusqu’en novembre 1942, c’est souvent le PPF qui structure les sections locales. En province, le COSI s’avère surtout actif dans les zones stratégiques, les régions industrielles et les côtes, recoupant pour l’essentiel les zones occupées dès 1940. Ici, tous les mouvements collaborationnistes sont présents, ou peuvent l’être, et la cohabitation RNP et PPF est courante dans ses instances. Le RNP semble toutefois surreprésenté. Ainsi, dans le Nord-Pas-de-Calais très bombardé, le responsable est Kléber Legay, membre du RNP, parti pourtant peu implanté, de même, en Côte-d’Or ou en Haute-Marne. Dans d’autres zones de faiblesse, le RNP laisse la place au PPF, voire à des syndicalistes hostiles à la Collaboration qui plaident avoir souhaité contrôler les aides et ne pas en laisser le bénéfice aux collaborationnistes. Cela semble être le cas à Saint-Nazaire, où le préfet demande au secrétaire du puissant syndicat des métaux de prendre la direction du comité départemental, ou dans le Var à Toulon. De même au Havre, autre ville martyre, où le comité est composé d’« ouvriers patriotes » qui n’auraient accepté cette fonction que « pour obtenir une aide aux misères des nombreux sinistrés [47] ». Ici, les syndicalistes n’auraient jamais fait de propagande, brûlant dès réception tracts et bulletins antianglais, alors qu’à Saint-Nazaire les responsables ont dû coller quelques affiches dénonçant les alliés. Au total, l’implantation du COSI reflète la somme et les rivalités des deux grands partis collaborationnistes et de leurs mouvances syndicalistes : ils forment l’ossature du comité directeur et des cadres des sections de base du COSI, mais ont recruté plus largement dans le monde syndical et dans les élites locales.
La dérive milicienne et la fin du COSI
44Les méthodes autoritaires de gestion du personnel prennent une allure plus dramatique au printemps 1944, lorsque la dérive milicienne s’affirme chez les collaborationnistes. En avril 1944, René Mesnard et Aimé Banette annoncent au personnel un accord avec la Milice française : ils demandent aux responsables locaux d’intégrer dans leur comité des « éléments miliciens ouvriers », en privilégiant des « syndicalistes adhérents à la Milice française », car les « camarades de la Milice française représentent l’élément révolutionnaire du maintien de l’ordre » [48]. Au siège central, Aimé Banette exerce une pression sur les employés les plus jeunes et sur les chefs de service pour les faire adhérer à la Milice. Expliquant que le COSI est un organisme collaborateur et qu’il faut adhérer s’ils veulent garder leur place, il menace de « recommander » les autres auprès du docteur Grosse, qui les fera partir en Allemagne. Pour mieux convaincre les tièdes, il propose de constituer une Milice interne au COSI, avec une « trentaine » spécifique sous l’égide de la Milice française de Joseph Darnand. Des militants signent alors l’engagement de « constituer un groupe de défense des locaux » du COSI ; ils acceptent d’avance « toutes autres missions » qu’ils se verraient confier en dehors de leurs heures de service [49]. L’engagement collaborationniste total devient la norme. Divers incidents semblent avoir convaincu des hésitants [50].
45Après le débarquement, le siège du COSI et sa Milice sont sur le pied de guerre jour et nuit [51]. L’action semble avoir été désorganisée les deux derniers mois, à cause des problèmes de transport et de communications téléphoniques. La perspective de la défaite allemande paralyse l’organisation. Le 12 août 1944, René Mesnard réunit le personnel du siège, distribue l’équivalent de trois mois de salaires et l’invite à quitter son domicile en se réfugiant « dans le maquis parisien ». Il retire 213 millions de francs à la Banque de France [52]. Le 17 août, il rafle encore les 600 000 ou 700 000 francs en argent liquide qui restent dans la caisse, avant de constituer un convoi de sept ou huit véhicules. Avec plusieurs chefs de service, dont Aimé Banette, des employés et sa maîtresse, il prend la route de Nancy. Les fuyards, rejoints par d’autres, tel que Kléber Legay venu du Nord, stationnent à Reims puis à Saint-Dié, avant de passer la frontière. Après la fuite des responsables, le siège du 213 rue Lafayette est réinvesti par la CGT.
46Les exilés tentent de poursuivre leurs activités à Baden-Baden, puis à Tuttlingen jusqu’en avril 1945. Ils apportent des secours matériels à des collaborateurs (dits par eux « réfugiés politiques »), ainsi qu’à des travailleurs français du STO. Aimé Banette est licencié après une dispute avec René Mesnard, lequel est tué à la fin du mois de mars 1945, sur une route, mitraillé par un avion comme Jacques Doriot. Kléber Legay prend la succession de Banette puis de Mesnard, à la demande du docteur Grosse, toujours mentor et financier de ce qui reste du COSI. Henri Franchet, ancien responsable des Jeunesses du RNP devient secrétaire administratif et trésorier. Les survivants se dispersent, cherchant, les uns, à revenir en France par la Suisse, les autres se réfugiant dans le Nord de l’Italie. Dans la débâcle de l’armée allemande, la caisse du COSI devient un enjeu [53]. Kléber Legay, de passage à Bâle dans un train de rapatriés, remet au consul de France, le 21 avril 1945, contre reçu, plus de 17 millions de francs, 8 000 marks et un lingot d’or, ultimes ressources du COSI semble-t-il. Par la suite, le Secours national hérite des reliquats de fonds [54].
Une épuration bienveillante ?
47Les responsables et les membres du COSI font face à la justice, à partir de septembre 1944. L’ordonnance du 26 décembre 1944 relative à l’indignité nationale, dans son article 4, prévoit en effet des poursuites pour les membres du COSI et de treize autres organisations (PPF, RNP, Milice française, etc.). La cour de justice de la Seine ouvre une première instruction le 23 septembre 1944 et nomme un expert pour analyser les comptes le 4 octobre suivant. Cependant, il y a peu d’inculpations spécifiques au titre du COSI. Une partie de ses responsables ont disparu : René Mesnard est mort en Allemagne, l’ancien communiste Jean Ambrogelly a été exécuté par des « résistants » dans la forêt de Sénart le 5 septembre 1944. D’autres sont condamnés pour d’autres faits ou pour leurs activités collaborationnistes dans laquelle l’appartenance au COSI n’est pas apparue essentielle. Si Jules Teulade, président quelques semaines, puis vice-président, est condamné à cinq ans de travaux forcés par la cour de justice de la Seine le 15 février 1947, son appartenance au bureau politique du PPF a été la première évoquée dans l’exposé accusatoire du commissaire de la République. Gabriel Prouveur est condamné aux travaux forcés à perpétuité à Orléans, mais pour l’ensemble de ses crimes, et Aimé Banette à quatre ans de prison à Versailles, essentiellement pour son rôle de milicien et de responsable RNP. Plusieurs syndicalistes bénéficient d’une grande indulgence. Kléber Legay, le dernier président du COSI et dirigeant national du RNP, est condamné à la dégradation nationale à vie par la chambre civique de Béthune. Le dossier de cour de justice du vice-président Valentin Renaud fait l’objet d’une décision de classement, le 4 octobre 1945, sans que son activité au COSI ait été examinée. Jean Pelisson est condamné à vingt ans de dégradation nationale, essentiellement pour son appartenance au RNP.
48La recherche et la condamnation des membres du COSI ayant adhéré à la Milice française s’avèrent l’obsession de la justice. Lors des procès individuels, plusieurs de ses membres, comme l’anarchiste Charles Charpentier, affirment avoir été contraints d’y adhérer par Aimé Banette. À les croire, ils n’auraient rien fait d’autre que de garder les locaux. Pierre Brunel prétend que « l’adhésion [à la Milice] était obligatoire pour occuper une fonction rétribuée au COSI ». Seul Pierre Laguigne, employé du COSI ayant appartenu à la Milice, est relevé de l’indignité nationale pour s’être réhabilité postérieurement « par sa participation active, efficace et soutenue à la résistance contre l’Occupant ».
49Un ultime procès collectif est tenu par la 2e chambre civique de la cour de justice de la Seine, le 24 janvier 1949. Il vise à « inculper tous ceux qui, à la tête du COSI ou comme membre du COSI, ont eu une activité particulière et n’ont pas fait l’objet de poursuites distinctes [55] ». L’enquête s’avère limitée car le dossier des Renseignements généraux aux archives centrales du ministère n’a fourni les noms que de cinquante-trois membres. La cour déclare coupables d’indignité nationale Valentin Renaud et Auguste Savoie [56], les condamne aux dépens et à rembourser les frais pour leurs actions au COSI. Maurice Fortier, membre du cabinet de Fernand de Brinon, contrôleur et soutien constant de l’organisation, voit son dossier classé.
50L’appartenance au COSI apparaît donc avoir été considérée comme secondaire, voire une circonstance atténuante ; l’action humanitaire l’aurait emporté aux yeux de la justice sur l’engagement collaborationniste, doit-on supputer. Une enquête faite au plan national modérerait peut-être cette vision. Ainsi, en Ille-et-Vilaine, les responsables du COSI qui ont été par ailleurs chefs locaux du RNP s’en sortent avec cinq ou dix ans d’indignité nationale. Cependant, dans les actuelles Côtes-d’Armor voisines, des sinistrés de Lorient qui ont touché des aides ont dû se justifier devant la justice, laquelle semble toutefois en être restée là [57].
51Le Comité ouvrier de secours immédiat, dont l’initiative revient à des Français liés au monde ouvrier, a donc été l’un des organismes de collaboration sans objectif politique officiel les plus efficaces durant l’Occupation. Il se réclamait, en effet, à la fois de la tradition ouvrière et de l’action l’humanitaire ; les collaborationnistes, en son sein, se donnaient le beau rôle : celui de protecteurs des populations. La place centrale des syndicalistes et de personnalités diverses bien connues au niveau local lui apportait une caution bienvenue. Le COSI a incontestablement été utile à des familles françaises victimes de la guerre, a secouru des populations fragilisées et pris en charge des centaines d’enfants, orphelins ou en difficultés. Pragmatique, il l’a fait souvent de façon plus efficace que les organismes humanitaires officiels français, comme le Secours national et la Croix-Rouge française, qui montraient plus de lourdeurs administratives et laissaient une plus grande place à l’idéologie dans l’aide qu’ils apportaient aux victimes.
52Cette face positive ne résiste cependant pas à une analyse globale : le COSI a été un instrument des nazis, contrôlé en continu par des responsables de haut niveau de l’ambassade de Paris, qui assistaient aux réunions de sa direction. Ce sont eux qui ont donné le feu vert initial, ont fourni l’essentiel des finances, et ont favorisé la prise en main par René Mesnard et Aimé Banette. Jusqu’au bout, pratiquement jusqu’aux derniers jours en Allemagne, les chefs nazis ont protégé, encouragé et soutenu les hommes du COSI. Ceux-ci ont bien servi leur cause, il est vrai, en justifiant les spoliations des Juifs, en dénonçant les crimes des Anglo-Saxons, et en vantant à l’inverse la solidarité « socialiste » de l’occupant. Si l’on doutait de l’efficacité du dernier argument, les nombreuses poursuites judiciaires de la Libération pour propos antialliés tenus lors des bombardements prouveraient que cette question était pour le moins sensible.
53Alors que les collaborationnistes sont généralement présentés comme étant en conflit permanent entre eux et vis-à-vis du régime de Vichy, l’entente s’est réalisée au COSI sous la pression des Allemands et d’intérêts communs bien compris. Le régime de Vichy, en dépit de ses réticences, a donné son aval et a dû laisser le COSI faire concurrence au Secours national et s’installer en zone sud. Il constituait, en outre, un organisme collaborationniste pluraliste, administré pratiquement à égalité par le RNP et le PPF. Les fonds mis à leur disposition dépassaient le milliard de francs de l’époque. D’autres organismes se sont trouvés dans cette situation où collaboration intéressée et compétition se mêlaient, notamment la Légion des volontaires français contre le bolchevisme ou l’Entr’aide d’hiver du Maréchal. Cependant, comme l’a montré Jean-Pierre Le Crom à partir de l’exemple de la Loire-Atlantique, en province, l’organisme a pu dépasser les milieux collaborationnistes et servir des intérêts différents de ceux des nazis.
54Le COSI s’est aussi avéré être un organisme de corruption majeur, notamment de représentants du monde ouvrier d’avant-guerre ; l’argent a été en partie redistribué, a pu participer au financement de postes de permanents, ou a été tout simplement détourné. Le paradoxe veut qu’au moment de l’épuration, il y a eu peu de poursuites visant expressément l’activité du COSI. La plupart de ses militants condamnés l’ont été pour d’autres motifs et leur action « humanitaire » a même, pour certains, été un argument en leur faveur. La recherche obsessionnelle des miliciens du COSI montre bien qu’à la Libération, la nature exacte du COSI n’a pas été bien comprise. Cette erreur d’appréciation a contribué à minorer son rôle réel, y compris dans l’historiographie.
Mots-clés éditeurs : bombardement, Seconde Guerre mondiale, humanitaire, collaborationnisme, syndicalisme
Date de mise en ligne : 05/04/2019
https://doi.org/10.3917/vin.142.0075Notes
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[1]
Selon le commissaire du gouvernement, Archives nationales (AN), Z/5/257, f. 53/4.
-
[2]
Archives de la préfecture de police (APP), GA-52, note du 22 avril 1942.
-
[3]
Le COSI s’installe d’abord dans un immeuble de Boulogne-Billancourt appartenant à une riche Israélite. L’organisme vend ou distribue peu après le mobilier, d’une valeur estimée à 1 million de francs. (AN, Z/5/257, f. 53/3.)
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[4]
Pour les militants syndicalistes du COSI cités dans cet article, nous renvoyons systématiquement aux notices du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (DBMOF, Maitron). Nous avons précisé la plupart de ces notices pour la période sur la version en ligne du DBMOF : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?mot3. Nous remercions Pascal Raimbault pour son aide dans le repérage de dossiers de justice de l’épuration et notamment des scellés complémentaires.
-
[5]
APP, GA-52, note des Renseignements généraux du 22 avril 1942.
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[6]
L’ouvrage de référence sur le syndicalisme durant la période est celui de Jean-Pierre Le Crom, Syndicats nous voilà ! Vichy et le corporatisme, Paris, Éditions ouvrières, 1995. Voir aussi Denis Peschanski et Jean-Louis Robert (dir.), Les Ouvriers pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, CRHMSS-IHTP, 1992 ; et Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky (dir.), Le Syndicalisme dans la France occupée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008. Mais cet ouvrage ignore pratiquement les milieux collaborationnistes. On trouvera aussi des éléments nécessairement brefs dans les synthèses sur l’histoire de la CGT, notamment Michel Dreyfus, Histoire de la CGT. Cent ans de syndicalisme en France, Bruxelles, Complexe, 1995. Jean-Pierre Le Crom consacre, enfin, un chapitre au COSI dans Au secours Maréchal ! L’instrumentalisation de l’humanitaire (1940-1944), Paris, PUF, 2013.
-
[7]
Voir Gilles Morin, « Les syndicalistes collaborationnistes et la France libre », Revue de la Fondation de la France libre, 67, mars 2018, p. 3-8.
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[8]
COSI, Imprimerie centrale de la presse, Paris, juillet 1942, 45 p. La brochure est tirée à 15 000 exemplaires. (APP, GA-52, note du 20 juillet 1942.)
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[9]
AN, Z/5/257, p. 418. Sur la lourdeur administrative et les préjugés du Secours national, voir J.-P. Le Crom, Aux Secours…, op. cit.
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[10]
Ils se livrent parfois au pillage. Voir, par exemple, APP, JB/19, note du 16 septembre 1943.
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[11]
Soit, environ, l’équivalent de quatre à cinq mois du salaire ouvrier de base. Le membre survivant d’un couple ayant perdu son conjoint touche 5 000 francs, plus 1 000 francs par enfant à charge. En outre, 500 francs sont alloués par enfant tué et autant pour chaque blessé.
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[12]
Andrew Knapp, Les Français sous les bombes alliées. 1940-1945, Paris, Tallandier, 2014.
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[13]
Voir, par exemple, AN, Z6/249, p. 484-485.
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[14]
Chiffre très exagéré, semble-t-il (AN, Z6/249, dossier Jules Teulade, p. 771 et 160).
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[15]
AN, Z6/249, p. 510-511.
-
[16]
Ibid.
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[17]
AN, Z6/249, p. 514-515.
-
[18]
Voir, par exemple, les actualités « Reconnaissance des sinistrés envers le COSI » (http://www.ina.fr/video/AFE86001843).
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[19]
APP, GA/52.
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[20]
Bureau central de presse et service, de documentation du COSI, Nos Amis les Anglais, imprimerie spéciale, juillet 1942, 52 p. Tirée à 66 000 exemplaires, elle présente en couverture l’arrivée des souverains anglais à Paris en juillet 1938.
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[21]
Voir aussi le sous-titre du Bulletin mensuel du COSI, 9, octobre 1943.
-
[22]
AN, Z6/249, p. 510-511.
-
[23]
Sur l’antisémitisme, traditionnel dans les milieux syndicaux, voir Michel Dreyfus, L’Antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009. Les témoignages rassemblés après-guerre lors des deux grands procès cités (Z/6/249, Z/5/257) attestent pourtant que, tout en faisant de la propagande pro-nazie, les membres du COSI ne s’occupaient pas, dans l’aide matérielle apportée aux personnes, de discriminations antisémites : les Juifs sinistrés étaient aidés comme les autres. Sur ce point, l’action de terrain est en contradiction avec la propagande.
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[24]
René Mesnard remercie ainsi le général allemand lors du troisième versement d’argent pour ce « nouveau geste de solidarité socialiste et européenne », Bulletin mensuel du COSI, 9, octobre 1943.
-
[25]
AN, Z6/249, p. 400. Au 30 novembre 1942, il y avait 207 employés, chiffre ramené à 106 en février 1943, « limite extrême des compressions possibles » pour assurer la marche normale des services selon René Mesnard. AN, Z/5/257, lettre à Rudolf Schleier du 11 février 1943, citée dans le rapport Pottier, p. 38. Les frais administratifs seraient ainsi, avec d’autres mesures, passés de 1 200 000 francs à 800 000 francs par mois.
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[26]
100 millions au début de l’année 1944, autant entre la fin du mois d’avril et le mois de juin, enfin plus de 471 millions de francs après le débarquement du 6 juin 1944.
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[27]
AN, Z/5/257, rapport Rolle, p. 125. Un compte postal, plus modeste, gère un peu plus de 8 millions de francs, dont une partie vient des versements du compte de la Banque de France. Il a servi pour l’essentiel à alimenter en numéraire les centres d’enfants.
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[28]
AN, Z/5/257, feuillet 53.
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[29]
AN, Z5/257/438, témoignage du 14 octobre 1944.
-
[30]
AN, Z5/257/37, déposition de Raymond Bosc, 15 novembre 1944.
-
[31]
AN, Z6/364, f. 371-372, note du 5 juin 1943.
-
[32]
AN, Z/5/257, p. 412.
-
[33]
AN, Z/5/257, p. 379.
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[34]
AN, Z/5/257/427, témoignage d’Auguste Carré.
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[35]
AN, Z5/257/379, témoignage du 13 novembre 1944.
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[36]
René Mesnard, mort en Allemagne, est le bouc émissaire idéal à la Libération et tous le chargent. D’autres exemples de corruption interne ou d’enrichissements soudains sont probants. Voir les cas de Jean Cothereau, chef d’équipe du COSI, qui aurait détourné des fonds (sous-dossier COSI dans AN F/60/1498 ; Z/5/257, p. 435) et le cas du typographe Charles Mesmin, trésorier du COSI (AN, Z/6NL/407/9238). On ne peut toutefois généraliser. Par exemple, Justin Bussière, mutilé de guerre, membre du RNP, qui accepte de devenir président bénévole de la section du COSI de Drancy après le bombardement de la ville en avril 1944 semble désintéressé. Voir AN, Z/6/18/948.
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[37]
Pour gérer des dossiers de sinistrés, Jules Florimont, vieux syndicaliste radioélectricien de son métier, touche un peu plus de 3 000 francs net au début de l’année 1943, pour finir à près de 4 200 francs à la veille de la Libération, somme à laquelle s’ajoute une indemnité de fonction de 500 francs.
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[38]
AN, Z/5/257, p. 116.
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[39]
L’invite aurait été faite en premier à la section syndicale des ouvriers métallurgistes de Boulogne-Billancourt qui l’aurait renvoyée au syndicat des ouvriers sur métaux de la région parisienne. Ce dernier, arguant qu’il n’y avait pas seulement des métallurgistes parmi les sinistrés, transmet l’invitation à l’Union des syndicats de la région parisienne et à la Fédération des métaux qui, toutes deux, la déclinent, renvoyant au Comité syndical de coordination (CSC) qui maintenait les contacts entre fédérations et unions des syndicats. Le COSI et les Allemands auraient jugé ces refus déguisés comme une marque d’hostilité à leur égard et exigé des responsables du CSC, sous menaces d’arrestations, de désigner deux représentants, ce qui aurait alors été fait.
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[40]
Gaston Prache, président du Groupement national des coopératives de consommation, Simon Thénaud, représentant du Secours national, et Jean Luchaire, le puissant président du Groupement corporatif de la presse quotidienne de Paris.
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[41]
Une assistante sociale demande ainsi au docteur Grosse d’intervenir pour que son beau-frère ne parte pas en Allemagne, ce qu’elle obtient (AN, Z/6/257, p. 383).
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[42]
L’imprécision de ces chiffres tient certainement au fait que des rapports comptabilisent les renvois au siège national, alors que d’autres comptent aussi les départs dans les comités locaux.
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[43]
Plusieurs employés obtiennent des cartes d’identités du COSI postérieurement à la date à laquelle ils déclarent avoir démissionné (AN, Z5/257/404 et F/7/14901).
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[44]
AN, Z/5/257/371/421.
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[45]
Rappelons que le premier président du COSI a été l’anarcho-syndicaliste Georges Yvetot. Vieux dirigeant de la CGT (né en 1868), il est mort deux mois après la fondation de l’organisme.
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[46]
Citons encore au niveau des sections, l’anarchiste Layec, vice-président de la section de Puteaux, alors membre du RNP.
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[47]
AN, Z6/249, p. 450, témoignage du député et ancien maire de la ville, Pierre Courant, 7 juin 1946. Il précise que la Chambre civique du Havre a acquitté les responsables locaux du COSI et a constaté « la parfaite dignité de leur attitude ».
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[48]
AN, Z6/364, p. 339, circulaire n° 139, 1er avril 1944.
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[49]
AN, Z6/364, p. 361.
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[50]
Par exemple deux affaires de séquestrations (AN, Z/5/25, p. 393 et 395). En outre, la responsable du secrétariat est licenciée pour avoir refusé d’assister aux obsèques de Philippe Henriot.
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[51]
Ses membres ne portent ni uniforme ni arme, mais disposent de revolvers.
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[52]
AN, Z/5/257, p. 439.
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[53]
Kléber Legay aurait partagé les 65 millions de francs restants avec six autres militants, Georges Deschamps, Henri Franchet, Gabriel Prouveur, Raymond Bourdon et Gaston Jacquet. René Éloy a emporté une somme indéterminée en marks. Un responsable de la Gestapo se fait remettre 5 millions de francs par Legay.
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[54]
L’Entr’aide française est constituée séquestre du COSI par l’ordonnance du 22 août 1944.
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[55]
AN, Z/5/257, f. 40 et f. 240.
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[56]
Auguste Savoie a touché 100 francs par mois du COSI, puis au bout de six mois le double. Cependant, il a reversé cet argent à la caisse de solidarité de la Fédération de l’alimentation.
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[57]
Par exemple, AD35/214W87, dossier Joséphine Jappe, âgée de 75 ans.