Les évolutions récentes du secteur médico-social ont vu un développement important des dispositifs d’analyse des pratiques professionnelles dans nos services et établissements. Les recommandations de bonnes pratiques professionnelles de l’anesm y font référence dans plusieurs publications, qui remontent déjà à 2008.
1 Citons entre autres La bientraitance : définition et repères pour la mise en œuvre : « Au cours de leur accompagnement ou de leurs interventions, les professionnels sont parfois amenés à vivre des situations intenses et exigeantes, notamment en termes émotionnels. Ceci peut les mettre en difficulté si un accompagnement approprié ne leur est pas proposé. Il est recommandé que les structures mettent en place des temps d’échange réguliers, même si ces temps ne sont pas très prolongés, pour que l’expression des difficultés des professionnels fasse l’objet d’une attention et d’une réponse de la part de l’encadrement. Le cas échéant, l’aide d’un tiers peut être sollicitée.
2 Il est recommandé également que l’encadrement veille à ce que les équipes trouvent dans ces moments d’échange l’occasion d’évoquer ensemble leurs difficultés sans craindre de jugement. Ces moments ont en effet vocation à permettre la mutualisation des expériences et l’analyse collective pour trouver le meilleur moyen de surmonter la difficulté rencontrée et, s’il n’en existe pas, de soulager le professionnel qui la rencontre en lui permettant de s’en distancier par la parole » (juillet 2008, p. 35).
3 Ou bien Mission du responsable d’établissement et rôle de l’encadrement dans la prévention et le traitement de la maltraitance : « Il est recommandé qu’un dispositif d’analyse des pratiques vienne compléter les autres moments de communication interne et de transmission d’informations, afin d’aider les professionnels dans leur mise à distance et leur réflexion critique sur les pratiques quotidiennes. Ce dispositif prend tout son sens si les échanges ont lieu hors présence de la hiérarchie, afin que la prise de parole soit facilitée. Ce sont ainsi des dysfonctionnements ancrés et non repérés ou des pistes d’amélioration nouvelles qui peuvent être identifiés, grâce le cas échéant à une contribution extérieure. (décembre 2008, p. 23-24).
4 Directrice de sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile) depuis presque dix ans, j’ai activement contribué à la poursuite et au maintien de cette pratique dans les services placés sous ma responsabilité. Je tenterai donc de rendre compte ici de mon point de vue de responsable dirigeante, en exposant : les arguments en faveur de ce dispositif, le cadre de fonctionnement et les limites de cette pratique, les menaces qui pèsent sur cette modalité de travail.
Les arguments en faveur de ce dispositif
5 Quels que soient les secteurs d’intervention, enfants, adultes, personnes âgées, en difficultés sociales, intellectuelles, physiques, comportementales, psychiques…, les professionnels qui interviennent dans le champ médico-social sont confrontés à des situations difficiles. C’est même la raison d’être de leurs interventions et de leurs missions : agir en direction de personnes fragilisées, dépendantes, vulnérables.
6 C’est dire que ces professionnels, qu’ils soient auxiliaires de vie, aides-soignants, éducateurs, rééducateurs, assistants sociaux, infirmiers, psychologues, enseignants spécialisés… sont attendus pour gérer des situations complexes, et autant que faire se peut, aplanir et résoudre toutes les difficultés auxquelles les usagers sont confrontés. Et, du fait même de ces difficultés, les professionnels sont aussi quotidiennement aux prises avec la souffrance physique et/ou psychique, les sentiments de frustration, d’impuissance, d’injustice, de colère que peuvent éprouver les usagers, toutes les formes de violence qui peuvent en résulter : violences verbales, physiques, crises, comportements d’autodestruction…
7 Ce qui signifie que les professionnels sont en permanence doublement éprouvés :
8 – dans la sphère intellectuelle, parce que les situations en elles-mêmes sont la plupart du temps très difficiles à comprendre, et plus encore à dénouer, et qu’elles mettent souvent en échec les repères et les schèmes habituels d’action ;
9 – dans la sphère émotionnelle, parce qu’ils sont eux aussi soumis à l’émergence continuelle de leurs propres affects : lassitude, impuissance, tristesse, doutes, rejet, dégoût, frustration, sentiment de solitude, d’inutilité…
10 Bien sûr, toute institution met en place les moyens nécessaires pour soutenir la réflexion d’équipe et les professionnels dans leur exercice quotidien : réunions internes et externes, échanges formels et informels, groupes de travail, disponibilité des cadres dirigeants, du (des) psychologue(s), médecin(s)…
11 À ce titre, l’analyse des pratiques professionnelles est devenue, au cours des dernières années, un des moyens privilégiés mis au service des équipes. De par son fonctionnement, ce dispositif offre en effet aux professionnels un espace spécifique et protégé. Spécifique, car uniquement centré sur les professionnels et leurs difficultés. Protégé à différents niveaux, parce que libre de toute contrainte de décision, parce que garant de la confidentialité, parce que bienveillant envers les personnes qui y participent.
12 Lieu privilégié : de parole, d’expression des affects pénibles, de recueil et d’écoute des résonances émotionnelles fortes, de compréhension et de prise de recul par rapport à ce qui se joue dans les interactions relationnelles (le plus souvent à l’insu des personnes concernées, usagers comme intervenants), d’analyse des symptômes et des comportements difficiles, de recherche d’hypothèses et de modes d’action différents, on comprend aisément à quel point ce dispositif s’impose à nos institutions pour soutenir les équipes, prévenir l’usure professionnelle (menace très sérieuse dans tous les métiers de relation) et au final garantir un exercice professionnel plus serein et une réelle qualité dans le service rendu aux personnes accompagnées.
13 Et s’il est nécessaire d’avancer encore quelques arguments, faut-il souligner la place particulière que prend cet espace de nos jours, face aux évolutions galopantes de notre secteur ?
14 Contrôle, rendu-compte, rentabilité, efficacité, notre secteur n’est plus épargné dans cette course folle à la réduction des dépenses. S’il est normal de justifier de l’utilisation des deniers publics, nous assistons probablement à un retour violent de balancier : après des décennies de fonctionnement aisé, presque luxueux, nous voici maintenant aux prises avec un système qui nous assomme à coup d’indicateurs de performance, de tarification des actes, d’étude et d’harmonisation des coûts.
15 Même si nous restons vigilants, notre travail au quotidien est inévitablement contaminé par ces nouvelles données qui finissent par orienter nos réflexions et nos décisions. Nous ne pouvons faire abstraction des cadres et des règles qui nous sont imposés. Force est de constater que ces cadres restreignent considérablement notre champ de pensée et d’action, parce que dirigés par deux maîtres-mots : efficacité et rentabilité.
16 Dans ce contexte, l’espace d’analyse des pratiques est peut-être le seul espace encore vierge. On peut y réfléchir à loisir, sans être redevable d’un quelconque résultat (chacun prend le résultat à sa mesure), on n’en attend aucune décision, on n’en mesure pas les impacts (à chacun son propre impact), on n’objective pas les effets, on n’attend pas de performance.
17 C’est du moins ainsi que je me plais à penser que cet espace continue et continuera à exister, pour offrir aux professionnels un dernier souffle de liberté de penser, pour, comme disait si bien le docteur Jacques Constant, pédopsychiatre, créateur de la « Maison pour personnes autistes d’Eure-et-Loir » « se détoxiquer » librement de tous les impacts émotionnels et psychiques qui pèsent sur notre capacité d’action, et peuvent conduire à une perte de sens du travail.
Les modalités d’organisation et le cadre de fonctionnement
18 Une fois posés ces arguments en faveur de l’analyse des pratiques, encore faut-il en définir les modalités d’organisation et le cadre de fonctionnement. Ce qui suit est issu de ma pratique de direction, les différents éléments qui vont être exposés ont évolué au cours des années et n’ont toujours concerné que des équipes de sessad. En aucun cas je ne prétends poser ici des principes qui auraient une valeur universelle, quels que soient les contextes institutionnels et la constitution des équipes. Chaque direction doit poser et énoncer ses propres règles de fonctionnement, celles qui lui semblent le plus favorables à la mise en place de cette forme de travail dans son contexte et avec ses contraintes.
19 Le premier élément du cadre de fonctionnement concerne l’intervenant en charge d’animer les séances d’analyse de pratiques. Je fais toujours appel à un intervenant extérieur à l’institution. Cette extériorité offre en effet deux avantages.
20 Le premier avantage concerne les professionnels qui n’entretiennent pas de relations avec l’intervenant en dehors du cadre des séances. Ainsi, ce qui est exprimé au cours des séances ne peut être relié à ou influencé par d’autres échanges. L’intervenant est en quelque sorte vierge de tout savoir sur les professionnels, son regard et son écoute sont neufs, non empreints de l’histoire de chacun des professionnels dans cette institution et cette équipe. De leur côté, les professionnels restent libres de donner à voir ce qu’ils souhaitent, et seulement ce qu’ils souhaitent, sans se sentir prisonniers, voire trahis par les facettes d’eux-mêmes qui s’expriment dans le quotidien du travail. Cette donnée revêt pour moi une importance considérable. Pas d’analyse des pratiques sans confiance et sentiment de sécurité du côté des professionnels, deux principes qui ne s’imposent pas, mais se construisent peu à peu, au fil du travail partagé et de l’engagement progressif de chacun.
21 Le deuxième avantage de cette extériorité concerne les usagers et les situations évoquées. Là aussi, sans savoir préconçu, l’intervenant extérieur pose un regard décalé par rapport aux professionnels qui vivent la situation de l’intérieur. Il les amène ainsi à faire les petits pas de côté qui leur permettent de regarder les choses sous un angle différent, de découvrir de nouvelles portes d’entrée, d’explorer des voies qu’ils n’avaient pas repérées. C’est la fameuse « prise de recul ou de hauteur » qui va souvent permettre d’entrevoir de nouvelles hypothèses, qui va redonner du sens au chaos et si possible renforcer le pouvoir d’agir des intervenants.
22 Concernant les références théoriques de l’intervenant en analyse des pratiques, je laisse le soin aux spécialistes de développer le sujet. Je précise seulement que je fais appel à des intervenants psychologues, psychanalystes, qui, me semble-t-il, apportent des éclairages pertinents aux situations complexes qui se présentent aux équipes. Et qui le font dans cette attitude d’écoute bienveillante et de non-jugement propre à développer un sentiment de confiance du côté des professionnels. Cette notion de bienveillance est une condition sine qua non de l’engagement de l’intervenant. Pour autant, les séances d’analyse de pratique ne sont pas des séances de psychanalyse. J’attends de l’intervenant qu’il soit réactif et dans l’échange avec les professionnels, contribuant, de par ses propres interventions, à la réflexion et au cheminement de chacun.
23 Le deuxième élément du cadre que je pose concerne les participants aux séances, et à ce titre, plusieurs principes s’imposent.
24 L’analyse des pratiques s’adresse aux professionnels impliqués dans le travail auprès des usagers et de leurs familles, hors hiérarchie. Directeur et adjoints de direction en sont donc exclus. Il s’agit pour moi d’un principe incontournable qui s’appuie sur l’idée qu’une réelle liberté de parole et d’expression ne peut s’exercer qu’en dehors de la relation hiérarchique. L’anesm y fait référence dans une de ses publications. J’ai été (il m’arrive de l’être encore) souvent interpellée sur cette question de la présence du directeur, ou de l’adjointe de direction, par les professionnels eux-mêmes, principalement dans les équipes qui ont connu des modes de management très paternalistes, où les directeurs étaient souvent d’anciens professionnels de terrain, souvent même amenés à diriger leurs anciens collègues, dans une sorte de nébuleuse presque familiale où les rôles, les fonctions et les liens hiérarchiques n’étaient pas toujours clairement établis. Il est une évidence pour moi qu’un salarié ne peut exprimer ses difficultés, ses doutes, ses émotions… de la même manière en présence de celui ou celle dont le rôle est aussi de le diriger, de le contrôler, voire de le sanctionner. Oser et risquer la parole n’a pas du tout le même impact, avec ou sans la présence de son responsable hiérarchique, les enjeux ne sont pas les mêmes, consciemment et/ou inconsciemment la présence hiérarchique entrave la libre expression du professionnel.
25 Certains mettent en avant l’intérêt, voire la nécessité, de partager avec l’adjointe de direction qui coordonne les projets des enfants leurs réflexions sur telle ou telle situation. Je réponds que d’autres espaces existent pour ce travail de partage et d’élaboration commune autour des projets. En revanche, l’association dans laquelle j’exerce mes fonctions propose des espaces et modalités de travail spécifiques, qui s’apparentent aux dispositifs d’analyse des pratiques, dédiés d’une part aux adjoints de direction, d’autre part aux directeurs de structures. D’autres cadres dirigeants choisissent d’adhérer à des dispositifs extérieurs. Quelle que soit la forme choisie, il va de soi que j’accorde une aussi grande importance à l’existence de ces espaces en direction de la hiérarchie.
26 Second élément concernant les participants : le principe d’obligation. J’ai longtemps défendu l’idée que le principe d’obligation était contraire à une libre expression des professionnels dans de tels dispositifs. Je pensais alors qu’on ne peut imposer à quiconque de parler de ses difficultés, de ses inquiétudes, de ses états d’âme… parce que cela revient à parler de soi, et que parler de soi ne peut être qu’une démarche librement consentie, à laquelle on adhère volontairement et en toute connaissance de cause. Pourtant, au fil du temps, une contradiction m’est peu à peu apparue. Les professionnels qui s’engagent dans le secteur médico-social acceptent l’idée qu’il leur va falloir partager avec leurs collègues leurs façons de faire, donc s’interroger régulièrement sur leur pratique. Le travail en équipe pluridisciplinaire est un des fondements du travail médico-social, le salarié ne peut s’y soustraire. La frontière est cependant ténue entre « parler de son travail » et « parler de soi ». Dès lors, le banal « se remettre en question » devient une nécessité, une composante incontournable de l’engagement du professionnel dans son métier, et l’analyse des pratiques un temps de travail inévitable.
27 Forte de cette conclusion, voire de cette évidence, le principe d’obligation s’accompagne alors pour moi d’un autre principe, ô combien respectable. Si la participation est obligatoire, les modalités de participation peuvent être multiples. C’est dire qu’une présence silencieuse est également une présence, et que l’écoute et l’attention à ce qui s’échange dans l’ici et maintenant peut être aussi formateur et source d’enrichissement qu’une participation orale plus active. Chacun donne et prend à sa mesure, et certains auront besoin d’un temps conséquent avant de s’engager plus pleinement dans le travail.
28 Corollaire à ce qui vient d’être énoncé : le principe de non-jugement, garanti par l’animateur et qui permet de poser un cadre de confiance. Si cet énoncé semble aller de soi, son respect en toute circonstance n’est pas forcément si simple. Les situations évoquées sont parfois particulièrement douloureuses ou choquantes, voire insupportables, les émotions exprimées peuvent être violentes, exacerbées, quelquefois elles peuvent sembler inadmissibles, quand on est dans les registres du rejet, du dégoût, de la haine… Et pourtant, s’il est bien un espace où ces sentiments peuvent s’exprimer, être entendus et acceptés pour ce qu’ils sont, c’est bien ce cadre d’analyse des pratiques, si tant est que le professionnel ne se sentira pas jugé, ou pire encore condamné. Il est donc essentiel de faire respecter ce principe de non-jugement, lui seul est garant du travail de désamorçage de la bombe que constituent en permanence tous ces ressentis s’ils ne sont pas travaillés, triturés, compris pour mieux les apprivoiser sans s’en sentir coupable.
29 Deux autres éléments sont encore constitutifs du fonctionnement de ces espaces de travail.
30 Le respect de la confidentialité bien sûr. Confidentialité des situations proposées, confidentialité des propos tenus par chacun et chacune (qui va bien sûr avec le respect de l’engagement de chacun et le principe de non-jugement). À propos des situations évoquées, il convient malgré tout de poser une limite à la règle de confidentialité. Si le travail engagé conduit les professionnels à penser que la situation relève d’une information préoccupante, ils se doivent alors de solliciter l’intervention de la direction selon une procédure définie dans la structure.
31 Enfin, la règle incontournable selon laquelle l’espace d’analyse des pratiques est un espace de réflexion, en aucun cas de décision. Si le travail de réflexion mené dans ce dispositif conduit là aussi les professionnels à penser qu’un projet d’enfant mérite d’être révisé, qu’une rencontre avec une famille s’avèrerait nécessaire, qu’un partenaire devrait être interpellé, que certains éléments du cadre de fonctionnement du service présentent des failles… et si l’équipe fait consensus, des éléments peuvent être repris et partagés avec l’adjoint de direction et le cas échéant le directeur, dans d’autres instances : réunions d’équipe, de fonctionnement, de coordination, d’élaboration de projet… Les éventuelles décisions se prennent dans ces autres temps de travail d’équipe et sont du ressort de l’équipe de direction.
Le garde-fou d’un secteur menacé
32 Après avoir présenté les arguments en faveur de l’analyse des pratiques ainsi que les modalités d’organisation et règles de fonctionnement, je reviendrai en conclusion sur l’intitulé de cette présentation : « L’analyse des pratiques professionnelles : garde-fou d’un secteur menacé ».
33 Je reprends cette formule du docteur Constant : « se détoxiquer ». Même si ce verbe ne figure probablement pas dans les dictionnaires français, la notion d’« intoxication » me semble particulièrement bien adaptée pour exprimer cette idée que les professionnels sont effectivement contaminés en permanence par les éprouvés, très majoritairement douloureux, négatifs, violents…, des enfants et des familles qu’ils accompagnent. La qualité d’empathie que nous recherchons chez les professionnels, qualité nécessaire et indispensable pour exercer dans ce milieu, peut aussi avoir pour conséquence que ces professionnels absorbent, un peu comme une éponge, ces lourdes charges émotionnelles. L’appareil psychique a cependant ses limites, et l’« intoxication », si l’on poursuit la métaphore, finit par rendre la personne indisponible, comme sourde, à l’Autre, et en incapacité d’apaiser et de rassurer. C’est par conséquent la qualité relationnelle qui est au cœur de nos pratiques, donc la qualité de l’accompagnement, qui est alors mise à mal.
34 Dès lors, l’institution doit garantir aux professionnels des lieux où déposer leurs fardeaux, pour alléger leur appareil psychique de ce poids émotionnel, pour le rendre à nouveau disponible et en état de contenir à nouveau les éprouvés des usagers et les leurs.
35 En tant que directrice de structure, ma garantie repose sur ce dispositif d’analyse des pratiques. Même s’il n’est pas le seul espace, le seul dispositif mobilisable, au niveau institutionnel comme au niveau personnel, il en constitue néanmoins un élément essentiel, qu’il faut préserver envers et contre tout. Dans un secteur, oserais-je dire dans un monde, où la bureaucratie, l’informatique, la rationalisation prennent peu à peu le pas sur l’humain, où le temps que les professionnels passent devant leur écran informatique grandit au prorata des nouvelles exigences administratives et réglementaires, où le rapport à l’Autre se traduit par des actes référencés et cotés, où tout se doit d’être objectivé et mesuré, quelle place existe encore pour l’imprévu, pour ce qui ne rentre pas dans les cases, pour ce qui bouscule et bouleverse nos repères et notre être profond, pour ce qui peine à être pensé ?
36 Parce que la rencontre avec l’Autre reste unique, justement parce qu’elle est faite de ces imprévus et de ces impensables, parce que aucun chiffre ne rendra jamais compte de la dimension affective en jeu dans le rapport humain, l’espace de pensée que propose l’analyse des pratiques constitue pour moi un véritable garde-fou contre les risques de perte de sens du travail. Le lieu où l’on pourra continuer à parler de l’humain qui est et qui restera au cœur de nos dispositifs et de nos préoccupations, à faire ce maillage de la pensée, cette sorte de tricotage qui permet de relier les fils les uns aux autres et de donner sens aux événements et aux situations, aussi complexes soient-ils.
37 Et j’ose espérer qu’aucun ordinateur ne remplacera jamais ce travail unique, et que les multiples tentatives de réduction des coûts ne finiront pas par compromettre sa mise en place dans les structures du secteur.