Notes
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European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction, Social reintegration and employment : evidence and interventions for drug users in treatment, Luxembourg, Publications Office Of European Union, Insights N° 13, 2012.
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Un programme de substitution d’une molécule (la buprénorphine) aux opiacés dans le cadre d’un traitement de substitution.
1S’il est indéniable que le travail peut être source de souffrances, on oublie parfois un peu vite qu’il représente également un puissant facteur de protection ou, pour le dire encore autrement, un levier de changement extrêmement fécond. Quiconque œuvre de manière générale à l’amélioration, sous toutes ses formes, de la relation à soi, aux autres et au monde (et conséquemment à la qualité de vie), et non pas exclusivement à la seule question de la réinsertion des publics dits marginalisés, peut aisément en prendre la pleine mesure.
2Nous vivons tous dans un environnement social auquel nous devons d’une manière ou d’une autre nous adapter, et cette adaptation passe par l’accès à certains contextes auxquels le marché du travail généralement appartient (au même titre que l’école par ailleurs). Cette (re)mise au travail, traitée ici sous un angle quelque peu spécifique puisqu’elle s’applique à des (ex-)usagers de substances psychotropes, doit être selon nous encouragée, non pas directement pour des raisons économiques (bien que ce point ne soit pas à éluder), mais pour des motifs de construction de soi et d’un meilleur rapport au monde entre ceux qui sont exclus et les autres, pour le dire de manière lapidaire. Certes, le travail n’est pas tout, mais il n’est pas rien. Aussi, il ne saurait être négligé par les intervenants comme par les décideurs politiques désirant une inclusion durable de ces personnes dites fragilisées, qui composent, qu’on le veuille ou non, notre société.
3Trop souvent contraints et forcés de se cantonner à la relation d’aide et aux soins, les services psychosociaux disposent de très faibles moyens – directs ou indirects – permettant de favoriser l’accès au travail, et ce faisant la stabilisation ou la sortie de l’addiction, pour ne pas dire le changement. Or, on ne le sait que trop, le travail, c’est aussi la santé (physique, psychique, sociale) ou à tout le moins la possibilité de la recouvrer. C’est dans ce dessein que nous avons porté sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg plusieurs projets d’aide à la réinsertion socioprofessionnelle des (ex-)usagers de substances psychotropes, dont nous allons très brièvement rendre compte ici pour proposer une réflexion d’ordre général sur cette relation entre le travail et santé dans le domaine des addictions.
Quelques lignes directrices des projets d’aide à la réinsertion socioprofessionnelle
4S’il était une première évidence impérativement à énoncer pour éviter toute confusion, ce serait celle consistant à admettre que le profil de la population des (ex-)usagers de substances psychotropes se révèle profondément hétérogène en matière d’accès ou de maintien à l’emploi. S’il est connu que parmi eux les plus désaffiliés se caractérisent, et ce pour diverses raisons, par une difficulté pour le moins importante à accéder au travail, un certain nombre possèdent néanmoins une vie active, sinon productive. Reste qu’à l’étude de la littérature scientifique, il appert que l’insertion professionnelle (en dehors de l’accès au logement, de l’autonomie financière ou du réseau social, pour ne prendre que quelques exemples) peut être considérée comme un ingrédient favorisant la sortie ou la stabilisation de l’addiction quand elle n’incarne pas tout simplement ce que l’on appelle un facteur de protection. Certes, si l’accès au travail n’est pas possible pour tous, il doit l’être pour ceux montrant une certaine disposition (physique, psychique, sociale, etc.) à son égard, qu’il y ait encore parfois consommation ou non.
5Nous appuyant sur des directives imposées par le Fonds social européen, qui fut l’une des principales sources de financement de nos activités, et visant « à améliorer l’accès à l’emploi et l’inclusion durable dans le marché du travail », nos projets se sont articulés autour de quatre grandes hypothèses que nous pourrions formuler comme suit :
- hypothèse 1 : la mise au travail des ex-usagers est un facteur d’amélioration de la qualité de vie, et par là-même un levier de stabilisation ou de prévention de la rechute ;
- hypothèse 2 : la mise au travail des usagers de drogues est également un facteur de prévention des nuisances (en favorisant potentiellement la réduction des comportements délictueux) ;
- hypothèse 3 : plus l’addiction a été déstructurante (ou désocialisante), plus l’accompagnement se doit d’être multidimensionnel et d’impliquer un suivi à plus long terme ;
- hypothèse 4 : la mise au travail est un levier de stabilisation ou de changement pour autant que la personne dispose d’un environnement « satisfaisant » (un logement indépendant, un réseau social, etc.).
6Trop souvent, sinon trop rapidement écartés par les institutions et les administrations publiques de l’accès au marché du travail, nous avons considéré qu’une aide spécifique aux (ex-)usagers de substances psychotropes avait tout son sens sinon sa pertinence en cette période où le travail vient à manquer et où s’observent des effets d’échelle repoussant les plus défavorisés plus loin encore du marché. Nous avons ainsi travaillé plusieurs années durant à favoriser un rapprochement entre le monde de l’entreprise et le public concerné au travers d’une multitude d’actions. S’il n’entre pas dans le cadre de cet article d’expliciter la méthodologie utilisée (un jobcoaching individualisé) au cours de ces projets, il importe toutefois de préciser que c’est en appréhendant de manière globale les freins, les obstacles individuels à l’emploi (le logement, la santé, la justice, la formation, la situation administrative, etc.) et en agissant sur ceux-ci que les projets portés ont permis de déboucher sur des résultats tout à fait intéressants. C’est en valorisant les compétences des personnes, en identifiant leurs ressources, en fixant avec elles des objectifs réalistes et concrets que nous avons pu les aider à favoriser la stabilisation ou la sortie de l’addiction par et dans le travail. Que l’on ne se méprenne pas, l’emploi ici n’est pas une fin en soi mais bien un moyen – parmi d’autres, certes, mais un moyen quand même – permettant aux personnes de modifier, petit à petit, leur identité et d’appréhender le monde autrement qu’au travers du prisme de l’addiction et/ou de la marginalisation. Pour ce faire, et en dehors de programmes techniques qui leur furent proposés, il nous semble important de préciser que c’est en leur distillant des messages empathiques et respectueux de leurs positions, en les impliquant dans les différentes décisions les concernant, en visant des objectifs réalistes, autrement dit en pratiquant une méthodologie responsabilisante, que nous avons pu co-construire une alliance thérapeutique suffisamment forte pour rapprocher ce public du marché du travail. Au cours de quatre années, 257 personnes ont pu bénéficier de ces projets, pour un taux de réinsertion avoisinant les 21 % sur le marché du travail classique. Dégageons rapidement quelques constats et réflexions des résultats obtenus.
Quelques constats et réflexions
7Si le non-emploi a une influence désormais connue sur l’usage de substances, nous avons pu observer que l’usage de substances est susceptible d’avoir une influence sur le non-emploi. Nous le savons, l’ennui, l’inactivité, le retrait social minent l’estime de soi et constituent autant de facteurs susceptibles de précipiter rechutes ou poursuite de la consommation. L’activation et conséquemment l’élargissement du réseau social que permet la (re)mise au travail constituent un facteur qu’il conviendrait de davantage prendre en compte si l’on vise, comme le précisent les directives européennes en matière de drogues, à réduire la demande (pour autant que cet objectif soit accessible).
8Si la consommation de substances n’empêche pas une certaine activité professionnelle, voire une certaine productivité, c’est bien lorsque cette consommation devient un problème, lorsqu’elle devient excessive ou chronique, que se réduisent les possibilités d’accès au travail ou de maintien à l’emploi. À cet endroit, le travail n’est plus ni le problème ni la solution, mais c’est bien la consommation qui devient la difficulté majeure. Les services psycho-éducatifs devraient dès lors être dotés de moyens appropriés pour accompagner, en entreprise si besoin était, cette question afin d’éviter ces ruptures toujours préjudiciables entre accompagnement professionnel et suivi socio-thérapeutique.
9À y regarder de plus près, la réduction des méfaits ou des risques par le travail pour les usagers varie selon le degré de l’addiction et le degré d’insertion (ou de désaffiliation) de la personne. Un usage prolongé réduit souvent l’employabilité en raison des dégâts collatéraux que celui-ci a générés. Autrement dit, plus la consommation est prééminente au point de tendre vers la désocialisation, moins les personnes sont capables d’accéder directement à l’emploi et de s’y maintenir. L’arrivée du premier salaire est ici généralement un bon indicateur permettant d’observer dans quelle catégorie nous nous situons. Ceux qui travaillent pour vivre (et qui poursuivent leur job après le premier paiement), ou ceux qui travaillent pour pouvoir consommer, pourrions-nous dire de manière prosaïque, et qui disparaissent précisément « dans la nature » souvent après leur première paie.
10C’est là sans doute un truisme que d’énoncer la chose, mais force est de constater que plus l’usage a été chronique et « sévère », plus l’accompagnement doit prendre en considération d’autres composantes que le travail, par exemple : les relations, le logement, la prévention de la rechute, etc,, et ce comme le précise l’European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction [1]. À cet égard, notons encore que la comorbidité influe sur le non-emploi et/ou grève également la réinsertion socioprofessionnelle. Sa présence implique un accompagnement plus conséquent et spécifique que ce qu’offrent les services sociaux ouverts généralistes.
11La mise au travail et le maintien à l’emploi sont des facteurs de stabilisation fondamentaux pour les ex-usagers, en participant à la reconstruction d’un réseau social en dehors de la sphère des consommateurs. Les aider à trouver un emploi compétitif et valorisant est plus indiqué que d’accéder parfois à un emploi sur le second marché du travail, et participe à une meilleure estime d’eux-mêmes. Ainsi la mise au travail contribue à la prévention des rechutes ou à la sortie des toxicomanies, voire à une certaine stabilisation chez les sujets participant à un programme Méthadone [2]. Mais cette mise au travail doit toutefois se doubler d’une attention à la qualité même de l’emploi, en dehors du fait que le maintien à l’emploi est bien la finalité ultime à priser autant que faire se peut, afin d’éviter de voir se muer ces (ex-)usagers mis au travail en des travailleurs pauvres.
En guise de conclusion
12L’aide à la réinsertion socioprofessionnelle est un levier de changement aux multiples dimensions pour les (ex-)usagers de drogues. Elle favorise aussi bien la stabilisation (et incarne ce faisant un facteur de protection) que la sortie de l’addiction. À ce titre, elle devrait être davantage soutenue à l’heure où, précisément, le travail vient à se raréfier. Si le travail est bien l’un des déterminants de la santé pour les usagers/ex-usagers comme pour tout citoyen, ce qui est aujourd’hui largement admis y compris par les instances européennes, cela implique la reconnaissance et le soutien durable des autorités compétentes ; il est nécessaire que les dites autorités se coordonnent sur ce sujet comme elles s’emploient à le faire lorsqu’il est question de réduction de l’offre. puisse l’avenir nous réserver quelques éclaircies à ce sujet et enfin considérer que le travail des usagers et/ou ex-usagers de drogues, c’est aussi (de) la santé !
Notes
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European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction, Social reintegration and employment : evidence and interventions for drug users in treatment, Luxembourg, Publications Office Of European Union, Insights N° 13, 2012.
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[2]
Un programme de substitution d’une molécule (la buprénorphine) aux opiacés dans le cadre d’un traitement de substitution.