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Article de revue

La scolarisation des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire

Pages 34 à 41

Notes

  • [1]
    D.-M. Bourneville, Traitement médico-pédagogique des différentes formes de l’idiotie, Paris, Félix Alcan, 1905, introduction, p. 1-3.
  • [2]
    Article 2.
  • [3]
    Article premier.
  • [4]
    F. Jacquet-Francillon, Une histoire de l’école, Paris, Retz, 2010, p. 182.
  • [5]
    A. Binet et T. Simon, « Méthodes nouvelles pour le diagnostic du niveau intellectuel des anormaux », L’Année psychologique, volume XI, 1904, p. 194.
  • [6]
    Y. Labbé, La difficulté scolaire : une maladie de l’écolier ?, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 23.
  • [7]
    Commission de l’éducation spécialisée.
  • [8]
    Intervention de D. Cordonnier lors de la discussion relative à la loi du 5 août 1949, J.O. déb. Assemblée nationale, 1ère séance du 7 juillet 1949, p. 5393.
  • [9]
    Centre médico-psychopédagogique.
  • [10]
    Section d’éducation spécialisée.
  • [11]
    Groupe d’aide psychopédagogique.
  • [12]
    Intervention de S. Veil lors de la discussion relative à la loi du 30 juin 1975, J.O. déb. Sénat, séance du 3 avril 1975, p. 291.
  • [13]
    Classification internationale des handicaps.
  • [14]
    Organisation mondiale de la Santé.
  • [15]
    Circulaires 82048/82082 en 1982 et 1983.
  • [16]
    Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté.
  • [17]
    Unité pédagogique d’intégration.
  • [18]
    Établissement régional d’enseignement adapté.
  • [19]
    Classe d’intégration scolaire, devenue Classe d’inclusion scolaire en 2009.
  • [20]
    Commission de circonscription préscolaire et élémentaire.
  • [21]
    Association pour adultes et jeunes handicapés.
  • [22]
    Association départementale des infirmes cérébraux.
  • [23]
    Travailleur d’utilité collective.
  • [24]
    Inspection générale de l’Éducation nationale-Inspection générale des affaires sociales.
  • [25]
    Rapport sur l’enseignement des enfants et adolescents handicapés, 1999, p. 27.
  • [26]
    En fait, en 2001 la fnaseph, lors d’un regroupement interne, propose un projet de service à l’accompagnement de la vie scolaire. C’est au cours de cette séance qu’elle suggère d’adopter l’appellation d’auxiliaires de vie scolaire.
  • [27]
    Pour les assistants d’éducation, le sigle aed est préféré par l’administration pour éviter la confusion avec les aides éducateurs.
  • [28]
    Unités localisées pour l’inclusion scolaire.
  • [29]
    Maison départementale du handicap.
  • [30]
    Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées.
  • [31]
    Institut médico-éducatif.
  • [32]
    Institut thérapeutique éducatif pédagogique.
  • [33]
    Section d’enseignement général et professionnel adapté.
  • [34]
    Projet personnel de scolarisation.

Histoire d’une volonté...

1À la fin du xixe siècle, Jules Ferry, au travers des grandes lois scolaires, donne à l’école un rôle social prépondérant. L’école laïque accueille des jeunes d’origines sociales et culturelles différentes. La scolarisation gratuite permet l’alphabétisation, l’apprentissage et l’accès à la culture pour tous. Rapidement, le caractère obligatoire de l’école fait apparaître un nombre important d’enfants considérés comme « non scolarisables », préalablement exclus ou enfermés dans les asiles. Les notions d’arriéré mental et d’anormal apparaissent, venant démontrer la nécessité de créer des classes spécialisées. On doit aux précurseurs de l’époque la recherche de dispositifs adaptés, venant démontrer la pertinence de relier le champ médical au scolaire.

2Face à ce constat, il y a tout juste un siècle, Bourneville, alors médecin aliéniste, préconise deux modalités de prise en charge. Pour les pathologies les plus lourdes, il propose un accueil à l’hôpital avec un enseignement assuré par des infirmiers- instituteurs. Pour les autres, il demande la création de classes spécialisées au sein de l’école, gérées par des instituteurs sensibilisés aux fonctions d’infirmiers [1].

3Puis se constitue une commission interministérielle présidée par Léon Bourgeois, composée d’hommes politiques et de spécialistes de l’enfance anormale, dans le but d’adapter l’obligation de l’enseignement primaire aux enfants anormaux décrite dans la loi du 28 mars 1882. Ces travaux aboutiront à la loi du 15 avril 1909, qui ouvre la possibilité de création de classes de perfectionnement annexées aux écoles élémentaires (pour les enfants de 6 à 13 ans), voire d’écoles autonomes de perfectionnement (jusqu’à 16 ans) pour les enfants « reconnus incapables d’apprendre une profession au dehors [2] ». Ces structures « peuvent être créées à l’initiative et sur la demande des communes et des départements, pour les enfants arriérés des deux sexes [3] ». Il faut toutefois noter que cette loi ne suffit pas à répondre aux revendications de Bourneville puisqu’elle s’adresse aux enfants qui bénéficient déjà d’un enseignement scolaire et qui présentent toutefois « des retards aussi divers que ceux dus à l’indiscipline, l’arriération, l’imbécillité, la perversité, les penchants vicieux… Seule exception à la règle, les aveugles, sourds et muets, qu’on assimilait plus ou moins aux anormaux[4] ».

4En parallèle, dès 1904 sur demande du gouvernement, A. Binet et T. Simon travaillaient sur la création d’une échelle métrique de l’intelligence, qui n’est « non pas à proprement parler la mesure de l’intelligence, car les qualités intellectuelles ne se mesurent pas comme des longueurs, elles ne sont pas superposables, mais un classement, une hiérarchie entre des intelligences diverses ; et pour les besoins de la pratique, ce classement équivaut à une mesure [5] ». Ces travaux sont repris par Stern, qui crée le test de « Quotient intellectuel » (qi). Il est utilisé pour détecter à l’avance les élèves en difficulté scolaire mais il permet aussi de « recruter » pour les classes de perfectionnement les élèves « arriérés » considérés comme « éducables ». On peut considérer que « cette séparation des enfants arriérés éducables de ceux qui relèvent d’un suivi médical est à l’origine de l’enseignement spécialisé [6] » et plus tard de la création de la cdes[7] en 1975. Bien que cette première loi porte les prémices de l’intégration scolaire, on ne dénombre que 40 classes en 1930 et 247 en 1945 par défaut de l’obligation portée par la loi.

… devenue droit

5Avec le Front populaire, Henri Sellier et Jean Zay, respectivement ministre de la Santé publique et ministre de l’Éducation nationale, constituent une Commission de l’enfance déficiente présidée par Henri Wallon. En découle une charte de l’enfance déficiente qui préconise un dépistage systématique des déficiences chez l’enfant et une proposition d’orientation en institut médico-pédagogique ou en classe de perfectionnement. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la limite supérieure de la débilité légère du qi passe de 70 à 85. Les classes sont rapidement surchargées et on constate une augmentation de l’intolérance face aux élèves en difficulté. L’échec scolaire est considéré comme une fatalité due aux inégalités naturelles de l’enfant, souvent imputées aux qualités morales de la famille.

6Rappelons toutefois qu’auparavant, la prise en compte des infirmes et invalides dans la société s’inscrit en premier lieu dans un projet politique de lutte contre l’indigence et la mendicité. Il faudra attendre la loi Cordonnier du 5 août 1949 pour marquer la prise en considération de ces populations par le législateur. « Il ne peut être question […] d’envisager le problème sous un angle politique. Il s’agit tout simplement de supprimer en France la mendigoterie professionnelle, de faire en sorte que l’aveugle congénital ne soit plus dans l’obligation de mendier dans le métro ou dans le coin des rues, que le grand infirme qui a besoin de l’assistance d’une tierce personne soit secouru [8]. » Dans ce courant, on cherche par la suite à mettre en place un cadre législatif permettant d’assurer aux personnes atteintes d’incapacité l’accès aux activités sociales. La loi de 1957 favorise le reclassement professionnel des personnes handicapées. En ce qui concerne la scolarisation, la loi de 1963 élargit l’obligation scolaire aux enfants infirmes, et crée le Certificat d’aptitude à l’éducation des enfants et des adolescents déficients ou inadaptés (caei). Durant une dizaine d’années, on développe les structures spécialisées pour accueillir les enfants déficients et prévenir les situations d’échec scolaire cmpp[9], ses[10], gapp[11].

7L’année 1975 vient marquer un tournant considérable au travers de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées. Les termes « infirme » ou « débile » sont remplacés par « personnes handicapées ». Simone Veil, alors ministre de la Santé, met l’accent sur son souhait de ne pas réduire le handicap à une définition pour ne pas poursuivre le sentiment d’exclusion. « La notion de handicap doit rester, si l’on veut précisément éviter des exclusions dans l’avenir, très évolutive et s’adapter aux situations qui pourront se présenter ultérieurement [12]. » Pour autant, l’idée est de redéfinir le concept d’inadaptation. L’intégration transparaît dans le texte sans y être clairement formulée. La même année, la loi relative aux institutions sociales et médico-sociales définit les différents établissements en capacité d’accueillir les personnes handicapées.

8Deux ans après la création de la cih[13] par l’oms[14], le terme « intégration » est utilisé pour la première fois [15] pour les établissements scolaires ordinaires. Le concept d’intégration est institutionnalisé au travers de l’obligation pour les établissements de faire apparaître les actions proposées au projet d’école dans la loi d’orientation de 1989. Les dix années suivantes verront l’émergence de nouveaux dispositifs et organisations, dont certains sont encore en fonction aujourd’hui : gapp, rased[16], upi[17], erea[18], clis[19].

Les accompagnateurs scolaires pour favoriser l’intégration

9L’intégration scolaire, au début des années 1980, peut donc s’opérer sous deux dispositifs distincts. Après avis de la cdes, l’enfant peut être admis dans une classe spécialisée ou être intégré en classe ordinaire. En fonction des troubles, l’accueil peut être partiel ou total. C’est à cette période que l’on doit les prémices de l’accompagnement scolaire en milieu ordinaire à la demande des familles.

10En 1982, dans le département de l’Ille-et-Vilaine, les parents d’une enfant porteuse d’une infirmité motrice cérébrale s’opposent à la proposition d’accueil dans un institut spécialisé. Ils insistent auprès de l’école dite « traditionnelle » pour maintenir leur enfant dans un cursus normalisé. Face à la demande de la famille, le directeur valide la proposition sous condition d’un accompagnement personnalisé au sein de la classe. Après autorisation de l’inspecteur d’académie, le premier poste d’accompagnateur scolaire est créé, assuré par un objecteur de conscience. Dans ce département, cette forme d’accompagnement sera perpétuée avec des postes occupés par des objecteurs de conscience ou des volontaires du Service national. Ce concept s’élargit rapidement sur le plan national. Face à l’absence de dispositifs, on observe la création d’associations locales permettant de soutenir et de porter les revendications des familles concernées. Les demandes s’amplifient rapidement et on imagine peu à peu une structuration des dispositifs malgré les freins financiers.

11Deux années plus tard, une élève de la Sarthe, handicapée par un spina-bifida, nécessite un soutien très spécifique. Sur demande de la ccpe[20], l’apajh 72 [21] et l’adimc[22] mettent à disposition « une auxiliaire de scolarisation » sous contrat tuc[23] pour le cours préparatoire.

12Parallèlement, dans les Bouches-du-Rhône, l’inspection académique crée en 1989 une Mission d’intégration scolaire (mis) qui mobilisera les collectivités territoriales. Ce dispositif est plébiscité dans toute la France. Les Auxiliaires d’intégration scolaire (ais), recrutés et informés par la mission départementale, sont salariés des municipalités sous contrat emploi-solidarité. Devant le succès et la médiatisation de l’opération, de nombreuses associations interpellent la mis et les associations partenaires. Ces dernières se constitueront en 1996 en Fédération nationale pour l’accompagnement scolaire des élèves présentant un handicap (fnaseph).

13Dans le reste de la France, les parents financent autant que possible les nouveaux ais.

14En 1997, la mise en place des contrats emploi-jeune, financés à 80 % par l’État, connaît un franc succès et donne du souffle pour le financement des ais. L’Éducation nationale se saisit très largement de ce dispositif et crée, dès octobre 1997, 40 000 contrats sous statut d’aide éducateur. Pour autant, en 1999, un rapport igen-igas[24] rapporte que « la plupart du temps les intégrations sont faites “à l’essai”, ce qui dénote bien que l’intégration scolaire n’est pas un véritable droit, mais une tolérance, et place l’enfant et ses parents dans une situation précaire et perturbante [25] ».

15En 1999, le ministère de l’Éducation nationale, en relation avec celui en charge des personnes handicapées, crée un plan de scolarisation des enfants et adolescents handicapés, le « plan Handiscol ». Il fait état de vingt mesures visant à améliorer le système éducatif pour la scolarisation des élèves en situation de handicap. Sont actées l’installation des groupes départementaux Handiscol et l’expérimentation des nouveaux services d’auxiliaires d’intégration scolaire. Par ailleurs, une convention est signée le 30 juin 1999 entre l’Éducation nationale et la fnaseph pour favoriser le développement des postes ais, dont la gestion est confiée à cette dernière. La fédération préconise la création d’un nouveau métier et d’une formation spécifique. Après son intégration au Comité d’entente des associations représentatives des personnes handicapées et des parents d’enfants handicapés, elle établit un référentiel emploi de la fonction de ces auxiliaires, qui sera publié en 2002 – au passage les ais sont rebaptisés « Auxiliaires de vie scolaire » (avs) [26].

16Le 18 juillet 2001, le plan d’action en faveur des personnes handicapées prévoit de nouveaux services d’avs ou ais. À la demande de Jack Lang, alors ministre de l’Éducation nationale, le rapport Malot fait état du développement des services d’ais et préconise de ne retenir que l’appelation avs. On note quatre fonctions principales :

  • accompagnement dans les actes de la vie quotidienne ;
  • socialisation favorisant l’intégration des enfants, adolescents ou jeunes adultes dans la vie sociale, scolaire, familiale ;
  • éducation visant le développement de l’autonomie de l’élève, de ses capacités d’apprentissage ;
  • communication liée à la gestion des relations avec les différents partenaires du projet individuel d’intégration.
En 2003, le Parlement adopte le projet créant le statut d’assistant d’éducation [27]. Les assistants d’éducation sont appelés à remplacer les maîtres d’internat, les surveillants d’externat ainsi que les aides éducateurs. Les auxiliaires de vie scolaire constituent désormais une catégorie particulière d’assistants d’éducation. Il existe deux types d’avs, que l’on appelle les avsi (individuel) et les avsco (collectif). Ces derniers exercent en ulis[28], clis ou upi.

17La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances réaffirme et élargit celle de 1975, dont les objectifs n’ont pas toujours été atteints. L’usager est « au centre du dispositif ». Il est le principal acteur et auteur de son projet de vie. On passe très nettement d’une idée de protection des personnes à celle de l’action de s’insérer, confortée par l’obtention de la compensation des conséquences du handicap par la mdph[29], qui se traduit souvent par l’attribution d’heures d’avs.

18De fait, on évolue, de façon implicite mais manifeste, de la notion d’intégration à celle d’inclusion, bien que celle-ci ne soit pas encore réellement nommée. Jusqu’à présent, l’intégration nécessitait une capacité d’adaptation de l’enfant et de l’environnement. A contrario, le concept d’inclusion induirait que l’adaptation de l’environnement suffirait à la prise en compte des besoins spécifiques de l’enfant. Ces modifications sémantiques, confirmées par la circulaire 2010 sur l’inclusion scolaire, ne sont pas sans envisager certains bouleversements dans la prise en compte des personnes en situation de handicap.

Inclusion scolaire et prise en charge médico-sociale

19La conjonction de la loi 2005 et de la circulaire 2010 est susceptible d’entraîner de nombreux chamboulements dans le schéma actuel. Jusqu’à présent, un consensus validé par l’autorité de la cdes, ou de la cdaph[30] depuis la loi 2005, venait influer fortement la décision d’orientation. De nombreuses structures médico-sociales ont émergé pour prendre en compte les diversités des handicaps et proposer des accompagnements scolaires adaptés. Que ce soient les ime[31] ou itep[32], ces structures se sont spécialisées dans la prise en compte de pathologies spécifiques. De la déficience mentale à l’expression des troubles psychiques, chacune d’entre elles a développé des dispositifs avec des équipes pluriprofessionnelles pour l’accompagnement de la personne et le soutien à la parentalité. La fonction éducative, pilier du projet individualisé, s’assurait de la cohérence des actions entre les partenaires.

20Or le concept d’inclusion scolaire, bien qu’il présente une avancée majeure dans notre société, est au risque d’une négation des réelles difficultés de l’enfant. À l’écoute des avs en fonction, il est parfois constaté que l’inclusion scolaire est vectrice d’exclusion sociale. Au sein de l’école, dans les classes ordinaires ou spécialisées (segpa[33], ulis…), l’hétérogénéité des troubles peut provoquer des situations violentes. L’école n’a pas toujours les moyens d’adapter la situation éducative à l’enfant. De nombreux pps[34] ne sont remplis que partiellement, les enseignants et les avs, sans réelles formations, « bricolent » des outils pour favoriser l’inclusion. Malgré toute leur bonne volonté, on peut s’interroger sur les risques de cette nouvelle idéologie. Prendre en compte le projet et les besoins de la personne nécessite, au-delà du désir de bien faire, d’en avoir les compétences. Par ailleurs, certaines familles réfutent les propositions d’orientation en établissements spécialisés qui renvoient une image peut-être trop stigmatisante.

21Pour favoriser l’inclusion scolaire, on peut s’attendre à un redéploiement des dispositifs des structures médico-sociales. Certaines d’entre elles ont déjà développé des partenariats avec l’école ordinaire. Initiatives souvent isolées mais fructueuses, des classes scolaires d’itep sont incluses dans les écoles ordinaires. La délocalisation des enseignants spécialisés et des éducateurs, susceptibles d’accompagner partiellement ou totalement n’importe quel élève, semble porter ses fruits. À rappeler que pour de nombreux jeunes en situation de handicap, l’accès à l’école a d’abord une visée de socialisation. Comme le rappelle leur appellation, les avs doivent accompagner l’enfant dans la vie scolaire. Selon le projet de la personne, les acquisitions faites dans les espaces informels prédominent sur les acquisitions scolaires.

22Il reste à créer ou à consolider les partenariats avec l’environnement de l’enfant et à définir les rôles de chacun. Le débat sur la professionnalisation des avs, actuellement sous contrats précaires, est significatif de l’incohérence entre l’idéologie et la réalité du terrain. L’inclusion ne pourra être positive qu’avec une concordance des actions entre milieu ordinaire et instituts spécialisés. L’inclusion est plébiscitée dans certains pays mais le contexte y est fondamentalement différent. En Italie et en Finlande, les enseignants bénéficient d’une formation solide sur la relation éducative et pédagogique. En Finlande, les écoles sont autonomes et le déroulement d’une séquence pédagogique ressemble sensiblement à celui d’une classe spécialisée. Par ailleurs, les élèves porteurs de handicaps lourds restent accueillis dans des établissements spécialisés.

23En France, les postes d’avs ne suffiront pas à absorber l’augmentation des élèves en situation de handicap. Les financements, historiquement soutenus par l’État, sont plus que menacés. Il serait peut-être trop optimiste de penser que « l’inclusion » des dispositifs institutionnels au sein de l’école absorberait les besoins d’accompagnement des enfants, et si nécessaire de leurs familles. L’école devra sans doute avoir des moyens supplémentaires et faire preuve autant d’imagination que de flexibilité pour répondre convenablement à ses obligations. Dans le cas contraire, en l’absence de politique égalitaire, nous serons confrontés au risque de la privatisation des services. Ce paysage se dessine déjà alors que les mdph augmentent considérablement le nombre de prescriptions d’avs chaque année. Le manque de moyens alloués par l’État est une nouvelle fois en totale contradiction avec les nouvelles politiques éducatives. L’idéologie de l’inclusion scolaire reste pour beaucoup d’enfants et leur famille une utopie.

Épilogue et perspectives

24Depuis la loi du 11 février 2005, les enfants présentant un handicap doivent être inscrits dans l’école la plus proche de leur domicile qui devient alors leur établissement de référence. Dans le cadre de l’élaboration du projet personnalisé de scolarisation, l’enfant peut bénéficier d’un soutien assuré par un avs. Les efforts opérés par l’État pour favoriser l’inclusion scolaire connaissent un réel succès. Le 1er décembre 2010, Luc Chatel, ministre de l’Éducation, annonce 197 000 élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire, soit une augmentation de 30 % depuis la mise en place de la loi 2005. Il existe sur notre territoire 2 120 ulis à la rentrée 2010 et l’on compte 1 478 enseignants référents. En un an, la mdph a augmenté ses prescriptions de 25 % pour l’accompagnement de l’enfant par une avsi.

25Alors que les mdph et l’Éducation nationale semblent reconnaître et se servir des compétences requises pour la fonction des avs, les conditions d’exercice restent toutefois déplorables. Relevons tout d’abord la précarité des contrats. La mdph, qui relève des conseils généraux, ne se soucie pas des financements des postes assujettis à l’Éducation nationale. Lors des discussions budgétaires, l’Assemblée nationale a débloqué 20 millions d’euros de crédits pour le maintien de 4 000 contrats. La convention signée en juin 2010 avec les associations de parents et les services de soins à domicile n’a permis de maintenir que 140 emplois alors que l’on pouvait espérer la création de nouveaux emplois.

26Sur le terrain, il s’avère que les avs sont presque constamment dans l’incertitude des renouvellements de leur poste. Au-delà du phénomène de précarisation des salariés, on peut légitimement se poser la question de l’efficience de l’accompagnement. La spécificité de certaines pathologies nécessite un accompagnement s’inscrivant dans la durée pour permettre à l’enfant de « s’inclure » confortablement dans la vie scolaire. Le changement d’avs au cours de la scolarisation peut être dévastateur pour son équilibre. Il faut du temps à l’enfant et à l’avs pour faire connaissance et trouver les outils, souvent les « petits riens », qui favoriseront les acquisitions sociales et/ou scolaires.

27Par ailleurs, les avs, dont les missions sont aussi larges qu’imprécises, se sentent isolés. En charge de l’enfant en classe, conduite par un enseignant, le positionnement professionnel reste difficile. Souvent parasités par les acquisitions scolaires et la relation au savoir, les objectifs de socialisation passent facilement à la trappe. Sans oublier l’accueil du personnel de l’Éducation nationale, encore trop souvent réticent devant l’intrusion d’un élément externe au sein de la classe. Ne voyons pas ici une crainte de contrôle du travail, mais plutôt une incompréhension de la situation. En effet, bon nombre d’enseignants sont informés « à la dernière minute » de l’inclusion d’un enfant en situation de handicap qui bénéficie d’un accompagnement spécifique. Or, pour l’enseignant comme pour l’avs, les informations relatives à l’enfant sont plus que parcellaires et leurs formations professionnelles respectives ne permettent pas toujours l’adaptation de la posture professionnelle.

28Rappelons par ailleurs que l’octroi des avs est encore trop centré sur les temps purement scolaires. Il semble cependant que les revendications commencent à être entendues. Dernièrement, une famille et la commune de Plabennec, dans le Finistère, ont saisi le Conseil d’État suite au refus de l’inspection académique d’octroyer un avs durant le temps de repas à la cantine. L’inspection considérait que les temps périscolaires étaient à la charge de la commune. Pour la première fois, en avril 2011, le Conseil d’État a statué sur cette question en faveur de l’enfant : « Il incombe à l’État, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l’éducation et l’obligation scolaire aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif ; qu’à cette fin, la prise en charge par celui-ci du financement des emplois des assistants d’éducation qu’il recrute pour l’aide à l’accueil et à l’intégration scolaire des enfants handicapés en milieu ordinaire n’est pas limitée aux interventions pendant le temps ordinaire. »

29On peut penser que cette décision fera rapidement jurisprudence et qu’elle va venir faciliter et renforcer le désir de l’enfant et de sa famille d’accéder à la scolarisation en milieu ordinaire. Parallèlement, la place des avs auprès de l’enfant devrait prendre de l’ampleur et l’on peut espérer une meilleure prise en compte de leur parole dans l’élaboration du projet personnalisé de scolarisation. Jusqu’à présent, les limites d’action sont parfois contradictoires avec des fonctions qui semblent proches de celles requises pour un éducateur. L’entrée ou la sortie de l’école, par exemple, ne sont pas sans poser problèmes. L’interdiction de communiquer seul avec les parents reste impossible à respecter lorsque l’enfant n’est pas en capacité d’accéder seul dans l’école. Mais surtout, la rencontre avec les familles dans des espaces informels favoriserait les liens et donnerait des éléments de compréhension de la situation de l’enfant. L’avs, tiers dans la relation, à la croisée de divers objectifs, pourrait être un point d’appui fondamental pour assurer le lien entre les partenaires et donner un point de vue précis et objectif – du fait d’une observation quotidienne de l’enfant – pour l’élaboration du pps.

30Les perspectives d’avenir sont soumises à de multiples paramètres liés aux politiques éducatives et gouvernementales. On peut rendre hommage à ces personnels dont la pugnacité et la fraternité – soutenues par l’investissement d’enseignants militants – permettent l’effectivité de l’inclusion des enfants en situation de handicap. Leur persévérance semble modifier les pratiques au sein de l’Éducation nationale. Cette dernière devra certainement se rapprocher de l’expérience de scolarisation du domaine médico-social pour parfaire ses dispositifs et assurer ses missions.


Date de mise en ligne : 18/08/2011.

https://doi.org/10.3917/vst.111.0034

Notes

  • [1]
    D.-M. Bourneville, Traitement médico-pédagogique des différentes formes de l’idiotie, Paris, Félix Alcan, 1905, introduction, p. 1-3.
  • [2]
    Article 2.
  • [3]
    Article premier.
  • [4]
    F. Jacquet-Francillon, Une histoire de l’école, Paris, Retz, 2010, p. 182.
  • [5]
    A. Binet et T. Simon, « Méthodes nouvelles pour le diagnostic du niveau intellectuel des anormaux », L’Année psychologique, volume XI, 1904, p. 194.
  • [6]
    Y. Labbé, La difficulté scolaire : une maladie de l’écolier ?, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 23.
  • [7]
    Commission de l’éducation spécialisée.
  • [8]
    Intervention de D. Cordonnier lors de la discussion relative à la loi du 5 août 1949, J.O. déb. Assemblée nationale, 1ère séance du 7 juillet 1949, p. 5393.
  • [9]
    Centre médico-psychopédagogique.
  • [10]
    Section d’éducation spécialisée.
  • [11]
    Groupe d’aide psychopédagogique.
  • [12]
    Intervention de S. Veil lors de la discussion relative à la loi du 30 juin 1975, J.O. déb. Sénat, séance du 3 avril 1975, p. 291.
  • [13]
    Classification internationale des handicaps.
  • [14]
    Organisation mondiale de la Santé.
  • [15]
    Circulaires 82048/82082 en 1982 et 1983.
  • [16]
    Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté.
  • [17]
    Unité pédagogique d’intégration.
  • [18]
    Établissement régional d’enseignement adapté.
  • [19]
    Classe d’intégration scolaire, devenue Classe d’inclusion scolaire en 2009.
  • [20]
    Commission de circonscription préscolaire et élémentaire.
  • [21]
    Association pour adultes et jeunes handicapés.
  • [22]
    Association départementale des infirmes cérébraux.
  • [23]
    Travailleur d’utilité collective.
  • [24]
    Inspection générale de l’Éducation nationale-Inspection générale des affaires sociales.
  • [25]
    Rapport sur l’enseignement des enfants et adolescents handicapés, 1999, p. 27.
  • [26]
    En fait, en 2001 la fnaseph, lors d’un regroupement interne, propose un projet de service à l’accompagnement de la vie scolaire. C’est au cours de cette séance qu’elle suggère d’adopter l’appellation d’auxiliaires de vie scolaire.
  • [27]
    Pour les assistants d’éducation, le sigle aed est préféré par l’administration pour éviter la confusion avec les aides éducateurs.
  • [28]
    Unités localisées pour l’inclusion scolaire.
  • [29]
    Maison départementale du handicap.
  • [30]
    Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées.
  • [31]
    Institut médico-éducatif.
  • [32]
    Institut thérapeutique éducatif pédagogique.
  • [33]
    Section d’enseignement général et professionnel adapté.
  • [34]
    Projet personnel de scolarisation.
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