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Article de revue

Un conte pour soigner

Accompagnement d'une personne ayant subi un avortement dans un contexte de chantage affectif

Pages 85 à 91

Notes

  • [*]
    Cet article est extrait de l’ouvrage de Solange Langenfeld Serranelli, Les contes au cour de la thérapie infirmière : psychiatrie et conte thérapeutique, Paris, Masson, 2008. Avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.
  • [1]
    Afin de garantir l’anonymat de la personne, son nom a été changé.
  • [2]
    Vivre le deuil au jour le jour, Paris, Albin Michel, 2004.

1Il est à remarquer que le deuil d’un avortement est dysfonctionnel dans la grande majorité des cas. Ce deuil d’enfant se déroule souvent dans un contexte de très grande culpabilité et de honte, générant chez la personne une forte atteinte de l’estime de soi. Régulièrement, du fait de la culpabilité ressentie, le secret entoure un tel deuil et gêne son expression.

2Face à cette problématique, il s’agira pour l’infirmier de tenter de rejoindre la personne dans son vécu pour l’inviter à se dire et lui permettre d’entendre et d’intégrer ce qui est exprimé. Le soignant aura à développer une grande qualité de présence relationnelle afin d’aider la personne à déposer sa souffrance. Une attitude de non-jugement pleine d’empathie va contribuer à l’aider à restaurer son estime d’elle-même gravement mise à mal.

3Nous allons relater l’accompagnement d’Anna Martin [1], une jeune femme ayant subi un avortement dans un contexte très difficile de chantage affectif. L’aide qui lui a été apportée a dû se concentrer sur peu de contacts et le conte écrit pour elle a été un élément fondamental de sa prise en charge. L’axe thérapeutique s’est centré essentiellement sur sa dynamique de deuil dysfonctionnel, qui générait une grave perturbation de l’estime de soi.

Un entretien d’aide

4Âgée de 25 ans, Anna Martin est adressée par son médecin traitant qui s’inquiète de son état dépressif consécutif à une rupture sentimentale. À son arrivée, elle se montre très secrète. Elle semble porter un chagrin très douloureux. Nous faisons des tentatives d’approche, mais elle fuit le contact. Pourtant, un soir, alors que je commence mon poste de nuit, elle entre dans le bureau infirmier et s’assoit près de moi. Je l’accueille avec douceur. Les quelques jours d’hospitalisation lui ont probablement permis d’évaluer notre capacité d’accueil. Ils l’ont amenée à se sentir suffisamment en confiance pour commencer à parler de son vécu intérieur.

5Anna Martin me raconte son histoire. Elle est secrétaire et travaille depuis deux ans dans une entreprise de la région. Elle me confie que, très rapidement après son arrivée, elle a été l’objet des assiduités de son patron. Il s’agit d’un homme marié (sa femme, par héritage, est le pdg de l’entreprise), il lui confie qu’il est malheureux en ménage. Il l’assure de son intention de divorcer pour elle. Elle le croit et cède à ses avances. Cela ressemble à une histoire très classique, mais la situation s’avère bien plus dramatique que cela.

Victime d’une personne au comportement pervers et manipulateur

6Les explications de la jeune femme mettent en évidence que son amant a opéré sur elle un lent travail de sape. Il a manifesté un comportement manipulateur et destructeur très caractéristique, exerçant sur elle un contrôle, l’amenant à se couper de ses amis ainsi que de sa famille. Il a fini par demeurer son seul univers relationnel. Au travers de ce que me raconte la jeune femme, je comprends très vite que cet homme a un comportement pervers : celui-ci se caractérise par une forme de cruauté morale raffinée, une certaine jouissance à l’exercer, et une absence de respect et de capacité d’amour pour l’autre. De façon insidieuse, il s’est mis à critiquer son physique, ses paroles, ses actes, mettant Anna Martin dans des états de souffrance insupportables. La jeune fille m’explique qu’à ces moments-là, elle avait la sensation qu’il se délectait de sa souffrance. Il lui arrivait d’avoir des moments de lucidité et elle cherchait à le quitter, mais alors il redevenait charmant, amoureux… et elle « replongeait ».

7« Tout son pouvoir était dans sa voix », me dit-elle.

8Une autre caractéristique du comportement pervers manipulateur est qu’il manie sans cesse le chaud et le froid. Le message qui semble être passé à Anna Martin est celui-ci : « Tu n’as aucune valeur à mes yeux, mais je ferai tout pour te garder. »

9Avant de rencontrer cet homme, la jeune fille était très créative et faisait de la peinture. Mais, dès le début de leur liaison, devant ses moqueries, elle abandonne toute velléité de création artistique. Anna Martin a toutes les caractéristiques de la « victime parfaite » de ce type de personne : elle a une estime d’elle-même très basse et peu de confiance en elle. Elle en fait le constat elle même : « Je me suis toujours sentie nulle… Ma sœur aînée était la perfection incarnée pour mes parents, alors que moi… Il y avait toujours quelque chose à redire quoi que je fasse… »

Avortement et dépression

10Un événement va cependant modifier le cours des choses : un jour, elle apprend qu’elle est enceinte. Elle a l’espoir, à ce moment-là, que le comportement de son amant va changer et qu’il va clarifier enfin la situation. Or, c’est exactement le contraire qui se produit. Quand il apprend la nouvelle, il lui dit froidement qu’il est hors de question qu’elle ait un enfant de lui, qu’il voit bien dans son jeu : elle compte utiliser cet enfant pour faire pression sur lui. En fait, il semble projeter sur elle sa propre manière de se comporter. Elle a beau essayer de le convaincre d’accepter cet enfant, il reste sur sa position. Elle m’explique alors que pour obtenir sa capitulation, il lui a fait pendant des jours et des jours cet odieux chantage : qu’elle avorte, « sinon il se chargera bien de faire savoir à son enfant qu’il n’est qu’un bâtard et il saura le détruire à petit feu ».

11Devant cette pression morale d’une violence extrême, désemparée et isolée de tout soutien possible, la jeune fille finit par céder et se fait avorter dans de très mauvaises conditions psychologiques. Toutefois, une prise de conscience majeure a lieu : l’épreuve qu’elle a vécue lui ouvre les yeux et engendre un nouveau comportement chez elle : la capacité de prendre de la distance par rapport à la situation et de la regarder avec lucidité. Elle me dit : « À ce moment-là, j’ai réalisé l’étendue de sa cruauté, je me suis rendu compte que le quitter était une question de survie pour moi. »

12Et elle se donne les moyens de le faire… Quelques semaines plus tard, elle trouve un nouveau travail à deux cents kilomètres de là. Le soir de son dernier jour de travail, elle dépose sur le bureau de la femme de son amant une lettre lui expliquant tout : « C’était un moyen d’être sûre de ne pas être tentée de revenir en arrière », me dit-elle.

13Son amant essaye de reprendre contact avec elle, mais elle ne répond pas à ses appels. Elle a trois semaines de congés avant de déménager vers son nouveau travail. Elle reste enfermée chez elle, seule, et s’enfonce dans un état de tristesse intense, s’accompagnant d’une perte d’espoir et d’une inhibition psychomotrice. Ce sont ces symptômes caractéristiques d’un syndrome dépressif qui ont conduit son médecin traitant à la faire hospitaliser.

La culpabilité est toujours présente dans le deuil d’un enfant avorté

14Au fur et à mesure qu’Anna Martin me raconte son histoire, un élément m’apparaît évident : elle ne se pardonne absolument pas d’avoir avorté. Tout en me racontant les circonstances de cet avortement, elle pleure sans discontinuer. Je suis moi-même très touchée par sa douleur. C’est une douloureuse histoire d’amour impossible… impossible à vivre entre cet homme incapable d’amour et une jeune fille sans amour pour elle-même… impossible à exprimer pour une mère égarée envers son enfant non advenu…

La difficulté du deuil dans le cas d’un avortement

15Christophe Fauré [2] parle très justement du désarroi de la jeune femme qui vient d’avorter : « D’une manière générale, décider d’avorter n’est jamais anodin […]. La jeune femme rentre chez elle, bouleversée, triste, fatiguée, en colère et coupable. Perdue dans le traumatisme des heures précédentes, elle ne réalise pas encore qu’un véritable deuil vient là de se mettre en route […]. Qu’on le veuille ou non, il y a un début d’attachement à ce petit être et il a fallu beaucoup de détermination et de déni de sa tendresse naissante pour aller jusqu’au bout de la démarche. La culpabilité est quasiment toujours présente […]. Le regard que l’on porte sur soi peut devenir très sévère, portant atteinte à l’estime de soi. Il y a pourtant là un deuil qui revendique son expression. Il est non seulement légitime, mais surtout nécessaire pour permettre à la jeune femme d’intégrer cet avortement dans son histoire, sans qu’il devienne une zone d’ombre dont elle n’osera jamais parler. Sa blessure a besoin d’être reconnue afin qu’elle puisse se cicatriser. »

Un conte pour aider à se réconcilier avec soi-même

16En dépit d’un état de désarroi intense, Anna Martin a trouvé la ressource de rompre cette relation destructrice. Cette histoire a toutefois laissé un traumatisme important chez cette jeune fille et elle aurait besoin d’être accompagnée dans son processus de deuil. Le problème est qu’elle ne souhaite pas rester à l’hôpital : elle doit déménager la semaine suivante. Vu son éloignement, je ne peux pas lui proposer de consultation thérapeutique. C’est alors que je pense au conte thérapeutique : tout en la laissant cheminer en autonomie, il pourra lui offrir l’occasion d’une réconciliation intérieure.

17Je parle à Anna Martin du conte que je souhaite écrire pour l’aider et elle l’accepte. Je ne la revois qu’au moment de sa sortie et lui remets le texte sous enveloppe juste avant son départ. Un conte pour l’aider à faire sens de son vécu…

Gaïa, la petite libellule qui s’ignorait elle-même

18Il était une fois une petite libellule qui s’appelait Gaïa. Elle était d’une jolie couleur bleue et ses ailes étaient magnifiquement irisées. Elle vivait au bord d’un étang.

19Gaïa avait un don particulier : elle faisait partie de cette catégorie de libellules que l’on appelle « les peintres du ciel ». Elle savait danser dans la lumière du soleil, faisant naître à travers le prisme de ses ailes, tel un peintre de lumière, de merveilleux arcs-en-ciel chatoyants. C’était comme une danse du don d’amour… Elle savait faire naître une grande joie dans le cœur de ceux qui la regardaient.

20Le problème de Gaïa était qu’elle ignorait qu’elle avait ce don. Peut-être avait-on oublié de le lui dire ?… Et si d’aventure quelqu’un lui faisait un compliment sur ce qu’elle faisait, Gaïa avait beaucoup de mal à croire qu’il s’adressait à elle. Peut-être, dans son existence de libellule, n’avait-elle pas souvent reçu de compliments ?

21Gaïa portait dans son cœur une grande soif de partage d’amour.

22Elle rêvait de rencontrer un jour un garçon libellule avec lequel elle vivrait une grande histoire d’amour et de paix. Elle y aspirait profondément. Pourtant, au fond d’elle-même, elle doutait que cela puisse un jour lui arriver. Qui donc pourrait l’aimer, elle qui était si imparfaite ?

23Aussi quelle ne fut pas sa stupéfaction quand, un jour, un garçon libellule s’intéressa à elle. Il s’appelait Gao. C’était une grande libellule grise. Toute à sa joie d’être remarquée, Gaïa ne se méfia pas une seconde de lui. Et pourtant, elle aurait dû…

24Gao faisait partie de ces libellules qui, pour vivre, ont besoin de se délecter des larmes de souffrance d’autrui. Il ne cherchait à établir avec les autres qu’une relation de domination et lorsqu’il rencontrait l’amour, il essayait de le détruire car, pensait-il, l’amour rend faible…

25En aucun cas, il n’aurait pu voler dans les airs et effectuer une danse d’un don d’amour, car il en était incapable. Ses ailes, qu’il tenait toujours repliées pour les dissimuler, étaient ridiculement petites, comme atrophiées. Alors pour attirer les autres libellules vers lui, il était passé maître dans l’art de chanter, et sa voix, lorsqu’il la dirigeait vers l’une d’entre elles, était comme un long chant hypnotique et trompeur.

26Gao fit croire à Gaïa que son chant était un chant d’amour dirigé vers elle, mais en fait, ce n’était qu’une litanie d’asservissement. Les sons qu’il émettait vers Gaïa étaient comme de longs fils d’araignée invisibles qui l’engluaient peu à peu, sans qu’elle puisse s’en rendre compte. Ce chant laissait entendre que le cœur de Gao était plein d’amour pour elle, alors qu’en réalité il n’était qu’une coque vide incapable d’aimer.

27Peu à peu se développa une étrange relation entre Gao et Gaïa.

28Gao apprit à Gaïa à se méfier de ses idées, de ses sentiments, de ses intuitions.

29Il lui expliqua qu’ils étaient faux, que lui savait ce qui était bon pour elle.

30Et la petite Gaïa, qui avait déjà si peu de confiance en elle, ne douta pas un seul instant qu’il n’ait raison.

31Gao se moqua de ses danses dans la lumière du soleil, alors Gaïa se sentit honteuse et resta désormais sur le sol.

32Gao se moqua de ses ailes déployées, alors Gaïa les replia dans son dos pour les cacher.

33Le temps passa…

34Gaïa se rendait bien compte que sa relation avec Gao la faisait souffrir. Son cœur était plein d’attente d’un partage d’amour qui ne venait jamais. Parfois, elle était tentée de partir, mais aussitôt Gao émettait un nouveau chant de faux amour et Gaïa se retrouvait plus engluée que jamais.

35À force de ramper aux côtés de Gao, Gaïa devint peu à peu grise de poussière et elle perdit ses couleurs. La souffrance était son lot quotidien, mais elle espérait toujours qu’un jour, Gao l’aimerait, quand elle aurait corrigé toutes ses imperfections…

36Ah ! Comme il était puissant le chant de Gao !

37Il faussait toutes les perceptions de Gaïa, s’infiltrant dans son besoin d’amour si fort, et s’appuyant sur son manque de confiance en elle. Cela dura longtemps…

38Un jour cependant, il se passa quelque chose qui remplit le cœur de Gaïa de bonheur et de crainte à la fois : de son union avec Gao fut conçu un œuf minuscule, fragile, promesse d’un enfant libellule merveilleux. Le cœur de Gaïa fut immédiatement rempli pour lui d’un amour immense, et, pleine d’espoir, elle annonça la nouvelle à Gao.

39Et là ce fut terrible, vraiment terrible.

40Car immédiatement Gao sembla ressentir pour cet être en devenir une haine intense, comme s’il représentait pour lui un grand danger. Il émit alors un chant d’une grande puissance vers Gaïa. Un chant qui disait qu’il ne voulait pas de cet enfant libellule et qu’elle devait s’en débarrasser. Et il jeta sur l’enfant en devenir une Malédiction de Souffrance Éternelle et s’en alla, laissant Gaïa désespérée et seule…

41Elle était atterrée. Elle ressentit une grande culpabilité envers son enfant œuf de lui avoir choisi un tel père et n’eut plus qu’une seule idée : le sauver de la Malédiction jetée sur lui alors qu’il n’était même pas encore éclos… Elle choisit alors de faire quelque chose de terrible, un acte inconcevable pour une libellule bleue capable du don d’amour : elle décida de faire détruire l’œuf…

42Pour elle, cet acte de destruction était un acte désespéré d’amour protecteur. Elle ne voulait pas que son enfant vive la vie de souffrance qui lui avait été promise… Dans une solitude affreuse, elle appela les crapauds nettoyeurs. Ceux-ci, la regardant de leur œil froid, détruisirent l’œuf et l’emportèrent. Alors Gaïa, qui dès sa conception avait ressenti un amour immense pour cet œuf, sentit son cœur se briser.

43Elle pleura des larmes de douleur qui s’écrasèrent sur le sol, devant elle, et peu à peu formèrent une petite flaque à ses pieds. Se penchant vers cette eau, Gaïa vit son reflet. Elle vit pour la première fois combien elle était devenue grise et sale, combien ses ailes semblaient atrophiées, et surtout elle vit les liens tissés par Gao qui, tels des fils d’araignée, l’engluaient.

44Il se passa alors quelque chose de magique : son reflet se mit à lui parler :

45« Gaïa, ce que tu vois là n’est pas ton vrai reflet. Regarde-toi telle que tu es vraiment ! »

46Et dans la petite flaque de larmes, l’image de la libellule grise qui se traînait par terre s’effaça et fit place à l’être véritable de Gaïa : une merveilleuse petite libellule bleue aux ailes resplendissantes qui dansait dans le soleil la danse du don d’amour… La voix du reflet résonna alors doucement dans sa tête :

47« Voilà celle que tu es, Gaïa, reconnais-toi et ne l’oublie plus jamais.

48Vis désormais dans le respect de celle que tu es vraiment. »

49Gaïa se regarda longuement, puis elle se lava dans la petite flaque, se débarrassant de la poussière grise qui la recouvrait. Ensuite, elle redéploya ses ailes irisées, les fit battre doucement, et la brise qu’elles soulevèrent assécha la petite flaque de larmes.

50De ces larmes-là, Gao ne pourrait pas se repaître. Gaïa décida alors que plus jamais cela n’arriverait. Puis elle prit une pierre coupante et d’un coup sec trancha les fils gluants qui la reliaient à Gao.

51Aussitôt, elle ressentit un grand manque douloureux, comme si elle s’amputait d’une partie d’elle-même. Elle avait vécu avec ces liens depuis si longtemps… Mais en accomplissant cet acte, elle savait qu’elle se sauvait elle-même…

52À la rupture des fils, Gao fut là, aussitôt. Il essaya de lancer de nouveaux liens vers Gaïa avec son chant trompeur. Mais elle n’y prêta plus attention, car dans son oreille résonnait désormais une autre voix venue du plus profond d’elle-même :

53« Vis désormais dans le respect

54de celle que tu es vraiment. »

55… L’histoire de Gaïa n’est pas terminée.

56Son éclosion à elle-même est une longue métamorphose qui se poursuit encore aujourd’hui. Et chaque jour qui passe la rapproche davantage de celle qu’elle est vraiment.

57Dans son cœur, il y a, à jamais, une place particulière et pleine d’un amour incommensurable, pour ce premier œuf qui, dans l’épreuve vécue, lui permit de naître à elle-même…

58… Si un jour, vous vous promenez près d’un étang, et que vous voyez danser une libellule bleue dans le soleil, vous saurez sans hésiter reconnaître Gaïa à la joie que sa danse d’amour fera naître dans votre cœur…

Une lettre en témoignage

59Le temps a passé et je me suis demandé parfois ce qu’était devenue Anna Martin. J’espérais que l’entretien et le conte avaient pu lui apporter de l’aide. Puis un jour, quelques mois après son départ, j’ai reçu cette lettre qui apporte un témoignage très concret de l’effet du conte :

60

« Chère Madame,
Je vous écris ces quelques mots pour vous donner de mes nouvelles. Ce conte que vous avez écrit pour moi m’a beaucoup aidée. Ma vie n’était qu’un cauchemar noir, rempli de sentiments de culpabilité et de désespoir, et soudain j’ai vu ma propre histoire avec un autre sens. Elle devenait belle, pleine de couleurs et d’amour. Et j’ai réalisé qu’elle était vraie.
Ce conte a été comme une main douce qui est venue toucher la douleur de mon cœur et lui a permis de sortir. J’ai beaucoup pleuré, mais c’étaient des larmes de délivrance, comme des larmes de réconciliation avec moi-même. Aujourd’hui, je vais bien dans ma nouvelle vie. J’ai de nouveaux collègues. Dans ce boulot-ci l’ambiance n’a rien à voir avec l’ancien, c’est sympa. Et puis surtout, j’ai rencontré quelqu’un, un garçon de mon âge très gentil qui me respecte et qui m’aime. J’ai droit à une nouvelle chance.
Merci encore. Je n’oublierai jamais.
Anna
PS : Je me suis remise à la peinture… »

Bilan de la prise en charge

61Il est souvent difficile de réaliser à quel point un entretien unique peut être important en tant qu’aide apportée au patient. À cause d’impératifs divers, il arrive parfois que l’on ne dispose que de peu de temps pour aider une personne. Un entretien unique de relation d’aide pendant lequel on mettra en œuvre toute notre capacité d’empathie, de congruence et d’accueil inconditionnel des émotions de l’aidé pourra lui être d’un grand secours. On voit bien, dans le cas d’Anna Martin, combien aura été profitable l’accueil sans jugement de son vécu, étant donné la culpabilité qu’elle ressentait face à son acte. L’entretien lui a permis de mettre au jour sa blessure profonde, d’ouvrir la porte à des émotions verrouillées liées à un deuil compliqué. C’est grâce à cet entretien que, en écho à son vécu émotionnel, j’ai pu écrire un conte répondant à ses besoins.

Bilan des effets du conte

62Le premier objectif du conte était de permettre à Anna Martin d’entrer en contact avec des émotions refoulées. La mise en route de ces émotions bloquées l’a aidée à s’acheminer vers le deuil de son enfant. Puis, en contribuant à clarifier son vécu pour lui donner un sens, le conte a été un moyen pour elle de parvenir à se déculpabiliser et ainsi à restaurer son estime d’elle-même.

63Le témoignage de la jeune femme sur l’action thérapeutique du conte est très intéressant Sa lettre exprime comment le conte lui a permis de se réconcilier avec elle-même et d’intégrer l’épreuve vécue dans son histoire de vie. Elle met en évidence de façon forte combien le conte peut favoriser l’expression d’émotions difficiles, avec beaucoup de douceur, en parfaite autonomie.

Notes

  • [*]
    Cet article est extrait de l’ouvrage de Solange Langenfeld Serranelli, Les contes au cour de la thérapie infirmière : psychiatrie et conte thérapeutique, Paris, Masson, 2008. Avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.
  • [1]
    Afin de garantir l’anonymat de la personne, son nom a été changé.
  • [2]
    Vivre le deuil au jour le jour, Paris, Albin Michel, 2004.
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