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Article de revue

Prendre soin par la culture

La fresque de Saint-Jean-de-Dieu

Pages 54 à 57

1En 1982, avec le programme « Handicap et culture », les ministères de la Culture et de la Santé s’associaient dans le cadre du Fond d’intervention culturelle pour faire rentrer la culture subventionnée dans les lieux réputés d’exclusion : prisons, hôpitaux de long séjour, hôpitaux psychiatriques, maisons de retraite...

2À Lyon, le centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu (depuis 1980, propriété du conseil général du Rhône) était invité, comme établissement spécialisé dans le traitement et la recherche sur les maladies mentales, à proposer des projets faisant intervenir des professionnels de la culture au bénéfice des patients et soignants.

3Une dizaine de projets ont été retenus dans les arts plastiques (dessin, peinture, sculpture), cinématographiques (photographie, cinéma, vidéo) et de la scène (musique, chant, danse, théâtre). Ce programme d’incitation artistique non pérenne, budgétisé sur trois ans, devait aboutir à l’intégration dans le fonctionnement hospitalier de ces ateliers d’expression animés par des artistes.

4La réussite fut totale, patients et soignants s’investissant en nombre, et découvrant le bénéfice de la médiation culturelle et les effets thérapeutiques de ces ateliers d’expression hebdomadaires dans une institution qui s’ouvrait à la culture par des initiations et des pratiques artistiques parallèlement aux soins spécialisés, avec, régulièrement, des expositions et des représentations intra et extra-hospitalières.

5En 1985, la fondation, au sein de l’hôpital, de l’association « Cheval bleu Rhône-Alpes » a permis de fédérer les patients, soignants et artistes des différents ateliers, et de créer une structure partenaire de l’hôpital, pouvant relayer son action à l’extérieur et contribuant au dépassement des pratiques ségrégatives et au changement d’image de la folie et du handicap.

6En 1986, au terme du programme « Handicap et culture », ces ateliers à médiation artistique ont été intégrés de manière pérenne au budget de l’hôpital qui, aujourd’hui, prend en charge une dizaine d’ateliers dans le domaine des arts plastiques, du théâtre, de la musique et de la danse.

7Cette ouverture de l’hôpital à la culture, j’ai souhaité la poursuivre par un projet d’ouverture de l’hôpital par la culture : faire de la chapelle, des cloîtres et du parc hospitalier des lieux culturels pouvant accueillir concerts, expositions, conférences, théâtre... largement ouverts sur l’extérieur, à tous les publics et ne perturbant ni les soins ni le fonctionnement hospitalier.

8En 1995, avec des collègues de l’hôpital et quelques amis, je fonde l’Association du demi-millénaire pour contribuer par des projets artistiques, culturels et scientifiques à la qualité de l’accueil, des soins, de la recherche et de l’environnement dans le domaine de la santé mentale ainsi qu’à l’ouverture du centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu à la ville et au monde...

9Réalisation majeure de notre association, « La fresque du demi-millénaire », ensemble monumental de créations peintes, sculpturales, céramiques et paysagères, a rétabli une continuité entre la qualité du dedans et le dehors en transformant le long mur de clôture en une œuvre artistique patrimoniale mettant en scène l’histoire de l’hôpital (ouvert en 1824) et ses liens avec le Portugal, l’Espagne et la France (cf. ci-dessous « Présentation »).

10Parallèlement à la création (1995-2002) de La fresque du demi-millénaire, nous avons développé l’organisation de conférences, de colloques, de résidences de musiciens (concerts mensuels du « Salon de Musique »), d’expositions et de « promenades musicales », dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine qui permettent à des milliers de personnes de bénéficier du patrimoine historique, architectural et paysager de l’hôpital sans avoir besoin d’être hospitalisées.

11Début 2000, avec le programme « Culture à l’hôpital », le centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu a bénéficié du jumelage avec le quatuor Debussy et actuellement avec le musée des beaux-arts de Lyon.

12En dix ans, l’Association du demi-millénaire a produit une centaine de manifestations ouvertes à tous et accueilli plus de 50 000 spectateurs, comprenant patients, personnels et riverains de l’hôpital, enfants des écoles du quartier, résidents d’institutions spécialisées, ainsi qu’un large public d’amateurs de notre offre culturelle qui comprend des collaborations périodiques de l’Orchestre national de Lyon, de la Biennale internationale de la danse et aussi des contributions d’institutions et d’artistes prestigieux : Jordi Savall, le quatuor Debussy, Pascal Comelade, Thierry Robin, Bratsch, Orchestre de l’opéra national de Lyon, Collection de l’art brut de Lausanne...

13L’intégration des ateliers d’expression artistique (ateliers théâtre, ateliers photo, ateliers arts plastiques) dans le fonctionnement institutionnel s’est harmonieusement complétée par l’intégration de l’hôpital dans l’espace culturel de la ville avec la réappropriation de son patrimoine dans le cadre de manifestations culturelles régulières ouvertes à tous, patients et non-patients d’hier, d’aujourd’hui et de demain...

La fresque du demi-millénaire

14Dans la dynamique du 500e anniversaire de la naissance de saint Jean de Dieu (né en 1495, au Portugal, à Montemor-o-Novo), fondateur en 1539 de l’Ordre hospitalier, en Espagne à Grenade, la fresque du demi-millénaire poursuit le travail d’humanisation, de dépassement des pratiques ségrégatives et d’exclusion, en développant l’accessibilité et l’ouverture du centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu (ouvert en 1824 par Paul de Magallon, supérieur de la province de France de l’Ordre hospitalier des frères de Saint-Jean-de-Dieu, et depuis 1980 propriété du conseil général du Rhône) par une image attrayante, chaleureuse, inscrite dans son environnement.

15Une image qui relie, réunit, fait de ce lieu de soins un lieu vivant dans la cité, lui rend son rôle structurant d’élément fort de l’aménagement de l’espace urbain et lui donne une dimension exemplaire pour son attention aux patients, aux usagers, aux riverains, aux personnels ; et ses actions de coopération et de solidarité à travers le monde : jumelage le 9 avril 1994 avec le centre hospitalier de Bobo Dioulasso au Burkina Faso.

16La fresque du demi-millénaire transforme le long mur d’enceinte, mur gris, « lépreux », symbole de clôture, d’enfermement, en une œuvre artistique internationale, sur plus de 500 mètres de longueur, s’articulant autour de l’entrée de l’hôpital, donnant au quartier un nouveau repère avec un impact visuel et une signification culturelle mémorisable, créant une référence patrimoniale pour tous.

17Sa situation sur la route de Vienne (portion de la route nationale 7) constitue une porte d’entrée dans la ville, et concerne le 8e arrondissement de Lyon ainsi que les communes voisines de Vénissieux et Saint-Fons.

18Un travail sur l’éclairage, en liaison avec la ville de Vénissieux, a permis une mise en valeur de la fresque, parallèlement à la création d’éléments lumineux s’intégrant dans le mur peint.

19Cette création, qui donne les couleurs de la vie et du monde à ce bout de nationale 7, à sa façon, fait de Lyon : « Le petit faubourg de Grenade, et la banlieue de Montemor-o-Novo !... »

20L’originalité de la fresque du demi-millénaire a été d’articuler les compétences d’artistes français (Georges Faure, plasticien de Lyon et son groupe de créateurs « Les éléphants heureux »), espagnols (Ana Rosal, artiste-peintre de Barcelone) et portugais (peintres-céramistes du groupe « Viuva lamego » de Lisbonne), autour des ateliers d’expression plastique qui se poursuivent depuis 1983 avec soignants, soignés et professionnels de la culture.

21Outre l’aventure exceptionnelle qu’a constituée cette réalisation, tant pour les malades, le personnel hospitalier, les associations riveraines, les conseils de quartiers que pour la communauté extérieure, les bénéfices quant au changement d’image sur la folie et le handicap, sur l’institution psychiatrique, notre quartier et la ville, paraissent irréfragables.

22Par cet effet de monumentalisation artistique et une diffusion de cette image, nous poursuivons l’ouverture de notre hôpital sur l’extérieur, et les échanges avec des hôpitaux en France, Espagne (Catalogne, Andalousie...), Portugal, Burkina Faso, Canada...

23La fresque du demi-millénaire constitue un lien ouvert entre le dedans et le dehors, les racines et le futur, qui nous évade de l’étroit vers le large : ce large est d’abord entre nous tous, pour rejoindre le grand large de ces Andalousies où se croisent les trois religions du Livre, deux grandes civilisations, et l’origine de notre établissement hospitalier nous apportant l’héritage de Grenade et de son poète Federico Garcia Lorca : « Je crois que le fait d’être de Grenade m’incline à la compréhension sympathique des persécutés. Du Gitan, du Noir, du Juif... du Morisque que nous portons tous en nous. »

24Hospitalis, hospedal, hôpital... De sa mission originelle d’hospitalité dans la cité, à sa mission originale de traitement de la difficulté d’être, d’Êtres en difficultés ; la double fonction de l’hôpital se retrouve dans la devise du docteur Schweitzer, inscrite à l’entrée de l’hôpital de Lambarene, dans la brousse du Gabon : « Ici, à n’importe quelle heure que vous veniez, vous trouverez de l’aide et de la considération humaine. »

25La fresque du demi-millénaire constitue notre devise implicite, notre « Bienvenue au centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu de Lyon », lieu de soins spécialisés, espace d’humanité, harmonieusement intégré dans la vie de la cité et ouvert sur le monde...


Mise en ligne 01/03/2006

https://doi.org/10.3917/vst.088.57

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