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Article de revue

Les associations d'usagers citoyennes

Pages 17 à 22

1 En France, la création de la Sécurité sociale va mettre les usagers de la santé en situation de gestionnaires des dépenses de santé à travers les syndicats. Les syndicats vont devenir acteurs et générer des associations dont la plus connue est la Fédération nationale des malades, infirmes et paralysés (FNMIP) sécrétée par la CGT et mobilisée au départ sur la question de la lutte contre la tuberculose. La FNMIP est devenue depuis quelques années la FMH (Fédération des malades et handicapés). Les associations gestionnaires vont se fédérer pour pouvoir devenir les interlocuteurs reconnus et incontournables des pouvoirs publics. Utilisant comme noyau dur le milieu congréganiste, elles créent l’UNIOPS (Union nationale inter fédérale des œuvres privées du secteur sanitaire et social). L’UNIOPS est à la fois interlocuteur national et interlocuteur local à travers les URIOPS régionales et les UDOPS départementales. Ce montage judicieux la mettra en position de force au moment de la décentralisation. L’UNIOPS entend assumer à la fois une fonction de « meta-représentation » : Elle regroupe en son sein, les grandes fédérations UNAPEI, AFSEA, FNARS, etc., et une fonction de représentation pour les associations qui ne sont fédérées qu’à travers elle, les petites, les « sans grades », les congrégations, les associations de lutte contre la pauvreté.

2 Cette double mission est en même temps sa faiblesse, car elle provoque des tiraillements dans sa propre action. On ne peut évoquer l’UNIOPS sans parler de François Bloch-Laisné, figure remarquable de clairvoyance et d’engagement dont le rapport de 1969 est une pierre d’angle dans l’histoire du secteur social et médico-social et qui présida aux destinées de l’UNIOPS pendant de nombreuses années.

3 Les associations familiales de leur côté se regroupent un peu de la même manière, l’UNAF coordonnant les UDAF départementales et les représentants au niveau national.

4 Les UDAF sont le lieu naturel d’accueil et de fédération des associations de parents, y compris dans notre secteur (UNAPEI et UNAFAM notamment). Elles développent des services qui vont se substituer aux familles déficientes pour gérer les allocations familiales puis les prestations d’État versées par les CAF (Tutelles aux prestations sociales adultes), puis par extension, exercent des tutelles et curatelles aux majeurs protégés, dans le sillage de la loi de 1968. Les ADAPEI créent des Associations de tutelle aux majeurs protégés (ATMP). D’autres associations enfin, peu ou prou liées à l’UNAFAM ou aux Sauvegardes, auront pour mission de se substituer aux familles dans la gestion des biens intéressés, dans les actes civils avec parfois un réel savoir faire pédagogique.

Un mouvement international

5 La Libération voit aussi naître sur la base de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, l’Organisation des Nations Unies puis l’UNESCO et l’OMS. La Santé mentale n’est pas en reste qui génère alors la Fédération mondiale de santé mentale, et l’on a vu le rôle que Paul Sivadon y a joué. La Fédération mondiale de santé mentale a été fondée à Londres le 19 août 1948. La première présidente fut Margaret Mead connue pour ses travaux dans le cadre de l’École Culturaliste et auteur de Mœurs et sexualité en Océanie, Adolescence à Samoa.

6 Pendant plus de cinquante ans, son réel inspirateur fut Eugène Brody qui fut expert à Nuremberg et qui racontait avec simplicité son enfance avec une mère schizophrène. La Fédération mondiale de santé mentale revendique deux racines. D’une part le travail militant de Clifford Beers, ancien patient psychiatrique, pour réformer les conditions de soins dans les asiles, d’autre part, l’action d’Adolph Meyer qui créa le Comité international d’hygiène mentale et organisa le 1er Congrès international d’hygiène mentale à Washington en 1930 où il réunit 3 000 personnes de 53 pays. Le second eut lieu à Paris en 1937.

7 En Europe, la Ligue européenne de la santé mentale date de 1926 et pris l’initiative du 1er congrès d’après guerre, d’où naîtra la Fédération mondiale. C’est Edith Morgan, vice-présidente de la Fédération mondiale pour la Région européenne qui prit l’initiative d’intégrer la Ligue européenne de santé mentale dans la Fédération mondiale de santé mentale et elle devient officiellement en 1983 Conseil régional européen de la Fédération mondiale de santé mentale.

8 Celle-ci a alors une organisation en sept régions : Amérique du Nord, Amérique du Sud, Afrique, Europe, Moyen-Orient, Asie, Océanie. En 1997, le Conseil régional européen de la Fédération mondiale de santé mentale adopte de nouveau un statut associatif sous le nom de Santé mentale Europe pour pouvoir être reconnu comme interlocuteur par la Commission européenne.

9 En 1990 cependant, la Fédération mondiale de santé mentale vit une scission et l’Association mondiale de réhabilitation psychosociale voit le jour à Vienne en France.

10 C’est en effet, Jacques Dubuis qui en sera longtemps le secrétaire général. L’AMRP est sans doute plus francophone et par là, plus accessible aux Français que la FMSM. C’est Gaston Harnois, un Canadien, qui en est la cheville ouvrière. Il a à ses côtés l’Italien Benedeto Saraceno, le Grec Stylios Styhanidis, le Français Alain Pidolle. C’est en 1995 à Lille à l’occasion d’un congrès organisé par Jean-Luc Roelandt qu’est fondé le CFRP (Comité français de réhabilitation psychosociale) présidé d’abord par Gilles Vidon, puis par Denis Leguay. L’AMRP prône une politique de secteur. Elle est à mon sens beaucoup plus inspirée par l’esprit psychiatrique que la FMSM. Elle est adhérente à la Fédération française de psychiatrie.

11 Deux associations mondiales vont rivaliser avec ces deux là dans le lobbying auprès de l’OMS : l’Association mondiale de psychiatrie dont le personnage fort est Norman Sartorius et l’Association mondiale de psychiatrie sociale.

12 Dès sa naissance donc, la Fédération mondiale de santé mentale est engagée dans la prise en compte de la parole de l’usager. Les Anglo-saxons parlent à ce sujet d’Advocacy ce qui ne renvoie pas à une démarche juridique comme l’avocat français pourrait le laisser penser, mais étymologiquement à « ad-vocare », « parler à côté de », « soutenir la parole ».

13 Il est très instructif de s’apercevoir que dans les pays où l’Advocacy, démarche de solidarité, est forte, le guardianship, l’équivalent de notre tutelle, est peu répandu. Il faut noter et souligner que cette pratique de la tutelle – ou de la curatelle – qui permet de se substituer à la personne est une exception dans les proportions qu’elle atteint en France.

14 C’est tout naturellement que le CRE sera partenaire et soutien du Réseau européen des usagers et survivants de la psychiatrie dès sa naissance en 1991. Celui-ci s’est constitué lors d’un premier congrès à Zanfort aux Pays-Bas et d’autres congrès ont suivi, notamment à Elseneur, à Londres, Luxembourg, etc.

15 Le Réseau européen des usagers et survivants de la psychiatrie, en anglais European Network of Usersand Survivors of Psychiatrie (ENUSP), a disposé longtemps d’un secrétariat permanent en Hollande tenu successivement par Vouter van Der Graaf, Jan Dirk van Habshoffen, Clemens Huitink. Depuis le départ de Clemens, le secrétariat est assuré bénévolement à Berlin par Peter Lehman. La présidence est tournante, cependant, elle est assurée depuis plusieurs années par un Hongrois, Gabor Gombes. Pourquoi ce nom des Usagers et survivants de la psychiatrie ? L’explication fournie par Iris Holing est claire. Les usagers sont ceux qui bénéficient des soins psychiatriques, les survivants sont ceux qui contestent le bien fondé de la psychiatrie. Les uns et les autres ont leur place dans le réseau. L’expression “survivants” fait bondir les Français. Peut-être faut-il l’entendre en pensant au « vécu de la fin du monde dans la Folie » de Tosquelles.

16 Le Network, comme on dit en abrégé, possédait un journal tenu depuis la Suède par Maths Jesperson. Je ne sais pas s’il existe encore.

17 Au niveau mondial, le réseau a son équivalent autour de Judy Chamberlain. Des Européens, Karl Bach Jansen, Danois, et Iris Höling, Allemande déjà citée, y jouent un rôle majeur. Je voudrais enfin citer le travail de Joël Slack qui fut longtemps chargé par le gouverneur de l’Alabama de développer les associations d’usagers et qui a fondé International Respect.

Et en France ?

18 Comme nous l’avons vu, il y a deux grands courants : le premier est issu de la tradition anarchiste utopique, auquel s’est joint sans hésiter le catholicisme social et démocratique. Cette tradition sera par ailleurs à l’origine du mouvement coopératif des mutuelles, des caisses d’épargne. Marc Sangnier créera la Ligue française des Auberges de jeunesse.

19 Un mouvement dont on parle peu par rapport à la révolution qu’il a provoquée doit être cité ici : c’est ATD Quart-Monde. Grâce à Joseph Wresinski et aux sociologues qu’il a entraîné, tel Jean Labbens, on reconnaît maintenant l’existence d’une culture du Quart-Monde. On reconnaît que c’est un monde. On parle du peuple de la misère qui prend la parole (et ce, dès le début des années 60) et ce faisant, recouvre sa dignité. « Tels qu’ils sont, dit Jean Labbens, les pauvres n’ont ni rôle individuel ni rôle collectif. La société leur propose essentiellement des relations d’aide individuelle sans autre contrepartie que d’en faire l’usage qu’elle impose, elle leur crée une situation de dépendance personnelle sans retour… Il leur faut une reconnaissance, une sécurité, une liberté collectives à la mesure de leur milieu et indépendantes des défaillances individuelles toujours possibles. »

20 Ce discours est un engagement politique. Quelques années après les Maos revendiqueront le mot d’ordre de « servir le peuple ».

21 La revendication antiautoritaire n’est pas suffisante pour rendre compte de la création du Groupe information asile après 1968. D’autres événements vont y contribuer.

22 Maud Mannoni organise en 1966 le colloque sur l’Enfance aliénée. Elle y réunit à la fois Lacan et Oury, Winnicott et les antipsychiatres anglais Laing et Cooper.

23 Il est de bon ton aujourd’hui de rejeter en bloc l’antipsychiatrie aux raisons qu’elle aurait confondu l’aliénation sociale et l’aliénation mentale et prétendu qu’il suffisait de faire la révolution pour résoudre le mal de vivre. De fait, Cooper dira à ces journées : « Ce que je vise n’est rien d’autre que la libération de celui qui vient me trouver. Cette libération peut prendre des formes très diverses et trouver un sens dans des engagements politiques, c’est-à-dire dans la transposition sociale d’un problème personnel. » Mais c’est faire peu de cas de l’importance de leurs recherches existentialiste et phénoménologique.

24 R. Laing écrit : « En tant que psychiatre, je me suis heurté dès l’abord à une difficulté majeure : comment m’approcher des patients si le langage psychiatrique dont je disposais les tenait à l’écart de moi ? Comment démontrer la signification humaine de leur état si les mots dont on use sont spécifiquement conçus pour isoler et circonscrire la signification de la vie d’un patient en en faisant une entité clinique particulière ? Regarder et écouter un patient, voir en lui des « signes » de schizophrénie et le regarder et l’entendre simplement comme un être humain sont des manières de le voir et de l’écouter aussi différentes que celle qui, dans la figure ambiguë font voir tantôt un vase, tantôt deux visages. »

25 À la même époque, sont publiés en France le livre du psychiatre Thomas Szasz Le mythe de la maladie mentale et le livre d’Erving Goffman, Asiles. Le sociologue Goffman s’est fait hospitaliser en psychiatrie pour étudier la condition sociale des malades mentaux. Il définit l’hôpital psychiatrique comme institution totalitaire. Dans le même temps, le travail de Basaglia à Parme, puis surtout à Trieste commence à être connu.

26 La démarche phénoménologique des Anglais, même s’ils tiennent un discours révolutionnaire n’est en rien assimilable aux positions très sociales et politiques du mouvement de la psychiatrie démocratique italienne qui provoquera le vote de la loi de 1980. À Caen la pratique italienne est bien connue grâce à Maurizio Costantino. Rotelli qui a pris la suite de Basaglia et est assez proche de l’AMRP.

27 Jean Ayme y voit à juste titre l’ASEPSI, et j’ajoute pour ma part l’association Itinéraire, comme héritière tant de cette mouvance que du GT Psy.

28 Jean-François Reversi, fondateur de l’association pour l’Étude et la promotion des structures intermédiaires, les définit ainsi aux journées d’Orsay de juin 1979 : « Par structures intermédiaires, nous avons donc défini toute création d’un espace communautaire à petite échelle, insérée au maximum dans la vie sociale et qui pourrait servir dans toutes les situations de rupture d’avec celle-ci, qu’elle procède d’un séjour en institution, d’un déracinement original, d’une invalidation sociale ou psychiatrique ou d’une situation de détresse. » Aujourd’hui, l’ASEPSI, présidée par Jean-Marc Antoine, reste le fédérateur des lieux de vie dont le Coral de Sigala est le plus connu, le signifiant Espace intermédiaire marquant bien la filiation à l’enseignement de Winnicott. Les lieux de vie revendiquent aussi l’héritage de Fernand Deligny. Celui-ci a créé Monoblet dans le Gard, une communauté de vie avec des enfants autistes. Il est connu pour avoir créé la Grande Cordée, écrit Graine de crapule, les Vagabonds efficaces, Nous et l’Innocent. Sa grande rigueur (« Il faut toujours être tendu au maximum comme un arc », me disait-il), n’avait d’égal que sa capacité d’accueil et de prise en compte de l’autre dans sa différence.

29 Si, comme le fait remarquer Robert Castel, la psychiatrie asilaire apparaît à beaucoup dans les année 60/70, comme le paradigme de l’institution totalitaire à détruire (et pas seulement chez les gauchistes), la création du Groupe d’information asile (GIA), s’inscrit dans un mouvement général.

30 À la même époque naissent le MLAC (Mouvement de lutte pour l’avortement et la contraception) qui verra sa victoire consacrée par la loi Veil en 1975, le GIHP (Groupement d’information des handicapés physiques), qui aujourd’hui s’est structuré en association gestionnaire de moyens pour l’accessibilité, notamment les bus adaptés, et le GIP (Groupe information des prisons). Le GISTI concernait les travailleurs immigrés et le GITS était le Groupe d’information des travailleurs sociaux. Annoncé par le rapport Bloch-Laisné, la mutation quantitative et qualitative des professionnels du travail social – éducateurs et assistantes sociales – est mise en lumière par un livre qui aura un grand retentissement : le numéro spécial de la revue Esprit de mai 1972 coordonné par Philippe Meyer (celui de la radio) : « Pourquoi le travail social ? » Ce livre pose clairement la question de la déontologie du travail social à travers l’affaire de Besançon (deux éducateurs condamnés pour avoir refusé de dénoncer un jeune) et l’affaire Josette d’Escrivain, une assistante sociale licenciée après avoir signalé à l’ambassade américaine le cas d’un détenu à Fresnes en dépression suite à de mauvais traitements. « Au service de qui sommes-nous ? », écrit Josette d’Escrivain. « Pouvons-nous exercer nos professions sans dénoncer l’inacceptable ? Dans quelle mesure sommes-nous liés à l’employeur ? Sommes-nous les auxiliaires du pouvoir quel qu’il soit ? »

S’en prendre à la forteresse…

31 Aujourd’hui, trente ans après, les lois du 2 janvier et du 4 mars 2002 protègent la personne qui dénonce des faits inacceptables dans son service. Dans le numéro 1 de la revue Champ social, on trouve l’article « Solidarité travailleur social-usager ». « Il faut que le travailleur social change radicalement sa position dans la relation avec l’usager : il faut qu’il abandonne la position paternaliste de supérieur à l’inférieur et qu’il adopte la position de technicien collaborateur, d’égal à égal. » En se disant technicien des lois sociales, il doit démystifier son rôle de représentant de la société. Il utilisera les informations dont il dispose pour le service de l’usager et non pour celui de l’administration : le dossier sera rédigé avec lui ainsi que les différents rapports demandés par l’administration ». La loi du 4 janvier, donnant l’accès au dossier du malade, relève de la même logique. Pour y arriver, il faudra attendre le Sida. Bien que le ton durcisse d’un numéro à l’autre, notamment sur la question de la sexualité et de l’homosexualité, Champ social utilise un vocabulaire sensiblement moins radical que son équivalent en psychiatrie Garde fous dont le titre du numéro 6 est ni plus ni moins « Pour un nouveau rapport de forces en psychiatrie ». Je cite : « Vouloir changer un rapport de forces, c’est d’abord savoir à quoi on va s’attaquer. Et là il ne faut pas se faire d’illusions, la forteresse psychiatrique ce n’est pas n’importe quoi… Toujours debout et solide, et armée d’une logique interne formidable. Et encore assez vivace pour pousser dehors ses tentacules sous forme des institutions de secteur. Alors l’empêcher de s’étendre, faire son siège (du dedans et du dehors) et la détruire sans lui permettre d’essaimer à tous les vents, voilà le projet de ceux (dont nous sommes…) qui s’en prennent maintenant à une telle forteresse. »

32 Dans le même temps, les auteurs (parmi eux, Jacques Hassoun, Jean-Pierre Winter), mettent en garde contre les dénonciations fracassantes et préconisent des outils modestes. Est-ce de l’humour ?

33 De même que les handicapés ont leur journal Handicapés méchants, les malades mentaux créent Psychiatrisés en lutte. Dans le numéro 1, d’avril 1975, Philippe Bernardet fait état de la disparition des psychiatres : « Le GIA a été fondé il y a cinq ans par un groupe de quelques internes en psychiatrie. Au départ, il s’agissait d’exprimer la révolte des soi-disant soignants devant les excès des institutions sans toutefois les remettre en cause. Dès que des tentatives dans cette direction apparurent, on vit disparaître en gros, puis un par un, discrètement, les élèves psychiatres. Lorsqu’il ne resta plus de psychiatres au GIA, celui-ci alla s’installer à Censier où il fut un moment soutenu par quelques intellectuels psychanalysants du CERFI (rattaché à la clinique de La Borde) qui tentèrent de récupérer son énergie mobilisatrice. S’échappant de Censier, le GIA recommença ensuite ses activités à Jussieu. Très vite, il apparut que l’action allait connaître des limites. Le GIA éclata en groupes de quartiers. Cet éclatement offrait un double intérêt : éviter que des groupuscules politiques s’emparent du GIA et, en forçant les militants à avoir une politique de rue, les contraindre à abandonner le vocabulaire pseudo scientifique. L’autre intérêt était de susciter par l’existence de groupes multiples, autant de pratiques différentes. »

34 Ce que Philippe Bernardet ne dit pas c’est qu’un des motifs de l’éclatement – et non des moindres – est la violence de ton des membres entre eux et que le morcellement des groupes va discréditer le GIA, certains s’autorisant en son nom à des actions illégales, voire violentes et inadmissibles. Philippe Bernardet donne alors à son activité une forme juridique et se spécialise dans les recours auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme où il obtient quelques succès retentissants dans des affaires d’hospitalisation sous contrainte. Il publie Les Dossiers noirs de l’hospitalisation psychiatrique et plus récemment avec Corinne Vaillant et Thomas Douraki Psychiatrie, droits de l’homme et défense des usagers en Europe. Et enfin avec Catherine Derivery, Enfermez-les tous. Sa thèse de doctorat d’État en Histoire des sciences porte pour titre Histoire de l’évolution de la contrainte en psychiatrie en France de 1945 à nos jours. En reprenant la présidence d’un GIA dispersé, André Bitton maintient le cap d’une politique de recours juridique.

35 De son côté, le CERFI donnera naissance à la Maison des Chimères, autour de la revue fondée par Félix Guattari, qui héberge le Club des Impatients et les psychiatres proches de l’USP (Union syndicale de la psychiatrie) mènent un intéressant travail de recherche dans le cadre du CEDEP (Comité européen, droit, éthique et psychiatrie) présidé par Claude Louzoun.

36 Un malade, ou ancien malade, usager, patient, a l’idée de créer une association dans la mouvance du Network et qui, à la différence du GIA qui lui se situe dans la contestation, puisse être une association d’entraide citoyenne. Il est psychologue de formation, versé en informatique, Loïc Legoff débauche au sein du GIA Bernard Franck et Patrick Laude et crée l’APSA (l’Association des psychiatriques stabilisés autonomes) en 1989.

37 L’APSA se définit comme association des Droits de l’Homme en psychiatrie : « L’avantage symbolique d’adhérer à une association d’ex-patients prenant leurs affaires en main est pour le sortant d’institution : un saut qualitatif qui le fait passer du statut d’objet institutionnel au statut de sujet citoyen », déclare la présentation de l’APSA, qui poursuit : « Le but de ce projet est donc de permettre à des sujets ex-psychiatrisés non de s’insérer durablement dans un idéal institutionnel extra-hospitalier qui deviendrait tentaculaire mais de permettre à des citoyens de s’insérer dans la réalité sociale de leur association culturelle sans pour autant créer de nouveaux ghettos. »

38 Le Goff mènera une lutte acharnée contre l’article 20 de la loi sur la bioéthique qui précise que « le patrimoine génétique d’une personne ne peut être modifié sauf si l’intérêt de celui-ci l’exige ». Loïc Legoff crée en mai 1992 la FNAPSY (Fédération nationale des associations de patients et ex-patients psy) avec Jacques Lombard, Hélène Laure Mora et France Cassagne Mejean.

Démystifier la maladie mentale

39 Jacques Lombard est président de l’association Revivre à Jouy-en-Josas. Cadre d’Air France en retraite, il a créé cette association dans l’espoir de promouvoir un hôpital de jour permettant de lutter contre la dépression. France Cassagne Mejean et Hélène Laure sont respectivement présidente et vice-présidente de l’Association pour le mieux être de l’existence, AME à Montpellier. Hélène Laure a été hospitalisée plus de vingt ans dans des conditions extrêmement difficiles. Elle raconte son périple dans un ouvrage très touchant Une véritable histoire de fou.

40 Cette fédération a pour buts de, je cite :

41 « – Regrouper les associations françaises de patients et ex-patients œuvrant pour l’entraide, la protection et la défense des intérêts de leurs adhérents ;

  • faciliter l’action et le développement des associations, membres ;
  • aider à la création d’associations de patients et ex-patients ayant des motivations similaires ;
  • diffuser l’information auprès du public par tous les moyens appropriés.
Chacune des associations membre de la Fédération garde sa spécificité et son autonomie.

42 Notre Fédération a des buts très larges pour la défense de la solidarité, la compréhension et l’entraide sous toutes leurs formes.

43 Les associations qui composent la Fédération ont déjà agi, agissent et agiront pour démystifier la maladie mentale et les différences mentales auprès de l’opinion publique, l’entourage et les familles de patients. »

44 Malheureusement, Loïc Legoff meurt brutalement, de mort subite en avril 1993 sur le trottoir devant chez lui.

45 Jacques Lombard le remplace à la présidence de la FNAPSY.

46 Ses conceptions sont sensiblement plus consuméristes et moins militantes et citoyennes que celles de Legoff. Il récuse le Network qu’il qualifie de groupe d’antipsychiatrie. C’est donc avec Hélène Laure que j’organiserai en février 1995, à la demande de Karl Bach Jansen, le premier (et seul) séminaire européen des associations d’usagers en France au centre Philippe-Paumel avec le soutien de Gérard Massé, de la Mission d’appui en santé mentale et la présence effective de Jean-Luc Roelandt, mais surtout de Laurence Lefevre chargée de mission de la psychiatrie à la Direction générale de la Santé du ministère du même nom. L’idée était de faire bénéficier les Français de l’expérience des associations d’usagers des pays du Nord de l’Europe beaucoup plus développées que nos associations françaises embryonnaires à l’époque. C’est alors un événement que le ministère manifeste aussi clairement son intérêt pour les associations d’usagers dont il pressent le développement inéluctable et qu’il souhaite comme contrepoids au pouvoir médical.

47 C’est dans cette fonction d’interlocuteur du ministère que la FNAPSY se spécialisera, laissant à ses associations membres l’action de terrain.

48 Le mérite de Jacques Lombard est d’avoir voulu un élargissement de la FNAPSY et après une première réunion le 14 mai 1994, l’assemblée générale ouvre le 24 septembre son Conseil d’administration à de nouvelles associations : AUSER, l’AFTOC, le Fil retrouvé, Revivre Côte-d’Or, l’Autre regard de Rennes. Sur proposition de Daniel Bestin elle se dote d’un bulletin de liaison qui devient début 2001 le journal de la Folie ordinaire.

49 Elle élit domicile, grâce à l’implication personnelle de Joël Martinez alors directeur de l’hôpital Esquirol, rue Philippe-Auguste près du Père-Lachaise, puis déménage dans le 9e arrondissement, rue Saulnier puis rue de Maubeuge.

50 Très contesté, Jacques Lombard cède la présidence dans des conditions très tumultueuses à Jean-Michel Cahn président du Fil retrouvé et néanmoins psychiatre qui sera remplacé en 1998 par Claude Finkelstein. Celle-ci préside toujours aux destinées de la FNAPSY avec une activité et une énergie débordante. Reconnue par le ministère, elle rédige et signe, avec la Conférence des présidents de CME des CHS, la Charte de l’usager en santé mentale. Elle milite pour la représentation des usagers dans les instances prévues par la loi et la réglementation et encore tout dernièrement dans les conseils de secteur. La FNAPSY regroupe 30 associations et les manifestations qu’elle organise attirent plusieurs centaines de personnes. Aujourd’hui, la FNAPSY se définit comme entièrement vouée à jouer aux cotés de de l’UNAFAM le rôle d’interlocuteur du ministère et de l’établissement psychiatrique.

51 Toutes les associations ne sont pas dans la FNAPSY : je ne citerai que pour information la Commission des citoyens pour les Droits de l’Homme. Malgré son titre alléchant et un programme maximaliste versus antipsychiatrique, cette organisation et une création de l’Église de Scientologie dont les pratiques sectaires et manipulatoires nous obligent à la plus grande réserve.

52 France Dépression ne participe pas à la FNAPSY. C’est une association de patients qui s’est créée sur le modèle des associations de malades inspirées et initiées par le corps médical comme France Alzeimer ou l’Association des parkinsoniens. France Dépression organise des conférences d’information et de mesures psychoéducationnelles destinées aux patients bipolaires. France Dépression est reliée aux associations de même type à travers le GAMIAN « Global Alliance of Mental Illness Advocacy Network » et cherche à développer des antennes régionales. Malgré son histoire, et sans doute grâce à la qualité personnelle de ses dirigeantes Stéphane Wooley et Monique Longuet, France Dépression développe une authentique vie associative d’entraide. « France Dépression avant tout est une association de patients… Atteints de troubles unipolaires ou bipolaires, nous devons affirmer notre volonté d’être traités avec dignité et humanité en toutes circonstances dans une même civilisation devenue ô combien complexe et dure pour les fragilisés de la vie. C’est le rôle essentiel d’une association de patients. Il lui faut être vigilante et intraitable sur ces points fondamentaux », écrit Monique Longuet dans France Dépression actualités.

53 L’association Advocacy France enfin, a une histoire originale. Par sa composition, elle est aujourd’hui sans conteste une association d’usagers. Ceux-ci sont l’écrasante majorité de ses quelques 300 membres et sont largement majoritaires au Conseil d’administration et au bureau, si l’on inclue les parents et enfants de malades mentaux. Sa présidente, Martine Dutoit, est à la fois assistante sociale en psychiatrie et fille de malade mental hélas décédé par pendaison. Par sa vocation, elle est une association de défense des droits et de la dignité. Par sa nature, elle est une association d’éducation populaire. Les usagers et ceux qui ne le sont pas s’enrichissent mutuellement de leur expérience et de leur savoir faire.

54 La devise d’Advocacy France peut se dire en reprenant cette phrase tirée d’un document anglais : « Quand des personnes non habituées à parler seront entendues par des personnes non habituées à entendre, de grandes choses pourront arriver. » Notre journal, le Mégaphone se définit comme « le porte plume des portes voix ». Nous avons repris le vocable anglais car il nous a paru intraduisible dans notre culture de droit romain, comme sont intraduisibles les termes de « speaking up » (parler fort ?) et « empowerment » (prise de responsabilité ?).

55 Nous sommes partis du constat de la disqualification a priori de la personne en souffrance psychique et sommes fixés comme but de faire reconnaître son intégrité dans sa différence, sa dignité. Cette disqualification prend des formes concrètes en termes de préjudice. Mise sous tutelle sans concertation, discrimination professionnelle, non droit du choix de son médecin, etc. De toute la France nous parviennent des appels de personnes qui souhaitent que leur parole soit soutenue pour pouvoir être entendue. Il faudrait que l’État mette en place d’authentiques médiateurs, indépendants des services. En attendant, nous répondons bénévolement et dans des conditions difficiles (4 appels en moyenne par semaine), pour faire œuvre de témoignage.

56 Notre deuxième champ d’action est la création de nos Espaces Conviviaux Citoyens de Caen et de Paris. Lieux de rencontre, d’entraide et de prise de responsabilité. Ces espaces permettent aux personnes en souffrance, de sortir du désœuvrement et de la solitude à travers de nombreuses activités autogérées. Elles sont gérées par nos délégations régionales de Basse-Normandie et d’Île-de-France.

57 Nouveau projet enfin, notre association pilote. Au nom de Santé mentale Europe, l’organisation en octobre 2003 d’un forum pour une politique citoyenne en santé mentale sous le titre « De la personne accompagnée à l’accompagnement des professionnels ». Le but est de faire la démonstration de l’utilité, pour les professionnels de l’expérience de l’usager.

58 Ce projet regroupe un collectif d’associations incluant ATD Quart-Monde, les Ceméa, l’Asepsi, l’association Emmaüs, France Dépression et des associations adhérentes de la FNAPSY (Destination avenir, Auser, Nouveau Monde), le CEDEP, l’ADSP (mouvement de l’économie sociale et solidaire), la Fédération française de Santé mentale.

59 Les ateliers seront des « ateliers action » utilisant les outils d’expression (théâtre, musique, peinture, etc.) autour des thèmes de la lutte contre la discrimination.

60 Ce forum se situe dans la continuité d’un premier forum en 2001 autour du rapport Piel Roelandt.

Conclusion

61 Le paysage associatif a quelque peu changé depuis le juge Rollet. Il est vrai que depuis Rock Hudson et Line Renaud, depuis le Téléthon, depuis que Aides a fait la preuve que les malades eux-mêmes étaient acteurs de leur guérison, les choses ne sont plus pareilles.

62 Je citerai ici Daniel Defert, fondateur de Aides : « D’emblée, la lutte contre le Sida n’a pas été seulement une lutte contre les discriminations, une lutte seulement défensive, mais a été tout autant une lutte pour une reconnaissance des personnes, de nouveaux droits, de styles de vie. C’est un changement idéologique important. Le rapport essentiellement jusqu’ici caritatif de la société à l’égard des malades, va trouver là un retournement important. »

63 Concernant les malades mentaux, lorsque l’on me dit qu’ils n’ont pas les capacités de prendre des responsabilités, je réponds que c’est l’argument que l’on opposait pour justifier le suffrage censitaire au siècle dernier, pour interdire jusqu’en 1946 aux femmes l’accès au suffrage universel.

64 Texte extrait d’un exposé au colloque de Prisme, novembre 2002.

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