Notes
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[*]
Claudine Attias-Donfut est directrice de recherches honoraire à la cnav, associée au cnrs et à l’ehess (iiac), fondatrice et ancienne rédactrice en chef de la revue Retraite et société.
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[1]
Mesures inscrites dans les rapports successifs depuis 1962, le rapport Laroque, Politique de la vieillesse ; 1979, le rapport de Maurice Arreckx ; 1981, Robert Lion, Vieillir demain ; 1988, le rapport Théo Braun ; 1991, les rapports Schopflin, Dépendance des personnes âgées, et Boulard, Dépendance et solidarité ; ainsi que les plans quinquennaux depuis le VIe Plan (1971-1975) et le Programme d’action prioritaire (pap) n° 15 du VIIe Plan (1976-1980).
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[2]
Voir sur cette question, parmi d’autres nombreuses publications, les chapitres contenus dans les deux volumes « Gestion des âges et fins d’activité » de Retraite et société, n° 36 et n° 37, 2002.
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[3]
La prise de conscience de la responsabilité des vivants à l’égard des générations futures est désormais un moteur essentiel dans la protection de l’environnement.
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[4]
Karl Mannheim, Le problème des générations (1928), traduction française, Paris, Nathan, 1990.
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[5]
Voir l’enquête trigénérationnelle : Claudine Attias-Donfut (sous la direction de), Les solidarités entre générations, Paris, A. Colin, 1995.
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[6]
Voir l’enquête européenne share, Claudine Attias-Donfut, Jim Ogg, François-Charles Wolff, « European patterns of intergenerational financial and time transfers », European Journal of Ageing, vol. 2, n° 3, septembre 2005, p. 161-173.
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[7]
Claudine Attias-Donfut, Martine Segalen, Grands-parents. La famille à travers les générations, Paris, Odile Jacob, 1998 (rééd. en poche, 2014).
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[8]
Ce que l’on constate en comparant les aides effectivement reçues par les jeunes à celles déclarées avoir été reçues dans leur passé par leurs parents et par leurs grands-parents (données rétrospectives).
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[9]
Rapport de la chaire « Transitions économiques, transitions démographiques » de la Fondation du risque pour le Commissariat général à la stratégie et à la prospective : « Étude portant sur la répartition des prélèvements et des transferts entre les générations en France », 2013. « Le point de départ de l’analyse comptable réalisée avec les nta est l’individu. Elle établit, pour une date donnée, les consommations et les revenus du travail moyens en fonction de l’âge des différents individus présents dans l’économie. La différence entre ces deux profils par âge donne le profil des excédents et déficits de cycle de vie, concept central de cette méthodologie. L’idée fondamentale est qu’un individu dont la consommation est supérieure aux revenus générés par son travail bénéficie d’un transfert. Par revenus du travail, on entend les revenus bruts augmentés des cotisations à la charge des employeurs, qui mesurent la contribution du travail à la création de richesse. La notion de transfert est donc prise au sens large et ne se limite pas aux transferts publics. »
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[10]
En 2005, les moins de 25 ans et les plus de 58 ans ont bénéficié d’un transfert, qu’il provienne des transferts sociaux, de dons intrafamiliaux ou des revenus du patrimoine, de la vente d’une partie du patrimoine mobilier ou immobilier personnel.
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[11]
Ce thème est repris plus loin, dans la dernière partie de cet article.
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[12]
Karl Mannheim, op. cit.
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[13]
Ce mécanisme est documenté dans le livre de Louis Chauvel, Le destin des générations, Paris, Puf, 1998.
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[14]
Expression forgée par Martin Kohli, The Problem of Generations. Family, Economy, Politics, Collegium Budapest, Public Lecture Series, 1996.
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[15]
Claudine Attias-Donfut, Sociologie des générations, Paris, Puf, 1988.
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[16]
Dans le sens de coexister, d’être en vie, non de vivre dans le même logement.
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[17]
Claudine Attias-Donfut, « Rapports de générations. Transferts intrafamiliaux et dynamique macro-sociale », Revue française de sociologie, vol. 41, n° 4, 2000, p. 643-684.
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[18]
Voir l’article qui lui est consacré par Serge Guérin.
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[19]
Voir à ce sujet l’enquête réalisée en 1988 à la cnav.
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[20]
Cette enquête a été initiée par la cnav, en 1988, sous la direction de Claudine Attias-Donfut, Sylvie Renaut et Alain Rozenkier ; voir Denis Bouget, Robert Tartarin (sous la direction de), Le prix de la dépendance. Comparaison des dépenses des personnes âgées selon leur mode d’hébergement, Paris, La Documentation française, 1990.
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[21]
Joffre Dumazedier, Sociologie empirique du loisir. Critique et contre-critique de la civilisation du loisir, Paris, Le Seuil, 1974.
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[22]
De nombreuses publications y ont été consacrées. Voir notamment le volume « Gestion des âges et fin d’activité » de Retraite et société, n° 37, coordonné par Annie Jolivet et Alain Rozenkier, 2002.
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[23]
Xavier Gaullier, La deuxième carrière. Âges, emplois, retraite, Paris, Le Seuil, 1988.
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[24]
Michel Loriaux, Dominique Rémy, « Rapprocher les âges de la vie : une analyse des projets intergénérationnels en Belgique », Retraite et société, n° 64, 2012, p. 21-52.
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[25]
Cécile Dupont, Melina Letesson, Comment développer une action intergénérationnelle ?, Bruxelles, De Boeck, 2010.
-
[26]
Bernadette Puijalon, Jacqueline Trincaz, Le droit de vieillir, Paris, Fayard, 2000.
-
[27]
Cornelia Hummel, Valérie Hugentobler, « La construction sociale du “problème intergénérationnel” », Gérontologie et société, n° 123, 2007/4, p. 71-84.
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[28]
Il a été créé par Carole Gadet, chargée des projets intergénérationnels à l’Éducation nationale en France et fondatrice de l’association Ensemble demain ; voir Carole Gadet, Faire travailler les générations ensemble, Paris, Presses du Châtelet, 2015.
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[29]
À cette occasion, un volume de la revue Retraite et société a été consacré au vieillissement actif, coordonné par François Jeger et Annie Jolivet, n° 65, juin 2013.
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[30]
Who, 2002, cité par François Jeger et Annie Jolivet, avant-propos, op. cit., p. 9.
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[31]
Anne-Marie Guillemard, « Le vieillissement actif : enjeux, obstacles, limites », Retraite et société, n° 65, juin 2013, p. 17-65.
-
[32]
Claudine Attias-Donfut, Les solidarités entre générations, Paris, Nathan, 1995, p. 21.
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[33]
Alain Bihr, Roland Pfefferkorn (sous la direction de), Dictionnaire des inégalités, Paris, Armand Colin, 2014, p. 147-148.
- [34]
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[35]
Voir en particulier les analyses de Louis Chauvel, notamment Louis Chauvel, Martin Schröder, « Generational inequalities and Welfare Regimes », Social Forces, vol. 92, n° 4, juin 2014, p. 1259-1283.
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[36]
L’ampleur des inégalités de niveau de vie, mesurée par le coefficient de Gini, est ainsi plus grande et a crû plus rapidement parmi les plus jeunes et les plus âgés que dans l’ensemble de la population entre 1996 et 2012, selon la note mise en ligne par France Stratégie, op. cit.
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[37]
André Masson, Des liens et des transferts entre générations, Paris, Éditions de l’ehess, 2009.
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[38]
Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, p. 187-188.
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[39]
Pierre-Henri Tavoillot, « Les métamorphoses de l’intergénérationnel », synthèse de la journée d’études à la Sorbonne, 14 janvier 2012.
1La politique de la vieillesse s’est efforcée, dès son origine, de réduire les inégalités entre générations et d’intensifier leurs solidarités publiques et privées. Ses effets directs et indirects sur l’ensemble de la société, et en particulier sur les rapports de générations, sont considérables. Elle a contribué à la mutation de ces rapports tant dans la famille que dans la société, introduisant une autonomie nouvelle entre générations, participant au changement profond des liens familiaux, inversant la direction des dons financiers entre générations [1]… L’évolution des liens entre générations s’est produite dans le contexte d’une longévité accrue et en interaction avec les changements sociaux qui ont transformé le déroulement des cycles de vie et la définition même des générations.
2Mais la question des inégalités intergénérationnelles a pris un nouveau tour et une nouvelle ampleur
Bref rappel historique
3Un regard rétrospectif sur les liens entre générations en France, depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui, révèle une complète restructuration, en l’espace de ce demi-siècle, dans pratiquement tous ses aspects, démographiques, économiques, culturels, structurels, familiaux, psychosociaux et même psychophysiologiques.
4Dans les années 1960, si la question des rapports entre générations était une question politique, elle ne s’inscrivait pas dans le cadre des politiques sociales. Elle était mobilisée par les mouvements de contestation des jeunes, revendiquant la liberté sexuelle, s’opposant aux rapports hiérarchiques entre générations, dans la famille, dans l’éducation, dans le monde du travail. Dans ce contexte de mutation profonde de la société, les retraités, les grands-parents, étaient absents de la scène de ce qui constituait de véritables conflits de générations.
5La question des générations n’apparaissait pas en tant que telle dans la politique de la vieillesse, sinon de façon très indirecte, dans la dénonciation de la pauvreté des retraités, comparés à la moyenne de la population. Les jeunes, tout en étant au cœur de l’actualité, n’étaient pas la cible de politiques sociales spécifiques, leurs besoins étaient traités dans le cadre des politiques familiales et éducatives. Il faut rappeler que c’était encore l’époque des « Trente Glorieuses », quand la France bénéficiait du plein emploi.
6Dans les années 1960, les régimes de retraite complémentaires étaient en cours de constitution. Les retraités ne recevaient alors généralement que des pensions de base, notoirement insuffisantes pour assurer des conditions de vie décentes. Les fortes inégalités de revenus entre actifs et retraités résumaient les principales inégalités intergénérationnelles.
7La croissance économique s’était accompagnée d’une amélioration régulière des conditions de vie des nouvelles générations par rapport aux anciennes, dans tous les domaines, niveaux de vie, éducation, revenu, patrimoine, etc. La situation de pauvreté qui caractérisait la majorité des personnes âgées avant la généralisation de la protection sociale se résorbait avec un certain retard par rapport à l’amélioration du niveau de vie moyen, soutenu par les mesures de revalorisation des pensions, par l’arrivée à maturité des régimes de retraite complémentaires et le relèvement des minima sociaux pour les retraités.
8Les inégalités entre générations se sont ensuite inversées sous l’effet d’une conjoncture particulière marquée par deux évolutions économiques distinctes mais concomitantes, en France ainsi que dans les sociétés modernes pourvues de systèmes de protection sociale : en même temps que la situation des retraités dans les pays occidentaux connaissait une forte amélioration, la crise économique détériorait la situation du marché du travail, les difficultés d’emploi touchant de plein fouet les jeunes accédant au monde du travail.
9Ce n’est donc qu’avec la détérioration de l’emploi qu’une nouvelle question sociale des générations, inédite, est apparue, centrée sur les inégalités intergénérationnelles. À la différence des conflits de générations du passé, elle a opposé non plus deux générations, mais trois générations, les jeunes aux actifs et aux retraités. Crise économique et vieillissement ont même produit de nouveaux groupes d’âge, les personnes en fin de carrière et en transition entre la vie active et la retraite, d’une part, et les personnes du grand âge, d’autre part. En plus des inégalités de revenus entre générations, de nouvelles formes d’exclusion sociale se manifestent à l’égard de ceux qui sont rejetés hors du monde du travail pour des questions d’âge, les jeunes et les « travailleurs âgés », partageant des désavantages comparables, entrée et sortie du monde du travail étant marquées par la précarité [2].
10Le débat sur l’équité entre générations, opposant les générations, se prolonge et s’accentue avec la persistance et l’aggravation du chômage des jeunes. Il porte à la fois sur l’emploi, l’âge de la retraite et la répartition entre les transferts sociaux versés aux différentes générations.
Équité ou égalité ? Le paradoxe des inégalités intergénérationnelles
11La gestion des retraites repose sur la mise en œuvre d’un vaste système de redistribution publique entre générations. Le « contrat des générations » est au cœur du système de protection sociale dès son origine. Rappelons qu’il s’agit d’un contrat certes implicite, mais qui néanmoins lie fortement les générations entre elles dans un système d’engagements et de réciprocités indirectes dans le temps. Verser des cotisations pendant sa vie active pour les générations précédentes (les retraités actuels) suppose (ou garantit) de recevoir par la suite, à l’âge de la retraite, des pensions qui seront à leur tour financées par les futures générations (dont on aura assuré l’éducation). Ce contrat ne lie pas seulement les générations vivantes, il engage aussi les générations futures [3]. L’idée de juste rétribution, ou de justice, est inhérente à l’idée même de contrat et de réciprocité. Mais le problème est très complexe du fait de l’extrême difficulté de savoir ce qui, en ce domaine, est de l’ordre de la justice et ce qui est de l’ordre de l’égalité ; les générations peuvent difficilement être comparées entre elles stricto sensu. Même quand elles coexistent et se chevauchent, pendant un temps, elles demeurent « incontemporaines » comme le constate Mannheim [4]. Comment comparer les conditions de vie à des étapes de vie différentes ? Et la comparaison rétrospective des mêmes étapes de vie, de générations différentes, renvoie à des contextes et à des normes différents. Il en est de même des parcours de vie de générations différentes, leurs périodes sociohistoriques distinctes relativisent toute comparaison.
12Les générations qui composent la société appartiennent à des époques et à des temps sociaux différents ; elles sont doublement inégales entre elles, par leur différence d’âge à un moment donné et par leur cohorte d’appartenance. Les effets de génération, les effets d’âge et les effets de période (l’influence qu’exerce la période où se pratique l’observation sur chacune des générations) ne sont pas indépendants les uns des autres. Les processus de vieillissement qui marquent les effets d’âge évoluent d’une génération à l’autre, en fonction des progrès de la santé, de la législation sociale, de l’évolution des conditions de vie.
13Des indicateurs imparfaits sont alors utilisés, pour rendre compte des inégalités entre générations, comme le revenu moyen, la valeur du patrimoine ou le taux de pauvreté ; ils sont insuffisants pour comparer le niveau de vie et surtout la qualité de vie.
Des transferts privés au profit des jeunes
14Un phénomène important est versé au débat sur l’équité entre générations : l’importance des dons financiers informels des retraités aux générations suivantes, au sein de la famille. En 1993, des travaux de recherche [5] en France, suivis d’enquêtes menées dans différents pays [6], ont mis en évidence à la fois la généralité et l’importance de ces transferts familiaux au bénéfice des jeunes, quand existent des systèmes de retraite.
15Rappelons-en les principaux enseignements. Ils ont révélé la vitalité des échanges, qu’ils consistent en dons monétaires, en aides au logement ou en services (personnels, domestiques, sociaux…), tout en montrant la différence de structure selon le type de transfert : le sens de la circulation d’argent est quasi exclusivement descendant tandis que les « aides en temps » font l’objet d’échanges réciproques entre les trois générations, la génération pivot étant la plus active, aidant à la fois les jeunes et les plus âgés.
16L’enquête trigénérationnelle a permis également de dévoiler l’importance nouvelle du rôle des grands-parents, qui étaient auparavant « les grands oubliés [7] » ; leur présence auprès des jeunes couples, pour aider à l’éducation des petits-enfants, s’avère plus massive que dans les deux générations précédentes [8], malgré le développement, entre-temps, des systèmes de gardes et la généralisation de l’école maternelle.
17La protection sociale a inversé la direction des solidarités : les aides financières, autrefois ascendantes (les familles prenant en charge les parents âgés et mettant les enfants au travail), bénéficient désormais, sous l’effet de la protection sociale, aux plus jeunes, tandis que les plus vieux reçoivent plutôt des soins personnels, quand ils deviennent dépendants. La relation d’aide qui se noue entre les enfants « aidants » et les parents dépendants se révèle assez généralisée.
18En favorisant de tels échanges, la protection sociale a pacifié les liens entre générations. Les conflits de générations qui avaient éclaté en Europe à plusieurs reprises, entre le tournant du xxe siècle et les mouvements de 1968, ont pratiquement disparu, même si le mythe des conflits de générations reste vivant dans l’imaginaire social. Mais la dépendance économique prolongée des jeunes à leurs parents est en contradiction avec leur revendication d’autonomie. Elle est pesante et risque d’accroître l’ambivalence de leurs rapports.
19Enfin, l’effet des transferts de tous ordres sur les niveaux de vie des différentes générations est massif. Parmi eux, les transferts intergénérationnels affectent considérablement les ressources respectives et les niveaux de consommation des différentes générations. Ce phénomène apparaît clairement quand on utilise la méthode de recueil et d’analyse des comptes nationaux, les National Transfers Account (nta) [9]. Par exemple, d’après les résultats de cette recherche, le travail des individus finance la consommation des plus jeunes et des séniors, pendant toute une période. Les analyses faites sur les années 1979 à 2005 montrent que cette période s’est raccourcie de cinq ans, ce qui traduit un double mouvement : la prolongation des études d’une part, la sortie plus précoce du monde du travail d’autre part.
20Le résultat le plus important pour le thème traité ici est que, par exemple entre 1979 et 2005, l’ensemble des transferts [10] a permis de maintenir une certaine égalité du niveau de consommation entre les âges, la distribution par âge de la consommation moyenne ayant très peu varié. Cette stabilité est d’autant plus remarquable que, dans le même temps, la distribution par âge des revenus moyens s’est continument déformée en faveur de la génération née après la guerre, ce qui corrobore la diminution relative des niveaux de revenus des plus jeunes. L’analyse des nta montre l’importance des conséquences des solidarités intergénérationnelles, dans un panorama complet des transferts entre générations, sur un horizon temporel de trente ans.
21La détérioration des conditions d’emploi et de revenus des jeunes s’est poursuivie et aggravée au cours de la crise de 2008 et elle continue, parallèlement aux réformes des retraites successives mises en œuvre pour faire face aux difficultés de financement des retraites, aggravées par l’accentuation du vieillissement de la population. Ces deux grandes tendances, concernant à la fois les jeunes et les âgés, contribuent à nourrir le débat sur l’équité entre générations qui prend une grande ampleur. Il constitue au xxie siècle un des thèmes majeurs des discussions sur les orientations de la protection sociale et représente un des enjeux essentiels pour l’avenir [11].
22Deux autres aspects de la politique vieillesse traitent des liens entre générations, dans deux volets différents : d’une part, celui de la dépendance, avec la reconnaissance des « aidants », et les mesures visant à leur apporter soutien, répit et accompagnement ; et d’autre part, la politique préconisant « un vieillissement actif » dans une perspective intergénérationnelle, se déployant à la fois dans le champ de la vie sociale, socioculturelle, économique et citoyenne.
23On identifie ainsi trois principaux aspects de la politique de la vieillesse, relative aux liens intergénérationnels : l’équité entre générations, qui porte notamment sur les effets combinés de l’âge de la retraite et du niveau des pensions ; la reconnaissance des aidants ; et les actions « intergénérations ». Leur combinaison révèle l’intrication entre les actions politiques portant sur la vie publique, la vie familiale et la société civile.
24Avant de développer ces trois volets de la politique de la vieillesse, rappelons comment la notion même de génération, ses définitions et ses contours se sont transformés depuis les années 1960, sous l’effet des grands changements sociaux, particulièrement l’augmentation de la longévité, la redéfinition du parcours de vie, d’ordre professionnel, familial, des rapports hommes-femmes, le développement de la protection sociale.
Quelles sont les générations en jeu ?
25Les deux sens les plus courants de la notion de génération, d’une part la génération familiale, désignant la position dans la famille, d’autre part la génération sociale, la position dans la société, doivent être distinguées des notions d’âges et de cohortes.
26La génération familiale est une notion relative, qui situe la position d’un individu dans la lignée familiale par rapport à d’autres membres de la famille : enfant, parent (père ou mère), grand-parent ou arrière-grand-parent. Ces échelons générationnels ont évolué avec la plus longue durée de vie et les changements des comportements, dont le recul de l’âge au premier enfant. Il reste que la durée de la phase grand-parentale s’est en moyenne considérablement allongée et peut dans certains cas représenter la moitié de la durée de vie.
27La définition la plus communément admise de la génération sociale est dans le prolongement de la théorie fondatrice de Karl Mannheim [12] qui inscrit le problème des générations au cœur du changement social. Selon cette perspective, la génération sociale désigne l’ensemble des personnes nées au cours d’un même intervalle de temps, ayant traversé une même époque sociohistorique et partageant des expériences, des référents et des influences sociales puisés dans ce temps commun, qui forment leur empreinte historique, influencent leur vision du monde (Weltanschauung), et leur confèrent une identité générationnelle. Elle englobe plusieurs cohortes de naissance, définies comme ensembles d’individus nés au cours de la même année, synonyme de génération en démographie.
28La cohorte est un outil statistique bien précis tandis que la délimitation des générations sociales reste imprécise. Elle dépend du contexte sociohistorique en liaison avec le rythme du changement social et avec les grands événements sociohistoriques. Il est des périodes au cours desquelles les conditions sociohistoriques changent de façon si profonde qu’il se crée des lignes de démarcation entre un avant et un après (par exemple à l’époque de la chute du mur de Berlin). Quelques années d’intervalles peuvent parfois creuser des différences plus grandes que des décennies. Être situé d’un même côté de la ligne de démarcation historique devient alors plus important que la distance en nombre d’années. Les générations successives sont plus ou moins marquées par des continuités et discontinuités, des transmissions, des échanges et solidarités, ainsi que par des oppositions, des fossés ou des conflits. Les rapports de générations contribuent à la définition et à la délimitation des générations. Toute génération est en effet inscrite dans la suite des générations, elle est d’ordre temporel et se définit à la fois par rapport à celle qui la précède et à celle qui la suit.
Les nouveaux contours des générations
29La conceptualisation des générations est, dans une certaine mesure, le reflet d’une époque et de ses préoccupations. Ainsi la vision moderne des générations s’est enrichie d’une dimension économique. Le renversement de la conjoncture a joué comme révélateur de l’existence de générations façonnées par les aléas de la croissance et les fluctuations du marché du travail. Les progrès continus dont ont bénéficié les générations nées au cours de la décennie 1940-1950, dans les conditions d’emploi, le niveau de vie, l’accès à la propriété du logement, se sont fortement ralentis pour celles nées dans la décennie suivante, confrontées aux chocs pétroliers et aux périodes de conjoncture difficile du début des années 1980 et du milieu des années 1990. La situation s’est ensuite améliorée au tournant des années 2000, puis s’est à nouveau détériorée à la suite de la crise économique de 2008-2009.
30La dégradation du marché du travail accroît les difficultés d’accès au premier emploi, ce qui a des conséquences sur le déroulement ultérieur de la carrière professionnelle, notamment quand le sous-emploi conduit des nouveaux entrants à occuper des emplois en dessous de leur qualification. Il y a inégalité des chances des générations successives selon le contexte plus ou moins favorable de leur entrée dans la vie active [13].
31Le vieillissement de la population, conjugué à la « société du travail », a façonné de nouvelles générations. La jeunesse s’est allongée, l’âge de la vieillesse a reculé, le cycle de vie ternaire – la période d’éducation, la vie active et la vie de retraite – a produit trois « générations du welfare [14] », c’est-à-dire des ensembles de cohortes façonnées par la protection sociale.
32Les différents sens de la notion de génération forment autant de dimensions de l’identité individuelle et de ses métamorphoses au cours de la vie. Chaque individu appartient à la fois à une génération familiale, une génération sociale, une génération économique, et chacun est multiple et sa conscience de génération, son appartenance générationnelle se situent dans toutes ces dimensions [15].
33Dans la famille, le plus grand nombre de générations co-présentes [16], résultant de la plus grande longévité associée à l’amélioration des conditions de santé, a produit le phénomène de la génération pivot [17], une génération adulte intermédiaire en relation à la fois avec la génération qui la précède et celle qui la suit (ou celles qui la suivent, enfants et petits-enfants) et qui exerce une fonction de lien et souvent de soutien pour ces deux ou trois autres générations.
34Les pivots sont en effet le plus souvent des grands-parents dont les petits-enfants sont à l’âge où ils sont encore dépendants, et ils ont souvent des parents ou beaux-parents ayant besoin d’aide, mais ils peuvent être aussi simplement des parents qui ont à s’occuper à la fois des enfants et des parents. Avec le recul de l’âge auquel les parents âgés commencent à perdre l’autonomie, leurs besoins d’aide interviennent plus tard et leurs enfants sont généralement devenus des grands-parents, sauf en cas de maternité ou paternité tardives.
35L’évocation des pivots constitue une bonne transition pour aborder la question des aidants
Les aidants
36Ce volet important de la politique consacrée aux liens entre générations est rapidement évoqué ici pour mémoire car il fait l’objet d’un développement spécifique dans ce volume [18].
37L’attention portée aux aidants est relativement récente. C’est au début des années 1990 en France qu’a commencé à se manifester une attention publique à ceux qu’on appellera les « aidants », les membres de l’entourage apportant un soutien non professionnel à une personne âgée en perte d’autonomie. Ce nouvel intérêt à leur égard a été alimenté par les résultats d’enquêtes qui ont fait apparaître l’importance de leur rôle dans l’aide à la dépendance et leur poids économique dans « le prix de la dépendance [19] ». Une des premières enquêtes à avoir montré l’importance et la valeur de la contribution de la famille, jusqu’alors restée dans l’ombre, date de 1988 [20] : comparant les dépenses liées à la dépendance pour les personnes vivant à domicile et en institution, elle a révélé que si on attribuait une valeur monétaire au temps consacré aux soins des personnes à domicile par leurs proches aidants, le maintien à domicile serait plus coûteux que la vie en institution. Elle a ainsi rendu visible la contribution essentielle de l’entourage, et en particulier de la génération des enfants, qui a certes toujours existé mais était considérée comme allant de soi, d’autant plus qu’elle est majoritairement assurée par des femmes, chargées traditionnellement de s’occuper des autres. La forte représentation féminine parmi les aidants témoigne de la part essentielle de l’implication des femmes dans la mise en œuvre des politiques sociales.
38Sans relever exclusivement de l’ordre des liens intergénérationnels, l’action en direction des aidants les inclut largement. Les personnes âgées en perte d’autonomie sont en effet majoritairement aidées par leurs enfants, et leurs conjoint(e)s. La reconnaissance des aidants a été officialisée par la loi pour l’adaptation de la société au vieillissement, qui propose, entre autres, un droit au répit pour les aidants avec un accueil temporaire de la personne aidée, mesures assorties de financements, certes modestes mais de grande portée symbolique.
De la vieillesse à l’intergénération
39L’allongement de la vie et l’abaissement de l’âge de la retraite ont transformé le temps de la retraite, donnant une nouvelle signification à cette phase de vie qui, en s’allongeant, s’est divisée en deux étapes, celle des jeunes retraités et celle du grand âge. L’allongement du temps de retraite a ainsi permis à un plus grand nombre de bénéficier d’une période de vie libérée du travail, en bon état de santé, de développer des loisirs et diverses activités, y compris des activités productives et d’engagement social [21]. La nouvelle phase de vie que représente la retraite a changé de signification, et devient une période de « pluriactivité ». Parallèlement, les fins de carrière sont déstabilisées, le chômage constituant en France l’une des voies principales de sortie d’activité [22]. Elles contribuent à la transformation des parcours de vie, et évoquent l’idée d’une « deuxième carrière », selon le titre d’un ouvrage de Xavier Gaullier [23].
40Ces nouvelles étapes de vie où se mêlent travail et temps libre ont favorisé la création d’actions « intergénérations » qui se sont progressivement développées et étendues à différents territoires, du local au national et à l’international. Créées à l’initiative de mouvements associatifs, sous différentes formes et dans de nombreux domaines, elles sont souvent soutenues par des subventions publiques ou émanant d’instances européennes. La politique sanitaire et sociale y contribue également, par exemple en favorisant le logement « intergénérationnel » sous différentes formes.
41Portées par des idées généreuses, leurs objectifs vont de la simple rencontre conviviale entre des personnes d’âges différents à la transmission d’expériences, de savoir-faire ou de mémoire ; elles vont des réalisations culturelles ou artistiques en commun à la solidarité active en direction de publics en difficulté. Des échanges de savoirs à la coopération économique ou professionnelle, de l’aide à l’emploi à l’éducation, à la vie culturelle et artistique, aux loisirs partagés…
42Les missions affichées des actions intergénérationnelles se situent à la fois au niveau des représentations, en luttant contre les stéréotypes à l’encontre des jeunes et des vieux, et au niveau des pratiques, en favorisant les transmissions entre générations. Leur dessein est de contribuer à bâtir un idéal de société « pour tous les âges », leur cible le vivre ensemble.
43Selon une enquête réalisée en Belgique, la majorité de ces actions relèvent du secteur privé, principalement d’associations non lucratives, les autres institutions relevant de collectivités locales ou de groupements familiaux, de jeunesse, politiques… Ses auteurs, Michel Loriaux et Dominique Rémy [24], concluent à la « force du courant intergénérationnel » et à l’implication de ces actions dans « le maintien de la cohésion sociale entre générations » (p. 49), rejoignant par là les conclusions du travail réalisé par Cécile Dupont et Melina Letesson [25], basé sur le recensement de ce type d’actions durant dix années d’expériences, en Belgique.
44Bernadette Puijalon et Jacqueline Trincaz [26] ont également mené une enquête sur un large échantillon d’actions intergénérationnelles implantées dans différentes régions de France et en tirent aussi des conclusions positives : des actions utiles ont été accomplies, notamment en matière d’emploi des jeunes, d’échanges de savoirs, de liens affectifs. Les réticences initiales à s’engager dans ces programmes de l’une ou l’autre génération ont été surmontées ; un changement de regard des générations les unes à l’égard des autres en est résulté.
45C’est dans une autre perspective que Cornelia Hummel et Valérie Hugentobler [27] analysent « l’engouement pour la question intergénérationnelle » dans l’espace public qu’elles observent en Suisse. Ces auteures l’expliquent par la constitution d’un nouveau champ d’intervention sociale et de professionnalisation de la question intergénérationnelle qui contribue à sa construction sociale.
46Les actions intergénérationnelles ne sont pas toujours faciles à mettre en œuvre ; elles doivent vaincre scepticisme et réticences à la fois dans le public et parmi les professionnels, et lutter contre les stéréotypes négatifs à l’égard des jeunes ou des vieux ; elles ont aussi à convaincre les responsables locaux de s’y engager ou au moins de les faciliter. Elles sont cependant aidées par la valorisation économique des retraités, sources de développement dans les territoires, comme en témoigne l’essor de la silver économie.
47Parallèlement, dans le champ de l’éducation, soutenu par le ministère de l’Éducation, un programme éducatif intergénérationnel extrascolaire se met en place avec ingénierie de projets, conférences, formations, ressources pédagogiques, suivi aujourd’hui dans toute la France. Il n’a pas encore d’équivalent en Europe, mais des contacts sont noués avec plusieurs pays dans lesquels il est présenté et qui y sont intéressés [28]. À la suite de ce programme, le système éducatif français a décrété le 29 avril journée de la solidarité intergénérationnelle.
48Le développement des actions intergénérationnelles avait pris de l’ampleur avec l’implication de la Commission européenne dans cette thématique, qui s’est concrétisée par « l’année européenne des personnes âgées et de la solidarité entre générations » en 1993. Elle a été suivie en 1999 par le rapport de la Commission européenne, « Vers une société pour tous les âges », qui a contribué à affirmer la volonté d’orienter la politique de la vieillesse vers une politique des générations.
49La promotion d’une politique du « vieillissement actif » encourage le maintien d’activités qui impliquent ou favorisent les échanges entre générations ; ainsi, l’année 2012 a été déclarée année européenne pour le vieillissement actif et la solidarité entre générations par la Commission européenne, à l’occasion du dixième anniversaire du plan d’action sur le vieillissement des Nations unies [29].
50Vieillir en restant actif est défini comme « le processus consistant à optimiser les possibilités de bonne santé, de participation et de sécurité afin d’accroître la qualité de vie pendant la vieillesse [30] », l’activité préconisée s’étendant largement du monde du travail aux activités sociales, économiques, culturelles et citoyennes. Cependant, les recommandations ont été majoritairement focalisées sur les questions d’emploi, avec les objectifs de relever les taux d’emploi des plus de 55 ans et de favoriser la mixité des âges au travail [31].
51Peut-on imaginer qu’une ère nouvelle s’annonce avec l’arrivée à la retraite des générations du baby-boom, qui avaient révolutionné les modèles familiaux et les rapports de générations ? On devrait alors observer des changements significatifs des pratiques de retraite et d’échanges intergénérationnels, dans tous les domaines d’activité.
Les inégalités entre générations : un défi majeur pour l’avenir de la politique de la vieillesse
52Comme cela a été évoqué précédemment, la situation relative des jeunes apparaît aujourd’hui sensiblement plus défavorable qu’elle ne l’était dans la seconde moitié du xxe siècle, du point de vue de l’emploi, du revenu, du logement, tandis que la situation relative des générations plus âgées s’est améliorée. La dénonciation de ces inégalités a donné naissance au débat récurrent sur l’équité entre générations.
53Dans une formulation précédente [32], nous avions proposé de décomposer la question de l’équité entre les générations selon trois dimensions : « 1. La répartition équitable des budgets sociaux à un moment donné entre jeunes et vieux. 2. Un traitement équitable en matière de droits sociaux des cohortes successives. 3. Au sein d’une même cohorte, la rétribution équitable de la contribution (et de l’effort) fourni au cours de la vie. »
54Si actuellement cette focalisation sur les budgets sociaux, en termes de contribution et de droits sociaux, paraît insuffisante en regard de l’ensemble des problèmes qui se posent et de leur gravité, la prise en compte de ces trois dimensions reste valable. Didier Blanchet, posant la question du point de vue des niveaux de vie, distingue également ces trois dimensions à la nécessaire égalité entre générations : « l’égalité des niveaux de vie instantanés, l’égalité des retours sur contributions telle qu’on la préconise parfois dans le domaine des retraites, ou l’égalité des niveaux de bien-être ou d’opportunités en longue période [33] ».
55De son côté, France Stratégie lance en 2016 un débat (2017-2027) sur cette question : « Jeunesse, vieillissement. Quelles politiques ? Faut-il rééquilibrer les transferts publics en direction des plus jeunes alors que nous devons faire face à des besoins accrus liés au vieillissement ? [34] » Si la controverse sur l’équité entre générations, qui date de plusieurs décennies, est toujours actuelle, ses termes ont évolué et sont encore plus complexes. La question doit être reposée en des termes nouveaux, d’autant plus que la façon dont a été amorcé le débat a contribué à les fausser.
56En effet, l’opposition des générations a marqué l’origine de ce débat. Rappelons qu’il a été initié aux États-Unis par des mouvements hostiles à la protection sociale et au système de retraite. L’idée d’une injustice sociale intergénérationnelle remonte aux années 1980, avec la création d’une organisation, Americans for Generational Equity (age), largement soutenue par des mouvements politiques conservateurs et le milieu des affaires, généralement hostiles au développement de la protection sociale. Selon la thèse de age et de ses défenseurs, les dépenses publiques pour les personnes âgées sont trop généreuses et sont faites aux dépens des actifs et des enfants, dont la situation économique se dégrade. D’après les tenants de cette thèse, qui s’est depuis largement répandue en France [35] et en Europe, une telle répartition des ressources sociales, en creusant les inégalités entre générations, entraînerait la menace d’une « guerre des générations ».
57Mettre en regard des problèmes des jeunes les « avantages » dont bénéficieraient les retraités peut certes stimuler le lancement des actions au bénéfice des premiers, mais cela ne saurait jouer comme mécanisme de vases communicants entre leurs conditions respectives, les avantages des uns réduisant ceux des autres et réciproquement.
58Les multiples difficultés que rencontrent les jeunes et l’inadéquation des diverses politiques publiques à leur égard sont des faits bien réels et bien documentés ; mais le débat sur l’équité entre générations, tel qu’il s’est développé au départ, en a dénaturé les causes et les implications : il a désigné, explicitement ou implicitement, la politique des retraites comme étant la cause des difficultés des jeunes, ce qui peut donner l’illusion qu’en limitant les avantages « vieillesse », on résoudrait les difficultés des jeunes. Remettre en question le système de retraite n’apporte guère de solution aux difficultés vécues par les jeunes et risque au contraire d’aggraver les inégalités qui existent au sein des générations et qui se sont creusées au cours de ces dernières années parmi les jeunes comme parmi les retraités [36].
59Il est nécessaire de reformuler la question, et tout d’abord de mieux identifier les facteurs des difficultés que rencontrent les jeunes en matière de formation, d’emploi, de logement et de couverture du risque de perte de revenu. On sait que la plupart de ces facteurs n’ont que peu de rapport avec la politique de la vieillesse, mais relèvent plutôt du poids de la conjoncture économique et des politiques d’emploi et de logement.
60Une nouvelle période, que l’on peut dater à partir de la crise de 2008, conduit à repenser les orientations de la politique de la vieillesse, ce qui apparaît d’autant plus nécessaire que s’accélère le vieillissement de la population. Pour aller dans le sens du questionnement posé par France Stratégie, comment faire face à l’amplification de charges à venir dues au vieillissement, qui va encore s’accentuer à court terme, et répondre aux besoins accrus de la jeunesse, dont le sous-emploi continue de s’aggraver ? Comment arbitrer entre les différentes politiques à développer en direction des publics en difficulté ? Il est clair que plusieurs alternatives sont à étudier. Par exemple, comme le suggère André Masson [37], en soulignant l’importance des différences de patrimoine selon l’âge, la valeur du patrimoine pourrait être aussi être prise en compte dans le financement des retraites, selon des modalités à construire. Par ailleurs, la proposition d’instaurer un revenu minimum garanti pour tous, quel que soit l’âge et à partir de 18 ans, souvent débattue et reportée, apporterait un début de réponse dans le sens de plus d’équité entre générations. Mieux articuler les réformes à promouvoir dans les actions en direction des générations implique de repenser le critère d’âge dans la protection sociale ainsi que la prise en compte de l’ensemble du cycle de vie. Les questions se posent aujourd’hui de façon plus large et touchent aux fondements mêmes des politiques sociales.
61C’est dans le cadre d’une vision globale d’une politique sociale que s’inscrivent les orientations visant les différents aspects des politiques et les différents publics. Suivant l’analyse de Marcel Gauchet : « On a de moins en moins affaire à la classique question sociale mettant en prise le capital et le travail. Émerge à sa place une nouvelle problématique centrale qui trouve petit à petit sa cohérence, par un remarquable retour de la nature au sein de la culture, autour des réalités mêmes du vivant : l’âge, le sexe, la fécondité, la morbidité, le nombre et le mouvement des hommes. Natalité, éducation, santé, retraites, immigration : à force de socialisation de la vie, voici l’ordre vital en passe de devenir le cœur de la question sociale [38]. »
62Finalement, comme l’a affirmé Pierre-Henri Tavoillot [39], au terme d’une journée d’études sur la question, « la guerre des générations n’aura pas lieu ».
Mots-clés éditeurs : aidants, inter-générations, famille, équité entre générations, générations, transferts intergénérationnels
Mise en ligne 26/09/2016
https://doi.org/10.3917/vsoc.163.0045Notes
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[*]
Claudine Attias-Donfut est directrice de recherches honoraire à la cnav, associée au cnrs et à l’ehess (iiac), fondatrice et ancienne rédactrice en chef de la revue Retraite et société.
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[1]
Mesures inscrites dans les rapports successifs depuis 1962, le rapport Laroque, Politique de la vieillesse ; 1979, le rapport de Maurice Arreckx ; 1981, Robert Lion, Vieillir demain ; 1988, le rapport Théo Braun ; 1991, les rapports Schopflin, Dépendance des personnes âgées, et Boulard, Dépendance et solidarité ; ainsi que les plans quinquennaux depuis le VIe Plan (1971-1975) et le Programme d’action prioritaire (pap) n° 15 du VIIe Plan (1976-1980).
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[2]
Voir sur cette question, parmi d’autres nombreuses publications, les chapitres contenus dans les deux volumes « Gestion des âges et fins d’activité » de Retraite et société, n° 36 et n° 37, 2002.
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[3]
La prise de conscience de la responsabilité des vivants à l’égard des générations futures est désormais un moteur essentiel dans la protection de l’environnement.
-
[4]
Karl Mannheim, Le problème des générations (1928), traduction française, Paris, Nathan, 1990.
-
[5]
Voir l’enquête trigénérationnelle : Claudine Attias-Donfut (sous la direction de), Les solidarités entre générations, Paris, A. Colin, 1995.
-
[6]
Voir l’enquête européenne share, Claudine Attias-Donfut, Jim Ogg, François-Charles Wolff, « European patterns of intergenerational financial and time transfers », European Journal of Ageing, vol. 2, n° 3, septembre 2005, p. 161-173.
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[7]
Claudine Attias-Donfut, Martine Segalen, Grands-parents. La famille à travers les générations, Paris, Odile Jacob, 1998 (rééd. en poche, 2014).
-
[8]
Ce que l’on constate en comparant les aides effectivement reçues par les jeunes à celles déclarées avoir été reçues dans leur passé par leurs parents et par leurs grands-parents (données rétrospectives).
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[9]
Rapport de la chaire « Transitions économiques, transitions démographiques » de la Fondation du risque pour le Commissariat général à la stratégie et à la prospective : « Étude portant sur la répartition des prélèvements et des transferts entre les générations en France », 2013. « Le point de départ de l’analyse comptable réalisée avec les nta est l’individu. Elle établit, pour une date donnée, les consommations et les revenus du travail moyens en fonction de l’âge des différents individus présents dans l’économie. La différence entre ces deux profils par âge donne le profil des excédents et déficits de cycle de vie, concept central de cette méthodologie. L’idée fondamentale est qu’un individu dont la consommation est supérieure aux revenus générés par son travail bénéficie d’un transfert. Par revenus du travail, on entend les revenus bruts augmentés des cotisations à la charge des employeurs, qui mesurent la contribution du travail à la création de richesse. La notion de transfert est donc prise au sens large et ne se limite pas aux transferts publics. »
-
[10]
En 2005, les moins de 25 ans et les plus de 58 ans ont bénéficié d’un transfert, qu’il provienne des transferts sociaux, de dons intrafamiliaux ou des revenus du patrimoine, de la vente d’une partie du patrimoine mobilier ou immobilier personnel.
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[11]
Ce thème est repris plus loin, dans la dernière partie de cet article.
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[12]
Karl Mannheim, op. cit.
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[13]
Ce mécanisme est documenté dans le livre de Louis Chauvel, Le destin des générations, Paris, Puf, 1998.
-
[14]
Expression forgée par Martin Kohli, The Problem of Generations. Family, Economy, Politics, Collegium Budapest, Public Lecture Series, 1996.
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[15]
Claudine Attias-Donfut, Sociologie des générations, Paris, Puf, 1988.
-
[16]
Dans le sens de coexister, d’être en vie, non de vivre dans le même logement.
-
[17]
Claudine Attias-Donfut, « Rapports de générations. Transferts intrafamiliaux et dynamique macro-sociale », Revue française de sociologie, vol. 41, n° 4, 2000, p. 643-684.
-
[18]
Voir l’article qui lui est consacré par Serge Guérin.
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[19]
Voir à ce sujet l’enquête réalisée en 1988 à la cnav.
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[20]
Cette enquête a été initiée par la cnav, en 1988, sous la direction de Claudine Attias-Donfut, Sylvie Renaut et Alain Rozenkier ; voir Denis Bouget, Robert Tartarin (sous la direction de), Le prix de la dépendance. Comparaison des dépenses des personnes âgées selon leur mode d’hébergement, Paris, La Documentation française, 1990.
-
[21]
Joffre Dumazedier, Sociologie empirique du loisir. Critique et contre-critique de la civilisation du loisir, Paris, Le Seuil, 1974.
-
[22]
De nombreuses publications y ont été consacrées. Voir notamment le volume « Gestion des âges et fin d’activité » de Retraite et société, n° 37, coordonné par Annie Jolivet et Alain Rozenkier, 2002.
-
[23]
Xavier Gaullier, La deuxième carrière. Âges, emplois, retraite, Paris, Le Seuil, 1988.
-
[24]
Michel Loriaux, Dominique Rémy, « Rapprocher les âges de la vie : une analyse des projets intergénérationnels en Belgique », Retraite et société, n° 64, 2012, p. 21-52.
-
[25]
Cécile Dupont, Melina Letesson, Comment développer une action intergénérationnelle ?, Bruxelles, De Boeck, 2010.
-
[26]
Bernadette Puijalon, Jacqueline Trincaz, Le droit de vieillir, Paris, Fayard, 2000.
-
[27]
Cornelia Hummel, Valérie Hugentobler, « La construction sociale du “problème intergénérationnel” », Gérontologie et société, n° 123, 2007/4, p. 71-84.
-
[28]
Il a été créé par Carole Gadet, chargée des projets intergénérationnels à l’Éducation nationale en France et fondatrice de l’association Ensemble demain ; voir Carole Gadet, Faire travailler les générations ensemble, Paris, Presses du Châtelet, 2015.
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[29]
À cette occasion, un volume de la revue Retraite et société a été consacré au vieillissement actif, coordonné par François Jeger et Annie Jolivet, n° 65, juin 2013.
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[30]
Who, 2002, cité par François Jeger et Annie Jolivet, avant-propos, op. cit., p. 9.
-
[31]
Anne-Marie Guillemard, « Le vieillissement actif : enjeux, obstacles, limites », Retraite et société, n° 65, juin 2013, p. 17-65.
-
[32]
Claudine Attias-Donfut, Les solidarités entre générations, Paris, Nathan, 1995, p. 21.
-
[33]
Alain Bihr, Roland Pfefferkorn (sous la direction de), Dictionnaire des inégalités, Paris, Armand Colin, 2014, p. 147-148.
- [34]
-
[35]
Voir en particulier les analyses de Louis Chauvel, notamment Louis Chauvel, Martin Schröder, « Generational inequalities and Welfare Regimes », Social Forces, vol. 92, n° 4, juin 2014, p. 1259-1283.
-
[36]
L’ampleur des inégalités de niveau de vie, mesurée par le coefficient de Gini, est ainsi plus grande et a crû plus rapidement parmi les plus jeunes et les plus âgés que dans l’ensemble de la population entre 1996 et 2012, selon la note mise en ligne par France Stratégie, op. cit.
-
[37]
André Masson, Des liens et des transferts entre générations, Paris, Éditions de l’ehess, 2009.
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[38]
Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, p. 187-188.
-
[39]
Pierre-Henri Tavoillot, « Les métamorphoses de l’intergénérationnel », synthèse de la journée d’études à la Sorbonne, 14 janvier 2012.