Couverture de VSE_191

Article de revue

Introduction au numéro spécial : « Innovation et Environnement »

Pages 12 à 14

Notes

  • [1]
    Dans la suite de ce texte, nous utiliserons indifféremment ces deux termes, considérés comme synonymes.

1L’innovation apparaît aujourd’hui comme le principal moteur de la croissance économique, non seulement dans les économies « basées sur la connaissance » mais aussi dans les économies « émergentes ». Au niveau de l’entreprise, l’innovation apparaît comme le moyen de s’adapter et de survivre dans un monde économique changeant où la concurrence est exacerbée. Toutefois, la croissance économique des sociétés contemporaines doit s’inscrire dans le cadre d’un développement durable, soutenable dans le long terme. Cet impératif conduit l’entreprise moderne à se montrer « citoyenne » et « socialement responsable » notamment en matière d’environnement. La notion d’innovation environnementale (ou « éco-innovation ») [1] a émergé à l’intersection de ces deux problématiques. Elle doit en effet permettre de conjuguer exigences de développement économique (gains de productivité, performance, croissance) d’une part et exigences environnementales (préservation des ressources naturelles et réduction de la pollution, en particulier) d’autre part.

2Dans un article fondateur (coécrit en 1995 avec Claas Van der Linde), Michael Porter a été le premier à formuler l’hypothèse selon laquelle une règlementation environnementale stricte peut encourager la mise en place d’innovations qui aident à accroître la compétitivité des entreprises. L’idée sous-jacente est que cette règlementation stricte favorise la découverte et l’introduction de nouvelles technologies « propres » ou « vertes », ainsi que l’amélioration du processus de production, le rendant plus favorable à l’environnement. Ces technologies et cette amélioration du processus de production permettent également de réduire les coûts de production, ce qui peut permettre de surcompenser l’investissement initial induit par le respect de la nouvelle règlementation.

3L’idée a, depuis, rencontré un certain succès mais fait encore l’objet de controverses. A l’heure actuelle, les frontières de l’innovation environnementale restent à préciser, et la notion elle-même demeure difficile à mesurer et à quantifier. Parmi les efforts de définition les plus récents figure celui élaboré par René Kemp et Peter Pearson dans le rapport final du projet « Measuring Eco-Innovation », réalisé dans le cadre du 6ème PCRD européen : « L’éco-innovation est la production, l’assimilation ou l’exploitation d’un produit, d’un procédé de production, d’un service, ou d’un outil managérial qui est nouveau pour l’organisation qui le développe ou l’adopte, et qui conduit, tout au long de son cycle de vie, à la réduction des risques environnementaux, de la pollution, et des autres impacts négatifs de l’utilisation de ressources (y compris de l’énergie) comparativement à d’autres alternatives pertinentes » (p. 7, nous traduisons). En ce qui concerne la mesure de l’éco-innovation, des auteurs comme René Kemp et Anthony Arundel proposaient dès 1998 une série d’indicateurs possibles, mais il a fallu attendre la période récente pour que de tels indicateurs statistiques soient réellement mis en œuvre dans le cadre de grandes enquêtes nationales ou supranationales (l’Enquête Communautaire sur l’Innovation de 2008 en est un parfait exemple).

4L’objectif de ce numéro spécial de VSE est de contribuer à l’avancée des connaissances dans ce domaine, et de préciser ses implications managériales. Le numéro est organisé autour de quatre articles. L’article de Serdal OZUSAGLAM (BETA – Université de Strasbourg), intitulé “Environmental Innovation : A concise review of the literature” fait le point, à travers une revue non exhaustive de la littérature, sur les principales contributions dans le champ à ce jour. Il ressort en premier lieu de ce survol que le concept d’éco-innovation tend actuellement à se stabiliser autour de définitions basées sur la performance environnementale plutôt que sur un objectif environnemental défini a priori. En second lieu, une spécificité de l’innovation environnementale apparaît dans les travaux empiriques. Ces derniers indiquent en effet qu’à côté des déterminants usuels de l’innovation (liés à l’impulsion de la technologie et/ou au rôle de la demande), le cadre réglementaire et la politique de l’environnement constituent un moteur important – et peut-être même un prérequis – de l’éco-innovation. Ceci est lié à la nature même de l’éco-innovation, qui présente les caractéristiques d’un « bien public ». Dès lors, l’intervention publique bien conçue, loin de détourner les entreprises de l’éco-innovation, peut leur permettre de réaliser les opportunités qu’elle offre à long terme. Enfin, l’article souligne l’importance des mécanismes de diffusion de l’éco-innovation, qui demeurent insuffisamment explorés, dans la mesure où ils pourraient différer, au moins en partie, des mécanismes usuels de diffusion de l’innovation.

5L’article de Xavier GALIEGUE (LEO - Université d’Orléans), intitulé « Le regard de l’économiste : portée et limites de l’innovation environnementale » rejoint le précédent sur ce point, en apportant plus spécifiquement un éclairage critique sur la littérature consacrée à l’innovation environnementale. Son propos est de démontrer que l’innovation environnementale présente des aspects beaucoup plus complexes que ceux généralement soulignés dans la littérature, et engendre des effets beaucoup plus subtils que ceux généralement mis en avant. En particulier, si elle peut apparaître comme un moyen de faciliter la transition vers un mode de vie exerçant une pression moindre sur les ressources, elle ne pourra réellement le faire que si des changements effectifs apparaissent dans les modes de vie. Or, ces changements dépendent d’incitations réglementaires et fiscales et nécessitent de prendre des engagements temporellement cohérents.

6Après ces deux premiers articles, qui dessinent un panorama général de l’éco-innovation, les deux contributions suivantes à ce numéro spécial proposent un éclairage empirique précis, à travers des études de cas. L’article de Jean-Jacques PLUCHART (PRISM-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), intitulé « Responsabilité industrielle et éco-innovation », étudie les filières de gestion des déchets industriels. Il montre que cette étude soulève la problématique (encore peu explorée tant en économie industrielle qu’en sciences de gestion) de la responsabilité élargie des producteurs industriels. L’analyse de ces filières permet également d’illustrer la multiplicité des enjeux et des pratiques de l’éco-innovation des produits et des procédés. L’article souligne la diversité des solutions – de nature plus ou moins éthique – apportées par les entreprises industrielles au problème du retraitement de leurs déchets et, plus largement, à la mise en pratique du développement durable.

7L’article de Allala BEN HADJ YOUSSEF (Institut Supérieur d’Administration des Affaires de Sfax, Tunisie), intitulé « L’entrepreneuriat vert : mécanismes de mise en œuvre et motivations en Tunisie (cas d’un pays émergent) » présente quant à lui un double intérêt. En premier lieu, il permet, à travers l’étude qualitative de quelques cas réels, de mieux cerner les motivations des entrepreneurs éco-innovants. Il apparaît que ces motivations ne se résument pas au désir de protéger l’environnement. L’article met en évidence d’autres finalités de nature interne et externe, comme la possibilité de saisir de nouvelles opportunités d’affaires et celle de réduire les coûts de production et les gaspillages d’énergie. L’autre intérêt de l’article est de montrer que les considérations écologiques trouvent un intérêt entrepreneurial important, y compris dans les pays émergents.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • René Kemp et Anthony Arundel (1998), “Survey Indicators for Environmental Innovation”, IDEA Paper Series, IDEA Paper No. 8, NIFU-STEP, STEP Group, available online :
    http://survey.nifu.no/step/old/Projectarea/IDEA/Idea8.pdf
  • René Kemp et Peter Pearson (2007), “Final report MEI project about measuring eco-innovation”, FP6 project No. 044513, Measuring eco-innovation (MEI), available online : http://www.oecd.org/dataoecd/54/19/43960830.pdf
  • Michael E. Porter et Claas van der Linde (1995), “Toward a New Conception of the Environment-Competitiveness Relationship,” Journal of Economic Perspectives, Vol. 9, No. 4 (Autumn, 1995), pp. 97-118.

Notes

  • [1]
    Dans la suite de ce texte, nous utiliserons indifféremment ces deux termes, considérés comme synonymes.
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