Notes
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[1]
27 définitions sont issues d’ouvrages sur le coaching, 13 de témoignages ou plaquettes de praticiens, 6 de la presse professionnelle, 4 de la littérature managériale, 3 de la littérature académique
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et conduisant même à interroger dans quelle mesure on est prêt à le jouer (ce qui peut conduire à quitter le jeu, donc l’entreprise).
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[3]
Tobias (1996) parle de " one-size-fits-all " menus.
1Dans une démarche exploratoire, ce travail propose une compréhension de l’intérêt porté au coaching individuel en entreprise aujourd’hui. Il repose sur trois études : une analyse de l’offre marchande du coaching, deux études de cas où le coaching est tantôt mis en place (dans un cabinet de conseil pour ses associés), tantôt envisagé (sur un site industriel pour ses managers). A partir de nos analyses, nous défendons la thèse suivante : l’intérêt pour le coaching serait lié à sa malléabilité qui permet de maintenir une certaine ambiguïté sur les raisons de sa mobilisation par différents acteurs du dispositif coaching, pour répondre aux règles du " jeu " organisationnel, reposant sur la mobilisation du " je ". Cette malléabilité place la pratique en tension entre différents pôles, ouvrant des espaces de pouvoir dans les organisations. Des grilles de lecture, implications managériales du travail de thèse, sont présentées pour mettre en avant les différents intérêts à la mise en place du coaching, impliquant une variété de rôles joués par le coach dans les organisations.
INTRODUCTION : COMPRENDRE L’INTERET PORTé AU COACHING, PRATIQUE EN TENSION
2Du coaching pour améliorer ses relations amoureuses, amicales, professionnelles, mais aussi pour être plus en accord avec son intérieur, celui de sa maison, et son extérieur, celui de son physique… Le coaching est aujourd’hui " partout " (Brugalières, 2005), son usage extensif recouvrant pourtant des formes d’accompagnement très variées. Pourtant, derrière cet emploi fédérateur, il semble possible d’entendre l’appel à un besoin de prise en charge de la personne aujourd’hui (Boutinet, Denoyel, Pineau et Robin, 2007), et un accord sur sa nature : individuelle et marchande. Le coaching se pose alors à la fois comme " symptôme " de difficultés et " symbole " de manières de les appréhender, pour reprendre une expression de Boutinet (2004).
3Cette solution fait aujourd’hui débat. Pour ses adeptes, le coaching apparaît comme une opportunité pour soutenir les managers face à un contexte organisationnel inédit (complexité, incertitude), signant l’obsolescence de méthodes plus traditionnelles (Albert et Emery, 1999). Ceux qui interrogent la pratique se penchent sur le professionnalisme des coachs et leur rôle dans les organisations. Parmi les coachs " critiques ", Fourès (2004) décrit les " dérapages, abus, déboires " du coaching conduisant à des " dégâts ", Williams (2003) parle des " périls ", Berglas (2002) des " vrais dangers " du coaching alors que Desgraupes et Morin (2007) lui reconnaissent des " faces cachées ". Les universitaires se penchent, eux, sur les " limites " (Persson-Gehin, 2005) d’une pratique, en " tension " permanente quand elle tente de résoudre des " paradoxes " organisationnels (Roussillon, 2002), ne pouvant s’abstraire d’" effets pervers qui guettent la pratique " (Amado, 2002). Le recours organisationnel au souci de soi foucaldien peut être vu comme le support des nouvelles ascèses de la performance (Pezet, 2007), véhiculant en entreprise un pouvoir " pastoral " de direction de conscience (Brunel, 2004). Radicaux, Gori et Le Coz (2006) sont sans concession vis-à-vis de ce qu’ils considèrent être un nouvel outil de contrôle social. Ces positionnements tranchés ne peuvent qu’interroger une pratique qui semble se définir par la négative (Dufau et Perdriset, 2005).
4Dans ce paysage contrasté quant au rôle organisationnel du coaching, cette thèse a eu pour projet de comprendre l’intérêt a priori grandissant (Syntec, 2001; 2004) qui lui est porté aujourd’hui, malgré des mises en garde de plus en plus médiatisées.
5Ce travail s’inscrit dans une démarche " compréhensive " pour " saisir le sens " que les acteurs (coaché, coach, prescripteur, manager) expriment pour le coaching. Pour appréhender sa complexité, des théories complémentaires sont mobilisées : principalement la psychosociologie des organisations (Amado, 2002), la psychologie du travail (Clot, 1999; Lhuilier, 2006), la sociologie de l’acteur (Crozier et Friedberg, 1977) et la Théorie Néo-institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983). Trois études composent la recherche. La première repose sur l’analyse de l’offre marchande du coaching saisie au travers de deux supports : 44 sites Internet de coachs sélectionnés en 2008 parmi les 187 référencés dans l’annuaire de la première association de coach (SF Coach) et 53 définitions [1] du coaching parues dans la littérature managériale entre 1992 et 2002, référencées par Sybil Persson-Gehin (2005). Ce corpus a été analysé à l’aide du logiciel NVivo selon une analyse de contenu thématique (Bardin, 1977) pour mettre en avant les bénéfices professés du coaching et la manière dont les coachs proposaient de les atteindre. Deux études de cas sur l’intérêt porté au coaching ont été réalisées, dans des secteurs où le coaching semble le plus représenté (Syntec, 2001; 2004): les services et l’industrie. Une étude a donc été conduite dans le bureau parisien d’un cabinet de conseil international où 7 associés ont choisi de faire du coaching. Une autre a été réalisée sur l’un des sites industriels d’une entreprise internationale du secteur de la métallurgie dont la direction nous a sollicités sous forme de contrat de recherche d’un an pour réfléchir à la pertinence de sa mise en place pour les cadres managers.
6Cette synthèse met en avant (1) les deux propositions de thèse tirées de la littérature confrontées aux trois terrains et (partie 1 – Le coaching, une réponse " malléable " aux règles du " je(u) "), (2) les implications managériales sous forme de grille de lecture qui orientent les parties prenantes au coaching sur le rôle joué par la pratique et l’intérêt qui lui est porté (partie 2 – Implications managériales : les tensions du dispositif de coaching). La thèse est défendue que le coaching est une pratique malléable du fait des ambiguïtés qu’elle véhicule. L’intérêt qui lui est porté serait associé à cette propriété malléable permettant à chacun de répondre à sa manière aux nouvelles règles du jeu organisationnel.
1. LE COACHING, UNE RÉPONSE " MALLÉABLE " AUX RÈGLES DU " JE(U) "
1.1. le coaching : une réponse sous forme de prise en charge individuelle marchande à l’évaporation des références collectives
7L’intérêt pour le coaching semble lié à un contexte organisationnel, et plus largement sociétal, d’évaporation des référents, majoritairement collectifs et institutionnels (famille, école, religion, chef) qui traditionnellement offraient des ancrages pour se développer personnellement et agir professionnellement. Face à la mutation anthropologique de ce que signifie " être une personne aujourd’hui " (Kaufman, 2005), les individus, confrontés à une " société du risque " dans lesquels ils ne peuvent plus prévoir leur destin (Beck, 2001), sont sommés de puiser dans leurs propres ressources au travers d’un " travail sur eux-mêmes " (Macquet et Vrancken, 2006) pour répondre à l’incertitude devenue norme (Palmade, 2003). La disparition de l’entreprise communautaire (Alexandre, 2003), signifiant un collectif de plus en plus " contourné " (Amado, 2004), conduit à une mobilisation de plus en plus individuelle voire psychique (Aubert, 1994) pour puiser en soi les réponses aux défis d’un environnement incertain et mouvant.
8Dans ce cadre de déclin des institutions et collectifs de référence, le coaching en entreprise semble offrir à l’individu incertain (Ehrenberg, 1995) un espace pour affronter le jeu organisationnel qui le mobilise de plus en plus individuellement, mais aussi psychiquement.
9D’où la première proposition que nous avons formulée :
10Les trois études ont permis de confirmer cette proposition et de mettre l’accent sur le positionnement du coaching comme une " réponse ", ce terme ne ressortant pas de manière si explicite dans la revue de littérature. Ce terme semble révélateur d’un contexte où le " modèle de la poubelle " proposé par Cohen, March, Olsen (1972) s’applique particulièrement bien : ainsi, solutions et problèmes cohabitent, chacun allant se " coupler " sans lien évident. Mais dans un contexte où certaines difficultés organisationnelles sont facilement interprétées sous le prisme individuel, voire psychologique, le coaching tend à apparaître comme légitime et pertinent.
11L’offre marchande positionne le coaching comme réponse adaptée, en raison d’une triple adaptation : adaptation du coaching au contexte, pour faciliter l’adaptation du coaché, grâce à l’adaptation du coach aux problématiques spécifiques du client. Le discours du coaching semble se faire le relais de la description d’un environnement prescriptif, opaque et isolant, qui appelle un ajustement comportemental via la mobilisation de ressources personnelles. On voit que la mobilisation subjective est totalement relayée dans l’offre marchande. Le coach, en tiers extérieur, apparaît comme celui qui va éclairer le client et le contexte. Cette association du coach à une lumière ou un projecteur, soulève la question d’éventuels pouvoirs magiques dont le coach serait doté quand il est capable de regarder les personnes différemment et de les aider à révéler leur véritable nature et à y voir clair dans leurs désirs.
12Un environnement non seulement exigeant mais aussi menaçant a pu être mis en valeur dans les deux études de cas.
13Dans le cabinet de conseil, le coaching est perçu comme un support alternatif aux dispositifs existants qui ont montré leurs limites pour accompagner les enjeux spécifiques des associés : la gestion des interactions avec les équipes, la stratégie individuelle à adopter pour poursuivre sa carrière, le sens à donner au travail, etc. Le coach va apparaître comme un partenaire pour optimiser sa propre " partie " via la compréhension des règles d’un jeu très prescriptif et individualisant. Dans un système appuyé sur une culture organisationnelle d’excellence et de performance qui impose une progression permanente, sanctionnée par les pairs (notamment via le 360°), le " savoir-paraître " est une compétence qui semble clé pour y évoluer. Elle décrit la capacité des personnes à assurer leur promotion en interne et à répondre aux codes de conduite attendus. La nécessité du développement de cette compétence, liée à l’activité de service d’un cabinet, impliquant gestions de soi et de ses relations avec autrui, est accentuée par le " défaut d’autorité immédiate " dont pâtissent les consultants (Henry, 1997). Le coach doit alors permettre de regagner une certaine maîtrise sur l’environnement interne et extérieur en facilitant la compréhension du jeu à jouer [2].
14Dans le site industriel, l’intérêt pour le coaching provient essentiellement de la direction qui s’interroge sur la pertinence de la pratique pour combler ce qu’elle identifie à un défaut de compétences relationnelles des managers qui grèverait leur accompagnement. Pourtant, le diagnostic organisationnel réalisé auprès de nombreux acteurs du site (55 entretiens avec des chefs de poste, d’atelier, de service, le CHSCT, les syndicats, médecins du travail, etc.) met en valeur d’autres facteurs explicatifs au non-accompagnement de leurs collaborateurs par les managers : surcharge d’activités, injonctions contradictoires, incohérence entre évaluation formelle et incitations informelles... Ces difficultés semblent liées à un changement de modèle organisationnel qui conduit à un déclin des référentiels collectifs autrefois fournisseurs de repères : le site lui-même, qui jusqu’alors possédait une certaine indépendance et faisait autorité vis-à-vis du marché; les chefs, de moins en moins présents sur le terrain pour suivre l’action, effacés derrière leurs écrans d’ordinateur pour répondre aux exigences de reporting. Notre analyse nous conduit donc à penser que la mise en place massive du coaching ne constituerait pas forcément une réponse adéquate. En effet, elle représenterait tout d’abord une " rupture " culturelle au regard des supports d’aide au travail privilégiés par les collaborateurs, à savoir des ressources organisationnelles puisées dans le collectif et le métier : échange avec les pairs à l’intérieur et à l’extérieur du site, exemplarité des chefs, apprentissage sur le tas… Ensuite, elle contribuerait davantage à contourner voire occulter la source organisationnelle des difficultés analysées qu’à les prendre en charge. Par la négative, cette étude témoigne donc d’un lien entre intérêt pour le coaching et mobilisation subjective : ici la mobilisation subjective n’est pas légitime et l’intérêt pour le coaching peu manifeste chez les collaborateurs.
15Face à ce contexte de dilution des repères et références collectives qui conduit à de nouvelles règles du " jeu " organisationnelles, le coaching apparaît alors comme une " réponse ", professée (dans l’offre marchande), mise en place (cabinet de conseil) ou envisagée (site industriel).
1.2. Dans l’ombre du coaching, une pluralite d’intérêts
16Nous venons de voir que le coaching se vend comme une réponse adaptée au contexte actuel, rendant obsolètes des pratiques d’accompagnement individuelles (mentoring, tutoring, conseil) ou collectives (formations, groupes de pairs). En effet, si la formation est perçue comme offrant indistinctement des " menus génériques [3] " (Tobias, 1996) sous forme d’ " événements " (Witherspoon et White, 1996) isolés et collectifs, le groupe pouvant apparaître comme inhibant (Amado, 2004), au coaching est attribué l’avantage de fournir une réponse " à la carte " pour un accompagnement plus protégé et dans le temps. Relation informelle avec une personne souvent plus expérimentée de son entreprise, le mentorat établit davantage une relation avec ce que nous pouvons appeler un " pair-père modèle " qu’avec un professionnel de l’accompagnement (Garvey, 2004). Le conseil apparaît, lui, plus axé sur des problématiques organisationnelles qu’individuelles, sollicitant davantage l’avis d’un expert que l’oreille d’un partenaire (Sperry, 1993). Pourtant, les frontières du coaching avec ses pratiques cousines s’avèrent rapidement franchies et la pratique se définit par défaut, étant " un peu de tout mais rien de tout ça " (Alexandre, 2006). Cette sous-spécification est souvent interprétée dans la littérature comme une faiblesse du coaching, un élément à corriger. Pourtant notre travail de thèse nous conduit à soumettre une autre interprétation. Cette difficulté à spécifier le coaching peut expliquer une partie de l’intérêt porté au coaching quand elle favorise une multiplicité d’interprétations de la demande de coaching, à mettre en perspective avec le dispositif de coaching reliant trois voire quatre acteurs : coach, coaché, représentant des RH et/ou manager. Il semble en effet que le flou entourant le coaching puisse permettre à chacun des acteurs de donner un sens particulier à sa demande, tout en maintenant cachées, voire inconscientes, certaines de ses dimensions.
17En effet, le dispositif de coaching prend place dans un certain contexte, mêlant plusieurs parties prenantes.
18Le dispositif de coaching est " offert " à un collaborateur par son entreprise dans le cadre du contrat de travail qui les lie. Même si dans les chartes de déontologie des coachs, l’acceptation volontaire du coaching est un pré-requis, il peut en réalité s’agir d’une " soumission consentie " (Beauvois et Joule, 1987), dans la mesure où le contrat de travail expose les deux parties à des droits et des devoirs. Le collaborateur peut en effet difficilement refuser un contrat qui lui est " suggéré " tant ce refus est sujet à interprétations. Une des interprétations que le coaché peut, lui, faire, est que l’entreprise lui offre un outil pour se développer, manifestant en cela l’activation du contrat psychologique (Rousseau, 1989). D’autre part, le collaborateur peut se trouver flatté de cette sollicitude organisationnelle, le coaching manifestant l’activation du contrat narcissique (Aulagnier, 1981) qui relie la personne et l’organisation.
19Entre le coach et le coaché existe un contrat relationnel plus ou moins fort selon l’investissement de chacune des parties. Quand le coaché s’adresse à un expert, à la recherche avant tout de techniques pour enrichir sa panoplie comportementale, il donne plutôt une interprétation contractuelle à sa relation. En revanche, s’il vient chercher un partenaire d’échanges pour une prise de distance par rapport à son quotidien, il peut être plus sensible à la dimension du don dans la relation (Fustier, 2000).
20Ensuite, entre le coach et l’entreprise existe un contrat d’affaires, rendant plus confus le statut de client. Pour qui le coach travaille-t-il ? le coaché, et/ou l’entreprise, voire lui-même ?
21Enfin, le coaching, comme prise en charge individuelle et marchande de soi, prend sens par rapport à un contrat social renouvelé où dominent individualisation et marchandisation du lien social.
22Cette exploration des contrats unissant les parties prenantes du dispositif de coaching permet de mettre en évidence la pluralité des interprétations des contrats sous-tendant une multiplicité d’intérêts. De plus, au cœur du dispositif se logent des contrats secrets, difficiles à mettre à jour car liés à la multiplicité des attentes conscientes et inconscientes qui caractérisent les différents acteurs.
Figure 1
Figure 1
Pluralité de contrats unissant les parties prenantes du dispositif de coaching23Ainsi la sous-spécification du coaching, loin de n’être que le signe de faiblesses d’une pratique mal définie, peut être interprétée plus positivement comme facteur d’ambiguïté, ouvrant les conditions à un jeu stratégique pour les différentes parties prenantes. En particulier le coaché peut utiliser, voire détourner, l’outil d’une utilisation initialement conçue. Il aura alors fait un usage stratégique du coaching, s’octroyant un plus grand pouvoir sur ses actes (Mendel, 1993). Derrière ces ambiguïtés d’une pratique, il est possible de pointer une certaine malléabilité, mettant ainsi l’accent sur la multiplicité des manières de se saisir du coaching.
24D’où la formulation de la deuxième proposition :
25Dans les trois études réalisées dans cette thèse, cette association de spécificité et sous-spécificité du coaching se retrouve fortement et contribue à créer des ambiguïtés sur ce qu’est le coaching et ce qu’il peut apporter.
26L’offre marchande professe une pratique spécifique en raison de son ajustement à la personne, sur-mesure par rapport à des enjeux concrets. Cette spécificité vient aussi de la mise en avant du processus de formulation de la solution : c’est la personne elle-même qui est présentée comme en étant à l’origine ; cette solution peut alors être unique et le reflet de la personne. Pourtant des sous-spécificités apparaissent : elles sont liées à l’hétérogénéité des destinataires visés par l’offre (individu, organisation ou les deux), la sphère cible (personnelle et/ou professionnelle), la multiplicité des objectifs affichés et bénéfices mis en avant qui sont d’ailleurs partagés par d’autres pratiques d’accompagnement (comme constituer un espace protégé favorable à une prise de recul). Enfin, la très forte hétérogénéité des natures professées de l’intervention du coach, impliquant des degrés faibles à forts de directivité, convoquant différentes figures de clients (de la personne à une ressource) renvoie à des référents théoriques variés qui ne contribuent pas à la lisibilité de la pratique.
27Dans le cabinet de conseil, les spécificités professées sont proches de celles formulées dans l’offre marchande : pragmatisme d’une aide centrée sur la personne. L’accent ici est mis sur les spécificité et unicité du coach : les associés ont choisi un coach précis et apprécient sa personnalité. Souvent, ils ont davantage choisi une personne pour échanger avec elle, que de faire du coaching, dont certains avouent ne pas savoir ce que c’est précisément. Ainsi, quand ils expriment leurs difficultés à définir la pratique et à en saisir les frontières, notamment par rapport à la thérapie, les associés font part de la " nébuleuse " (Paul, 2002) dans laquelle le coaching s’inscrit.
28Il semble que sur le site industriel, l’ambiguïté du coaching ait cristallisé des intérêts autour de ce que cette pratique mystérieuse, possédant un crédit positif, pouvait apporter. L’analyse de l’intérêt porté au coaching permet de mettre en avant une multiplicité de niveaux de commande. A la fois explicite (améliorer le relationnel, comprendre ce qu’est le coaching, connaître les pratiques d’autres entreprises à ce sujet) et implicite (remotiver les cadres, faire preuve d’activisme, avoir une meilleure lisibilité sur les dispositifs d’accompagnement existants), chaque niveau mobilisait un type particulier d’intervenant (technicien, expert, consultant, chercheur) sur lequel sont projetées des attentes spécifiques (Guienne-Bossavit, 1994). En particulier, il ressort que l’intérêt qu’une direction manifeste pour le coaching peut, d’une part révéler ses propres besoins d’accompagnement et d’autre part détourner de sujets sur lesquels elle ne semble pas vouloir se pencher. La solution technique du coaching peut apparaître comme un moyen d’économiser une analyse plus approfondie des changements organisationnels que vit le site.
29La multiplicité des raisons qui viennent d’être soulignées soutient l’idée que le coaching peut réunir les personnes grâce à différents " agendas " dont certains resteraient cachés. Ils seraient non explicités par leurs protagonistes, voire ignorés au début ou pendant la durée du coaching.
2. IMPLICATIONS MANAGÉRIALES : LES TENSIONS DU DISPOSITIF DE COACHING
2.1. reconnaître les différents niveaux de commande
30La malléabilité du coaching, proposition principale de notre travail, comme réponse à la modification des règles du jeu organisationnel qui mobilise de plus en plus la subjectivité, conduit à mettre l’accent sur la multiplicité des intérêts qui poussent à s’intéresser au coaching. Nous proposons une grille de lecture synthétisant les intérêts portés par le coaché d’une part et par l’entreprise d’autre part. A partir de nos trois études, nous organisons ces intérêts autour de deux axes : visée du coaching (plutôt fonctionnelle ou existentielle) et nature de l’aide (liée au dispositif ou au contenu du travail avec le coach).
31Ainsi un coaché qui porte son attention sur le coaching peut le faire pour soutenir et développer son employabilité (contenu-visée fonctionnelle), ce recours sera facilité si l’entreprise met à disposition ce service qui devient alors de plus en plus naturel car banalisé dans l’entreprise. Le collaborateur profitera alors d’une offre " standardisée " (dispositif-visée fonctionnelle). Le coaching peut aussi représenter une opportunité de meilleure conscience de soi (contenu – visée existentielle) et fait partie des bénéfices personnels que l’individu peut retirer d’une pratique offerte dans un cadre professionnel. Le coaching devient alors le lieu et temps pour le développement de soi, que le collaborateur saisit, touché par l’attention particulière que lui porte alors " son " entreprise ; il l’interprètera comme le signe de la sollicitude organisationnelle (dispositif-visée existentielle).
32Ces mêmes axes peuvent être repris pour identifier les buts poursuivis par une organisation qui " offre " un coaching à ses collaborateurs. L’accompagnement que le coach fournit en matière de développement des compétences du collaborateur en lien avec son travail s’inscrit dans une optique de " développement " (contenu-visée fonctionnelle). Ce contenu offert par le coach, s’il se focalise moins sur le travail mais est élargi à une perspective plus globale intégrant des dimensions existentielles, tient lieu davantage de " ressource " (contenu-visée existentielle) pour le collaborateur qui renouvelle sa manière d’appréhender sa carrière et sa vie.
33En tant que signal d’activation du contrat psychologique, le dispositif de coaching peut permettre de " fidéliser " (dispositif-visée fonctionnelle) le collaborateur, rassuré des efforts que son entreprise réalise pour maintenir ses compétences. Si le travail avec le coach n’est pas forcément axé sur les dimensions fonctionnelles, le dispositif peut être un moyen de mettre en valeur un certain collaborateur, de le distinguer et de le récompenser. Le coaching s’inscrit alors dans un objectif de reconnaissance (dispositif-visée existentielle).
Figure 2
Figure 2
Grille de lecture des intérêts portés au coaching par le coaché et l’entreprise2.2. diagnostiquer les différents enjeux d’une demande de coaching
34Comme pour toute pratique, le recours au coaching peut s’expliquer par le fait qu’à un moment donné c’est une mode (Thévenet, 2003). L’intérêt qui lui est porté est alors davantage mimétique que stratégique. Pourtant, notre travail souligne l’importance de l’intégration stratégique du coaching à un dispositif d’accompagnement existant. Ainsi dans le cabinet de conseil, le coaching a été positionné comme complémentaire par rapport à des formations existantes. Dans le site industriel, le contrat que nous avons noué avec le site témoignait sans doute de la volonté de ne pas être influencé aveuglément par une mode, et permettait de réfléchir à sa véritable utilité. Ainsi, en nous appuyant particulièrement sur cette étude-là, nous pouvons mettre en lumière quelques questions " critiques " qui permettent d’éclairer les raisons du recours au coaching :
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Quel est le degré de communication réelle entre les personnes ciblées par le coaching et celles qui en diagnostiquent le besoin ?
Le risque est ici que les prescripteurs ne connaissent pas bien la situation concrète des collaborateurs. Enfermés dans une " tour d’ivoire ", déconnectés de la réalité, ils peuvent avoir tendance à mettre en place un accompagnement de type coaching parce que c’est une pratique à la mode, sous-traitant par la même sur le coach des responsabilités qu’elles ne veulent pas affronter. -
Quel est le degré de centralisation du pouvoir et des informations dans l’entreprise ? Est-ce que les collaborateurs disposent des moyens suffisants pour réaliser ce qui leur est demandé ?
En cas de centralisation forte, il est possible que les personnes ne disposent pas de " pouvoir sur leurs actes " (Mendel, 1993), c’est-à-dire de la capacité à agir sur leur réalité en activant des ressources organisationnelles. Dans ce cas, le recours au coaching peut signifier une interprétation uniquement individuelle voire psychologique des dysfonctionnements, alors qu’ils devraient être appréhendés de manière plus systémique, par un détour social, historique etc. -
Quel est le niveau de partage des difficultés ? Est-ce que tous les collaborateurs éprouvent les mêmes difficultés ?
Si les difficultés sont partagées, il est possible que l’organisation connaisse des dysfonctionnements et qu’une solution organisationnelle soit préférable à des " pansements individuels " qui ne feraient que colmater des brèches et les laisser ouvertes. En revanche si les difficultés sont isolées et que les causes organisationnelles sont exclues, il est possible d’envisager la possibilité de difficultés individuelles spécifiques. - Quel est le niveau de responsabilité et d’exposition des personnes ? Quel usage sera fait d’un partage collectif des difficultés individuelles ?
35Si les responsabilités sont moyennes, dans une organisation où l’esprit de compétition est modéré, il est possible d’envisager qu’un partage collectif des difficultés soit bénéfique afin d’éviter l’isolement des personnes et leur permettre de prendre conscience de la dimension partagée de leurs difficultés. En revanche, nous avons vu que dans un univers fortement compétitif, comme le cabinet de conseil, l’exposition aux autres peut représenter une menace et que la recherche d’un partenaire s’explique par (et entretient) cet environnement d’extrême compétition inter-individuelle.
Figure 3
Figure 3
Pistes d’interrogation pour un diagnostic avant la mise en place d’un coaching36Ainsi certains auteurs " critiques ", prenant certes en compte les " dangers " du coaching, ne le condamnent pas totalement quand ils envisagent des conditions d’une approche dialectique qui prendrait en compte la complexité et les conflictualités structurelles des organisations. Inscrits dans un paradigme " personnaliste " latin des organisations (Amado, Faucheux et Laurent, 1990) ou un modèle " de la gestion des contradictions " (Brabet, 1993), ils proposent un " coaching d’inspiration psychanalytique " (Arnaud, 2003; Arnaud et Guinchard, 2005), un " coaching socioanalytique " (Jaillon, 2005) ou bien encore une approche " psychosociale " du coaching (Amado, 2006). Pour ce dernier, si toute intervention de coaching doit correspondre à une demande " authentique " du coaché et non une " soumission librement consentie ", elle doit aussi être replacée dans une approche psychodynamique et systémique auprès des sources de la commande (Brunning, 2006), visant de manière préférentielle l’individuation à l’adaptation du coaché, dans le cadre d’une négociation conflictuelle démocratique. Amado (2006) envisage alors un coaching " éthique " qui pourrait être fondé sur " l’exploration prudente " des liens entre les aspirations du coaché, son analyse du contexte organisationnel confrontée à celle du coach, et les intrications et résonances entre le contexte de travail, l’identité et les désirs de la personne. Ceci implique du coach des capacités à appréhender le contexte de travail du coaché, à clarifier sa propre posture pour comprendre le système dans lequel il intervient et les jeux dans lesquels il peut se faire prendre, pour éventuellement questionner le système (2006). Ce travail d’interrogation sur le système de la demande a davantage de chances d’approcher les causes profondes de dysfonctionnement plutôt que d’en traiter chirurgicalement les symptômes. Sans cela, l’intervention risque de contribuer au surinvestissement dans les comportements (Alexandre, 2003), à la désocialisation des explications causales, témoignant d’une certaine dénégation de la complexité (Fiol et De Geuser, 2003). Le coaching comme outil prothèse, en tentant de combler les lacunes d’un système, empêcherait par là même de s’y attaquer.
2.3. LE COACHING EN TENSION
37La malléabilité du coaching traduit la multiplicité des interprétations qui peuvent être faites du recours au coaching. En conséquence, elle expose la pratique à des tensions que nous proposons de mettre en lumière ici.
38Cet accompagnement peut être le signe d’une entreprise " responsable " qui intègre la dimension humaine de la performance. Au contraire, quand cet accompagnement individuel est présenté comme une solution " miracle " aux difficultés organisationnelles, son intérêt peut traduire une prise en charge personnelle de la souffrance au travail, au travers d’une certaine " lecture " (Roger, 2007) organisationnelle psychologisante qui associe la souffrance à des vulnérabilités personnelles à travailler (Loriol, 2000) (Tension 1 – Appréhension des difficultés : psychologisation versus responsabilisation). Du côté de l’organisation, ce déplacement de prise en charge permet d’éviter une remise en cause complexe du fonctionnement organisationnel. Le coach appelé endosse un rôle d’externalisation de gestion de difficultés organisationnelles, les acteurs lui sous-traitant une partie du rôle qu’ils ne souhaitent pas jouer (Tension 2 – Rapport aux difficultés : sous-traitance versus prise en charge). Pour la personne, cette " norme d’internalité " qui accompagne les réponses sous forme de développement personnel remplit une fonction narcissique : ces accompagnements individuels s’inscrivant dans des " formations narcissiques " (Lhuilier, 2006) interpellent l’égo de chacun, flatté par cette attention qui lui est accordée. Il perçoit le coaching comme un avantage accordé aux meilleurs (Tension 3 – Perception de l’accompagnement : béquille versus tremplin). Le coaché peut alors investir narcissiquement sa relation avec son coach, l’interprétation oscillant entre don du professionnel et contrat (Tension 4 – Interprétation aide : contrat versus don). L’individu trouve un soutien pour mieux remplir les missions qui lui sont assignées et souvent présentées sous forme individuelle : ces accompagnements servent la lecture individualisante qui est faite du travail et qui fait écho à l’idéologie de la réalisation de soi ; le travail doit être le lieu de la manifestation de soi, de sa compétence, de son efficacité personnelle (Roger, 2007) traduite dans des objectifs chiffrés assignés individuellement. Pourtant on peut se demander si cet accompagnement favorisera vraiment l’individuation ou ne renforcera pas l’instrumentation de soi (Tension 5 – Position par rapport au système : conformation versus individuation). Finalement ces accompagnements peuvent contribuer à l’activisme, au refuge dans l’urgence de production plutôt que dans la réflexion, et ce dans une logique de défense contribuant au maintien des problèmes. Et pire, le coaching peut alors représenter une " arme à double tranchant " quand il n’est pas seulement une " offre de moyens " mais une prescription de résultats (Tension 6 – Pression par rapport à l’accompagnement : obligation de résultats versus offre d’aide).
39Le coaching est donc présenté comme solution car il correspond à une certaine lecture et idéologie en place aujourd’hui dans les organisations. Par contraste, les ressources collectives paraissent moins attractives et plus coûteuses (Tension 7 – Position par rapport au collectif : désancrage versus ancrage). La parole du collectif de professionnels est considérée comme peu pertinente au regard des nécessités de la situation ou de la tâche, et discréditée au profit d’une analyse renvoyant à des difficultés personnelles, à une incapacité à s’adapter aux exigences du travail (Roger, 2007). Ainsi à l’autorité du travailleur qui connaît son métier semble se substituer une autorité tirée de théories managériales qui conduisent à évincer et discréditer le professionnel. Pourtant, les ressources potentielles d’un collectif de travail semblent pouvoir apporter des supports face à l’atrophie du sens au travail et l’évaporation des organisations. Or, la mobilisation quasi exclusive des dimensions personnelle et interpersonnelle dans le métier pour faire face à la dimension impersonnelle (c’est-à-dire l’activité, organisée officiellement par des prescripteurs extérieurs) conduit à des dérèglements ; l’atrophie de la dimension transpersonnelle du métier et la carence en ressources génériques peuvent se traduire par des dérèglements dans les dimensions personnelle et interpersonnelle du métier. Ces conflits professionnels risquent alors de dégénérer en conflits entre personnes ou conflits personnels intrapsychiques sans solution (Roger, 2007).
Figure 4
Figure 4
Les tensions de l’intérêt porté au coaching implicites au dispositifCONCLUSION : LE COACHÉ : ENTRE NARCISSE ET ICARE ?
40Au travers de ce parcours dans nos organisations que le coaching, comme symptôme et symbole, a permis de réaliser, il semble que la propriété malléable de cette pratique révèle les besoins des salariés actuels, qualifiés d’" hypermodernes " (Aubert, 2004a) pour évoluer dans " les temps hypermodernes " (Lipovetsky et Charles, 2004) - éphémérité, urgence, individualisme, excellence et dépassement de soi. Les ambiguïtés du coaching seraient alors à l’image de l’individu " paradoxal " et " borderline " (Aubert, 2004b) maniant habilement la " ruse " (Plane, 2008). Ces éléments annonceraient l’avènement de la génération " Millénials " (Dudezert, Boughzala et Mounoud, 2008) de jeunes nés entre 1980 et 2000 qui développent un nouveau rapport aux organisations. Au modèle rationnel fondé sur un rapport de force se substituerait pour ces auteurs un " modèle de la passion " fondé sur un rapport de séduction, conduisant à un renversement du rapport de force au profit de ceux qui maîtrisent le savoir et les technologies.
41Le coaching s’inscrit alors dans cette " googlelisation " (Dudezert et al., 2008) des organisations, caractérisé par un nouvel investissement de l’entreprise par le salarié, recherchant un " équilibre subtil " entre réalisation personnelle et professionnelle. Convoquant le mythe de l’entreprenariat dans la joie et le jeu, ce type d’organisation parle à l’imaginaire et à l’affectif. Dans ce cadre, les salariés recherchent des outils pour maximiser leur investissement organisationnel à partir de leurs propres intérêts. Il est bien possible que le coaching, objet malléable, support à une appropriation stratégique, s’intègre tout à fait dans ce cadre convoquant un individu plus stratège qu’on ne veut bien parfois le penser.
42Ce nouveau contexte hypermoderne qui apparemment redistribue les rapports de force le fait certainement au profit de ceux qui savent se saisir des nouvelles marges de manœuvre offertes par de tels contextes, sollicitant le développement des " individus par excès " (Castel, 2004). Ce contexte est néanmoins facteur de fragilisation, apparemment pour ceux qui sont les moins bien dotés en ressources stratégiques, " les individus par défaut " (Castel, 2004). Mais il est possible que sur le long terme, les plus fragiles ne soient pas ceux qui le laissent paraître (Plane, 2008), les brûlures de l’idéal menaçant le salarié hypermoderne, à la fois Narcisse (Amado, 2004) et Icare.
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Mots-clés éditeurs : SUBJECTIVITE, PSYCHOLOGISATION, MALLEABILITE, AMBIGUITES, POUVOIR, COACHING, FRANCE
Mise en ligne 01/12/2010
https://doi.org/10.3917/vse.13.0039Notes
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27 définitions sont issues d’ouvrages sur le coaching, 13 de témoignages ou plaquettes de praticiens, 6 de la presse professionnelle, 4 de la littérature managériale, 3 de la littérature académique
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[2]
et conduisant même à interroger dans quelle mesure on est prêt à le jouer (ce qui peut conduire à quitter le jeu, donc l’entreprise).
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[3]
Tobias (1996) parle de " one-size-fits-all " menus.