Notes
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Centre Marc Bloch (Berlin) et Centre d’Analyse et de Mathématique Sociales (UMR 8557, EHESS, Paris), 190-198 avenue de France, 75244 Paris Cedex 13 ; sebastien.lerique@normalesup.org
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[1]
Sperber va en réalité plus loin que Fodor à l’époque, en défendant une modularité non seulement des processus de perception, mais aussi de la pensée (Sperber, 1996 : 119-120).
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[2]
Cette description paraît souvent évidente, car c’est ce paradigme qui domine aujourd’hui notre sens commun de l’évolution. Nous verrons dans la suite qu’il s’agit d’une simplification de la réalité qui n’est plus du tout consensuelle dans la biologie contemporaine.
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[3]
Ici et dans tout ce qui suit, les traductions de travaux en anglais sont les miennes.
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[4]
D’autres approches, comme celle de Mesoudi qui propose une évolution culturelle darwinienne et explicitement non néo-darwinienne, où la culture n’est pas atomique et sa transmission peut être lamarckienne (2011 : 40-47), séparent également une notion d’information culturelle encodée dans le cerveau, d’une réalisation de cette information sous forme comportementale, langagière, ou institutionnelle (Mesoudi, 2011 : 3).
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[5]
Sperber connaît le débat sur le contenu des représentations, qui fait l’objet de nombreux travaux en philosophie de l’esprit, et explique avoir été influencé par la position de Millikan (1984). Pour lui, « le contenu d’un concept n’est pas une propriété intrinsèque, mais plutôt une propriété relationnelle de la réalisation neurale de ce concept, et dépend de l’environnement et de l’histoire […] de cet objet neural » (Sperber, 1996 : 135, et note n° 40). Mais la théorie de Millikan, qui cherche à naturaliser une notion de contenu représentationnel, a été vue récemment comme très similaire à une position non-représentationnelle proche de Wittgenstein (1958[1953] ; Harvey, 2015 : 104-105). Si cette précision de Sperber ne fixe donc pas sa position sur le sujet, l’ensemble de sa proposition utilise le vocabulaire des représentations, qu’elles soient naturalisées ou non. Notamment, il ne discute pas la possibilité d’une approche moins centrée sur les représentations, déléguant la question au débat philosophique qui la discute encore aujourd’hui.
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[6]
Cependant Krakauer et al. (2014) semblent développer une réponse à cette ligne, en proposant de détecter des frontières organisme-environnement sur la base de considérations de théorie de l’information en mathématiques.
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[7]
De façon similaire, Croft (2013) discute les implications de la théorie des systèmes de développement pour sa théorie de l’évolution darwinienne du langage. Ici, je m’intéresserai à l’évolution des énoncés langagiers et leur signification, et non à l’évolution du langage lui-même. Les deux discussions ont néanmoins un certain nombre de points communs.
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[8]
Une recherche simple sur Twitter montre que l’énoncé apparaît en moyenne une fois par mois, et la plupart des instances sont republiées plusieurs fois.
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[9]
Notamment, elle prédit un résultat de Danescu-Niculescu-Mizil et al. (2012), selon lequel des énoncés mémorables sont souvent des énoncés adaptables à beaucoup de contextes.
1 – Introduction
1La mémétique en tant que théorie globale de la culture est une proposition qui n’est guère plus défendue. Mais son héritage n’est pas limité à l’étude des mèmes internet : la formulation de Dawkins (2006[1976]) a contribué à placer la question des parallèles entre évolution biologique et changement culturel au centre du débat actuel sur l’évolution culturelle. Le programme d’épidémiologie des représentations proposé par Dan Sperber (1996), en particulier, combine habilement un tel parallèle avec les apports des sciences cognitives classiques. D’autres propositions, comme celles de Boyd et Richerson (1985) ou Mesoudi (2011), défendent une analyse darwinienne – mais non mémétique – des changements de la culture au cours du temps (Mesoudi, 2011 : 40). Darwin lui-même avait remarqué les similarités entre évolution biologique et évolution des langues (Mesoudi, 2011 : viii ; Darwin, 1981[1871] : 59-61), une voie qui est aujourd’hui développée par Croft (2013).
2Plus largement, la discussion des parallèles et des différences entre évolution biologique et évolution culturelle traverse l’ensemble des recherches qui articulent les sciences sociales avec la biologie et la psychologie au sens large, incluant les sciences cognitives. L’épidémiologie des représentations et la synthèse évolutionnaire proposée par Mesoudi (2011), en particulier, défendent toutes deux une intégration des sciences sociales et des sciences naturelles par une forme de théorie darwinienne étendue, dont la mémétique serait une version simpliste.
3Cette orientation est partagée par bon nombre de travaux en sciences cognitives (voir par exemple les commentaires par les pairs dans Mesoudi, Whiten et Laland, 2006) et par certains chercheurs en sciences sociales (par exemple Slingerland, 2008). Elle est en revanche critiquée par un courant de refondation de l’anthropologie sociale bien représenté par Ingold et Palsson (2013), qui propose une autre articulation des sciences sociales et des sciences naturelles, en partie basée sur la théorie des systèmes de développement en biologie (Oyama, Griffiths et Gray, 2001). Je voudrais montrer en quoi cette discussion, et la position portée par la mémétique et l’épidémiologie des représentations, sont pertinentes au moment d’utiliser ces théories en linguistique.
4Après un bref rappel de la théorie mémétique, j’introduis les principes de l’épidémiologie des représentations : celle-ci développe une ontologie proposant d’unifier les sciences sociales et les sciences cognitives dans un même cadre naturaliste. Ce programme, bien plus complet que celui de la mémétique dont Sperber critique les simplifications, connaît actuellement un succès croissant dans plusieurs disciplines. J’examine ensuite en détail la façon dont Tim Ingold, critique majeur des approches considérant évolution biologique et changement culturel comme deux processus parallèles, discute la proposition d’évolution culturelle de ces théories depuis l’anthropologie sociale et la théorie des systèmes de développement.
5À première vue, ce débat semble focalisé sur le changement culturel à long terme. Mais les objections d’Ingold rejoignent le courant anti-représentationnaliste en philosophie de l’esprit, et éclairent la position portée par la mémétique et l’épidémiologie des représentations pour la problématique du sens en linguistique. Pour s’en convaincre, je montre comment la critique d’Ingold prédit l’apparition du problème du sens dans une étude d’évolution rapide de courtes phrases appliquant empiriquement le programme d’épidémiologie des représentations.
6Une autre approche du langage, développée par Cuffari, Di Paolo et De Jaegher (2015) et fondée sur le courant énactif des sciences cognitives, propose une naturalisation du sens linguistique alternative à celle des sciences cognitives classiques sur laquelle repose l’épidémiologie des représentations. Je présente le cadre qu’elle offre pour analyser le sens comme émanant d’une dynamique d’interaction, et suggère que cette réponse à certaines critiques d’Ingold pourrait aider à formaliser la compréhension sémantique des phénomènes de diffusion de représentations langagières.
2 – Les modèles mémétique et épidémiologique discutés
7Dawkins (2006[1976]), qui défend une conception de l’évolution biologique centrée sur les gènes comme unité principale de sélection, introduit vers la fin de son livre le concept de mème afin d’analyser ce qu’il considère comme une particularité de l’espèce humaine : la culture. Il propose d’étudier les changements de la culture humaine dans le même cadre que l’évolution biologique centrée sur les gènes : en regardant la culture comme une population de réplicateurs, les mèmes, portés et transmis par les humains de façon analogue aux gènes.
8Il n’est pas le premier à remarquer des similarités entre changement culturel et évolution biologique : Mesoudi (2011 : viii) mentionne que Darwin (1981[1871] : 59-61) l’avait noté pour l’évolution des langues, et Ingold (2001) rappelle que Kroeber (1952) faisait également une analogie entre « traits culturels » et espèce biologique. Le concept de Dawkins, qui n’avait pas vocation à soutenir une théorie complète au vu de la place qu’il occupe dans le livre, a été largement repris puis critiqué (voir par exemple Aunger, 2000). Mais tout en se distanciant de la mémétique, plusieurs auteurs reprennent et développent l’analogie de fond entre changement culturel et évolution biologique.
9Mon but dans cette première partie de l’article est donc d’identifier les frontières et les positionnements dont on hérite en utilisant une approche du type mémétique ou épidémiologique en linguistique. Il s’agira ensuite de montrer comment ces prises de positions se manifestent par des problèmes expérimentaux concrets, puis de proposer une alternative plus à même de résoudre ces questions. Commençons par détailler les critiques qu’Ingold fait à l’épidémiologie des représentations ; celles-ci s’appliquent également à la mémétique.
2.1 – L’épidémiologie des représentations
10Dans le milieu des années 1990, Dan Sperber propose une nouvelle synthèse entre sciences sociales et psychologie, inspirée par les développements contemporains des sciences cognitives (Sperber, 1996). Il conçoit la culture comme un ensemble de représentations, et discute la façon dont elles évoluent parallèlement à l’évolution biologique. Mais à l’opposé de la mémétique, les représentations subissent des mutations de façon quasi systématique lorsqu’elles sont perçues ou produites par les membres d’une société. En effet une représentation peut être mentale, lorsqu’elle existe dans l’esprit de quelqu’un, ou publique, lorsqu’une personne l’a produite sous une forme physiquement perceptible par d’autres. Par exemple : j’ai une mélodie en tête (représentation mentale), que je siffle (nouvelle représentation publique) ; une autre personne la perçoit et forme une représentation mentale qui lui est propre. La nouvelle représentation mentale dans l’esprit de cette personne est dans la plupart des cas sensiblement différente de la mienne (Sperber, 1996 : 25-26).
11La notion de représentation mentale que Sperber utilise est celle des sciences cognitives classiques, sur lesquelles il fonde sa théorie. Le système cognitif est vu comme un ensemble de modules de traitement de l’information indépendants (introduits par Fodor, 1983) [1], et seule une partie de ces modules est activée lors de la perception d’une représentation. Ces modules ont évolué par sélection naturelle il y a plusieurs centaines de milliers d’années, et le décalage entre les situations pour lesquelles les modules ont évolué et les représentations qu’ils traitent aujourd’hui est un des nombreux éléments permettant de comprendre la pertinence, et donc la diffusion, de représentations dans un contexte écologique donné (Sperber, 1996 : 138-140). Sperber combine donc l’idée d’une modularité de l’esprit et de la pensée à la description de la culture à partir de parties perçues et produites de façon continue.
12Certaines représentations semblent être partagées par tous les membres d’une société, à quelques variations près, sans subir de grandes transformations ; par exemple des façons de s’habiller, des pratiques alimentaires, ou des savoirs technologiques. Pour rendre compte de la stabilité de telles représentations, constitutives d’une culture donnée, malgré les transformations permanentes auxquelles elles devraient être soumises, Sperber propose que l’interaction des facteurs psychologiques et écologiques donne lieu à des « attracteurs culturels » : des agrégats de représentations dont la distribution est stable dans le temps, et qui attirent les représentations voisines. Des représentations proches de cet agrégat auront tendance à s’en rapprocher lorsqu’elles sont transformées. L’étude de l’existence de ces attracteurs ainsi que leur caractérisation permet alors de rendre compte de l’évolution d’une culture, ce qui en fait un des sujets d’étude principaux de l’épidémiologie des représentations (Sperber, 1996 : 106-118). Dans ce courant, Morin (2013) a étudié l’évolution de portraits peints au cours des siècles, en proposant d’expliquer l’augmentation de la proportion de visages peints avec un regard direct, plutôt qu’oblique, par un biais de perception du visage humain. De façon similaire, Miton, Claidière et Mercier (2015) étudient l’évolution de la pratique médicinale de la saignée, et proposent d’expliquer la persistance de cette pratique à travers les cultures par une prédisposition perceptuelle qui la favoriserait. Les travaux de Moussaïd, Brighton et Gaissmaier (2015), sur l’amplification de la perception du risque dans des chaînes de discussion, sont un autre exemple d’étude d’une évolution culturelle à plus court terme (bien qu’ils ne se réclament pas explicitement du courant épidémiologique).
13Comme tout modèle théorique, cette proposition permet de rendre certains phénomènes plus intelligibles au prix de certaines approximations. Ce sont les fondements permettant certaines de ces approximations, présents également dans la mémétique, que je voudrais ici discuter.
2.2 – Fondements discutés
14Dans une série d’articles publiés à partir de la fin des années 1990 (Ingold, 1998 ; 2001 ; 2004 ; 2007), Tim Ingold identifie les fondamentaux qui sous-tendent les modèles mémétique et épidémiologique de la culture et développe une critique qui souligne certaines limites des programmes de recherche articulant les sciences sociales et les sciences naturelles par des synthèses darwiniennes ou néo-darwiniennes. L’alternative qu’il propose s’appuie sur le changement de paradigme initié au tournant du siècle en sciences cognitives qui, en permettant une plus profonde intégration entre les sciences cognitives et les sciences sociales, laisse entrevoir la résolution de certaines des dichotomies qui divisent ces deux approches de l’humain. Je voudrais ici rapporter les points principaux de cette discussion pour montrer sa similarité avec des problématiques connues en linguistique.
15D’après Ingold, l’approche épidémiologique de Sperber participe à une description de la réalité en trois grandes strates : la strate biologique, qui sert de substrat à la deuxième strate, cognitive, qui elle-même sert de substrat à la troisième strate, culturelle. Chacune des strates est une couche conceptuelle de la réalité considérée comme fondamentalement différente des autres : le niveau biologique est décrit par la synthèse néo-darwinienne de l’évolution centrée sur les gènes, et étudie le corps. Le niveau cognitif est décrit par les sciences cognitives classiques, qui étudient l’esprit sans nécessairement se préoccuper de sa manifestation biologique. À son tour le niveau culturel est décrit par l’épidémiologie des représentations proposée par Sperber, étudiant la culture comme une distribution de représentations. Le biologique et le cognitif définissent, pour la strate culturelle, la façon dont les représentations évoluent (en particulier au travers des biais de perception), mais la connaissance de la culture n’est pas indispensable à l’étude de l’esprit ou du corps.
16À chaque strate correspond donc son propre objet, implémenté par les strates inférieures mais conceptuellement indépendant de celles-ci. Ingold appelle cet assemblage la thèse de la complémentarité en référence à la façon dont le corps, l’esprit, et la culture y décrivent des objets à la fois séparés, et complémentaires, de la réalité (Ingold, 1998). Les critiques qu’il y oppose peuvent alors être regroupées en trois points essentiels : (1) chacune des trois strates de la thèse de la complémentarité fonctionne sur un dualisme séparant substance et forme. (2) Sans ces séparations entre substance et forme, il n’est pas possible de distinguer conceptuellement les trois strates : elles se manifestent concrètement de façon inextricable dans un seul et même objet, l’organisme. Si un découpage conceptuel est nécessaire, il n’est pas clair que le découpage entre biologie, cognition, et culture soit le meilleur. (3) La notion d’organisme est elle-même problématique.
2.2.1 – Strate biologique
17La synthèse néo-darwinienne entend expliquer l’évolution en considérant les gènes comme unique cible de la sélection naturelle. En effet, pour cette approche les gènes sont le seul matériau transmis héréditairement de génération en génération. Les organismes individuels se développent selon la spécification univoque fournie par l’ensemble de leurs gènes ; et bien que ce développement se fasse en interaction avec l’environnement, les variations de développement ou les mutations génétiques qui peuvent survenir au cours de la vie d’un organisme sont circonscrites aux cellules somatiques et ne passent pas aux cellules germinales. Par conséquent, ces variations ne sont pas transmises aux générations ultérieures (c’est le principe de la barrière de Weismann) : elles n’influencent donc pas l’évolution de l’espèce elle-même au-delà de la variation du nombre de descendants d’un individu, quantité qui est ensuite moyennée sur la population d’individus (Fisher et Bennett, 1999[1930]). Ainsi, connaître l’évolution de la spécification génétique revient à décrire l’essentiel de l’évolution biologique, ce qui, logiquement, fait des gènes le principal objet d’étude pertinent [2].
18C’est au niveau des gènes que prend place l’évolution des modules cognitifs des sciences cognitives ; et c’est l’isolement entre développement d’un organisme individuel, d’un côté, et évolution de l’espèce au niveau des gènes, de l’autre, qui permet à différents auteurs de proposer une évolution culturelle parallèle à l’évolution biologique, sans grande incidence de la première sur la deuxième.
19La critique d’Ingold consiste à rappeler deux points. Le premier : les gènes ne spécifient pas un organisme de façon univoque, loin s’en faut. Si le matériel génétique est une partie indispensable du processus de synthèse des protéines et du développement d’un organisme, c’est en vertu de la façon dont ce matériau est utilisé par la machinerie cellulaire dont il fait partie. La notion de gène est elle-même bien plus complexe qu’elle ne le paraissait au début du XXe siècle, et devient de plus en plus difficile à définir au vu des avancées de la biologie moléculaire (Neumann-Held, 2001). Ingold argumente ainsi, s’appuyant sur Oyama, Griffiths et Gray (2001), qu’au lieu de considérer que la cellule sait lire une information codée par les gènes pour synthétiser des protéines, il est plus correct de considérer que l’ADN est un matériau participant aux interactions entre tous les éléments d’une cellule pour la synthèse des protéines, sans toujours coder de spécification univoque. Cette observation est d’ailleurs au fondement de la biologie évolutive du développement, ou « évo-dévo », qui a montré que des processus développementaux différents peuvent produire des organismes différents à partir des mêmes gènes régulés différemment (West-Eberhard, 2003) : si la régulation des gènes ou l’environnement de développement changent, deux organismes ayant le même ADN peuvent être sensiblement différents à l’âge adulte. En un mot, la distinction entre gène et développement, c’est-à-dire entre inné et acquis, ou encore entre spécification génotypique et réalisation phénotypique, est un modèle qui déforme la réalité et n’est plus fécond (Lewontin, 2001a ; 2001b). Notamment, la description du matériel génétique ne suffit pas à rendre compte de l’évolution, puisqu’elle ne suffit même pas à définir un seul organisme.
20Le deuxième point rappelé par Ingold est qu’un organisme hérite bien plus que les seuls gènes de ses parents : comme Jablonka (2001) l’explique, un organisme hérite également d’états d’activation génétique de ses cellules, de structures cellulaires, de marquages par chromatine tels que les motifs de méthylation de l’ADN, de populations bactériennes fonctionnant en symbiose avec l’organisme, de niches environnementales construites par les générations précédentes, et de préférences alimentaires et autres types de comportements participant au développement et indispensables à la survie de l’organisme. Non seulement les gènes sont donc insuffisants pour décrire le développement et l’évolution biologique, mais encore n’est-il pas du tout clair qu’ils puissent être isolés des nombreux autres éléments dont un organisme hérite, certains d’entre eux ressemblant plus à ce qu’on appelle la culture qu’à la biologie (Pigliucci, 2007).
2.2.2 – Strate cognitive
21La séparation entre spécification biologique et développement se retrouve en sciences cognitives classiques et en psychologie évolutionniste, et est particulièrement visible dans le débat autour du niveau de modularité de l’esprit. D’après ces approches, les modules cognitifs définissent l’architecture d’un esprit vierge d’éducation et d’expériences, et sont le substrat sur lequel prend place l’apprentissage de capacités telles que la marche ou le langage. Ils sont le fruit de l’évolution de l’espèce humaine, et sont donc transmis de façon héréditaire dans le matériel génétique de l’espèce. Nos gènes encodent donc des instincts d’apprentissage qui agissent lors du développement (Tooby et Cosmides, 1992) pour rendre naturel l’apprentissage d’une capacité (la notion d’instinct d’apprentissage, plutôt qu’une innéité directe des capacités, permet de rendre partiellement compte de la diversité des façons dont chaque individu se développe).
22Pour Ingold (2001), cette vision reprend le dualisme biologique entre spécification et développement : on trouve d’un côté les instincts d’apprentissage, c’est-à-dire une spécification préalable au développement et encodée dans les gènes, et de l’autre le processus d’apprentissage culturel, c’est-à-dire le développement individuel concret, variable en fonction du contexte environnant. Par exemple dans le cas du langage : le dispositif d’acquisition du langage encodé en tant que module dans le matériel génétique serait mis en place et prêt à apprendre dès la naissance, et grâce à lui le bébé apprendrait la langue de son environnement (Tooby et Cosmides, 1992).
23Comme au niveau biologique, la critique d’Ingold ne porte pas sur l’existence d’un rôle génétique dans le développement des capacités cognitives humaines, mais sur l’exclusivité de ce rôle. Il est tout à fait entendu qu’un chat, tel que nous connaissons l’espèce aujourd’hui, ne pourra pas apprendre à parler comme un humain au cours de sa vie (de la même façon qu’un humain ne pourra pas apprendre à communiquer avec les chats comme ils le font entre eux). Mais cela ne veut pas dire pour autant que les humains portent en eux les gènes d’un dispositif d’acquisition du langage qui rendrait compte de l’ensemble des capacités langagières de l’humain. La seule conclusion qu’on peut en tirer est que le processus de développement tout entier (gènes, cellules, organisme, environnement et interactions langagiers) permet le développement du langage (Ingold, 1998). Les parties 2.3 et 3.2 reviennent plus en détail sur ce dernier point.
2.2.3 – Strate culturelle
24Le modèle mémétique de la culture est une transposition directe du modèle néo-darwinien de l’évolution biologique, modélisant la culture par un assemblage de mèmes transmis de personne en personne (ce sont les « nouveaux réplicateurs », Dawkins, 2006[1976] : 192). Le modèle d’épidémiologie des représentations décrit par Sperber (1996 : 77-97), en revanche, propose réellement un pont ontologique entre sciences sociales et sciences cognitives : il part des différentes conceptions de représentation publique venant des sciences sociales (par exemple une image, un discours, ou une idéologie), et se propose d’en rendre compte à l’aide de la notion de représentation mentale des sciences cognitives. Il propose ainsi de naturaliser les sciences sociales en reconceptualisant la culture comme un assemblage de représentations circulant dans la société, une représentation étant alternativement publique, puis mentale lorsqu’elle est interprétée par une personne, puis publique lorsqu’elle est exprimée à nouveau. Ce modèle insiste notamment sur les contraintes que la psychologie humaine impose sur la transmission des représentations : la plupart du temps, le système cognitif transforme sensiblement une représentation à chaque fois qu’elle est perçue ou produite. Ainsi, Sperber se distancie à la fois d’une idée du type « table rase » qui considérerait que la psychologie n’a pas d’incidence sur la culture (Sperber, 1996 : 63-66), et d’une approche biologisante de la culture appliquant directement le modèle néo-darwinien (Sperber, 1996 : 101). Il note également que les représentations qu’une personne intègre auront vraisemblablement un effet sur la façon dont les représentations ultérieures sont interprétées (Sperber, 1996 : 84). Les interactions qu’il décrit entre culture et psychologie sont donc bien plus complexes que celles qui sont reconnues par la mémétique.
25Cependant, les deux modèles ont en commun une certaine conception de ce qu’est la culture : un ensemble d’objets dotés de « contenu culturel », tels les mèmes ou les représentations, que les êtres humains acquièrent, transforment et transmettent, et qui évolue parallèlement et en interaction avec la biologie. On parle alors de coévolution gène-culture (Sperber, 1996 : 114). Ingold (2001) considère que cette conception est erronée. Il défend, d’un côté, que la transmission de tels objets culturels implique bien plus que Sperber et Dawkins ne l’entendent, et de l’autre, que la culture est décrite par des façons de percevoir et d’agir, c’est-à-dire par une éducation de l’attention, plutôt que par un assemblage de représentations ou de mèmes.
26Pour clarifier sa critique, Ingold reprend l’exemple de la transmission d’une recette de cuisine discuté par Sperber (1996 : 61) : une recette (par exemple chez Sperber, la sauce Mornay) est une représentation qu’on peut trouver sous forme publique dans un livre de recettes. Une personne devrait donc pouvoir lire cette recette et s’en faire une représentation mentale, « dont il peut se souvenir, qu’il peut oublier, ou transformer, ou qu’il peut aussi suivre – c’est-à-dire en faire un comportement physique » [3] (Sperber, 1996 : 61). Pour Sperber donc, cette recette de cuisine est un morceau de culture. Pour Ingold au contraire, la culture d’un cuisinier n’est pas la mémoire de la recette apprise par cœur. En effet il ne suffit pas de savoir lire la recette de la sauce Mornay et d’en retenir les mots pour la réaliser : il faut pouvoir la mettre en pratique, c’est-à-dire attribuer un sens à chacune de ses instructions. Or savoir interpréter une instruction telle que « faire fondre le beurre et y incorporer la farine » relève d’un savoir pratique de la cuisine, au sens de Bourdieu (1980) : il faut avoir pratiqué et appris par le corps, en général aidé d’un instructeur, de nombreuses actions en cuisine. Il faut avoir appris, par essais et erreurs répétés, à reconnaître quand le beurre va brûler, ou à identifier la quantité de farine à ajouter au bon moment ; il faut une pratique des mouvements pour incorporer cette dernière au beurre. Pour Ingold, la culture d’un cuisinier est le savoir pratique de toutes ces tâches et de leur mise en pratique dynamique, c’est-à-dire ce qui permet de donner un sens aux instructions d’une recette (Ingold, 2001).
27Ingold explique ce dernier point à l’aide d’une analogie entre la réalisation d’une recette de cuisine et une randonnée en campagne : les indications de la recette sont comme les indications peintes au sol sur le chemin de randonnée, et le savoir pratique du cuisinier est le chemin lui-même. Chaque indication au sol (instruction de la recette) est stratégiquement placée à un endroit où le chemin n’est pas clair. Mais grâce au chemin (le savoir pratique), il est facile d’avancer jusqu’à l’indication suivante, même si le tracé est sinueux, tant qu’il n’y a pas d’ambiguïté. Effacez le chemin (un cuisinier sans savoir pratique), et les indications n’ont plus aucun sens. C’est donc par l’existence du chemin que la signalisation peut indiquer la route à prendre. La signalisation ne porte aucune information en elle-même : elle est un outil pour la combinaison de savoirs pratiques.
28Ingold décrit donc la cuisine comme une navigation dans un paysage de tâches apprises au travers de nos interactions et de nos pratiques, et défend l’idée selon laquelle l’héritage culturel que les générations précédentes lèguent aux générations suivantes est une éducation de l’attention, bien plus qu’un ensemble de représentations : savoir naviguer et s’orienter dans le paysage de tâches consiste à savoir regarder au bon endroit au bon moment. Savoir faire une sauce Mornay n’est pas avoir la connaissance du texte de la recette mais bien avoir le savoir pratique qui permet de discerner à quel moment ajouter chaque ingrédient, savoir réagir si la sauce est en train de brûler, savoir couper le fromage en dés de la bonne taille en fonction de sa dureté. La recette n’est donc pas un morceau de culture transmissible à souhait, elle est plutôt un matériau utilisé dans un cycle d’héritage plus large. Si tel est le cas, la culture n’est pas un niveau parallèle au biologique et au cognitif, elle est plutôt corporisée et inextricable du corps et de son développement (Ingold, 2001 ; 2004).
2.3 – Trois degrés de critique
29La réflexion d’Ingold rapportée ci-dessus recouvre trois degrés de critique.
30Le premier est une critique du dualisme consistant à séparer un contenu abstrait de ses réalisations concrètes : pour Ingold, la partie abstraite ne peut pas contenir d’information, car ce contenu informationnel est un produit de la réalisation concrète elle-même, pas une donnée préalable. Ce dualisme trouverait sa source dans l’approche de l’évolution biologique centrée sur les gènes, mais serait également présent dans les approches de l’évolution culturelle centrées sur les contenus culturels, mèmes ou représentations, qu’ils se réclament du darwinisme ou non [4].
31Cette critique revient à remarquer que Sperber et Dawkins adoptent la conception orthodoxe des sciences cognitives, selon laquelle la cognition est essentiellement un traitement de l’information opéré par le cerveau, agissant sur et utilisant des représentations dotées de contenu informationnel. Ingold s’appuie ainsi sur le « tournant E » en sciences cognitives (pour cognition énactive, « embodied » (corporisée), « embedded » (située), et étendue) qui critique la notion de représentation pour ce que Thompson (2007) appelle un « dualisme informationnel », c’est-à-dire la dichotomie créée entre un monde de significations mentales et un monde d’actions physiques, et la difficulté à rendre compte de façon naturaliste du contenu d’une représentation mentale (voir par exemple O’Regan et Noë, 2001 ; Hutto et Myin, 2013). La conception orthodoxe réifierait les représentations pour les séparer conceptuellement de leurs manifestations concrètes dans des interactions, permettant ainsi de penser l’évolution culturelle comme des ensembles de représentations évoluant parallèlement à l’évolution biologique [5].
32Le deuxième degré de critique d’Ingold conteste directement la séparation entre biologique et culturel. D’après Ingold, on ne peut comprendre cette séparation que si on accepte les dichotomies gènes-développement et représentation-comportement : les gènes définiraient un corps biologique (à des fluctuations près), qui adopterait ensuite des comportements culturels spécifiés par les représentations. Mais en refusant ces séparations :
« La pensée [de la théorie des systèmes de développement] nous permet de reconnaître que nous n’avons pas affaire à des systèmes séparés mais parallèles, respectivement biologique et culturel, mais plutôt que le processus biologique du développement […] est précisément le processus par lequel le savoir et les compétences culturels sont inculqués et corporisés ».
34Ingold s’appuie alors sur les travaux de Mauss (1936) sur le développement des techniques du corps comme la marche, l’écologie de l’esprit de Bateson (1972), l’approche écologique de la vision de Gibson (2014[1979]), et le sens pratique de Bourdieu (1980), pour argumenter que la culture est, d’après lui, une chose essentiellement biologique.
35Enfin le troisième degré de critique, sur lequel je ne m’attarderai pas ici, s’attaque à la notion d’organisme elle-même. La théorie des systèmes de développement propose de prendre comme unité d’étude biologique le cycle de développement entier d’un organisme dans un environnement qu’il contribue à façonner, en symbiose avec de nombreux autres organismes qu’il contient même parfois (par exemple les populations bactériennes du tube digestif), sans plus séparer l’« intérieur » de l’« extérieur » (Lewontin, 2001a ; 2001b). À bien des égards, le « tournant E » en sciences cognitives propose la même chose pour la cognition : considérer que celle-ci est une forme d’interaction avec l’environnement, et ne plus considérer que seul le cerveau fait de la cognition (voir la partie 2.2). Ingold propose d’étendre les conclusions de ces approches à la théorie de l’évolution, qui pour l’instant est essentiellement basée sur la notion d’organisme. À notre connaissance cette proposition n’a pour l’instant pas été formalisée [6].
36Il faut voir que, même en ne gardant que le premier degré de sa critique, Ingold cherche à éviter toute notion de contenu et de contenant au fondement d’une ontologie liant le biologique, le cognitif et le social. À la manière du courant anti-représentationnaliste en philosophie de l’esprit, il propose d’avancer sans utiliser la notion de représentation, en mettant les relations entre organismes et avec l’environnement au centre de toute théorie alternative.
3 – Application à la linguistique
37La discussion qui précède semble relever d’une évolution culturelle au long cours. Mais tant la mémétique que l’épidémiologie des représentations visent à fournir un cadre pour les phénomènes culturels à toutes les échelles temporelles, incluant les échanges langagiers. L’application de cette discussion à la linguistique nous met face à des questions bien connues : le clivage entre représentation mentale et représentation publique fait écho à la séparation entre sémantique d’un côté et pragmatique de l’autre, entre langue et parole chez Saussure, langue et discours chez Guillaume, ou encore compétence et performance chez Chomsky. En effet, ces dualismes semblent être des cas d’application du dualisme informationnel discuté ci-dessus : puisque le langage est aussi un véhicule pour représentations mentales et culturelles, la notion de signification linguistique peut être vue comme l’application de la notion de contenu d’une représentation mentale, et la notion de mise en pratique du langage (par exemple la parole) comme l’application de la notion de représentation publique. Cependant, une complication apparaît dans l’application de cette discussion à la linguistique : il semble difficile de nier l’aspect représentationnel du langage, qui est justement une des propriétés centrales qu’il s’agit d’expliquer. Pour autant, il est tout aussi difficile de refuser la critique d’Ingold sans adopter un dualisme informationnel.
38Mon objectif dans cette deuxième partie est de montrer, d’une part, que malgré la contradiction qu’elle soulève, la discussion de la partie précédente est pertinente pour l’utilisation de la mémétique ou de l’épidémiologie des représentations en linguistique [7], d’autre part qu’une proposition alternative, fondée sur les sciences cognitives énactives, est en train d’ouvrir une voie potentielle pour résoudre cette contradiction.
3.1 – L’expérience face à ses présupposés
39Dans le cadre de ma thèse sur l’épidémiologie des représentations, j’étudie quantitativement la transformation de courtes citations lorsqu’elles sont propagées sur internet de blog en blog et dans des situations d’expérimentation plus contrôlées. Les billets de blogs (de la blogosphère anglophone dans le cas présent) incluent en effet de nombreuses citations reproduites sous forme de discours direct (Leskovec, Backstrom et Kleinberg, 2009), reproductions qui sont régulièrement transformées par rapport à l’original au-delà du simple rognage (Simmons, Adamic et Adar, 2011) : un mot disparaît, une contraction apparaît, une expression est légèrement déformée (pour une typologie complète des transformations qu’on rencontre, voir Lauf, Valette et Khouas, 2013). Ces courtes citations sont donc un exemple de représentation publique ou de mème qui est – malgré la règle implicite de non-modification d’un discours rapporté – régulièrement transformé au cours de sa propagation sur internet par ce qui semble être des biais cognitifs : un cas d’étude empirique idéal pour l’épidémiologie des représentations. Sur un corpus important rendant l’analyse quantitative possible (Leskovec, Backstrom et Kleinberg, 2009), on peut distinguer différents types de transformations, et poser les questions de leur origine dans des biais cognitifs et de l’effet de leur accumulation à long terme dans des processus de diffusion. L’objectif de ces travaux est de contribuer à l’étude empirique de l’évolution de contenus linguistiques à court terme, et plus particulièrement à l’évaluation de la notion d’attracteur culturel. On cherche donc à créer des hypothèses falsifiables sur l’évolution de courts énoncés interprétés puis produits à nouveau dans des chaînes de transmission : les énoncés convergent-ils vers des attracteurs, sur certaines dimensions du moins, au fur et à mesure de leur propagation ? Si oui, on cherche à savoir à quoi sont dus ces attracteurs ; sinon, on tente de caractériser l’évolution observée à la place.
40Mais le problème du sens, à la fois sémantique et pragmatique comme l’explique la discussion de la première partie, est bien une réalité au moment d’étudier la façon dont ces représentations langagières sont transformées. Afin de rendre la mémétique et l’épidémiologie des représentations falsifiables dans leur application à la linguistique, sur quels types de transformations devrait-on se concentrer : un mot ou un constituant remplacé par un synonyme ? Une redondance supprimée ? Des manipulations syntaxiques plus complexes ? La théorie de Sperber s’attache plus particulièrement à l’évolution des concepts et des idées qui forment une culture. Plutôt que les mots ou la syntaxe, le niveau d’analyse le plus fidèle à la théorie serait donc la représentation mentale des usagers eux-mêmes, c’est-à-dire le sens que les usagers attribuent à un énoncé, qui échappe notoirement aux tentatives de formalisation. Mais même au-delà des développements informatiques pour formaliser la notion de représentation (voir par exemple Le et Mikolov, 2014), l’aspect contextuel et énactif de certaines représentations devient évident au moment de trancher cette question pour définir une hypothèse : dans de nombreux cas, ce que les interlocuteurs comprennent d’un énoncé est une construction émanant non seulement de la situation concrète du lecteur mais aussi de la dynamique de sa relation au texte lu. Prenons l’exemple du tweet suivant :
41Cet énoncé paraît neutre a priori, et est suffisamment classique et consensuel pour être marqué comme favori, repris et publié à nouveau régulièrement [8]. Mais comme le montre la conversation qui suit, on ne peut pas connaître le sens de l’échange. Une réponse au message initial est d’abord faite sur le ton de l’humour :
42Puis deux échanges plus tard la conversation se termine :
43Même après cinq répliques, on ne sait toujours pas s’il s’agit de sexisme et de rejet ou d’une plaisanterie sans conséquence, deux représentations pourtant opposées si on les utilise pour caractériser une culture. Sans plus d’informations sur la relation entre les interlocuteurs, leurs interactions, ou leur histoire commune, cette conversation pourtant publique ne nous permet pas de savoir ce qui a été échangé sur le fond, ni même ce que signifie le message initial pour l’un ou l’autre des participants.
44Revenons alors à la question d’origine : les transformations de telles représentations publiques, ou mèmes, et leur évolution au cours de leur diffusion. En appliquant la discussion de la première partie à l’exemple ci-dessus, on comprend qu’un projet visant à étudier les transformations du contenu de représentations langagières ne peut avoir accès, dans beaucoup de cas, qu’à des artefacts faisant partie d’un processus de création de sens plus large. Pour attribuer un sens à un énoncé, c’est-à-dire précisément un contenu aux représentations étudiées, il semble souvent indispensable d’avoir un accès à la situation dynamique concrète dans laquelle les énoncés sont interprétés (sans parler de l’appareillage pratique et théorique pour analyser cette situation), ou de créer des situations expérimentales suffisamment englobantes pour contrôler une grande partie de la dynamique interprétative. Cela pourrait être envisageable, par exemple, dans un jeu vidéo, où les participants seraient suffisamment immergés dans un univers contrôlé par l’expérimentateur pour que le sens créé dans toute interaction soit unique. Dans ce cas, on pourrait imaginer étudier quelles dynamiques d’interaction produisent un sens plutôt qu’un autre. Mais alors un élément central des modèles mémétique et épidémiologique, qui consiste à regarder les représentations comme portant du contenu existant au moins partiellement en dehors des situations dynamiques dans lesquelles elles apparaissent, est perdu.
45Un projet d’étude empirique des représentations langagières, dans le cadre proposé par l’épidémiologie des représentations, est donc souvent contraint d’analyser la forme des représentations sans avoir accès à leur contenu. C’est ce que font par exemple Adamic et al. (2016) en étudiant les propriétés statistiques de la propagation et des transformations de surface de mèmes publiés et repris sur Facebook. Je développe cet angle d’étude dans ma thèse, en m’intéressant aux niveaux lexical (évolution des variables correspondant à chaque mot, comme par exemple la fréquence d’utilisation, l’âge moyen d’acquisition, ou le temps nécessaire à la reconnaissance d’un mot, et influence de ces variables sur la probabilité d’être transformé), grammatical (relation entre type de structure et degré de transformation), et informationnel (perte de composantes dans les phrases lors de la propagation). L’analyse du sens créé par les interactions impliquant ces représentations, en revanche, n’est souvent pas possible pour une telle approche aveugle aux situations d’interaction et à leur dynamique.
46L’étude empirique de l’épidémiologie des représentations semble refléter ce problème : à ce jour, les principaux résultats portent sur des mesures non sémantiques telles que la transmissibilité (par exemple par Claidière et al., 2014, qui étudient les transformations de motifs visuels abstraits chez les grands singes) ou la mémorabilité (Danescu-Niculescu-Mizil et al., 2012), ou impliquent une importante composante interprétative prenant la dynamique d’interaction en compte (Moussaïd, Brighton et Gaissmaier, 2015). On pourrait se tourner ici vers la théorie de la pertinence des représentations langagières développée par Sperber et Wilson (1995[1986]), reliant l’interprétation d’un énoncé aux nouvelles inférences pertinentes que celui-ci permet de faire dans une situation donnée. Cette théorie permet en effet de comprendre de nombreux phénomènes du sens pragmatique [9], et Sperber l’exploite dans l’analyse du contexte dans l’épidémiologie des représentations. Elle est cependant basée sur le même dualisme entre contenants et contenus sémantiques discuté ci-dessus, ne prend pas en compte la dynamique des interactions, et n’est à notre connaissance pas utilisée aujourd’hui dans les applications empiriques de l’épidémiologie des représentations.
47Cette théorie reste donc difficile à appliquer dans le cas linguistique : le problème du sens des représentations pousse à analyser la dynamique d’interaction le plus complètement possible, en perdant une des forces de la théorie, à savoir la généralité de la notion de représentation dont le contenu ne devrait dépendre qu’en partie des situations d’interaction. Cependant une autre naturalisation du sens en linguistique, basée sur les dynamiques d’interaction, est en train d’être développée dans la tradition énactive des sciences cognitives. Bien qu’elle soit pour l’instant moins formalisée que l’approche adoptée par Sperber, elle pourrait jouer un rôle important dans une théorie alternative liant biologique, cognitif, et social.
3.2 – Penser la dynamique du sens
48Que ce soit par la pragmatique, les notions de situation de communication et de situation de locution, le genre ou la scénographie (Maingueneau, 2004), l’analyse des différentes composantes du contexte et la façon dont elles participent à la signification ne sont pas des questions inédites en linguistique. Mais des complications apparaissent lorsqu’il s’agit d’utiliser ces notions dans une analyse à sensibilité quantitative : comme l’explique Becker (1996), le passage du qualitatif au quantitatif consiste essentiellement à sélectionner certaines composantes d’un phénomène pour les agréger en quantité, avec une perte de précision dans l’observation individuelle correspondant aux composantes laissées de côté. Ce passage nécessite donc d’expliciter les composantes qu’on considère essentielles au phénomène étudié, et qu’on gardera dans l’analyse quantitative, pour les séparer des composantes qu’on considère moins importantes, qu’il s’agira d’abstraire. Dans le cas de la mémétique et de l’épidémiologie des représentations, comme on l’a vu, la dynamique et le détail d’une situation d’interaction font partie des composantes secondaires, ce qui, d’après Ingold, limite les possibilités de compréhension sémantique. Une analyse quantitative de la signification nécessite donc de penser la dynamique de l’interaction comme élément essentiel.
49En développant une autre métaphore de la cognition que la métaphore computationnelle fondant les sciences cognitives classiques, le « tournant E » en sciences cognitives et plus particulièrement l’approche énactive proposent précisément une définition de la cognition centrée sur la relation dynamique des organismes à leur environnement. Dans cette dernière partie je voudrais présenter les grandes lignes de cette tradition et l’approche du langage qu’elle développe. Sans réellement lui rendre justice, j’esquisse les idées qui pourraient permettre de surmonter le problème du sens, présent lorsque les représentations sont mises au fondement de la cognition.
50La première articulation concrète de cette approche dans les sciences cognitives est habituellement attribuée à Varela, Thompson et Rosch (1991) qui développent une étude de la cognition inspirée de la phénoménologie de Merleau-Ponty, et proposent de considérer l’esprit, la cognition, et la signification comme des processus corporisés. Leurs idées « lient plusieurs thèmes centrés sur le rôle de la vie, l’auto-organisation, l’expérience et le corps animé dans le façonnement de la cognition comme activité située et continue » (De Jaegher et Di Paolo, 2007 : 2-3 ; Torrance, 2006 ; Thompson, 2007). Des nombreux développements qui ont suivi, je dégage les quatre étapes conceptuelles suivantes.
51La première est une reconceptualisation de la façon dont un organisme perçoit son environnement, permettant de résoudre certains paradoxes qui apparaissaient dans l’étude de la perception visuelle en particulier ; c’est l’approche énactive et sensorimotrice de la perception, qui considère cette dernière comme une « activité exploratoire » (O’Regan et Noë, 2001 : 2) et non comme un problème d’inférence à partir de mesures dégradées. Pour cette approche, le fait de percevoir visuellement un objet n’est pas inférer et se représenter sa forme et ses propriétés, telles que sa couleur ou sa rugosité, mais c’est explorer les régularités dans la façon dont les stimulations reçues se déforment lorsqu’on se déplace autour ou qu’on agit sur l’objet. Un exemple paradigmatique est celui de la souplesse d’une éponge, qui ne peut être perçue qu’en appuyant dessus (Myin, 2003). Cette approche permet de comprendre pourquoi les différentes modalités sensorielles créent en nous des ressentis différents : voir et entendre sont deux sensations bien différentes, parce que la façon dont les stimulations visuelles et auditives se déforment lors d’un mouvement sont différentes. Les auteurs appellent ces spécificités les « contingences sensorimotrices ». À l’inverse, une personne aveugle équipée d’un appareil de substitution visuelle tactile, appareil qui reproduit les motifs de luminance captés par une caméra sous forme de vibrations sur la peau, témoignera d’une sensation similaire à celle de la vision naturelle, parce que les contingences sensorimotrices de l’appareil sont très proches de celles de la vue. Notamment, cette sensation de vision disparaît lorsque le sujet ne contrôle pas les mouvements de la caméra, c’est-à-dire quand il reçoit les stimulations sans en contrôler l’exploration (O’Regan et Noë, 2001 : 20). Ces expériences ont contribué à montrer que la perception et l’action sont les deux faces d’une même boucle dynamique d’interaction avec l’environnement, et l’approche générale permet de naturaliser le ressenti des différentes modalités sensorielles.
52La deuxième étape consiste à étendre cette conception dynamique au vivant : s’inspirant de la notion d’autopoïèse de Maturana et Varela (1980), l’approche énactive considère tout organisme vivant comme un ensemble de processus dépendant les uns des autres, formant un système dynamique en tension permanente pour régénérer et maintenir ce réseau d’interdépendances constitutif de son identité en tant qu’organisme (De Jaegher et Di Paolo, 2007). Cette identité est précaire, et se dissout si les processus qui forment le système dynamique cessent ; toute interaction avec l’environnement a donc du sens et une valeur intrinsèques pour cet organisme, car elle a des conséquences sur le maintien de son identité et son autonomie. L’organisme va alors réguler l’intensité de son couplage avec l’environnement en fonction de l’impact que ce couplage peut avoir sur son autonomie, c’est-à-dire en fonction du sens qui émerge de cette interaction. L’interaction avec l’environnement devient alors une activité de faire-sens, ou sense-making en anglais. Pour l’approche énactive, cette activité par laquelle un organisme est couplé avec son environnement, et régule lui-même ce couplage en fonction de ses intérêts, est précisément la cognition (De Jaegher et Di Paolo, 2007). Les auteurs étendent ainsi la naturalisation des sensations perceptives discutée dans le paragraphe précédent à toute la cognition.
53La troisième étape développe la notion d’interaction entre organismes comme composante non réductible à la somme des actions des participants. De Jaegher et Di Paolo (2007) montrent d’abord comment certaines interactions ne peuvent être comprises qu’en prenant en compte la dynamique de couplage entre les participants, comme par exemple dans la situation d’interaction minimale étudiée par Auvray, Lenay et Stewart (2009), où les participants résolvent une tâche collectivement sans pour autant pouvoir distinguer entre l’autre participant et les stimuli propres à l’expérience. Puis les auteurs montrent comment une interaction entre deux organismes peut acquérir une autonomie propre et agir sur la perception des participants, comme lorsque deux personnes se croisent dans un couloir étroit et que chacune essaye d’éviter l’autre, mais les deux se déplacent à chaque fois du même côté (De Jaegher et Di Paolo, 2007 : 9 ; voir aussi Di Paolo, Rohde et Iizuka, 2008 : 291). Sur cette base, ils expliquent comment l’activité de faire-sens peut apparaître à l’échelle supérieure : lorsque deux organismes interagissent tout en régulant eux-mêmes leur couplage de façon à respecter l’autonomie de chacun, l’interaction acquiert une identité et des intérêts propres. Le couplage entre les participants et avec l’environnement, et la dynamique propre de l’interaction, ont donc un impact potentiel sur la continuité de cette interaction, rendant l’activité créatrice de sens pour l’ensemble (De Jaegher et Di Paolo, 2007). Ces auteurs définissent donc la cognition sociale non comme une activité d’inférence et de Théorie de l’Esprit, mais comme une forme de faire-sens participatif, ou participatory sense-making en anglais.
54La quatrième et dernière étape nous ramène enfin à la linguistique. S’appuyant sur les concepts développés ci-dessus, Cuffari, Di Paolo et De Jaegher (2015) proposent de voir le langage comme un motif particulier de faire-sens participatif, gouverné par plusieurs niveaux de conventions imbriquées les unes dans les autres. Celles-ci émergent pour gérer les tensions inhérentes entre, d’une part, la régulation qu’un organisme exerce sur son propre couplage avec son environnement, et d’autre part, la régulation que l’interaction, ayant acquis une autonomie propre, impose aux organismes. En effet, la dynamique d’une interaction crée des régularités qui agissent en retour sur les participants, comme par exemple les croisements en sens opposés dans la simulation de croisement perceptuel de Di Paolo, Rohde et Iizuka (2008 : 286) ; la répétition de ces régularités finit par créer une convention qui s’impose à tous. Les participants n’ont alors d’autre choix que de suivre la convention ou rompre les interactions. Une solution à cette tension initiale apparaît si les participants savent distinguer les autres participants du reste de l’environnement (capacité qui n’est pas requise dans ce qui précède), et acceptent une co-régulation de l’interaction. Chacun donnant ainsi une place à l’autre dans le contrôle de l’interaction, il est possible de sortir de la convention précédente par une nouvelle organisation du faire-sens : celle des actes sociaux co-définis, comme donner et recevoir (Cuffari, Di Paolo et De Jaegher, 2015 : 14). Cette organisation donne lieu à l’émergence de nouvelles régularités, menant à des conventions contraignantes, et ainsi de suite récursivement jusqu’à développer les conventions complexes qui forment l’activité langagière :
« À travers une navigation coordonnée et exploratoire entre faire-sens individuel et interactif, les créatures sociales génèrent des conventions comportementales-organisationnelles récursives et réplicables ».
56Ainsi, l’activité langagière
« émerge comme une forme spéciale d’agence sociale, c’est-à-dire une solution particulière à une certaine progression de problèmes conceptuels venant de tensions récurrentes entre les niveaux individuel et interactif du faire-sens ».
58Dans ce cadre, « les mots sont des motifs disponibles pour énacter certaines formes de faire-sens » (Cuffari, Di Paolo et De Jaegher, 2015 : 32). Autrement dit, le langage est considéré comme une façon d’interagir régulée par des conventions imbriquées, plutôt que comme un système de règles abstraites appariées à un contenu sémantique séparé.
59Ces quatre étapes conceptuelles, bien que sommairement présentées, donnent une idée approximative de la façon dont l’approche énactive propose d’étudier le langage. Si celle-ci est aujourd’hui conceptuellement coûteuse et longue à développer, c’est précisément parce qu’elle diffère fondamentalement du paradigme qui sous-tend la majorité des sciences cognitives et la façon dont elles abordent la linguistique ; le cheminement permettant de comprendre ce qu’elle apporte est donc relativement long. La quatrième étape, en particulier, est la partie la plus récente de cette refondation, et n’est par conséquent pas encore reconnectée avec l’ensemble des concepts de la linguistique par des analyses et expériences concrètes de phénomènes connus. Elle propose cependant un cadre pour l’étude de la dynamique d’interaction dans laquelle le sens linguistique est créé. Si cette approche n’explique pas encore les propriétés représentationnelles du langage, elle fournit des outils pour naturaliser la sémantique sans recourir à des dualismes, répondant ainsi au premier degré de critique d’Ingold dans le cas linguistique. Cette approche pourrait donc participer à former une théorie de la relation entre le biologique, le cognitif, et le social, naturalisant toute notion de contenu et contenant.
4 – Conclusion
60La mémétique et l’épidémiologie des représentations proposent des descriptions unifiées de la culture qui, dans leur application à l’analyse linguistique, fournissent un cadre pour l’étude de la diffusion et des mutations de représentations langagières. Dans cet article mon propos a été de montrer que, au-delà des nombreux désaccords sur la façon d’articuler les sciences sociales avec les sciences cognitives, ces deux théories sont fondées sur une conception représentationnaliste de la cognition qui entraîne certaines complications au moment de les appliquer en linguistique. Pour cela j’ai commencé par synthétiser la critique qu’Ingold adresse à l’approche épidémiologique, détaillant le dualisme informationnel qu’il considère présent à plusieurs niveaux de cette théorie, puis présentant l’extension de sa critique à la séparation entre le culturel et le biologique. J’ai ensuite cherché à montrer que cette critique est pertinente, et relativement incontournable, pour une application linguistique de l’épidémiologie des représentations : en pratique, il semble impossible d’étudier une évolution du sens des représentations dans le strict cadre épidémiologique. J’ai enfin esquissé les grandes lignes d’un cadre conceptuel alternatif pour l’étude du langage, basé sur la tradition énactive en sciences cognitives. Celui-ci étudie la cognition comme une dynamique d’interaction entre organismes, et conçoit l’activité langagière comme une forme d’interaction créatrice de sens et régulée par plusieurs niveaux de conventions endogènes. Si l’aspect représentationnel du langage ne semble pas encore expliqué par cette conceptualisation, elle permet néanmoins de comprendre le sens comme une émanation de l’interaction, et donne un cadre pour l’étude naturaliste et quantitative du sens linguistique.
61Malgré l’intelligibilité que les modèles mémétique et d’épidémiologie des représentations apportent à certains phénomènes de diffusion linguistique, leur application à des cas concrets comme celui présenté dans cet article laisse ouverte la définition du contenu des représentations et des mèmes. Celle-ci est pourtant cruciale au moment de générer des hypothèses falsifiables pour l’exploration empirique de ces théories. Trancher cette question nécessite d’élargir la focale pour analyser la dynamique des interactions dans lesquelles les représentations apparaissent, une démarche que l’approche énactive du langage est en train de formaliser, et qui pourrait déjà inspirer de nouvelles expériences permettant d’explorer les possibilités et les limites du paradigme épidémiologique en linguistique.
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Mots-clés éditeurs : coévolution gène-culture, épidémiologie des représentations, approche énactive, signification linguistique, dualisme informationnel, “languaging”, évolution culturelle
Mise en ligne 19/06/2017
https://doi.org/10.3917/tl.073.0045Notes
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Centre Marc Bloch (Berlin) et Centre d’Analyse et de Mathématique Sociales (UMR 8557, EHESS, Paris), 190-198 avenue de France, 75244 Paris Cedex 13 ; sebastien.lerique@normalesup.org
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Sperber va en réalité plus loin que Fodor à l’époque, en défendant une modularité non seulement des processus de perception, mais aussi de la pensée (Sperber, 1996 : 119-120).
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Cette description paraît souvent évidente, car c’est ce paradigme qui domine aujourd’hui notre sens commun de l’évolution. Nous verrons dans la suite qu’il s’agit d’une simplification de la réalité qui n’est plus du tout consensuelle dans la biologie contemporaine.
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Ici et dans tout ce qui suit, les traductions de travaux en anglais sont les miennes.
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D’autres approches, comme celle de Mesoudi qui propose une évolution culturelle darwinienne et explicitement non néo-darwinienne, où la culture n’est pas atomique et sa transmission peut être lamarckienne (2011 : 40-47), séparent également une notion d’information culturelle encodée dans le cerveau, d’une réalisation de cette information sous forme comportementale, langagière, ou institutionnelle (Mesoudi, 2011 : 3).
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Sperber connaît le débat sur le contenu des représentations, qui fait l’objet de nombreux travaux en philosophie de l’esprit, et explique avoir été influencé par la position de Millikan (1984). Pour lui, « le contenu d’un concept n’est pas une propriété intrinsèque, mais plutôt une propriété relationnelle de la réalisation neurale de ce concept, et dépend de l’environnement et de l’histoire […] de cet objet neural » (Sperber, 1996 : 135, et note n° 40). Mais la théorie de Millikan, qui cherche à naturaliser une notion de contenu représentationnel, a été vue récemment comme très similaire à une position non-représentationnelle proche de Wittgenstein (1958[1953] ; Harvey, 2015 : 104-105). Si cette précision de Sperber ne fixe donc pas sa position sur le sujet, l’ensemble de sa proposition utilise le vocabulaire des représentations, qu’elles soient naturalisées ou non. Notamment, il ne discute pas la possibilité d’une approche moins centrée sur les représentations, déléguant la question au débat philosophique qui la discute encore aujourd’hui.
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Cependant Krakauer et al. (2014) semblent développer une réponse à cette ligne, en proposant de détecter des frontières organisme-environnement sur la base de considérations de théorie de l’information en mathématiques.
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De façon similaire, Croft (2013) discute les implications de la théorie des systèmes de développement pour sa théorie de l’évolution darwinienne du langage. Ici, je m’intéresserai à l’évolution des énoncés langagiers et leur signification, et non à l’évolution du langage lui-même. Les deux discussions ont néanmoins un certain nombre de points communs.
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Une recherche simple sur Twitter montre que l’énoncé apparaît en moyenne une fois par mois, et la plupart des instances sont republiées plusieurs fois.
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Notamment, elle prédit un résultat de Danescu-Niculescu-Mizil et al. (2012), selon lequel des énoncés mémorables sont souvent des énoncés adaptables à beaucoup de contextes.