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Article de revue

Quel classement syntaxique pour les « marqueurs discursifs », « mots-phrases » et autres « inserts » ? Prédicatifs et locutifs

Pages 7 à 42

Notes

  • [*]
    Les auteurs voudraient remercier les personnes suivantes pour leurs conseils et leurs remarques, qui ont permis de nombreuses améliorations : José Deulofeu, Kim Gerdes, Igor Mel’čuk, Paola Pietrandrea, Alain Polguère et Pierre Swiggers.
  • [1]
    Le treebank Rhapsodie (http://www.projet-rhapsodie.fr/) est librement consultable. Il a fait l’objet d’une annotation syntaxique, en micro- et macrosyntaxe (voir définition en 4.1.1), entièrement corrigée à la main. Les exemples issus de ce corpus peuvent être retrouvés en utilisant l’interface de consultation disponible sur le site du projet.
  • [2]
    Parmi les rares travaux qui abordent le problème par la syntaxe, on peut citer le travail descriptif de Biber et al. (1999) pour la Longman Grammar of Spoken and Written English avec plus de 20 pages consacrées à la classification des mots-phrases et des expressions similaires (tags, inserts, non-clausal units). La définition des mots-phrases, appelés ici inserts, y reste néanmoins assez traditionnelle (v. note). Les travaux spécifiquement consacrés aux interjections posent l’absence de combinatoire syntaxique comme critère définitoire de cette classe (Ameka, 2006) ; nous reviendrons à cette posture (4.2).
  • [3]
    « Dépourvus de structure interne, privés de tout fonctionnement grammatical, les mots-phrases apparaissent comme des mots figés. Ils n’ont par eux-mêmes aucun intérêt du point de vue de la syntaxe structurale » (Éléments : ch. 45, §12 ; c’est l’auteur qui souligne). Cette idée émerge déjà dans l’article programmatique de Tesnière (1934 : 221).
  • [4]
    Les deux points de vue ne s’opposent pas. Si de nombreux auteurs classent effectivement les interjections selon le type de phrases qu’elles forment, il est bon de rappeler, à la suite de Gardiner (1932 : 318), qu’elles n’en sont pas moins une classe de mots de la langue : « Interjections have been discussed at some length because the purest and most thoroughgoing exclamations are those which employ them. But I trust that it has been made perfectly clear that interjections are merely a class of words, while exclamations are sentences ».
  • [5]
    Nous pensons au contraire que les mots-phrases sont centraux dans la langue, à tel point que si un langage ne comprend qu’une seule catégorie de mots, celle-ci sera assimilable à celle des mots-phrases. À l’époque où Tesnière forgeait le terme mot-phrase, Gardiner, lui, introduisait celui de phrase-mot (angl. word-sentence). Dans un chapitre intitulé « The undifferentiated word-sentence of prehuman times » (1932 : 116 sv.), Gardiner suggère que certains états du langage, notamment chez les animaux pré-humains et chez les enfants en phase d’acquisition, ne contiennent que des phrases-mots, c’est-à-dire des phrases qui ne peuvent être décomposées en la combinaison de plusieurs signes linguistiques. Il note que, pour un tel langage, les unités de la langue, qui constituent le lexique du locuteur, vont elles-mêmes être des phrases-mots : « The unit of animal speech would be identical with the unit of animal language, except in so far as the former would require muscular effort and translation into sound » (Gardiner, 1932 :118).
  • [6]
    Dans le Brouillon (§206-217), Tesnière considère les translations en mot-phrase suivantes : translation de noms ((mon) Dieu ! Grand Dieu ! Diable ! Diantre ! (Juste) Ciel ! Miséricorde ! Peste ! Dame ! Salut ! Adieu ! Pardon ! Attention ! Alerte ! Pitié ! Grâce ! Courage ! Paix ! Patience ! Silence ! À merveille ! ; Dommage qu’elle soit si laide !, Du diable si j’y comprends quelque chose !), d’adjectifs (Hélas ! Ferme ! Bon ! Bravo ! ; Bien sûr qu’il s’est trompé !), de verbes (Tiens ! Gare ! Suffit ! Vive ! Vivat ! Soit ! Allons ! Stop ! Halte ! ; Dire qu’il y a …) et d’adverbes (Comment ! Sus ! Bien ! Arrière ! Bis ! ; Heureusement, que tu as tort !, Plus souvent que je vais le remercier !).
  • [7]
    Ce phénomène semble du même ordre que ceux que Tesnière nomme translations fonctionnelles (Éléments : ch. 162) : selon Tesnière, quand il est question de désinences casuelles, ce n’est pas la marque de cas qui permet au nom de dépendre d’un verbe, car un nom dépend par nature d’un verbe. Par contre, cette marque exprime la fonction de l’unité transférée et « distingue les actants de même rang » (Éléments : ch. 52).
  • [8]
    Tesnière lui-même a bien senti le rôle translatif des articles. Il explique que l’article est une forme atténuée de translatif qu’il appelle indice : « La translation comporte deux opérations catégoriques, la première consiste à sortir le transférende de sa catégorie d’origine, la deuxième consiste à le verser dans sa nouvelle catégorie. Les translatifs dont nous parlons ici n’exécutent que cette deuxième opération. » (Éléments : ch. 169, §2). Dès lors qu’on considère que le nom sans article n’appartient pas à la même classe distributionnelle que le nom avec article, il y a bien translation au sens plein du terme.
  • [9]
    À ceci près que Tesnière utilise le terme substantif pour désigner ce que nous appelons le nom.
  • [10]
    Les tenants de la distinction entre micro- et macrosyntaxe ont rejeté le terme de proposition au profit du terme construction verbale. Nous pensons que, maintenant que la distinction entre micro- et macrosyntaxe est suffisamment bien établie, le terme proposition peut être réintroduit sans risque de confusion. Nous appelons proposition la projection microsyntaxique du verbe, c’est-à-dire l’ensemble des éléments dominés par un verbe par le biais de relations microsyntaxiques.
  • [11]
    Cette approche nous a été suggérée par Henri-José Deulofeu (voir aussi Deulofeu, 2003), lors d’échanges fertiles dont nous le remercions particulièrement.
  • [12]
    Nous simplifions notre pensée pour les besoins de l’exposé. Nous pensons en particulier que la structure arborescente est insuffisamment expressive pour représenter les relations syntaxiques. Elle nécessite d’être assouplie de deux manières : possibilité pour un dépendant d’avoir plus d’un gouverneur (Éléments : ch. 246) et possibilité pour les relations de porter sur d’autres relations (Kahane et Mazziotta, 2015).
  • [13]
    Nous mobilisons davantage la notion de force illocutoire ci-dessous (voir section 5).
  • [14]
    On notera que cette particularité de ne pas être absolument autonomes amène certains auteurs à ne pas les intégrer à la catégorie des interjections : « [This definition], however, excludes some other items, such as English well, which have sometimes been included in the interjection class, because they are not capable of forming independent nonelliptical utterances » (Ameka, 2006).
  • [15]
    Voir Brouillon : §209, où Tesnière présente ces cas comme la translation (figée) de mots de différentes espèces en mots-phrases.
  • [16]
    On ne peut évidemment exclure que, comme pour les autres parties du discours, les prédicatifs donnent également par translation figée (conversion en l’occurrence) des locutifs (voir 5.2), cf. certains emplois comme Voilà ! C’est fini ! ou Non ! C’est pas vrai ! au sens ‘Ça alors !’. Voir également la note 23.
  • [17]
    Les travaux de Bally étaient loin d’être étrangers à Tesnière. Si Tesnière n’a pas pleinement vu ce qu’il pouvait retirer de la notion d’exclamation et de mots exclamatifs, il a néanmoins repris la terminologie de Bally (notamment le terme affectif) dans sa classification des mots-phrases, puisqu’il considère d’un côté les phrasillons logiques (oui, non, voilà) et de l’autre les phrasillons affectifs (Éléments : ch. 46, §10).
  • [18]
    Searle et Vanderveken (1985 : 12-20) découpent le concept de force illocutoire en sept composantes, dont le degré d’intensité et de sincérité. Nous n’entrons pas ici dans ces détails.
  • [19]
    Voir 6.1.1 c pour un autre classement davantage fondé sur des critères morphosyntaxiques.
  • [20]
    Si Tesnière ne fait bien sûr aucune référence à la visée illocutoire, sa classification des mots-phrases semble néanmoins basée sur celle-ci. Comme nous l’avons dit dans la note 17, Tesnière opère une première séparation entre d’un coté les phrasillons logiques (oui, non, voilà) et de l’autre les phrasillons affectifs (Éléments : ch. 46, §10). Or cette division correspond exactement à la séparation entre les phrasillons sans visée illocutoire propre et ceux qui possèdent une visée illocutoire inhérente. Les phrasillons affectifs sont eux-mêmes classés en phrasillons impératifs (chut !, hep !, s’il vous plaît !), c’est-à-dire avec une visée directive, et en phrasillons impulsifs (aïe !, oh !, hélas !, ouais !), c’est-à-dire avec une visée purement expressive.
  • [21]
    « Questions are always directive […] » (Searle et Vanderveken 1985 : 199). Questionner, c’est ordonner qu’on me réponde. Point de vue à moduler néanmoins, selon les remarques de Bally sur les exclamatives présentées ci-dessus.
  • [22]
    Ameka l’envisage sans en faire une propriété définitoire : « From the point of view of pragmatics, the debate about whether or not interjections are speech acts remains to be resolved » (2006). À l’inverse, Wierzbicka (1992) défend que les interjections ne sont pas des actes de parole.
  • [23]
    On notera que le mot ouais du registre familier du français standard (c’est-à-dire non considéré comme la graphie d’une variante purement phonique) n’est pas équivalent à oui. En effet, ouais possède une visée illocutoire expressive et n’est donc pas compatible avec certaines positions occupées par oui : cf. *Tu penses venir ? Ouais ?, *La preuve scientifique que ouais ou *Si ouais, y a-t-il un supplément à payer ?
  • [24]
    Voir toutefois 4.1.2 sur les « noyaux associés ».
  • [25]
    Les pronoms des interrogatives directes et indirectes doivent être distingués. Même si certaines formes (comme qui) fonctionnent dans les deux emplois, d’autres formes n’acceptent qu’un seul des deux emplois : Je me demande ce que tu fais vs Que fais-tu ? ; Qu’est ce que tu fais ? ; Tu fais quoi ? Voir 6.2 pour la relation entre les deux séries.
  • [26]
    Sur le rôle translatif des mots qu-, voir Éléments : ch. 246 et les développements de Kahane (2002).
  • [27]
    Il existe tout de même des contraintes sur cet emploi de quel et des différences d’interprétation selon la nature du nom. Ducrot et Schaeffer (1995 : 608) reprennent à ce propos une étude de Milner (1978 : ch. 5, §5), qui répartit les noms, adjectifs et adverbes de degré en deux grandes catégories, les mots classifiants et les mots non-classifiants, ces derniers possédant un « potentiel exclamatif » : « On a les contrastes suivant entre le classifiant médecin et le non-classifiant idiot : On peut dire Cet idiot de Jean, mais non Ce médecin de Jean. […] Dans Quel idiot !, on s’exclame à propos de l’idiotie de Jean, dans Quel médecin !, l’objet de l’exclamation n’est pas la profession d’une personne, mais le fait qu’il l’exerce bien ou mal. La même répartition se fait parmi les adjectifs. Dire qu’un roman est inachevé, c’est le situer dans une sous-classe particulière des romans, mais dire qu’il est abominable, c’est donner une appréciation personnelle sur lui. Ici encore la possibilité ou l’impossibilité de l’exclamation peut servir de test. On dit Quel roman abominable !, mais pas Quel roman inachevé !.
  • [28]
    On pourrait penser que même les locutifs peuvent changer de visée illocutoire, comme dans le dialogue suivant : – Fous le camp ! – Fous le camp ? Toutefois, il s’agit d’une construction bien particulière, la question écho, qui pose que le locutif est employé en mention (‘Ai-je bien entendu que tu as dit : « Fous le camp ! » ?’).
  • [29]
    En assouplissant ce critère, on peut mentionner comme locutifs commissifs : Promis ! (et Promis, juré, craché !), Entendu, OK, Ouais, D’accord.
  • [30]
    Même si les deux restent similaires du point de vue du logicien (5.2.1).
  • [31]
    Nous considérons que le nom merci de dire merci est un transféré figé du locutif Merci ! et non l’inverse, lequel locutif est lui-même un transféré figé d’un autre emploi du nom merci qui n’existe plus en français contemporain que dans des expressions figées comme sans merci et à la merci de (Anscombre, 1985). Cf. aussi 6.2.
  • [32]
    On peut se convaincre que heureusement a bien une visée expressive avec un exemple comme le suivant : « La conseillère est sympa, elle nous encourage à travailler, mais heureusement que nos parents nous ont aidés », soulignent Luca et Kévin. (leparisien.fr). Le test de la négation permet de vérifier qu’il y a bien visée expressive. Si l’on compare les trois énoncés suivants, on note que a et c peuvent être contredits par C’est faux !, mais pas b : a. Heureusement, nos parents nous ont aidés ; b. Heureusement que nos parents nous ont aidés ; c. Il est heureux que nos parents nous aient aidés.
  • [33]
    Nous excluons ici la capacité qu’ont toutes les formes linguistiques d’être employées en mention (c’est-à-dire avec une fonction métalinguistique, v. Rey-Debove, 1978). Tesnière a identifié ce phénomène sous la dénomination de translation formelle (Éléments : ch. 166) et observe déjà que ce type de translation ne peut générer que des noms (ch. 166, §6).
  • [34]
    C’est le cas du sanscrit iti, qui n’implique pas nécessairement une subordination (Renou, 1996 : §393) ou du japonais to, qui termine une citation enchâssée, mais non nécessairement subordonnée (Shimamori, 1997 : 285 sv.).
  • [35]
    La notion de délocutivité a été revisitée et étendue par Ducrot (1980) et Anscombre (1979), qui la décrivent sous la forme généralisée suivante : 1/ un morphème associé à un sens particulier existe en langue ; 2/ il est employé en discours dans un énoncé sinon figé, tendant au figement ; 3/ le sens du morphème évolue dans le contexte formulaire ainsi figé ; 4/ les emplois préalables à l’évolution du sens sont réinterprétés conformément au nouveau sens. Sans contester l’analyse, ni les glissements sémantiques associés à la délocutivité, ni la relocutivisation d’un délocutif (étape 4) ne nous paraissent fondamentaux pour notre propos.
  • [36]
    Notons que Tesnière voit dans un rendez-vous une translation du premier degré de verbe en nom (Éléments : ch. 191). À défaut d’y voir une translation de mot-phrase, il aurait dû au moins y voir une translation du second degré, (Problème : §2.1.3). Il semblerait que Tesnière soit là guidé par un déterminisme morphologique – l’article impliquant la translation du premier degré et la conjonction de subordination celle du second degré.
  • [37]
    On contrastera ces exemples avec les V-N de la série productive tire-bouchon, porte-monnaie, pèse-bébé, tire-lait, etc. qui sont plutôt des dé-prédicatifs, obtenus à partir d’expressions prédicatives telles que ça tire le bouchon, ça porte ma monnaie, etc. Voir Villoing (2003) pour une discussion. Les V-N n’intègrent pas de visée illocutoire dans leur sens.
  • [38]
    Dans un cadre dépendanciel strict, il est malaisé de dire quel élément est le gouverneur syntaxique du syntagme (un) putain de camion. Voir par exemple Polguère (2014) qui analyse putain comme la tête syntaxique et camion comme la tête sémantique. Notons que camion contrôle l’accord de l’article qui est pourtant sur putain.
  • [39]
    « Certains adverbes semblent aussi s’expliquer par dérivation délocutive. Un exemple de B. de Cornulier. L’interjection « Diable ! », par laquelle le locuteur marque son embarras, au moment où il parle, devant un fait qui « le dépasse », semble bien le E1 dont a été tiré l’adverbe de quantité diablement (E2), qui exprime le haut degré, et équivaut à peu près à extrêmement. En disant d’un livre qu’il est diablement intéressant, on signifie en quelque sorte que l’intérêt du livre atteint un niveau susceptible d’arracher l’interjection « Diable ! ». L’énonciation virtuelle de cette interjection servirait ainsi à attester le degré extrême pour décrire le livre, on se réfère à un discours interjectif dont il pourrait être l’objet. » (Ducrot et Schaeffer, 1995 : 610)
  • [40]
    La notion de greffe a été dégagée par Deulofeu (1999). Il s’agit d’énoncés possédant leur propre force illocutoire qui s’insèrent dans un autre énoncé à la place d’un autre syntagme : vous suivez la ligne du tram qui passe vers la [je crois que c’est une ancienne caserne je crois] voilà (Rhapsodie-M0003).
  • [41]
    On notera que les pronoms interrogatifs complexes donnent également lieu à des pronoms interrogatifs indirects, même si ces derniers sont considérés comme fautifs et relèvent d’un style relâché : La vérité vaut-elle mieux qu’un mensonge, même si cela fait mal ? Oui, au moins tu sais qui est ce que tu as en face de toi. (ask.fm).
  • [42]
    L’acceptabilité de ces exemples dépend peut-être de la variation diaphasique. On trouve quelques occurrences comme : Bien heureusement qu’on en met une de photo car bizarrement votre intervention est arrivé qu’a partir du moment ou il y avais une photo (livenplay.fr) ; « Fort heureusement que Juice, capturé, met tout le monde dans l’embarras (cadebordedepotins.com, 26/10/2014, à propos de la série Sons of Anarchy).
  • [43]
    Rappelons que les Éléments de syntaxe structurale ont été publiés en 1959 à titre posthume. Lucien Tesnière est décédé en 1954. La première partie de l’ouvrage (ch. 1 à 47), présentant l’architecture du système et se terminant par les deux chapitres sur les mots-phrases (ch. 45 et 46), était achevée en 1938 (Bibliothèque nationale de France, NAF 28026, boîte 39). Selon le témoignage de Marie-Hélène Tesnière, Lucien Tesnière est tombé malade à la fin de la guerre et le manuscrit a peu évolué à partir de 1943.

1Cette étude porte sur la classification de mots, qu’on nommera dans un premier temps mots-phrases. Ces mots reçoivent selon les approches des dénominations variées, et en particulier celle de marqueurs discursifs dans les études qui abordent la question du classement des unités du point de vue « fonctionnel », c’est-à-dire du point de vue du rôle sémantico-pragmatique particulier que peuvent jouer ces mots. C’est le classement syntaxique de ces mots dans le système des parties du discours, en particulier dans le français contemporain, qui sera étudié ici.

2La dénomination de mot-phrase est due à Lucien Tesnière (1936 ; 1959 : ch. 45-46), qui range dans cette classe tous les mots pouvant constituer des « phrases complètes », parmi lesquels on trouve les interjections. Il faut y ajouter des mots peu considérés dans les études syntaxiques, à l’exception de travaux comme ceux de Biber et al. (1999 : ch. 14) qui les nomment inserts, et qui, sans pouvoir constituer des phrases, possèdent des propriétés similaires aux interjections.

3Les mots-phrases possèdent des caractéristiques spécifiques qui mènent les grammaires traditionnelles à les considérer comme des éléments marginaux du système de la langue, alors que Lucien Tesnière les rejette purement et simplement de son programme de description syntaxique. Or, comme il apparaîtra ci-dessous, ces unités lexicales ont bel et bien des propriétés syntaxiques remarquables, qui les placent en fait au cœur du système de la langue.

4Nous commençons (1) par exposer les raisons qui nous ont poussés à nous intéresser aux mots-phrases, inserts compris : notre participation à l’analyse du corpus de français parlé du projet Rhapsodie et notre étude sur les travaux de Lucien Tesnière à ce sujet (Mazziotta et Kahane, à paraître). Nous serons progressivement amenés à nommer des concepts qui permettent de voir plus clair dans le classement des unités et la description de leur fonctionnement. Ainsi, après avoir évalué la solution consistant à ajouter une espèce de mot supplémentaire au système tesniérien (2), nous définissons la classe des prédicatifs, en montrant la nécessité de distinguer les classes proprement lexicales des classes de comportement syntaxique (3). Nous introduisons ensuite (4) la distinction entre le niveau macrosyntaxique (contraintes de construction de l’énoncé) et microsyntaxique (contraintes internes à la proposition). Ce critère peut être associé (5) à la prise en compte de la visée illocutoire de l’énoncé, c’est-à-dire l’objectif pragmatique que le locuteur lui assigne. Cela mène à la constitution du concept de locutif, classe de mot à visée illocutoire figée, et à l’examen des mécanismes de rection autour de cette classe (6).

1 – Un problème non résolu

5La présente contribution poursuit une réflexion amorcée dans nos travaux antérieurs : la participation de Sylvain Kahane à l’annotation syntaxique exhaustive du corpus de français parlé Rhapsodie (1.1) et notre analyse critique des travaux de Tesnière sur les mots-phrases (1.2).

1.1 – Analyser les mots-phrases dans un corpus de français parlé

6Le corpus de français parlé du projet Rhapsodie (Lacheret et al., 2014) [1], qui se veut représentatif des différentes formes d’oral, compte 31 390 mots. 1978 d’entre eux sont décrits comme des interjections (pour 6249 noms et 5969 verbes). Parmi ces interjections se trouvent de nombreux éléments, qui possèdent une certaine autonomie syntaxique (on peut difficilement dire qu’ils sont régis), mais n’en demeurent pas moins intégrés à des énoncés. C’est le cas des mots bon et ben dans les énoncés qui suivent :

[1]
c’est vrai que bon maintenant ce sont de jeunes parents qui sont moins orientés sur le livre
(Rhap-D0004)
[2]
et puis après ben j’ai travaillé sur les micro-processeurs l’informatique
(Rhaps-D0005)

7Dans ce type d’emploi, bon et ben sont généralement rangés dans la classe des marqueurs discursifs (Chanet, 2004). Ces derniers sont définis par Dostie et Pusch (2007 : 3-4) comme des unités invariables sans contenu propositionnel et optionnelles du point de vue syntaxique – leur indépendance étant marquée en outre par une intonation spécifique. Ces caractéristiques les rendent peu compatibles avec les relations de rection et les placent davantage au niveau de l’énoncé que de la proposition. À cet égard, ces unités sont donc caractérisées de manière négative et leur rôle linguistique est envisagé d’un point de vue essentiellement pragmatique/discursif, qui relègue les questions de combinatoire syntaxique au second plan [2]. On peut éventuellement réserver une place pour ces marqueurs dans la classe traditionnelle des interjections, mais l’homogénéité du classement appliqué à ce type d’unité est difficile à atteindre. Ainsi, les occurrences de bon dans ses emplois ‘discursifs’ ont été assimilés à des interjections dans le projet Rhapsodie, mais d’autres éléments comme enfin ou tu vois ont été classés dans leur catégorie traditionnelle (respectivement adverbe et proposition fondée sur un verbe), même lorsqu’ils avaient clairement un fonctionnement similaire :

[3]
euh oui enfin initialement ils étaient à Isigny
(Rhap-D0007)
[4]
ils avaient peur de toucher un clavier enfin bon tu vois c’est…
(Rhap-D0005)

8Au terme du projet, plusieurs questions concernant ces marqueurs de discours sont restées sans réponse satisfaisante : celle de la partie du discours dont ces mots relèvent, celle de leur combinatoire syntaxique et celle des opérations syntaxiques qui permettent à certaines unités d’assumer des fonctions discursives en plus de leur comportement stéréotypé.

1.2 – Le problème du mot-phrase chez Lucien Tesnière

9La deuxième source de notre intérêt pour la question est la découverte dans le Fonds Tesnière de la BNF d’un manuscrit non publié de Lucien Tesnière (désormais « Brouillon »). L’étude de ce manuscrit nous a poussés à essayer de comprendre les raisons qui avaient conduit Tesnière à ne pas l’exploiter (Mazziotta et Kahane à paraître, désormais « Problème »). Les problèmes qu’il n’a pu résoudre sont les suivants. L’auteur déclare que l’analyse syntaxique des mots-phrases est inintéressante car il les dit « inanalysables » [3]. La combinatoire « naturelle » de ces unités, c’est-à-dire la liste des classes qu’elles régissent ou auxquelles elles sont subordonnées, ne fait pas partie du programme de Tesnière (1959) (désormais « Éléments ») – on ne peut donc les replacer dans la hiérarchie virtuelle des espèces de mots (Problème : §2.1.1, fig. 1). Tesnière suppose la présence d’une « composante verbale » à l’intérieur de chaque mot-phrase. Toutefois, il ne peut délimiter clairement cette composante (Problème : §2.1.2). De nombreuses unités considérées comme des mots-phrases ne peuvent rien régir, mais se combinent de manière très contrainte avec des circonstants (Problème : §2.3.3 a) : p. ex., dans Zut alors !, alors est quasiment l’unique circonstant possible (il ne commute pas avec maintenant, ainsi, etc.). Tesnière abandonne dans les Éléments une idée fondamentale du Brouillon, où il considère que les termes subordonnés aux mots-phrases ont dû changer de classe (subir une translation, v. sec. 2.2) pour occuper pareille position structurale (Problème : §2.3.3 b). Il mentionne sporadiquement que certains mots-phrases peuvent être subordonnés, mais sans systématiser cette capacité (Problème : §2.3.4). En conséquence, les mots-phrases ne relèvent d’aucune des quatre espèces de mots pleins identifiées par Tesnière : ils sont des « espèces de phrases » et non des espèces de mots [4]. Cette approche est hétérogène et incomplète, dans la mesure où les mots-phrases ne sont pas traités dans le chapitre qui est justement consacré aux espèces de phrases (Problème : §2.3.1). Tesnière a donc reconnu l’importance théorique des mots-phrases pour comprendre la syntaxe, mais sans réussir à les intégrer pleinement à son système. Il en vient donc à ne leur réserver qu’une toute petite place, si bien que seuls deux chapitres (sur 278) des Éléments leur sont consacrés [5].

10Refusant la posture d’abandon qui consiste à accepter que les mots-phrases n’ont pas de combinatoire syntaxique, nous tentons de résoudre ici la question de leur intégration à un modèle syntaxique dans la continuité de la pensée de Tesnière. Il nous semble que l’originalité et la pertinence de notre réponse doit beaucoup à la tentative de réconcilier les mots-phrases et la notion tesniérienne de translation (opération qui permet à un mot de changer de classe, cf. 2.2). Nous tenons naturellement compte des avancées modernes en ce qui concerne le traitement de ces unités, qui s’est nettement précisé depuis la parution des Éléments : de nouveaux concepts ont émergé en syntaxe et en sémantique et permettent d’appréhender la question de manière renouvelée. Il s’agit donc de construire un véritable dialogue entre la pensée de Tesnière et celle des autres linguistes qui ont tenté de décrire le fonctionnement syntaxique de ces mots.

2 – Le mot-phrase comme une cinquième espèce de mot

11La première manière d’étendre le système de Tesnière est de réconcilier son approche avec celle de la grammaire traditionnelle, en considérant que les mots-phrases relèvent d’une classe de mots spécifique. Tesnière a refusé cette approche, arguant que : 1/ la notion d’interjection n’était pas appropriée ; 2/ ces mots sont souvent l’équivalent de phrases complètes, ce qui les rend distincts des espèces de mots qu’il a retenues (verbe, nom, adjectif, adverbe ; v. Problème : §2.1.1) et les rapproche des verbes. On doit à Igor Mel’čuk une tentative dans cette direction, que nous exposons ci-dessous (2.1) avant de la critiquer (2.2).

2.1 – Classe des clausatifs

12Igor Mel’čuk, dont la conception de la syntaxe doit beaucoup aux Éléments, propose une classification comprenant cinq éléments et ajoute ainsi le clausatif aux nom, verbe, adjectif et adverbe retenus dans les Éléments. Le terme renvoie explicitement à l’idée de proposition (angl. clause) et à l’équivalence de comportement avec la catégorie microsyntaxique du verbe et de la proposition :

13

Tout comme le V [= verbe] fini, un CLAUS [= clausatif] remplit nécessairement le rôle de sommet syntaxique d’une proposition, mais seulement d’une proposition indépendante, utilisée comme une phrase : il est insubordonnable. Un CLAUS est également invariable : il n’exprime ni temps, ni personne, ni nombre : il est toujours à l’indicatif. Par exemple : Voilà Alain ; N’empèche qu’il est pardonné ; Reste que le plan est défectueux ; Sûr et certain ; Vivement qu’on se couche ! ; etc.
(Mel’čuk et Milićević, 2014)

14

Le terme clausatif vient de l’anglais clause ‘proposition’ ; dans la tradition française, on utilise souvent le terme de mot-phrase, qui ne couvre quand même qu’une partie de nos Clausatifs : parmi ceux-ci, on retrouve les mots-phrases (comme Oui et Non), mais aussi beaucoup de phrases véritables (par exemple, des proverbes) et des expressions qui exigent des compléments (comme À bas [N] !, Heureusement [que PROP],…).
(Mel’čuk, 2006)

15Les deux derniers exemples cités (À bas [N] !, Heureusement [que PROP]) sont également considérés comme des mots-phrases par Tesnière (Brouillon : §192 et §217), qui les qualifie d’« incomplets » dans les Éléments (Problème : §2.3.2). Tesnière non plus ne considère pas l’absence de combinatoire comme une propriété définitoire ; le terme mot-phrase est plutôt à comprendre comme ‘mot pouvant jouer le rôle de sommet d’une phrase’ et pouvant donc régir d’autres mots (à l’instar du terme clausatif) que comme ‘mot équivalent à une phrase’, même si l’introduction du mot-phrase dans les Éléments peut prêter à confusion :

16

Puisque les interjections jouent dans le discours le même rôle que des phrases entières, nous les appellerons des mots-phrases, ou encore des phrasillons.
(Éléments : ch. 45, §6)

17Si la classe du clausatif est finalement identique à celle du mot-phrase, on doit au moins reconnaître à Mel’čuk d’avoir donné une définition sans ambiguïté de la classe qu’il souhaite considérer et d’assumer le fait que cette classe constitue une cinquième espèce de mots.

2.2 – Problèmes subsistants

18Cette définition ne nous satisfait néanmoins pas pour au moins trois raisons. La première est le statut d’éléments tels que oui ou voilà, qui sont subordonnables et que Mel’čuk intègre pourtant à la classe des clausatifs, au prix d’un affaiblissement de sa définition. Le fait que certains mots-phrases sont subordonnables et d’autres non reste totalement arbitraire et inexpliqué.

19La deuxième raison concerne le classement d’éléments comme bon ou hein (1.1) qui n’est pas évoqué. De tels éléments partagent avec les interjections des propriétés que nous allons expliciter par la suite – combinatoire microsyntaxique très restreinte (cf. section 4) et locutivité (cf. section 5). En outre, ils ne remplissent pas « le rôle de sommet d’une proposition indépendante, utilisée comme une phrase ». Il faut donc soit les ranger dans une sixième espèce de mots, soit argumenter leur intégration à la classe des clausatifs.

20La troisième raison, plus complexe, concerne l’opération de translation. Si l’on suit l’idée de Tesnière en matière de classification des mots, les langues donnent les moyens de passer d’une espèce de mots à l’autre par l’intermédiaire de la translation. En résumé, cette dernière est une opération syntaxique qui consiste à transférer un mot (dit transférende) dans la classe d’un autre à l’aide d’un outil grammatical spécifique (dit translatif). Par exemple, dans le livre d’Alfred, Alfred est le transférende d’une translation où un nom est transféré en adjectif grâce au translatif de. L’unité ainsi constituée a les propriétés syntaxiques et paradigmatiques de la classe des adjectifs. Dans les travaux de Tesnière, la translation peut être construite en discours ou être complètement figée en langue (ou « étymologique », cf. Éléments : ch. 29). Nous distinguerons, au sein de la translation, la translation libre (la voiture du président), qui n’affecte pas la catégorie du transférende (président reste un nom à part entière même s’il occupe la position d’un adjectif grâce au translatif de), de la translation figée ou dérivation (la voiture présidentielle), où il y a un véritable changement de catégorie lexicale. Le mot libre implique ici la condition de choix du locuteur, au sens fonctionnaliste classique. L’introduction d’une cinquième partie du discours rompt en partie le système de la translation de Tesnière (Problème : §2.1.3), puisque si les clausatifs occupent les mêmes positions que les verbes (finis), il n’y a pas lieu de distinguer la translation vers le clausatif de la translation vers le verbe. Conformément à cela, toutes les translations en mot-phrase décrites par Tesnière sont figées, le plus souvent sans translatif identifiable – il s’agit de conversions, comme le nom dommage qui donne le clausatif Dommage ![6]. Inversement, les translations à partir de ce que l’on identifierait comme des clausatifs en d’autres espèces de mots se font au moyen des mêmes translatifs que ceux employés pour transférer les verbes (Brouillon : sec. B, « Translation du 2e degré ») :

21

§219. – Formant à eux seuls des phrases complètes, les phrasillons peuvent, comme toute proposition indépendante, devenir subordonnées par translation.
§220. – Les phrasillons présentatifs voici et voilà se laissent facilement transférer en propositions adjectives (relatives). Il suffit à cet effet de leur donner comme objet le pronom relatif objet que : Le livre que voici est un souvenir de mon frère. […]
§221. – Les phrasillons assertifs oui, non et si se laissent facilement transférer en propositions substantives objet direct (subordonnées complétives directes). Il suffit à cet effet de les faire précéder du translatif du 2e degré que : Je crois que oui.

22On peut à ce stade tirer deux conclusions. Premièrement, si l’on voulait intégrer les clausatifs au système tesniérien, leur comportement singulier par rapport à la translation briserait la cohérence du modèle. Deuxièmement, il est douteux de ranger dans une même classe syntaxique des unités dont le comportement est différent eu égard à la subordination. En fin de compte, le terme clausatif n’est qu’une étiquette supplémentaire qui s’applique aux mots-phrases sans reposer sur une analyse renouvelée. Il semble donc qu’il y ait là une généralisation qui a échappé à Mel’čuk comme à Tesnière et que nous proposons de dégager. Une partie de ces problèmes peuvent être réglés en distinguant les propriétés lexicales des propriétés syntaxiques, comme nous le proposons dans la section suivante. Cela va nous permettre de délimiter une espèce particulière de mots-prases, que nous nommerons prédicatifs.

3 – Classe des prédicatifs

23Parmi les mots-phrases de Tesnière, une partie d’entre eux ne sont pas des interjections, mais relèvent des « phrasillons logiques » (Problème : §2.2), que Tesnière a classé de manière différente dans le Brouillon et dans les Éléments (où ils sont les seuls mots-phrases à ne pas être des interjections). C’est le cas de oui, non, voici et voilà. Ce phénomène peut être décrit en introduisant la distinction entre classes lexicales (c’est-à-dire de lexèmes) et classes d’unités de comportement syntaxique, qu’il s’agisse de mots ou de combinaisons de mots.

3.1 – Classes lexicales et classes syntaxiques

24La distinction entre natures et fonctions paraît en opposition avec la conception de Tesnière, qui lie intimement les deux concepts d’une manière qui les rend indistincts. Toutefois, dans son analyse de la translation du verbe, il montre que ces unités ont une fonction qui dépend non de leur nature lexicale, mais de leur désinence. Ainsi il désigne du terme verbe une catégorie lexicale dont le comportement syntaxique est influencé par la flexion. Les formes verbales finies, infinitives et participes possèdent des distributions complètement différentes : les désinences de l’infinitif et des participes transfèrent le verbe respectivement en nom et en adjectif (Éléments : ch. 180-191 et 198-200). Par contre, Tesnière ne considère pas les désinences finies comme des translatifs. Il en résulte une apparente incohérence : certaines désinences changeraient le statut syntaxique du verbe et d’autres non. La raison de ce traitement différent semble être que le verbe se trouve tout au-dessus de la hiérarchie syntaxique et qu’aucune autre classe supérieure n’a été définie. C’est lui qui fonde l’énoncé, dont on peut donner la définition de travail suivante : « […] une production linguistique acceptée par les locuteurs natifs comme complète et possédant une intonation reconnue comme liée à ce fait » (Hagège, 1999 : 27). Du point de vue de leur structure grammaticale, les énoncés canoniques français sont fondés sur un verbe, mais ils peuvent également être fondés sur une autre partie du discours (Feuillet, 1988).

25En suivant Alain Lemaréchal (1989 : ch. 2), nous proposons de généraliser la notion de translation et de distinguer le verbe du prédicatif (pour reprendre une terminologie utilisée en typologie), c’est-à-dire l’unité syntaxique qui permet à la structure syntaxique d’exister [7] en tant qu’énoncé en dehors de toute contingence situationnelle – ce qui élimine les phrases nominales comme chien méchant et les énoncés fragmentaires (comme les réponses à des questions) qui ne sont acceptables que dans des situations très spécifiques. En français, le verbe doit être fléchi en une forme finie pour devenir prédicatif. La désinence donne au verbe la capacité de contracter une relation syntaxique. Les désinences verbales finies sont ainsi des translatifs de verbes en prédicatifs.

26De la même façon, on peut appeler substantif une unité syntaxique pouvant jouer le rôle d’actant d’un verbe (Lemaréchal, 1989 : en partic. ch. 1 ; Kahane, 2010). En français, la plupart des noms ne sont pas par nature des substantifs, puisqu’ils ne peuvent occuper une position actancielle sans l’ajout d’un déterminant : *Chat dort ; *Je regarde chat ; Le chat dort ; Je regarde un chat. Les déterminants sont ainsi des translatifs de noms en substantifs [8]. De même, la désinence de l’infinitif est un translatif de verbe en substantif, puisqu’une forme verbale infinitive occupe une position actancielle sans ajout d’un déterminant : Je veux manger ; Bien manger est important. Selon cette approche, la désinence de l’infinitif n’est pas un translatif de verbe en nom (comme le considère Tesnière) [9] : il n’opère pas de modification de classe lexicale, mais il fournit au verbe ce qui lui manque pour investir la classe syntaxique du substantif.

3.2 – Application au problème des mots-phrases

27Du point de vue de leur fonctionnement syntaxique, les mots-phrases oui ou non sont des prédicatifs qui ne sont pas des formes verbales finies. Ils sont aux prédicatifs ce que les pronoms et les noms propres sont aux substantifs : de même que ça ou Marie peuvent occuper seuls une position actancielle, ces mots-phrases peuvent jouer le rôle de prédicatif sans avoir à subir de translation. L’application de la translation généralisée et la notion de prédicatif ne rencontre pas le problème qui subsistait dans le concept de clausatif : il y a bel et bien un mécanisme de translation productif qui permet à certaines unités de devenir des prédicatifs.

28La distinction entre prédicatif et verbe permet également de comprendre et de simplifier la distinction faite par Tesnière entre translation du premier et du second degré pour les verbes (et, partant, pour les mots-phrases) : la translation dite du second degré est selon nous une translation dont le transférende est un prédicatif (une classe syntaxique), tandis que la translation du premier degré est une translation dont le transférende est un verbe (une classe lexicale). C’est ainsi que nous comprenons le seul passage des Éléments (ch. 164, §13-14) qui tente de définir la translation du second degré :

29

13. – Si le transférende est une espèce de mot, c’est-à-dire un élément de la phrase simple sans plus, et non pas un nœud régissant lui-même une phrase entière, nous dirons que la translation est du premier degré.
14. – Si, au contraire, le transférende est un nœud verbal avec tous ses subordonnés éventuels, c’est-à-dire une phrase entière, nous dirons que la translation est du second degré.

30Au lieu de voir en la désinence de l’infinitif un translatif du premier degré (il veut manger, Éléments : ch. 182) et en la conjonction de subordination un translatif du second degré (il veut que je mange, Éléments : ch. 241), nous préférons dire que le premier est un translatif de verbe en substantif, tandis que le deuxième est un translatif de prédicatif en substantif. Cela explique aussi pourquoi les translatifs du second degré sont identiques, qu’ils portent sur ce que Tesnière nomme verbe ou sur ce qu’il appelle mots-phrases.

31Cette approche ne résout cependant que partiellement le problème de la translation. Il nous reste en effet à intégrer deux paramètres : 1/ contrairement à une unité comme oui, de nombreux mots-phrases ne peuvent jamais être subordonnés ; 2/ de nombreux mots-phrases ne peuvent rien régir, mais ils sont accompagnés de sortes de compléments au statut difficile à décrire en termes tesniériens (comme alors dans Zut alors !). Pour mieux appréhender ces problèmes, envisagés jusqu’à présent en termes rectionnels, nous avons besoin de concepts qui permettent d’articuler la syntaxe de proposition avec les règles qui président à la formation des énoncés. La section suivante présente cette opposition et introduit les termes de microsyntaxe et de macrosyntaxe.

4 – Une espèce de mots macrosyntaxique

32Les travaux sur le français parlé ont mené à la distinction entre la microsyntaxe de la proposition [10] et la macrosyntaxe, qui contraint la constitution des énoncés (4.1) et nous permet d’associer les mots-phrases au niveau d’analyse correspondant à l’énoncé (4.2) [11].

4.1 – Microsyntaxe, macrosyntaxe, noyau et ad-noyaux

33La réflexion sur le potentiel de subordination et la faculté de rection gagne à être placée dans un contexte plus large, qui s’appuie sur l’opposition entre microsyntaxe et macrosyntaxe. L’idée fondamentale de cette optique est qu’il existe deux niveaux de cohésion syntaxique (4.1.1). Ces deux niveaux se superposent (4.1.2), parfois de manière assez complexe (4.1.3).

4.1.1 – Distinction entre les deux niveaux de syntaxe

34(a) Microsyntaxe. Le premier niveau, la microsyntaxe, repose sur des relations de cohésion fortes de type rectionnel : un élément régit un autre mot quand il contraint sa partie du discours, sa place dans la hiérarchie syntaxique et/ou la présence de marqueurs spécifiques (position dans la séquence, morphologie, etc.). Par exemple, un verbe régit son sujet qui ne peut appartenir à n’importe quelle partie du discours, dont la place devant le verbe est généralement obligatoire et qui accueille des pronoms de forme spécifique (il, on, …). En simplifiant l’option dépendancielle qui est la nôtre, la structure microsyntaxique est définie comme un arbre hiérarchisé de relations orientées entre des termes régissants (têtes ou gouverneurs) et des termes subordonnés (ou dépendants). Chaque mot a un seul gouverneur, à moins qu’il ne s’agisse de la racine de l’arbre, qui n’en a pas [12]. Les rapports de dépendance sont de deux types : les actants, dont la forme ou la présence est contrainte par le choix du gouverneur, et les modifieurs, qui sont plus libres (p.ex., dans le domaine verbal, les actants sont pronominalisables, alors que les modifieurs ne sont jamais obligatoires et sont de forme plus libre, cf. Blanche-Benveniste et al., 1984). Bien que plus libres, les modifieurs restent contraints quant à la partie du discours à laquelle ils appartiennent.

35(b) Macrosyntaxe. Le deuxième niveau, la macrosyntaxe, est beaucoup plus lâche d’un point de vue rectionnel, mais non dépourvu de contraintes (Blanche-Benveniste et al., 1990, Berrendonner, 1990 ; v. aussi la distinction entre C-units et utterrances dans Biber et al., 1999 : ch. 14). Des syntagmes forment ensemble un énoncé sans qu’aucun n’impose une forme aux autres. L’un de ces syntagmes, appelé noyau, fonde l’énoncé et en porte la force illocutoire (selon le terme d’Austin, 1962 : 99) : il oriente l’acte de parole vers un certain effet sur l’interlocuteur (sans toutefois en garantir la réussite, Austin, 1962 : 120 sv.) [13]. Par opposition, les autres syntagmes qui l’accompagnent, dits ad-noyaux (ou plus spécifiquement pré-noyaux et post-noyaux, en fonction de leur place), ne possèdent pas cette propriété et ne sont pas autonomes au sens où ils ne peuvent former à eux seuls un tour de parole complet. Ainsi dans l’exemple suivant, le noyau oui contient l’information de la réplique et est précédé de deux pré-noyaux (dont la fin est indiquée par le symbole ‹<›) :

[5]
[…] moi < de toute façon < oui //
(Rhaps-D0002, CFPP2000)

36Les deux pré-noyaux ne sont contraints par le noyau que d’un point de vue énonciatif (expression du thème et d’une modalisation). Ils n’entretiennent pas de relation microsyntaxique (rectionnelle) avec lui.

37Les deux niveaux de syntaxe ne sont pas mutuellement exclusifs. Ainsi, les compléments « circonstanciels » détachés en début de phrase sont des pré-noyaux d’un point de vue macrosyntaxique (pas de force illocutoire, pas de rhème), mais sont des modifieurs du verbe principal d’un point de vue microsyntaxique. Observons par exemple l’énoncé suivant :

[6]
entre les deux guerres < moi < quand j’étais adolescent < il y avait des grands leaders de la littérature //
(Rhap-D2009)

38Le syntagme entre les deux guerres et la proposition quand j’étais adolescent sont modifieurs de avait tout en étant des pré-noyaux sur le plan macrosyntaxique.

4.1.2 – Noyaux associés et inserts

39La structure peut être plus complexe quand certains éléments sont insérés dans le noyau ou les ad-noyaux.

[7]
la preuve c’est que actuellement voyez-vous en soixante-quinze je pense que vous serez d’accord avec moi il n’y a plus disons ce qu’on appelait autrefois d- de grands écrivains
(Rhap-D2009)

40Il y a deux types d’éléments insérés : soit de véritables parenthétiques (je pense que vous serez d’accord), soit des éléments plus figés (voyez-vous, disons) que nous nommons noyaux associés. Ces derniers, à la différence des parenthétiques, n’acceptent pas d’ajouts :  ?*voyez-vous certainement,  ?*disons simplement. Ils possèdent leur propre force illocutoire (ce qui les rend presque équivalents à des noyaux), mais s’ancrent dans un énoncé plus large et fonctionnent comme des marqueurs de discours (d’où le terme noyau associé) (Kahane et Pietrandrea, 2009 ; Pietrandrea et al., 2014) [14]. Au niveau microsyntaxique, ces éléments insérés sont peu contraints d’un point de vue rectionnel, mais leur position n’est pas libre (p.ex. : bon précède toujours l’élément auquel il est associé). On peut éventuellement les analyser comme des modifieurs dont le contenu s’envisage par rapport à l’énoncé.

41On peut comparer cette approche à celle de Biber et al. (1999), qui étudient en détail la classe de mots qu’ils nomment inserts :

42

Inserts are stand-alone words which are characterized in general by their inability to enter into syntactic relations with other structures. However, inserts have a tendency to attach themselves prosodically to a larger structure, and as such may be counted as part of that structure.
(§14.3.3, p. 1082)

43Les inserts ne sont pas à proprement parler des mots-phrases ou des clausatifs (ils ne forment pas une phrase à eux seuls, puisqu’ils doivent être associés, et ne sont pas davantage le gouverneur principal d’une proposition), mais ils forment avec les mots-phrases une classe d’éléments qui ont la propriété de porter une force illocutoire figée.

4.2 – Une classe de mot purement macrosyntaxique ?

44Si la particularité d’une grande partie des mots-phrases et des inserts (comme Aïe !, Hélas ! ou bon) est l’absence de combinatoire microsyntaxique, on peut alors considérer qu’ils n’ont tout simplement pas de partie du discours, la partie du discours d’un mot étant caractérisée par ses propriétés morphosyntaxiques (notamment sa flexion) et microsyntaxiques. En conséquence, si les mots-phrases et les inserts peuvent résulter du figement de mots de différentes parties du discours (verbe comme Tiens !, nom comme Merde !, adjectif comme bon, adverbe comme enfin ou ben < bien) [15], celle-ci devient insignifiante dès lors que le mot est utilisé comme mot-phrase (v. 6.1.1). En effet, une fois transféré, le mot perd toute sa combinatoire microsyntaxique : il ne régit plus que des compléments très figés (ex. : Merde à Vauban !) et ne peut plus être subordonné. Tesnière va dans ce sens quand il dit que les mots-phrases sont des espèces de phrases et non des espèces de mots (v. 1.2). On peut alors introduire une partie du discours définie de manière négative qui regrouperait les mots qui n’entrent dans aucune des autres classes et n’ont de combinatoire microsyntaxique dans aucun de leurs emplois. C’est à cette approche que correspond traditionnellement la classe des interjections, que Tesnière considère comme insupportable (Problème : §2.1.1).

45Nous avons à présent tous les moyens de décrire la singularité des mots-phrases oui, non, voici et voilà. Ces mots peuvent être subordonnés et les deux derniers peuvent régir des substantifs (voici mon livre ou voici qu’il vient avec une translation de la proposition en substantif). Ces « phrasillons logiques » (v. 3.1) peuvent être employés comme des noyaux, mais ne sont pas limités à ces emplois. Cela les singularise nettement par rapport aux autres mots-phrases et les rapproche de la proposition plus que de l’énoncé[16]. Maintenant que nous avons défini la classe des prédicatifs (cf. 3), il nous reste à déterminer la caractéristique définitoire qui est commune aux autres mots-phrases et aux inserts. Dans la section qui suit, nous proposons de nous servir de critères pragmatiques pour définir leur classe, à laquelle nous donnerons le nom de locutif.

5 – Une espèce de mots avec une visée illocutoire inhérente : le locutif

46Une longue tradition reconnaît aux interjections la nature fondamentale qui est d’exprimer une émotion (5.1). Nous replaçons cette approche dans le cadre de la théorisation des actes de langage pour délimiter le concept de locutif, classe des mots ayant une visée illocutoire inhérente (5.2).

5.1 – Mots exclamatifs

47La grammaire traditionnelle a rapidement associé les mots difficiles à classer qu’elle a nommés interjections à la fonction de véhiculer un affect – déjà au 4e s. apr. J.C., le grammairien Donat en donne une définition à la fois syntaxique et fondée sur cette observation (cf. Ax, 2011 : 129). Les interjections seraient les mots de la langue qui se démarquent des autres par un contenu « émotionnel » et y sont même limités. Ces considérations perdurent dans les premières grammaires françaises (p.ex. Meigret, 1550 : 131-133), où l’effet de l’intonation pour déterminer la valeur émotive du terme est mise en évidence. La réflexion paraît atteindre une conclusion similaire à celle de Tesnière dans la grammaire de Beauzée, qui rejette purement et simplement les interjections de son programme (1767 : 619). Il se base sur la distinction fondamentale suivante :

48

Il y a donc en effet des parties d’Oraison de deux espèces : les premières sont les signes naturels des sentiments ; les autres sont les signes arbitraires des idées : celles-là constituent le langage du cœur, elles sont affectives ; celles-ci appartiennent au langage de l’esprit, elles sont discursives.
(Beauzée, 1767 : 610)

49Les interjections, qui ressortissent de la première espèce, échappent selon lui à l’analyse grammaticale (« discursive »). L’exposé de Beauzée montre qu’il sépare explicitement les mots en deux grandes classes (ce qui rappelle la bipartition de Tesnière : espèce de mot/espèce de phrase, déjà dans Tesnière, 1934 : 221), mais il se fonde sur un critère différent : celui de l’affectivité. Une idée similaire est développée par Charles Bally dans son Traité de stylistique française (1909). Il y introduit la notion de mots exclamatifs et de phraséologie exclamative, le terme exclamation désignant toutes les formes d’expression non purement « logiques » ou « intellectuelles » (lesquelles correspondent à l’assertion ou à l’interrogation pures) :

50

§259. L’exclamation et l’interrogation. […] La phrase soi-disant interrogative « Que n’étiez-vous là ? » marque le regret, « Vous tairez-vous à la fin ? » marque l’impatience, etc. Il est donc préférable de supprimer cette distinction usuelle entre deux groupes de faits d’intonation qui en réalité ne sont séparés par rien d’essentiel : disons que l’interrogation qui n’interroge pas appartient au langage dit exclamatif, quitte à donner à ce terme un sens tout à fait général, comprenant la totalité des intonations affectives. […] Il est très difficile dans la pratique spontanée du langage, de poser une question entièrement intellectuelle, parce qu’une question n’est presque jamais désintéressée ; dans la vie ordinaire, on n’interroge pas pour le plaisir d’interroger ; une question est le plus souvent l’expression d’un besoin et d’un désir qui s’accompagne de mouvements affectifs. […] C’est ainsi qu’une interrogation comme « Viendrez-vous ? » peut arriver à signifier « Je veux que vous veniez ! » et prend alors une intonation impérative.
(Bally, 1909)

51Bally positionne ensuite les mots-phrases (dont les interjections) au sein de toute une gamme d’expressions exclamatives dont le contenu affectif prend l’ascendant sur le contenu sémantique strict, au point de le supplanter totalement :

52

§260. […] 2. Tantôt l’élément intellectuel d’un fait d’expression est entièrement absorbé par son contenu affectif ; il se vide alors de toute signification réductible à quoi que ce soit d’intellectuel (représentation concrète ou notion abstraite) ; il devient le réceptacle d’une catégorie plus ou moins déterminée de sentiments, que l’entourage et notamment l’intonation précisent dans chaque cas. Or les interrogations du type « Que voulez-vous ? » [marquant la résignation, ou « Qu’est ce que vous dites là ? », marquant la surprise], reçoivent leur caractère spécial et intermédiaire du fait qu’elles s’acheminent vers ce terme d’évolution sans l’atteindre encore ; des exclamations comme bon ! bien ! etc., s’en rapprochent déjà davantage ; enfin il est atteint, à mon avis, par des exclamations comme sapristi ! sacrebleu ! diantre ! etc. […] On ne les prononce plus que pour exprimer un sentiment, une émotion, et cela sans la moindre intervention de l’idée de ce sentiment ; […] ce sentiment n’est déterminé dans chaque cas que par le contexte et l’intonation ; ainsi l’exclamation mon Dieu ! exprime l’impatience dans : « Mon Dieu ! que vous êtes ennuyeux ! », le désir dans : « Mon Dieu ! que j’aimerais avoir ça ! » et une sorte d’indifférence dans « Mon Dieu ! allez-y si ça vous fait plaisir ! ». Mais si l’on voulait des exemples parfaits de cette catégorie d’expression, il faudrait citer des interjections pures comme ah ! eh ! oh !, car elles n’ont jamais rien signifié qui puisse être analysé intellectuellement ; ce sont d’anciens réflexes, des cris involontaires de plaisir et de douleur, mais ils ont fini par prendre une valeur symbolique, et sont employés avec cette valeur pour exprimer des mouvements affectifs purs.
(Bally, 1909)

53Le « caractère essentiel » qu’il attribue aux faits de langage exclamatifs est la présence obligatoire de ce qu’il nomme intonation affective (§261), laquelle se retrouve dans tous les mots exclamatifs, qui sont soit des interjections (voir description ci-dessus), soit des mots « qui sont abaissés au rang de simples exclamatifs par l’envahissement progressif de l’élément émotif dans l’expression de la pensée, p. ex. : allons ! tiens ! voyons ! bien ! etc. » (ibid.) [17].

5.2 – Visée illocutoire

54L’« intonation affective » dont parle Bally de manière un peu impressionniste peut être envisagée de manière pragmatique, en replaçant les mots-phrases dans une réflexion sur les actes de langage, en particulier la notion de visée illocutoire, dont nous allons présenter brièvement les différentes sortes (5.2.1). Cela nous permettra de délimiter l’ensemble des mots dont la visée illocutoire est figée et d’opposer définitivement cet ensemble aux autres, en particulier celui des prédicatifs (5.2.2).

5.2.1 – Types de visée illocutoire

55Nous avons vu que les noyaux sont des unités macrosyntaxiques et que les mots-phrases, à l’exception des prédicatifs, ont la propriété d’être des noyaux. Par conséquent, ils portent en eux une force illocutoire (Austin, 1962 ; voir aussi Gardiner, 1932 ; Benveniste, 1958). La notion de force illocutoire n’était pas dégagée à l’époque de Bally de façon aussi claire qu’elle l’est aujourd’hui, mais nous la retrouvons peu ou prou dans le terme intonation affective, qui dénote un concept similaire. Austin (1962 : 147 sv.) classe les forces illocutoires en différents types en fonction de leur but. Searle et Vanderveken (1985 : 13-15) reprennent ce classement et isolent la visée illocutoire (illocutionary point) comme la composante principale [18] de la force illocutoire. Les cinq visées décrites sont les suivantes (1985 : 37-40, 51-62) :

56

La visée assertive correspond à la description de l’état du monde (Je constate que…).
La visée commissive/implicative correspond à l’engagement du locuteur (Je promets que…).
La visée directive correspond à la volonté d’influencer d’autres personnes (J’ordonne que…).
La visée déclarative a pour but de changer l’état du monde par la parole (Je baptise…).
La visée expressive transmet des sentiments et des attitudes (Je crains que…).

57Nous n’entrerons pas à ce stade dans les détails de ce classement [19] et de l’argumentation : il suffit pour nous de repérer le figement de la visée illocutoire.

58Ainsi Hélas ! est fondamentalement expressif et ne peut être utilisé ni de manière directive (ordre, question), ni de manière assertive (si tel était le cas, il pourrait être nié, ce qui est n’est pas acceptable) :

[8]
– Hélas !
– *C’est faux.

59La même remarque, concernant l’impossibilité d’être nié, s’applique à Chut !, fondamentalement directif (J’ordonne qu’on se taise), ou à Merci !, fondamentalement déclaratif (Je remercie). Cette analyse trouve un écho dans les propos de Ducrot et Schaeffer (1995 : 733) :

[…] les interjections […] du français, et les mots de même fonction, que l’on trouve dans la plupart des langues, servent également à authentifier la parole : en les prononçant, on se donne l’air de ne pouvoir faire autrement que les prononcer […]
En d’autres termes, les mots-phrases (autres que les prédicatifs) sont essentiellement des unités qui ne peuvent s’envisager qu’en relation avec la parole, conséquence, selon nous, de leur visée illocutoire inhérente [20].

5.2.2 – Comparaison avec les prédicatifs

60Ce critère renforce la distinction entre les mots-phrases que nous nommons prédicatifs et les autres, puisque les segments il vient et oui (prédicatifs) n’ont pas de visée illocutoire a priori. Les mots oui, non et voilà ne portent pas de visée illocutoire propre : ils sont compatibles avec plusieurs visées illocutoires, et peuvent même ne pas en avoir du tout quand ils sont subordonnés ; p. ex. :

[9]
a. – Tu viens ? – Oui.
b. Tu penses venir ? Oui ?
c. Banquiers et politiciens peuvent-ils se corrompre mutuellement ? La preuve scientifique que oui. (lucky.blog.lemonde.fr, 27/06/2014)
d. Puis-je prendre mon lapin dans le train ? Si oui, y a-t-il un supplément à payer ? (questions.sncf.com)

61Il est parfaitement prévisible que oui employé dans une assertion puisse être nié.

[10]
– Est-ce que tu étais présent lorsque ça c’est passé ?
– Oui.
– C’est faux.

62Il en est de même pour les formes verbales finies. Elles sont compatibles avec différentes visées illocutoires, puisqu’elles n’en comportent pas de manière intrinsèque : cp. Il vient (visée assertive), Il vient ? (visée directive [21]), Il vient ! (visée expressive). Elles peuvent même ne pas en comporter à proprement parler quand elles sont en dehors du noyau : S’il vient, je n’aurais pas besoin de rester. Il y a donc une distinction essentielle entre noyau et prédicatif : un prédicatif peut être la tête d’un noyau et recevoir subséquemment une visée illocutoire pour former un énoncé discursivement autonome. On pourrait objecter que les verbes tels que promettre, baptiser, etc. sont généralement vus comme des lexèmes portant intrinsèquement une valeur performative (Austin, 1962) et donc une visée illocutoire correspondante (soit déclarative, soit commissive). Il est fondamental de nuancer : ces verbes sont performatifs dans leur emploi stéréotypé à la première personne du présent de l’indicatif, mais ils ne peuvent l’être intrinsèquement que si le lien entre l’énonciateur et l’acte de langage posé est indirect (comme c’est le cas du discours rapporté) ; par exemple, l’énoncé Il promet de partir n’est pas performatif eu égard à son énonciateur.

5.3 – Synthèse

63Il nous paraît donc approprié de faire du figement de la visée illocutoire un critère définitoire d’une classe de mots que nous nommons locutifs[22] et d’exclure définitivement les prédicatifs de cette classe [23]. Les mots-phrases de Tesnière se répartissent alors entre locutifs et prédicatifs.

64L’origine de ce qui nous paraît être une confusion entre prédicatifs et locutifs est que les représentants de ces deux classes ont en commun de ne pas nécessiter de contexte spécifique pour former des énoncés discursivement autonomes [24], c’est-à-dire qui ne sont pas dans la dépendance d’un autre énoncé. Ainsi, une phrase verbale constitue un énoncé grammaticalement acceptable quelle que soit la situation, ce qui n’exclut pas qu’elle puisse sembler étrange du point de vue de son contenu ou de sa visée illocutoire (p.ex. : Je pars demain en réponse à la question Quelle heure est-il ?). Par contraste, un mot comme chance ou comme scarabée ne peut constituer un énoncé acceptable que dans des situations énonciatives extrêmement contingentes.

65À ce stade, nous avons les moyens de délimiter la classe des locutifs. Il nous reste à en expliquer le fonctionnement syntaxique : faut-il se résigner à dire que les mots-phrases et les inserts relèvent uniquement de la macrosyntaxe et revenir en quelque sorte à notre point de départ ? La section suivante est consacrée à cette question et à celle des relations que les locutifs entretiennent avec les autres classes de mots.

6 – Locutifs dans le système de la langue

66L’objectif de cette section est de classer les principaux types d’opérations syntaxiques impliquant les locutifs – à ce titre, nos listes d’exemples ne se veulent pas exhaustives. Les nuances que nous avons dégagées nous permettent de comprendre la nature du rapport entre locutif et prédicatif au travers des opérations de translation en locutif (6.1), ainsi que le mécanisme de délocutivité entendu comme la translation d’un locutif en une autre espèce de mot (6.2). Les éléments « modifiant » les locutifs ou en « dépendant » méritent également une attention particulière (6.3).

6.1 – Le locutif comme une classe microsyntaxique

67La translation en locutif s’opère au moyen de marques grammaticales intégrées au système de la langue (6.1.1). Il en résulte que certains mots appartiennent parfois à une autre classe en plus de celle des locutifs (6.1.2). Les marques grammaticales impliquées sont autant d’indices morphosyntaxiques qui nous invitent à calibrer le concept de visée illocutoire en fonction des propriétés observées pour une langue donnée, en l’occurrence le français (6.1.3).

6.1.1 – Marques translatives

68Si le figement de la force illocutoire est le commun dénominateur des locutifs, la question de savoir si la classe qu’ils forment a un statut en microsyntaxe peut être formulée en ces termes : existe-t-il des marqueurs grammaticaux non autonomes de la force illocutoire ? Si tel est le cas, il devient évident que les locutifs doivent être considérés comme relevant d’une classe de mots microsyntaxique (comportant en outre des propriétés macrosyntaxiques).

69(a) Marques segmentales. Le français connaît plusieurs moyens analytiques de construire des énoncés à visée directive (injonctifs, interrogatifs) ou expressive. Ainsi, l’interrogation par inversion est faite par des moyens analytiques séquentiels, tandis que l’interrogation à l’aide de est-ce que (éventuellement considéré comme une marque indécomposable) ou à l’aide de pronoms interrogatifs se fonde sur des moyens segmentaux : Est-ce que c’est beau ?, Qui vient ? Il est intéressant ici de mettre en parallèle les pronoms relatifs (translatifs de prédicatif en adjectif : la personne à qui tu parles), les pronoms interrogatifs des interrogatives indirectes [25] (translatifs de prédicatif en substantif : Je me demande à qui tu parles) et les pronoms interrogatifs des interrogatives directes (À qui parles-tu ?), que nous considérons donc comme des translatifs de prédicatif en locutif. Ce rôle translatif des pronoms interrogatifs directs pourraient expliquer leur antéposition [26].

70De la même façon, les mots que et comme donnent une visée illocutoire expressive à un prédicatif, qu’il s’agisse d’une phrase verbale (Que c’est beau ! Comme c’est beau !) ou, pour que, d’un prédicatif averbal (Que oui !). L’‘adjectif’ quel transforme n’importe quel nom en un énoncé exclamatif acceptable [27] : Quelle chance que tu sois là ! vs *Chance que tu sois là ! Le résultat peut être équivalent au locutif converti sans marque segmentale (comme le locutif Dommage ! dérivé du nom dommage par conversion) : Quel dommage que tu ne viennes pas ! vs Dommage que tu ne viennes pas !

71La catégorie grammaticale de l’impératif est intrinsèquement injonctive et fixe également la visée illocutoire directive (Taisez-vous ! Allons-y !), de même que certains emplois directifs (ex. [11]) et expressifs (ex. [12]) de l’infinitif :

[11]
Enlever les pépins, et les couper en lamelles fines, puis citronner. Peler les oignons. Les couper en rondelles, les faire blanchir 5 min à l’eau bouillante salée.
[12]
Et grenouilles de se plaindre ; Et Jupin de leur dire : …
(Jean de La Fontaine, Les Grenouilles qui demandent un Roi, nous soulignons).

72Nous considérons donc l’impératif et ces emplois de l’infinitif comme autant de translatifs de verbe en locutif. Il existe donc des marques grammaticales qui permettent de donner aux phrases une certaine visée illocutoire. Les mots qui possèdent intrinsèquement ce type de visée forment une classe qui partage les propriétés de constructions microsyntaxiques. En termes tesniériens, le locutif est ainsi l’espèce de mot équivalant à la phrase-énoncé et les mécanismes grammaticaux qui permettent à un prédicatif d’être utilisé comme un énoncé peuvent être décrits comme de véritables translations en locutifs.

73(b) Marques non segmentales. À côté de ces marques segmentales, il est clair que les marques intonatives fixent la visée illocutoire des phrases verbales et que les prédicatifs y sont également sensibles [28], comme on peut l’observer dans l’exemple suivant (adapté d’Ameka, 1992 : 115, note 4), où Non ? ! signifie ‘continue ton histoire, je ne suis pas du tout au courant’ :

[13]
– Fred s’est marié avec Sue hier.
– Non ? !

74En outre, le contexte dialogique forme une sorte de marque ‘contextuelle’ quand il permet à n’importe quelle catégorie syntaxique de recevoir une visée illocutoire et de former un énoncé en réponse à une question :

[14]
– Est-ce que tu penses venir ?
– Dans quelques jours.

75Comme remarqué ci-dessus (2.2), certains locutifs peuvent résulter de conversions, ce qui correspond à la conventionnalisation d’un emploi locutif d’un mot appartenant à une autre classe (Dommage !, Halte !). Cela relève du figement et donc de la diachronie, mais la conséquence en synchronie est qu’un nom tel que halte est compatible d’une part avec une translation libre substantivale par l’article (Ils font une halte bien méritée) et, d’autre part, avec une translation figée en locutif à l’aide d’une marque intonative appropriée. Dans la suite, nous distinguerons les locutifs purs (comme les interjections) et les transférés figés en locutif (comme Halte !). Cette distinction ne vaut que si l’on considère que les transférés figés conservent (au moins en partie) leur catégorie d’origine, point sur lequel nous ne nous prononcerons pas vraiment (cf. néanmoins 6.3).

76(c) Révision du classement des visées illocutoires. L’observation des marques nous permet de réviser le classement des visées illocutoires proposé ci-dessus (5.2.1) pour lui substituer une typologie qui rende mieux compte de la diversité des visées prévues par le système de la langue. Ainsi, l’absence de marque grammaticale impliquant une visée commissive [29] et la faible spécificité des marques de la visée assertive (p.ex. l’emploi de l’indicatif) pour le français invitent à écarter ces visées – cela n’exclut toutefois pas que certaines langues puissent peut-être les grammaticaliser. La visée directive nous paraît devoir être subdivisée en visée injonctive et en visée interrogative, étant donné la présence d’outils très spécifiques à ces effets de sens [30].

  1. La visée déclarative tente de modifier l’état du monde par la parole (on y retrouve notamment des énoncés à caractère performatif qui réalisent un acte social par la parole). – Marque : emploi optatif du subjonctif avec morphème que (Qu’il pleuve !) ; locutifs : Bonjour !, Merci ![31], Bravo !, Pardon ! et transférés figés : Félicitations !, Bien à vous (à la fin d’une lettre), Suivant ! [= ‘Le tour d’une personne est terminé, c’est au tour de la personne suivante’], Échec ! (au jeu d’échecs).
  2. La visée directive injonctive essaye d’influencer l’interlocuteur en le faisant agir. – Marques : impératif, infinitif dans les recettes, intonation injonctive ; locutifs : Ouste ! Chut ! Motus ! et transférés figés : Halte ! Silence ! S’il vous plaît ! Plaît-il ? [= ‘Répétez je vous prie.’], À N de Vinf (p. ex. À toi de jouer !).
  3. La visée directive interrogative influence l’interlocuteur en le poussant à répondre à une question. – Marques : enclitique (Zoé vient-elle ?), intonation interrogative ; locutifs : Qui ?, Comment ?, Quoi ? (pronoms interrogatifs), Est-ce que P ?, n’est-ce pas ?, hein ?, non ? (cf. les tag-questions de l’anglais : He is here, isn’t he ?) et transférés figés : Et donc ?, Mais encore ?
  4. La visée expressive communique le ressenti du locuteur. – Marques : comme + proposition, quel + nom, intonations expressives diverses ; locutifs : Aïe !, Eurêka !, Ouh la !, Eh ! et transférés figés : Peste !, Chic !, Chouette !, Dommage !, Par exemple !, Heureusement (que P) ![32], Quoique !, bon, ben, enfin.

6.1.2 – Classes multiples

77Le mécanisme de translation implique que certains mots ont des classes différentes en discours. La question de la diversité des classes associées à tel ou tel mot n’est pas neuve. On appréciera de ce point de vue l’échange suivant entre Gardiner (1932) et Jespersen (1924). Voici ce que Gardiner dit au sujet des mots qui accèdent au statut d’interjections à partir d’autres catégories lexicales :

78

As regards their inner form, interjections derive their particularity from the anticipation they carry with them of employment as exclamations, i.e. as purposeful references to something presently experienced by the speaker. This word-class is swelled by accessions from other classes – by nouns like rubbish and fiddlesticks, and by verbs like hark and bother. When such a word has obtained general currency as an exclamation, the rank of an interjection must be conceded to it in addition to its original rank. As we have seen, there is no reason why a word should not belong to more than one word-class ; silver, for example, is at once noun and adjective and verb. Accordingly, the fact of rubbish being a noun does not prevent it from being also an interjection ; but to qualify as an interjection, a word must needs [sic] be habitually, not merely exceptionally, used as an exclamation.
(Gardiner, 1932 : 317)

79Il ajoute une note où il dit :

80

I am here polemizing against Jespersen, who, in discussing the habit of regarding interjections as a ‘part of speech’, writes as follows (Philosophy, p. 90) : « [As a last part of speech the usual lists give interjections, under which name are comprised both words which are never used otherwise (some containing sounds not found in ordinary words e.g. an inhaled f produced by sudden pain, or the suction stop inadequately written tut and others formed by means of ordinary sounds e.g. hullo, oh), and on the other hand words from the ordinary language e.g. Well ! Why ? Nonsense !] The only thing that these elements have in common is their ability to stand alone as a complete “utterance” ; otherwise they may be assigned to various word classes. They should not therefore be isolated from their ordinary uses. Those interjections which cannot be used except as interjections may most conveniently be classed with other “particles”. » But what Jespersen depreciatingly stigmatizes as the ‘only thing’ distinguishing interjections from other words is so important and so striking that it amply justifies the placing of them in a separate category. Moreover, a noun like nonsense habitually used as an exclamation is not on the same footing as a noun like fire only exceptionally so used. Jespersen would not have taken this line if he had been clear about the distinction between ‘language’ and ‘speech’, and if he had realized that the so-called ‘parts of speech’ are categories of language.

81On peut voir dans ce commentaire une analyse qui va dans notre sens. Gardiner oppose Nonsense ! dont le statut exclamatif releverait de la langue à Fire !fire prendrait sa valeur exclamative en parole. Il faut pour cela voir Fire ! comme signifiant Du feu ! exclamatif en parole, et non Au feu !, expression figée locutive appartenant à la langue. Nous distinguerons, pour notre part, la translation figée de nonsense en locutif avec la translation libre de fire en locutif, du même ordre que la translation libre des prédicatifs lorsqu’ils forment des énoncés.

6.2 – Délocutifs

82Les locutifs correspondant à des noyaux, leur insertion éventuelle dans une structure de dépendance microsyntaxique plus large passe nécessairement par un changement de classe – une translation libre (6.2.1) ou figée (6.2.2) – qui leur fait perdre leur visée illocutoire.

6.2.1 – Translation libre de locutifs ?

83Tesnière ne donne que deux exemples de translation de locutifs : ce sapristi de polisson et un grand tralala (Brouillon : §218 ; les autres exemples qu’il donne relèvent de la translation des prédicatifs oui, non ou voilà), mais il faut bien admettre que ces constructions ont un caractère conventionnel évident : il ne s’agit pas de translations libres. Il semblerait qu’il y ait là une sorte de blocage. Les locutifs sont par nature des noyaux et ne peuvent être régis que dans le cadre de relations microsyntaxiques permettant de subordonner des énoncés complets (comprenant leur visée illocutoire). En dehors de ces cas, il n’y a par essence pas de translation libre de locutif en une espèce de mot microsyntaxique [33] étant donné la position supérieure que cette classe occupe dans le stemma/l’arbre de dépendance. Les verbes régissant du discours direct, comme dire, sont les seuls éléments pouvant potentiellement fournir des translatifs de locutifs.

84L’analyse de Tesnière pour le français est cohérente avec le reste de son système : pour lui, il n’y a pas de relation « structurale » (microsyntaxique) entre dire et la représentation de l’oral qu’il introduit (Éléments : ch. 242, §3 et §8) : le lien qui unit les deux « phrases » est pour lui purement sémantique (il est macrosyntaxique, comme exposé pour d’autres cas ; cf. 4). L’analyse alternative est proposée par Iordanskaja et Mel’čuk (2009 : 218-220), qui font du discours cité un dépendant du verbe (ils emploient l’étiquette de quotative-object pour ce type de complément). La question est difficile en français (Blanche-Benveniste, 1989 ; Blanche-Benveniste et Willems, 2007) et même dans certaines langues où il existe un marqueur phonologisé de citation d’énoncé [34] : le discours direct conserve une forme d’indépendance syntaxique. Cette difficulté peut être résolue par une analyse combinant une approche macrosyntaxique à une description microsyntaxique ; dans Il ne faut pas dire « Merde ! » quand on est bien élevé, il y a deux noyaux, donc deux énoncés complets. Par contraste, dans Tu pourrais dire merci !, il n’y a qu’un seul noyau, le mot merci faisant ici partie d’une collocation signifiant ‘remercier’ sans obligation d’énoncer le locutif Merci !, comme le remarque Anscombre (1985) :

85

il n’est nul besoin d’énoncer Adieu ! pour dire adieu : « …Un regard, sans espoir, défait, perdu. Genre ultime, de chien à l’agonie qui te dit adieu du coin de l’œil… ».
(San Antonio, Chérie, passe-moi tes microbes, p. 185)

86Dans dire merci, il n’y a donc pas translation libre de locutif par dire, mais une translation figée de Merci ! en substantif. Cette constatation reformule de manière plus satisfaisante le critère de « non subordonnabilité » généralement retenu pour définir les classes de mots assimilables à celle de nos locutifs. Une relation microsyntaxique qui permet à un noyau d’être subordonné ne saurait lui retirer sa visée illocutoire, sans quoi il ne s’agirait plus d’un locutif.

6.2.2 – Translation figée de locutif

87Si la translation libre des locutifs paraît difficilement possible, la translation figée de locutifs en d’autres espèces de mots est elle assez développée. Il s’agit donc avant tout d’un phénomène diachronique : le figement d’un énoncé en une unité lexicale. Nous parlerons dans ce cas de délocutivité (syntaxique), le locutif perdant alors sa visée illocutoire.

88(a) Délocutivité chez Benveniste. La notion et le terme délocutivité ont été introduits par Émile Benveniste (1958 [1966 : 278]) :

89

salutare se réfère non à la notion de salus, mais à la formule « salus ! » […]. Ce statut double de salus explique qu’on puisse dire à la fois salutem dare « donner le salut » (= « sauver ») et salutem dare « donner le “salut” » (= « saluer »). […] On voit bien que, malgré l’apparence, salutare n’est pas dérivé d’un nom doté de la valeur virtuelle d’un signe linguistique, mais d’un syntagme où la forme nominale se trouve actualisée comme « terme à prononcer ». Un tel verbe se définit donc par rapport à la locution formulaire dont il dérive et sera dit délocutif.

90Bien que Benveniste n’introduise pas le terme locutif (il parle de locution sans attacher le terme à une notion bien précise), les verbes délocutifs comme les conçoit Benveniste sont comparables aux formations déverbales ou dénominales, c’est-à-dire des mots obtenus par dérivation à partir d’un verbe ou d’un nom : le délocutif est formé à partir d’un locutif. Entendre locutif comme une classe syntaxique autorise à étendre [35] et à développer l’analyse dans les cadres de la syntaxe (sous la forme d’une translation) et à définir d’autres classes de destination que les verbes.

91(b) Classe résultante des délocutifs. Si l’on exprime en nos termes l’analyse de Benveniste, la constitution du verbe salutare se fonde non sur le substantif salus (cf. aussi 1966 : 280), mais sur le noyau (locutif) Salus !, qui perd sa visée illocutoire et devient de ce fait susceptible de subir une translation subséquente (en l’occurrence, en verbe). Les langues regorgent de phénomènes de ce type ; p.ex. : fr. hu-er ‘dire « Hou ! »’, biss-er ‘dire « Bis ! »’, re-merci-er ‘dire « Merci ! »’, saluer ‘dire « Salut ! »’, etc. Par contre, nous ne considérerons pas que tutoyer ou vouvoyer (donnés comme exemple par Benvéniste) sont des délocutifs, puisque les mots tu et vous ne relèvent pas de la classe des locutifs.

92Suivant leur environnement syntaxique, qui détermine la classe dans laquelle ils sont transférés, on peut ainsi ajouter aux verbes délocutifs les noms, les adjectifs et les adverbes délocutifs. Les noms sont fréquents : dire merci, dire adieu, faire un bonjour de la main, pousser un grand ouf de soulagement, ou encore dans les expressions (cf. Anscombre, 1985) faire tilt (de Tilt ! ‘Euréka !’), ou jouer à pile ou face (de Pile ou face ?). De même, les noms issus d’énoncés fondés sur un prédicatif sont également des délocutifs : un rendez-vous (de l’impératif Rendez-vous (là) !) [36], un sauve-qui-peut (de Sauve qui peut !) ou un m’as-tu vu (de l’interrogatif M’as tu vu ?) [37]. Les adjectifs délocutifs (modifiant un nom) semblent plus rares. On pense à de merde (un temps de merde, un vétérinaire de merde), qui tient aussi à notre avis, au moins en synchronie, davantage du locutif (de l’énoncé Merde !) que du nom signifiant ‘excrément’. Les constructions telles que un putain de camion ‘un camion qui fait s’exclamer ‘Putain de camion !’’, un sapristi de polisson ‘un polisson qui fait s’exclamer ‘Sapristi de polisson !’’ sont également des délocutifs – la délocutivité conduit ici à une construction syntaxique totalement atypique [38]. Parmi les adverbes, on peut citer diablement ‘au point de s’exclamer ‘Diable !’’ [39], fichtrement (Fichtre !) et vachement (La vache !). Entrent également dans ces catégories les greffes [40] lexicalisées qui sont figées dans des emplois substantivaux, adverbiaux ou se comportent comme des déterminants : Dieu sait quoi, n’importe où, je ne sais quel N.

93(c) Cas de l’interrogation indirecte. En français, il est possible de supprimer implicitement la visée directive d’énoncés interrogatifs fondés sur un pronom interrogatif et de construire des interrogations indirectes [41] : cp. Il lui demande à qui appartient cette veste et Il lui demande : « À qui appartient cette veste ? ». En effet, si comme nous l’avons postulé (6.1.1 a), les pronoms interrogatifs ont la faculté de transférer les prédicatifs en locutifs portant une visée illocutoire directive (interrogative) intrinsèque, alors les pronoms interrogatifs des interrogatives indirectes seraient dérivés de ceux-ci par perte de la visée illocutoire. La valeur interrogative de la subordonnée dite interrogative n’est d’ailleurs plus portée par le dit pronom interrogatif, mais par le verbe recteur, comme le montre l’absence de valeur interrogative quand le verbe recteur ne l’est plus : p.ex. dans Il m’explique à qui appartient cette veste ou Je sais à qui appartient cette veste, aucune visée directive (interrogative) n’apparaît. D’un point de vue macrosyntaxique, on passe de deux à un seul noyau. Parallèlement, d’un point de vue microsyntaxique, la construction est régie par le verbe.

6.3 – Dépendants de locutifs

94Comme relevé dès la section 1, il apparaît que les locutifs ont une combinatoire très contrôlée. La classe ne pouvant être considérée comme « uniquement macrosyntaxique » (v. 4.2), les éléments qui dépendent des locutifs doivent être décrits en termes microsyntaxiques : il s’agit de compléments ou de modifieurs (6.3.1). La question se pose de manière spécifique pour les termes transférés en locutifs (6.3.2).

6.3.1 – Compléments et modifieurs

95Certains locutifs peuvent régir des compléments (de présence ou de forme contrainte) : Fi de la vie ! Qu’on ne m’en parle plus ! (Brouillon : §198) ou Ohé du canot ! (ibid.). Contrairement à ce que l’on observe pour les autres classes de mots, les locutifs paraissent n’accepter que quelques modifieurs dont la sélection dépend du lexème choisi : cp. Zut/Merde/Flûte alors ! à *Hélas/Chut alors ! et *Zut plus tard ! Cela suggère que la liberté qui caractérise normalement ce type de relation (Éléments : ch. 56) n’est pas applicable pour les locutifs. Il apparaît donc que ces derniers n’acceptent pas de modification, ce qui est une conséquence du figement de la visée illocutoire qui fonde leur ‘locutivité’. Les dépendants qui semblent être des modifieurs font toujours intervenir une part de figement, ce qui les rapproche davantage des compléments. Si les locutifs n’acceptent pas de modifieurs libres, on peut leur reconnaître une valence dans certains cas très contraints et ranger les traditionnelles interjections dans la classe des locutifs n’acceptant jamais de complément.

96D’un point de vue macrosyntaxique, les locutifs purs acceptent les ad-noyaux dont l’incidence se fait à un énoncé complet, le locutif impliquant un acte d’énonciation :

[15]
Franchement, zut ! [= « Franchement, je dis : “Zut !” »]
[16]
Zut pour l’est [= « Je dis : “Zut !” pour l’est »]
(Brouillon : §198)
[17]
Merde à Vauban [= « Je dis : “Merde !” à Vauban »]
[18]
Vous deux au fond, chut ! [identification du destinataire]
[19]
La syntaxe, franchement, bof. [= « À propos de la syntaxe, je dis : “Bof.” »]

97Les ad-noyaux sont parfois réanalysés comme compléments microsyntaxiques. Ainsi, dans Zut alors ! l’adverbe alors est initialement un post-noyau qui cadre l’énonciation de Zut ! : Dans ces conditions, je dis : « Zut ! », qui perd sa valeur de modalisation d’énoncé et se fige à l’intérieur du noyau. La réanalyse d’une combinaison macrosyntaxique en une relation de rection est également illustrée par les combinaisons de deux locutifs sans lien microsyntaxique qui se figent en un unique locutif : mouais bof, ah bon, eh bien, oh oui, eh beh, ah merde, oh putain, bah non, etc.

6.3.2 – Dépendants des termes transférés en locutifs

98La question des dépendants des locutifs est particulièrement problématique pour les termes ayant subi une translation figée vers cette classe (6.1.1). On s’interroge face à Grand merci ! Bordel de merde ! Doit-on considérer que les noms merci et bordel régissent respectivement un adjectif et un complément ‘déterminatif’ ou que ces compléments sont associés au locutif, la classe du nom n’ayant plus d’impact sur la combinatoire de ces mots ?

99La première possibilité implique que les termes transférés en locutifs conservent leur classe microsyntaxique au niveau inférieur, ce qui semble être la position de Jespersen (1924 : 90) déjà cité en 6.1.2. Nous ne partageons pas cette position, car les mots utilisés comme locutifs montrent des propriétés combinatoires différentes de leur catégorie d’origine, même lorsque leur sens reste comparable. Par exemple, l’adverbe heureusement peut être modifié par bien ou fort quand il dépend d’un verbe :

[20]
Bien heureusement, grâce à ce bec verseur, ça sera de l’histoire ancienne !
[21]
Fort heureusement, chaque réussite est l’échec d’autre chose.
(Jacques Prévert, Fatras, 1966, nous soulignons)

100Mais une telle modification devient impossible lorsqu’il est transféré en locutif [42] :

[22]
*Bien heureusement que ça sera de l’histoire ancienne !
[23]
*Fort heureusement que chaque réussite est l’échec d’autre chose.

101À l’inverse, le locutif heureusement régit une complétive, ce qu’il ne peut jamais faire en emploi adverbial. On peut comparer : Ça s’est terminé heureusement (grâce à l’arrivée de Pierre) et *Ça s’est terminé heureusement que Pierre est venu.

102Au regard de cette distinction entre deux niveaux de syntaxe, les locutifs forment des noyaux. Ils ont indéniablement un fonctionnement macrosyntaxique, formant soit des énoncés autonomes, soit des noyaux associés (cf. 4.1.2). Par exemple, le mot Hélas ! peut former un énoncé indépendant, mais il est employé comme noyau associé dans l’énoncé suivant :

[24]
je sais aussi hélas le lourd tribut payé par certains de vos compagnons d’armes […]
(Rhap-M2001)

103Les modifieurs peuvent également être les reliquats des dépendants d’unités au niveau microsyntaxique qui se sont figées en locutifs qui sont en relation de dérivation avec des non-locutifs et qui héritent de certains de leurs dépendants (Un grand merci !, Bordel de merde !, Pas bravo !).

7 – Conclusion

104Nous avons abordé la question des mots-phrases en nous attachant au projet initial (ensuite abandonné) de Tesnière qui était d’intégrer ces mots à son système, où la translation joue un rôle central. Cette contrainte nous a amenés à jeter un regard renouvelé sur la classification des mots-phrases. Même si les travaux de Bally (1909) comportaient les fondements d’une solution, résoudre le problème de Tesnière nécessitait des outils conceptuels qui ont été élaborés postérieurement à ses travaux [43] ; par ordre de progression de notre exposé : extension de la notion de translation aux classes syntaxiques par Lemaréchal (section 3), macrosyntaxe par Blanche-Benveniste (section 4), visée illocutoire par Austin, puis Searle et Vanderveken (section 5) et délocutivité par Benveniste (section 6.2). L’impasse dans laquelle Tesnière se trouvait (de même que Mel’čuk après lui, cf. 2.2) vient de la non-prise en compte de la distinction d’une part entre le verbe (catégorie lexicale, exigeant une flexion pour occuper une position syntaxique) et le prédicatif (catégorie syntaxique) et, d’autre part, entre la prédicativité (potentiel microsyntaxique de gouverner la phrase) et la locutivité (potentiel macrosyntaxique de porter la visée illocutoire).

105Nous proposons de renoncer à la notion de mot-phrase et lui préférer celles de locutif et de prédicatif. Le locutif n’est pas l’équivalent du clausatif, défini par Mel’čuk comme une espèce de mot microsyntaxique (cf. 2.1). Les locutifs ont des propriétés microsyntaxiques, mais aussi macrosyntaxiques : ils se situent à la frontière entre les deux niveaux de syntaxe. La classe des locutifs englobe en outre des unités qui ne fonctionnent que comme noyaux associés (les inserts, cf. 4.1.2) et qui n’étaient jusque-là pas clairement répertoriées dans les classements en parties du discours. Les locutifs sont stockés dans le lexique avec leur visée illocutoire, laquelle est une composante essentielle de leur sens. En les caractérisant de la sorte, nous avons pu les rapprocher de termes grammaticaux, comme les conjonctions et pronoms interrogatifs et exclamatifs, qui sont autant de translatifs en locutifs (6.1.1). Toutefois, leur visée illocutoire inhérente contraint leur combinatoire microsyntaxique (5.2.2) : d’une part leur combinatoire microsyntaxique comprend uniquement des compléments, parfois figés (6.3) ; d’autre part la translation des locutifs en termes subordonnés se limite à des phénomènes très spécifiques (éventuellement le discours cité, 6.2.1) et à la translation délocutive figée (6.2.2). En comparaison, les prédicatifs se distinguent des locutifs par l’absence d’une visée illocutoire propre, ce qui leur donne la possibilité d’être subordonnés. Les problèmes que nous évoquions en guise d’introduction à cette étude à travers le projet Rhapsodie et l’impasse de Tesnière trouvent ainsi une solution systématique et homogène.

106Toutes ces propriétés placent les locutifs au centre du système de la langue : lexèmes à la frontière entre la macrosyntaxe et la microsyntaxe, ils cristallisent en langue l’articulation entre l’acte de langage et la structure syntaxique qui le fonde. Il reste à présent à vérifier la pertinence des classes dégagées pour d’autres langues que le français.

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Date de mise en ligne : 06/05/2016

https://doi.org/10.3917/tl.071.0007

Notes

  • [*]
    Les auteurs voudraient remercier les personnes suivantes pour leurs conseils et leurs remarques, qui ont permis de nombreuses améliorations : José Deulofeu, Kim Gerdes, Igor Mel’čuk, Paola Pietrandrea, Alain Polguère et Pierre Swiggers.
  • [1]
    Le treebank Rhapsodie (http://www.projet-rhapsodie.fr/) est librement consultable. Il a fait l’objet d’une annotation syntaxique, en micro- et macrosyntaxe (voir définition en 4.1.1), entièrement corrigée à la main. Les exemples issus de ce corpus peuvent être retrouvés en utilisant l’interface de consultation disponible sur le site du projet.
  • [2]
    Parmi les rares travaux qui abordent le problème par la syntaxe, on peut citer le travail descriptif de Biber et al. (1999) pour la Longman Grammar of Spoken and Written English avec plus de 20 pages consacrées à la classification des mots-phrases et des expressions similaires (tags, inserts, non-clausal units). La définition des mots-phrases, appelés ici inserts, y reste néanmoins assez traditionnelle (v. note). Les travaux spécifiquement consacrés aux interjections posent l’absence de combinatoire syntaxique comme critère définitoire de cette classe (Ameka, 2006) ; nous reviendrons à cette posture (4.2).
  • [3]
    « Dépourvus de structure interne, privés de tout fonctionnement grammatical, les mots-phrases apparaissent comme des mots figés. Ils n’ont par eux-mêmes aucun intérêt du point de vue de la syntaxe structurale » (Éléments : ch. 45, §12 ; c’est l’auteur qui souligne). Cette idée émerge déjà dans l’article programmatique de Tesnière (1934 : 221).
  • [4]
    Les deux points de vue ne s’opposent pas. Si de nombreux auteurs classent effectivement les interjections selon le type de phrases qu’elles forment, il est bon de rappeler, à la suite de Gardiner (1932 : 318), qu’elles n’en sont pas moins une classe de mots de la langue : « Interjections have been discussed at some length because the purest and most thoroughgoing exclamations are those which employ them. But I trust that it has been made perfectly clear that interjections are merely a class of words, while exclamations are sentences ».
  • [5]
    Nous pensons au contraire que les mots-phrases sont centraux dans la langue, à tel point que si un langage ne comprend qu’une seule catégorie de mots, celle-ci sera assimilable à celle des mots-phrases. À l’époque où Tesnière forgeait le terme mot-phrase, Gardiner, lui, introduisait celui de phrase-mot (angl. word-sentence). Dans un chapitre intitulé « The undifferentiated word-sentence of prehuman times » (1932 : 116 sv.), Gardiner suggère que certains états du langage, notamment chez les animaux pré-humains et chez les enfants en phase d’acquisition, ne contiennent que des phrases-mots, c’est-à-dire des phrases qui ne peuvent être décomposées en la combinaison de plusieurs signes linguistiques. Il note que, pour un tel langage, les unités de la langue, qui constituent le lexique du locuteur, vont elles-mêmes être des phrases-mots : « The unit of animal speech would be identical with the unit of animal language, except in so far as the former would require muscular effort and translation into sound » (Gardiner, 1932 :118).
  • [6]
    Dans le Brouillon (§206-217), Tesnière considère les translations en mot-phrase suivantes : translation de noms ((mon) Dieu ! Grand Dieu ! Diable ! Diantre ! (Juste) Ciel ! Miséricorde ! Peste ! Dame ! Salut ! Adieu ! Pardon ! Attention ! Alerte ! Pitié ! Grâce ! Courage ! Paix ! Patience ! Silence ! À merveille ! ; Dommage qu’elle soit si laide !, Du diable si j’y comprends quelque chose !), d’adjectifs (Hélas ! Ferme ! Bon ! Bravo ! ; Bien sûr qu’il s’est trompé !), de verbes (Tiens ! Gare ! Suffit ! Vive ! Vivat ! Soit ! Allons ! Stop ! Halte ! ; Dire qu’il y a …) et d’adverbes (Comment ! Sus ! Bien ! Arrière ! Bis ! ; Heureusement, que tu as tort !, Plus souvent que je vais le remercier !).
  • [7]
    Ce phénomène semble du même ordre que ceux que Tesnière nomme translations fonctionnelles (Éléments : ch. 162) : selon Tesnière, quand il est question de désinences casuelles, ce n’est pas la marque de cas qui permet au nom de dépendre d’un verbe, car un nom dépend par nature d’un verbe. Par contre, cette marque exprime la fonction de l’unité transférée et « distingue les actants de même rang » (Éléments : ch. 52).
  • [8]
    Tesnière lui-même a bien senti le rôle translatif des articles. Il explique que l’article est une forme atténuée de translatif qu’il appelle indice : « La translation comporte deux opérations catégoriques, la première consiste à sortir le transférende de sa catégorie d’origine, la deuxième consiste à le verser dans sa nouvelle catégorie. Les translatifs dont nous parlons ici n’exécutent que cette deuxième opération. » (Éléments : ch. 169, §2). Dès lors qu’on considère que le nom sans article n’appartient pas à la même classe distributionnelle que le nom avec article, il y a bien translation au sens plein du terme.
  • [9]
    À ceci près que Tesnière utilise le terme substantif pour désigner ce que nous appelons le nom.
  • [10]
    Les tenants de la distinction entre micro- et macrosyntaxe ont rejeté le terme de proposition au profit du terme construction verbale. Nous pensons que, maintenant que la distinction entre micro- et macrosyntaxe est suffisamment bien établie, le terme proposition peut être réintroduit sans risque de confusion. Nous appelons proposition la projection microsyntaxique du verbe, c’est-à-dire l’ensemble des éléments dominés par un verbe par le biais de relations microsyntaxiques.
  • [11]
    Cette approche nous a été suggérée par Henri-José Deulofeu (voir aussi Deulofeu, 2003), lors d’échanges fertiles dont nous le remercions particulièrement.
  • [12]
    Nous simplifions notre pensée pour les besoins de l’exposé. Nous pensons en particulier que la structure arborescente est insuffisamment expressive pour représenter les relations syntaxiques. Elle nécessite d’être assouplie de deux manières : possibilité pour un dépendant d’avoir plus d’un gouverneur (Éléments : ch. 246) et possibilité pour les relations de porter sur d’autres relations (Kahane et Mazziotta, 2015).
  • [13]
    Nous mobilisons davantage la notion de force illocutoire ci-dessous (voir section 5).
  • [14]
    On notera que cette particularité de ne pas être absolument autonomes amène certains auteurs à ne pas les intégrer à la catégorie des interjections : « [This definition], however, excludes some other items, such as English well, which have sometimes been included in the interjection class, because they are not capable of forming independent nonelliptical utterances » (Ameka, 2006).
  • [15]
    Voir Brouillon : §209, où Tesnière présente ces cas comme la translation (figée) de mots de différentes espèces en mots-phrases.
  • [16]
    On ne peut évidemment exclure que, comme pour les autres parties du discours, les prédicatifs donnent également par translation figée (conversion en l’occurrence) des locutifs (voir 5.2), cf. certains emplois comme Voilà ! C’est fini ! ou Non ! C’est pas vrai ! au sens ‘Ça alors !’. Voir également la note 23.
  • [17]
    Les travaux de Bally étaient loin d’être étrangers à Tesnière. Si Tesnière n’a pas pleinement vu ce qu’il pouvait retirer de la notion d’exclamation et de mots exclamatifs, il a néanmoins repris la terminologie de Bally (notamment le terme affectif) dans sa classification des mots-phrases, puisqu’il considère d’un côté les phrasillons logiques (oui, non, voilà) et de l’autre les phrasillons affectifs (Éléments : ch. 46, §10).
  • [18]
    Searle et Vanderveken (1985 : 12-20) découpent le concept de force illocutoire en sept composantes, dont le degré d’intensité et de sincérité. Nous n’entrons pas ici dans ces détails.
  • [19]
    Voir 6.1.1 c pour un autre classement davantage fondé sur des critères morphosyntaxiques.
  • [20]
    Si Tesnière ne fait bien sûr aucune référence à la visée illocutoire, sa classification des mots-phrases semble néanmoins basée sur celle-ci. Comme nous l’avons dit dans la note 17, Tesnière opère une première séparation entre d’un coté les phrasillons logiques (oui, non, voilà) et de l’autre les phrasillons affectifs (Éléments : ch. 46, §10). Or cette division correspond exactement à la séparation entre les phrasillons sans visée illocutoire propre et ceux qui possèdent une visée illocutoire inhérente. Les phrasillons affectifs sont eux-mêmes classés en phrasillons impératifs (chut !, hep !, s’il vous plaît !), c’est-à-dire avec une visée directive, et en phrasillons impulsifs (aïe !, oh !, hélas !, ouais !), c’est-à-dire avec une visée purement expressive.
  • [21]
    « Questions are always directive […] » (Searle et Vanderveken 1985 : 199). Questionner, c’est ordonner qu’on me réponde. Point de vue à moduler néanmoins, selon les remarques de Bally sur les exclamatives présentées ci-dessus.
  • [22]
    Ameka l’envisage sans en faire une propriété définitoire : « From the point of view of pragmatics, the debate about whether or not interjections are speech acts remains to be resolved » (2006). À l’inverse, Wierzbicka (1992) défend que les interjections ne sont pas des actes de parole.
  • [23]
    On notera que le mot ouais du registre familier du français standard (c’est-à-dire non considéré comme la graphie d’une variante purement phonique) n’est pas équivalent à oui. En effet, ouais possède une visée illocutoire expressive et n’est donc pas compatible avec certaines positions occupées par oui : cf. *Tu penses venir ? Ouais ?, *La preuve scientifique que ouais ou *Si ouais, y a-t-il un supplément à payer ?
  • [24]
    Voir toutefois 4.1.2 sur les « noyaux associés ».
  • [25]
    Les pronoms des interrogatives directes et indirectes doivent être distingués. Même si certaines formes (comme qui) fonctionnent dans les deux emplois, d’autres formes n’acceptent qu’un seul des deux emplois : Je me demande ce que tu fais vs Que fais-tu ? ; Qu’est ce que tu fais ? ; Tu fais quoi ? Voir 6.2 pour la relation entre les deux séries.
  • [26]
    Sur le rôle translatif des mots qu-, voir Éléments : ch. 246 et les développements de Kahane (2002).
  • [27]
    Il existe tout de même des contraintes sur cet emploi de quel et des différences d’interprétation selon la nature du nom. Ducrot et Schaeffer (1995 : 608) reprennent à ce propos une étude de Milner (1978 : ch. 5, §5), qui répartit les noms, adjectifs et adverbes de degré en deux grandes catégories, les mots classifiants et les mots non-classifiants, ces derniers possédant un « potentiel exclamatif » : « On a les contrastes suivant entre le classifiant médecin et le non-classifiant idiot : On peut dire Cet idiot de Jean, mais non Ce médecin de Jean. […] Dans Quel idiot !, on s’exclame à propos de l’idiotie de Jean, dans Quel médecin !, l’objet de l’exclamation n’est pas la profession d’une personne, mais le fait qu’il l’exerce bien ou mal. La même répartition se fait parmi les adjectifs. Dire qu’un roman est inachevé, c’est le situer dans une sous-classe particulière des romans, mais dire qu’il est abominable, c’est donner une appréciation personnelle sur lui. Ici encore la possibilité ou l’impossibilité de l’exclamation peut servir de test. On dit Quel roman abominable !, mais pas Quel roman inachevé !.
  • [28]
    On pourrait penser que même les locutifs peuvent changer de visée illocutoire, comme dans le dialogue suivant : – Fous le camp ! – Fous le camp ? Toutefois, il s’agit d’une construction bien particulière, la question écho, qui pose que le locutif est employé en mention (‘Ai-je bien entendu que tu as dit : « Fous le camp ! » ?’).
  • [29]
    En assouplissant ce critère, on peut mentionner comme locutifs commissifs : Promis ! (et Promis, juré, craché !), Entendu, OK, Ouais, D’accord.
  • [30]
    Même si les deux restent similaires du point de vue du logicien (5.2.1).
  • [31]
    Nous considérons que le nom merci de dire merci est un transféré figé du locutif Merci ! et non l’inverse, lequel locutif est lui-même un transféré figé d’un autre emploi du nom merci qui n’existe plus en français contemporain que dans des expressions figées comme sans merci et à la merci de (Anscombre, 1985). Cf. aussi 6.2.
  • [32]
    On peut se convaincre que heureusement a bien une visée expressive avec un exemple comme le suivant : « La conseillère est sympa, elle nous encourage à travailler, mais heureusement que nos parents nous ont aidés », soulignent Luca et Kévin. (leparisien.fr). Le test de la négation permet de vérifier qu’il y a bien visée expressive. Si l’on compare les trois énoncés suivants, on note que a et c peuvent être contredits par C’est faux !, mais pas b : a. Heureusement, nos parents nous ont aidés ; b. Heureusement que nos parents nous ont aidés ; c. Il est heureux que nos parents nous aient aidés.
  • [33]
    Nous excluons ici la capacité qu’ont toutes les formes linguistiques d’être employées en mention (c’est-à-dire avec une fonction métalinguistique, v. Rey-Debove, 1978). Tesnière a identifié ce phénomène sous la dénomination de translation formelle (Éléments : ch. 166) et observe déjà que ce type de translation ne peut générer que des noms (ch. 166, §6).
  • [34]
    C’est le cas du sanscrit iti, qui n’implique pas nécessairement une subordination (Renou, 1996 : §393) ou du japonais to, qui termine une citation enchâssée, mais non nécessairement subordonnée (Shimamori, 1997 : 285 sv.).
  • [35]
    La notion de délocutivité a été revisitée et étendue par Ducrot (1980) et Anscombre (1979), qui la décrivent sous la forme généralisée suivante : 1/ un morphème associé à un sens particulier existe en langue ; 2/ il est employé en discours dans un énoncé sinon figé, tendant au figement ; 3/ le sens du morphème évolue dans le contexte formulaire ainsi figé ; 4/ les emplois préalables à l’évolution du sens sont réinterprétés conformément au nouveau sens. Sans contester l’analyse, ni les glissements sémantiques associés à la délocutivité, ni la relocutivisation d’un délocutif (étape 4) ne nous paraissent fondamentaux pour notre propos.
  • [36]
    Notons que Tesnière voit dans un rendez-vous une translation du premier degré de verbe en nom (Éléments : ch. 191). À défaut d’y voir une translation de mot-phrase, il aurait dû au moins y voir une translation du second degré, (Problème : §2.1.3). Il semblerait que Tesnière soit là guidé par un déterminisme morphologique – l’article impliquant la translation du premier degré et la conjonction de subordination celle du second degré.
  • [37]
    On contrastera ces exemples avec les V-N de la série productive tire-bouchon, porte-monnaie, pèse-bébé, tire-lait, etc. qui sont plutôt des dé-prédicatifs, obtenus à partir d’expressions prédicatives telles que ça tire le bouchon, ça porte ma monnaie, etc. Voir Villoing (2003) pour une discussion. Les V-N n’intègrent pas de visée illocutoire dans leur sens.
  • [38]
    Dans un cadre dépendanciel strict, il est malaisé de dire quel élément est le gouverneur syntaxique du syntagme (un) putain de camion. Voir par exemple Polguère (2014) qui analyse putain comme la tête syntaxique et camion comme la tête sémantique. Notons que camion contrôle l’accord de l’article qui est pourtant sur putain.
  • [39]
    « Certains adverbes semblent aussi s’expliquer par dérivation délocutive. Un exemple de B. de Cornulier. L’interjection « Diable ! », par laquelle le locuteur marque son embarras, au moment où il parle, devant un fait qui « le dépasse », semble bien le E1 dont a été tiré l’adverbe de quantité diablement (E2), qui exprime le haut degré, et équivaut à peu près à extrêmement. En disant d’un livre qu’il est diablement intéressant, on signifie en quelque sorte que l’intérêt du livre atteint un niveau susceptible d’arracher l’interjection « Diable ! ». L’énonciation virtuelle de cette interjection servirait ainsi à attester le degré extrême pour décrire le livre, on se réfère à un discours interjectif dont il pourrait être l’objet. » (Ducrot et Schaeffer, 1995 : 610)
  • [40]
    La notion de greffe a été dégagée par Deulofeu (1999). Il s’agit d’énoncés possédant leur propre force illocutoire qui s’insèrent dans un autre énoncé à la place d’un autre syntagme : vous suivez la ligne du tram qui passe vers la [je crois que c’est une ancienne caserne je crois] voilà (Rhapsodie-M0003).
  • [41]
    On notera que les pronoms interrogatifs complexes donnent également lieu à des pronoms interrogatifs indirects, même si ces derniers sont considérés comme fautifs et relèvent d’un style relâché : La vérité vaut-elle mieux qu’un mensonge, même si cela fait mal ? Oui, au moins tu sais qui est ce que tu as en face de toi. (ask.fm).
  • [42]
    L’acceptabilité de ces exemples dépend peut-être de la variation diaphasique. On trouve quelques occurrences comme : Bien heureusement qu’on en met une de photo car bizarrement votre intervention est arrivé qu’a partir du moment ou il y avais une photo (livenplay.fr) ; « Fort heureusement que Juice, capturé, met tout le monde dans l’embarras (cadebordedepotins.com, 26/10/2014, à propos de la série Sons of Anarchy).
  • [43]
    Rappelons que les Éléments de syntaxe structurale ont été publiés en 1959 à titre posthume. Lucien Tesnière est décédé en 1954. La première partie de l’ouvrage (ch. 1 à 47), présentant l’architecture du système et se terminant par les deux chapitres sur les mots-phrases (ch. 45 et 46), était achevée en 1938 (Bibliothèque nationale de France, NAF 28026, boîte 39). Selon le témoignage de Marie-Hélène Tesnière, Lucien Tesnière est tombé malade à la fin de la guerre et le manuscrit a peu évolué à partir de 1943.

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