Notes
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[1]
Voir les auditions de la Commission violences de genre du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes dans son dernier rapport : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_rapport_violences_conjugales_2020_-_vpubliee.pdf ainsi que le rapport des sénateurs Arnaud Bazin et Éric Bocquet de juillet 2020 : https://www.senat.fr/rap/r19-602/r19-602.html
-
[2]
Entretien avec Marie-France Casalis du Collectif féministe contre le viol qui a longtemps travaillé auprès de la déléguée régionale aux droits des femmes d’Île-de-France.
-
[3]
Depuis 2012 il existe une structure interministérielle dédiée aux violences envers les femmes, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof). Sa secrétaire générale est une magistrate et du personnel est mis à disposition par les ministères de l’Intérieur et des Solidarités. Ses moyens relèvent néanmoins du ministère social. Centrée sur la production d’outils, ses fonctions sont centrées sur le développement et la professionnalisation des formations et l’harmonisation des données en tant qu’observatoire national. Par son expertise, la Miprof contribue à l’élaboration des plans mais elle n’a ni la légitimité, ni les fonctions dévolues pour assurer une coordination de la politique.
-
[4]
Le plan reprend des éléments de la Charte de l’égalité, rédigée quelques mois auparavant, fruit d’un travail interministériel (voir entretien avec Brigitte Grésy, alors directrice de cabinet de la ministre).
-
[5]
Le Grenelle a mis fin à l’existence de plans triennaux d’actions.
-
[6]
À l’issue du Grenelle le HCFeh a produit un tableau d’indicateurs de suivi dont il reconnaît qu’il peine à le renseigner : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_indicateurs_violences_conjugales_-_2019-2.pdf
-
[7]
Entretien avec Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes et ancienne coordinatrice nationale « violences faites aux femmes » de la Miprof.
-
[8]
Entretien avec Danièle Bousquet, op cit.
-
[9]
Par exemple dans le 3e plan le budget est réparti comme suit : ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale (11,30 M€), ministère de l’Intérieur (10 M€), le ministère de la Justice (6,40 M€), ministère du Logement (2,70 M€), ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé (1 M€).
-
[10]
Entretien avec Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre des Droits des femmes de 2012 à 2014.
-
[11]
Entretien avec Annie Ghilberteau, directrice générale de la Fédération des centres nationaux d’information sur les droits des femmes et des familles.
- [12]
-
[13]
Entretien avec Dominique Simon-Peirano, chargée de mission au Comité interministériel de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation du ministère de l’Intérieur.
-
[14]
Op cit.
-
[15]
Concernant les critiques à l’encontre du ministère de la Justice, nos interlocuteurs ont demandé l’anonymisation des propos.
-
[16]
Une loi-cadre sur les violences conjugales a été votée en 2004 qui parle de violences de genre. Concrètement en Espagne on trouve des équipes de police spécialisées, des référentes pour le suivi des dossiers et des tribunaux spécialisés pour traiter des violences de genre. Les femmes victimes bénéficient d’une assistance juridique gratuite, d’un accompagnement psychologique, d’aides économiques spécifiques, d’un accès prioritaire aux logements sociaux et aux maisons de retraite. Au niveau du droit du travail, les victimes peuvent aménager leur emploi du temps, suspendre leur contrat de travail et demander une mobilité géographique.
-
[17]
Voir entretien avec Isabelle Rome, alors Haute fonctionnaire en chargée de l’égalité femmes-hommes au ministère de la Justice.
- [18]
-
[19]
Rapport n° 2020-09-22 VIO-43 publié le 9 octobre 2020, Violences conjugales/Garantir la protection des femmes victimes et de leurs enfants tout au long de leur parcours.
-
[20]
Lors de la publication de son premier tableau d’indicateurs sur les violences conjugales le 9 juin 2021.
- [21]
- [22]
-
[23]
On sait depuis l’Enveff que les jeunes femmes ont des prévalences plus élevées. Dans Virage, près de 8 % des femmes âgées de 20 à 29 ans ont déclaré des faits de violence dans le couple (Brown et al., 2021) contre 5,5 % des 30-39 ans. Seul le 5e plan prévoyait des dispositifs spécifiques pour les jeunes femmes.
- [24]
-
[25]
Entretien avec Guy Geoffroy, élu UMP, membre de la délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale de 2002 à 2017.
-
[26]
Séance du 22 juin 2010-sénat M. François Pillet, rapporteur.
-
[27]
La Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique est entrée en vigueur en 2014. Elle reconnaît la violence à l’égard des femmes comme une violation des droits humains et une forme de discrimination à l’égard des femmes. Elle insiste notamment sur la nécessité d’avoir des politiques globales et coordonnées.
-
[28]
Entretien avec une capitaine de police responsable d’une brigade de protection de la famille.
-
[29]
La brigade des mineurs est devenue la brigade de protection de la famille (BDPF) depuis 2009.
-
[30]
Intervention de Nicolas Sarkozy ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire lors de l’ouverture de la table ronde : https://www.interieur.gouv.fr/fr/Archives/Archives-ministres-de-l-Interieur/Archives-de-Nicolas-Sarkozy-2005-2007/Interventions/07.03.2006-Table-ronde-sur-les-violences-conjugales
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[31]
Entretien avec une capitaine de police qui dirige la brigade des mineurs.
-
[32]
Loi du 26 mai 2004 relative au divorce et loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences commises au sein du couple ou commises contre les mineurs.
-
[33]
La reconnaissance du viol entre époux a été faite par la Cour de cassation en 1991 et inscrit dans le Code pénal par la loi du 4 mars 2006.
-
[34]
Entretien avec Guy Geoffroy, op. cit.
-
[35]
Le rapport dresse des profils psychologiques des types d’auteurs et de leur degré de dangerosité avec les traitements possibles afférents.
-
[36]
Entretien avec une substitut du procureur de la République en charge des violences intrafamiliales.
1 La lutte contre les violences sexistes et sexuelles, relayée par les médias et les réseaux sociaux depuis l’affaire Weinstein en 2017, cristallise les mobilisations féministes et interpelle les pouvoirs publics. La dénonciation des féminicides, fortement médiatisés depuis 2019, est également au centre des mobilisations et alimente les fortes critiques sur l’inefficacité de l’action publique. Leur nombre reste encore élevé, 96 en 2003 contre 118 en 2022, selon le Collectif Féminicides par compagnons ou ex, expression du relatif échec de la politique. Afin d’améliorer la protection des femmes, un Grenelle sur les violences conjugales a été organisé à l’automne 2019 débouchant sur 46 mesures et sur la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Ce Grenelle s’inscrit dans une structuration de la politique de lutte contre les violences conjugales depuis deux décennies qui a donné lieu à quatre lois et cinq plans d’actions interministériels (voir encadré). Pour autant, encore aujourd’hui les associations du secteur parlent d’échec de cette politique [1] et continuent de dénoncer le manque de moyens et de coordination entre les différents acteurs. Comment expliquer le manque apparent d’efficacité de cette politique ?
2 Depuis l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff) de 2000, les travaux sur les violences conjugales se sont développés mais l’action publique pour lutter contre ces violences n’a été que peu étudiée. Elisa Herman [2016] a été la première à retracer l’historique de l’élaboration de la politique publique et s’est centrée sur le travail social féministe des associations qui accompagnent les victimes. Pauline Delage [2017] a construit une analyse critique de l’action publique en s’inscrivant dans une perspective comparative entre la France et les États-Unis pour étudier l’émergence et l’évolution d’associations spécialisées dans l’accompagnement des victimes. Enfin, et sans prétendre à l’exhaustivité, ont également été conduites une analyse des campagnes de communication portée par l’État sur le sujet [Hernandez et Kunert, 2014], une autre sur l’intégration dans la loi française des concepts internationaux en matière de violences de genre [Allwood et Wadia 2009, Allwood, 2016] et plus récemment Solenne Jouanneau a consacré son mémoire d’habilitation à diriger les recherches aux acteurs judiciaires et associatifs [Jouanneau, 2022]. Quant aux travaux sur les politiques dites de « genre », ils ont soit porté sur l’action des institutions en charge des droits des femmes [Dauphin, 2010 ; Revillard, 2016], soit rendu compte de la construction de ces politiques par l’interaction entre des groupes d’agents au sein de l’État et des mouvements féministes ainsi que de l’influence des normes internationales [Mazur, 2002 ; Muller, 2008] sans être ciblés sur les violences. Aussi l’originalité de cet article est de s’intéresser à la construction de la politique d’égalité femmes-hommes à travers la question des violences de genre. Dans quelle mesure celles-ci illustrent les difficultés à maintenir l’objectif d’égalité dans la mise en œuvre d’une action publique dédiée ?
3 Notre propos s’inscrit dans une analyse cognitive de l’action publique [Muller, 2013], centrée sur le rôle des institutions en charge d’impulser et de conduire la politique de lutte contre les violences conjugales. Cette dernière est portée par le ministère en charge de l’Égalité des sexes, instable au grè des gouvernements [Dauphin, 2010]. Un Service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE) assure la continuité de l’action publique. Les défauts de coordination et d’articulation sont le résultat de tensions entre politique sectorielle et transversale d’autant que la transversalité est fortement encouragée [Douillet, Lebrou et Cigalo Santos, 2019]. La sectorisation offre la visibilité au risque d’ambitions modestes ; la transversalité permet d’inclure et de sensibiliser un ensemble d’acteurs au risque de la dilution dans le droit commun [Dauphin, 2011]. Nous expliquons le manque d’efficacité de cette politique par les paradoxes liés à sa transversalité générant une fragmentation des actions dû à un manque de coordination entre les politiques d’égalité, sociale et de lutte contre la délinquance. En effet, l’accompagnement des victimes fait partie de l’action sociale ce qui rattache cette politique aux politiques sociales. Parce que ces violences constituent des délits, des crimes punissables, elles font également partie de la politique de lutte contre la délinquance. Or, les politiques, sociale et de lutte contre la délinquance, privilégient un accompagnement de personnes qualifiées de « vulnérables » par des approches individualisées reposant sur le registre psychologique des victimes comme des auteurs. Au bout du compte la spécificité des violences faites aux femmes, conséquence des inégalités structurelles, à savoir être un instrument de contrôle [Hanmer, 1977] et s’inscrivant dans le continuum produit par les rapports de domination et leur caractère systémique [Kelly, 1987], peine à être pleinement intégrée.
4 Cet article repose d’une part, sur l’analyse de la littérature grise (dossiers de presse, discours, rapports d’information), des textes de lois, débats et travaux parlementaires sur les violences conjugales (lois de 2006, 2010, 2014 et 2020), des cinq plans globaux de lutte contre les violences faites aux femmes, des travaux du Grenelle de l’automne 2019 et d’autre part, sur 26 entretiens (5 avec des député·es et sénateur·ices de la délégation aux droits des femmes et de l’égalité, 3 avec des directrices régionales aux droits des femmes et de l’égalité, 2 avec des anciennes ministres, 5 avec des fonctionnaires en charge de cette politique au sein des ministères de l’Égalité entre femmes et hommes et de l’Intérieur, 4 avec des procureurs de la République, 3 avec des référents violences intrafamiliales de gendarmeries et de commissariats et 4 avec des représentantes d’associations du secteur). Nous montrerons, en premier lieu, comment la place institutionnelle du ministère de l’Égalité et de son administration ne permet pas d’assurer une interministérialité efficace rendant chaque ministère concerné autonome sur ses actions. Nous illustrerons ensuite comment le manque de coordination dans la lutte contre les violences conjugales entre politique d’égalité, politique sociale et lutte contre la délinquance conduit à associer les femmes aux publics vulnérables et à privilégier une approche répressive et protectrice au détriment d’une approche préventive.
Une coordination interministérielle quasi inexistante
Un ancrage institutionnel fragile
5 En 2007, avec la Réforme générale des politiques publiques (RGPP), le Service des droits des femmes et de l’Égalité a été intégré dans la direction de la cohésion sociale (DGCS) du ministère de la Santé et des Solidarités alors que précédemment il était rattaché aux services du Premier ministre, puis autonome au sein du ministère des Affaires sociales. Depuis lors, le réseau déconcentré des déléguées régionales et départementales n’est plus directement rattaché au Préfet. Ce rattachement s’est inscrit dans la logique où, depuis le milieu des années 1990, les ministres en charge des droits des femmes étaient le plus souvent intégrés au ministère des Affaires sociales. Cette intégration est d’abord une perte de moyens humains. Le rapport du Sénat de juillet 2020 sur le financement de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes [Bazin et Bocquet, 2020] souligne que l’administration des droits des femmes est actuellement composée de seulement 25 équivalents-temps-plein au niveau national (contre 50 au début des années 2000) ce qui ne peut en faire une administration centrale dotée d’un poids suffisant ; il en est de même pour son réseau déconcentré composé d’équipes très restreintes (parfois une seule personne sans secrétariat). Cette intégration a ensuite des conséquences sur les fonctions transversales et la gestion de l’interministéralité, notamment dans le portage local de la politique contre les violences : « C’est une grande perte pour la coordination partenariale le fait que les déléguées départementales rendent compte côté cohésion sociale » [2]. Tandis que la ministre est rattachée au Premier ministre et peut porter une démarche transversale, son administration est étiquetée « sociale » et a donc une moindre légitimité à assurer l’interministérialité. Dans le même temps le référentiel central de l’égalité professionnelle, qui a dominé l’action des institutions dédiées aux droits des femmes depuis leur création dans les années 1970 [Dauphin, 2010 ; Revillard, 2016], est détrôné par la thématique des violences à la fin des années 2000. Ainsi, au moment même où se développe une politique de lutte contre les violences, l’institution qui l’impulse et la coordonne est affaiblie du fait de son intégration dans la DGCS. Le retour de ministres des droits des femmes rattachées au Premier ministre depuis 2012 n’a pas modifié le positionnement administratif du SDFE.
6 La conséquence de cette intégration pèse sur la mise en œuvre de l’interministérialité, rendue plus difficile [3] alors même que la lutte contre les violences conjugales exige, comme le note un rapport des corps de contrôle de plusieurs ministères, une hyperministérialité [Lux et al., 2008]. Les cinq plans d’action élaborés depuis 2003 en sont particulièrement illustratifs. En premier lieu les plans n’articulent pas tous violences et égalité, signe d’un consensus qui s’exerce par l’omission du cadre systémique de production de ces violences. Le 1er plan (2004-2006), rédigé dans l’urgence et sans réelle concertation [4], comportait un avant-propos explicite : « les violences conjugales, constituent des manifestations insoutenables d’inégalités persistantes et portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine » mais les suivants sont dénués d’avant-propos et se contentent de présenter des objectifs généraux d’accueil, d’accompagnement et de protection des victimes. Il faut attendre le 5e plan (2017-2019) pour retrouver une définition féministe en préambule, sans doute parce que le plan s’inscrit précisément dans une action générale de lutte contre le sexisme : « Qu’il s’agisse de violences sexuelles, de violences physiques ou de meurtres conjugaux, les violences faites aux femmes relèvent d’un continuum provoqué par une seule et même idéologie : le sexisme ». Avec le changement de gouvernement, ce plan ne sera pas vraiment suivi. En deuxième lieu, les plans, tout comme le Grenelle [5] de l’automne 2019, se caractérisent par l’absence de pilotage. À partir du 3e plan, les responsables des différentes actions sont clairement indiqués mais aucune structure globale ou pilote général ne sont désignés. Le Grenelle de l’automne 2019 a permis un travail interadministratif mais il a abouti à une liste de mesures sans axes structurés ou orientations générales qu’un pilote est censé donner. En troisième lieu, les plans présentent des axes articulés autour d’une série de mesures qui sont souvent répétitives d’un plan à l’autre montrant aussi l’absence d’obligation de résultat et de véritable évaluation. Il est question de cette dernière à partir du 4e plan, laquelle est confiée au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) – structure consultative créée en 2012, composée de personnalités et de la société civile. Cependant, il s’agit davantage d’un suivi de mesures que d’évaluer leurs impacts et effectivité [6]. Suivi et évaluation ont souvent été confondus : « il y a un problème d’évaluation de cette politique publique. On ne peut pas savoir comment s’est appliqué » [7] reconnait Ernestine Ronai, membre du HCEfh. La gouvernance de la politique de lutte contre les violences conjugales laisse ainsi transparaître la faiblesse institutionnelle dans le pilotage et la conduite de l’interministérialité de cette politique.
Encadré : Principales lois et plans d’actions sur les violences conjugales
• Loi du 26 mai 2004 relative au divorce a mis en place, sur le plan civil, la mesure d’éviction du conjoint violent du domicile conjugal.
• Loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive facilite, sur le plan pénal, l’éviction du conjoint ou du concubin violent du domicile conjugal.
• 1er plan global pour l’autonomie des femmes victimes de violence (2005-2007).
• Loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs élargit le champ d’application de la circonstance aggravante à de nouveaux auteurs (pacsés et « ex ») et reconnaît le viol entre époux.
• 2e plan (2008-2010) : 12 objectifs pour combattre les violences faites aux femmes.
• Loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants crée le dispositif de l’ordonnance de protection des victimes qui peut être délivrée par le juge aux affaires familiales ; reconnaissance dans le Code pénal des violences psychologiques.
• 3e plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes : protection, prévention, solidarité (2011-2013).
• Loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes améliore le dispositif de l’ordonnance de protection ; limite le recours à la médiation pénale ; crée les stages de responsabilisation des auteurs de violences au sein du couple ; oblige l’intégration dans la formation initiale et continue de certain·es professionnel·les des modules sur les violences intrafamiliales et faites aux femmes.
• 4e plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes (2014-2016).
• 5e plan de mobilisation et de lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes : Le sexisme tue aussi (2017-2019).
• Grenelle des violences conjugales : automne 2019.
• Loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.
• Loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur au parent violent ; pénalisation du harcèlement moral au sein du couple ; levée du secret médical possible ; aggravation des peines en cas de violation du secret des communications ou de géolocalisation par le conjoint.
Une approche globale rendue difficile par l’approche sectorielle des ministères régaliens
7 L’interministérialité est difficile à mettre en œuvre mais pas totalement absente de cette politique. Or, comme le remarque Danielle Bousquet, ancienne présidente du HCEfh : « Le point positif de l’interministérialité est que tout le monde est censé s’en occuper, le point négatif, chaque ministère est autonome sur ces questions » [8]. Il convient de distinguer les négociations entre ministres, arbitrées par le Premier ministre, et les négociations entre administrations ministérielles. De fait, s’il peut exister une volonté pour que chacun des ministères concernés agissent, chacun reste maître de la façon d’agir. En outre, le ministère de l’Égalité est face à des ministères régaliens que sont l’Intérieur et la Justice qui contribuent au financement de cette politique via le fonds de lutte contre la délinquance [9]. Ces derniers sont, de plus, « stables dans leur périmètre et leur organisation, et portés par des personnalités politiques fortes. À l’inverse, le portage par les droits des femmes est instable et son administration est limitée » [10]. La difficulté d’une coordination portée par l’institution des droits des femmes fait que « beaucoup de monde s’en occupe mais il n’y a pas vraiment de chef de file » [11]. Toutefois, il est difficile de contester les progrès réalisés. Les vives critiques portées aux conditions d’accueil des femmes victimes dans les commissariats et gendarmerie [12], ainsi qu’au traitement des plaintes par la Justice ont conduit à d’importants changements au cours des dernières années : développement des formations, présence d’intervenants sociaux en commissariats et gendarmerie (ISCG), délais de traitement. Ces changements ne sont pas le produit de l’interministérialité mais bien le résultat d’une volonté autonome sur le sujet qui expliquent que ce soit les dispositifs de ces ministères régaliens qui priment. Ainsi, le fonctionnement du ministère de l’Intérieur, à savoir un système hiérarchique particulièrement fort « qui oblige la base à rendre des comptes » [13] et des procédures réglementaires assez faciles à adopter a pu encourager le développement des formations : « les sujets considérés comme réglementaires, comme la formation, sont plus faciles à faire accepter » [14]. Le ministère de la Justice a été plus long à faire de la lutte contre ces violences une priorité [15] : « La Chancellerie est le temple du conservatisme » (responsable politique), « Nous rencontrons une grande difficulté à faire bouger les lois » (députée socialiste premier quinquennat Macron), « La chancellerie ne supporte pas que d’autres ministères interviennent selon le principe de base de la plus grande liberté aux juges » (agent SDFE). L’ordonnance de protection en est un exemple frappant. Créée par la loi du 9 juillet 2010, elle est inspirée d’un dispositif phare en Espagne [16] en écho aux demandes des associations. Elle permet l’éviction effective du conjoint violent du domicile que les femmes victimes aient ou non déposé plainte, et que l’agresseur ait été condamné ou non sur le plan pénal. Elle a été adoptée dans la loi de 2010 après des discussions difficiles avec la Chancellerie. Plusieurs innovations inspirées du modèle espagnol n’ont pas été acceptées par le ministère de la Justice comme la création de tribunaux spécialisés, qui ont à la fois des compétences civiles et pénales, et le délai maximum proposé de 48 heures pour rendre l’ordonnance de protection. La nomination en 2017 d’une Haute fonctionnaire sur l’égalité femmes-hommes au ministère de la Justice, directement rattachée au ministre, a assurément été un facilitateur pour contribuer à la participation active du ministère au Grenelle via le pilotage de plusieurs groupes de travail [17]. Avec des propositions issues de « ses troupes », de nouvelles mesures ont ainsi été récemment adoptées comme le renforcement de l’ordonnance de protection et un délai de traitement en temps réel. Au bout du compte les avancées se sont faites par une succession de lois qui améliorent les dispositifs existants (voir l’encadré) et constituent ainsi une sorte de mille-feuilles législatifs [Dauphin, 2023] et non pas dans le cadre d’une stratégie globale [18] qui fait toujours défaut.
8 Le positionnement et les moyens du SDFE chargé de la mise en œuvre de la politique d’égalité rendent problématique l’intégration d’une perspective féministe malgré la volonté politique affichée en matière de lutte contre les violences conjugales. Doté de peu de moyens, le ministère de l’Égalité est dépendant de la bonne volonté d’autres ministères à agir [Dauphin, 2010]. Aussi l’interministérialité conduit rarement à des actions coordonnées et encore moins pilotées en l’absence de légitimité du SDFE. La conséquence est la difficulté à imposer des dispositifs spécifiques et une approche sociale. La réponse pour lutter contre ces violences est une approche individuelle reposant principalement sur des dispositifs de droit commun.
Des actions integrées dans des dispositifs de droit commun
Une assimilation aux publics vulnérables
9 L’un des axes centraux d’intervention dans la politique de lutte contre les violences conjugales, est l’hébergement. Le logement d’urgence est source de tensions avec les associations depuis les premières mobilisations sur le sujet dans les années 1970. Les associations réclament des hébergements spécifiques pour les femmes et leurs enfants. Le HCEfh plaide depuis plusieurs années pour que les places d’hébergement soient gérées par des associations spécialisées, dans des centres non mixtes, sécurisés, dotés de professionnel·les formé·es aux questions de violences faites aux femmes [19]. Le HCEfh a dénoncé l’impossibilité d’obtenir le nombre précis de places en hébergements spécialisés [20]. Or, les engagements successifs de l’État pour créer des places en hébergement d’urgence sont le plus souvent des places en centre d’hébergement et de réinsertion sociale qui peuvent être spécialisés mais également « tous publics » (toxicomanes, sortants de prison, jeunes errants, etc.). Le rapport du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur l’action contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique [21] pointe également l’insuffisance des dispositifs d’hébergement spécialisés destinés aux femmes victimes de violences et estime que cette lacune est le reflet de politiques qui peinent à reconnaître la spécificité des violences faites aux femmes et tendent à les assimiler à d’autres problématiques sociales. Effectivement, la question des violences est traitée dans des dispositifs de droit commun, ici les lieux d’hébergement d’urgence dont les publics traditionnels – populations vulnérables, voire marginales – n’ont pas les caractéristiques des femmes victimes et de leurs enfants. Aussi, lorsque l’État s’engage à créer de nouvelles places, elles ne constituent pas forcément une réponse adaptée aux besoins des femmes victimes et peuvent conduire à les fragiliser encore davantage. La création de places dédiées dans des centres existants, qui sont de compétences d’État et non des départements, permet de rester à budget constant plutôt que de créer des places dans des logements spécialisés avoir un impact durable sur leur qui auraient un impact budgétaire plus important. La question budgétaire est assurément centrale. Les moyens dédiés ont progressé mais demeurent encore insuffisants. Un rapport du HCEfh d’avril 2019 dénonçait le manque de moyens financiers. Il estimait alors le budget à 79 millions d’euros et en réclamait 500 000 pour assurer un véritable parcours de sortie des violences [22]. Deux ans plus tard, un rapport du Sénat portant sur le financement de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, porté par un élu communiste et un élu des Républicains, critique un budget contraint et morcelé et demande où sont les 360 millions d’euros annoncés lors du Grenelle [Bazin et Bocquet, 2020].
10 Le fait d’associer les victimes de violences conjugales aux publics vulnérables est assurément à interroger. Si des situations de violences peuvent fragiliser les victimes, y a-t-il lieu pour autant de les associer aux publics vulnérables ? Comme dans le traitement traditionnel des formes de vulnérabilité (personnes âgées, personnes en situation de handicap, mineur·es), la logique est celle de « parcours » privilégiant une approche individuelle pour des personnes en manque d’autonomie. Les travailleurs sociaux traitent du problème individuel de la victime. Il ne s’agit pas de viser l’émancipation d’un groupe, mais de faire du « sur-mesure » individuel, en un maillage tout à la fois pluridisciplinaire et interinstitutionnel [Brodiez-Dolino, 2015]. Si les violences peuvent toucher toutes les femmes (quelques soient leur âge, catégorie sociale, ou origine), les principaux facteurs de risques de subir des violences sont d’une part, la jeunesse [23] et d’autre part, « ce n’est pas tant la profession ni son positionnement dans la classification des emplois (ouvrier/employé, cadre, etc.) qui importent, que la désocialisation des individus et la précarité sociale » [Brown et al., 2020, p. 197]. La question de l’autonomie est donc centrale mais elle est appréhendée différemment selon que l’accompagnement est effectué par des travailleurs sociaux « classiques » ou au sein d’associations féministes comme Élisa Herman [2016] l’a montré dans sa thèse. Le travail social féministe participe d’une conscientisation et fait de l’autonomie notamment financière sa priorité. Pourtant, alors que l’institution droits des femmes pense l’autonomie des femmes historiquement par l’égalité professionnelle, elle n’est qu’exceptionnellement abordée dans les plans d’actions interministériels de lutte contre les violences conjugales. Plus précisément, cette dimension est présente dans le plan global de 2001 et de 2004 mais a peu à peu tendu à disparaître. Un lien est à établir depuis le rattachement du SDFE à une direction sociale. L’insertion professionnelle a fait un bref retour dans le 5e plan (2017-2019), considérant que « les violences subies par les femmes constituent un frein supplémentaire à leur insertion professionnelle […]. Les violences peuvent avoir un impact durable sur leur accès à l’emploi. [24] » Des sensibilisations de professionnel·les de l’insertion sur les difficultés rencontrées par les femmes victimes ont notamment été organisées. Néanmoins, la thématique est à nouveau absente du Grenelle organisé à l’automne 2019 si ce n’est par la prise en compte dans la santé au travail de l’impact des violences conjugales. Cette absence peut s’expliquer précisément par l’assimilation aux dispositifs des populations les plus vulnérables portés par le ministère social. Un autre exemple significatif est celui du rapprochement avec les dispositifs de la protection de l’enfance. Dans les trois premiers plans d’actions une expérimentation avait été lancée pour agréer 100 familles d’accueil pour les femmes victimes de violence sur le modèle de la protection de l’enfance, associant finalement femmes et mineur·es. Le dossier de presse qui la promouvait, précisait : « Dans ce moment de reconstruction, être accueillies au sein d’un foyer assurera à ces femmes un soutien quotidien et personnalisé ». L’expérimentation sera vite abandonnée faute de trouver son public. Toutefois un lien a été établi entre vulnérabilité et dysfonctionnement familial.
L’oubli du genre dans les violences intrafamiliales
11 Dans le traitement des violences les femmes se retrouvent assignées à la sphère familiale. Si les plans d’actions interministériels portent sur la lutte contre les violences faites aux femmes, le vocable utilisé sur le terrain par les forces de l’ordre, les juges et les associations d’aide aux victimes est celui de violences intrafamiliales. En outre, l’intégration du Service des droits des femmes et de l’égalité au sein de la Direction générale de la cohésion sociale contribue à accorder une place significative aux questions familiales et de parentalité. Solenne Jouanneau et Anna Matteoli [2018] ont montré comment un dispositif phare de cette politique, l’ordonnance de protection, s’est retrouvée dans le giron du droit de la famille. Lors des discussions à l’Assemblée nationale, l’ordonnance est confiée au juge aux affaires familiales alors que la proposition de loi envisageait le juge délégué aux victimes. Les autrices dénoncent ainsi une justice qui repose sur des modèles et catégories qui alimentent les inégalités : pension alimentaire, conciliation, prestation compensatoire, priorité donnée à l’intérêt de l’enfant. Dans l’application, l’ordonnance est peu utilisée par crainte d’une instrumentalisation pour obtenir des droits difficiles à avoir dans les procédures classiques concernant l’autorité parentale, le droit de visite, etc. Dans la même logique, la remise en cause de l’autorité parentale des auteurs a été un long combat qui fait apparaître des tensions entre le principe de coparentalité de la politique familiale et la protection des femmes en cas de violences. Politique d’égalité et politique familiale n’ont jamais fait bon ménage [Commaille, Strobel et Villac, 2002 ; Dauphin, 2012]. La loi de 2010 en s’étendant à l’impact sur les enfants avait tenté de le faire sans succès [25]. L’amendement a été rejeté par le rapporteur de la loi et la ministre de la Famille qui était également responsable des droits des femmes. Le rapporteur avait dénoncé avec fougue cet amendement : « L’idée qui sous-tend cette proposition, c’est que l’auteur des violences, quelle que soit leur gravité, ne peut pas être un bon parent […] Non ! Cette idée est loin de faire l’unanimité […]. De plus, cet amendement remet en cause le principe cardinal au nom duquel il importe de maintenir, dans la mesure du possible, un lien entre l’enfant et ses deux parents [26]. » Des années de mobilisation ont été nécessaires pour infléchir le référentiel de la politique familiale. Depuis la loi du 30 juillet 2020 de protection des victimes de violences conjugales, le droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur est suspendu au parent violent. L’inégalité des rapports au sein de la famille, l’asymétrie des positions, sont impensées.
12 De même, le recours aux médiations civiles et pénales, mesures alternatives aux poursuites, dénoncé par les féministes, a lui aussi été un long combat. La médiation ne permet pas la reconnaissance de la gravité des actes puisqu’elle les ramène au cadre du conflit familial. La limitation de leur usage a été encouragée par la Convention d’Istanbul [27] et la loi sur l’égalité réelle du 4 août 2014. La loi du 30 juillet 2020 exclut enfin les possibilités de procédures de médiation en matière pénale et en matière civile en cas de violences conjugales, reconnaissant implicitement les phénomènes d’emprise. Plus globalement ce combat illustre toute la difficulté de différencier le conflit de la violence. Autre exemple, les interventions des forces de l’ordre sont codées comme « différent familial » puisqu’il n’existe pas de case « violences conjugales » [28]. Policiers [29], gendarmes et magistrats traitent précisément des violences intrafamiliales. Ce sont les mêmes professionnel·les qui vont traiter des violences au sein du couple et des violences sur descendants ou ascendants. Ce classement enferme dans la cellule familiale renvoyant à son dysfonctionnement et non à un rapport inégalitaire de domination. L’intervention du ministre de l’Intérieur lors d’une table ronde sur les violences conjugales le 7 mars 2006 est particulièrement significative de cet amalgame : « Il nous faut reconnaître que la cause des violences réside dans la difficulté de la vie à deux, qui peut prendre des formes très différentes. Nous sommes face à des situations familiales, personnelles, affectives dans tous les cas, qui sont loin d’être toutes les mêmes » [30].
13 Autre conséquence de cette imbrication dans les violences intrafamiliales, ce sont les femmes en tant que mères qui sont prises en compte, les enfermant potentiellement dans ce statut. Par exemple, les intervenant·es sociaux dans les commissariats et gendarmerie (ISCG), qui ont des fonctions d’accueil et d’orientation, ont été déployés depuis la loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007 afin d’améliorer l’accueil et l’orientation des victimes. Or, comme nous l’explique un enquêteur spécialisé dans les violences intrafamiliales, elle sert de registre à l’évaluation conduite auprès des potentielles victimes : « leur évaluation de la situation prend en compte le risque que fait courir la mère à ses enfants et peut entraîner un placement » [31]. Les mères sont la cible des interventions sociales sur les familles et le plus souvent désignées comme responsables des désordres familiaux [Cardi, 2010]. Ainsi, de victimes du point de vue du couple, elles peuvent également devenir coupables du point de vue de la famille. Malgré les avancées en matière de lutte contre les violences conjugales c’est comme si, au lieu de contribuer à l’émancipation des femmes et à l’égalité des sexes, on les réassignait à la famille. Cette approche explique aussi le manque de prévention sociale.
Une emprise du système pénal au détriment de la prévention sociale
14 Dans la dimension féministe d’interprétation de ces violences la question des auteurs est cruciale. La pénalisation est nécessaire pour condamner et punir mais il s’agit aussi de prévenir ces violences par les questions éducatives, de travail sur les représentations et les stéréotypes. Or, le référentiel pénal répressif prime. La reconnaissance des violences conjugales passe par leur pénalisation [32]. Le caractère aggravé du délit de violences physiques s’il est exercé au sein du couple a été reconnu en 1994 et celui de violences sexuelles avec la loi du 4 mars 2006 [33]. Quant à la pénalisation des violences psychologiques, elle date de la loi du 9 juillet 2010. La définition de ces dernières a été travaillée avec la chancellerie [34], laquelle a retenu le caractère répétitif. Elle a été renforcée par la loi du 30 juillet 2020. Le droit pénal protège les valeurs sociales considérées comme fondamentales dans une société [Conte et Maistre du Chambon, 2008]. Aussi cette inscription permet la reconnaissance de ces violences et leur non-acceptation sociale. La pénalisation associe une infraction à un acte de délinquance et permet la condamnation de ces violences. Ceci dit, la relation interpersonnelle est jugée mais ne garantit pas pour autant la prise en compte du cadre relationnel inégalitaire des violences au sein du couple, de l’asymétrie des positions.
15 Ce référentiel pénal s’est renforcé en 2006 lorsque les commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes ont été absorbées au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes. Elles avaient été créées en 1990 pour permettre la coordination entre la police, la justice, la santé, l’aide sociale et les associations d’aide aux victimes sur le terrain. Cette absorption a inscrit la lutte contre les violences faites aux femmes dans un registre judiciaire de la sanction au détriment des aspects plus sociaux et de prévention [Lux et al., 2008]. Le référentiel pénal qui prime est basé sur la répression et une prévention circonscrite à la dissuasion pénale et à la sécurité des victimes potentielles, au contrôle et à la neutralisation des délinquants [Gautron, 2006, p. 722]. Le droit pénal sanctionne des comportements en prononçant des peines modulées en fonction de la gravité de l’acte. Les auteurs ne sont pas seulement punis mais « traités ». Le traitement des auteurs pour lutter contre la récidive fait partie des axes structurants de la politique de lutte contre les violences conjugales et accompagne l’évolution de cette politique vers une justice « actuarielle » [Mary, 2001] de gestion de groupes à risques qui ne punit plus mais traite [Doron, 2010]. Dans le même temps qu’était adoptée la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences commises au sein du couple ou commises contre les mineurs, le rapport du professeur Coutanceau [35] était remis à la ministre de la Cohésion sociale et de la Parité. Le « traitement » est principalement pensé comme relevant du champ psychiatrique et alimente la perception d’un « malade », hypothèse certes valide dans certains cas mais qui va cependant à l’encontre de l’interprétation féministe, de la compréhension du caractère systémique des violences faites aux femmes. La prégnance d’une interprétation psychopathologique chez les auteurs est ancienne et se trouve en quelque sorte validée [Chetcuti et Jaspard, 2007]. Encore aujourd’hui, dans le cadre du Grenelle, est prévue la création de 30 structures d’accompagnement des auteurs de violences conjugales. Ces derniers y sont pris en charge d’un point de vue psychologique et médical, dont le traitement des addictions. Perdure ainsi l’idée de problèmes d’ordre psychopathologiques chez les auteurs davantage que l’expression d’une forme de domination perçue comme légitime.
16 Néanmoins, une approche plus sociale basée sur les stéréotypes existe également. La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle a créé des stages de responsabilisation des auteurs de violences, proposés en alternative à la peine lors d’une première condamnation. Ils sont particulièrement utilisés lorsque les auteurs n’ont pas de casier judiciaire et que l’infraction n’est pas « trop grave » [36]. Ils s’inscrivent dans un cadre éducatif qui vise la prise de conscience de l’infraction commise et de son caractère répréhensible pénalement. À cet égard, ils peuvent être envisagés comme des outils de « rééducation » des auteurs qui dépsychologise en partie l’interprétation des violences et prend en compte sa dimension culturelle et sociale. Cependant, les stages de responsabilisation ont été créés pour des infractions considérées comme mineures (détention de stupéfiants, sécurité routière, citoyenneté) pour répondre à la lourdeur et la lenteur du processus judiciaire ainsi qu’à l’inadéquation de sanctions classiques pour certains profils de délinquants [Gautron et Raphalen, 2013]. Aussi, s’inspirer de ce dispositif, qui renvoie à des infractions qualifiées de mineures, peut paradoxalement conduire à banaliser la gravité des faits. Les premières études conduites montrent que ces stages pour les auteurs de violences conjugales peinent à dépasser la seule prise de conscience de l’acte délictuel commis [Oddone, 2021]. Plus délicat, des entretiens que nous avons menés avec les substituts de procureurs montrent une banalisation de l’usage de ces stages également pour les femmes dans le cas de violences réciproques constatées sans que la question de violences défensives ait été réellement posée, renvoyant dos à dos victime et auteur. Une approche individualisée relevant de la justice pénale a ainsi pris le pas sur une approche basée sur la lutte contre les inégalités femmes-hommes.
Conclusion
17 La spécificité des violences conjugales, à savoir leur inscription dans le continuum produit par les rapports de domination et leur caractère systémique, peine à être reconnue d’une part, pour des raisons de gouvernance en l’absence de véritable pilote et d’autre part, parce que la politique de lutte contre les violences repose sur les référentiels dominants des politiques les plus structurantes, sociale et de lutte contre la délinquance. La reconnaissance de la spécificité des violences conjugales est aux prises de la tension entre politique sectorielle (politique de l’égalité des sexes) et transversale (intégrer l’égalité dans la politique sociale et la politique de lutte contre la délinquance). Ainsi, l’accompagnement des victimes est proche de celui des publics dits vulnérables propre à la politique sociale. Au lieu de voir les victimes comme fragilisées par une situation de violences issue d’un rapport de domination, elles sont perçues comme vulnérables, c’est-à-dire à risque de subir des violences. Par ailleurs, le traitement des auteurs par la politique de lutte contre la délinquance repose sur un registre essentiellement pénal, avant tout répressif et visant à protéger les victimes mais manque de dimension préventive. Tout au plus la prévention est pensée dans une approche psychologique du traitement des auteurs qui souffrent d’une « pathologie ». La prévention sociale, nécessaire pour lutter contre ces violences systémiques, est menée par le ministère de l’Égalité mais demeure sur le registre symbolique. Certes, la lutte contre le sexisme et les stéréotypes fait partie des plans d’action, avec des sensibilisations dès le plus jeune âge via l’Éducation nationale, mais peine à s’imposer plus globalement dans les autres politiques publiques concernées. Ceci dit, un travail plus spécifique sur la mise en œuvre locale de cette politique serait sans doute très instructif pour saisir les agencements par les différents acteurs sur le terrain.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : violences conjugales, action publique, politique d’égalité des sexes, féminisme d’État, France
Date de mise en ligne : 19/11/2024.
https://doi.org/10.3917/tgs.052.0081Notes
-
[1]
Voir les auditions de la Commission violences de genre du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes dans son dernier rapport : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_rapport_violences_conjugales_2020_-_vpubliee.pdf ainsi que le rapport des sénateurs Arnaud Bazin et Éric Bocquet de juillet 2020 : https://www.senat.fr/rap/r19-602/r19-602.html
-
[2]
Entretien avec Marie-France Casalis du Collectif féministe contre le viol qui a longtemps travaillé auprès de la déléguée régionale aux droits des femmes d’Île-de-France.
-
[3]
Depuis 2012 il existe une structure interministérielle dédiée aux violences envers les femmes, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof). Sa secrétaire générale est une magistrate et du personnel est mis à disposition par les ministères de l’Intérieur et des Solidarités. Ses moyens relèvent néanmoins du ministère social. Centrée sur la production d’outils, ses fonctions sont centrées sur le développement et la professionnalisation des formations et l’harmonisation des données en tant qu’observatoire national. Par son expertise, la Miprof contribue à l’élaboration des plans mais elle n’a ni la légitimité, ni les fonctions dévolues pour assurer une coordination de la politique.
-
[4]
Le plan reprend des éléments de la Charte de l’égalité, rédigée quelques mois auparavant, fruit d’un travail interministériel (voir entretien avec Brigitte Grésy, alors directrice de cabinet de la ministre).
-
[5]
Le Grenelle a mis fin à l’existence de plans triennaux d’actions.
-
[6]
À l’issue du Grenelle le HCFeh a produit un tableau d’indicateurs de suivi dont il reconnaît qu’il peine à le renseigner : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_indicateurs_violences_conjugales_-_2019-2.pdf
-
[7]
Entretien avec Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes et ancienne coordinatrice nationale « violences faites aux femmes » de la Miprof.
-
[8]
Entretien avec Danièle Bousquet, op cit.
-
[9]
Par exemple dans le 3e plan le budget est réparti comme suit : ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale (11,30 M€), ministère de l’Intérieur (10 M€), le ministère de la Justice (6,40 M€), ministère du Logement (2,70 M€), ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé (1 M€).
-
[10]
Entretien avec Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre des Droits des femmes de 2012 à 2014.
-
[11]
Entretien avec Annie Ghilberteau, directrice générale de la Fédération des centres nationaux d’information sur les droits des femmes et des familles.
- [12]
-
[13]
Entretien avec Dominique Simon-Peirano, chargée de mission au Comité interministériel de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation du ministère de l’Intérieur.
-
[14]
Op cit.
-
[15]
Concernant les critiques à l’encontre du ministère de la Justice, nos interlocuteurs ont demandé l’anonymisation des propos.
-
[16]
Une loi-cadre sur les violences conjugales a été votée en 2004 qui parle de violences de genre. Concrètement en Espagne on trouve des équipes de police spécialisées, des référentes pour le suivi des dossiers et des tribunaux spécialisés pour traiter des violences de genre. Les femmes victimes bénéficient d’une assistance juridique gratuite, d’un accompagnement psychologique, d’aides économiques spécifiques, d’un accès prioritaire aux logements sociaux et aux maisons de retraite. Au niveau du droit du travail, les victimes peuvent aménager leur emploi du temps, suspendre leur contrat de travail et demander une mobilité géographique.
-
[17]
Voir entretien avec Isabelle Rome, alors Haute fonctionnaire en chargée de l’égalité femmes-hommes au ministère de la Justice.
- [18]
-
[19]
Rapport n° 2020-09-22 VIO-43 publié le 9 octobre 2020, Violences conjugales/Garantir la protection des femmes victimes et de leurs enfants tout au long de leur parcours.
-
[20]
Lors de la publication de son premier tableau d’indicateurs sur les violences conjugales le 9 juin 2021.
- [21]
- [22]
-
[23]
On sait depuis l’Enveff que les jeunes femmes ont des prévalences plus élevées. Dans Virage, près de 8 % des femmes âgées de 20 à 29 ans ont déclaré des faits de violence dans le couple (Brown et al., 2021) contre 5,5 % des 30-39 ans. Seul le 5e plan prévoyait des dispositifs spécifiques pour les jeunes femmes.
- [24]
-
[25]
Entretien avec Guy Geoffroy, élu UMP, membre de la délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale de 2002 à 2017.
-
[26]
Séance du 22 juin 2010-sénat M. François Pillet, rapporteur.
-
[27]
La Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique est entrée en vigueur en 2014. Elle reconnaît la violence à l’égard des femmes comme une violation des droits humains et une forme de discrimination à l’égard des femmes. Elle insiste notamment sur la nécessité d’avoir des politiques globales et coordonnées.
-
[28]
Entretien avec une capitaine de police responsable d’une brigade de protection de la famille.
-
[29]
La brigade des mineurs est devenue la brigade de protection de la famille (BDPF) depuis 2009.
-
[30]
Intervention de Nicolas Sarkozy ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire lors de l’ouverture de la table ronde : https://www.interieur.gouv.fr/fr/Archives/Archives-ministres-de-l-Interieur/Archives-de-Nicolas-Sarkozy-2005-2007/Interventions/07.03.2006-Table-ronde-sur-les-violences-conjugales
-
[31]
Entretien avec une capitaine de police qui dirige la brigade des mineurs.
-
[32]
Loi du 26 mai 2004 relative au divorce et loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences commises au sein du couple ou commises contre les mineurs.
-
[33]
La reconnaissance du viol entre époux a été faite par la Cour de cassation en 1991 et inscrit dans le Code pénal par la loi du 4 mars 2006.
-
[34]
Entretien avec Guy Geoffroy, op. cit.
-
[35]
Le rapport dresse des profils psychologiques des types d’auteurs et de leur degré de dangerosité avec les traitements possibles afférents.
-
[36]
Entretien avec une substitut du procureur de la République en charge des violences intrafamiliales.