Notes
-
[1]
« Les rencontres d’Agen en 1997. Agricultrices et citoyennes », Le Paysan Morbihannais, n° 1423, 27 mars 1997.
-
[2]
Quarante-sept enquêtées composent le corpus ici étudié.
-
[3]
En exploitation agricole à responsabilité limitée (earl) ou en groupement agricole d’exploitation en commun (gaec).
-
[4]
Employées par la chambre d’agriculture ou par les réseaux de groupes de développement technique.
-
[5]
Comme chez les Mompreneurs, le capital parental des agricultrices constitue un puissant palliatif à un déclassement social. Toutefois, à la différence des Mompreneurs pour lesquelles la création d’une activité indépendante est ce qui permet de masquer une forte réimpression des rôles de genre au sein des couples et un repli sur le foyer [Landour, 2019], l’entrée en indépendance est chez les agricultrices la source même du déclassement, vécu subjectivement comme un renoncement professionnel et une perte d’autonomie au travail.
-
[6]
Trente des femmes enquêtées appartenaient aux professions et catégories socioprofessionnelles (pcs) ouvrières et employées avant leur installation. Parmi elles, dix-sept étaient des « actives discontinues » et occupaient des emplois sous-qualifiés, à durée déterminée.
-
[7]
Les chantiers d’ensilage fonctionnent sur la base d’entraide et d’interconnaissance agricoles. Les membres d’une même coopérative d’utilisation du matériel agricole se rassemblent pour la récolte des fourrages. Les agricultrices sont généralement en charge de préparer le repas et les en-cas pour les participants aux travaux collectifs.
-
[8]
« “La transparence, oui … mais en expliquant” », Paysan Breton, avril-mai 2006.
-
[9]
« Festival de l’élevage, les agricultrices reçoivent 1700 enfants », Terra, 7 mars 2008.
-
[10]
« Comices agricoles, participation active des gva », Le Paysan Morbihannais, n° 1432, 29 mai 1997.
1« Agricultrices nous le sommes quotidiennement en évoluant dans trois univers : famille, exploitation, milieu environnant. Nous allons allègrement de l’un à l’autre, c’est notre vie, notre fierté. Pour être à l’aise dans ces multiples rôles, l’agricultrice doit rechercher le calme et l’harmonie avec les enfants et le mari, donner une image positive d’elle-même et du métier, vivre au maximum la complémentarité entre femmes et hommes » [1].
2Dans cette allocution tenue à l’occasion d’un grand rassemblement d’agricultrices, réunissant les réseaux féminins les plus insérés dans l’environnement institutionnel dominant, une représentante agricole encense les qualités dites féminines, jugées essentielles à l’équilibre des familles agricoles et à la diffusion d’une image positive de la profession.
3À partir d’une enquête menée auprès d’agricultrices travaillant en couple sur leurs exploitations et engagées au sein de groupements professionnels féminins, cet article vise à éclairer le familialisme comme levier d’expression politique et ressource identitaire pour des femmes professionnellement déclassées au sein de l’espace agricole.
Méthodologie
Les entretiens, réalisés pour la plupart au domicile des enquêtées, ont généralement été accompagnés d’une visite de ferme et d’une invitation à partager un café, voire un repas. Cet accès, certes limité, à la scène domestique, nous a permis d’observer les interactions entre conjoints et/ou entre parents et enfants mais aussi, en certains cas, la relation aux apparentés et au voisinage.
Notre participation régulière aux réunions des groupes féminins et aux cercles amicaux afférents s’est également révélée féconde pour accéder aux représentations et pratiques familiales des agricultrices, à leur vision des rapports de genre mais aussi à leurs modes d’inscription dans l’espace social local.
4Tout en documentant les dimensions travail et famille au principe du « métier de couple » [Barthez, 1982], cet article se veut plus largement une contribution à l’analyse des ressorts indissociablement professionnels et politiques du « holisme familial » en agriculture. Cette notion, développée par Bernard Zarca à propos des familles commerçantes et artisanes, renvoie à trois critères : d’abord, un « traditionalisme conjugal » reposant sur une forte complémentarité des rôles entre conjoints et une division sexuelle du travail domestique aux dépens des épouses ; ensuite, « la promotion d’un intérêt communautaire » confondant l’intérêt familial de long terme avec le projet patrimonial ; enfin la « domination masculine » incarnée par la figure de l’homme chef d’entreprise [Zarca, 1993].
5Les évolutions des unités de production familiales agricoles [Choisis et al., 2015] ont largement contribué à éroder ce modèle et à renverser cet ordre de genre inégalitaire. Dans un contexte marqué par des demandes d’égalité des sexes, les agricultrices ont cherché à rééquilibrer les termes de la coopération entre conjoints, notamment en s’inscrivant dans une logique d’acquisition d’un statut professionnel individualisé [Dahache et Rieu, 2007], en réclamant un partage professionnel plus égalitaire dans les entreprises conjugales [Comer, 2017] mais également en développant dans les exploitations de nombreux domaines liés à la diversification [Annes et Wright, 2017]. À contre-courant de ces transformations relatives à la reconnaissance professionnelle du travail féminin, il sera ici question d’agricultrices qui adhèrent à une division sexuée des rôles, tant professionnels que domestiques. Cette contribution pose ainsi à nouveaux frais la question des « associées du mari » [Lagrave, 1987], dont on a trop vite prédit la disparition en se concentrant sur les évolutions statistiques et statutaires des agricultrices. Il apparaît en effet que, derrière le statut de l’associée de société agricole, se dessine une diversité de réalités professionnelles, dont des femmes qui réalisent un travail d’appoint à celui du conjoint et se tiennent à l’écart des décisions concernant les orientations productives et stratégiques des exploitations.
6C’est précisément à ces femmes culturellement dominées au sein de l’agriculture familiale qu’est consacré cet article [2]. D’origine agricole ou socialisées au statut d’indépendant dans leur famille, ces agricultrices travaillent principalement dans des élevages situés dans la moyenne haute des exploitations et pratiquent une agriculture dite conventionnelle. Statutairement elles sont cheffes d’exploitation, le plus souvent coassociées d’une société agricole avec leur conjoint [3]. (Re)venues à l’agriculture dans une logique de soutien à la réalisation du projet professionnel du mari, mais également en raison de conditions salariales peu avantageuses, elles reconduisent un héritage agricole duquel elles s’étaient pourtant volontairement distanciées, faute d’y voir la consécration d’un statut professionnel enviable. Leurs parcours professionnels se divisent schématiquement en trois catégories : un quart s’est très tôt destiné à l’agriculture en s’associant au mari-repreneur, un autre quart a exercé des professions intermédiaires comme employées dans les domaines du secrétariat, de l’administration d’entreprise et du secteur sanitaire et social avant l’installation, et la dernière moitié est passée par le salariat d’exécution en occupant des emplois faiblement qualifiés dans la restauration, le service à la personne et le petit commerce.
7Bien qu’elles s’en éloignent économiquement en tant que possédantes relativement bien dotées, ces agricultrices partagent, avec les femmes des fractions médianes et stabilisées des classes populaires, un attachement à la différenciation sexuée des rôles comme réaction à des conditions d’insertion professionnelle défavorables [Cartier, Letrait et Sorin, 2018]. Le fait de se vivre en situation de déclassement produit chez ces agricultrices « une hiérarchisation alternative des sphères de l’existence » qui éloigne leur définition de la réussite sociale du « prestige d’une profession » et la place dans la stabilité et la prospérité de la cellule familiale [Peugny, 2009]. En outre, le substrat conservateur de la vision du monde défendue par ces agricultrices résulte de la division conjugale des rôles qui préside à l’ensemble des sphères sociales qu’elles investissent, (professionnelle, domestique et publique). Elles sont les épouses de dirigeants agricoles qui occupent des mandats dans les sections locales de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (fnsea) et dans les conseils d’administration d’organisations économiques et techniques centrales du gouvernement de l’agriculture. Conformément à la distribution genrée des sociabilités et des engagements agricoles, les enquêtées sont, quant à elles, membres de groupes d’échange professionnel féminins, constitués sur la base d’interconnaissance, animés par des techniciennes salariées [4] et centrés sur deux types d’activités : la conduite de formation interne et l’organisation d’opérations de promotion de l’agriculture à destination du grand public. L’engagement bénévole de ces couples dans le tissu associatif local poursuit une même logique de complémentarité : aux hommes, les associations sportives et comités des fêtes, aux femmes, les associations scolaires, caritatives et d’action sociale. Ces engagements multiples contribuent à insérer ces ménages dans un réseau de familles établies, au sens où elles comptent dans leurs communes. Ces couples occupent ainsi une position dominante dans l’espace social de référence mais se rapprochent, en termes de pratiques culturelles et de fréquentation sociale, des petits indépendants ruraux.
8Si l’on suit la typologisation proposée par Christophe Giraud et Jacques Rémy [2008], les pratiques de ces agricultrices, recentrées sur les logiques familiales et en quête d’alliance avec des groupes professionnels proches, les inscrivent dans le pôle homogame des familles agricoles, lequel se distingue du pôle hétérogame, davantage décentré de la vie familiale et distancié des sociabilités professionnelles. Tout en évitant l’écueil normatif prêtant aux familles agricoles homogames un traditionalisme propre, notre analyse cherche à mettre en regard les discours sur le genre, les pratiques éducatives et les comportements maternels des agricultrices avec leur perception plus générale des frontières symboliques internes au groupe agricole. C’est donc en réinscrivant les pratiques et discours de préservation de l’agriculture familiale dans la division sexuée du travail domestique et agricole que nous nous proposons d’étudier les effets de politisation liés au métier de couple.
9Ce prisme d’analyse nous amènera dans un premier temps à apprécier l’investissement maternel et domestique des agricultrices comme ressource identitaire compensatoire à des conditions de travail décevantes ou au renoncement à un projet professionnel en propre [5]. Ce fort engagement dans les rôles ménagers et parentaux est indissociable d’un enjeu social de classement au sein du groupe agricole et de l’espace social. En s’intéressant au contenu normatif, moral et politique du travail parental et éducatif, nous montrerons dans un second temps comment les agricultrices participent en souterrain à la défense d’une agriculture familiale qu’elles perçoivent comme menacée.
Agricultrice : renoncement, accommodement, respectabilité
10Parce qu’il compense positivement l’abandon salarial, le choix d’une profession exercée à domicile, et donc adaptable aux besoins des enfants, est présenté comme un « projet de vie » désirable par les agricultrices. Résulte de cette subordination de l’activité professionnelle au bien-être familial un engagement parental intense qui rythme le tempo professionnel des agricultrices et commande leur degré d’investissement sur l’exploitation. Cette adhésion à des normes de maternité exigeantes leur procure néanmoins des ressources identitaires symboliquement valorisantes et rehausse la valeur sociale d’une conversion agricole subie.
(Re)venir à l’agriculture : une installation tributaire de l’équilibre entre travail et famille
11Dans le cas des agricultrices enquêtées, et de manière analogue à ce qui a pu être mis en avant chez d’autres indépendantes [Bertaux-Wiame, 2004 ; Bessière et Gollac, 2007 ; Landour, 2019], l’installation agricole est présentée comme constitutive d’un projet de vie où le bien-être des enfants et la vie de famille sont centraux. Le parcours professionnel de Géraldine Briand (44 ans, trois enfants) illustre cette indépendance propice au projet parental. Son installation aux côtés de son conjoint éleveur laitier à l’âge de 33 ans lui offre une double porte de sortie : elle compense l’élection par défaut de l’activité agricole et soutient une échappatoire honorable d’un salariat peu qualifié et fragile [6]. Au sortir d’études secondaires courtes dans le domaine sanitaire et social, cette fille de petits commerçants suit une année de formation intensive aux métiers de bureau (cours Pigier), puis enchaîne plusieurs contrats de courte durée comme secrétaire médicale. Après la rencontre de son conjoint, elle emménage sur l’exploitation et se réoriente vers la vente dans le petit commerce, où elle trouve un poste par l’entremise de relations familiales. À la naissance de son premier enfant, Géraldine apprend toutefois que son emploi comme salariée dans le tabac-presse tenu par sa tante ne peut être pérennisé en raison des difficultés économiques de l’établissement. Deux ans plus tard, à l’arrivée d’un deuxième enfant, elle prend un congé parental qu’elle prolonge à la naissance du troisième enfant. Au terme de ce congé en 2004, faute de perspectives professionnelles en dehors de l’exploitation, elle reprend une formation agricole pour adulte, équivalent à un brevet professionnel, pour s’installer avec son conjoint. Pendant la durée de sa formation, elle assure, sans être officiellement associée, une partie de la comptabilité et du secrétariat de l’exploitation (classement des papiers, règlement des factures). Pour Géraldine, cette compatibilité du travail agricole avec la vie de famille contrebalance l’abandon d’une activité professionnelle exercée à l’extérieur : « Bon moi, ce que j’ai vu, c’est que ça me permettait de travailler et d’élever mes enfants. Y’avait pas la contrainte de les emmener chez la nourrice, de les trimbaler, y’a des avantages. Après j’ai pu les allaiter, pour moi, c’était important aussi que j’allaite, chose que je m’étais fixée ». Ce retrait de l’emploi salarié est d’autant plus acceptable qu’elle négocie avec son conjoint, au moment de son installation officielle sur l’exploitation, un engagement minimal dans l’activité agricole en se délestant d’une activité classiquement occupée par les femmes, la traite, par l’embauche d’un salarié via un groupement d’employeurs. Ce faisant, elle garde la mainmise sur la gestion de son temps qu’elle peut principalement consacrer à l’éducation de ses enfants.
12Pour les femmes établies dans des professions intermédiaires de service, titulaires de formations techniques qu’elles ont rapidement réussi à faire valoir sur le marché du travail, la contrainte salariale ne procède pas tant d’une succession intermittente de positions professionnelles fragiles, mais bien plus d’une incompatibilité croissante des modalités d’emploi avec les exigences familiales. En effet, chez ces femmes, l’entrée en maternité complique l’articulation quotidienne entre leur domicile, parfois reculé en zone rurale, et un travail salarié stabilisé mais organisé selon des horaires décalés. La naissance d’un second enfant soulève chez Isabelle Bouvier (47 ans, trois enfants) une tension inextricable entre son travail comme aide-soignante, exercé à une trentaine de kilomètres du lieu de résidence, et ses nouvelles préoccupations parentales : « Quand on est revenus là [sur l’exploitation], je travaillais en nuit pour limiter, parce que je faisais beaucoup de coupes. Avec les enfants je me suis dit : “C’est pas possible, il va falloir trouver une solution” ». Ce dilemme est alors résolu par son installation agricole, laquelle fait suite au départ en retraite de sa belle-mère. Si le récit de son installation ne verse pas dans un engouement débordant, il témoigne néanmoins d’un accommodement jugé confortable à l’ambition qui est la sienne de fonder un foyer stable : « Alors en fait je ne suis pas devenue agricultrice par choix et par envie mais par rapport à la vie de famille, mais tu vois quand on fait tous les choix, les pour, les contre, je voyais de plus en plus d’avantages à m’installer que des contraintes négatives ».
13Pour ces agricultrices, le renoncement à l’autonomie professionnelle est acceptable parce qu’il fournit en contrepartie une plus grande souplesse dans l’organisation du travail. Les caractéristiques du travail féminin sur les exploitations surenchérissent cette adaptabilité. Morcelé et parcellisé, car interrompu par les demandes d’aides et de soutien aux activités du conjoint ou d’autres opérateurs, le travail des agricultrices s’adapte a fortiori très bien aux activités ménagères et familiales. Bien qu’il soit le propre de l’exercice professionnel des exploitantes travaillant en couple [Samak, 2014 ; Comer, 2017], cet entremêlement des prérogatives familiales et professionnelles s’exprime singulièrement dans le cas de femmes dont l’identité professionnelle est désajustée vis-à-vis des compétences aujourd’hui acquises par les femmes cheffes d’exploitation [Dahache et Rieu, 2007]. La décision de ces agricultrices de mettre leur épanouissement professionnel à l’arrière-plan traduit une appréciation de leur travail comme subsidiaire, comparativement à l’activité de leur conjoint perçue comme principale [Giraud et Rémy, 2013]. Dès lors, à l’instar d’autres indépendantes à domicile, l’activité professionnelle des agricultrices est « marginalisée par un travail domestique et parental intense, dans lequel elles s’engagent fortement tout autant qu’elles y sont (ré)assignées » [Landour, 2017, p. 81].
Un tempo quotidien rythmé par le calendrier parental
14Si la charge domestique, imputable à la naissance d’un enfant comme à son éducation, est le plus souvent renvoyée à la responsabilité des mères et commande très largement la poursuite de leur carrière professionnelle [Pailhé et Solaz, 2010], la question des arbitrages entre travail et famille se pose toutefois spécifiquement dans une profession exercée à domicile et considérée comme un mode de vie. Trois facteurs contribuent à rendre la carrière professionnelle des agricultrices tributaire des horaires et activités de leurs enfants. D’abord, la division sexuée des tâches domestiques au sein des couples étudiés, à l’instar d’autres indépendants, est très prononcée [Ponthieux, 2015]. Ce surengagement des conjointes s’explique en partie par la superposition topographique de la résidence familiale et de l’entreprise agricole. À ce titre, Caroline Tonnelier (27 ans, un enfant) minimise le coût du chevauchement de ses activités professionnelles et agricoles : « C’est moi qui gère ! [rires] Après, le fait qu’on habite sur le site, le matin c’est un quart d’heure ou une demi-heure, je reviens à la maison, j’étends mon linge, je fais la cuisine, puis l’après-midi, j’ai un peu de temps pour faire un peu de ménage aussi. Donc j’interfère, hop je vais faire un petit tour à la maison ! ». Ensuite, parce qu’il existe une sphère domestique de l’exploitation, le travail professionnel se confond avec le travail domestique (lessive des vêtements de travail, préparation de repas pour les associé·e·s et salarié·e·s, etc.) et ces deux sphères apparaissent indifférenciées pour les agricultrices. À cet inégal partage des tâches domestiques s’ajoute enfin un moindre recours des ménages agricoles aux modes de garde institutionnels et marchands, jugés peu adaptés aux horaires atypiques de la profession et généralement délaissés au profit de systèmes de solidarité familiaux, qu’incarne l’aide régulière d’une parente âgée [Bessière, 2008].
15Ce quasi-monopole des agricultrices sur les tâches domestiques et parentales n’est pas sans effet sur leur activité professionnelle. La synchronisation des calendriers parentaux et professionnels les oblige à une mise en retrait de l’activité agricole jusqu’à la scolarisation des enfants. Par la suite, les impératifs de l’agenda scolaire et le respect précautionneux des rythmes de l’enfant ordonnent leur emploi du temps, comme dans le cas d’Emilie Prigent (34 ans, deux enfants) : « Je fais en sorte de caler mes horaires de traite pour avoir le temps de préparer les petits le matin, être là pour le goûter quand ils rentrent de l’école, regarder les devoirs ensuite ». Cette organisation millimétrée du quotidien est également imputable aux nombreux trajets qu’assurent les agricultrices pour véhiculer leurs enfants à leurs activités extrascolaires [Barrère-Maurisson, 2001]. En somme, des prérogatives parentales chronophages qui impliquent une constante déprogrammation et reprogrammation du travail [Nicourt, 2013] et une forte capacité à jongler entre plusieurs activités.
16Pour autant qu’il signe la permanence d’une asymétrie des positions professionnelles au sein de l’entreprise conjugale, l’investissement maternel permet à ces femmes d’exister autrement que professionnellement, notamment dans la sphère publique où elles prolongent leur travail parental d’une participation à une myriade d’activités associatives. À cet égard, le déficit statutaire des agricultrices fonctionne comme un moteur de leur engagement [Lagrave, 1987]. À l’instar des femmes au foyer qui s’investissent dans des activités de bénévolat pour faire contrepoids à leur isolement et développer une vision positive de leur place dans la société [Maison, 2007 ; Dieu, Delhaye et Cornet, 2010], Géraldine Briand multiplie les engagements bénévoles en lien avec la prise charge des enfants. L’agricultrice s’implique non seulement dans les organismes de gestion des établissements privés d’enseignement catholique fréquentés par ses trois enfants, mais encore s’impose comme la cheville ouvrière de l’organisation des kermesses, se porte systématiquement volontaire pour assurer l’encadrement des sorties scolaires et se consacre également à la dispense de catéchèse tous les mercredis matins. Pour Géraldine, comme pour ses collègues, prioriser l’accompagnement éducatif de ses enfants, fût-il au prix d’un « surinvestissement » [Thin, 2009] et d’un alourdissement du calendrier domestique, lui permet d’obtenir la reconnaissance à laquelle elle aspire et dont elle se sent professionnellement privée.
La prévenance pédagogique comme réhabilitation identitaire
17Le dévouement des agricultrices au bien-être de leurs enfants ne peut être compris s’il n’est pas rapporté aux gratifications identitaires qu’elles en retirent. Des interactions saisies lors d’une réunion de groupe local d’agricultrices, appartenant à un réseau de groupes de développement technique, signalent que la réussite parentale est recodée comme réussite professionnelle et qu’elle est vecteur d’accomplissement personnel. Lors de cette rencontre, il est demandé aux agricultrices de constituer des binômes et de dessiner les contours de leur silhouette sur une grande feuille blanche. Par la suite, les gabarits sont accrochés aux murs et chaque participante doit inscrire sur sa silhouette les réponses à trois questions : « Ce que j’aime être », « Ce que je n’aime pas être » et « Ce que j’aimerais être ». À l’heure du bilan, l’unanimisme des réponses est sans appel. Rares sont les participantes qui mentionnent des éléments relatifs à leur statut professionnel d’exploitante agricole. Leur fierté est toute entière tournée vers leur sentiment d’être une « bonne mère », ce que symbolise la récurrence des mentions suivantes : « À l’écoute de mes enfants », « Bien s’occuper de mes enfants », « Être disponible pour mes enfants ».
18Aux yeux des enquêtées, le critère de la disponibilité parentale est donc tout à la fois quantitatif – une présence temporelle régulière – mais également qualitative, au sens d’une prévenance pédagogique qui alimente l’éveil des enfants. Dans cette perspective, l’inscription domiciliaire de l’activité professionnelle est considérée comme le support du travail parental. Il en est ainsi de Francine Claudic (54 ans) qui souligne les propriétés didactiques de l’environnement paysan et les bénéfices éducatifs qu’ont pu en tirer ses trois enfants :
« L’éveil que je pouvais leur donner à la ferme, ils ne pourraient l’avoir ailleurs ! Donc quand il fallait amener de l’eau aux vaches et que j’allais avec mon tracteur et la tonne à eau, et que Brice était à côté de moi, quand on arrivait dans le champ, je comptais les vaches, « 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 », et puis il répétait. Après la vache rouge, la vache noire, tracteur bleu, la fleur jaune, c’est l’apprentissage tout ça. »
20La souscription des agricultrices aux normes contemporaines de la parentalité et la « bonne volonté » qu’elles mettent à les appliquer les rapprochent des familles du monde ouvrier qu’a décrites Olivier Schwartz, attentives à « la réussite pour les enfants » et soucieuses « de préserver [leurs] chances d’avenir » [Schwartz, 1990, p. 137]. En se pliant à des exigences en matière d’éducation qu’elles considèrent conformes aux normes et aux attendus scolaires, les agricultrices font de leur capital parental un usage distinctif [Landour, 2016]. Magali Postec (38 ans, trois enfants) regrette ainsi la prise de distance des femmes à l’égard du travail et des centres d’intérêt agricoles, au motif qu’elle prive les enfants des bienfaits pédagogiques intrinsèques à l’environnement naturel et matériel de l’exploitation agricole :
« Ben les enfants aujourd’hui dans les fermes, ils ne vivent plus sur la ferme, les mères les emmènent à la nourrice le matin en partant au boulot, le soir, elles les récupèrent et ils ne sortent pratiquement pas sur la ferme […] C’est un peu dommage je trouve que les enfants de paysans vivent un peu comme leurs petits copains qui sont en ville, qu’ils n’utilisent pas ce support qu’ils ont à leur nez. Les cours de Sciences nat, on les fait en vrai, c’est con quoi de se priver de ça ! Je pense que c’est un peu le prix à payer du départ des femmes ».
22La condamnation implicite de l’alignement des modes de vie agricoles sur les modes de vie citadins produit un système de classement entre les « bonnes mères », et par extension les « bonnes agricultrices », faisant primer l’émulation éducative de leurs enfants, et les « mauvaises mères » qui auraient abandonné les vertus d’une instruction paysanne pour se consacrer à un travail salarié séparé de la vie à la ferme. Faire partie des mères dévouées, et reconnues comme telles par leur entourage, est donc un enjeu de classement important pour ces agricultrices. Il est vécu comme un élément subjectif de distinction au sein de l’espace social agricole et donc une ressource contrebalançant la reconnaissance auxquelles elles ne peuvent pas prétendre sur le plan professionnel. Pour Magali, cet attachement à la vie familiale à la ferme signe également la promotion d’une identité rurale et d’un cadre de vie naturel, dont la qualité est souvent dépréciée par la critique écologique contemporaine.
23Ces hiérarchisations des normes parentales se retrouvent également chez Géraldine Briand qui fait du soin apporté à ses enfants une ressource sociale, la différenciant des femmes salariées [Thidemann Faber et Prieur, 2012] : « Puis je vois bien au niveau famille, bah les enfants sont équilibrés… Je pense qu’ils ont jamais été ballotés, je trouve que c’est très positif ». Dans l’irréprochabilité parentale qu’elle se fixe, cette agricultrice trouve une marque de respectabilité ; phénomène généralement observé chez les femmes de classes populaires dont les opportunités de distinction sont par ailleurs fermées dans le monde du travail [Skeggs, 2015]. De même, par son investissement bénévole dans les nombreuses associations précitées, Géraldine engage une vision positive d’elle-même en comparant son altruisme inconditionnel de mère avec la supposée démission des parents d’élèves de leurs responsabilités parentales et civiques :
« Dans les associations c’est pareil, à chaque fois on dit “Ah bah t’es là aussi !”, je dis “Bah oui je suis là aussi parce que de toute façon personne ne veut se mettre dedans !” Je trouve que quand même les gens deviennent de plus en plus égoïstes, c’est chacun pour soi. Parce qu’après c’est toujours les mêmes, c’est comme à l’Apel [l’association de parents d’élèves de l’enseignement libre], je veux dire le nombre de kilomètres que j’ai fait pour l’école, le gazole, je me dis que quelque part, moi je donne et y’en a qui lèvent même pas le petit doigt ».
25S’il est une manière de se percevoir comme des « actives », et ce, même quand elles ont renoncé à leur épanouissement professionnel, le surinvestissement pour le bien-être de l’enfant ne se réduit pas à une stricte assignation domestique. Il est également un support à des engagements conservateurs, cherchant à exalter les vertus de l’agriculture familiale en proie à une délégitimation culturelle et à une contestation politique.
Un familialisme discret : les ressorts politiques de l’assignation domestique
26Tout en reconduisant les normes de genre, l’investissement des agricultrices dans les tâches domestiques et parentales devient le moteur d’un engagement en faveur d’une vision traditionnelle de la famille agricole, alors présentée comme un modèle d’authenticité culturelle à préserver. En déplaçant notre regard vers les valeurs concrètes qu’engagent les agricultrices dans leurs pratiques parentales, on y décèle la promotion d’un « familialisme agraire » [Cohen, 1990], consistant à faire de la valeur du travail, de la cohésion et de la solidité des rapports familiaux un édifice moral à défendre. Ces normes de régulation des familles, qui valorisent un modèle conventionnel de féminité, sont diffusées par les structures d’encadrement féminines. C’est également au cœur d’activités publiques qu’apparaît la dimension conservatrice de cet ordre familial et, par extension, social. En transmuant leurs savoir-faire domestique et parental en ressources militantes, les agricultrices apportent leur contribution à la défense de leur profession, en inventant des formes « honorables » d’engagement.
Exigences morales, sentiment de distinction et patrimoine familial
27Faute de pouvoir précisément documenter les rapports des agricultrices à leurs enfants, la participation régulière et sur le temps long aux activités de formation des groupes féminins a constitué une voie d’accès privilégiée à la forte composante morale des normes éducatives auxquelles elles se réfèrent. Les échanges qui y ont cours donnent à voir l’importance accordée à l’unité de production familiale, envisagée comme le support d’une éducation simple et rigoureuse, où se transmet le sens de la valeur travail et l’habileté entrepreneuriale. Catégoriques sur le fait que leurs enfants sont plus « débrouillards » que leurs camarades, les agricultrices attachent ce caractère alerte et dégourdi au sens pratique que requiert le mode de vie agricole. Tel est le portrait qu’Hélène Ligneux (38 ans) dépeint de ses deux enfants, respectivement âgés de cinq et deux ans : « Et puis les gosses, pareil, ils suivent. Mais en même temps ça fait des gamins vachement débrouillards […] Ils se changent, ils ont l’habitude, ils ont leurs trucs crados, ils sont comme nous en fait, ils passent leur temps à se changer [rires]. » Dans ce standard éducatif, la quintessence du travail parental consiste à transmettre le sens de l’effort, comme en témoignent les propos de Francine Claudic : « Mes trois enfants qui ont toujours donné un coup de main, on leur a appris les valeurs du travail ». La transmission de l’audace, caractéristique constitutive de l’ethos entrepreneurial, est également fortement valorisée. Les agricultrices évaluent ainsi la réussite de leur modèle éducatif à l’aune de la facilité avec laquelle leurs enfants trouvent un emploi. C’est ce que nous indique Adélaïde Blot (47 ans, deux enfants), en retraçant non seulement la détermination de sa fille à obtenir un stage dans une coopérative d’aliments danoise mais également son insertion rapide dans le monde de l’entreprise : « Ludivine, elle y est allée au culot et ça a marché ! Pendant son stage, ça lui a servi d’être fille d’agriculteurs. Derrière, y’a toute une connotation de gens qui ont été éduqués dans la valeur travail, qui sont habitués à bosser, à faire des heures ». En résumé, le style éducatif que promeuvent les agricultrices se réfère à une image commune d’« authenticité », de sens pratique et d’application laborieuse.
28Ce credo éducatif s’accompagne d’une très forte normalisation des pratiques conjugales hétérosexuelles, seul cadre familial jugé à même de transmettre des repères à l’enfant. Ce modèle archétypal de conjugalité n’est pas sans lien avec l’héritage catholique des agricultrices (scolarisation dans des établissements privés, suivi régulier des activités paroissiales et, pour certaines, participation à des mouvements de jeunesse catholiques). Si toutes ne se revendiquent pas pratiquantes, leurs marques d’attachement au catholicisme demeurent visibles, dans le port de croix comme pendentif, la présence de crucifix à domicile, et enfin dans l’énergie considérable qu’elles déploient dans l’organisation des baptêmes et communions de leurs enfants. Situé dans une certaine religiosité, leur familialisme standardise le « faire famille » en une série d’étapes, dont la mise en couple, puis le mariage, constituent les jalons. Il en découle une très forte crainte à l’égard du célibat des hommes de leur propre communauté professionnelle mais également de leurs fils. Lors d’un déjeuner de Groupe d’étude et de développement agricole (Geda), Marie-Ange (52 ans, trois enfants) nous confie son inquiétude vis-à-vis de la situation de son fils aîné, âgé de 26 ans, « qui n’est toujours pas casé », comparativement à la situation des deux plus jeunes. Ce primat accordé au mariage s’associe à la condamnation morale du divorce, un horizon conjugal pourtant aujourd’hui partagé par les familles agricoles [Bessière, 2011]. Les ruptures conjugales sont désapprouvées au motif qu’elles seraient un élément de déstabilisation de l’équilibre des enfants, voire un facteur de déviance des jeunes. Corrélativement, les couples homosexuels sont perçus comme une menace pour la famille. Lors d’une sortie conviviale qu’un groupe organise, et dans le contexte politique d’opposition à la Loi Taubira, les agricultrices débattent de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. On décèle dans leur propos un jugement très dépréciatif de la famille homosexuelle considérée comme « déviante » : « Ils vont pouvoir adopter, mais s’ils passent avant les vraies familles, ça devient problématique. Ils font ce qu’ils veulent mais je suis désolée, ils peuvent pas avoir des enfants ! ».
29Cet idéal de la famille hétéronormée est étroitement lié à des modèles parentaux associant parents et enfants à un même destin, celui de la préservation de la communauté familiale agricole [Bessière, 2003]. Une analyse des prescriptions parentales, en matière d’orientation scolaire et professionnelle des enfants, signale la prévalence d’un modèle familial holistique. On retrouve ici les propriétés de « fermeture » et de « fusion » de la « famille bastion », dont les membres « se vivent comme participant de la même chronique » [Kellerhalls et Montandon., 1991]. À ce titre, Marie Andro (50 ans, trois enfants) assume son interventionnisme auprès de son fils, repreneur espéré, pour le convaincre de poursuivre un cursus agricole :
« Jusqu’à la troisième, il a fait le modèle classique et après bep [brevet d’études professionnelles] en mécanique, et là on a été surpris qu’il n’aille pas en agricole. Et donc le jour où je l’ai conduit à l’école, je lui ai demandé “Tiens pourquoi t’as pas choisi l’agriculture ?”. Entre-temps, le temps qu’il fasse son bep, on a eu nous l’opportunité de se lancer dans les jeunes pousses [de salades], et puis c’est vrai qu’on a repris confiance nous aussi dans le métier, on a peut-être changé de discours. Et donc après son bep, il a eu une équivalence pour aller en première agricole. Et puis Bac pro en alternance et bts [brevet de technicien supérieur] agricole. Bon, la motivation est là quand même, quand il est avec nous il a l’air d’être heureux ! Beau parcours hein ? »
31Le maintien de la cohésion du groupe familial et de sa pérennité au fil des générations, tout comme la revendication des normes de conjugalité perçues comme menacées par un mouvement de démocratisation de la vie familiale, façonnent des schèmes éducatifs conservateurs. Les agricultrices, assumant au premier chef ce rôle éducatif, cherchent ainsi à prévenir les désordres familiaux et, pour ce faire, promeuvent des systèmes collectifs d’affirmation du familialisme.
Des formations imprégnées de familialisme
32De même qu’Olivier Schwartz constate que « […] la division sexuelle des rôles n’est pas seulement acceptée en pratique, mais réfléchie par les catégories ouvrières à travers des systèmes de représentations qui la valorisent » [Schwartz, 1990, p. 205], l’intériorisation des prescriptions parentales est largement relayée par les dispositifs d’encadrement professionnel féminins. Historiquement, les groupes de développement féminins, par une dynamique de « vulgarisation » des savoirs, ont été les récepteurs et surtout les diffuseurs de la modernisation du cadre de vie et des mentalités paysannes [Pelletier, 2010]. De structuration autonome, puisqu’ils décident de leurs thèmes de réflexion, ces groupes, dans lesquels les savoirs vernaculaires s’articulent à des prescriptions techniques, participent de l’apprentissage de responsabilités domestiques et parentales. Y compris quand leur création repose sur l’échange de savoirs techniques spécialisés par production (lait, porc, volaille), il n’est pas rare qu’en parallèle de sessions de formation consacrées à la boiterie des vaches ou à la comptabilité et gestion de l’entreprise, le calendrier des réunions soit ponctué de thèmes renvoyant à l’encadrement éducatif et aux savoir-faire ménagers.
33Les exploitantes commandent ainsi des formations relatives à la puériculture (« L’enfant de 3 à 8 ans » en 2000), aux techniques relationnelles (« Les relations parents-enfants » en 1998), à la prévention des risques (« Drogue et adolescence » en 2001) ou encore à l’orientation et à l’assistance scolaires des enfants (« Rentrée scolaire. Aider ses enfants à l’heure des devoirs » en 2004). Loin d’un exercice parental investi en solitaire, l’apprentissage du « métier de mère » est ici collectif, à l’instar de ce qu’a montré Séverine Gojard [2010] à propos des classes moyennes et de catégories populaires pour lesquelles l’entourage joue un rôle important. Les témoignages d’agricultrices, dont celui de Sandrine Lecoq (41 ans, deux enfants), révèlent combien la dimension collective de cette didactique parentale fonctionne comme réassurance face à des situations personnelles d’inquiétude : « Flavien, il a eu d’énormes difficultés parce qu’il avait un zozotement, la maîtresse nous dit avant les vacances de Noël “Il ne sait que deux lettres de l’alphabet” ». Donc j’ai passé énormément de temps à travailler avec lui en grande section. Mais heureusement, j’ai fait une formation avec le Groupement de valorisation des agricultrices du Finistère (gvaf) qui s’appelait “L’aide aux devoirs”. C’était une consultante qui avait travaillé au niveau de l’académie et elle nous avait appris à amener nos enfants à être autonomes dans leurs devoirs ».
34La « cuisine », thématique récurrente des rencontres d’agricultrices, témoigne également de l’indistinction des compétences domestiques et professionnelles dans la conception qu’ont les femmes de leur rôle sur les exploitations. C’est ce qu’évoque Leslie Corneil (34 ans, trois enfants) lorsqu’elle décrit la formation « Petits plats raffinés en 20 minutes top chrono » dispensée au sein de son Groupe d’étude et de développement agricole : « On a même fait une journée, parce qu’on fait quand même les repas d’ensilage [7] où on est quand même dix ou douze à table, donc on a fait une journée formation “Qu’est-ce que toi tu fais à manger quand vous êtes douze ?”, “Comment tu t’organises la veille ou le jour même ?”. Donc c’était aussi une journée technique mais plutôt cuisine ».
35L’énumération de ces formations signale l’existence d’un encadrement agricole qui englobe tous les moments de la vie sociale de l’agricultrice et qui édifie son honorabilité dans l’affirmation de ses compétences domestiques. Ce constat invite à dialoguer avec les travaux portant sur le rôle des enseignements au caring délivrés aux jeunes femmes d’origine populaire dans les établissements scolaires anglais. Beverley Skeggs [2015] propose d’appréhender les savoirs transmis lors de ces cours réguliers comme une forme de « capital culturel spécifique, à forte composante morale » [Serre, 2012, p. 12] à la fois valorisable dans le champ professionnel mais également pourvoyeur de respectabilité sociale. Il nous semble que, si les contenus des formations destinées aux agricultrices sont proches de ceux examinés par Beverley Skeggs et qu’ils participent également à une réévaluation identitaire pour les agricultrices, ils sont néanmoins le support de diffusion d’une morale familiale défensive. En premier lieu, les pratiques domestiques et éducatives fonctionnent certes comme des ressources culturelles mais sont principalement tournées vers le maintien du rang des familles agricoles. En second lieu, parce qu’elle leur procure dans l’espace des sociabilités locales et professionnelles une autorité morale, la respectabilité représente, pour les agricultrices, une ressource culturelle indissociable d’une logique de métier et d’un certain style de vie. Interrogée en entretien sur sa participation à ces formations, Myriam Leduc (46 ans, trois enfants) nous affirme qu’elle retire de l’apprentissage de savoirs domestiques et parentaux un sentiment de légitimité culturelle, comparativement à des styles de féminité jugés superficiels : « On apprend le b.a.-ba, les choses de base tu vois, la cuisine par exemple, bon même si on ne fait pas que ça. Mais quand je vois des jeunes qui ne savent pas cuisiner, heureusement moi j’ai appris et j’ai même progressé. Là le groupe, on a eu des cours de cuisine, niveau quoi ! Entre ça et les réunions sextoys, y’a pas photo ! ». On comprend alors que se construit au sein des collectifs d’agricultrices une morale de la vie privée qui impose une conception normative de la féminité sacralisant le statut de mère et d’épouse et dénonçant les velléités d’émancipation sexuelles et conjugales des femmes. Les savoir-faire et savoir-être prescrits au sein de ces groupes sont ainsi mis au service d’une défense corporatiste de l’agriculture.
Les topiques maternaliste et domestique de la défense corporatiste
36Tout comme les actions non contestataires et contestataires doivent être pensées en termes de continuums [Offerlé, 2008], les savoir-faire domestiques et parentaux gagnent à être considérés comme des activités militantes routinières et discrètes. À l’instar d’autres mobilisations conservatrices [Vervaecke, 2008], la contre-mobilisation professionnelle orchestrée par les agricultrices s’appuie sur une gamme d’actions promotionnelles au registre convivial. Dans un contexte de forte stigmatisation sociale de l’activité agricole et de mise en débat politique des enjeux environnementaux, les agricultrices mettent leurs compétences parentales et domestiques au service d’une communication positive sur leur métier.
37Un premier focus donne à voir comment les agricultrices convertissent leurs compétences culinaires en support de promotion de l’agriculture. Dans la région légumière de la côte finistérienne, des groupes féminins éditent des livres de recettes qui mettent en valeur les productions locales. Ce travail éditorial s’adosse à des séances de dégustations de recettes sur les stands que tiennent les agricultrices à l’occasion de salons ou de festivals locaux. Myriam Leduc revient en entretien sur les intentions propagandistes de cette action conviviale : « Parce qu’on a vendu des livres à Brest mais à la limite c’était pas ça l’important. L’important c’est d’être là, de communiquer sur ce qu’on fait, son métier. En gros, c’était de toucher le consommateur, de dire “ce qu’on produit c’est bon et c’est sain” ». Une plongée dans l’opération de communication portée par Frédérique Alun (51 ans, trois enfants), en réponse à une pétition vicinale lancée contre son projet d’agrandissement de porcherie en 2006, offre un autre exemple de sociabilité festive à des fins de légitimation de l’activité agricole. C’est en misant sur ses talents culinaires et sur un cadre hospitalier que l’agricultrice ambitionne de ressouder la communauté locale divisée sur des sujets agricoles. Pour justifier son projet auprès de ses contradicteurs, Frédérique leur ouvre les portes de son exploitation. Après une visite de la porcherie, l’agricultrice propose aux personnes présentes de partager un repas fermier concocté par ses soins [8].
38Les compétences de nature éducatives sont également directement réinvesties dans les événements publics destinés à communiquer sur la profession. « Le festival de l’élevage » est emblématique de l’investissement des agricultrices dans des formules pédago-éducatives. À chaque édition, les éleveuses accueillent sur une exploitation près d’un millier d’élèves et sa tenue annuelle exige qu’elles renouvellent leurs supports d’animation et leurs ateliers, ce dont nous informe cet inventaire : « Puzzle de vache en douze pièces visant à reconstituer la filière lait. Appel au développement cognitif de l’enfant. Jeu sensoriel des sacs, une des agricultrices devrait se déguiser en vache pour interpeller l’imaginaire des enfants. Animation “Le blé au fil des saisons” » [9]. En retour, les agricultrices réclament l’ouverture des enceintes scolaires à leur intervention, cette entrée étant largement facilitée par les liens étroits qu’elles entretiennent avec le corps enseignant et les directions d’établissements scolaires en raison de leur forte implication dans les associations de parents d’élèves. C’est cette proximité qui permet à Nathalie Dantec (42 ans, deux enfants) d’inviter la classe de sa fille à la découverte de son exploitation :
« Donc en fait moi, quand je faisais partie de l’association [de parents d’élèves], je m’occupais du secrétariat, les feuilles pour les repas tout ça. En fait, un jour ma fille est rentrée de l’école, elle avait sur son cahier, l’agriculture ça pollue, je dis “Mais c’est quoi ce truc-là. C’est pas possible !”. En plus, son institutrice, c’était la directrice. J’en avais parlé en commission agricultrices et elles m’ont dit : “Non tu peux pas laisser ça comme ça”. Donc j’ai téléphoné, j’ai demandé à prendre rendez-vous. Donc je la rencontre [la directrice], je lui explique, elle s’excuse, ils avaient vu une vidéo de “C’est pas sorcier” où on parlait de la pollution tout ça. Alors je lui dis : “Je peux vous expliquer et inviter la classe de Solène” ».
40Ces actions pédagogiques sont en réalité des moyens détournés de toucher les parents. Les agricultrices ne perdent jamais de vue cet objectif : « Le fait de retenir les enfants quelques minutes au stand permet d’engager des échanges avec les parents, de discuter de ce que font les agriculteurs » [10]. Interrogée sur sa participation fidèle à la « journée du goût », Myriam Leduc reconnaît qu’elle répond au déficit de crédit qui touche le métier agricole : « Faut commencer dès tout petit à leur dire que l’agriculture c’est pas le mal, que c’est la richesse, la richesse du territoire aussi. Puis, ils nous connaîtront, ils mettront un visage, ils sauront qu’on n’est pas des méchants [rires] ». Ainsi, si la familiarité apparente des actions de sensibilisation menées par les agricultrices contraste avec les modes d’action plus protestataires de leurs conjoints, tout indique pourtant qu’elles gagnent à être envisagées comme des répertoires d’action non-conventionnels.
41* * *
42À l’image des femmes de classes populaires pour qui le rôle de mère constitue une source de légitimité sociale, les agricultrices, en se dévouant à la maternité et aux tâches domestiques, résistent à un déclassement professionnel qu’elles vivent subjectivement. En approchant conjointement les trajectoires professionnelles et parentales des agricultrices pour mieux comprendre leurs imbrications, cet article montre que la concession à l’installation agricole est étroitement liée à des expériences salariales heurtées et à la projection d’un idéal parental reposant sur la disponibilité auprès des enfants. Ainsi, bien que les impétrantes accèdent à une reconnaissance statutaire officielle en s’installant en société avec leur conjoint, elles sont néanmoins maintenues dans une forme d’indétermination professionnelle corrélative à l’idéal de complémentarité entre femmes et hommes mais également à la permanence de « l’intérêt communautaire ».
43La poursuite de cet intérêt investit les agricultrices d’une mission tutélaire de conservation de l’ordre familial. L’étude de la différenciation des rôles sexués et de la conformation des agricultrices aux représentations traditionnelles de la féminité rend compte de leur activisme pour tenter de se faire une place. La réhabilitation identitaire qu’elles opèrent par leur investissement maternel et domestique doit, dès lors, être mise en relation avec les perceptions subjectives qu’elles ont d’elles-mêmes et de leurs familles dans l’espace social. De la sorte, on saisit en quoi l’attachement à une éducation présentée comme « authentiquement » agricole et la transmission des valeurs du travail, de l’audace entrepreneuriale et de la solidarité familiale répondent au souci des agricultrices de réhabiliter l’image ternie de l’agriculture.
44La défense de cette hiérarchie sociale, fondée sur la morale familiale, nous amène à situer les groupes d’agricultrices à la fois du côté des enseignements ménagers et domestiques prescrits aux femmes de classes populaires [Skeggs, 2015] et du côté des mobilisations féminines des milieux conservateurs et bourgeois, projetant dans les structures d’encadrement féminin de masse, la préservation d’un ordre social et moral [Della Sudda, 2007 ; Odier Da Cruz, 2013]. Elle nous conduit également à souligner que les assignations de genre ne constituent pas en soi une barrière à l’engagement et se révèlent propices à l’accumulation de ressources militantes et au déploiement discret de mobilisations professionnelles. Au final, l’attachement des agricultrices à des rôles sexués ne peut se résumer à une unique quête de respectabilité. Elle traduit plus globalement une entreprise politique familialiste aux accents paysannistes.
Bibliographie
- Annes Alexis et Wright Wynne, 2017, « Agricultrices et diversification agricole : l’empowerment pour comprendre l’évolution des rapports de pouvoir sur les exploitations en France et aux États-Unis », Cahiers du Genre, vol. 63, n° 2, p. 99-120.
- Barrère-Maurisson Marie-Agnès (dir.), 2001, Partage des temps et des tâches dans les ménages, Paris, La Documentation française.
- Barthez Alice, 1982, Travail, famille et agriculture, Paris, Economica.
- Bertaux-Wiame Isabelle, 2004, « Devenir indépendant, une affaire de couple », Cahiers du Genre, vol. 37, n° 2, p. 13-40.
- Bessière Céline et Gollac Sibylle, 2007, « Le silence des pratiques. La question des rapports de genre dans les “familles d’indépendants” », Sociétés et Représentations, vol. 24, p. 43-58.
- Bessière Céline, 2003, « Une profession familiale : les trois dimensions de la vocation agricole », in Séverine Gojard (dir.), Charges de famille. Dépendance et parenté dans la France contemporaine, Paris, La Découverte, p. 237-273.
- Bessière Céline, 2008, « “Travailler à l’extérieur” : des implications ambivalentes pour les compagnes d’agriculteurs », Nouvelles Questions Féministes, vol. 27, n° 2, p. 53-66.
- Bessière Céline, 2011, « Les séparations conjugales dans les familles agricoles », Informations sociales, vol. 164, n° 2, p. 64-71.
- Cartier Marie, Muriel Letrait et Sorin Matéo, 2018, « Travail domestique : des classes populaires conservatrices ? », Travail, genre et sociétés, n° 39, p. 63-81.
- Choisis Jean-Philippe et al. (dir.), 2015, L’agriculture en famille : travailler, réinventer, transmettre, Paris, edp Sciences.
- Cohen Yolande, 1990, Femmes de parole : L’histoire des Cercles de fermières du Québec (1915-1990), Québec, Le Jour.
- Comer Clémentine, 2017, « En quête d’égalité(s). La cause des agricultrices en Bretagne, entre statu quo conjugal et ajustement catégoriel », Thèse de doctorat en science politique, Rennes, Institut d’études politiques.
- Dahache Sabrina et Rieu Annie, 2007, « Profession agricultrice : l’invention d’un management agricole et domestique singulier », Sociologies pratiques, vol. 14, n° 1, p. 45-57.
- Della Sudda Magali, 2007, « Discours conservateurs, pratiques novatrices », Sociétés & Représentations, n° 24, p. 211-231.
- Dieu Anne-Marie, Delhaye Christine et Cornet Annie, 2010, « Les femmes au foyer. Des activités méconnues et peu valorisées en employabilité », Travail et Emploi, vol. 122, p. 27-38.
- Giraud Christophe et Rémy Jacques, 2008, « Les choix des conjoints en agriculture », Revue d’etudes en agriculture et environnement, n° 88, p. 21-46.
- Giraud Christophe et Rémy Jacques, 2013, « Division conjugale du travail et légitimité professionnelle. Le cas des activités de diversification agricole en France », Travail, genre et sociétés, n° 30, p. 155-172.
- Gojard Séverine, 2010, Le métier de mère, Paris, La Dispute.
- Kellerhals Jean et Montandon Cléopâtre, 1991, Les stratégies éducatives des familles : milieu social, dynamique familiale et éducation des pré-adolescents, Paris, Delachaux et Niestle.
- Lagrave Rose-Marie (dir.), 1987, Celles de la terre. Agricultrice : l’invention politique d’un métier, Paris, Éditions de l’ehess.
- Landour Julie, 2016, « La parentalité, une contribution au capital des femmes des classes supérieures ? », Genre, sexualité et société, n° 16, [En ligne], https://journals.openedition.org/gss/3886
- Landour Julie, 2017, « Les Mompreneurs. Entre entreprise économique, identitaire et parentale », Travail et emploi, vol. 150, n° 2, p. 79-100.
- Landour Julie, 2019, Sociologie des Mompreneurs, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.
- Maison Dominique, 2007, « Femmes au foyer. Expériences sociales », dossier d’études n° 92, Cnaf-Université de Bordeaux 2.
- Nicourt Christian, 2013, « L’agricultrice ou la travailleuse de l’ombre », in Nicourt Christian (dir.), Être agriculteur aujourd’hui. L’individualisation du travail des agriculteurs, Versailles, Éditions Quæ, p. 153-196.
- Odier Da Cruz Lorraine, 2013, « L’École des Parents de Genève ou les métamorphoses du regard sur la parentalité (1950-1968) », Annales de démographie historique, vol. 125, n° 1, p. 99-117.
- Offerlé Michel, 2008, « Retour critique sur les répertoires de l’action collective (xviiie-xxie siècles) », Politix, n° 81, p. 181-202.
- Pailhé Ariane et Solaz Anne, 2010, « Concilier, organiser, renoncer : quel genre d’arrangements ? », Travail, genre et sociétés, vol. 24, n° 2, p. 29-46.
- Pelletier Jérôme, 2010, « La place des femmes dans la modernisation de l’agriculture en Loir-et-Cher dans le Libération au début des années 1980 », Thèse de doctorat en histoire, Université Paris X.
- Peugny Camille, 2009, Le déclassement, Paris, Grasset.
- Ponthieux Sophie, 2015, « Introduction. Les enquêtes Emploi du temps : une source majeure pour l’étude des inégalités sociales et de genre », Économie et Statistique, n° 478-479-480.
- Samak Madlyne, 2014, « Un engagement par le travail ? Enquête sur les maraîchers biologiques des Alpes-Maritimes », Thèse de doctorat en Sociologie, Paris, ehess.
- Schwartz Olivier, 1990, Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, Presses universitaires de France.
- Serre Delphine, 2012, « Le capital culturel dans tous ses états », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 191-192, p. 4-13
- Skeggs Beverley, 2015, Devenir des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, Marseille, Agone.
- Thidemann Faber Stine et Prieur Annick, 2012, « Parler des classes dans une société présumée égalitaire. Les représentations des inégalités dans une ancienne ville ouvrière danoise », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 1, n° 191-192, p. 114-125.
- Thin Daniel, 2009, « Un travail parental sous tension : les pratiques des familles populaires à l’épreuve des logiques scolaires », Informations sociales, vol. 154, n° 4, p. 70-76.
- Vervaecke Philippe, 2008, « Patriotisme philanthropique et citoyenneté féminine : les femmes et la Primrose League, 1914-1918 », Revue Lisa/Lisa e-journal, vol. 6, n° 4, p. 57-70, [en ligne] < https://journals.openedition.org/lisa/977>.
- Zarca Bernard, 1993, « Indépendance professionnelle, relations entre les sexes et mobilisations collectives », Sociétés contemporaines, vol. 16, n° 4, p. 77-109.
Notes
-
[1]
« Les rencontres d’Agen en 1997. Agricultrices et citoyennes », Le Paysan Morbihannais, n° 1423, 27 mars 1997.
-
[2]
Quarante-sept enquêtées composent le corpus ici étudié.
-
[3]
En exploitation agricole à responsabilité limitée (earl) ou en groupement agricole d’exploitation en commun (gaec).
-
[4]
Employées par la chambre d’agriculture ou par les réseaux de groupes de développement technique.
-
[5]
Comme chez les Mompreneurs, le capital parental des agricultrices constitue un puissant palliatif à un déclassement social. Toutefois, à la différence des Mompreneurs pour lesquelles la création d’une activité indépendante est ce qui permet de masquer une forte réimpression des rôles de genre au sein des couples et un repli sur le foyer [Landour, 2019], l’entrée en indépendance est chez les agricultrices la source même du déclassement, vécu subjectivement comme un renoncement professionnel et une perte d’autonomie au travail.
-
[6]
Trente des femmes enquêtées appartenaient aux professions et catégories socioprofessionnelles (pcs) ouvrières et employées avant leur installation. Parmi elles, dix-sept étaient des « actives discontinues » et occupaient des emplois sous-qualifiés, à durée déterminée.
-
[7]
Les chantiers d’ensilage fonctionnent sur la base d’entraide et d’interconnaissance agricoles. Les membres d’une même coopérative d’utilisation du matériel agricole se rassemblent pour la récolte des fourrages. Les agricultrices sont généralement en charge de préparer le repas et les en-cas pour les participants aux travaux collectifs.
-
[8]
« “La transparence, oui … mais en expliquant” », Paysan Breton, avril-mai 2006.
-
[9]
« Festival de l’élevage, les agricultrices reçoivent 1700 enfants », Terra, 7 mars 2008.
-
[10]
« Comices agricoles, participation active des gva », Le Paysan Morbihannais, n° 1432, 29 mai 1997.