1L’ouvrage collectif Épistémologie du genre – Croisement des disciplines, intersections des rapports de domination est présenté comme s’intéressant aux dimensions théoriques et épistémologiques de la notion de genre. Ce qui conduit à admettre non pas « une théorie du genre », mais « des théories du genre ». L’ouvrage se caractérise, concernant son approche comme le rappelle Christine Detrez qui en rédige la préface, par son interdisciplinarité. L’introduction rappelle que le volume est tiré des travaux du laboratoire junior GenERE de l’ens Lyon qui a été créé en 2014. Ce livre s’organise en deux parties : « Pluralité et croisement des disciplines » et « Multiplicités et intersections des dominations ».
2La première partie « Pluralité et croisements des disciplines » est composée de six contributions qui portent sur la manière dont le genre est abordé dans différents champs disciplinaires. Le premier texte, celui de Michelle Zancarini-Fournel, intitulé « Le genre en Histoire : universalisme versus universalité plurielle » est remarquable par son esprit synthétique. On peut également lui savoir gré de rappeler, et non pas d’invisibiliser, comme c’est souvent le cas en France, l’origine latino-américaine de la pensée décoloniale. La deuxième contribution, celle de Christine Planté, « Le genre en littérature : difficultés, fondements et usages d’un concept » revient sur les questions que peut soulever l’approche genre en études littéraires en France. Le troisième chapitre « Contribution à une épistémologie du genre sur le terrain de l’éducation physique et sportive (eps) », rédigé par Sigolène Couchot-Schiex, présente en particulier deux approches : « l’approche différentielle » et « l’approche anthropo-socio-didactique ». Florence Salanouve, avec « Les bibliothèques au prisme du genre – L’apport critique de la méthodologie du genre appliquée à la classification des savoirs » s’intéresse à la manière dont les sciences de l’information et des bibliothèques peuvent intégrer les questions de genre. Marie-Anne Paveau, dans « Le genre : une épistémologie contributive pour l’analyse du discours », souligne là aussi, comme dans d’autres contributions de cette première partie, le caractère peu développé encore des études de genre dans certains champs disciplinaires, en l’espèce dans l’analyse du discours. Enfin, la dernière contribution de la première partie est celle du philosophe Claude Gauthier, « De la neutralité axiologique au réalisme des expériences vécues du standpoint – Une critique féministe de la relation de connaissance ». Il y revient en particulier sur l’apport que peuvent constituer les épistémologies féministes à la théorie de la connaissance en particulier dans une comparaison et une discussion avec l’approche théorisée par Pierre Bourdieu.
3La deuxième partie de l’ouvrage, « Multiplicités et intersections des rapports de domination », propose huit contributions relevant principalement des champs de l’éducation ou de l’histoire. La première, celle de Mélusine Dumerchat, « Saisir l’articulation des rapports de domination : les défis d’une critique féministe de l’espace » aurait pu figurer également dans la première partie, car elle propose une perspective assez générale en épistémologie de la géographie. Le deuxième chapitre, « La fabrique du bouc émissaire en crèche : souffrance et racisme dans le travail du care » de François Ndjapou et Pascale Molinier soulève, à partir d’une étude de cas, des questions sur la portée que peuvent avoir les approches ethnographiques des rapports sociaux de domination. Clémence Perronnet, dans « Le genre est-il un cache-race ? » s’appuie sur son terrain de thèse de doctorat concernant l’enseignement des sciences pour interroger l’intersectionnalité des rapports de domination. Melanie Grué, dans « La subversion du genre dans la photographie de Nan Godin » analyse la manière dont une œuvre photographique peut questionner les genres et les sexualités. Gabrielle Richard, « Le rôle des enseignant·e·s dans la contestation ou la consolidation d’héteronormes en milieu scolaire », s’intéresse à la manière dont le champ scolaire peut constituer à la fois un espace de reproduction de l’hétéronormativité, mais peut également tenter de combattre ces normes de domination. Muriel Gleser-Neveu, avec « Les « femmes déchues », sur les associations pour les femmes à Liverpool (1890-1910), propose un travail qui croise approche intersectionnelle et micro-historique. Marie Ruiz, « La statistique au service d’une pensée binaire dans l’Angleterre victorienne » s’intéresse à la construction genrée des statistiques publiques dans l’histoire de l’immigration. Enfin, Jennifer Meyer, dans son texte intitulé « La racialisation de l’ordre des sexes dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres », analyse la manière dont le sexisme peut être utilisé dans la construction du racisme. Ce qui n’est pas sans rappeler le travail d’Elsa Dorlin dans La matrice de la race.
4La conclusion revient sur le contexte de polémiques qui entoure l’introduction des études de genre en France comme dans d’autres pays. La postface présente les dispositifs privilégiés que constituent les laboratoires juniors à l’École normale supérieure de Lyon.
5L’ouvrage a l’intérêt de présenter de nombreuses contributions émanant de champs disciplinaires différents : philosophie, géographie, sociologie, sciences de l’éducation, histoire, études littéraires, etc. On peut néanmoins avoir du mal à se situer par rapport à la pluralité, non pas des approches, mais des niveaux considérés pour réfléchir sur l’épistémologie du genre dans les différentes disciplines. Certaines contributions ont une démarche relativement macro et théorique, tandis que d’autres ont une approche très « micro » et empirique. Sur ce plan, la première partie, par la perspective comparative qu’elle permet, est plus facile à suivre dans son unité que la seconde partie de l’ouvrage dont l’intérêt est moins général et plus empirique, alors que paradoxalement son objet est davantage resserré soit sur l’éducation, soit sur l’histoire.