Notes
-
[1]
Au Québec, les garçons quittent l’école avant 20 ans, sans diplôme, dans une proportion de 20,1 % et de 12,6 % pour les filles (année 2010-2011). 80 % des décrocheuses et décrocheurs vont raccrocher plus tard, et un bon nombre obtiendra un diplôme, tant chez les garçons que chez les filles. Les garçons québécois réussissent mieux que les filles de sept autres provinces canadiennes (diplomation à tous âges, 2010). En fait, si les garçons du Québec semblent moins bien réussir, c’est que les filles du Québec sont hyperperformantes. Les garçons du Québec se positionnent dans le top dix du classement pisa de l’ocde en lecture, matière réputée difficile pour eux.
-
[2]
La banque de données sur le personnel enseignant de l’ocde permet de faire une compilation par sexe et par niveau d’enseignement des enseignantes et enseignants dans les pays industrialisés. Cette banque de données est accessible sur le site Internet de l’organisme.
1L’ouvrage de Jean-Louis Auduc, Sauvons les garçons ! (2009), relève du discours masculiniste sur la situation des garçons à l’école. C’est toutefois un discours masculiniste qu’on pourrait qualifier de nuancé. En plusieurs endroits, l’auteur fait la part des choses en indiquant, par exemple, que le plus grand capital scolaire des filles ne se transforme pas nécessairement en plus grand capital social. Toutefois, certains arguments évoqués ramènent rapidement le propos dans le giron du discours masculiniste, particulièrement lorsqu’il est question de l’impact des stéréotypes sexués sur l’adaptation scolaire des jeunes ou encore de l’inadaptation de l’école et de ses méthodes pédagogiques aux caractéristiques propres à chacun des sexes. Nous allons déplier notre argumentaire en faisant référence ici à l’expérience québécoise.
2Ce discours masculiniste, que Francis Dupuis-Déri [2009] définit comme étant « conservateur ou réactionnaire [et] qui prétend que les hommes souffrent d’une crise identitaire parce que les femmes en général, et les féministes en particulier, dominent la société et ses institutions », prend une forme achevée quand il est question du décrochage scolaire des garçons. Le Québec est aux prises, depuis le début des années 1990, avec un discours masculiniste organisé, présent dans les médias de masse, qui retient l’attention de certains « faiseurs » d’opinion et de responsables dans les établissements scolaires.
Un discours persistant, insistant, voire insolent
3Les difficultés des garçons à l’école ne datent pas d’hier au Québec. Des historiennes et historiens québécois ont montré à quel point le décrochage des garçons a toujours été élevé [Dumont, 2003] : dans les écoles techniques et professionnelles, supposées être adaptées aux besoins des garçons, 50 % de décrochage [Charland, 1982] ; dans les collèges classiques, qui accueillaient une proportion importante d’élèves issus de milieu social favorisé, donc plus susceptibles de réussir leurs études, 70 % de décrochage [Galarneau, 1978]. Dans ces deux types de formation, ce sont des hommes qui enseignaient aux garçons.
4La question du décrochage scolaire des garçons devient très présente au début des années 1990, dans un contexte où, d’une part, l’importance numérique du décrochage scolaire éclate au grand jour et où, d’autre part, on prend conscience de ses impacts négatifs sur l’insertion sociale et professionnelle des jeunes dans le passage d’une société industrielle à une société dite du savoir. Les travaux de l’équipe de Pierrette Bouchard [Bouchard et St-Amant, 1996 ; Bouchard, St-Amant et Tondreau, 1996 ; Bouchard, St-Amant et Tondreau, 1997], au cours de cette période, traduisent la préoccupation de faire une analyse scientifique de la réussite scolaire comparée entre filles et garçons, afin de déconstruire, entre autres, le discours masculiniste qui prend une place grandissante à ce moment-là dans les médias. Les résultats de ces recherches ont permis de mettre en évidence que les élèves qui réussissent bien à l’école adhèrent moins aux stéréotypes sexuels que les élèves en difficulté, tant chez les filles que chez les garçons.
5Le discours masculiniste prend forme à travers quelques thèmes de prédilection comme le suicide des hommes, la garde des enfants, la violence faite aux femmes et la situation scolaire des garçons [Blais et Dupuis-Déri, 2008]. Les travaux de Debbie Epstein, Jannette Elwood, Valérie Hey et Janet Maw [1998] permettent de spécifier les caractéristiques du discours masculiniste sur le décrochage des garçons. Trois déclinaisons sont observables : 1) le courant de la victimisation où l’on fait état de la détresse des garçons qui seraient en crise et à la merci d’enseignantes féministes ; 2) le courant de la mise en accusation du système scolaire où l’on insiste pour affirmer que l’école n’est pas adaptée aux besoins des garçons ; 3) le courant essentialiste qui, comme son nom l’indique, considère le masculin comme une essence avec ses caractéristiques distinctives comme le besoin de bouger, l’expression d’une agressivité et ainsi de suite. Pierrette Bouchard, Isabelle Boily et Marie-Claude Proulx [2003] ont fait une analyse exhaustive de ce discours dans les médias. Elles indiquaient qu’« en moins de dix ans, une résistance sans précédent aux progrès scolaires des filles et au mouvement des femmes s’est instaurée ». Cette résistance s’est manifestée de manière éclatante dans la réaction masculiniste à ce rapport : attaques personnelles envers les chercheures dans la presse, harcèlement par courrier électronique, etc. [Bouchard et Devreux, 2004].
Le traitement de la question du décrochage des garçons au Québec
6Le discours sur le décrochage des garçons, qui prend souvent une forme alarmiste, est véhiculé par une presse complaisante et des animateurs radio populistes. Ce discours se structure en trois temps :
- on alerte d’abord la population de la « tragédie » que représente le décrochage des garçons. L’utilisation de mots chocs pour qualifier ce décrochage (« drame national », « mal profond », « catastrophe ») et des statistiques scolaires décontextualisées ou erronées font partie de l’arsenal. L’objectif : créer un sentiment d’urgence dans la population envers la situation des garçons ;
- on identifie les problèmes qui permettraient de comprendre le plus grand taux de décrochage des garçons. Pour les tenants de ce discours, la mauvaise performance des garçons s’expliquerait notamment par une trop grande présence de femmes en éducation, parce que les écoles ne seraient pas adaptées à leurs besoins, ou encore, par le manque de modèles masculins, ce qui nuirait à la réussite des garçons ;
- on propose des solutions en apparence très simples aux problèmes complexes auxquels les garçons seraient confrontés (plus d’hommes en enseignement, plus de classes non mixtes, etc.). On retrouve ici les techniques des populistes médiatiques qui se fondent sur une rhétorique simpliste, démagogique et essentialiste.
Déconstruire les mythes et rétablir les faits
7Pour les tenants du discours alarmiste, la moins grande réussite des garçons à l’école serait notamment à mettre au compte d’une présence trop importante de femmes en éducation et, dans une perspective différente, à un manque criant d’hommes dans les écoles. En comparant la présence des femmes en enseignement et la réussite comparée entre filles et garçons au Québec, la thèse des alarmistes se confirmerait : les garçons réussissent moins bien que les filles [1]. La présence des hommes (données de 2009) est très marginale au préscolaire (2 %), faible au primaire (15 %) et plus substantielle au secondaire (40 %). Ce phénomène n’est pas propre au Québec, alors que la plupart des pays occidentaux connaissent une situation similaire [2].
8Toutefois, on observe que dans des pays semblables au nôtre quant à la proportion de femmes en éducation, les garçons réussissent mieux ou tout autant que les filles (données de 2008 de l’ocde). C’est le cas aux États-Unis (90 % du personnel enseignant du primaire est féminin, presque 70 % dans le premier cycle du secondaire) où les garçons (77 %) réussissent mieux que les filles (76 %). Même phénomène en Suisse (80 % du personnel enseignant est féminin dans le primaire, 50 % dans le secondaire) où les garçons (92 %) réussissent mieux que les filles (88 %). En Allemagne (85 % du personnel enseignant est féminin dans le primaire, plus de 60 % dans le premier cycle du secondaire), les garçons (97 %) réussissent aussi bien que les filles (98 %). Ces quelques données indiquent déjà que la proportion de femmes dans l’enseignement n’est pas liée à la réussite des garçons, ce que d’autres recherches confirment [Helbig, 2012].
Les solutions avancées par les tenants du discours alarmiste au Québec
9Une fois les problèmes identifiés, les tenants du discours alarmiste proposent quelques solutions comme la mise en place d’une discrimination positive à l’embauche pour les hommes en éducation, la création de classes non mixtes ou encore l’adaptation de l’école aux besoins « essentiels » des garçons. Il n’est pas possible de développer ici l’ensemble de ces arguments. Nous allons nous attarder sur celui qui porte sur les classes non mixtes.
10Au début des années 2000 au Québec, plusieurs classes réservées aux garçons sont expérimentées afin de favoriser une plus grande réussite scolaire chez ces derniers. Elles ont toutes été abandonnées, car aucune amélioration de la performance scolaire des garçons n’est enregistrée [meq, 2004]. Jusqu’à présent, il n’y a pas d’étude sérieuse qui démontre le bien-fondé des classes réservées et l’impact sur la réussite scolaire des garçons [Halpern et al., 1997]. Toutefois, dans celles-ci, plusieurs effets négatifs sont constatés : il y a un risque de diminution des attentes à l’égard des garçons, un encadrement plus autoritaire des problèmes de discipline et l’expression de comportements homophobes envers les garçons qui répondent moins aux modèles masculins attendus [St-Amant, 2007].
11Des recherches indiquent :
- qu’il y a peu de consensus sur les avantages en termes de réussite scolaire pour les garçons dans les classes non mixtes [Smyth, 2010] et
- que lorsque des résultats positifs sont constatés dans des classes non mixtes, ils résultent plus vraisemblablement de facteurs liés aux approches pédagogiques diversifiées que de la ségrégation entre les sexes [Bracey, 2006].
Références bibliographiques
- Blais Mélissa et Dupuis-Deri Francis, 2008, « Qu’est-ce que le masculinisme ? », in Mélissa Blais et Francis Dupuis-Deri (dir.), Le mouvement masculiniste au Québec, Montréal, Éditions du Remue-ménage, p. 11-31.
- Bouchard Pierrette, Boily Isabelle et Proulx Marie-Claude, 2003, La réussite scolaire comparée selon le sexe : catalyseur des discours masculinistes, Ottawa, Condition féminine Canada.
- Bouchard Pierrette et Devreux Anne-Marie, 2004, « Les masculinistes face à la réussite scolaire des filles et des garçons. À propos de la réception des résultats d’une recherche », Cahiers du Genre, vol. 36, no 1, pp. 21-44.
- Bouchard Pierrette et St-Amant Jean-Claude, 1996, Garçons et filles, stéréotypes et réussite scolaire, Montréal, Éditions du Remue-ménage.
- Bouchard Pierrette et al., 1997, De l’amour de l’école. Points de vue de jeunes de quinze ans, Montréal, Éditions du Remue-ménage.
- Bouchard Pierrette, St-Amant Jean-Claude et Tondreau Jacques, 1996, « Socialisation sexuée, soumission et résistance chez les garçons et les filles de troisième secondaire au Québec », Recherches féministes, vol. 9, no 1, pp. 105-133.
- Bracey Gerald W., 2006, Separate But Superior ? A Review of Issues and Data Bearing on Single-Sex Education, Tempe, az Arizona State University, College of Education, Education Policy Research Unit.
- Charland Jean-Pierre, 1982, Histoire de l’enseignement technique et professionnel, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture.
- Commission Européenne, 2010, Différence entre les genres en matière de réussite scolaire. Étude sur les mesures prises et la situation actuelle en Europe, Bruxelles, Réseau Eurydice.
- Dumont, Micheline, 2003. Décrochage scolaire : remettre les pendules à l’heure, <http://sisyphe.org/spip.php ?> article 300, (Consulté le 25 juillet 2013).
- Dupuis-Deri Francis, 2009, « Le "masculinisme" : une histoire politique du mot (en anglais et en français) », Recherches féministes, vol. 22, no 2, pp. 97-123.
- Epstein Debbie, Elwood Jannette, Hey Valérie et Maw Janet (dir.), 1998, « Schoolboy frictions : feminism and failing” boys », in Failing Boys ? Issues in Gender and Achievement, Buckingham-Philadelphia, Open University Press, pp. 3-18.
- Galarneau Claude 1978, Les collèges classiques au Canada français (1620-1970), Montréal, Éditions Fides.
- Halpern Diane F., Eliot Lise, Bigler Rebecca S., Fabes Richard A., Hanish Laura B., Hyde Janet, Liben Lynn S., Martin Carol Lynn, 2011, « The Pseudoscience of Single-Sex Schooling », Science, vol. 333, no 6050, pp. 1706-1707.
- Helbig Marcel, 2012, « Boys do not benefit from male teachers in their reading and mathematics skills : empirical evidence from 21 European Union and oecd countries », British Journal of Sociology of Education, vol. 33, no 5, p. 661-667.
- Meq, Ministère de l’Éducation, Québec, 2004, La réussite scolaire des garçons – Des constats à mettre en perspective – Rapport synthèse, Québec.
- Royer Égide, 2010, Leçons d’éléphants. Pour la réussite des garçons à l’école, Québec, École et comportement.
- Smyth Emer, 2010, « Non mixité à l’école : que nous dit la recherche actuelle ? », Revue française de pédagogie, vol. 171, pp. 57-58.
- St-Amant Jean-Claude, 2007, Les garçons et l’école, Montréal, Sisyphe.
- St-Amant Jean-Claude, 2004, « L’école québécoise et les garçons : l’apprentissage de la domination », Extrait d’une conférence dans le cadre du colloque « Tous ensemble pour la réussite », Montréal, avril.
Notes
-
[1]
Au Québec, les garçons quittent l’école avant 20 ans, sans diplôme, dans une proportion de 20,1 % et de 12,6 % pour les filles (année 2010-2011). 80 % des décrocheuses et décrocheurs vont raccrocher plus tard, et un bon nombre obtiendra un diplôme, tant chez les garçons que chez les filles. Les garçons québécois réussissent mieux que les filles de sept autres provinces canadiennes (diplomation à tous âges, 2010). En fait, si les garçons du Québec semblent moins bien réussir, c’est que les filles du Québec sont hyperperformantes. Les garçons du Québec se positionnent dans le top dix du classement pisa de l’ocde en lecture, matière réputée difficile pour eux.
-
[2]
La banque de données sur le personnel enseignant de l’ocde permet de faire une compilation par sexe et par niveau d’enseignement des enseignantes et enseignants dans les pays industrialisés. Cette banque de données est accessible sur le site Internet de l’organisme.