Couverture de TGS_007

Article de revue

Égalité professionnelle en Italie : cadre juridique et mobilisation des acteurs

Pages 59 à 81

Notes

  • [1]
    Mis en œuvre dans le cadre de la coordination des politiques de l’emploi au sens de la nouvelle procédure entamée par le Traité d’Amsterdam (art. 136 ss.).
  • [2]
    De Simone Gisella, 2001, “Dai principi alle regole. Eguaglianza e divieti di discriminazione nella disciplina dei rapporti di lavoro”, Giappichelli, Torino, p. 212-227.
  • [3]
    Cf. la jurisprudence de la Cour, C-409/95 du 11 novembre 1997, arrêt Marschall, et C-158/97 du 28 mars 2000, arrêt Badeck, en matière de quotas en faveur du genre sous-représenté.
  • [4]
    L’art. 17 de la loi communautaire n° 25 du 5 février 1999 garde l’interdiction légale pour les femmes enceintes et jusqu’à un an de vie de l’enfant, et introduit pour les deux parents chargés du soin d’enfants jusqu’à trois ans, ou du parent seul d’enfants jusqu’à 12 ans, ou de personnes chargées du soin d’handicapés, un mécanisme d’exonération du travail de nuit.

1Le dernier bilan réalisé sur l’Italie par l’Union européenne en matière d’emploi et de conditions de travail des femmes, à l’occasion de l’évaluation de la mise en œuvre des Plans nationaux pour l’emploi [1], situe l’Italie au dernier rang parmi les pays de l’Union européenne aussi bien du point de vue du taux d’activité des femmes, qui atteint à peine 39,6%, que du point de vue des différences entre les sexes (gender gaps), évaluées à 27,9%. Ces chiffres sont à opposer à un taux d’activité féminine atteignant en moyenne en Europe 54% et à un différentiel entre les sexes qui atteint 18,5%. Mais l’appellation de “mauvais élève” attribuée à l’Italie, ainsi que les recommandations adressées au gouvernement et aux partenaires sociaux concernent de manière plus large les résultats obtenus par les politiques visant à promouvoir l’égalité professionnelle hommes-femmes dans notre pays, ce qui remet en cause l’efficacité de telles politiques. La critique européenne adressée à l’Italie porte notamment sur des aspects qui sont d’abord d’ordre méthodologique, tel que le manque d’objectifs mesurables en vue d’atteindre progressivement un taux de 60% d’emploi des femmes pour 2010. Elle porte également sur des questions politiques : l’insuffisance de mesures visant à améliorer le taux d’activité des femmes âgées de 55-64 ans et à améliorer le bas niveau des services de garde des enfants et, de façon plus général, la nécessité d’une stratégie plus globale et cohérente pour résoudre les problèmes d’emploi des femmes.

2S’il est vrai que la situation de l’emploi des femmes en Italie connaît des mutations importantes (dans les années 1995-2000 le taux d’activité féminine dans les régions du Centre-Nord a progressé de 5,7%, par rapport à la moyenne européenne de 3,7%), de telles dynamiques s’avèrent insuffisantes pour parler d’une croissance significative, compte tenu du différent point de départ par rapport à d’autres pays (en 1995 le taux d’activité des femmes était de 35,4%, soit 4,2 points de moins qu’en l’an 2000 au niveau national). Une des données les plus intéressantes des dernières années montre que la dynamique du marché du travail féminin apparaît particulièrement sensible par rapport à l’évolution générale des emplois : quand l’emploi progresse, il progresse encore plus pour les femmes et quand il se dégrade, les femmes sont davantage touchées que les hommes. Le paradoxe selon lequel il y a “plus d’emploi et plus de chômage”, s’explique à la fois par une lente mais constante progression des taux d’activité des femmes, ainsi que par un très fort dualisme nord/sud (pour prendre les deux extrêmes, en Emilie-Romagne une femme sur deux travaille et en Sicile une sur cinq), ce qui fait que de nouvelles générations de femmes, souvent avec un degré élevé de scolarisation, se présentent pour la première fois sur le marché du travail sans avoir, pourtant, de chances de trouver des emplois. Dans les régions du Sud, le chômage des femmes atteint 30,4% dans certaines régions et s’élève à 50% pour les jeunes femmes (Source : Istat, Rilevazione trimestrale delle forze di lavoro, 2000 ; Eurostat).

3L’amélioration relative des taux d’emploi des femmes s’explique par plusieurs facteurs : un meilleur niveau d’instruction féminin, la tertiarisation de l’économie, la diffusion des emplois flexibles, très utilisés par les femmes - encore que l’Italie se caractérise par un taux de travail à temps partiel deux fois moins important qu’en France et par une proportion de contrats à durée déterminée également faible - la mise en œuvre de politiques publiques en faveur de l’emploi des femmes (parmi lesquelles la création d’entreprise au féminin présentée comme une bonne pratique par la Commission dans son évaluation des Plans d’action nationaux pour l’emploi).

4D’autres facteurs d’ordre social expliquent la progressive augmentation de taux d’activité : le déplacement de l’âge du mariage ; la modification de l’âge auquel les femmes ont des enfants ; la baisse des taux de natalité. Avec le plus bas taux de natalité au monde (1,3 enfant/femme) depuis plusieurs années, il semble que le rapport entre femmes et vie professionnelle soit encore vécu en Italie de manière problématique. Le travail se révèle comme une conquête récente et inachevée, qui pose aux femmes de multiples problèmes de conciliation entre exigences individuelles et rigidités organisationnelles, entre aspirations et possibilités concrètes d’obtenir des emplois satisfaisants, entre besoins de sécurité et réalité de travaux précaires, mal payés, n’offrant aucune possibilité de carrière.

5En fait, si l’on considère la position des femmes qui travaillent - qu’elles soient salariées ou indépendantes - et l’augmentation des taux de féminisation des professions libérales traditionnelles, des nouvelles professions du commerce, du tourisme et de l’artisanat ou des services d’assistance à la personne et à la famille, on constate des améliorations notables, mais aussi des facteurs persistants de ségrégation professionnelle et salariale. Les données plus récentes confirment que les différences de salaire entre hommes et femmes demeurent importantes (environ 25%). Y contribue d’abord le niveau de classification de la plupart des femmes, concentrées sur les catégories centrales de l’échelle professionnelle (le pourcentage des femmes cadres et cadres supérieurs augmente, mais ne dépasse pas les 6-7% de ces catégories). S’ajoute ensuite le fait que les femmes sont moins touchées par des formules de salaire variable (primes, salaire au rendement, participation financière, distribution d’actions aux salariés, heures supplémentaires, etc.) et plus impliquées par des emplois où les risques de marginalisation et de pauvreté sont forts (Elisabetta Ruspini, Chiara Saraceno, 1999). Mais au-delà de ces raisons, la recherche sur les différentiels de salaire hommes-femmes, faite par un groupe d’experts chargé du ministère du Travail, confirme que 20% de différence de salaire reste inexplicable et constitue, donc, une discrimination de genre (Ministero del lavoro, Comitato nazionale di parità, 2001).

Le cadre juridique de promotion de l’égalité professionnelle

6Il faut d’abord souligner que le cadre juridique en matière d’égalité professionnelle résulte de manière évidente du cadre communautaire et en anticipe des solutions. Si la loi italienne de 1977 a traduit de manière fidèle les directives européennes en matière d’égalité promues au cours des années 1970, la loi de 1991 a anticipé le contenu de la directive n° 80/97 en accueillant les notions retenues par la Cour de justice de ‘discrimination indirecte’ et ‘d’inversion de la charge de la preuve’, et en introduisant dans l’ordre juridique national la notion ‘d’action positive’, prévue par la recommandation du Conseil de 1984. Dans ce dernier cas, il s’agit d’une mesure, tantôt volontaire tantôt obligatoire, visant à rééquilibrer des situations désavantageuses pour les femmes sur le marché et dans le rapport de travail.

La loi n° 125 du 10 avril 1991 a introduit dans les dispositifs légaux en matière d’égalité professionnelle hommes-femmes la notion d’“action positive”. Il s’agit de mesures temporaires visant à éliminer les disparités qui frappent les femmes dans la formation et dans l’accès à l’emploi, à favoriser la diversification des choix professionnels des femmes, à éliminer les effets plus défavorables aux femmes des conditions de travail, de l’organisation du travail et des horaires et les préjugés liés au genre, à promouvoir l’insertion des femmes dans les activités et aux niveaux professionnels où elles sont sous-représentées, à favoriser le partage des responsabilités familiales entre hommes et femmes par une différente organisation du travail, des conditions et du temps de travail.
De telles mesures relèvent de l’initiative des employeurs, des organisations syndicales et patronales, des centres de formation professionnelle : le ministère du Travail, depuis 1991, finance les meilleurs projets d’action positive présentés et évalués par le Comité pour l’égalité des chances à travers un fond annuel de 9 milliards de Lires (45 millions d’Euros). La loi accorde une préférence dans les financements aux projets qui sont le résultat d’un accord entre employeurs et syndicats.

7Cette loi apporte à la notion d’égalité professionnelle hommes-femmes une vision dynamique, en remontant aux causes directes ou indirectes des discriminations et en promouvant des mesures visant à éliminer les obstacles qui empêchent la réalisation effective de l’égalité au travail. Le passage de l’égalité de traitement vers l’égalité des chances traduit l’un des principes fondamentaux de l’ordre juridique italien, consacré dans la Constitution de la République de 1948 avec le principe d’égalité substantielle énoncé par l’art. 3, alinéa 2, qui engage l’État à éliminer les obstacles d’ordre économique et social qui empêchent la réalisation effective du principe d’égalité.

8Les principaux dispositifs prévus par la loi de 1991 sont les suivants : promotion d’actions positives, notamment par le financement de projets présentés par les entreprises, les organisations syndicales, les centres de formation professionnelle ; lutte contre les discriminations de genre dans le rapport de travail, rendue possible, par exemple, par l’admission de la preuve statistique devant le juge dans les conflits de travail portant sur des discriminations, ainsi que par l’inversion de la charge de la preuve et la légitimation de l’action en justice reconnue aux conseillères d’égalité dans les conflits collectifs.

9L’attitude des partenaires sociaux par rapport à cette loi, dernier fruit d’une longue campagne de mobilisation des femmes sur le plan politique et social, a été marquée, dès le début, par une vision très particulière, valorisant seulement les instruments de promotion de l’égalité des chances et reniant les dispositifs visant à renforcer la lutte contre les discriminations. Ce deuxième volet de la loi a rarement rencontré le soutien des acteurs sociaux, jamais celui du milieu patronal.

10Après dix ans d’actions positives on peut estimer à environ 25 000 le nombre de femmes impliquées par ces mesures et à 500 le nombre de projets financés par le ministère du Travail. La plupart des actions ont été menées sur le marché du travail : actions de formation, de re-motivation au travail, de reclassement de groupes de femmes à risque, de reclassement de femmes au chômage ou de jeunes femmes sans emploi vers le travail indépendant, création de coopératives et d’entreprises (couvrant les retards dans la promulgation du règlement d’application de la loi 215/1992 sur le soutien à la création d’entreprise par des femmes). Beaucoup de ces projets ont visé la relance de métiers traditionnels, ou, à l’inverse, la préparation de jeunes femmes à des professions techniques ou d’avenir : travail à distance ou télétravail, sauvegarde de vocations territoriales dans l’artisanat et le tourisme, création de services dans les aires protégées (sites archéologiques et culturels, bio-parcs, etc.). S’y ajoutent des projets de pré-orientation dans le système éducatif pour orienter les filles dans des filières techniques ou scientifiques avant qu’il ne soit trop tard et que la force d’inertie des stéréotypes sociaux et familiaux n’agisse : dans quelques cas, l’action de pré-orientation vers des métiers “masculins” s’adresse aux filles et à leurs mères.

11Les projets d’action positive destinés aux salariées dans les entreprises ont surtout porté sur les systèmes de classification, l’aménagement des horaires, les mesures en faveur de salariées-mères, l’accès à des professions et métiers en développement où les femmes sont sous-représentées, l’innovation organisationnelle, la formation aux politiques d’égalité des chances de cadres chargés de la sélection et de la gestion du personnel. Il s’agit d’actions qui souvent laissent une trace dans l’organisation (promotion de femmes à des niveaux supérieurs, modulation des horaires, modalités de sélection non défavorables aux femmes, correction des déséquilibres de genre dans quelques professions ou métiers, etc.). Leur limite tient au fait qu’il s’agit de micro-actions, ayant un impact limité à l’atelier, à l’entreprise ou au petit espace territorial et, de toute façon, limité par l’insuffisance des ressources qui leur sont consacrées.

12Ces expériences de ‘micro-actions’ ont modifié la réflexion des décideurs politiques. A l’occasion de la réforme de la loi 125, ils se sont interrogés sur l’opportunité de concentrer les financements publics prévus par la loi sur le niveau macro (branche, pactes territoriaux), avec l’ambition de pousser la pratique de l’action collective et de la concertation sociale vers des actions ayant un impact durable sur les organisations (entreprises, administrations publiques, associations syndicales et patronales).

13L’implication des acteurs sociaux dans la mise en œuvre des dispositifs en matière d’actions positives a été importante, en raison de la préférence accordée par le législateur aux projets faisant l’objet d’un accord entre employeurs et syndicats dans l’entreprise. L’accord entre partenaires sociaux est ici conçu comme le moyen principal de promouvoir des actions positives dans le travail. Par ailleurs, l’institution d’un Comité National pour l’égalité auprès du ministère du Travail de composition tripartite (organisations syndicales, organisations patronales et associations féminines - ayant comme but principal la promotion de l’égalité hommes/femmes dans le travail) -, a assuré une cohérence d’ensemble, de l’évaluation des projets à leur suivi, leur mise en œuvre et leur promotion.

Le modèle obligatoire dans la fonction publique

14Les actions positives dans la fonction publique méritent un examen particulier. En dépit de dispositif légaux en faveur de l’égalité professionnelle - disposition visant à réserver aux femmes au moins un tiers des postes des commissions de concours, sauf impossibilité motivée, et d’assurer leur participation aux dispositifs de formation continue en proportion de leur présence dans l’administration concernée - la Fonction publique a jusqu’à présent largement ignoré le rôle moteur en matière de promotion de l’égalité professionnelle que la loi lui avait confié [2].

15Le modèle obligatoire de promotion de l’égalité professionnelle dans la fonction publique a été remis au cœur de la réforme de la loi 125 par l’arrêt législatif n° 196 de 2000 qui place la fonction publique au centre des financements de projets d’action positive et confirme l’obligation d’établir des mesures de promotion de l’insertion des femmes dans les secteurs et les niveaux professionnels où elles sont sous-représentées, et notamment dans les secteurs à forte innovation technologique et aux niveaux de responsabilité, par des plans, élaborés tous les trois ans, visant au rééquilibrage de genre dans les activités et les positions hiérarchiques où il y a un différentiel de genre d’au moins deux tiers. Dans cet objectif, la loi accorde une préférence aux femmes, à l’occasion des recrutements et des promotions, en imposant l’obligation de motiver de façon adéquate et explicite le choix éventuel du candidat masculin à qualification égale ou valeur équivalente des candidats des deux sexes. La définition de ces plans relève de la responsabilité de l’administration, qui doit consulter les représentations élues des travailleurs ou les syndicats de branche (ministères, santé, éducation nationale, recherche, etc.), les comités d’égalité des chances prévus par les conventions collectives et la conseillère d’égalité (sur ces organismes voir ci-dessous). L’implication de ces sujets vise à leur assurer des droits d’information et de consultation indispensables à la réussite de leur mission de promotion de l’égalité professionnelle.

L’article 5 de la loi n° 125 institue le Comité national pour l’égalité professionnelle et pour l’égalité des chances entre hommes et femmes auprès du ministère du Travail. Font partie de ce Comité le ministre du Travail, ou un sous-secrétaire d’État qui le préside, cinq représentants des organisations syndicales les plus représentatives et cinq représentants des associations patronales les plus représentatives, un représentant des coopératives, onze représentants des associations féminines majeures et la conseillère nationale pour l’égalité.
Le Comité pour l’égalité professionnelle évalue les projets d’action positive présentés dans le but de donner les financements prévus par la loi, donne des avis et formule au gouvernement des propositions sur les questions générales concernant la mise en œuvre de politiques en faveur de l’égalité professionnelle, élabore des codes de conduite en matière d’égalité professionnelle, vérifie la mise en œuvre des lois sur le sujet, propose des solutions aux conflits collectifs en incitant les intéressés à adopter des actions positives pour éliminer les discriminations existantes, demande aux inspecteurs du travail de repérer les données sur la composition de la main-d’œuvre dans les lieux de travail, favorise une adéquate représentation des femmes dans les organismes publiques nationaux et locaux en matière d’emploi et de formation professionnelle.

16La relance du rôle initiateur des administrations publiques dans la mise en œuvre de mesures de promotion de l’égalité des chances passe donc par des plans impliquant une gestion rationnelle des ressources humaines et attentive au rééquilibrage de genre dans les recrutements et les promotions. La préférence accordée aux candidatures féminines, liée aux conditions objectives d’existence de sous-représentation de genre et de qualification équivalente des candidats évoque les cas allemands portés à la connaissance de la Cour de Justice dans les fameux arrêts Kalanke, Marschall et Badeck[3], où la jurisprudence de la Cour a précisé les conditions de légitimité de telles mesures. L’obligation de motiver le choix (possible) du candidat masculin permet d’éviter tout automatisme dans la décision et de se charger d’une évaluation attentive des situations individuelles, comme requis par la Cour européenne : comme le dit Gisella De Simone, “personne n’est ‘choisi’ à cause de son sexe, et en même temps, personne n’est ‘exclu’ à cause de son sexe. Ainsi on ne porte atteinte ni à la dignité de la privilégiée, ni à la dignité de l’exclu, en considérant ‘égale’ la dignité de chacun, ce qui constitue une réponse aux critiques encore récemment adressées aux actions positives individualisées”. D’autre part, l’obligation de justifier le choix implique l’adoption de critères transparents de gestion du personnel, le manque de transparence renversant sur l’employeur la charge de montrer l’inexistence de la discrimination.

17Le délai prévu par la loi pour la mise en place de plans d’actions positives dans les administrations publiques, venu à échéance le 30 juin 2001, est trop récent et ne permet pas d’avoir une vision d’ensemble précise et détaillée sur la question : les premières impressions ne sont pourtant pas encourageantes, compte tenu des retards dans la mise en œuvre, et des essais explicites, par exemple du côté des recteurs des universités, de se soustraire à l’obligation légale (essai assez surprenant, considérant le bon degré de coopération expérimenté entre le système universitaire et le Ministère pour l’égalité des chances sous l’ancien gouvernement de centre-gauche). Aussi la fonction d’orientation et de vigilance qui relève du ministre chargé de la Fonction publique n’a été jusqu’à présent exercée. Ce qui confirme le sentiment d’un modèle largement inachevé.

La lutte contre les discriminations

18La solution retenue par la loi pour lutter contre les discriminations de genre se fonde sur la figure institutionnelle de la conseillère d’égalité, présente au niveau national, régional et provincial (au total, on en compte à peu près une centaine) et qui agit en justice dans les conflits collectifs de travail ayant pour objet une discrimination collective, même indirecte concernant une pluralité, même indistincte, de femmes. La représentation en justice par un sujet institutionnel, la notion de discrimination indirecte (qui dérive d’un acte ou d’un comportement de l’employeur apparemment “neutre”, ayant des effets proportionnellement plus défavorables pour les femmes), l’inversion de la charge de la preuve, l’admission de la preuve statistique, la condamnation de la part du juge, en cas de discrimination, et la mise en œuvre d’un plan d’actions positives par l’employeur, sont les instruments juridiques visant à assurer une lutte efficace contre les discriminations au travail.

19L’application de la loi dans ce domaine constitue le point critique majeur : dans le groupe d’experts du Comité national pour l’égalité, compétent à donner un avis sur les actions en justice des conseillères d’égalité en cas de discriminations collectives, on a pu constater dans le traitement des cas signalés, que de nombreuses discriminations persistent, surtout de caractère indirect, qui sont engendrées par les règles conventionnelles : âge, traitement différent des travailleurs à temps partiel, qui dans 72% des cas sont des femmes, progression de carrières, etc. Les procédures de conciliation de plusieurs conflits survenus dans de grandes entreprises ont montré la difficulté de s’orienter vers des pratiques non discriminatoires et le risque de rupture des équilibres internes aux entreprises (entre managers et délégués syndicaux) provoqué par l’adoption de nouveaux systèmes (de promotion, d’évaluation, de politique salariale, etc.) moins discriminatoires. Il s’agit d’un problème encore mal cerné : le manque de données statistiques, voire l’opacité des données disponibles à propos des salaires effectifs, rendent la lutte envers les discriminations assez difficile. L’instrument prévu par la loi pour faire émerger les situations de disparité dans les entreprises d’au moins cent salariés, le rapport périodique sur la situation du personnel (embauches, promotions, salaires, licenciements, chômage technique, contrats atypiques, etc.), a rencontré des difficultés de mise en œuvre qui dissimulent une attitude hostile des associations patronales à informer de manière complète et correcte les organismes de représentation des salariés et la conseillère d’égalité sur l’évolution des emplois selon une perspective de genre, notamment en ce qui concerne les salaires effectifs. On est arrivé à opposer dans ce domaine les règles de protection des données sensibles pour éviter d’informer sur les salaires effectifs des cadres supérieurs, là où ces derniers constituaient un ensemble peu nombreux et, par là, facilement individualisé.

20Les mécanismes mis en place par la loi 125 à l’intention de rendre effective la protection contre les discriminations de genre, visaient exactement à rendre justice à des sujets auparavant sans voix devant les tribunaux dans les conflits individuels de travail, du fait de la difficulté de donner la preuve (censée, et pour cause, “diabolique”) de la discrimination sans disposer d’éléments de connaissance des critères retenus par l’employeur et de la crainte de réactions patronales. Dans les dix ans de mise en œuvre, de multiples problèmes liés à ce volet de la loi ont progressivement émergés au fur et à mesure du rodage de tels mécanismes : une étape importante de la prise de conscience des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des dispositifs légaux a été marquée par le rapport du Sénat de 1995, qui signalait la nécessité de renforcer les instruments prévus de lutte aux discriminations, ce qui a fait l’objet de la réforme qui a vu le jour entre 1999 (loi de délégation au gouvernement) et 2000 (émanation de l’arrêt législatif n° 196).

L’arrêt législatif du 23 mai 2000, n° 196 impose aux administrations publiques nationales et locales de rédiger, tous les trois ans, des plans d’égalité professionnelle au but de promouvoir l’insertion des femmes dans les secteurs et dans les niveaux professionnels où elles sont sous-représentées, par le rééquilibrage de la présence féminine dans les activités et dans les positions hiérarchiques où existe un différentiel de genre d’au moins deux tiers. Dans ce but, à l’occasion d’embauches et de promotions, la loi impose d’accorder une préférence aux candidatures féminines à égale qualification quand ’il y a une sous-représentation dans la catégorie ou dans le niveau envisagé : le choix éventuel en faveur de la candidature masculine est accompagné par l’obligation d’une motivation adéquate et explicite. La violation de l’obligation légale de rédaction de plans d’égalité professionnelle est sanctionnée par l’interdiction de recruter.

21Une reconnaissance des discriminations signalées à l’attention des organismes d’égalité et des orientations prises permet d’illustrer quelque peu le coté obscur de l’égalité professionnelle. Il s’agit des violations les plus fréquentes de ce principe par les employeurs et par des sujets tiers, tels que les sociétés de sélection du personnel. La question posée par les nombreux cas de discrimination observés reste de savoir s’ils sont paradigmatiques de la condition féminine au travail, ou s’ils ne constituent que l’image déformée d’une réalité beaucoup plus évoluée en la matière.

22Ces cas se concentrent en grande majorité sur quelques points : mécanismes de réserve de postes pour des salariés de l’un ou de l’autre sexe ; effets défavorables liés à la rémunération des congés de maternité ; permanence de critères de sélection du personnel ayant des effets statistiquement défavorables pour les femmes ; traitements injustifiés qui frappent les salariés à temps partiel.

23En raison de la maternité, les traitements des femmes sont souvent défavorables : ils démontrent que la naissance d’un enfant s’avère comme l’un des points les plus critiques dans les parcours de travail des femmes, les décourageant d’une présence active sur le marché du travail ou ralentissant leurs perspectives de progression salariale ou de carrière. Le traitement des femmes est généralement fixé par les conventions collectives, en ce qui concerne les modalités de calcul de primes de productivité, ou les modalités de progression automatique ou semi-automatique de carrière, en violation du principe légal qui prévoit l’assimilation des congés de maternité obligatoires au travail effectif et le compte des congés volontaires dans l’ancienneté de service. De plus, certaines dispositions des conventions collectives assimilent le congé de maternité à une maladie prolongée, ce qui fait que la période de congés n’est pas calculée à l’occasion du versement de primes liées au travail effectif.

24Dans d’autres cas on a signalé des comportements illicites concernant la demande de tests de grossesse en vue de l’embauche, ou l’ancienne pratique, jamais disparue, d’embaucher la salariée en lui faisant signer une lettre de démission à utiliser au bon moment ; ou encore, l’exclusion des traitements de maternité pour les salariées saisonnières ou les salariés ayant un statut précaire dans le secteur du spectacle. Une protection adéquate de la maternité est revendiquée par les travailleurs indépendants et les professions libérales, elle témoigne de l’exigence de reconnaissance de droits liés à la maternité même dans les segments considérés comme forts sur le marché.

25Les points de référence retenus ont été la valeur sociale reconnue par la Constitution à la maternité, ainsi que les dispositifs légaux, y compris les récentes dispositions en matière de congés parentaux (loi n° 53 de 2000), visant à assurer que la maternité ou la paternité n’entraînent pas d’effets automatiquement défavorables sur le rapport au travail. Cela signifie, notamment, que la convention collective ne peut pas déroger à la loi, sauf dans les cas où la loi autorise cette dérogation, dérogation dont la légitimité sera alors strictement contrôlée.

26Pour empêcher la marginalisation des salariées-mères, les organismes d’égalité ont favorisé des actions positives visant à renforcer la position des salariées au retour des congés de maternité par des campagnes d’information, sur l’introduction d’horaires et de modalités flexibles, tel que le télétravail, afin d’accompagner les parcours de ces femmes dans des moments considérés comme risqués pour leur vie professionnelle.

27Un autre motif de discriminations indirectes est le traitement défavorable réservé aux salarié(e)s à temps partiel. C’est, par exemple, l’application stricte de la proportionnalité observée dans le calcul de l’ancienneté en vue d’une progression professionnelle, c’est encore l’exclusion de traitements qui ne postulent pas un lien automatique avec le régime d’horaire ou leur diminution drastique, qu’il s’agisse des primes de productivité, de la distribution d’actions ou de la participation à des plans de formation. Ce genre de discriminations n’est généralement pas perçu comme tel par les acteurs sociaux qui négocient les accords. Ces derniers se bornent à appliquer le critère de proportionnalité sans se poser la question de justifier l’exclusion ou la réduction de chances pour les salariés à temps partiel.

28Les organismes d’égalité ont rendu des jugements favorables dans des cas, rares, de mécanismes de réserve de postes pour des candidatures féminines. Ce fut le cas, par exemple, d’un accord collectif d’une entreprise publique de transport visant le recrutement d’un pourcentage de femmes sous contrat de ‘formation-emploi’ dans un contexte de déséquilibre énorme dans la composition des effectifs ; ce fut aussi le cas d’un règlement de concours d’un Ministère visant le recrutement de qualifications élevées où les femmes étaient sous-représentées. Dans les deux cas, il s’agissait de mesures flexibles et temporaires, visant à compenser des désavantages dans des marchés internes du travail.

29En raison de la permanence de situations de déséquilibre de genre dans la composition de la main d’œuvre dans certains secteurs et à certains niveaux professionnels, a été imposée par la loi la présence dans les commissions de concours publics d’au moins un tiers de femmes. Ce critère est réputé essentiel pour assurer l’impartialité et la bonne marche de l’administration, ce qui implique que l’administration doit justifier l’inobservance de cette disposition en tirant argument de la rareté voire de l’inexistence de compétences féminines dans chaque cas. Là encore, l’application du critère légal n’est pas souvent invoquée par des femmes, malgré quelques décisions favorables des tribunaux administratifs régionaux.

30En ce qui concerne la liste des aptitudes requises dans les concours publics ayant un caractère indirectement discriminatoire pour les femmes – telles que : force physique, habilitation à l’usage des armes, permis de conduire des cars – l’orientation a été de vérifier le caractère essentiel de la qualité requise par rapport à l’activité de travail, tout en essayant de remédier à la présence moindre de ces dispositions au sein de la population féminine par des actions positives.

31Les avis en matière de discrimination donnés par l’organisme technique du Comité pour l’égalité ont exercé parfois une influence dans la décision du juge du conflit de travail. Toutefois, cette “magistrature d’influence” n’a eu que très peu d’occasions de s’exercer en raison de la rareté des actions en justice engagées en la matière. Quant aux rapports avec les acteurs sociaux, les organismes d’égalité ont essayé de promouvoir des solutions fondées sur l’accord local, en les invitant à éliminer les situations de discriminations relevées par des plans d’actions positives, tout en valorisant les Comités pour l’égalité des chances (CPO) prévus par les conventions collectives dans la proposition et l’élaboration de ces plans.

Une implantation institutionnelle vaste et diffusée

32Les Comités pour l’égalité des chances (Comitati pari opportunità (CPO) ont fait leur apparition dans les conventions collectives de branche et dans les accords d’entreprise à partir de la deuxième moitié des années quatre-vingt. Fruit de la réflexion menée par les femmes qui militaient dans les syndicats, ils constituent l’instrument de représentation de genre dans les lieux de travail.

33Ces Comités pour l’égalité des chances sont des instances paritaires ayant pour mission l’analyse et la recherche de solutions en ce qui concerne les conditions de travail des femmes. Leur création marque le passage de l’action militante des femmes dans les “coordinamenti femminili”, qui avaient refusé le modèle de représentation neutre à l’intérieur des syndicats, à la promotion d’actions concrètes de sensibilisation du personnel, d’enquêtes sur les conditions de travail, de formation et de reclassement de groupes de femmes “à risque”, d’intervention sur les horaires, d’actions en faveur des femmes rentrant des congés de maternité, etc. C’est ainsi le passage d’un type de discussions touchant surtout les permanentes et les militantes syndicales, à un effort de mise en œuvre dans des situations concrètes visant à rencontrer les besoins des femmes.

34Paritaires, ces instances sont réglées par accord collectif et composées par des déléguées syndicales ou des salariées nommées par les représentations syndicales unitaires (dans quelques conventions collectives élues par le personnel féminin) d’un côté, et par des représentants patronaux, de l’autre. Leur activité se borne à l’étude et à la définition d’initiatives en faveur de l’égalité des chances des femmes au travail (on peut citer, par exemple, les projets de réaménagement des horaires dans de grandes usines de la métallurgie ; de reclassement des secrétaires dans le secteur de l’informatique ; de formation de femmes-conductrices dans les entreprises de transport local ; de formation-reclassement sur des métiers techniques dans les chemins de fer ; d’information et de formation pour les femmes à l’issue de leurs congés de maternité dans les banques, etc.). Bien que présentes et assez répandues dans les grandes et moyennes entreprises, dans les branches, les ministères, les universités, les collectivités locales, les services publics, ces instances ne produisent cependant pas une activité de qualité égale. Il semble qu’en réalité une bonne partie des Comités pour l’égalité des chances vivent une vie incertaine, ne bénéficiant pas des moyens suffisants pour accomplir leur mission, trop faibles pour être pris en considération par l’entreprise et par son interlocuteur syndical. Par ailleurs, ils n’ont souvent pas une vision claire de leur mission pas plus que des modalités d’interaction avec l’activité de négociation collective et de représentation du personnel ou de gestion du personnel. Il semble que leur force de proposition ait des chances de se réaliser quand elle est liée à l’activité des syndicats qui restent les acteurs de traduction des objectifs de genre dans la négociation collective. Mais on peut observer que l’action de ces Comités ne laisse généralement que de faibles traces dans les conventions collectives, en dépit de mentions rituelles inscrites dans les textes signés par les partenaires sociaux. En fait leur activité ne paraît pas capable d’influencer de façon significative la politique des syndicats, où l’on constate un intérêt assez modeste pour les problèmes d’emploi et les conditions de travail des femmes.

35La mission de ces Comités d’origine conventionnelle s’ajoute à la mission d’autres organismes institutionnels prévus par la loi : la Commission nationale pour la réalisation de l’égalité hommes-femmes auprès de la Présidence du Conseil des Ministres - avec fonction consultative et de proposition en ce qui concerne la condition des femmes dans la vie politique et sociale - ; le Comité national pour l’égalité des chances dans le travail, auprès du Ministère compétent ; le Comité pour l’égalité des chances rattaché au ministère de l’Éducation nationale ; le Comité pour la création d’entreprises féminines auprès du ministère de l’Industrie dont les compétences sont limitées aux secteurs d’appartenance. Des Commissions analogues ont été instituées auprès des pouvoirs locaux : régions, provinces et municipalités. L’objectif de réaliser l’égalité hommes-femmes prend donc appui sur un réseau assez vaste et diffusé d’organismes, aux compétences diverses, aussi généralistes que spécifiques, qui manifestent à tous les niveaux une grande richesse d’initiatives, mais qui se révèlent pourtant incapables de contribuer à la création d’un système.

36Cette pluralité institutionnelle qui constitue un élément typique de la réalité italienne découle d’abord du système des autonomies territoriales. Elle est aussi la conséquence d’une production normative qui a créé sans cesse des organismes nouveaux, au fur et à mesure de l’affirmation du principe de la réalisation d’objectifs égalitaires dans différents domaines. Ceci peut être considéré comme une richesse, mais nuit pourtant à l’efficacité globale de l’action en faveur de l’égalité, en raison de jalousies réciproques et du manque de coordination de l’ensemble de ces activités.

37Sur la nécessité d’une telle coordination, voire sur la simplification du cadre institutionnel, afin d’en rationaliser l’activité, les ministres chargés de l’égalité des chances ont manifesté à plusieurs reprises leur intention d’intervenir.

Les “conseillères d’égalité”

38Dans ce cadre institutionnel, un rôle éminent est assigné aux “conseillères d’égalité”, rôle récemment renforcé par l’arrêt 196 de mai 2000. La conseillère d’égalité est compétente en matière de promotion de l’égalité des chances sur le marché du travail, dans la formation et dans le rapport de travail et agit en justice contre les discriminations de genre aux côtés de la salariée discriminée dans les litiges individuels ou dans les conflits collectifs.

39Il s’agit d’une figure centrale pour la réalisation des objectifs d’égalité professionnelle visés par la loi 125, qui hérite pourtant aussi des défaillances du système en raison de “carences structurelles et de l’insuffisance d’instruments et de moyens” (comme le relevait la Commission d’enquête du Sénat en 1995). C’est sur ce personnage que s’est donc concentré l’activité réformatrice qui a débouché sur l’arrêt de 2000.

Des “conseillères d’égalité” sont nommées tous les quatre ans au niveau national, régional et provincial qui ont pour mission de promouvoir et de contrôler la mise en œuvre des principes d’égalité professionnelle et de lutte aux discriminations entre hommes et femmes. Elles sont désignées par le pouvoir local compétent, après consultation des partenaires sociaux, parmi les candidats qui ont présenté un dossier attestant leur compétence et expérience acquise en matière de travail féminin, de lois sur l’égalité professionnelle et de marché du travail : sont nommées par arrêt du ministre du travail et du ministre chargé de l’égalité des chances.
Leur mission concerne : le redressement des situations de déséquilibre hommes/femmes sur les marchés du travail ; la promotion et le contrôle des projets d’action positive, notamment financés par des ressources publiques consacrées à cet objectif ; la promotion de politiques territoriales et de politiques actives de l’emploi et de la formation professionnelle conformes aux principes d’égalité des chances ; la coopération avec les inspecteurs du travail pour relever des situations de discrimination dans les lieux de travail ; la sensibilisation et l’échange de bonnes pratiques en matière d’égalité des chances ; l’action en justice dans les conflits collectifs de travail portant sur les discriminations.
L’article 4 de l’arrêt législatif n° 196 de 2000 institue un “réseau” des conseillères d’égalité, coordonné par la conseillère nationale, dans le but de renforcer l’efficacité de leur action et de promouvoir l’échange et la circulation d’informations et de bonnes pratiques. Cet arrêt consacre enfin des ressources et des moyens pour accomplir leur mission.

40L’un des points forts de ce personnage est qu’il se situe à l’articulation des niveaux territoriaux (régions et provinces). La conseillère d’égalité est donc particulièrement indiquée pour relever dans des contextes territoriaux différents les situations de déséquilibre de genre. Cette articulation constitue l’enjeu des politiques d’égalité professionnelle, une fois complété le transfert de compétences du ministère du Travail en matière de politiques de l’emploi et de formation professionnelle aux régions et aux autonomies locales (voir arrêt n° 469 de 1997) dans le cadre du fédéralisme administratif dessiné par les lois Bassanini.

41L’autre point de force des conseillères d’égalité réside dans la nature double de leurs fonctions : promotion de l’égalité professionnelle, d’un côté, garantie contre les discriminations, de l’autre.

42Le débat international entamé par la Conférence de Pékin des Nations-Unies de septembre 1995 a eu une influence importante sur la réforme du rôle de la conseillère d’égalité. Un nouvel élan international a été donné alors que la perception de ces problèmes dans le débat national subissait déjà une vague de reflux en raison des attaques portées aux objectifs d’égalité des chances par la Cour Constitutionnelle en matière électorale et par la Cour de Justice de Luxembourg en matière de quotas réservés aux femmes dans l’accès au travail et dans les promotions. Il s’agissait de positions dangereuses, qui risquaient de freiner une réalité, comme la réalité italienne, où les politiques d’égalité des chances venaient juste de débuter.

43Une influence favorable a sans doute été exercée par le Traité d’Amsterdam, qui a consacré le principe de non discrimination et d’égalité des chances parmi les principes fondamentaux de l’ordre juridique communautaire, en promouvant sa réalisation par les lignes d’orientations en matière d’emploi, dans le cadre des procédures de coordination entamées lors du sommet de Luxembourg. La mise en œuvre du processus de Luxembourg a, eu, parmi d’autres, le mérite de retenir l’attention des États membres sur la nécessité de promouvoir l’objectif du rééquilibrage de genre dans toute politique nationale (mainstreaming), ainsi que d’établir des mesures visant à l’égalité des chances par la lutte à la ségrégation professionnelle et salariale, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, la rentrée au travail après des interruptions. Les méthodes recommandées en termes d’analyse de genre et de conduite des politiques de l’emploi peuvent aider à relever les effets discriminatoires découlant d’actes ou de mesures conçus comme neutres, mais qui présentent des impacts différents pour les hommes et les femmes.

44Dans ce scénario, les conseillères d’égalité ont retrouvé une position d’équilibre entre centre et périphérie, comme instance de promotion de l’égalité professionnelle au niveau territorial où elles entrent en coordination avec des plans locaux de concertation des politiques de l’emploi ainsi que comme instance décentralisée de contrôle de situations de discriminations, relevant ainsi d’une fonction qui reste à l’État, mais qui nécessite des points d’ancrage dans le territoire pour assurer être opérationnelle.

45L’augmentation du nombre des conseillères oblige à l’organisation par la création d’un “réseau” des conseillères d’égalité, visant à l’échange d’informations, d’expériences et de bonnes pratiques, ainsi que valorisant des synergies entre des situations diversifiées. La convocation périodique du réseau de la part de la conseillère nationale permet cet échange, ainsi que la mise en œuvre du contrôle de la législation en matière d’égalité sur la base de rapports annuels présentés par les conseillères.

46Parmi les multiples fonctions qui leur sont confiées par la loi, on signalera ici l’identification des situations de déséquilibre de genre et de violation des normes contre les discriminations, à l’aide des services de l’inspection du travail ; la promotion d’actions positives dans le territoire de référence ; l’attention à la dimension de genre dans les politiques de l’emploi ; l’émission d’avis sur les plans d’action positive adoptés par les administrations publiques ; le contrôle des résultats des projets d’action positive financés par le ministère du Travail ; la promotion de la conciliation des conflits de travail ; l’action en justice dans les conflits collectifs (réservée aux conseillères nationale et régionales). Des moyens ont été mis en place pour les aider à remplir leur mission, dans le but de rendre effectif leur rôle crucial, notamment en ce qui concerne la mise en place des dispositifs concernant l’action en justice.

Négociation collective, concertation et genre

47La prise en charge du genre par la négociation collective trouve sa dimension d’application surtout dans la création des Comités pour l’égalité des chances, organismes paritaires reconnus par les syndicats et les patrons comme instance chargée de l’analyse des conditions de travail, de l’élaboration de propositions aux partenaires sociaux et de l’émission d’avis sur les politiques du personnel selon une perspective de genre. Le degré de diffusion de telles instances est élevé dans les conventions collectives de branche, tant dans le secteur privé que dans la Fonction publique. Il faut toutefois remarquer qu’à la généralisation de ces Comités dans les textes signés par les partenaires sociaux ne correspond pas toujours une mise en place effective et, même dans le cas de constitution de tels Comités, une activité réelle, du fait de la pénurie de ressources et de moyens, de l’absence de membres nommés par l’un ou l’autre des deux partenaires, des difficultés de fonctionnement là où il n’y a pas de lien de confiance avec les directions du personnel et les syndicats, qui gardent intactes leurs prérogatives dans la négociation des conventions et accords collectifs à l’égard des sujets gender sensitive. La faiblesse des pouvoirs reconnus (essentiellement consultatifs) et la difficulté de trouver de véritables espaces d’initiatives et d’interventions sur la négociation collective en matière de conditions des femmes demeurent les points critiques de l’activité de ces organismes. Malgré cela, ils n’ont pas cessé d’être, dans de nombreux cas, la principale source d’élaboration et d’expérimentation de projets d’action positive visant à corriger des situations de déséquilibre de genre dans la composition de la main d’œuvre et de dénonciation de cas de discriminations (y compris de harcèlement sexuel) dans le rapport de travail.

48Le degré d’influence des femmes sur le déroulement de la négociation collective reste difficile à mesurer : une première réponse à la question ne pourrait que mettre en évidence l’absence de sujets féminins aux tables de négociation. Malgré une lente progression numérique dans la composition des délégations patronales et syndicales (objet de règles statutaires de rééquilibrage dans quelques organisations syndicales), les femmes n’arrivent pas à imposer leur propres thèmes dans les agendas des négociateurs. Une analyse plus fine pourtant montre une sensibilisation accrue aux problématiques de genre dans le domaine des horaires et de l’utilisation des flexibilités, où l’influence féminine paraît se traduire dans une attention aux déclinaisons différentes des besoins individuels.

49Un faible signal positif est perceptible en ce qui concerne la formation continue, où l’expérience des Comités en matière d’égalité augmente l’attention portée à la participation effective des femmes aux dispositifs de formation continue par l’adoption de modulations flexibles de formation qui favorisent la participation féminine pendant les horaires de travail.

50Mais le sujet des congés parentaux constitue à présent l’exemple le plus intéressant du mouvement en faveur de l’égalité des chances, qui a marqué l’activité législative sous l’ancien gouvernement de centre-gauche. La loi 53 du 8 mars 2000 sur les congés parentaux, qui en réalité aborde d’autres sujets, comme celui des congés de formation et des horaires des villes, favorise en fait un rééquilibrage complexe entre temps de travail, temps de soin des enfants et de la famille, de formation et de relation, en assurant un droit au libre exercice de préférences individuelles.

51Le sujet se relie aux dispositifs arrêtés par des administrations publiques, marquées de façon significative par le sujet des “temps des villes”, qui ont constitué l’aspect majeur de l’expérience des femmes dans la concertation territoriale. Il s’agit de l’adoption de modulations des horaires publics qui intéressent particulièrement les femmes surtout au niveau des municipalités. L’aménagement et la flexibilité des horaires dans les services publics et sociaux, la création de “banques du temps” par l’organisation d’un système d’échange d’heures entre personnes qui rendent de façon volontaire des services à la collectivité (garde d’enfants en dehors des horaires scolaires, animation, accompagnement de personnes âgées aux visites médicales, courses pour des personnes âgées ou malades qui vivent seules, etc.) ont été soutenus par des lois régionales ou des règlements de municipalités, dans le but explicite de favoriser la conciliation entre vie professionnelle et charges familiales et de “rendre les villes plus amicales”. Cette expérience de concertation au niveau territorial entre les pouvoirs publics et différentes organisations parmi lesquels les syndicats de travailleurs des services publics (collectivités locales, services de transport, santé, écoles, etc.) a été liée à l’engagement d’une vague de femmes adjointes aux maires, qui ont su ainsi rendre visible l’attention aux problèmes des femmes dans leur vie quotidienne, en prolongeant dans leurs charges municipales leurs expériences militantes en faveur d’une culture des services plus proche des femmes.

52Forte de ces expériences, la loi sur les congés parentaux institue un fond spécial pour financer la mise en place de formes de flexibilité des horaires et de l’organisation du travail concernant les salariées mères et les salariés pères afin de concilier vie privée et vie professionnelle et de redistribuer les responsabilités familiales entre hommes et femmes. Le fond du ministère du Travail, en vérité assez riche, finance la mise en place de cette nouvelle génération d’actions positives, réalisées par accord collectif et portant notamment sur des mesures de travail à temps partiel réversibles, télétravail, travail à domicile, horaires flexibles à l’entrée ou à la sortie, banques des heures, horaires concentrés, etc., ainsi que sur des plans de formation visant à la réinsertion des salariés après une période de congés. Les accords collectifs financés, d’entreprises ou territoriaux, sont tenus d’introduire une procédure visant à la satisfaction prioritaire des exigences de flexibilité des salarié(e)s par rapport aux exigences des entreprises, ainsi que de fournir des solutions individuelles à des besoins spécifiques des salarié(e)s. Dans ce cadre, un réseau de support à la négociation d’accords en la matière est donné par la concertation territoriale entre autonomies locales et partenaires sociaux, qui peut expérimenter des accords cadre en la matière.

53Aussi en matière de travail de nuit des femmes, l’élimination de l’interdiction légale [4] confie aux accords collectifs la réglementation du travail de nuit pour hommes et femmes, selon des lignes d’orientation visant à réduire les horaires en augmentant le salaire, à assurer le passage à d’autres fonctions en cas d’inaptitude au travail de nuit, à rendre prioritaire le choix individuel, à renforcer les dispositifs de contrôle sur la santé et sécurité du travail de nuit. Là aussi, le rôle éminent assigné à la négociation collective vise à conjuguer les exigences individuelles des personnes avec celles des entreprises par l’introduction d’instruments souples de gestion du temps de travail compris entre 24 h. et 6 h. du matin. La prise en charge de telles instances par la négociation collective ne parait pas simple en raison de l’hostilité des patrons privés envers des formes de flexibilité, de l’exigence des salariés et de la faible capacité d’initiative des syndicats sur ce terrain.

Des perspectives incertaines

54Comme nous avons essayé de le montrer, la situation italienne en matière d’égalité professionnelle demeure contrastée. D’un coté, on compte de bonnes lois et une participation accrue des femmes au marché du travail, mouvement qui s’accompagne d’une identification nouvelle des jeunes femmes au travail passant par le refus du modèle traditionnel de la femme au foyer. De l’autre, on constate que les taux d’activité restent remarquablement plus bas que dans d’autres pays européens et que les femmes se retrouvent souvent dans des emplois précaires ou discontinus, surtout dans l’économie informelle, en dépit de leur niveau d’instruction et de formation. Elles sont, par ailleurs, obligées de concilier travail et vie privée sans pouvoir compter sur le soutien actif de leur partenaire (les statistiques signalent que les femmes mariées font deux heures de plus par jour de travail domestique par rapport aux femmes célibataires). La mise en œuvre de nombreux dispositifs visant l’égalité professionnelle témoigne d’une attention des partenaires sociaux orientée surtout sur des mesures volontaires de promotion de l’égalité des chances à l’aide de financements publics, tandis que la réticence demeure forte à remédier aux facteurs persistants de ségrégation salariale et professionnelle, voire de discrimination.

55Le signal qu’on peut apercevoir des premiers mois de gouvernement de droite, confirmé par la présentation du Livre blanc du ministère du Travail en octobre 2001, au delà des affirmations de principe, favorables à la continuité des politiques en matière d’égalité des chances hommes-femmes, est une rupture dans le soutien public à ces politiques et le retour au rôle central assigné aux instruments propres d’une économie de marché. Les objectifs visés par le gouvernement en réponse aux recommandations de l’Union européenne envisagent surtout des mesures fiscales en faveur de l’emploi, une utilisation accrue des contrats flexibles, et notamment du travail à temps partiel, des politiques sociales de soutien aux femmes “mariées” qui travaillent. La conception même des actions positives paraît se nourrir de l’idée bizarre que pour favoriser des groupes désavantagés, il suffirait d’en promouvoir l’intégration par des mesures différenciées qui prévoient des traitements au dessous des standards prévus par la loi et les conventions collectives. Mais c’est surtout le cadre d’ensemble qui ne paraît pas favoriser l’égalité professionnelle, parce qu’il est connu que les femmes ne tirent profit que d’un système de règles solide et structuré, tandis que les orientations politiques du nouveau gouvernement paraissent plaider pour une déréglementation poussée des rapports de travail et par un démantèlement progressif des conventions collectives nationales en faveur des accords d’entreprise ou du contrat individuel. Si la question de l’égalité professionnelle n’a donc jamais été une priorité réelle pour les acteurs sociaux et institutionnels, qui sont souvent dans un état d’inertie, le risque majeur est que le sujet finisse par disparaître.

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Notes

  • [1]
    Mis en œuvre dans le cadre de la coordination des politiques de l’emploi au sens de la nouvelle procédure entamée par le Traité d’Amsterdam (art. 136 ss.).
  • [2]
    De Simone Gisella, 2001, “Dai principi alle regole. Eguaglianza e divieti di discriminazione nella disciplina dei rapporti di lavoro”, Giappichelli, Torino, p. 212-227.
  • [3]
    Cf. la jurisprudence de la Cour, C-409/95 du 11 novembre 1997, arrêt Marschall, et C-158/97 du 28 mars 2000, arrêt Badeck, en matière de quotas en faveur du genre sous-représenté.
  • [4]
    L’art. 17 de la loi communautaire n° 25 du 5 février 1999 garde l’interdiction légale pour les femmes enceintes et jusqu’à un an de vie de l’enfant, et introduit pour les deux parents chargés du soin d’enfants jusqu’à trois ans, ou du parent seul d’enfants jusqu’à 12 ans, ou de personnes chargées du soin d’handicapés, un mécanisme d’exonération du travail de nuit.
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