Notes
-
[1]
Antoinette, n°1, 8 mars 1964 ; Les Pétroleuses, mars 1975 ; Le Quotidien des femmes, 1975.
-
[2]
Josée Contreras, Anny Desrumaux, Christine Fauré, Liliane Kandel et Françoise Picq, “Journée internationale des femmes, Attention ! Une commémoration peut en cacher une autre ?”, Histoires d’Elles, n° 0, 8 mars 1977.
-
[3]
Résolution de la Conférence Internationale des femmes socialistes, Copenhague 1910
-
[4]
Alexandra KollontaÏ, “International Women’s Day”. Selon Trotski, les travailleuses du textile auraient spontanément transformé en grève de masse et en manifestation la “Journée Internationale des femmes” pour laquelle les cercles sociaux-démocrates ne projetaient que “les moyens d’usage courant : réunions, discours, tracts” (Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, Ed. du Seuil, Paris, 1950, t. I, p.143-144.
-
[5]
Liliane Kandel et Françoise Picq, “Le mythe des origines (à prpos de la journée internationale des femmes”, La Revue d’en face, n° 12, automne 1982.
-
[6]
Clara Zetkin, Batailles pour les femmes, ouvrage publié sous la responsabilité de Gilbert Badia, éditions sociales, Paris, 1980, p.84.
-
[7]
Françoise Picq, “Le féminisme bourgeois, une théorie élaborée par les femmes socialistes avant la guerre de 14”, in Stratégies des femmes, Paris, Tierce 1984. ; Laurence Klejman et Florence Rochefort, L’Egalité en marche, le féminisme sous la Troisième République, PFNSP-des femmes, 1989 ; Charles Sowerwine, Les femmes et le socialisme, PFNSP,1978.
-
[8]
Maxime Gorki, Regards n° 15, mars 1933 ; N.Kroupskaïa “La 25e Journée internationale des femmes et nos conquêtes”, Correspondance internationale, n°22-23.
-
[9]
Claudine Chomat, “A l’occasion de la Journée Internationale des femmes, Le 5 mars, les Françaises se dressent pour proclamer leur volonté de paix, de liberté et de bonheur”, France nouvelle, n° 220, 4 mars 1950.
-
[10]
L’Humanité dimanche, 13 mars, 1955 ; Claudine Chomat, l’Humanité 5 mars 1955 ; Yvonne Dumont, “Journée Internationale des femmes : pour l’amitié des femmes françaises et allemandes, France Nouvelle, n° 480, 26 février 1955.
-
[11]
Renée Côté, La Journée internationale des femmes ou les vrais faits et les vraies dates des mystérieuses origines du 8 mars jusqu’ici embrouillées, truquées, oubliées : la clef des énigmes, la vérité historique, Les éditions du remue-ménage, Montréal, 1984.
-
[12]
Madeleine Colin, Traces d’une vie, publié à compte d’auteur, 1991. L’événement pourrait avoir été inspiré par un opuscule publié en 1947 par une socialiste américaine Elizabeth Gurley-Flynn. Celle-ci construit en effet autour de la grève des chemisières newyorkaises de 1909-1910 un récit qui ressemble fort à la légende du 8 mars 1857(cf Renée Côté, op. cit.)
-
[13]
Cité par Renée Rousseau, Les femmes rouges, Chronique des années Vermeersch, Albin Michel, 1983, p.231. La campagne orchestrée par le PCF contre le “camarade Derogy” et son combat contre la loi de 1920 a été étonnante ; il semble qu’elle ait eu pour but de détourner l’attention du rapport Krouchtchev.
-
[14]
Cette hypothèse pose pourtant un problème de chronologie puisque les couturières sont apparues en 1955, et c’est seulement en 1956 qu’a été lancée dans le PCF la campagne anti-Derogy.
-
[15]
Gail Lerner, “Why do we commemorate March 8th”, Bulletin Femmes “Ruptures”, n° 68, 1e quinzaine de mars 92. Renée Côté, op. cit. p.14, 18.
-
[16]
“Cécile Jacquet, “Le mythe du 8 mars” (Conférence de Françoise Picq pour le séminaire “Communisme et féminisme” de l’association), Femmes et communistes, jalons pour une histoire, n° 3, septembre 99 ; documentation Bibliothèque marxiste.
-
[17]
Nadia Pierre, “Le 8 mars : des révoltes et des rêves…”, L’Humanité, Lundi 8 mars 1999 ; Florence Montreynaud, Le XX° siècle des femmes, 1995 et “Le 8 mars, mais pour quoi faire ?”, Le Monde diplomatique, mars 1999.
- [18]
1Il fallait être bien suspicieuse dans les années 1970 pour mettre en doute l’événement commémoré le 8 mars. Les féministes américaines avaient repris à leur compte la tradition de la journée internationale des femmes, et les “groupes femmes” du Mouvement de Libération des Femmes cherchaient à la raviver en France, tout en dénonçant ce qu’elle était devenue dans les pays socialistes : une sorte de fête des mères. Toutes s’accordaient sur l’origine de la célébration et honoraient la mémoire des couturières new-yorkaises du siècle dernier. D’Antoinette (journal des femmes de la Confédération Générale du Travail) aux Pétroleuses (journal des femmes de la Ligue Communiste Révolutionnaire) ou au Quotidien des femmes (journal de la “tendance” Psychanalyse et politique), toute la presse militante répétait la même histoire “Ce sont les Américaines qui ont commencé. C’était le 8 mars 1857... elles réclamaient déjà la réduction du temps de travail, l’augmentation des salaires et leur égalité pour un travail égal, des crèches et le respect de leur dignité”. “Une des premières grèves de femmes, opposant les ouvrières du textile à la police de New York qui charge, tire et tue” [1]. On y trouvait bien quelques variantes dans le décor posé - soleil printanier ou bise d’hiver -, dans les actrices présentées - ouvrières du textile, chemisières ou couturières - ; l’accent était mis ici sur la lutte et la répression, là sur le serment de se retrouver chaque année, ailleurs sur un terrible accident du travail. Mais tous étaient d’accord sur la date et sur le lieu - 8 mars 1857, New York -, et sur le sens politique de l’événement fondateur.
2La publication, en mars 1977 du numéro zéro d’Histoires d’Elles fut l’occasion d’une investigation sur l’origine de la Journée Internationale des femmes pour quelques féministes en quête de leur histoire [2]. Aucune trace de la journée du 8 mars 1857 et de la lutte des couturières new-yorkaises, ni dans les histoires du féminisme américain (qui parlent surtout de la lutte pour les droits civiques, mais évoquent aussi des grèves de femmes), ni dans les histoires du mouvement ouvrier (qui oublient le plus souvent les femmes), ni dans les journaux de l’époque (le 8 mars 1857 étant d’ailleurs un dimanche). La décision de célébrer chaque année une “journée des femmes” avait bien été prise en 1910, à la IIè Conférence Internationale des femmes socialistes de Copenhague, selon la proposition de Clara Zetkin. Il s’agissait de mobiliser les femmes “en accord avec les organisations politiques et syndicales du prolétariat dotées de la conscience de classe” et d’éclairer la revendication du droit de vote “conformément à la conception socialiste d’ensemble de la question des femmes” [3].
3A l’évidence l’événement nous échappait. Loin de le mettre alors en doute, nous nous interrogions sur le choix de celui-ci plutôt que d’un autre. Commémorer le combat d’ouvrières pour leurs conditions de travail, n’était-ce pas privilégier une version féminine de la lutte des classes et exclure d’autres aspects de la lutte des femmes, d’autres revendications. Mobilisations féministes pour les droits civils et civiques, pour le droit à l’instruction et l’ouverture aux femmes des professions qualifiées ; mais aussi défense du droit au travail des ouvrières, y compris contre les ouvriers ligués contre elles ? Clara Zetkin avait, on le sait, une stratégie double : elle voulait obtenir la prise en compte des revendications des femmes par les dirigeants socialistes qui ne s’en préoccupaient guère, pour les intégrer dans la cause ouvrière et contrecarrer l’influence des groupes féministes sur les femmes du peuple.
4A la suite de cette initiative, de nombreuses réunions socialistes ont été organisées : le 26 février 1911 aux Etats Unis, le 19 mars en Allemagne et en Autriche, le 1er mai en Suède. En Russie tsariste la “Journée Internationale des ouvrières” a été célébrée le 2 mars 1913, puis le 8 mars 1914. En 1917, selon Alexandra Kollontaï, “La Journée des ouvrières est devenue une date mémorable dans l’histoire. Ce jour-là les femmes russes ont brandi la torche de la révolution prolétarienne et ont mis le feu aux poudres. La révolution de février venait de commencer” [4]. Trotski cite aussi le 26 février (8 mars selon le calendrier grégorien) comme “premier jour de la révolution”. Et c’est cette date qui est depuis 1921 commémorée dans la Russie des Soviets et par le mouvement communiste international.
5L’intention d’Yvette Roudy, Ministre des droits de la femme, en 1982, de faire du 8 mars une date fériée nous a incitées à pousser plus avant cette enquête, dont les résultats étaient restés confidentiels. Après lecture des comptes-rendus de la Conférence de Copenhague et du dépouillement du journal de Clara Zetkin, Die Gleichheit, nous avons constaté que celle-ci n’avait aucunement évoqué les couturières new-yorkaises, pas plus qu’elle n’avait choisi la date du 8 mars. Elle proposait en fait de la célébrer “au moment des fêtes annuelles de mai” [5].
6L’objectif poursuivi par la Conférence de Copenhague se trouvait par ailleurs éclairé par une autre décision prise par celle-ci : créer partout des groupes de femmes socialistes refusant toute alliance avec les féministes “de la bourgeoisie”. La “Journée internationale des femmes” s’inscrivait bien dans une stratégie de division des femmes selon une ligne de classe et de compétition à l’égard du mouvement féministe. Le point de vue de Clara Zetkin pour qui “Marx a forgé le glaive qui a tranché les attaches entre mouvement féminin prolétarien et bourgeois” [6] l’emportait, contre celui qu’avait défendu en vain Madeleine Pelletier lors de la première Conférence Internationale des femmes socialistes, à Stuttgart en 1907 : la nécessaire alliance entre féminisme et socialisme. La tradition de la Journée internationale des femmes était bien, au départ un choix sectaire, pour lequel féminisme et socialisme étaient exclusifs l’un de l’autre.
7C’est donc sur cette ligne anti-féministe que fut fondé en France, en 1913, le Groupe des femmes socialistes, qui sous la houlette de Louise Saumonneau se consacra à la dénonciation du “féminisme bourgeois”, et à la lutte contre celles des femmes socialistes qui ne partageaient pas son hostilité au féminisme [7].
1857-1955, naissance d’une légende
8Où, quand et pourquoi les couturières new-yorkaises sont-elles apparues ?
9Jusqu’aux années 1950, la presse communiste ne cite aucun événement à commémorer, mais la Journée Internationale des femmes, parfois nommée “Journée communiste internationale des femmes” est référée à l’URSS : “Le 8 mars, la femme d’URSS commémore son émancipation”, écrit Maxime Gorki en 1933 et Nadiejda Kroupskaïa évoque en 1935 “la 25e journée Internationale des Femmes et nos conquêtes” [8]. Chaque année, dans les Cahiers de l’Union des Femmes Françaises, dans l’hebdomadaire France nouvelle, Claudine Chomat, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Julie Dewintre, membres du Comité central du Parti Communiste appellent les femmes à se mobiliser contre l’exploitation mais aussi pour le désarmement et la défense de l’Union soviétique. Elles dénoncent avec vigueur l’impérialisme américain.
10En 1950, Claudine Chomat fait remonter cette “grande tradition” à 1908 et au Congrès du parti socialiste américain [9]. Et en 1955, dans l’Humanité, dans l’Humanité Dimanche, dans France Nouvelle, le mythe prend forme : “Il était une fois à New-York, en 1857, des ouvrières de l’habillement. Elles travaillaient dix heures par jour dans des conditions effroyables, pour des salaires de misère. De leur colère, de leur misère naquit une manifestation…” [10].
11C’est Madeleine Colin qui donne la version la plus détaillée de cette histoire dans le n°1 des Cahiers du communisme, de 1960. “Le 8 mars 1857, un long cortège de femmes “misérablement vêtues” envahit les rues de New York pour réclamer elles aussi “la journée de dix heures, des pièces claires et saines pour le travail, des salaires égaux à ceux des tailleurs”. La police chargea la manifestation quand elle pénétra dans les beaux quartiers de la ville. Mais les ouvrières américaines avaient marqué devant le monde leur existence et leur volonté de conquérir leur place dans la vie”. Le récit intègre la manifestation des chemisières new yorkaises dans la longue histoire de la participation des femmes aux luttes ouvrières, notamment en France (avec la grève des ovalistes, la révolte des canuts, la révolution de juillet 1830, les barricades de février 1848, les grandes figures de Flora Tristan et de Pauline Rolland), mais aussi en Russie avec les femmes de Pétrograd, descendues dans la rue “à l’appel du Comité bolchévik de Pétrograd”. Les chemisières de New York sont entrées dans la légende, qui ne fait que croître et embellir. Elles reviennent chaque année, quand “revient le printemps et que revient le 8 mars, jour international de lutte pour nos sœurs du monde entier”. Elles sont, “aux communistes et aux socialistes ce que l’Immaculée Conception est aux catholiques” note Renée Côté [11].
Le choix d’une histoire
12Comment comprendre ce changement au milieu des années 1950 dans la presse communiste et syndicaliste ? Pourquoi a-t-il semblé nécessaire, en pleine guerre froide, de donner à la célébration de la Journée des femmes une origine plus ancienne, plus spontanée que la décision de femmes de partis ? Pourquoi a-t-il fallu détacher le 8 mars de son histoire soviétique ?
13Un livre de souvenirs de Madeleine Colin, Traces d’une vie [12], suggère une hypothèse inattendue. L’auteure évoque la commémoration d’une grande grève menée par les ouvrières de l’habillement de New-York en 1857, dans le cadre d’une bataille menée “pour que la CGT s’affranchisse de la prédominance de l’UFF et du parti, pour qu’elle ait ses propres mots d’ordre et ses propres formes d’action”. La CGT, dit-elle, “n’était conviée à la célébration de cette journée que pour soutenir des mots d’ordre déjà établis et pour faire participer des travailleuses aux manifestations décidées”. Madeleine Colin, alors responsable de la CGT, marque ses distances avec l’UFF, “organisation féminine, née de la Résistance”, dirigée par des communistes et qui “groupait un grand nombre de femmes, essentiellement des ménagères et quelques intellectuelles” Elle dit avoir eu dans ce combat “le soutien total de Benoît Frachon…contre Jeannette Vermeersch, dirigeante de l’UFF et membre du bureau politique du parti”. Et elle insiste sur son désaccord avec celle-ci à propos de la contraception et de l’avortement.
14On se souvient de la campagne communiste dans les années 1950 contre Jacques Derogy et “le néo-malthusianisme” et du violent discours de Jeannette Vermeersch : “Mais depuis quand les femmes prolétaires luttent pour les mêmes droits que les dames de la bourgeoisie ? Jamais… Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? Jamais !” [13].
15L’argumentation de Madeleine Colin ouvre de nouvelles interrogations. Notre esprit critique avait soupçonné une visée antiféministe dans le choix d’une lutte d’ouvrières contre la dureté de leurs conditions de travail. Cela correspondait incontestablement à la conception de la Conférence de Copenhague : la lutte des femmes n’est légitime que si elle s’intègre dans la lutte des classes et ne soulève d’autres contradictions que celles qui opposent les ouvrières aux patrons. Mais “l’invention” des couturières n’a pas été le fait de cette Conférence et elle pourrait avoir un tout autre but : opposer une lutte de femmes travailleuses à une célébration communiste des femmes, devenue beaucoup plus traditionaliste et réactionnaire. Celle qu’on trouve effectivement dans les publications de l’UFF de l’époque, appelant “les travailleuses, les ménagères, les mères” à protéger l’enfance, à se mobiliser “contre la vie chère, pour la famille et pour la paix ; celle aussi qui dans les pays de l’Est honore les femmes comme mères … [14]
De l’utilité d’un mythe
16A ce stade de la recherche, de nombreuses interrogations demeurent. Le secret n’est pas levé des événements qui ont pu inspirer la légende, ni des contradictions dans lesquelles elle a émergé. Mais l’essentiel n’est-il pas de constater la rapidité et la force avec laquelle elle s’est diffusée, comme si elle répondait à une attente informulée. Elle a fait retour en Amérique en 1969, revivifiée par des féministes qui en avaient entendu parler en France, ou à travers le cinéma soviétique [15] sans doute ravies de mettre l’Amérique à l’avant-garde des luttes internationales de femmes, et de reprendre à leur compte une tradition célébrée au Viet-Nam.
17Ce qui compte dans un mythe d’origine, c’est sa signification. La vérité historique est de peu de poids là où le besoin se fait sentir. C’est donc ainsi qu’Yvette Roudy a choisi en toute conscience de faire revivre la célébration. Ne poursuivait-elle pas le même objectif que Clara Zetkin en 1910 : inscrire la lutte des femmes dans le combat socialiste, et récupérer la tradition qui avait été surtout celle du mouvement communiste ? “La date du 8 mars a-t-elle été formellement adoptée au Congrès de Copenhague ? Cette date correspond-elle à l’anniversaire d’une grève des ouvrières de l’habillement de New-York quelques années auparavant ? Les historiens en débattent. Il est apparu au nouveau gouvernement de la France qu’il convenait de marquer le changement en renouant avec la tradition de lutte que la création du Ministère des droits de la femme a rendu plus actuelle que jamais”.
18Du point de vue des femmes, il faut d’ailleurs reconnaître l’utilité de cette célébration officielle. Occasion obligée pour le gouvernement d’annoncer quelques mesures, occasion pour la presse de donner la parole à des femmes, de faire le point sur la situation des femmes et de mettre au jour des réalités habituellement occultées. Même si cela permet aussi l’indifférence et la bonne conscience de tous les autres jours. C’est aussi à travers le monde un signe de ralliement pour les femmes en lutte pour leur libération.
19N’est-ce alors qu’une obsession d’historienne que de vouloir soulever le voile là où le mythe joue son rôle ?
20La mise en question de l’événement fondateur semble avoir déstabilisé la presse qui ne sait plus à quoi accrocher cette célébration annuelle. L’Humanité tout particulièrement peine à faire son deuil de la légende. Dans sa volonté de “mutation” affichée dans les années 1990, le Parti communiste tend la main au féminisme. Manifestation pour les Droits des femmes du 25 novembre 1995, participation au Collectif des droits des femmes, organisation des Assises nationales des droits des femmes en avril 1997. “Humanisme, communisme et féminisme doivent être indissociables” titre l’Humanité du 8 mars 1996. Le dialogue est établi entre chercheuses féministes et responsables communistes qui posent ensemble des “jalons pour une histoire” rétablissant les faits et confrontant leurs analyses des anciens conflits [16]. Pourtant la journaliste qui cite dans l’Humanité du 8 mars 1999 notre recherche, et la diffusion que lui a donnée Florence Montreynaud ne semble guère convaincue. “L’origine américaine du 8 mars serait “une fable apparue pour la première fois dans le quotidien l’Humanité” en 1955. Pourquoi pas ? L’hypothèse peut piquer la curiosité” ; mais elle lui préfère la version de Claudine Chomat dans l’Humanité de 1955 [17].
21Une nouvelle légitimation par les Nations Unies apparaît dans les années 1990, comme pour prendre une place laissée vacante : “A chaque 8 mars, date choisie par l’ONU pour célébrer la Journée internationale des femmes, les responsables politiques, les syndicats, les associations de défense des droits de l’homme, les médias redécouvrent la question des femmes”, note ainsi Le Monde du 7 mars 1998.
22D’où vient donc cette nouvelle origine, dont nous n’avons jamais entendu parler au cours de cette recherche, commencée en 1977, non plus qu’Yvette Roudy en 1982 ? Rien sur le site Internet de l’ONU, consulté en 1998 ne confirme cette indication [18]”.
23En revanche, d’autres sites Internet citent avec beaucoup d’assurance une décision de l’ONU, parfois datée avec précision (Assemblée Générale du 16 décembre 1977, ou 1975), en même temps que les chemisières new-yorkaises. Il semble que l’ONU ait été substituée à Clara Zetkin - laquelle n’est plus politiquement correcte - pour conférer aux ouvrières new yorkaises une nouvelle légitimité consensuelle. Tout laisse à penser que leur légende connaîtra via Internet une diffusion accélérée et que la vérité historique n’y pourra rien. Car enfin que peut-on reprocher à ces “courageuses Américaines”, symbole de la lutte des femmes ?
Notes
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[1]
Antoinette, n°1, 8 mars 1964 ; Les Pétroleuses, mars 1975 ; Le Quotidien des femmes, 1975.
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[2]
Josée Contreras, Anny Desrumaux, Christine Fauré, Liliane Kandel et Françoise Picq, “Journée internationale des femmes, Attention ! Une commémoration peut en cacher une autre ?”, Histoires d’Elles, n° 0, 8 mars 1977.
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[3]
Résolution de la Conférence Internationale des femmes socialistes, Copenhague 1910
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[4]
Alexandra KollontaÏ, “International Women’s Day”. Selon Trotski, les travailleuses du textile auraient spontanément transformé en grève de masse et en manifestation la “Journée Internationale des femmes” pour laquelle les cercles sociaux-démocrates ne projetaient que “les moyens d’usage courant : réunions, discours, tracts” (Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, Ed. du Seuil, Paris, 1950, t. I, p.143-144.
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[5]
Liliane Kandel et Françoise Picq, “Le mythe des origines (à prpos de la journée internationale des femmes”, La Revue d’en face, n° 12, automne 1982.
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[6]
Clara Zetkin, Batailles pour les femmes, ouvrage publié sous la responsabilité de Gilbert Badia, éditions sociales, Paris, 1980, p.84.
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[7]
Françoise Picq, “Le féminisme bourgeois, une théorie élaborée par les femmes socialistes avant la guerre de 14”, in Stratégies des femmes, Paris, Tierce 1984. ; Laurence Klejman et Florence Rochefort, L’Egalité en marche, le féminisme sous la Troisième République, PFNSP-des femmes, 1989 ; Charles Sowerwine, Les femmes et le socialisme, PFNSP,1978.
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[8]
Maxime Gorki, Regards n° 15, mars 1933 ; N.Kroupskaïa “La 25e Journée internationale des femmes et nos conquêtes”, Correspondance internationale, n°22-23.
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[9]
Claudine Chomat, “A l’occasion de la Journée Internationale des femmes, Le 5 mars, les Françaises se dressent pour proclamer leur volonté de paix, de liberté et de bonheur”, France nouvelle, n° 220, 4 mars 1950.
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[10]
L’Humanité dimanche, 13 mars, 1955 ; Claudine Chomat, l’Humanité 5 mars 1955 ; Yvonne Dumont, “Journée Internationale des femmes : pour l’amitié des femmes françaises et allemandes, France Nouvelle, n° 480, 26 février 1955.
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[11]
Renée Côté, La Journée internationale des femmes ou les vrais faits et les vraies dates des mystérieuses origines du 8 mars jusqu’ici embrouillées, truquées, oubliées : la clef des énigmes, la vérité historique, Les éditions du remue-ménage, Montréal, 1984.
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[12]
Madeleine Colin, Traces d’une vie, publié à compte d’auteur, 1991. L’événement pourrait avoir été inspiré par un opuscule publié en 1947 par une socialiste américaine Elizabeth Gurley-Flynn. Celle-ci construit en effet autour de la grève des chemisières newyorkaises de 1909-1910 un récit qui ressemble fort à la légende du 8 mars 1857(cf Renée Côté, op. cit.)
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[13]
Cité par Renée Rousseau, Les femmes rouges, Chronique des années Vermeersch, Albin Michel, 1983, p.231. La campagne orchestrée par le PCF contre le “camarade Derogy” et son combat contre la loi de 1920 a été étonnante ; il semble qu’elle ait eu pour but de détourner l’attention du rapport Krouchtchev.
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[14]
Cette hypothèse pose pourtant un problème de chronologie puisque les couturières sont apparues en 1955, et c’est seulement en 1956 qu’a été lancée dans le PCF la campagne anti-Derogy.
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[15]
Gail Lerner, “Why do we commemorate March 8th”, Bulletin Femmes “Ruptures”, n° 68, 1e quinzaine de mars 92. Renée Côté, op. cit. p.14, 18.
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[16]
“Cécile Jacquet, “Le mythe du 8 mars” (Conférence de Françoise Picq pour le séminaire “Communisme et féminisme” de l’association), Femmes et communistes, jalons pour une histoire, n° 3, septembre 99 ; documentation Bibliothèque marxiste.
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[17]
Nadia Pierre, “Le 8 mars : des révoltes et des rêves…”, L’Humanité, Lundi 8 mars 1999 ; Florence Montreynaud, Le XX° siècle des femmes, 1995 et “Le 8 mars, mais pour quoi faire ?”, Le Monde diplomatique, mars 1999.
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