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Article de revue

Intérim : troubles dans la prévention. Responsabilités limitées dans la prise en charge de la santé-sécurité des intérimaires

Pages 147 à 173

Notes

  • [1]
    Pour une revue de ces travaux, voir Henry, 2017.
  • [2]
    Lecocq C., Dupuis B., Forest H. (2018), Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée, Rapport fait à la demande du Premier ministre, août.
  • [3]
    En portant l’attention sur les situations où le problème de la santé au travail des intérimaires est formulé, nous ne mésestimons pas les effets d’occultation qui persistent. Ceux-ci sont manifestes du côté des maladies professionnelles : 1236 maladies professionnelles ont été reconnues en 2018 pour les 791300 intérimaires (équivalent temps plein), à comparer aux 49500 maladies professionnelles reconnues pour le total de 19,2 millions de salariés (source Cnam-TS), soit des taux respectifs de 0,16 % et 0,26 %. Les mécanismes d’invisibilisation des effets du travail sur la santé des salarié·es précaires (Thébaud-Mony, 2006) jouent ici à plein : nombre élevé d’employeurs différents, durées courtes des contrats, trajectoires professionnelles rarement linéaires et durables dans l’intérim, population précaire moins au fait des procédures de reconnaissance et, plus largement, méconnaissance des expositions professionnelles dans les entreprises utilisatrices (Marchand, 2018). Les acteurs et actrices de la branche en sont conscient·es, mais le problème n’est pas abordé frontalement : « La partie invisible de l’iceberg, c’est les maladies professionnelles. Là, il n’y a rien qui est fait. Parce qu’au niveau de la Cnam, il y a très peu de données là-dessus » (responsable de l’Union syndicale de l’intérim CGT).
  • [4]
    Les accidents du travail enregistrés sont ceux ayant donné lieu à au moins un jour d’arrêt et pour lesquels une déclaration d’accident du travail et un certificat médical initial ont été établis.
  • [5]
    Dans le cas de l’intérim, l’indice de fréquence reste relativement abstrait dans la mesure où, en raisonnant à partir d’effectifs équivalents temps plein (791300 salariés), il agrège des durées d’intérim très diverses. Suivant le rapport de branche de l’Observatoire de l’intérim et du recrutement (2019), Rapport de branche du travail temporaire. Rapport 2019 sur les données 2018 ; https://observatoire-interim-recrutement.fr/files/2020-05/rapport-de-branche-2019-vf.pdf, consulté le 2 avril 2024), pour une activité moyenne de 584 heures pour les hommes en intérim en 2018 et 382 heures pour les femmes, 25 % font plus de 800 heures (688700 salarié·es) et 36 % font moins de 150 heures (1001363 salarié·es). La faible occupation peut renvoyer à des réalités différentes : un travail saisonnier intensif comme un temps partiel maintenant les intérimaires (notamment les femmes) à la marge du salariat stable à temps plein, voire un cumul de statuts d’emploi variés.
  • [6]
    En 2017, sur plus de 2,5 millions de salariés, environ un million a moins de 25 ans, pour une moyenne d’âge de 32 ans.
  • [7]
    Observatoire de l’intérim et du recrutement, Crovella É., Minet B., Picon É. (2017), Évaluation des dispositifs mis en œuvre par les acteurs de la branche pour accompagner les intérimaires suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle ayant engendré un arrêt long, Rapport final, octobre ; https://observatoire-interim-recrutement.fr/files/2018-09/1537872268_oir-valuation-at-mp-rapport.pdf, consulté le 2 avril 2024.
  • [8]
    Les ETT devaient ainsi justifier leurs pratiques illicites de prêt de main-d’œuvre à but lucratif jusqu’à la loi du 5 mars 2014 qui a assoupli dans le Code du travail les conditions du prêt de main-d’œuvre entre entreprises, notamment à titre d’exception dans le cadre de missions temporaires.
  • [9]
    Piloté par la Cram Bourgogne-Franche-Comté, ce Plan a impliqué les services prévention d’une grande partie des caisses régionales.
  • [10]
    L’objectif était d’intervenir dans la moitié des ETT et 20 % des EU.
  • [11]
    D’après l’accord de 2017, « le taux de fréquence (des accidents du travail) est passé de 53,67 en 2002 à 34,5 en 2015 ».
  • [12]
    Accord du 3 mars 2017 relatif à la santé et à la sécurité au travail, https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/id/KALITEXT000034898346/, consulté le 2 avril 2024.
  • [13]
    Cour de cassation - Chambre sociale, Arrêt Manpower no 245 du 26 février 2020 (18-22.556). La même chambre sociale affirmait déjà dans un arrêt du 30 novembre 2010 : « L’ETT et l’EU sont responsables solidairement pour la prévention et la sécurité des travailleurs temporaires. » Dans l’intérim comme dans la sous-traitance, des acteurs participent conjointement à la relation commerciale dissymétrique. Chacun est responsable du respect de ses propres obligations mais impliqué en cas de non-respect par l’autre acteur de ses obligations (Barnier, 2021).
  • [14]
    Loi no 90-613 du 12 juillet 1990 favorisant la stabilité de l’emploi par l’adaptation du régime des contrats précaires.
  • [15]
    En cas de faute inexcusable de l’employeur, l’ETT est tenue de se retourner vers l’EU pour la prise en charge de sa part de responsabilité le cas échéant.
  • [16]
    Le formulaire Cerfa Cnam-TS 60-3741 invite l’entreprise utilisatrice déclarant l’accident du travail à noter le numéro Siret (Système d’identification du répertoire des établissements) de l’établissement où a eu lieu l’accident.
  • [17]
    Source : entretien anonymisé, Cnam-TS.
  • [18]
    Assemblée nationale, Compte rendu de la Commission d’enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie (risques chimiques, psychosociaux ou physiques) et les moyens à déployer pour leur élimination, 5 avril 2018, séance de 13 heures, Compte rendu no 8, Audition des entreprises d’intérim, F. Ducom, Randstad, p. 10.
  • [19]
    Travail et sécurité, no 698, septembre 2009, p. 16.
  • [20]
    Depuis une loi d’août 2021, ces services s’appellent « services de prévention et de santé au travail ». Nous choisissons de conserver la dénomination en cours au moment de l’enquête. Certaines entreprises emploient directement des médecins (on parle alors de « service autonome »), mais la grande majorité des médecins du travail exerce en SIST. Une agence d’emploi intérimaire, comme toute entreprise, doit adhérer à un SIST, qui aura alors la charge de suivre ses salarié·es permanent·es et d’organiser des visites pour ses intérimaires.
  • [21]
    Avant 2016, la loi prévoyait pour chaque contrat de travail une visite médicale d’embauche, puis un suivi périodique de plus en plus espacé et de plus en plus souvent confié à un personnel infirmier. Depuis la loi El Khomri d’août 2016, la visite d’embauche peut aussi être déléguée : elle se mue en une « visite d’information et de prévention » (VIP), ce qui signifie principalement qu’elle peut être effectuée par un personnel infirmier.
  • [22]
    La validité d’une VIP est de deux ans à condition que l’emploi soit identique, que les risques soient jugés équivalents, que le dernier certificat ou avis d’aptitude soit en possession de l’équipe de santé au travail et que le salarié n’ait pas eu de restrictions d’aptitude depuis.
  • [23]
    Ministère du Travail (sans date), Santé et sécurité des salariés intérimaires et des intérimaires en détachement. « Garantir la santé et la sécurité des intérimaires ». Campagne européenne du Comité des hauts responsables de l’inspection du travail (CHRIT) 2017-2019, Rapport national des contrôles des entreprises de travail temporaire et des entreprises utilisatrices, Commission européenne, Ministère du Travail, p. 48.
  • [24]
    Dans le SIST en question, le médecin inspecteur, en accord avec la direction, a permis la mise en place d’une organisation plus favorable à la surveillance des intérimaires, ce qui explique que ce médecin s’exprime au passé. Comme cela se fait aussi dans d’autres SIST, l’obtention de visites pour des intérimaires est désormais conditionnée à la transmission de fiches d’informations sur l’entreprise et le poste.
  • [25]
    La fiche d’entreprise de l’EU n’est cependant consultable par le médecin que si l’entreprise utilisatrice est suivie par un médecin de son service.
  • [26]
    Dans certains services, des médecins expérimentés (souvent en retraite) sont affectés aux visites intérimaires : ils bénéficient alors d’une connaissance précieuse des entreprises du bassin d’emploi.
  • [27]
    Les documents que nous avons recueillis auprès de la principale animatrice de ce groupe s’arrêtent en 2014.
  • [28]
    Le FASTT est un organisme paritaire financé par les cotisations des ETT ayant pour objectif de faciliter « la vie et l’emploi » des salarié·es intérimaires et qui intervient notamment dans les domaines du logement, de la santé et de la mobilité.
  • [29]
    L’article R4625-9 du Code du travail impose à l’entreprise utilisatrice de vérifier et sinon de se substituer à l’ETT pour le suivi individuel renforcé.
  • [30]
    En agence, ces professionnel·les se concentrent dans six métiers : chargé·e de recrutement, commercial·e, consultant·e, responsable d’agence, chargé·e d’accueil, chargé·e de gestion.
  • [31]
    Nos tentatives pour nous entretenir avec des opérationnel·les des agences ont échoué. Seules les personnes chargées de la prévention se sont montrées ouvertes et accessibles pour discuter les politiques de prévention de leurs entreprises ainsi que de leurs limites. Elles acceptent d’ouvrir la porte à la critique sans doute en grande partie en raison des difficultés qu’elles rencontrent au quotidien pour imposer un agenda qui leur serait propre.

1 En sciences sociales, les liens entre travail et santé ont été souvent interrogés sous l’angle de leur méconnaissance et de leur invisibilité. Des « masques » (Gollac, Volkoff, 2006) de diverses natures (déni, préjugés, lobbying, etc.) tendent à opacifier ces liens et à empêcher leur perception et leur mise en discussion dans l’espace social et politique. Les logiques professionnelles et les ressources patronales limitent la portée de l’expertise (Thébaud-Mony, 1991 ; Marichalar, 2014 ; Counil, Henry, 2016) et les instances de négociation paritaires sous-estiment fortement les conséquences du travail sur la santé des personnes (Déplaude, 2003 ; Henry, 2007 ; Ponge, 2020). L’invisibilité et la méconnaissance entretiennent l’inaction publique et contribuent à rendre inefficaces les dispositifs existants (Cavalin et al., 2020 ; Daubas-Letourneux, 2021). Le recours à l’emploi précaire renforce encore ces logiques d’invisibilisation et d’externalisation des risques professionnels (Thébaud-Mony, 2000 ; Décosse, 2013).

2 Dans ces travaux, les problématiques de santé au travail sont le plus souvent appréhendées à travers les efforts faits pour dissimuler, contourner, euphémiser ou occulter (ou, à l’inverse, révéler, objectiver) les expositions professionnelles. Certains travaux analysent les logiques des mobilisations collectives de victimes, dont la production de connaissances et de contre-expertises est une dimension structurante (Pitti, 2010 ; Delmas, 2012 ; Jouzel, Prete, 2015 ; Marichalar, 2017 ; Collectif 350 tonnesetdespoussières et Munoz et al., dans ce numéro). D’autres interrogent plus spécifiquement les ressorts de la production de l’ignorance ou de la « undone science » [1]. Ils mettent au jour des pratiques de production volontaire d’ignorance scientifique par les industriels. À l’instar de l’étude sur les houillères en France face aux victimes de silicose (Rosental, Devinck, 2007), il s’agit souvent de comprendre quelles actions ont été effectuées pour éviter qu’une causalité devienne indiscutable. D’autres analyses font ressortir le caractère structurel de cette production de l’ignorance. Analysant les tableaux de maladie professionnelle et les valeurs limites d’exposition professionnelle, Emmanuel Henry (2017) explique l’inertie de ces dispositifs et la faible influence de l’expertise par la force des accords qui structurent les configurations d’acteur·rices dans les enceintes administratives et paritaires. Dans un cas comme dans l’autre, faute d’être formulés et rendus visibles, les problèmes de santé au travail échappent à toute action visant leur éradication, leur prévention ou leur réparation.

3 Mais qu’en est-il des problématiques de santé au travail connues et que les autorités publiques entendent corriger ? En se situant plus en aval des politiques de santé au travail, il est possible d’analyser la façon dont réagissent celles et ceux qui sont confronté·es au quotidien aux problèmes du suivi et de la prise en charge des expositions professionnelles des travailleur·ses intérimaires.

4 Cette population de travailleur·ses fait en effet l’objet d’une attention particulière au regard des problématiques de santé au travail. Une première problématisation de ces enjeux a été formulée dès les années 1970 à travers les luttes des intérimaires contre les mauvaises conditions de travail qu’ils connaissaient. Plus récemment, les discussions en vue d’une réforme du système français de santé au travail, initiées par le rapport Lecocq (2018) [2], abordent encore le problème en signalant une sinistralité particulièrement forte ainsi que des lacunes dans la prévention, et en appelant à un « investissement plus grand » des médecins du travail et des personnels de santé envers ces salarié·es. Mis à l’agenda depuis longtemps, le problème nourrit une vigilance institutionnelle à l’égard de cette population.

5 En portant l’analyse sur les usages de dispositifs de suivi et de prévention en santé au travail, on peut interroger comment ces dispositifs et les données qu’ils produisent sont mobilisés et mis en discussion dans les situations ordinaires dans lesquelles des acteur·rices de la prévention se confrontent au problème de la santé au travail des salarié·es intérimaires. Il existe en effet un paradoxe : alors que leur forte accidentalité est connue de longue date, on constate de nombreux obstacles à une démarche efficace de prévention. Il n’y a ici pas tant ignorance ou déni des problématiques de santé au travail [3] que des dispositifs de suivi qui peinent à déclencher et à équiper l’action de prévention.

6 En prenant le cas de l’interdiction de l’arsenite de soude, François Dedieu et Jean-Noël Jouzel (2015) ont montré comment les organisations de prévention des risques peuvent s’accommoder de savoirs « inconfortables » (Rayner, 2012) susceptibles de remettre en cause leurs routines et leurs arrangements institutionnels. Ils décrivent les mécanismes par lesquels ces organisations fournissent à leurs membres les ressources pour légitimer et maintenir l’ignorance. Le cas qu’ils étudient témoigne selon eux de « la capacité du dispositif officiel de gestion des risques professionnels en agriculture à produire des savoirs révélant les limites de son propre mode de fonctionnement, mais, en même temps, à continuer de les ignorer » (Dedieu, Jouzel, 2015, p. 108). La perspective développée dans le présent article s’inscrit dans le prolongement de ces réflexions, en s’intéressant à la façon dont les acteur·rices chargé·es des enjeux de santé au travail réagissent aux alertes persistantes et aux lacunes auxquelles iels se trouvent confronté·es. Le propos s’inscrit toutefois plus en aval : l’enjeu se situe en effet moins dans les modes de production des savoirs (et l’imputation causale qu’ils équipent ou non) que dans l’usage de dispositifs de suivi qui sont eux-mêmes très fortement liés aux mécanismes d’attribution des responsabilités dans la prise en charge de la santé au travail des intérimaires. Autrement dit, l’objectif de cet article est de montrer comment le dispositif de gestion des risques professionnels associés au travail intérimaire révèle régulièrement à ses acteur·rices ses propres limites tout en les maintenant dans une situation qui les rend incapables d’y répondre efficacement. Ces acteur·rices sont moins exposé·es à des « savoirs inconfortables » qu’à des situations « troublées » au sens de John Dewey (1993 [1938]), c’est-à-dire marquées par l’épreuve que représente une difficulté à agir. Les acteur·rices de la prévention font l’expérience de responsabilités limitées : chargé·es du problème, iels éprouvent en permanence leurs faibles capacités à y apporter des réponses efficaces.

7 Ces situations « troublées » sont à rapporter à la particularité de la relation triangulaire qui organise le travail intérimaire : ces salarié·es relèvent d’une relation contractuelle avec une agence de travail temporaire, leur employeur juridique, tout en étant soumis·es pour la réalisation de leur travail aux consignes d’une entreprise dite « utilisatrice », deux relations « parallèles plutôt que conjointes » (Michon, 1998, p. 7). Le contrat commercial qui organise cette mise à disposition entre l’entreprise utilisatrice (EU) et l’entreprise de travail temporaire (ETT) doit comporter notamment la liste des tâches auxquelles sera affecté·e l’intérimaire, les risques éventuels du poste et la mention des postes à risques s’il y a lieu. Dans une telle configuration, les dispositifs de prévention et de prise en charge des expositions professionnelles, dont la responsabilité a été attribuée à l’employeur par la loi de 1898 sur les accidents du travail, se trouvent de facto mis en défaut par l’organisation même du secteur de l’intérim et les modalités de recours aux contrats précaires par les entreprises utilisatrices. Le trouble naît de la transposition fictionnelle (sur le mode du « comme si ») de dispositifs conçus dans le cadre d’une relation salariale standard à une relation triangulaire qui prend plutôt la forme de la juxtaposition de trois relations relativement disjointes.

8 Pour étayer ces arguments, l’analyse porte successivement sur trois dispositifs institués de suivi des risques professionnels : l’enregistrement administratif des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT/MP) par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS) ; le suivi de l’état de santé des intérimaires par les services de santé au travail ; l’évaluation et la prévention des risques organisées par les entreprises de travail temporaire (ETT). Après avoir montré que la responsabilisation des ETT se fonde sur une factualisation singulière du problème de la santé-sécurité des intérimaires, nous analyserons comment les acteurs et actrices désigné·es pour prendre en charge le problème font l’expérience d’un empêchement d’agir (encadré) : les services de santé au travail des ETT aux prises avec les lacunes du suivi de l’état de santé au travail des intérimaires, puis les préventeur·rices des grandes ETT face aux difficultés à exercer leur mandat professionnel.

Encadré Matériau empirique

L’analyse s’appuie sur un matériau empirique collecté à l’occasion d’une enquête collective financée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail, qui interroge les liens entre précarité d’emploi et conditions de travail (Mias, 2022). Nous avons réalisé une dizaine d’entretiens auprès des acteur·rices de la branche intérim, de la Cnam-TS et des Carsat (caisses d’assurance retraite et de la santé au travail) qui sont intervenu·es ces dernières années sur le problème de la santé au travail des salarié·es intérimaires. Neuf services inter-entreprises et deux services autonomes de santé au travail ont également été enquêtés dans six régions françaises. Y ont été menés des entretiens individuels et collectifs1, des observations de réunions de travail, ainsi qu’une collecte de documents de travail, de comptes rendus de réunions et de correspondances. Dans deux Direccte2, nous avons interviewé trois inspecteurs du travail directement confrontés à la problématique de la santé au travail des intérimaires dans leur activité de contrôle, ainsi que les deux médecins inspectrices régionales du travail (MIRT). Enfin, huit entretiens ont été réalisés avec des acteurs et actrices de la prévention du travail intérimaire, préventeur·rices ou membres d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ces données ont été complétées par le dépouillement des comptes rendus du CHSCT régional d’une major du travail temporaire pendant la période 2016-2019.
1. 29 personnes ont été vues en entretien : 18 médecins du travail, 4 assistantes, 3 techniciens HSE (hygiène, santé et environnement) et « conseillère santé travail », 1 ergonome, 1 infirmière, 2 personnels de direction.
2. Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, aujourd’hui appelées directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets). Nous conservons toutefois dans cet article la dénomination en vigueur lors de l’enquête.

L’irréductible sur-accidentalité des intérimaires : de la mesure à la responsabilité

9 Les données administratives de la Cnam-TS sont l’un des plus anciens dispositifs de connaissance et de surveillance de la santé au travail. Dans une logique assurantielle, les statistiques de sinistralité – la fréquence et la gravité des accidents du travail, ainsi que le nombre de nouvelles maladies professionnelles reconnues et prises en charge chaque année – servent à la fixation des taux de cotisation individuels et collectifs des entreprises, mais sont aussi parfois utilisées pour la définition des priorités en matière de politique du travail.

10 Pour ce qui concerne les intérimaires, les données sont connues et commentées de longue date : l’intérim fait partie des branches les plus sinistrées, objet d’une préoccupation largement partagée et ancienne. La fréquence des accidents du travail enregistrés dans l’intérim [4] est restée systématiquement supérieure d’au moins un tiers à la moyenne observée dans l’ensemble des branches [5]. Elle a même eu tendance à s’accroître dans les années 2010, au point de représenter quasiment le double de la fréquence globalement constatée en 2018 et 2019 (tableau ci-après).

11 Parmi les explications avancées (voir par exemple : François et al., 2000), il est souvent retenu la jeunesse de ces salarié·es [6] ou leur absence d’expérience : les « savoir-faire de prudence » (Cru, 2014) ne seraient pas encore acquis. Toutefois, les accidents les plus graves (entraînant un arrêt long, plus de 30 jours consécutifs ou 85 jours sur 12 mois) ne concernent pas les plus jeunes, mais les 35-54 ans [7]. Par-delà leurs caractéristiques sociodémographiques, la relation d’emploi triangulaire a un effet propre : leur statut d’emploi les met en situation répétée de nouvelle embauche, dans des lieux souvent inconnus, avec des collègues nouveaux et des consignes qui changent. Faisant face à des conditions de travail relativement plus difficiles que les salarié·es permanent·es, iels ont à s’adapter très souvent dans l’urgence à des situations de travail différentes et évolutives (Belkacem, Montcharmont, 2012).

12 Sous l’angle de la sociologie de l’action publique, le problème de la sur-accidentalité des intérimaires est donc connu et commenté. Il fait l’objet d’une interprétation causale peu contestée. L’enjeu est alors de désigner qui a la responsabilité d’agir sur ce problème, autrement dit d’articuler « responsabilité causale » et « responsabilité politique » :

13

« La détermination de la responsabilité va de pair avec l’assignation à différentes institutions et à leurs personnels de l’obligation de s’attaquer au problème, et à des perspectives adéquates pour le faire. […] La relation de la responsabilité causale à la responsabilité politique est une question centrale pour comprendre comment les problèmes publics prennent forme et connaissent une transformation. »
(Gusfield, 2009 [1981], p. 6)

1

Tableau – Indice de fréquence des accidents du travail dans l’intérim (2013-2019)

2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019
Intérim (code NAF 7820Z)* 45,6 46,5 44,8 48,3 53,6 68,3** 63,4
Toutes branches confondues 33,8 34,0 33,9 33,8 33,4 34,5 33,5
Tableau – Indice de fréquence des accidents du travail dans l’intérim (2013-2019)

Tableau – Indice de fréquence des accidents du travail dans l’intérim (2013-2019)

1. Sur les recommandations d’un responsable des statistiques de la Cnam-TS, nous adoptons ici l’indice de fréquence comme un indicateur plus pertinent que le taux de fréquence, plus souvent retenu pour observer l’accidentalité. En effet, celui-ci rapporte le nombre d’accidents à un volume d’heures travaillées. Or, dans le cas de l’intérim, les données traitées par la Cnam-TS incluent les congés, ce qui conduit à une sous-estimation de la fréquence.
* Ce code d’activité intègre les 29600 salarié·es permanent·es des agences d’emploi, en plus des intérimaires.
** Avant 2018, du fait de règles de gestion propres à la branche AT/MP et de leurs modalités de mise en œuvre, les effectifs d’intérimaires étaient surévalués. C’est seulement à partir de l’année 2018 que les décomptes d’effectifs sont estimés corrects (en équivalents temps plein), ce qui a contribué à la hausse de l’indice de fréquence.
Lecture : en 2013, la Cnam-TS a enregistré 45,6 accidents en premier règlement pour 1000 salarié·es dans la branche du travail temporaire et 33,8 accidents pour 1000 salarié·es toutes branches confondues.
N. B. : sont ici comptabilisés des versements d’indemnités enregistrés dans les données administratives de la Cnam-TS. Un même accident du travail peut conduire à plusieurs versements, si par exemple l’arrêt de travail est prolongé. Pour éviter donc de compter deux fois le même accident, on ne comptabilise que le premier règlement.
Champ : ensemble de la population salariée française.
Source : Branche AT/MP, Cnam-TS.

14 De fait, ce sont les entreprises de travail temporaire (ETT) qui se trouvent au premier chef mises en demeure d’améliorer la situation. L’imputation d’une responsabilité politique à ces entreprises découle d’une certaine conception de la responsabilité causale, qui ne considère pas les conditions de travail ménagées par l’entreprise utilisatrice comme la cause principale des accidents du travail des intérimaires. Comme nous le montrons dans la suite, l’acceptation de cette réalité factuelle n’est pas acquise, d’autant que d’autres opérations de factualisation ont été engagées mais peinent toutefois à modifier cette imputation de la responsabilité politique, tant que les entreprises utilisatrices parviennent à se maintenir éloignées de la scène de définition et de résolution du problème et que les autres l’acceptent.

Entre détachement et accueil : des problématisations diverses de la sur-accidentalité des intérimaires

15 La problématisation ancienne des enjeux de santé au travail des intérimaires à partir de leur sur-accidentalité a très largement cadré les initiatives de la branche professionnelle de l’intérim en la matière. Accusées d’entretenir la précarité d’emploi et de dégrader les conditions de travail, les ETT ont développé un travail de légitimation et de normalisation de cette forme d’emploi (Glaymann, 2005) [8] qui s’est traduit, à partir des années 1980, par la création et la consolidation d’une branche professionnelle de l’intérim, à l’activité conventionnelle relativement intense. La soixantaine d’accords de branche signés à ce jour témoigne de cette vitalité des relations professionnelles concernant le droit syndical, la formation des intérimaires aux risques professionnels ou encore la formation professionnelle. Un premier accord « relatif à la santé et à la sécurité au travail dans le travail temporaire » est signé en 2002. Il se fait l’écho de la problématisation dominante, en proposant une réponse à la forte accidentalité des intérimaires par une formalisation plus importante des procédures de détachement, qui doivent désormais intégrer des préoccupations de prévention des risques professionnels.

16 Une problématisation complémentaire, relative à l’accueil des intérimaires, tend à attribuer une responsabilité partagée aux entreprises utilisatrices (EU). À la suite d’un important travail d’enquête, elle émerge dans les années qui suivent au sein des institutions de la Sécurité sociale. Le premier Plan national Santé Travail (2005-2009) évoque la question de l’accidentalité des intérimaires, sans pour autant lui ménager une place dans les priorités mises en avant. Dans la foulée, la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, organisme paritaire et interprofessionnel de gestion de la branche AT/MP de la Sécurité sociale, adopte le 21 mars 2007 un texte de recommandations spécifiques au travail intérimaire intitulé « Accueil et santé au travail dans l’intérim », qui pose des bases en matière de prévention à l’adresse des agences d’intérim comme des EU : développer un « dialogue constructif » entre les trois acteur·rices, adopter pour les intérimaires les mêmes règles que pour les salarié·es en contrat à durée indéterminée, etc. Simple recommandation, le texte n’a aucun effet contraignant. Toutefois, adopté à l’unanimité au niveau le plus élevé de l’organisme paritaire, il a légitimé un engagement fort des Caisses régionales d’assurance maladie (Cram, aujourd’hui Carsat) dans un Plan national d’action concertée [9]. Pendant trois ans (2009-2011), de nombreux et nombreuses agent·es de prévention des Carsat sont intervenu·es dans des ETT et dans des EU [10] pour réaliser des diagnostics sur leurs politiques de prévention et leurs pratiques d’accueil des intérimaires, de formation, de fourniture et de port d’équipements de protection individuelle. 2168 diagnostics ont été établis dans plus de 30 % des agences d’emploi, 4336 dossiers d’accident du travail analysés et 2423 diagnostics effectués dans les EU. À l’issue de cette enquête massive, des fiches techniques ont été élaborées et déployées. Elles concernent principalement les informations à échanger de manière formalisée entre l’ETT et l’EU, l’accueil de l’intérimaire dans l’EU. Un guide pour recueillir les caractéristiques des postes de travail destiné aux agences d’intérim est également proposé. L’implication commune des EU et des agences d’emploi en constitue le fil directeur.

17 À la suite de ces initiatives, la branche a choisi d’intégrer les préconisations des Carsat. S’appuyant sur le premier accord de 2002, dont les engagements ont permis, selon le préambule du nouvel accord, la « baisse de 20 points du taux de fréquence des AT/MP » [11], l’accord de branche de 2017 [12] donne ainsi une place importante à un référentiel de compétences des salariés permanents des agences accompagnant la délégation des intérimaires en entreprise. Les régulations de la branche ont ainsi tendance à renforcer la formalisation des procédures de détachement mises en place dans les agences plus qu’à impliquer les EU dans l’accueil des intérimaires.

Une coresponsabilité insuffisamment assumée

18 Toutefois, le maintien d’une fréquence élevée d’accidents du travail, voire son augmentation ces dernières années (cf. supra), révèle la portée limitée de ces initiatives et, plus largement, l’incapacité de la branche à engager seule des démarches efficaces de réduction de ces accidents. Les acteur·rices de la branche pointent depuis longtemps les pratiques des EU et souhaiteraient que la responsabilité de celles-ci soit davantage affirmée. L’idée d’une coresponsabilité est ainsi mise en avant dans l’accord de branche de 2017, notion reprise en 2020 dans un arrêt de la Cour de cassation concernant Manpower [13].

19 Cette façon de poser le problème de la santé-sécurité des intérimaires a été formulée une première fois au tournant des années 1990, mais de façon très mesurée. Dans un contexte de stabilisation et de normalisation de l’intérim, la loi du 12 juillet 1990 [14] introduit une quote-part, attribuée aux EU, relative au coût des accidents, mécanisme qui esquisse de fait la coresponsabilité de l’EU et de l’ETT. Le coût des incapacités permanentes en cas de rente supérieure ou égale à 10 % ainsi que le coût des décès sont répartis de la manière suivante : deux tiers incombent à l’ETT et un tiers à l’EU [15]. Autrement dit, seul le coût des accidents les plus graves est imputé partiellement à l’EU. Cela correspond à 801 accidents du travail sur les 53202 qu’ont subis les intérimaires en 2019. Cette répartition des coûts est renforcée par la mention de l’EU, prévue depuis 2012, dans le document de déclaration des accidents du travail [16]. Cependant, cet encadré n’est encore aujourd’hui rempli que dans 40 % des déclarations [17].

20 Les ETT contestent cette répartition inégale du coût des accidents, comme l’explique une dirigeante de Randstad devant une commission parlementaire : « Statistiquement, 99 % des sinistres sont en effet payés intégralement et uniquement par les entreprises de travail temporaire [18]. » En appui de sa propre contestation, l’organisation patronale Prism’Emploi met en avant la sinistralité des « secteurs utilisateurs ». De nouvelles formalisations statistiques de l’accidentalité dans l’intérim sont proposées. À partir des données d’une dizaine d’ETT (dont les « majors »), représentant 60 à 70 % des salarié·es de la branche, cette dernière identifie trois secteurs utilisateurs dans lesquels se concentre un tiers des accidents : l’entreposage (11,9 %), les industries alimentaires (10,7 %) et les travaux de construction spécialisés (10,6 %). Le secteur de la logistique ressort avec une fréquence d’accidents élevée, même si la gravité est relativement faible, résultat invisibilisé quand on ne retient que les accidents graves.

21 Derrière cette formalisation statistique alternative proposée par l’organisation représentant les ETT, ce sont des enjeux tant financiers que légaux, voire moraux, qui sont visés. Ces fortes différences de la sinistralité intérimaire entre secteurs d’activité impliquent de considérer l’intérim non pas comme un secteur professionnel en tant que tel, mais comme le pourvoyeur de main-d’œuvre pour différents secteurs professionnels, et notamment ceux qui engendrent une forte accidentalité. Alors que les mécanismes assurantiels conduisent à une attribution artificielle de ces accidents à la branche de l’intérim, la sur-accidentalité des intérimaires serait ainsi le reflet de leur affectation dans les secteurs les plus dangereux, responsables alors d’une « externalisation des risques ». Philippe Biélec, ingénieur-conseil à la Cnam-TS, affirmait ainsi en 2009 :

22

« Comparer la moyenne des intérimaires à la moyenne de toutes les branches d’activité confondues ne correspond à rien de concret. Pour être plus proche de la réalité, l’accidentologie doit être comparée par branche d’activité : intérimaires du BTP avec salariés du BTP, intérimaires de la logistique avec salariés de la logistique, etc. Or, c’est très peu fait [19]. »

23 Les données produites par la Cnam-TS ont pu démontrer la sur-accidentalité des intérimaires. Mais plusieurs acteurs, comme la branche de l’intérim ou les Carsat, interrogent la pertinence d’une approche qui ne précise pas les contextes de ces accidents du travail : l’intérim ne constitue pas un métier. La déclaration de l’accident du travail auprès des organismes de sécurité sociale, relevant de l’employeur légal sur la base des informations fournies par l’entreprise accueillante, est effectuée indépendamment de l’organisation du travail à l’origine de l’accident et des responsabilités directes impliquées dans celui-ci. L’opacité ainsi instituée sur le contexte de l’accident est constitutive de l’intérim. Les données incomplètes participent à la difficulté à intervenir en matière de prévention des risques dans les EU, entretenant des « situations troublées » tant pour les services de santé au travail que pour les préventeur·rices des ETT.

Un suivi médical des intérimaires à distance des situations de travail

24 La prévention s’organise en France au niveau de l’entreprise : les médecins et les infirmier·ères des services inter-entreprises de santé au travail (SIST) [20] y participent en suivant un « effectif » d’entreprises à la fois au niveau individuel, à travers les visites d’embauche et le suivi périodique de l’état de santé de leurs salarié·es [21], et au niveau collectif, avec les « actions en milieu de travail ». Celles-ci peuvent être mises en place avec l’appui d’intervenant·es en prévention des risques professionnels. Les médecins développent aussi des relations avec les directions, auprès desquelles iels ont un rôle de conseil, et participent quand iels le peuvent aux réunions avec les représentant·es du personnel qui traitent des questions de santé, sécurité et conditions de travail. Dans le cas de l’intérim, ce large répertoire d’actions se réduit le plus souvent aux visites d’embauche. La relation d’emploi triangulaire et les difficultés d’accès aux entreprises utilisatrices placent les médecins dans une « situation troublée » où leur travail de prévention se trouve largement empêché.

Les lacunes du suivi médical des salarié·es intérimaires

25 Les ETT sollicitent les services de santé au travail pour des visites d’information et de prévention (VIP) plus souvent que les entreprises classiques. Ces visites ont avant tout une fonction réglementaire : elles permettent la mise au travail, car les ETT ont la responsabilité de fournir des certificats de visite pour chaque intérimaire, que les EU pourront montrer à l’inspection du travail en cas de contrôle. Certes, la loi permet désormais de ne pas renouveler cette visite à chaque nouvelle mission [22], et elle peut être effectuée par une infirmière. Cependant, cette réglementation n’est pas toujours connue des EU, et le fait de pouvoir présenter un certificat de visite ad hoc est un argument commercial que les ETT avancent dans un contexte de concurrence entre les entreprises du secteur. De plus, en vue de la visite, les ETT peuvent indiquer trois emplois pour lesquels l’intérimaire pourra être sollicité·e. Dans une relative incertitude sur les missions qu’elles proposeront aux intérimaires, elles ont tendance à indiquer des emplois nécessitant un « suivi individuel renforcé » (c’est-à-dire des emplois dont on estime qu’ils exposent le ou la salarié·e à davantage de risques) ; la visite doit alors non seulement être effectuée par un·e médecin, mais aussi respecter des délais plus contraints, car l’intérimaire devra être vu·e avant le début de la mission et non plus sous trois mois. Dans la logistique, les ETT indiquent par exemple quasi systématiquement « cariste » en plus de « manutentionnaire ».

26 Ainsi, le nombre de demandes de créneaux de la part des ETT et la pression pour qu’elles aient lieu rapidement compliquent l’organisation des visites d’intérimaires pour les directions de services de santé au travail. Ces dernières ont un intérêt financier certain à les organiser, car elles sont facturées individuellement (entre 80 et 100 euros chacune), au contraire des visites classiques qui entrent dans le coût forfaitaire de l’adhésion des entreprises. Afin de flexibiliser la prise de rendez-vous, les demandes de VIP font l’objet de créneaux dans les agendas de l’ensemble des médecins d’un service. Ces visites viennent parfois même s’intercaler entre deux rendez-vous, ce qui permet de profiter d’une annulation :

27

« On les prend en plus. Si on ne les voit pas tous, tant pis… On bourre là où il y a de la place par exemple, les désistements ou bien, si un CHSCT est annulé, on fait une vacation “intérim”. »
(Médecin du travail, SIST Pays de la Loire, entretien collectif)

28 Malgré l’intérêt financier qu’auraient les services à effectuer le maximum de visites, ces dernières sont loin d’avoir toutes lieu dans les temps exigés. Une campagne de contrôle menée sur le sujet en 2018 par différentes Direccte aboutit à ce constat :

29

« Bien que les entreprises de travail temporaire aient pu souvent attester du suivi médical des salariés, un tiers néanmoins des entreprises ne respectent pas les spécifications relatives au suivi individuel renforcé alors que les missions s’effectuent sur des postes à risque. En contrepartie, environ une entreprise utilisatrice sur trois déclare ne pas avoir reçu de l’entreprise de travail temporaire l’attestation de suivi individuel ou l’avis médical d’aptitude ou d’inaptitude au poste de travail des salariés en mission [23]. »

30 Le suivi de santé des intérimaires fait donc parfois tout bonnement défaut. Même quand il est assuré, le rapport médical ne se développe pas sur les mêmes bases qu’avec des salarié·es en contrat classique et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, d’après les médecins rencontré·es, la précarité d’emploi des intérimaires les pousse à se montrer particulièrement soucieux·ses d’apparaître en bonne santé afin de s’assurer que les ETT continuent à leur proposer des missions :

31

« En général, les intérimaires, ceux qui viennent nous voir, c’est des gens qui veulent bosser, parfois au détriment de leur santé. C’est pas des gens qui arrivent en disant “j’ai ci, j’ai ça, je veux pas faire ci, je veux pas faire ça”. C’est exactement l’inverse.
C’est “j’ai ci, j’ai ça mais surtout, ne mettez pas de restrictions”. »
(Médecin du travail, SIST Pays de la Loire, entretien individuel)

32 En théorie, les médecins du travail ont la possibilité d’utiliser des restrictions (ou, en dernier recours, l’inaptitude) pour protéger les salarié·es d’atteintes à leur santé. Cependant, ces dispositifs sont identifiés comme pouvant les reléguer aux marges du marché de l’emploi (Omnès, Bruno, 2004) : la précarité d’emploi des intérimaires les rend donc difficiles à mettre en œuvre.

33 Lors des visites elles-mêmes, les médecins disposent de peu de marges de manœuvre. Même le rôle pédagogique qu’iels conservent est lui aussi très souvent « troublé » par la relation d’emploi triangulaire. En effet, pour sensibiliser les intérimaires aux risques qui les attendent en poste, encore faut-il qu’iels aient accès à des informations sur ce poste. En principe, certains éléments sont obligatoirement renseignés par les ETT lors de la demande de visite, mais, dans les faits, la communication est insuffisante :

34

« J’avais pas du tout d’indications de postes. […] Un jour j’ai vu arriver quelqu’un, c’était marqué “employé” ; alors j’ai appelé l’agence, j’ai dit : “Qu’est-ce qu’il fait ?” “Ah bon ? Je pensais que vous n’aviez pas besoin de savoir.” C’était une sous-médecine pour des sous-employés, donc on ne prenait même pas la peine de communiquer un minimum. »
(Médecin du travail, SIST Normandie, entretien collectif)

35 D’après cet extrait d’entretien, les employé·es des ETT cantonnent la visite médicale à un rôle de sélection : il s’agit uniquement de s’assurer de la santé de l’intérimaire pour pouvoir la·le mettre au travail, et non d’évaluer les risques, ce qui nécessiterait des informations sur les activités professionnelles qu’iel va accomplir et le contexte dans lequel elles s’inscrivent [24]. Or les médecins ne disposent que rarement des éléments de contexte nécessaires à un questionnement ciblé et pertinent de l’intérimaire. Parfois, iels peuvent glaner des informations sur la fiche d’entreprise [25] ou s’appuyer sur des souvenirs d’entreprises utilisatrices qui ont été dans leur effectif par le passé [26]. Cependant, la plupart du temps, dans leur démarche pédagogique, iels s’appuient davantage sur leurs connaissances générales d’un secteur et de ses risques identifiés que sur des éléments précis (produits ou machines utilisés, par exemple).

36 Quand iels souhaitent mettre en œuvre une action en milieu de travail pour identifier et recenser les risques en vue de les prévenir, les médecins se heurtent à de nombreux obstacles. Ainsi, pour avoir accès à une entreprise utilisatrice, il faut passer par la·le médecin de celle-ci, qui n’est pas forcément salarié·e du même SIST, ni disposé·e à s’intéresser aux problématiques des intérimaires, encore moins à introduire un·e autre médecin dans l’entreprise qu’iel suit. Ces collaborations sont d’autant plus aléatoires que la charge de travail des médecins leur laisse à peine le temps de s’occuper de leur effectif : les médecins du travail sont de moins en moins nombreux·ses, et les équipes de santé au travail peinent globalement à assurer l’ensemble de leurs missions (Marichalar, 2014 ; Barlet, 2019 ; Horn, dans ce numéro).

37 Par ailleurs, les directions de SIST considèrent souvent que le suivi de la santé des intérimaires se limite aux visites et ne prévoient pas de temps pour l’action en milieu de travail :

38

« Dans l’intérim, chaque salarié, c’est de l’argent qui rentre. Quand j’ai commencé, le directeur m’a dit : “Il n’y a pas d’action en milieu de travail pour les intérimaires.” J’avais l’impression d’être une tamponneuse et de ne pas avoir de marge de manœuvre. »
(Médecin du travail, SIST Hauts-de-France, entretien individuel)

39 Ainsi, la mise en œuvre d’une démarche de prévention en milieu de travail ciblant les intérimaires n’est ni aisée, ni encouragée par les services de santé au travail. Plusieurs travaux soulignent le rôle ambivalent de ces services dans la sélection des travailleur·ses (Buzzi et al., 2006). Cette fonction médicale restreinte ressort de façon très nette dans le cas de l’intérim : il s’agit de se prononcer davantage sur l’individu et ses capacités physiques (et mentales) que sur la situation de travail, dont les médecins connaissent souvent peu de choses et à laquelle iels n’ont pas accès.

Une faible participation des entreprises utilisatrices au suivi médical des intérimaires

40 Face à une telle « situation troublée » et aux lacunes du suivi, différent·es acteur·rices expriment une insatisfaction qui est à l’origine d’initiatives locales, incluant très souvent l’inspection médicale du travail. La·le médecin inspecteur·rice régional·e du travail (MIRT) a en effet pour rôle de vérifier que les SIST ont les moyens d’assurer leurs missions de prévention. La délivrance d’agréments y est conditionnée, et c’est là son principal levier d’action vis-à-vis des services, mais le MIRT peut aussi intervenir en amont en se positionnant en support.

41 Selon la manière dont les acteur·rices formulent le problème (relève-t-il avant tout des difficultés d’assister les employeurs dans leur objectif de mise en conformité avec la loi, dans un contexte de forte tension quantitative sur les visites ? Ou bien tient-il à la difficulté de mener un travail de prévention susceptible de mieux protéger les intérimaires des risques professionnels ?), les initiatives engagées s’inscrivent dans une configuration différente : certaines se contentent d’améliorer la communication entre le SIST et ses clientes, les ETT ; d’autres tentent d’inclure les services de santé au travail des EU, mais peinent à impliquer d’autres responsables de ces entreprises.

42 Du point de vue de l’inspection médicale du travail et des directions de SIST, la lacune la plus visible est d’ordre quantitatif : les SIST ne parviennent pas à effectuer l’intégralité des visites qui leur sont demandées. C’est d’abord cet échec qui déclenche des initiatives : il s’agit pour les SIST de s’organiser différemment afin que les intérimaires puissent tous·tes bénéficier des visites nécessaires en temps et en heure. Une réponse consiste à rationaliser le recours aux SIST, en tentant de supprimer les visites redondantes ou inutiles. Les initiatives locales visent ainsi parfois la mise en place de « plateformes » ou de « portails » qui centralisent en ligne les certificats de visites (anciennement, les avis d’aptitude). L’ETT y trouverait, pour chaque intérimaire, des informations sur la date de sa dernière visite, et donc sur sa validité pour la mission envisagée (elles sont valables deux ans pour les trois emplois mentionnés), et éviterait donc d’encombrer inutilement les SIST de demandes redondantes. Ces portails, qui répondent d’ailleurs à une obligation légale depuis 1991, ont cependant des limites : pour que les informations partagées soient pertinentes et exploitables, tous les services d’un même territoire doivent les renseigner sous le même format. De plus, ces initiatives locales ne peuvent tenir compte de la mobilité des intérimaires et des visites effectuées dans d’autres départements.

43 Qu’elles incluent ou non un tel effort de rationalisation des échanges entre ETT et SIST, les initiatives locales étudiées reposent par ailleurs sur diverses stratégies pour responsabiliser les EU. La plus ancienne que nous ayons identifiée a été lancée en Seine-et-Marne en 2005 par des médecins de différents SIST ; s’y sont associés en 2006 la Direccte ainsi que des responsables d’ETT, l’initiative prenant alors le nom « Intérim 77 ». Ce groupe, qui s’est élargi encore à de nouveaux·elles acteur·rices par la suite, a fonctionné pendant une dizaine d’années [27]. Constatant que les ETT adhérentes ont des difficultés à imposer des protocoles à leurs clientes (fiches de liaison correctement remplies, informations suffisantes sur le poste et ses risques), qui ne leur permettent pas à leur tour de fournir les informations requises aux SIST, le groupe Intérim 77 a organisé des visites d’entreprises utilisatrices, des études de poste ou encore la construction de « fiches de liaison » entre médecins des ETT et médecins des EU, qui ont fait l’objet d’une expérimentation dans la logistique. En Normandie, en 2007, un groupe se forme au sein du SIST à la suite de la menace formulée par la MIRT de retirer l’agrément s’il ne déployait pas un meilleur suivi des intérimaires. Une équipe pluridisciplinaire dédiée se constitue, et un partenariat avec le Fonds d’action sociale du travail temporaire (FASTT [28]) s’établit progressivement. Grâce à ce partenariat et à une nouvelle organisation qui a permis de dégager du temps et du personnel dédié, le SIST a mis en place des actions en milieu de travail dans les plus grosses entreprises utilisatrices du territoire, afin de développer une connaissance des postes et des risques.

44 L’implication des EU dans ces initiatives n’a rien de spontané. Les EU n’ont ainsi pas pris part aux actions du groupe « Intérim 77 » malgré les invitations régulières, contribuant à l’essoufflement observé à partir de 2011 : les représentants des ETT se font moins présents ; les visites d’entreprises s’arrêtent l’année suivante ; il ne reste de l’action engagée qu’une plateforme en ligne telle que décrite ci-dessus. La participation de l’inspection du travail n’est d’ailleurs pas suffisante pour assurer cette implication, comme le suggère une autre action, développée dans l’ouest de la France. À la suite d’un procès-verbal adressé à l’une des plus grandes entreprises utilisatrices du bassin d’emploi par un inspecteur du travail ayant constaté l’absence de visites médicales pour les intérimaires et ayant estimé qu’au vu de l’exposition des salarié·es à d’importants risques chimiques, l’EU pouvait être tenue responsable de ce défaut de suivi [29], un groupe se constitue en 2018. Ce groupe animé par la MIRT rassemble les médecins du seul service inter-entreprises local et des principaux services autonomes des grandes entreprises utilisatrices du territoire. La discussion prend la forme d’échanges de pratiques, qui sont notamment l’occasion de vérifier que les intérimaires bénéficient du même suivi que les permanent·es. Certes, les médecins des entreprises utilisatrices participent au groupe de travail, mais ces entreprises persistent à refuser d’assurer elles-mêmes le suivi médical des intérimaires qu’elles emploient, ce qui demeure une simple possibilité en droit.

45 Les tentatives de responsabilisation des EU peuvent alors prendre des chemins détournés, celui de l’enquête et de la production de connaissances notamment. Les études de postes et les visites d’entreprises du groupe « Intérim 77 » (cf. supra) relèvent de ce type de démarches. Une initiative récente, engagée dans l’est de la France, s’y apparente également. Début 2018, un groupe est formé par la MIRT en réponse à une demande formulée par des directeurs de huit services inter-entreprises ; il inclut très rapidement des représentantes de Prism’Emploi. Après l’identification de treize points de dysfonctionnements, au cours d’un dialogue qualifié de « difficile » par l’animatrice du groupe, deux initiatives sont discutées puis expérimentées afin de mieux organiser les visites médicales : un document de liaison entre services de santé au travail et ETT appelé « formulaire de demande de visite », et surtout une « charte de bonnes pratiques », ardemment négociée et finalisée fin 2019, dans laquelle chacune des deux parties prend des engagements pour assurer « une meilleure gestion du suivi de santé des salariés intérimaires pour le recentrer sur l’aspect préventif de la santé au travail ». En parallèle, un autre groupe de travail se constitue dans le cadre du Plan régional de santé au travail ; il est composé de représentant·es de services de santé au travail, d’ETT, de la Direccte et du FASTT. Il lance en 2019 une enquête par questionnaire auprès d’entreprises utilisatrices pour les interroger sur leurs contacts avec les ETT en amont du recrutement, les pratiques d’accueil des intérimaires, les postes à risques ainsi que sur les équipements de protection collective et individuelle. Si les EU sont la cible des initiatives prises, elles n’ont pas pris part à leur élaboration. Elles sont restées extérieures au groupe qui a rédigé la charte de bonnes pratiques. Par ailleurs, les grandes entreprises étant considérées comme « trop écrasantes », la démarche d’enquête s’attache à impliquer des « petites » entreprises utilisatrices sur des territoires économiques précis. La responsabilisation des EU reste donc minime.

46 Ces différentes initiatives reposent non seulement sur une impulsion publique forte, bien que locale, mais aussi sur des relais à un niveau plus opérationnel. Or, pour ces relais que sont les médecins des SIST, redéfinir et accepter comme une priorité le cas particulier du suivi de la santé des intérimaires ne va pas de soi dans un contexte où leur charge de travail ainsi que celle des équipes pluridisciplinaires des SIST, très lourde, est surtout concentrée ailleurs. Ces initiatives restent donc aujourd’hui marginales ou ponctuelles, et le suivi médical principalement motivé par la nécessité d’éponger les nombreuses demandes de VIP émanant des ETT.

Les préventeur·rices des entreprises de travail temporaire face aux contraintes commerciales de leurs établissements

47 Au-delà des limites des dispositifs existants, le décalage entre les objectifs de protection de la santé au travail des intérimaires et les moyens qui y sont alloués tient à l’asymétrie des positions des protagonistes de la relation d’emploi triangulaire (Mascova, 2009 ; Belkacem, Montcharmont, 2012). La relation qui se tisse entre les ETT et les entreprises utilisatrices est en effet structurée par la signature et la reconduction des contrats commerciaux qui compliquent la prise de parole. Cela ne signifie pas que les enjeux de sécurité sont étrangers à ces sociétés. Toutefois, la situation demeure « troublée » compte tenu du manque de cumulativité des connaissances produites et du faible écho que les démarches de prévention trouvent au sein même des ETT et au-delà.

48 Les initiatives nées au niveau de la branche en matière de santé-sécurité au travail (voir supra) deviennent opérationnelles dans les ETT sous la forme d’outils de surveillance et de gestion des risques, autrement dit des dispositifs de pilotage qui enregistrent les événements regrettables pour chercher à en minimiser la survenue, à la manière des procédures qualité. Ces dispositifs, que l’on retrouve avant tout dans les grandes enseignes du secteur, relèvent principalement d’actions de contrôle des non-conformités des pratiques des agences locales par rapport au prescrit réglementaire, renforçant ainsi le phénomène de formalisation. Ainsi traduites dans les faits, les obligations légales et les normes conventionnelles en matière de santé au travail font l’objet d’appropriations variées par les acteur·rices chargé·es de leur application. Les politiques de prévention existent donc bel et bien au sein des ETT, mais celles-ci tiennent compte des intérêts commerciaux de l’encadrement managérial, voire les sanctuarisent.

49 La contrainte commerciale apparaît même constitutive de l’activité des acteur·rices de la prévention, qu’il s’agisse des services de prévention internes des ETT ou des instances représentatives du personnel. Leurs difficultés à donner corps aux questions de santé-sécurité et leur positionnement reflètent la place périphérique accordée aux enjeux de prévention dans l’activité de délégation de main-d’œuvre, subordonnée aux enjeux commerciaux.

La focalisation des actions de prévention sur les enjeux de compliance juridique

50 Sous la pression d’un environnement de plus en plus concurrentiel, les enseignes optimisent le temps de travail que leurs salarié·es en agence passent au contact des intérimaires. Les salarié·es permanent·es des agences se trouvent de plus en plus souvent regroupé·es au sein de « plateaux de relations clients » [30] et ne reçoivent plus que sur rendez-vous. Avec le développement des plateformes digitales dédiées, la gestion RH des salarié·es intérimaires est quasi exclusivement réalisée à distance grâce à des procédures dématérialisées (transmission des documents, contrats, décompte d’heures, etc.). Les salarié·es intérimaires ont donc de moins en moins de contacts directs avec leurs conseiller·ères : même les propositions de missions se font par SMS. Ces évolutions affectent directement les conditions de délégation des intérimaires. Elles fragilisent l’engagement pris par le siège des enseignes en matière de formation des conseiller·ères sur la prévention des risques des intérimaires délégué·es et compliquent le travail des acteur·rices de la prévention.

51 Cela ne signifie pas pour autant que la gestion des risques en matière de santé au travail soit absente de l’organisation de l’activité des agences. Le respect par les ETT de leurs obligations légales est même devenu un critère de distinction et de développement pour les majors du secteur, dans la mesure où les entreprises utilisatrices reportent sur leurs fournisseurs de main-d’œuvre une partie des exigences qui leur incombent en matière de responsabilité sociale et environnementale (Lapoire, 2011). La poursuite de leurs relations commerciales y est dorénavant conditionnée :

52

« Aujourd’hui, ne pas travailler sur ces sujets-là pour un major de la profession, c’est impensable. On est tous positionné sur des marchés de grands comptes qui nous attendent au tournant sur ces sujets. On ne peut pas développer nos parts de marché si on n’arrive pas à montrer notre sérieux sur le sujet de la prévention et de la sécurité pour les intérimaires. »
(Préventeur ETT)

53 Les ETT doivent attester de la rigueur de leurs procédures de prévention des risques, notamment en matière de sensibilisation des intérimaires et de sécurisation du processus de délégation, et s’assurer de leur respect sur le terrain. Ces processus d’intermédiation et de professionnalisation croissante de la gestion des risques afférents à la SST se sont accompagnés de l’émergence d’une nouvelle fonction chargée de traduire les obligations légales en procédures internes et de s’assurer de leur déploiement et de leur application opérationnelle (Drais, Pélisse, 2017). Il s’agit de « préventeur·rices [31] » ou responsables sécurité, recruté·es en raison tantôt de leurs diplômes spécialisés, tantôt de leur expérience opérationnelle, ou tout simplement parce qu’iels ont une appétence pour les questions de santé et sécurité au travail. Symptôme de la légitimité nouvelle de cette attention accordée à la sécurité, l’émergence de telles fonctions n’a pas pour autant d’influence directe. Chargé·es de la gestion des enjeux sanitaires dans leurs entreprises, iels rendent les obligations légales compatibles avec les stratégies managériales (Kubiak, 2016) pour incorporer la dimension juridique de la sécurité aux pratiques des agences.

54 Œuvrant au quotidien au siège des enseignes ou à un échelon régional, les préventeur·rices tâchent de construire leur légitimité au sein de l’organisation en se rendant utiles vis-à-vis du réseau des agences. Iels proposent un « accompagnement » qui se déploie selon un répertoire d’actions très diversifiées : élaboration et déploiement opérationnel des outils de prévention, formation des salarié·es permanent·es sur des questions SST, pilotage de la politique de prévention, conduite des enquêtes ou des audits internes, ou encore analyse des accidents et instruction de leurs conséquences sur le terrain en vue de la sécurisation des échanges avec les acteur·rices externes :

55

« Notre champ, c’est accompagner les agences quand il y a des accidents graves, voire des accidents mortels. Elles ne sont pas préparées à ce genre de situations. »
(Coordinateur ETT)

56 La formalisation des politiques de prévention passe par la promotion d’outils de traçabilité (consistant en une série d’actes effectués au moment de la délégation) pour couvrir la responsabilité de l’ETT en cas d’accident.

57

« C’est un programme défini et validé, qui permet, sur une journée, de mettre en pratique toutes les tâches qui vont permettre, lors d’une nouvelle commande d’un détachement d’un salarié intérimaire, de récupérer l’ensemble des informations nécessaires en termes de prévention sécurité, et ensuite d’élaborer toutes les actions juridiques et légales, qui nous permettent en fait de détacher un intérimaire en sécurité. »
(Préventrice ETT)

58 Tout comme dans le cas des préventeur·rices décrit·es par Jérôme Pélisse (2017), leur rôle ne consiste pas à « faire la police » auprès des agences pour le compte du siège. D’ailleurs, iels ne disposent d’aucun pouvoir de sanction. Les résultats de leurs interventions dépendent de leur capacité de persuasion. Leur discours promeut la prévention comme moyen privilégié de sécurisation de l’activité de délégation des intérimaires. Iels ne se privent pas de mobiliser également l’argument financier dans la mesure où certaines enseignes reportent le coût des AT/MP directement sur la comptabilité de l’agence de l’accidenté·e (Fretel et al., 2016). Dans l’activité ordinaire d’une agence, non seulement les objectifs économiques priment sur ceux de la sécurité, mais surtout les opérationnel·les des agences les perçoivent comme antinomiques.

59

« Le business, c’est quand même la base, pour parler de prévention. Si on n’a plus de détachements d’intérimaires, on fera de la prévention nulle part. Donc il y a toujours ces enjeux commerciaux qui sont quand même prépondérants, surtout dans une activité aussi concurrentielle. »
(Préventeur ETT)

60 Face à la primauté des objectifs commerciaux des agences, les certitudes des préventeur·rices se troublent et iels peuvent douter de la capacité de leur entreprise à tenir ses promesses en matière de prévention des risques.

61

« Il faut être extrêmement endurant sur nos métiers. Souvent, on a les idées. On tire souvent les bonnes sonnettes d’alarme, les bons leviers. Par contre, on n’a pas la main dans la mise en œuvre de nos plans d’action. Ils sont toujours dépendants d’interlocuteurs autres qui ont vraiment les coudées franches. »
(Préventeur ETT)

62 La majorité des préventeur·rices rencontré·es perçoivent leur mission comme largement subordonnée aux arbitrages commerciaux et financiers des agences.

63

« On ne perd jamais l’intérêt commercial de la société, et c’est pour ça qu’on est très vigilant à la relation tripartite et à ménager les intérêts de chacun. »
(Préventrice ETT)

64 Aussi, l’effectivité des actions d’évaluation et de prévention des risques par les entreprises utilisatrices, notamment la mise à jour des postes à risque, ne fait que rarement l’objet de contrôles par les ETT, afin de préserver leurs relations commerciales. Dès lors, malgré leur engagement professionnel, les préventeur·rices des ETT se retrouvent en « situation troublée ». Iels manquent en effet d’influence à la fois pour parvenir à collecter les informations nécessaires et pour infléchir les pratiques, et peinent à enrôler les managers d’agence dans l’animation de ces sujets. En cela, la démarche de prévention apparaît largement inachevée.

Des actions de prévention limitées par la place qui leur est concédée dans les organisations

65 Bien que marquées par un certain mimétisme, les politiques de prévention des majors du secteur ne se traduisent pas forcément par les mêmes choix organisationnels. L’évolution de leurs rattachements fonctionnels suit l’historique de l’institutionnalisation de ces sujets au fil des changements de stratégies d’entreprise, ce qui est parfois source de confusion.

66

« Le département prévention sécurité a été rattaché à la direction des services clients et services intérimaires. Initialement, nous étions rattachés à la direction formation… Il est apparu, en termes de stratégie, important d’associer la partie clients à la partie intérimaires, puisqu’ils travaillent en pôle, les salariés intérimaires. On est en relation de proximité avec les clients. »
(Préventrice ETT)

67 Lorsque la prévention entre dans le périmètre du service juridique, c’est surtout la conformité légale et la sécurisation de l’activité des opérationnel·les des agences qui semblent être recherchées. Ces choix d’organisation jouent également en matière d’emprise territoriale à travers les « méta-régions », qui représentent généralement un quart du territoire national. Le maillage géographique retenu par les ETT pour déployer leur activité, y compris leurs politiques de prévention, minore alors directement l’effectivité de ces dernières. De telles modalités d’organisation de la prévention contribuent même à occulter les liens entre santé et travail, tout en maintenant l’illusion d’une maîtrise des risques au niveau institutionnel (Legrand, Mias, 2013). En effet, quel que soit le découpage géographique retenu par les ETT, le nombre de préventeur·rices dans les entreprises étudiées ne dépasse pas la dizaine. Iels sont donc amené·es à prioriser leurs interventions en ciblant les accidents les plus graves, aménageant ainsi un espace d’intervention partiel.

68

« On évoquait 100000 intérimaires et 12000 clients. Malheureusement, on ne peut pas être partout. Donc souvent on priorise sur de la sinistralité. On est sur du ciblage. »
(Préventeur ETT)

69 De tels découpages affectent aussi directement l’activité des instances représentatives du personnel telles que le comité social et économique (CSE) : ce dernier couvrant un très grand nombre d’agences et d’intérimaires (il y a le plus souvent un CSE par méta-région), les élu·es du personnel sont éloigné·es des situations de travail et se trouvent confronté·es à l’impossibilité de traiter l’ensemble des sujets concernant les conditions de travail relevant de leur périmètre.

70 Les agences de travail temporaire ne fonctionnent toutefois pas en vase clos. Selon la disponibilité des services de santé au travail et en fonction des dynamiques locales impulsées par les Carsat ou l’inspection du travail, chaque territoire offre une caisse de résonance plus ou moins importante aux initiatives des préventeur·rices des ETT : sensibilisation des EU, actions de formation par secteur/métier, mobilisations locales des acteur·rices public·ques et privé·es, etc. C’est donc dans une relative autonomie que les agences peuvent participer, au cas par cas, à des initiatives de prévention développées localement (voir supra), sans pour autant que ces dernières s’articulent avec les politiques de prévention élaborées au niveau de leurs sièges et s’y ajoutent.

Des manières variables de mesurer la sinistralité

71 L’opérationnalisation des questions de santé-sécurité au travail sous la forme d’outils de surveillance et de gestion des risques va de pair avec le développement d’indicateurs permettant de piloter la politique de prévention et d’en mesurer l’efficacité. Les entreprises suivent habituellement deux types d’indicateurs : les indicateurs dits de moyens, comme le taux d’études de poste réalisées, le nombre de formations dispensées ou le nombre de visites des agences, et les indicateurs dits de résultats, comme les taux de fréquence et de gravité des accidents du travail.

72 La construction des indicateurs et leur suivi varient cependant d’une enseigne à l’autre, même lorsqu’il s’agit d’indicateurs relativement consensuels. Au sein même de chaque enseigne, les modalités de suivi des accidents peuvent varier, comme dans cette ETT où le calcul des sinistres diffère selon qu’ils donnent lieu ou non à un arrêt de travail. L’analyse des procès-verbaux du CHSCT d’un autre établissement régional appartenant à une major du secteur, sur une période de quatre ans, révèle que la direction ne présente en séance que des accidents du travail satisfaisant ses propres critères (définis sans référence directe à la loi) : la durée de l’arrêt de travail doit être supérieure à trente jours et les accidents doivent correspondre à l’un des « six risques majeurs » (conduite d’engins, électricité, chimie, travail en hauteur, machine, risque routier). Une grande partie des accidents des intérimaires échappent donc à toute mise en débat au sein du CHSCT. En revanche, le service de prévention a retenu pour son indicateur de pilotage une acception plus large des accidents du travail avec des arrêts de quatre jours ou plus. Pour la période étudiée, ces analyses n’ont jamais été communiquées aux élu·es, ni incluses dans les statistiques trimestrielles présentées.

73 D’autres indicateurs « maison », comme l’indice de prévention, traduisent le pourcentage des intérimaires accidenté·es. Selon la direction de l’entreprise concernée, cet indice serait plus parlant qu’un taux de fréquence, « puisque la formule est moins compliquée ». Les EU clientes sont, quant à elles, attentives au taux de fréquence des accidents avec arrêt engendrant des indemnités journalières, ce qui pousse les ETT à un suivi rapproché de tels indicateurs. Mais les ETT ne sont pas en reste : certaines enseignes élaborent des outils d’alerte sous forme de classements de leurs clients selon l’« accidentologie » des intérimaires délégué·es. Les ETT peuvent ainsi mettre en débat, voire contester les pratiques de gestion des risques de leurs clients et se disent prêtes à les accompagner :

74

« On reçoit nos statistiques d’accidentologie consolidées tous les mois, ce qui nous permet, chaque année, d’identifier des clients que l’on va suivre pour leur proposer des plans d’action personnalisés. »
(Préventrice ETT)

75

« On est amené à préconiser […] de stopper certains partenariats, de manière temporaire, voire définitive, le temps que la situation s’améliore. »
(Préventeur ETT)

76 Reste que les directeur·rices des agences ne placent pas les objectifs de SST au même niveau que leurs résultats opérationnels. Les reportings et autres objectifs de performance auxquels sont soumis les bonus des managers n’incluent pas ces indicateurs relatifs à la santé. Les préventeur·rices rencontré·es justifient cette situation par la lenteur des évolutions en la matière. La relative stabilité des résultats des politiques de prévention des risques semble empreinte de fatalité et suscite leur lassitude :

77

« On n’a pas des évolutions extrêmement importantes d’une année à l’autre. Pour avoir observé les chiffres depuis 2015, si on a un point sur un taux de fréquence, d’une année à l’autre, c’est vraiment le maximum. »
(Préventrice ETT)

78 Les dispositifs de surveillance et de gestion des risques professionnels des intérimaires s’incarnent dans les usages sociaux qui en sont faits ; ils sont particulièrement dépendants de la relation commerciale entre l’ETT et l’EU. Volontaires et porté·es par les tendances législatives, les préventeur·rices des ETT peinent à dépasser l’hégémonie des contraintes commerciales de leurs collègues et se replient bien souvent sur une recherche de conformité juridique des contrats. Le manque de marges de manœuvre et de visibilité des instances représentatives du personnel en matière de prévention fait écho à ce trouble, tant leurs membres peinent à disposer des informations nécessaires à l’exercice de leur mandat. Seuls les événements accidentels des intérimaires sont systématiquement comptabilisés et scrutés mais ils demeurent sélectionnés au regard de leurs potentielles conséquences financières qu’il s’agirait pour les ETT de minimiser. Cette incapacité à agir, même lorsqu’il existe des données et des professionnel·les dédié·es, prend une ampleur supplémentaire si l’on observe ce qui reste hors des procédures ainsi considérées. Nombre d’expositions et de risques se trouvent en effet complètement évacués du champ d’intervention des préventeur·rices des ETT, à l’instar des maladies professionnelles ou des risques psychosociaux. Ils ne font pas l’objet d’une démarche d’évaluation et de prévention, bien que les intérimaires y soient exposés. Des instruments de suivi des atteintes à la santé au travail des intérimaires ont donc bel et bien émergé pendant la période récente mais, en portant la focale sur l’accidentalité la plus grave, ils participent à entretenir le trouble et fragilisent la portée des politiques de prévention.


79 Le travail temporaire met en défaut les modalités classiques de suivi et de prévention en santé au travail. La nature triangulaire de la relation d’emploi nourrit une tendance à l’éclatement de ces modalités, entre enregistrement par des services administratifs de la sinistralité d’un statut d’emploi constitué historiquement en secteur spécifique, par-delà la diversité des situations de travail dans lesquelles les intérimaires sont amené·es à travailler, suivi individualisé des intérimaires sur lequel les ETT tendent à se placer en mobilisant fortement les services inter-entreprises de santé au travail, et prévention des risques pour laquelle les EU souhaitent, moins encore que pour leurs propres salarié·es, s’engager. Mis·es en cause, les professionnel·les du travail temporaire cherchent à se dédouaner dans un contexte où la coresponsabilité assurantielle avec les EU tend à les renvoyer dos à dos. Le suivi médical des intérimaires conduit à un appauvrissement de la relation médicale, quand elle n’est pas purement et simplement court-circuitée. Dans les ETT, les acteur·rices de la prévention apparaissent peu légitimes pour exercer une influence majeure sur le terrain : leur activité se concentre sur une mise en conformité des obligations légales avec les stratégies managériales, ce qui donne lieu à une procéduralisation des enjeux de sécurité. Les impératifs économiques, organisationnels et réglementaires apparaissent donc en profonde contradiction, ce qui entretient le trouble dans la prévention, c’est-à-dire l’expérience, partagée par les différent·es acteur·rices chargé·es de la santé au travail des intérimaires, d’un agir empêché.

80 Ces « situations troublées » dont les différents professionnel·les étudié·es font l’expérience renvoient donc, plus globalement, à une déresponsabilisation organisée et entretenue par l’ensemble de ces mécanismes : l’inadaptation du suivi institutionnel des expositions professionnelles au système salarial de l’emploi intérimaire favorise des compromis organisationnels qui, par agrégation et de façon systémique, produisent, sur fond d’externalisation des risques, l’évitement global de la problématique de la santé au travail de ces travailleur·ses. Dans un contexte de distanciation croissante des relations de travail qui marque les transformations en cours au sein et à la périphérie du salariat, cette inadaptation pourrait se généraliser.

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Mots-clés éditeurs : accident du travail, prévention, médecine du travail, intérim, santé au travail

Mise en ligne 01/08/2024

Notes

  • [1]
    Pour une revue de ces travaux, voir Henry, 2017.
  • [2]
    Lecocq C., Dupuis B., Forest H. (2018), Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée, Rapport fait à la demande du Premier ministre, août.
  • [3]
    En portant l’attention sur les situations où le problème de la santé au travail des intérimaires est formulé, nous ne mésestimons pas les effets d’occultation qui persistent. Ceux-ci sont manifestes du côté des maladies professionnelles : 1236 maladies professionnelles ont été reconnues en 2018 pour les 791300 intérimaires (équivalent temps plein), à comparer aux 49500 maladies professionnelles reconnues pour le total de 19,2 millions de salariés (source Cnam-TS), soit des taux respectifs de 0,16 % et 0,26 %. Les mécanismes d’invisibilisation des effets du travail sur la santé des salarié·es précaires (Thébaud-Mony, 2006) jouent ici à plein : nombre élevé d’employeurs différents, durées courtes des contrats, trajectoires professionnelles rarement linéaires et durables dans l’intérim, population précaire moins au fait des procédures de reconnaissance et, plus largement, méconnaissance des expositions professionnelles dans les entreprises utilisatrices (Marchand, 2018). Les acteurs et actrices de la branche en sont conscient·es, mais le problème n’est pas abordé frontalement : « La partie invisible de l’iceberg, c’est les maladies professionnelles. Là, il n’y a rien qui est fait. Parce qu’au niveau de la Cnam, il y a très peu de données là-dessus » (responsable de l’Union syndicale de l’intérim CGT).
  • [4]
    Les accidents du travail enregistrés sont ceux ayant donné lieu à au moins un jour d’arrêt et pour lesquels une déclaration d’accident du travail et un certificat médical initial ont été établis.
  • [5]
    Dans le cas de l’intérim, l’indice de fréquence reste relativement abstrait dans la mesure où, en raisonnant à partir d’effectifs équivalents temps plein (791300 salariés), il agrège des durées d’intérim très diverses. Suivant le rapport de branche de l’Observatoire de l’intérim et du recrutement (2019), Rapport de branche du travail temporaire. Rapport 2019 sur les données 2018 ; https://observatoire-interim-recrutement.fr/files/2020-05/rapport-de-branche-2019-vf.pdf, consulté le 2 avril 2024), pour une activité moyenne de 584 heures pour les hommes en intérim en 2018 et 382 heures pour les femmes, 25 % font plus de 800 heures (688700 salarié·es) et 36 % font moins de 150 heures (1001363 salarié·es). La faible occupation peut renvoyer à des réalités différentes : un travail saisonnier intensif comme un temps partiel maintenant les intérimaires (notamment les femmes) à la marge du salariat stable à temps plein, voire un cumul de statuts d’emploi variés.
  • [6]
    En 2017, sur plus de 2,5 millions de salariés, environ un million a moins de 25 ans, pour une moyenne d’âge de 32 ans.
  • [7]
    Observatoire de l’intérim et du recrutement, Crovella É., Minet B., Picon É. (2017), Évaluation des dispositifs mis en œuvre par les acteurs de la branche pour accompagner les intérimaires suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle ayant engendré un arrêt long, Rapport final, octobre ; https://observatoire-interim-recrutement.fr/files/2018-09/1537872268_oir-valuation-at-mp-rapport.pdf, consulté le 2 avril 2024.
  • [8]
    Les ETT devaient ainsi justifier leurs pratiques illicites de prêt de main-d’œuvre à but lucratif jusqu’à la loi du 5 mars 2014 qui a assoupli dans le Code du travail les conditions du prêt de main-d’œuvre entre entreprises, notamment à titre d’exception dans le cadre de missions temporaires.
  • [9]
    Piloté par la Cram Bourgogne-Franche-Comté, ce Plan a impliqué les services prévention d’une grande partie des caisses régionales.
  • [10]
    L’objectif était d’intervenir dans la moitié des ETT et 20 % des EU.
  • [11]
    D’après l’accord de 2017, « le taux de fréquence (des accidents du travail) est passé de 53,67 en 2002 à 34,5 en 2015 ».
  • [12]
    Accord du 3 mars 2017 relatif à la santé et à la sécurité au travail, https://www.legifrance.gouv.fr/conv_coll/id/KALITEXT000034898346/, consulté le 2 avril 2024.
  • [13]
    Cour de cassation - Chambre sociale, Arrêt Manpower no 245 du 26 février 2020 (18-22.556). La même chambre sociale affirmait déjà dans un arrêt du 30 novembre 2010 : « L’ETT et l’EU sont responsables solidairement pour la prévention et la sécurité des travailleurs temporaires. » Dans l’intérim comme dans la sous-traitance, des acteurs participent conjointement à la relation commerciale dissymétrique. Chacun est responsable du respect de ses propres obligations mais impliqué en cas de non-respect par l’autre acteur de ses obligations (Barnier, 2021).
  • [14]
    Loi no 90-613 du 12 juillet 1990 favorisant la stabilité de l’emploi par l’adaptation du régime des contrats précaires.
  • [15]
    En cas de faute inexcusable de l’employeur, l’ETT est tenue de se retourner vers l’EU pour la prise en charge de sa part de responsabilité le cas échéant.
  • [16]
    Le formulaire Cerfa Cnam-TS 60-3741 invite l’entreprise utilisatrice déclarant l’accident du travail à noter le numéro Siret (Système d’identification du répertoire des établissements) de l’établissement où a eu lieu l’accident.
  • [17]
    Source : entretien anonymisé, Cnam-TS.
  • [18]
    Assemblée nationale, Compte rendu de la Commission d’enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie (risques chimiques, psychosociaux ou physiques) et les moyens à déployer pour leur élimination, 5 avril 2018, séance de 13 heures, Compte rendu no 8, Audition des entreprises d’intérim, F. Ducom, Randstad, p. 10.
  • [19]
    Travail et sécurité, no 698, septembre 2009, p. 16.
  • [20]
    Depuis une loi d’août 2021, ces services s’appellent « services de prévention et de santé au travail ». Nous choisissons de conserver la dénomination en cours au moment de l’enquête. Certaines entreprises emploient directement des médecins (on parle alors de « service autonome »), mais la grande majorité des médecins du travail exerce en SIST. Une agence d’emploi intérimaire, comme toute entreprise, doit adhérer à un SIST, qui aura alors la charge de suivre ses salarié·es permanent·es et d’organiser des visites pour ses intérimaires.
  • [21]
    Avant 2016, la loi prévoyait pour chaque contrat de travail une visite médicale d’embauche, puis un suivi périodique de plus en plus espacé et de plus en plus souvent confié à un personnel infirmier. Depuis la loi El Khomri d’août 2016, la visite d’embauche peut aussi être déléguée : elle se mue en une « visite d’information et de prévention » (VIP), ce qui signifie principalement qu’elle peut être effectuée par un personnel infirmier.
  • [22]
    La validité d’une VIP est de deux ans à condition que l’emploi soit identique, que les risques soient jugés équivalents, que le dernier certificat ou avis d’aptitude soit en possession de l’équipe de santé au travail et que le salarié n’ait pas eu de restrictions d’aptitude depuis.
  • [23]
    Ministère du Travail (sans date), Santé et sécurité des salariés intérimaires et des intérimaires en détachement. « Garantir la santé et la sécurité des intérimaires ». Campagne européenne du Comité des hauts responsables de l’inspection du travail (CHRIT) 2017-2019, Rapport national des contrôles des entreprises de travail temporaire et des entreprises utilisatrices, Commission européenne, Ministère du Travail, p. 48.
  • [24]
    Dans le SIST en question, le médecin inspecteur, en accord avec la direction, a permis la mise en place d’une organisation plus favorable à la surveillance des intérimaires, ce qui explique que ce médecin s’exprime au passé. Comme cela se fait aussi dans d’autres SIST, l’obtention de visites pour des intérimaires est désormais conditionnée à la transmission de fiches d’informations sur l’entreprise et le poste.
  • [25]
    La fiche d’entreprise de l’EU n’est cependant consultable par le médecin que si l’entreprise utilisatrice est suivie par un médecin de son service.
  • [26]
    Dans certains services, des médecins expérimentés (souvent en retraite) sont affectés aux visites intérimaires : ils bénéficient alors d’une connaissance précieuse des entreprises du bassin d’emploi.
  • [27]
    Les documents que nous avons recueillis auprès de la principale animatrice de ce groupe s’arrêtent en 2014.
  • [28]
    Le FASTT est un organisme paritaire financé par les cotisations des ETT ayant pour objectif de faciliter « la vie et l’emploi » des salarié·es intérimaires et qui intervient notamment dans les domaines du logement, de la santé et de la mobilité.
  • [29]
    L’article R4625-9 du Code du travail impose à l’entreprise utilisatrice de vérifier et sinon de se substituer à l’ETT pour le suivi individuel renforcé.
  • [30]
    En agence, ces professionnel·les se concentrent dans six métiers : chargé·e de recrutement, commercial·e, consultant·e, responsable d’agence, chargé·e d’accueil, chargé·e de gestion.
  • [31]
    Nos tentatives pour nous entretenir avec des opérationnel·les des agences ont échoué. Seules les personnes chargées de la prévention se sont montrées ouvertes et accessibles pour discuter les politiques de prévention de leurs entreprises ainsi que de leurs limites. Elles acceptent d’ouvrir la porte à la critique sans doute en grande partie en raison des difficultés qu’elles rencontrent au quotidien pour imposer un agenda qui leur serait propre.
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