Notes
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[1]
Le développé des différents sigles utilisés tout au long de l’article est repris par ordre alphabétique dans le glossaire en annexe.
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[2]
Loi du 29 février 2016 d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée.
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[3]
Dans les structures de l’IAE, l’aide au poste est une aide financière permettant de couvrir pour chaque salarié en insertion une partie de sa rémunération et de son accompagnement. Sur le même principe, une EBE perçoit une aide financière pour chaque salarié qu’elle embauche.
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[4]
Loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée », article 9.
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[5]
Hédon C., Goubert D., Le Guillou D. (2019), Zéro chômeur ! Dix territoires relèvent le défi, Ivry-sur-Seine/Montreuil, Éditions de l’Atelier/Éditions Quart Monde.
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[6]
Le souci de mimétisme avec les entreprises lucratives a aujourd’hui conduit plus d’une moitié des entreprises d’insertion à adopter des statuts commerciaux, alors qu’à l’origine elles relevaient quasi exclusivement d’un statut associatif.
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[7]
Les « sorties dynamiques » comprennent les sorties vers l’emploi durable (contrat à durée indéterminée [CDI], contrat à durée déterminée [CDD] ou missions d’intérim de plus de six mois), les « sorties vers un emploi de transition » (CDD ou missions d’intérim de moins de six mois, contrats aidés chez un employeur de droit commun) ainsi que les « sorties positives » (formations, embauches dans une autre structure d’insertion par l’activité économique [SIAE]).
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[8]
Le taux de commercialisation ne pouvant excéder 30 % de la marge brute pour un ACI, la loi de 2020 aménage, par des dispositions techniques, une transition entre les statuts d’ACI et d’EI.
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[9]
La loi de 2020 ouvre la possibilité pour les AI de déroger au plafond de 480 heures de délégation en entreprise par salarié sur les deux ans que dure leur parcours d’insertion.
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[10]
Données communiquées par les sites officiels des quatre fédérations (consultés le 28 mars 2022).
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[11]
Cette même fédération a, par la suite, soutenu le projet par la signature en 2018 d’une convention de partenariat avec l’association TZC.
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[12]
Chantier école ne s’est rallié à TZC que récemment, en signant la tribune « Ensemble, faisons de l’emploi un droit » parue le 11 mars 2022 dans le Journal du dimanche (JDD).
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[13]
ATD Quart Monde (2014), Demande d’expérimentation ATD Quart Monde. Territoires zéro chômeur de longue durée. Note de présentation, 1er juin 2014 [en ligne].https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2013/11/2014-06-01-Note-de-présentation.pdf, consulté le 3 octobre 2023. Toutes les citations présentes dans les paragraphes suivants en sont extraites.
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[14]
Elles réendogénéisent, en quelque sorte, la contrainte (Jany-Catrice, 2012).
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[15]
Valentin P. (2018), Le droit d’obtenir un emploi. Territoires zéro chômeur de longue durée : genèse et mise en œuvre de l’expérimentation, Lyon, Chronique sociale.
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[16]
À la sortie de l’IAE, 55 % des salariés en insertion connaissent des périodes de non-emploi longues et récurrentes, seulement entrecoupées de brefs contrats temporaires (Bellit, 2019).
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[17]
Le coût du chômage de longue durée résulte d’un calcul établi par une équipe de la direction d’ATD. Denis Prost a réalisé en 2015 une étude « macro-économique », estimant initialement ce coût à 15 000 euros : Demande d’expérimentation ATD Quart Monde. Territoires zéro chômeur de longue durée. Annexe n° 3 – synthèse. Étude macro-économique sur le coût de la privation durable d’emploi [en ligne]. https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2013/11/2015-04-02-Annexe-3-Synthese-Etude-macro-economique-sur-le-cout-de-la-privation-durable-demploi.pdf, consultée le 3 octobre 2023. Cette étude a ensuite été réestimée en 2017 proposant une fourchette comprise entre 16 000 et 19 000 euros : Abrossimov C., Prost D. (2017), Étude macro-économique sur le coût de la privation d’emploi [en ligne]. https://www.tzcld.fr/wp-content/uploads/2017/07/Etude-macro-MAJ-20170613.docx.pdf, consultée le 3 octobre 2023. Cette contribution au développement de l’emploi est pensée pour couvrir en partie le versement d’un salaire aux CLD embauchés.
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[18]
À certaines périodes, les embauches ont même été suspendues afin d’éviter une « crise de croissance » de l’emploi dans l’entreprise.
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[19]
ETCLD (2018), Expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée. Bilan intermédiaire, octobre, p. 14 [en ligne]. https://www.vie-publique.fr/rapport/278630-experimentation-visant-resorber-le-chomage-de-longue-dure-2018, consulté le 4 octobre 2023.
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[20]
Le rapport intermédiaire du comité scientifique constate de même qu’en comparaison de l’IAE, les bénéficiaires de TZC sont davantage de sexe féminin, s’avèrent plus fréquemment diplômés d’un niveau de formation supérieur ou égal au bac et comptent deux fois plus de personnes âgées de plus de 50 ans (Bouba-Olga [2019], p. 38).
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[21]
Au terme de trois ans d’observation, nous notons, sur notre terrain, un faible taux de sortie vers l’emploi de droit commun (Fretel, Jany-Catrice, 2019 ; Fretel et al., 2020).
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[22]
ETCLD (2018), Expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée. Bilan intermédiaire, octobre, p. 26 [en ligne]. https://www.vie-publique.fr/rapport/278630-experimentation-visant-resorber-le-chomage-de-longue-dure-2018, consulté le 4 octobre 2023.
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[23]
Évalué par le Fonds d’expérimentation à 26 000 euros par ETP conventionné moyen. Outre le versement d’un Smic brut à temps plein, cette somme inclut le coût de l’équipe de direction et le besoin en capital, particulièrement élevé au démarrage de l’EBE.
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[24]
Cet impensé est reconnu implicitement par ATD, Claire Hédon, Didier Goubert et Daniel Le Guillou (2019) intitulant un chapitre de leur ouvrage Zéro chômeur ! Dix territoires relèvent le défi : « L’entreprise à but d’emploi, un modèle qui s’invente ».
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[25]
Cette formation se déroule en Pays de la Loire, où Patrick Valentin a dirigé plusieurs structures d’aide par le travail à destination des personnes en situation de handicap.
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[26]
Créée en 2002 et régulièrement présentée comme la préfiguration du projet TZC, TAE est une structure appartenant à ATD Quart Monde. Elle est conventionnée comme ACI mais s’en démarque sur deux points : elle fonctionne sans encadrants techniques en laissant une large autonomie aux salariés en insertion ; elle embauche les salariés en insertion en CDI à l’issue de leur CDDI.
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[27]
Cette nouvelle organisation du travail, mise en place dans les derniers mois de notre enquête, n’a pas pu être analysée.
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[28]
Certaines activités ont été freinées, voire abandonnées en raison d’obligations réglementaires en matière de qualification : activité de traiteur, de garage solidaire, etc.
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[29]
La participation de l’État à la contribution au développement de l’emploi s’élevait en 2017 à 101 % du Smic brut, avant d’être ramenée à 95 % en 2019. Un arrêté du 12 juillet 2021 l’a relevée à 102 %, la deuxième loi d’expérimentation obligeant par ailleurs les conseils départementaux à abonder à hauteur de 15 % du montant versé par l’État. Un arrêté du 31 juillet 2023 ramène la participation de l’État à 95 % à compter du 1er octobre 2023.
1 Qu’y a-t-il de commun entre l’expérimentation territoires zéro chômeur de longue durée (TZC [1]) et les dispositifs de l’insertion par l’activité économique (IAE) ? Si ces deux initiatives s’adressent aux publics considérés comme les « moins employables » au sein des politiques d’emploi (encadré 1), elles divergent sur de nombreux aspects. D’un côté, l’IAE, composée des ateliers et chantiers d’insertion (ACI), des associations intermédiaires (AI), des entreprises d’insertion (EI) et des entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI), déploie depuis quatre décennies des actions qui, pour une période donnée, articulent travail/accompagnement/formation et appui social. L’IAE a vu sa position s’institutionnaliser dans le champ des politiques d’emploi, ce que parachève la concrétisation en 2019 d’un Pacte d’ambition pour le secteur. D’un autre côté, l’expérimentation TZC a été très récemment introduite dans le débat public comme un « nouveau modèle » de lutte contre le chômage de longue durée, et envisagée par ses promoteurs comme une façon de dépasser les apories de l’IAE et plus globalement des politiques d’emploi. L’expérimentation territoriale TZC, mise en œuvre grâce à un droit à l’expérimentation voté par une première loi en 2016 [2], repose sur le principe de l’embauche de chômeurs de longue durée (CLD ici) au sein d’entreprises à but d’emploi (EBE). Dans chaque territoire, l’expérimentation est placée sous l’égide d’un comité local pour l’emploi (CLE) réunissant les parties prenantes de l’expérimentation et présidé par la collectivité territoriale où elle se déroule. Les EBE mettent en œuvre des activités identifiées par le CLE comme étant utiles socialement. Au niveau national, un Fonds d’expérimentation, association créée ex nihilo et comprenant dans son conseil d’administration des représentants de l’État notamment, assure aux EBE le versement de la subvention publique envisagée comme une aide au poste [3], et qui est donc proportionnelle au nombre de personnes recrutées.
Encadré 1. Le champ des politiques d’emploi
Un premier pan des politiques d’emploi est constitué de dispositifs déployés à partir des années 1970. Ils visent à aider des publics considérés comme les moins employables par des mesures dites « ciblées », telles que les contrats aidés ou l’IAE. Un deuxième pan se compose des exonérations de cotisations sociales, enclenchées à partir du début des années 1990 pour répondre à ce qui est posé comme un objectif prioritaire : enrichir la croissance en emplois par une réduction du coût du travail. Portées par le contexte européen (Erhel, 2014), les années 2000 voient un dernier pan des politiques d’emploi se décliner autour de la logique d’activation. Il s’agit d’accélérer le retour à l’emploi des demandeurs d’emploi en articulant dispositifs d’accompagnement, formes de contrôle et incitations financières.
L’ensemble des dépenses de politiques d’emploi représente, en 2019, plus de 6 % du produit intérieur brut (PIB), soit près de 160 milliards d’euros. Le premier poste est porté par les mesures d’exonérations de cotisations sociales (60 milliards d’euros). L’aide à l’emploi de publics fragiles représente 2 milliards d’euros – dont la moitié pour le secteur de l’IAE et environ 22 millions au titre de l’expérimentation TZC. Les politiques d’accompagnement se décomposent en près de 10 milliards d’euros d’incitations financières à l’emploi (principalement par la prime d’activité) et en presque 6 milliards d’euros d’accompagnement, principalement par la contribution de l’État au budget de Pôle emploi (Dumont et al., 2022).
2 Le projet TZC constitue-t-il une réelle rupture avec l’IAE ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que les acteurs impliqués dans l’expérimentation n’ont de cesse de positionner leur action et l’expérimentation au regard de l’IAE, en se mettant à distance de celle-ci. L’analyse de TZC à l’aune des pratiques de l’IAE constitue un sujet en soi du point de vue des acteurs. Cette analyse est également heuristique d’un point de vue institutionnel, puisque la deuxième loi d’expérimentation de 2020 stipule que TZC devra voir « ses résultats comparés à ceux des structures de l’insertion par l’activité économique [4] ».
3 Sur la base d’une enquête de terrain menée durant trois ans (2018-2020) sur l’un des territoires expérimentaux (encadré 2), nous abordons cette question sous l’angle d’une comparaison des modèles socioéconomiques respectifs de TZC et de l’IAE. Notre analyse, de type institutionnaliste, ne vise pas à comparer l’efficacité des deux dispositifs. Elle pointe les dynamiques institutionnelles à la source de deux manières distinctes d’appréhender, en théorie, l’insertion des publics accueillis et leur rapprochement dans la pratique. Notre démarche socioéconomique (Convert et al., 2008) met l’accent sur les dynamiques historiques et sur le rôle joué par les institutions formelles (normes, lois, règles) et informelles (conventions, habitudes) dans la mise en place de l’expérimentation TZC. Elle met aussi l’accent sur les jeux d’acteurs et les rationalités multiples, en particulier interprétatives (Mongin, 2002), sur lesquelles s’appuient ces acteurs.
4 Dans quelle mesure TZC constitue-t-il alors une réelle rupture avec l’IAE ? La réponse varie selon le projet TZC dont il est question. S’agit-il du projet idéel, largement porté et popularisé dans une version maximaliste par l’association ATD (Agir tous pour la dignité) Quart Monde [5] ? Ou s’agit-il du projet en actes, c’est-à-dire de l’expérimentation telle que mise en œuvre au niveau national et local ? Le projet idéel est construit et promu en réaction à l’évolution de l’IAE, marquée au cours des dernières décennies par la montée d’une conception entrepreneuriale. Pour autant, l’analyse du projet en actes souligne une forte convergence avec le modèle de l’IAE. L’opérationnalisation du projet, nécessairement sujette à des interprétations et à des tensions face aux contingences du réel et à la conflictualité des acteurs, a ainsi vu reculer certains principes du projet idéel, maximaliste, au profit du retour à certains principes traditionnels de l’IAE.
Encadré 2. Démarche méthodologique
1. Des entretiens approfondis et longitudinaux avec un panel de douze bénéficiaires ont été réalisés en trois vagues sur une période de dix-huit mois.
Un projet idéel à contre-courant des évolutions de l’insertion par l’activité économique
5 Nous désignons le projet TZC idéel comme celui porté à l’origine par l’association ATD Quart Monde. Cette version originelle peut se lire comme une réaction aux évolutions de l’IAE. Nous commençons par retracer ces dernières, puis nous y opposons l’approche défendue par le projet originel TZC qui prend, dans l’esprit, la forme d’un contre-modèle.
La montée en puissance d’une conception entrepreneuriale dans l’insertion par l’activité économique
6 Les premières politiques de l’emploi, dans les années 1970, ciblent des publics considérés comme les moins employables en leur proposant des mesures d’insertion (encadré 1). L’IAE est née dans ce contexte, émanant de professionnels du travail social ayant pour ambition de renouveler leurs méthodologies d’intervention. L’idée était de mettre les personnes éloignées de l’emploi en situation de travail, pour favoriser leur réintégration dans la société salariale encore au plein-emploi. Apparaissent ainsi de premières expériences appelées unités de production, que leurs évolutions divergentes vont scinder en deux sous-ensembles (Bailleau, 1986). D’une part, des centres d’adaptation à la vie active (CAVA) sont mis en place pour leurs résidents par des associations gestionnaires d’internats éducatifs ou par des centres d’hébergement et de réinsertion sociale. Dans ces CAVA, l’accent est mis sur les vertus socialisatrices de l’activité de travail, celle-ci étant limitée à l’exécution de tâches nécessaires au fonctionnement de l’établissement (blanchisserie, entretien des locaux, etc.). D’autre part, des entreprises intermédiaires, dirigées par des éducateurs sociaux souvent issus de la prévention spécialisée, diversifient les domaines d’activité offerts aux personnes éloignées de l’emploi et mettent l’accent sur la production et sa commercialisation.
7 Dans les années 1980, face à un contexte macrosocial transformé par le chômage de masse, ces deux approches s’affinent et leurs différences s’accentuent. D’un côté, les entreprises intermédiaires, rebaptisées entreprises d’insertion (EI), s’adressent à des publics qu’elles sélectionnent à l’entrée et auxquels elles offrent un contrat de travail. La mise au travail s’effectue dans des conditions proches de l’emploi de droit commun [6] sur des activités marchandes accessibles aux publics peu qualifiés. Cette configuration vise à favoriser les apprentissages et in fine l’accès à l’emploi. De l’autre, les CAVA accueillent l’ensemble des personnes en grande difficulté prises en charge dans les établissements sociaux auxquels ils sont adossés (anciens toxicomanes, sortants de prison ou d’hôpitaux psychiatriques, sans domicile fixe, etc.). Leur statut est dérogatoire au droit du travail : les travailleurs sont bénéficiaires de l’action sociale et rémunérés par un « pécule ». Deux conceptions de l’IAE s’affirment, oscillant entre un pôle « entrepreneurial » et un pôle « social » (Gérôme, 2017a).
8 À partir de la fin des années 1980, confrontés à un enkystement du chômage de longue durée, les pouvoirs publics accordent un intérêt croissant à l’IAE. À la suite de l’introduction du revenu minimum d’insertion en 1988, Michel Rocard, alors Premier ministre, commande un rapport sur « les structures d’insertion par l’économique » à un haut fonctionnaire dont il est proche, Claude Alphandéry. Les préconisations de ce rapport, remis en 1990, enclenchent la progressive institutionnalisation de l’IAE par la mise en place d’un conventionnement des structures et la formalisation d’aides légales. La loi de lutte contre les exclusions de 1998 consolide la conception entrepreneuriale de l’IAE : la définition officielle de l’IAE pose en effet le principe du contrat de travail, ce qui en exclut de fait les CAVA. Jusque-là sous la tutelle des affaires sociales, les entreprises d’insertion (EI), associations intermédiaires (AI) et entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI) sont inscrites dans le Code du travail comme des « structures du secteur marchand » et passent sous la tutelle de l’administration de l’emploi. Cette évolution, parfois interprétée comme une « bifurcation du social » (Autès, 1999), se parachève en 2005 avec la loi de cohésion sociale qui ajoute les ateliers et chantiers d’insertion (ACI), en tant que « structures d’utilité sociale », dans le Code du travail.
9 Dans le cadre général des politiques d’emploi, par le recours aux contrats temporaires, dérogatoires au droit commun, principalement le contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI), signé pour quatre mois minimum et renouvelable dans la limite de deux ans, l’institutionnalisation de l’IAE s’inscrit dans le sillage des contrats aidés. Elle reconnaît que la mission d’insertion passe par les garanties attachées au contrat de travail, mais elle se traduit par la création de statuts intermédiaires « entre salariat et non-travail » (Autès, Bresson, 2000). Le caractère temporaire de ces contrats découle du rôle que les pouvoirs publics attribuent à l’IAE, qui est celui de permettre une transition vers l’emploi de droit commun. Cette logique de sas repose sur le postulat selon lequel les difficultés d’insertion résultent de déficiences individuelles de personnes jugées « inemployables » (Ebersold, 2001) : la mise en situation de travail doit permettre à ces dernières d’acquérir les compétences transverses et transférables, censées leur faire défaut sur le marché du travail. Cette fonction de sas sera renforcée à la suite du « Grenelle de l’insertion » de 2008 par la mise en place d’objectifs de taux de « sorties dynamiques [7] ».
10 Le positionnement dans le champ concurrentiel défendu par la conception entrepreneuriale de l’IAE est conforté par les inflexions ultérieures de la politique publique. La réforme du financement de l’IAE de 2014 généralise ainsi à l’ensemble des structures le mécanisme de l’aide au poste d’insertion, appliqué jusque-là aux seules EI. Bien que présentée comme une simple harmonisation technique du soutien public, cette réforme introduit de facto une « contractualisation incitative » (Morand, Gianfaldoni, 2017). Elle consacre une formalisation élaborée de longue date par les EI, parfaitement conforme au droit européen des services d’intérêt économique général. L’aide publique est présentée comme une compensation de la supposée moindre productivité des personnes en insertion et du coût de leur accompagnement. Le montant de cette aide est calibré pour éviter une concurrence déloyale avec les entreprises lucratives et ainsi autoriser un financement principalement marchand de l’IAE. La loi du 14 décembre 2020 poursuit cette logique en misant sur l’EI et l’ETTI pour atteindre les 100 000 salariés en insertion supplémentaires prévus dans le Pacte d’ambition de l’IAE. Elle encourage également la transformation des ACI en EI par un développement progressif de la commercialisation de leur production [8]. Elle invite aussi les AI à accroître leurs délégations en entreprise, ce qui les rapproche du modèle des ETTI [9].
11 La diffusion de la conception entrepreneuriale, accélérée depuis la fin des années 2000 sous l’impulsion de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et de l’Avise, agence d’ingénierie pour entreprendre autrement (Gérôme, 2017a), a engendré certaines transformations au sein de l’IAE. Elle a soumis les structures qui en relèvent à un « impératif de croissance » (Gianfaldoni, Lerouvillois, 2015), la rationalisation gestionnaire conduisant à une augmentation de leur taille, voire à la constitution de groupements (Gianfaldoni, 2014). Elle a également incité, à partir de la fin des années 2000, au développement de collaborations renforcées de l’IAE avec les entreprises classiques, afin d’accroître la part marchande de son financement et de proposer des situations de travail censées favoriser le retour à l’emploi de droit commun (Semenowicz, 2017). Le « pôle entrepreneurial » aimante donc l’ensemble des composantes de l’IAE, par la légitimation en son sein des discours et des pratiques caractéristiques de l’entrepreneuriat social (Gérôme, 2014).
12 L’esprit de TZC se démarque de cette dynamique dont nous avons retracé les principales inflexions, en affichant d’autres conceptions de l’IAE.
Territoires zéro chômeur de longue durée : une tentative de revitaliser d’autres conceptions de l’insertion par l’activité économique
13 Malgré sa régulière montée en puissance, la conception entrepreneuriale, portée par la Fédération des entreprises d’insertion, qui regroupe 600 EI et ETTI, n’est pas devenue hégémonique au sein de l’IAE. D’autres conceptions ont perduré, issues de champs professionnels variés et s’incarnant dans d’autres fédérations (Bucolo et al., 2012). La Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), comptant 500 structures de l’IAE dont une majorité d’ACI, soutient une approche inscrite dans la filiation du travail social, dirigée vers les publics les plus en difficulté. La Fédération des comités et organismes d’aide aux chômeurs par l’emploi (Coorace), regroupant une majorité d’AI parmi ses 557 entreprises adhérentes, privilégie quant à elle une perspective de développement local, considérant comme un « gisement » d’emplois potentiels la construction de réponses à des besoins locaux non satisfaits. Enfin, le réseau Chantier école, qui regroupe 1 200 ACI, incarne une vision de l’IAE comme outil de formation à destination de publics peu qualifiés, misant sur des méthodes pédagogiques alternatives et notamment sur la formation en situation de travail [10]. Le projet TZC trouve ses sources parmi ces conceptions alternatives de l’IAE, d’autant que les pionniers, ayant contribué à son émergence, en sont eux-mêmes issus.
14 Patrick Valentin, instigateur originel de TZC, promeut le projet au début des années 2010 dans le réseau « travail » d’ATD Quart Monde qu’il coanime avec Didier Goubert. P. Valentin a précédemment assuré la présidence de Coorace Pays de la Loire et était alors membre du conseil d’administration national de cette fédération [11]. D. Goubert, dirigeait, quant à lui, Travailler et apprendre ensemble (TAE), une structure conventionnée comme ACI. Leur intense travail de persuasion a permis l’appui de l’ex-haut fonctionnaire et dirigeant d’entreprise Louis Gallois, alors à la tête de la FAS, qui a rallié l’ensemble de sa fédération à ce projet. L. Gallois a d’ailleurs pris, dès sa création, la présidence du Fonds d’expérimentation. Ces soutiens s’avèrent cohérents avec le rapprochement opéré par la FAS et Coorace dans les années 2010, autour de la revendication d’un dispositif unifié de l’IAE (Gérôme, 2017a) [12]. Cette filiation consolide l’idée selon laquelle le projet TZC prendrait le contre-pied de la conception entrepreneuriale de l’IAE, au point d’en incarner dans son affichage un contre-modèle, tant au niveau de son projet social que de son modèle économique. Sa formalisation la plus achevée consiste dans une note de présentation [13] élaborée par ATD pour appuyer les actions de plaidoyer préalables à la première loi d’expérimentation. Quatre dimensions de rupture, que nous développons dans les lignes qui suivent, peuvent y être identifiées : un élargissement des publics cibles ; la généralisation du CDI ; la logique de « supplémentarité » ; l’organisation du travail.
15 En ce qui concerne son projet social, TZC se veut plus ambitieux que le dispositif de l’IAE. Ce dernier se trouve en effet limité par la définition de « publics cibles », établie à partir de critères administratifs, et par un contingent de postes conventionnés de salariés en insertion. Il en découle des pratiques d’écrémage dans l’IAE, dont le constat s’est consolidé avec la progression de la conception entrepreneuriale (Ballet, 1997 ; Brun, Pélisse, 2006 ; Manterola, 2013 ; Gérôme, 2017b). Ainsi, pour tenir leurs objectifs de production et/ou améliorer leurs résultats en matière d’insertion, les structures de l’IAE sont amenées à sélectionner, au sein des publics éligibles, ceux qui sont les moins éloignés de l’emploi [14].
16 Le décalage entre le slogan de l’IAE selon lequel « nul n’est inemployable » et la sélection effectuée en pratique a régulièrement été souligné par les promoteurs de TZC pour marquer la spécificité et la portée sociale de leur propre projet [15]. À l’entrée des entreprises à but d’emploi (EBE), TZC n’annonce aucune procédure de sélection : les personnes éligibles doivent être intégrées sur la base du volontariat. Le mot d’ordre est : « On ne recrute pas, on embauche ». La réussite de l’expérimentation TZC repose, comme son nom l’indique, sur la mise en emploi – exhaustive – dans un territoire prédéfini de tous les chômeurs de longue durée le souhaitant. La conception de l’exhaustivité affichée dans le projet idéel est très extensive, ce qui se traduit par une mise à distance des critères administratifs. Le public ciblé ne se réduit pas aux CLD inscrits à Pôle emploi. Il s’étend à l’ensemble des personnes qui se considèrent comme « privées durablement d’emploi » quelle qu’en soit la raison (personnes découragées, inactives, etc.) et qui émettent le souhait d’entrer dans le projet.
17 Dans son projet, TZC prend en compte une autre objection adressée aux contraintes réglementaires des CDDI : leur durée minimale de temps de travail, fixée à vingt heures hebdomadaires, ne serait pas adaptée à certains chômeurs de longue durée dont les difficultés sociales et psychologiques les empêchent de travailler une telle quotité. Pour lever ces obstacles au retour à l’emploi, TZC introduit le principe du « temps choisi » : si un temps plein est accessible à toute personne qui le souhaite de façon à garantir une rémunération au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) mensuel, le volume horaire peut être adapté aux demandes des CLD. La rupture avec le processus sélectif de l’IAE se veut radicale, puisque c’est le CLD qui détermine son temps de travail.
18 TZC prend également ses distances avec la fonction de sas de l’IAE, que cette dernière peine dans les faits à assurer [16]. Les effets bénéfiques du passage par l’IAE s’atténuent en effet à la fin du parcours d’insertion lorsque celui-ci n’aboutit pas au retour à l’emploi (Cervera, Defalvard, 2009). Contrairement au CDDI utilisé par les EI et les ACI ou au contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) et au contrat de mission mobilisés par les AI et les ETTI (dont le modèle repose sur de la mise à disposition de salariés), les embauches dans TZC s’effectuent sous contrat à durée indéterminée (CDI). En effet, TZC repose sur l’idée qu’il n’y a pas d’insertion possible sans intégration pleine et entière à la société salariale, celle-ci ne pouvant se réaliser que par une forme d’emploi typique.
19 Par ailleurs, comme les salariés ont vocation à rester dans l’EBE, le projet n’insiste pas sur l’accompagnement vers l’emploi : la note d’ATD indique seulement que, bien qu’en CDI, les personnes resteront considérées comme disponibles sur le marché du travail vis-à-vis de Pôle emploi et que des actions d’orientation seront menées pour favoriser des sorties vers le marché du travail de droit commun.
20 Le projet TZC se distingue également nettement de la conception entrepreneuriale de l’IAE par son modèle économique. Alors qu’une partie croissante de l’IAE se positionne dans le champ concurrentiel, TZC prend le parti d’investir des activités qualifiées de « complémentaires ». Ces activités ne doivent pas concurrencer celles déjà présentes sur le territoire, afin de garantir la création d’emplois « supplémentaires ». Elles doivent se situer dans des domaines relevant de « l’utilité sociale », sans préciser comment cette notion floue sera définie (Fretel, Jany-Catrice, 2019). Ce positionnement justifie de bénéficier en retour d’un financement principalement non marchand. Suivant une logique d’activation des dépenses passives, la contribution au développement de l’emploi versée aux EBE, d’un montant initial de 18 000 euros par équivalent temps plein (ETP), est pensée comme une réaffectation du coût du chômage de longue durée [17]. Le complément de ressources nécessaire à l’équilibre financier est censé provenir soit de la commande publique responsable, dans le cadre de « marchés connaissant un (ré)encastrement sociopolitique » (Gardin, 2012, p. 74), soit d’activités interstitielles, c’est-à-dire répondant à un besoin limité, intermittent ou qu’aucun acteur public ou privé n’assure pour des raisons de rentabilité, et s’inscrivant dans le cadre des services de proximité (Eme, Laville, 1988).
21 En termes d’organisation du travail, le projet idéel prévoit que la mise au travail s’effectue selon des modalités différentes de l’IAE. Il ne s’agit pas d’adapter les personnes à des postes de travail déterminés par un type de production prédéfini comme dans les structures de l’IAE, démarche que certains ont interprétée comme une mobilisation de la force de travail des « inemployables » sur un « second marché du travail » (Balzani, 2003 ; Lazuech, 2005). TZC entend au contraire valoriser les compétences que les personnes détiennent : c’est à partir d’elles que doivent être définies les activités mises en œuvre par l’EBE, en adaptant ensuite pour cela le poste et l’organisation du travail. La note d’ATD recommande ainsi de commencer par inventorier la ressource humaine disponible sur le territoire, puis d’en déduire « tous les travaux qu’elle pourrait réaliser sans formation préalable ». De même, le projet TZC ne fait aucune mention d’un accompagnement tel que celui réalisé au sein de l’IAE : il s’agit de se démarquer d’un dispositif perçu comme stigmatisant car reposant sur le présupposé d’un déficit d’employabilité (Mauger, 2001 ; Gérôme, 2017b). À l’inverse, le projet mise sur l’autonomie et la libre participation.
22 Finalement, les porteurs du projet TZC, tout comme la loi qui s’en est inspirée, entendent marquer une rupture avec la conception entrepreneuriale qui a progressivement dominé l’esprit de l’IAE, tant dans le projet social que dans le modèle économique. Cette rupture s’incarne dans les missions étendues confiées au CLE. Celui-ci est, dans la loi, garant de l’éligibilité des bénéficiaires. Il valide également les activités développées et fixe les orientations tout au long de l’expérimentation. En dépossédant l’EBE d’une partie des prérogatives qui sont ordinairement l’apanage de l’entrepreneur au profit du CLE, il s’agit de garantir que TZC soit un projet de territoire porté politiquement, et non simplement un projet d’entreprise comme tend à le devenir l’IAE. Toutefois, la mise en pratique de l’expérimentation TZC suscite des tensions, dont la résolution conduit parfois à l’éloigner des intentions du projet maximaliste.
Une mise en pratique qui se traduit par une convergence avec l’insertion par l’activité économique
23 Les tensions rencontrées par l’expérimentation TZC concernent son projet social autant que son modèle économique, les deux s’avérant en étroite interaction. Pour les dépasser, les différents acteurs impliqués procèdent à des adaptations par lesquelles ils s’efforcent d’accorder leurs positions respectives.
Un projet social réajusté
24 D’emblée, des conflits ont éclaté au niveau national au sein des promoteurs du projet, entre les tenants d’une conception extensive du public ciblé (incarnée dans la position d’ATD) et les partisans d’une conception « réaliste » plus restrictive (incarnée dans celle du Fonds d’expérimentation) :
« [Le porteur national du projet] nous a dit : “Arrêtez vos conneries. Ce n’est pas réaliste. Les seuls qui vont pouvoir travailler en entreprise sont ceux qui respectent le Code du travail, qui savent ce que c’est qu’arriver à l’heure, de travailler, et donc, ce ne sera pas pour tout le monde.” [Nous soulignons] Ça, il nous l’a écrit. […] Et donc là, on est tombés de l’arbre. […] On s’est dit : “Ce n’est pas possible, tu ne peux pas être… Tu as parlé exhaustivité avec nous tout le temps, tu ne peux pas dire ça maintenant.” […] Voilà, on a une vraie différence d’appréciation sur ce que c’est que l’exhaustivité. Pour nous, c’est tout le monde, sans restriction, et sans licenciement. »
25 Sur le territoire observé, c’est la conception extensive qui a d’abord prévalu dans la mise en œuvre de l’expérimentation, avec une volonté d’aller au-devant des « invisibles », ainsi que les acteurs les qualifiaient, c’est-à-dire des personnes ni en emploi, ni inscrites à Pôle emploi. Pour cela, les animateurs locaux, sous la houlette d’une association d’éducation populaire, ont utilisé des modalités très volontaristes, des moyens d’information alternatifs (porte-à-porte, flyers, réunions publiques, etc.), en complément de convocations adressées par Pôle emploi aux CLD et par le conseil départemental aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Ils souhaitaient rallier largement les habitants à la cause du projet qui serait mis en œuvre sur leur quartier en adoptant une conception extensive du public bénéficiaire, quitte à « aller chercher » des personnes volontaires pour travailler mais qui ne revendiquaient pas nécessairement de droit à l’emploi :
« Je vais chercher les gens qu’on va pas chercher et qui vont pas venir tout seuls parce que je pense que sinon, c’est discriminant. Voilà, on doit viser une exhaustivité de positionnement, on doit chercher, on doit viser l’exhaustivité de possibilité d’emploi. On doit proposer un emploi à toute personne qui pourrait en… correspondre aux critères, et la chercher, l’informer, on ne sait pas. On ne peut pas laisser une personne sans cette information sur le territoire. […] Les loin de l’emploi, on a tout fait pour les laisser loin de l’emploi donc ils vont pas un jour aller au front en disant : “Moi j’ai le droit et puis c’est comme ça, je vais me faire entendre”, ils savent pas. »
26 Dans cette perspective de l’« exhaustivité de possibilité d’emploi », expression utilisée de façon inédite par cette animatrice, TZC est ainsi mobilisé comme un instrument de dépassement des formes de non-recours aux dispositifs des politiques d’emploi (Warin, 2016).
27 Face à ce volontarisme et à cette conception extensive portée par certains animateurs locaux, l’EBE s’est toutefois heurtée à l’impossibilité d’accueillir toutes les personnes qui le souhaitaient, n’ayant ni les capacités logistiques et humaines, ni le carnet de commandes pour pouvoir le faire [18]. Une liste d’attente tenue à jour par les acteurs du projet, qualifiée localement de « liste de mobilisation », a été mise en place pour faire patienter les candidats. Entre l’impatience des candidats et les contraintes de l’EBE, l’exhaustivité a alors fait l’objet d’une première réinterprétation, plus modeste : celle d’un épuisement de cette liste de mobilisation. Ce glissement de ce qui est entendu par exhaustivité a eu pour conséquence de ralentir puis de stopper les actions visant à aller au-devant des « invisibles ».
28 Une seconde réinterprétation est intervenue lorsque, dans un contexte national, mais également local, les promoteurs de TZC ont souhaité appuyer l’extension du projet dans le cadre d’une deuxième loi. Le nombre de personnes sur la liste de mobilisation devient alors un indicateur clé pour prouver l’efficacité du projet. C’est ainsi que pour accélérer l’épuisement de cette liste tout en préservant une croissance stable de l’EBE, une réinterprétation s’opère, cette fois autour de la notion d’« exhaustivité partagée », qui vise à valoriser auprès des candidats à l’entrée dans l’EBE d’autres solutions d’insertion ou de formation :
« Pour moi l’exhaustivité, qui est un principe, est une exhaustivité de territoire, et non pas d’EBE. Et du coup, même les emplois francs et tous ces machins qui arrivent […] contribuent à l’exhaustivité. Et du coup ce n’est pas l’EBE qui a l’objectif d’exhaustivité, c’est le comité local. Qui, lui, vérifie qu’il n’y a plus de personnes […] en situation de ne pas être impliquées. Et l’EBE par contre accepte toute personne qui n’a pas trouvé d’opportunité dans le système global. »
29 Au contraire, pour les défenseurs de l’« exhaustivité de possibilité d’emploi », le cadre d’emploi de l’EBE demeure une condition nécessaire face aux limites des dispositifs classiques d’insertion-formation et pour aller chercher « les invisibles ». Les difficultés rencontrées par l’EBE pour proposer un emploi à toutes les personnes qui le souhaitent ne sont pas niées, mais, pour maintenir cette conception de l’exhaustivité, la solution privilégiée est celle de la création de nouvelles EBE. Une seconde structure (partenaire de l’EBE pionnière depuis le début de l’expérimentation) est ainsi labellisée « EBE ». Comme elle accueille moins d’une dizaine de salariés, la problématique reste entière. La contrainte se resserre alors pour transformer la façon d’animer la liste de mobilisation, comme le rapporte un acteur de l’association d’éducation populaire ayant organisé l’enrôlement des CLD aux prémices de l’expérimentation :
« On était coincé dans cette question de liste quoi. [Les services de l’État] s’attendaient à ce qu’on la gère comme Pôle emploi gère ses publics, à savoir demander des comptes, ce que les gens sont devenus, quelles autres actions étaient proposées puisque pas de place dans l’EBE… ? Leur proposer des emplois francs. […] Des listes il y en a partout, sauf que celle-ci était constituée autour de TZC. Or, par défaut, on nous a dit qu’il faudrait proposer à ces personnes des actions de droit commun. Au sein de [notre association d’éducation populaire], ça nous a mis un peu en porte à faux, on n’avait jamais utilisé cette liste pour proposer des activités [de notre association] à l’interne. […] Cette liste a été révélatrice et catalysatrice des constructions différentes de l’expérimentation […] et actuellement il y a beaucoup de rancœur et de ressentiment. »
30 Ce membre du CLE déplore la victoire d’une conception restreinte du public ciblé, se rapprochant de celle portée dès le départ localement par Pôle emploi, qui ne visait pas à étendre l’offre de travail mais considérait le projet comme un dispositif, parmi d’autres, des politiques d’emploi :
« Moi, j’étais plutôt prudent, alors évidemment, j’ai informé mais je n’ai pas été rechercher des gens sans arrêt en disant : “Inscrivez-vous pour être embauché à l’EBE.” L’EBE, c’est à un moment un dispositif pour un parcours, donc ce n’est pas une fin en soi. […] On a refait une deuxième réunion [début 2018]. […] En fait, on était plusieurs partenaires, on a invité les demandeurs de ces quartiers en leur disant : “Voilà vous êtes actifs, même si vous avez pas de taf, vous êtes actifs ; donc pour vous aider à un moment à être sur l’insertion emploi, il y a plusieurs dispositifs : il y a le PLIE [Plan local pluriannuel pour l’insertion et l’emploi], Pôle emploi et il y a l’EBE.” Mais c’était parmi l’ensemble des dispositifs. »
31 La conception de l’exhaustivité partagée est celle qui s’est finalement imposée au niveau local comme au niveau national, le Fonds d’expérimentation attirant, dans son bilan intermédiaire de 2018, la « vigilance [sur] deux aspects : la montée en charge des embauches vers l’exhaustivité […] et la responsabilité partagée par tous les acteurs du territoire de l’atteinte de la suppression de la privation d’emploi [19] ».
32 Enfin, le principe d’embauche a progressivement fait place à un processus de recrutement plus classique : une fois lancée, l’EBE a déployé une large palette d’activités et a identifié des besoins pour le fonctionnement efficace de ses processus de production. Alors que le principe de non-sélection devait conduire à ordonner la liste d’attente selon l’ancienneté de la demande, certaines personnes ont été recrutées plus rapidement que d’autres sur la base de compétences spécifiques directement utiles à l’EBE. Est aussi apparue une forme de sélection des publics fondée sur leur adhésion à la philosophie du projet. D’une entrée sans critère on est passé à la nécessité de mobiliser en amont les personnes à ce que représente le projet TZC, avec l’idée implicite selon laquelle ce dernier n’est peut-être pas fait pour tout le monde :
« Quel que soit son niveau de compétence ou son niveau d’autonomie, il faut quand même réussir à comprendre qu’on participe au développement d’un projet, au développement de ses missions, qu’on s’inscrit dans un travail en équipe, dans une entreprise plutôt coopérative, etc. Donc si les personnes n’adhèrent pas à ça, [la prise de poste] va naturellement être très compliquée. Pour nous, c’est indispensable. Et on l’a constaté : ceux pour qui le travail n’a pas été mené, quand ils ont été embauchés, ils ont été perdus, complètement déstabilisés, voire il y a eu des clashs, des rejets. »
33 Malgré ces aménagements, l’EBE étudiée parvient à atteindre d’autres publics que ceux de l’IAE, en particulier ceux qui n’y ont plus accès en raison des effets d’écrémage, ceux auxquels l’IAE n’est a priori pas destinée (personnes diplômées, anciens cadres, etc.) et ceux qui s’en détournent pour des raisons personnelles (horaires incompatibles avec les charges familiales, etc.) [20].
34 La dimension emblématique du projet social qu’est le choix du CDI a fait l’objet d’interprétations variées. Pour certains acteurs (Pôle emploi, Région, présidence de l’EBE), le CDI doit permettre de s’adapter à des personnes pour lesquelles le CDDI dans l’IAE est trop court pour mener à bien un parcours d’insertion. Il ne s’agit pas de garantir aux CLD un statut stable dans l’EBE. Pour le président de l’EBE, s’il convient de rompre avec la matrice des contrats temporaires qui caractérisent l’IAE, il ne s’agit pas pour autant de rompre avec la logique de sas et l’idée de « sortie positive » :
« La raison pour laquelle j’ai accepté d’y aller, c’est que ce ne sont pas des CDDI. […] Il faut trois ans pour qu’une personne soit intégrée dans la société. Parce que c’est long. Déjà, de se refaire au niveau bancaire, il faut travailler déjà un petit peu, pouvoir payer un moyen de locomotion aussi, trouver un logement, il faut aussi montrer patte blanche, donc c’est long. Et les CDDI de dix-huit mois, […] on faisait prendre le train de l’espoir à un certain nombre de personnes à qui on demandait de sortir au bout de dix-huit mois. Je pense que les gens n’acceptent qu’une fois de monter dans le train de l’espoir. Et donc j’étais contre. Si on m’avait dit qu’on mettait des CDDI, j’aurais refusé d’y aller. »
35 Cette logique de sas est renforcée par le souci d’éviter la congestion au sein de l’EBE. Certains acteurs y voient une aubaine pour faire entrer plus souvent de nouveaux bénéficiaires et atteindre l’exhaustivité :
« J’ai du monde à la porte d’entrée et je ne veux pas non plus frustrer ces personnes. Pour répondre à leurs besoins, il faut que je tourne. Donc je veux absolument accélérer pour ceux qui en sont capables, même si c’est 10-20 %, donc 10-20 % de formés pour entrer dans le milieu ordinaire, ce qui permettrait d’avoir de la place pour ceux qui veulent rentrer. »
36 Pour autant, les usages que font les salariés du CDI s’avèrent plus diversifiés que la seule logique de sas (Bouba-Olga, 2021) et différentes trajectoires envisagées ou mises en œuvre par les salariés ont pu être repérées (Fretel, Jany-Catrice, 2019) [21]. Cette diversité de trajectoires, d’appropriation du CDI et de l’expérimentation par les salariés est reprise par la direction de l’EBE, qui assume le désaccord avec son président sur la logique de sas :
« On n’est pas du tout partis dans une logique de : on fait des formations pour envisager autant de sorties, etc. […] Ma vision, contrairement à ce que certains pensent – je sais que par exemple, on n’est pas d’accord avec notre président là-dessus, lui et moi on n’est pas d’accord – faire sortir des gens ne résoudra pas le problème de la privation d’emploi puisque ceux qui vont quitter l’[EBE], c’est pour prendre un poste ailleurs ; donc, finalement, ils vont faire concurrence à quelqu’un d’autre qui va se retrouver sans emploi. »
37 À l’épreuve de son opérationnalisation, sous l’effet des jeux d’acteurs et des conflits, le projet social de TZC est ainsi progressivement redéfini. D’une part, l’expérimentation autorise, pour ceux qui la mettent en œuvre comme pour les CLD, une diversité d’interprétations et d’usages du CDI, parmi lesquels la logique de tremplin vers le marché du travail ordinaire. D’autre part, l’objectif d’exhaustivité et le principe du « nul n’est inemployable » sous-jacent sont eux-mêmes discutés, interprétés, remodelés. La rupture avec l’IAE visée par le projet TZC s’estompe en partie, ces infléchissements résultant aussi des limites du modèle économique sur lequel repose l’expérimentation.
Un modèle économique restructuré
38 Les emplois créés dans l’EBE doivent être « supplémentaires », c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas se substituer à ceux existant dans les organisations publiques ou privées. Sur la base des pratiques mises en œuvre par les territoires, le Fonds d’expérimentation codifie cette notion à partir de deux conditions [22]. Tout d’abord, l’activité de l’EBE ne doit pas concurrencer celle des autres organisations présentes sur son territoire. Cela recouvre trois cas de figure : « l’activité n’existe pas sur le territoire ; l’activité existe mais une partie de la population n’y a pas accès pour des raisons économiques ; l’activité existe mais la capacité du secteur marchand ou non marchand à répondre à la demande est insuffisante ». Ensuite, il est attendu que l’EBE n’intervienne pas à l’extérieur de son territoire pour éviter de concurrencer les entreprises qui s’y trouveraient. Il convient de respecter un « exercice principalement territorial d’une activité », ce qui est le cas si le financeur ou le bénéficiaire est issu du territoire d’expérimentation ou si la production ou l’exercice du service s’y déroule.
39 Sur notre terrain, les activités sont, de fait, proches de celles des ACI et des AI (maraîchage, ressourcerie, services à la personne). Cette proximité s’explique par le fait que les activités d’utilité sociale visées par TZC sont déjà investies par certaines structures de l’IAE. La règle de non-concurrence, qu’il a fallu construire pour lever les réticences, est le produit de la coopération entre les acteurs en présence qui ont évalué le risque concurrentiel et cherché à le dépasser :
« [Les dirigeants de l’AI] ont été là pour apporter de l’expertise mais ont aussi beaucoup regardé notre concurrence. Mais l’ont regardée de manière très positive : […] finalement c’est eux qui sont venus apporter la solution, en gros le cadre dans lequel l’[EBE] peut développer ses activités de services à la personne sans risque concurrentiel avec eux d’abord, mais [aussi] avec les autres acteurs du secteur.
- Et c’est quoi cette solution ?
- […] C’était tout bête : “Ne travaillez que sur [des clients identifiés par leurs] conditions de ressources, et ne vendez que dans le strict périmètre du territoire qui est défini et uniquement à des personnes qui de toute façon n’achètent pas les prestations de services à la personne aujourd’hui.” Du coup on a mis en place un système de vérification des revenus des personnes, et de ce à quoi ils ont déjà droit. »
40 La règle de non-concurrence s’inscrit ainsi dans la dynamique d’une régulation conjointe qui, loin d’occulter les intérêts potentiellement conflictuels, constitue un « effort pour affirmer l’autonomie des acteurs et créer les conditions de leur compatibilité » (Reynaud, 2003, p. 113). Autorisant la coexistence d’activités devenues complémentaires et non plus concurrentielles, cette règle freine néanmoins le développement des activités, soit parce qu’elle fait de l’EBE un acteur économique en fin de la chaîne de valeur, soit parce qu’elle se heurte à l’étroitesse du territoire et au faible pouvoir d’achat des habitants. Les ressources propres dégagées par les différentes activités s’en trouvent limitées. Au bout de trois années de fonctionnement de l’EBE, sur la dizaine d’activités créées, seules trois d’entre elles permettent de dégager une marge supérieure à 3 000 euros par ETP et par an, très inférieure au seuil de 8 000 euros nécessaire pour couvrir le besoin de financement des EBE [23]. Les acteurs locaux rapportent d’ailleurs que la question de la rentabilité des activités s’est trouvée posée avec acuité par le Fonds :
« [Il y a] les secteurs sur lesquels on avait une utilité mais sur lesquels Louis Gallois était ennuyé [quant au] chiffre d’affaires qu’on pouvait réaliser. Il fallait trouver une autre économie […]. On [doit] être à moins de 2 euros/heure de chiffre d’affaires par salarié alors qu’une autre région montait à 4. Donc on a dit : “Il faut qu’on monte à 4, qu’on double cette partie-là”. »
41 Si l’objectif de croissance du chiffre d’affaires fait consensus pour l’ensemble des parties prenantes, il se heurte à la conciliation avec l’objectif d’utilité sociale. Un discours émerge ainsi du côté de l’EBE et des acteurs institutionnels pour appuyer le développement de l’ingénierie économique afin de remodeler les activités, en supprimer certaines, ou bien envisager la mise à disposition de salariés de l’EBE auprès d’entreprises partenaires (modèle à part entière dans l’IAE à travers les AI et les ETTI) :
« Il faut qu’on monte à 4 [euros/heure/salarié de chiffre d’affaires], qu’on double […]. Donc ça veut dire deux choses : comment on réfléchit à un modèle économique qui marche bien et dans ce cas-là, faut-il arrêter certaines activités qui sont de vrais trous dans nos caisses, et […] comment on fait dans ce cas-là pour former des gens et les mettre à disposition de structures qui ont besoin de personnes ? »
42 Ce modèle de développement des activités s’éloigne du projet originel de construction des activités par les habitants et les CLD. Initialement centrée sur le CLE et la participation des CLD dans l’élaboration des activités, l’utilité sociale se redéfinit au regard des impératifs d’équilibre budgétaire et de développement de recettes marchandes. Bien que le développement de celles-ci soit toujours justifié comme la contrepartie à la poursuite de services de proximité « qui ne s’équilibreront jamais et qui répondent à un besoin social » (chargé de mission de la collectivité territoriale), il constitue un levier de transformation des pratiques de l’EBE, la rapprochant de la conception entrepreneuriale de l’IAE.
43 Le projet national TZC se caractérise par un impensé concernant l’entreprise (Fretel, Jany-Catrice, 2019) : aucune précision n’y est donnée sur le fonctionnement des futures EBE [24]. Des divergences à ce sujet sont apparues au niveau national dès l’été 2016, lorsqu’une semaine de formation est organisée par le Fonds d’expérimentation à l’intention des directeurs d’EBE des territoires expérimentaux. Deux visions s’affrontent parmi les promoteurs du projet, qui ont conduit à deux formations distinctes. La première, portée par Patrick Valentin, fondée sur l’exemple de structures issues de l’IAE et du handicap [25], en reprend le mode de management vertical. La seconde, portée par ATD et inspirée du cas singulier de Travailler et apprendre ensemble (TAE) [26], défend un organigramme horizontal et a nettement influencé le mode d’organisation adopté au départ dans nombre d’EBE. Les principaux acteurs de l’expérimentation locale se déplacent sur le site de TAE qui inspire leur type de management : afin de favoriser leur implication, les salariés de l’EBE doivent gérer eux-mêmes le fonctionnement de leur activité :
« Les EBE ont une volonté d’implication forte des salariés dans la gouvernance de leur structure. C’est pas forcément les habitudes de l’IAE, parce que c’est compliqué et que vous travaillez avec des publics marqués. Et c’est plus facile de retravailler avec les cadres d’intervention dont on est issu que d’inventer autre chose. »
44 Ce principe d’inspiration autogestionnaire s’est traduit par l’absence d’encadrement intermédiaire. Chaque activité s’est vue attribuer un « animateur », issu du public éligible, sans pouvoir hiérarchique. Un tel choix se situe à rebours de la démarche de l’IAE, reposant sur une stricte délimitation entre les publics en insertion et les personnels permanents les prenant en charge. Fidèle au projet TZC, la direction de l’EBE locale a estimé qu’un accompagnement socioprofessionnel de type IAE n’était pas nécessaire. Un besoin d’accompagnement s’est toutefois rapidement fait ressentir face à la difficulté de certains salariés à s’approprier l’organisation du travail proposée :
« L’organisation qu’on a mise en place dans les équipes avec une répartition de responsabilités, on voit bien que c’est compliqué pour les salariés de s’en saisir […]. Ce modèle de management… Je pense que pour certains, ça peut être angoissant quand même de pas pouvoir se reposer au quotidien sur un chef, même si on essaie d’être super dispos, on n’est pas physiquement toujours là. »
45 Durant les deux premières années, cet « encadrement » s’est traduit par un compagnonnage dans les apprentissages de l’activité, misant sur l’expérience de travail et l’accompagnement des équipes par des salariés plus qualifiés ou simplement plus « débrouillards ». Certains salariés apparaissent alors comme des ressources pour leurs collègues, endossant de fait un statut de formateur-accompagnateur. Ces modalités d’accompagnement s’avéraient originales dans la mesure où elles opéraient entre pairs. Elles épousaient par ailleurs les contraintes liées au lancement de l’entreprise, en s’ajustant à la frugalité des moyens techniques, humains et financiers à disposition. Mais ce fonctionnement « autogestionnaire » s’est rapidement trouvé limité, aussi bien du point de vue du développement économique des activités que du point de vue du climat des relations de travail, le statut de formateur-accompagnateur n’étant ni choisi, ni équipé :
« Moi je n’aime pas ce rôle […] qu’on m’a donné. J’en ai parlé un peu que j’étais un peu gênée de dire tout le temps : “C’est pas ça, pourquoi t’as fait comme ça ?” J’en ai parlé un peu que j’aimais pas […] ce rôle qu’on m’a mis. Je veux travailler, c’est tout. »
46 Une redéfinition du management va alors s’opérer à l’initiative de la direction de l’EBE. Initialement, l’organigramme était quasi horizontal. La hiérarchie se limitait au directeur de l’EBE, à son adjointe et à un responsable d’exploitation issu du public éligible. Au bout d’un an, la direction de l’EBE juge cependant nécessaire de s’appuyer sur deux responsables d’exploitation : une seconde salariée issue du public éligible est alors promue à cette fonction. Enfin, un an plus tard, pour remédier à certains dysfonctionnements, un encadrement intermédiaire est ajouté. Dans un premier temps, la direction de l’EBE recrute quatre « responsables d’équipe », devant jouer le rôle des encadrants techniques de l’IAE, afin de redresser les activités qui fonctionnaient mal. La mise en place de cet encadrement intermédiaire s’est heurtée aux pratiques autogestionnaires de l’EBE, de sorte que les deux personnes recrutées hors de l’EBE sont parties avant la fin de leur période d’essai. Pour dépasser ces difficultés, l’encadrement intermédiaire a pris la forme de postes de « responsables de pôle », pourvus pour partie par des salariés éligibles à l’expérimentation, pour partie par des personnes recrutées en externe. Leur défi est d’assurer une supervision des activités similaire à celle des encadrants techniques de l’IAE, tout en la conciliant avec une organisation d’inspiration autogestionnaire [27].
47 Le développement de l’expérimentation locale a aussi progressivement débouché sur un recours accru à la formation, impulsé par la direction de l’EBE avec l’appui du comité métropolitain et de la Région. Un poste RH (ressources humaines) a été créé en janvier 2018 par la direction, dont la mission première était de conduire la mise en œuvre de la formation au sein de l’EBE. L’analyse du bilan de formation des trois premières années montre une montée en puissance des formations visant l’acquisition de savoirs et de savoir-faire propres aux activités de l’EBE : apprentissage des gestes métiers, prévention des risques professionnels et respect des obligations réglementaires [28]. Cette tendance est confirmée par l’examen du plan de développement des compétences 2020-2021, qui identifie une majorité (67 %) d’actions de formation en lien avec les activités de l’EBE. Tout en portant largement l’objectif de développement et de viabilisation économique des activités, la formation dans l’EBE renoue avec les cadres classiques de l’IAE car elle poursuit également une logique de consolidation du parcours professionnel des salariés (dans ou hors de l’EBE) et une logique d’accompagnement social (Fretel et al., 2020). Cette évolution procède d’une conversion tardive et forcée de l’expérimentation, confrontée aux difficultés de structuration des activités et d’organisation du travail. Mais elle semble également s’inscrire de plus en plus dans une logique d’adhésion à la formation comme élément conceptuel central, à l’instar de l’IAE qui apparaît comme « mieux structurée que [les EBE] pour l’accompagnement des personnes et sur la formation et donc sur l’acquisition de compétences », selon la direction de l’EBE.
48 Au fil de l’expérimentation, TZC et les acteurs impliqués dans la gouvernance de l’EBE ont été rattrapés par des modalités de fonctionnement rapprochant le projet des modes d’intervention de l’IAE. Les questions de la viabilité des activités et de l’organisation du travail y sont devenues prégnantes, comme dans les structures de l’IAE. Au niveau national, les institutions en charge de la conduite des politiques d’emploi semblent ne pas avoir rompu avec le cadre traditionnel de l’IAE :
« On a les réflexes et réflexions traditionnels de l’insertion qui viennent se greffer dans l’affaire.
- Par exemple ?
- Tu définis les personnes en fonction de leur degré d’éloignement du marché du travail [rires]. »
49 Dans la lignée de la conception entrepreneuriale de l’IAE décrite en première partie, cet éloignement de l’emploi est ainsi considéré comme l’origine d’un différentiel de productivité, qui légitime le financement non marchand des EBE, du fait du différentiel de compétitivité dont elles pâtissent dans leur environnement concurrentiel (Perrot et al., 2019). C’est dans cette optique qu’en 2021 une nette revalorisation de la contribution au développement de l’emploi [29] est intervenue pour prendre en charge le coût du personnel d’encadrement intermédiaire assurant l’accompagnement dans l’emploi. Le modèle économique de l’EBE a été stabilisé via cette contribution par un renforcement de la part des ressources non marchandes, mais sur le même fondement que le subventionnement de l’IAE, et non au regard des activités socialement utiles ou du projet de territoire qu’est censée porter l’expérimentation.
50 Si le projet TZC ambitionnait de se démarquer nettement de la conception entrepreneuriale de l’IAE qui s’est progressivement imposée à mesure de son institutionnalisation, la mise en œuvre de l’expérimentation a toutefois débouché sur des formes de convergence. Pour atteindre l’objectif d’éradication du chômage de longue durée, les porteurs nationaux de TZC entendent désormais s’appuyer non sur les seules EBE mais sur l’ensemble des structures de l’IAE d’un territoire, en leur donnant les moyens de se développer autant qu’il leur est possible, par l’ouverture de postes conventionnés en nombre nécessaire :
« Ce n’est pas une couche qu’on cherche à faire. Ce qu’on cherche à faire, c’est supprimer un numerus clausus, et donner aux territoires l’ensemble des outils nécessaires. Avec tous les outils qui existent parce qu’on ne va pas réinventer le fil à couper le beurre. »
51 Mais au-delà de la convergence avec l’IAE, TZC continue de porter un projet innovant par au moins deux aspects.
52 Ce projet est innovant, d’une part, par la mobilisation des acteurs du territoire qui le caractérise (Fretel, Jany-Catrice, 2022), dont les CLE sont l’incarnation. En ce sens, TZC œuvre pour produire une politique d’emploi ancrée dans un « projet de territoire », là où la politique d’emploi se limite souvent à une « politique territorialisée » (Berthet et al., 2002), ne faisant du territoire qu’un « territoire de projection » (Pillon et al., 2019). Certes, cela ne va pas sans à-coups. Les CLE, dépositaires de la production des règles, de la question de la supplémentarité des emplois, de l’utilité des activités et des logiques présidant au recrutement, se sont désengagés dans nombre de territoires en raison d’un essoufflement lié au manque de moyens et aux difficultés nombreuses auxquelles les acteurs ont dû faire face. On assiste à un « retour de l’employeur » (Béraud, Higelé, 2020), qui voit l’EBE s’affranchir partiellement de la tutelle d’un CLE en retrait.
53 D’autre part, TZC innove en questionnant le paradigme dominant des politiques d’emploi s’adressant aux demandeurs d’emploi et qui misent sur l’accompagnement. En ce sens, TZC ne pose pas l’accompagnement comme un préalable au retour à l’emploi. Est postulée d’office la capacité des personnes à travailler sans chercher à lever des « freins préalables » à la reprise d’emploi ou à résoudre un « trouble d’employabilité » (Orianne, 2005). TZC incarne une logique de work first qui se démarque cependant des politiques d’activation que l’on retrouve dans l’esprit de certains dispositifs de la politique d’emploi ces dernières années (Gautié, 2018). Là aussi, la mise en œuvre est complexifiée du fait du besoin d’accompagnement pour tenir le poste de travail sur la durée, et pour l’émergence de collectifs de travail. L’absence d’accompagnement peut, à défaut, conduire à présélectionner à l’entrée le profil du public accueilli (Fretel et al., 2020). Mais reste l’idée qu’il s’agit d’accompagner autrement, dans l’activité même de travail, sans prédéfinir le temps et les modalités à proposer, à rebours de la définition par défaut et normée qui s’est imposée de cette fonction d’accompagnement dans les dispositifs de politiques d’emploi (Fretel, 2013 ; Lima, 2019).
Annexe
Glossaire des sigles utilisés dans l’article
ACI | Atelier et chantier d’insertion |
AI | Association intermédiaire |
CAVA | Centre d’adaptation à la vie active |
CDDI | Contrat à durée déterminée d’insertion |
CLD | Chômeur de longue durée |
CLE | Comité local pour l’emploi |
COORACE | Comité et organisme d’aide aux chômeurs par l’emploi |
EBE | Entreprise à but d’emploi |
EI | Entreprise d’insertion |
ETTI | Entreprise de travail temporaire d’insertion |
FAS | Fédération des acteurs de la solidarité |
IAE | Insertion par l’activité économique |
TZC | Territoire zéro chômeur (de longue durée) |
Bibliographie
Bibliographie
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- Warin P. (2016), Le non-recours aux politiques sociales, Fontaine, Presses universitaires de Grenoble.
Notes
-
[1]
Le développé des différents sigles utilisés tout au long de l’article est repris par ordre alphabétique dans le glossaire en annexe.
-
[2]
Loi du 29 février 2016 d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée.
-
[3]
Dans les structures de l’IAE, l’aide au poste est une aide financière permettant de couvrir pour chaque salarié en insertion une partie de sa rémunération et de son accompagnement. Sur le même principe, une EBE perçoit une aide financière pour chaque salarié qu’elle embauche.
-
[4]
Loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée », article 9.
-
[5]
Hédon C., Goubert D., Le Guillou D. (2019), Zéro chômeur ! Dix territoires relèvent le défi, Ivry-sur-Seine/Montreuil, Éditions de l’Atelier/Éditions Quart Monde.
-
[6]
Le souci de mimétisme avec les entreprises lucratives a aujourd’hui conduit plus d’une moitié des entreprises d’insertion à adopter des statuts commerciaux, alors qu’à l’origine elles relevaient quasi exclusivement d’un statut associatif.
-
[7]
Les « sorties dynamiques » comprennent les sorties vers l’emploi durable (contrat à durée indéterminée [CDI], contrat à durée déterminée [CDD] ou missions d’intérim de plus de six mois), les « sorties vers un emploi de transition » (CDD ou missions d’intérim de moins de six mois, contrats aidés chez un employeur de droit commun) ainsi que les « sorties positives » (formations, embauches dans une autre structure d’insertion par l’activité économique [SIAE]).
-
[8]
Le taux de commercialisation ne pouvant excéder 30 % de la marge brute pour un ACI, la loi de 2020 aménage, par des dispositions techniques, une transition entre les statuts d’ACI et d’EI.
-
[9]
La loi de 2020 ouvre la possibilité pour les AI de déroger au plafond de 480 heures de délégation en entreprise par salarié sur les deux ans que dure leur parcours d’insertion.
-
[10]
Données communiquées par les sites officiels des quatre fédérations (consultés le 28 mars 2022).
-
[11]
Cette même fédération a, par la suite, soutenu le projet par la signature en 2018 d’une convention de partenariat avec l’association TZC.
-
[12]
Chantier école ne s’est rallié à TZC que récemment, en signant la tribune « Ensemble, faisons de l’emploi un droit » parue le 11 mars 2022 dans le Journal du dimanche (JDD).
-
[13]
ATD Quart Monde (2014), Demande d’expérimentation ATD Quart Monde. Territoires zéro chômeur de longue durée. Note de présentation, 1er juin 2014 [en ligne].https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2013/11/2014-06-01-Note-de-présentation.pdf, consulté le 3 octobre 2023. Toutes les citations présentes dans les paragraphes suivants en sont extraites.
-
[14]
Elles réendogénéisent, en quelque sorte, la contrainte (Jany-Catrice, 2012).
-
[15]
Valentin P. (2018), Le droit d’obtenir un emploi. Territoires zéro chômeur de longue durée : genèse et mise en œuvre de l’expérimentation, Lyon, Chronique sociale.
-
[16]
À la sortie de l’IAE, 55 % des salariés en insertion connaissent des périodes de non-emploi longues et récurrentes, seulement entrecoupées de brefs contrats temporaires (Bellit, 2019).
-
[17]
Le coût du chômage de longue durée résulte d’un calcul établi par une équipe de la direction d’ATD. Denis Prost a réalisé en 2015 une étude « macro-économique », estimant initialement ce coût à 15 000 euros : Demande d’expérimentation ATD Quart Monde. Territoires zéro chômeur de longue durée. Annexe n° 3 – synthèse. Étude macro-économique sur le coût de la privation durable d’emploi [en ligne]. https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2013/11/2015-04-02-Annexe-3-Synthese-Etude-macro-economique-sur-le-cout-de-la-privation-durable-demploi.pdf, consultée le 3 octobre 2023. Cette étude a ensuite été réestimée en 2017 proposant une fourchette comprise entre 16 000 et 19 000 euros : Abrossimov C., Prost D. (2017), Étude macro-économique sur le coût de la privation d’emploi [en ligne]. https://www.tzcld.fr/wp-content/uploads/2017/07/Etude-macro-MAJ-20170613.docx.pdf, consultée le 3 octobre 2023. Cette contribution au développement de l’emploi est pensée pour couvrir en partie le versement d’un salaire aux CLD embauchés.
-
[18]
À certaines périodes, les embauches ont même été suspendues afin d’éviter une « crise de croissance » de l’emploi dans l’entreprise.
-
[19]
ETCLD (2018), Expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée. Bilan intermédiaire, octobre, p. 14 [en ligne]. https://www.vie-publique.fr/rapport/278630-experimentation-visant-resorber-le-chomage-de-longue-dure-2018, consulté le 4 octobre 2023.
-
[20]
Le rapport intermédiaire du comité scientifique constate de même qu’en comparaison de l’IAE, les bénéficiaires de TZC sont davantage de sexe féminin, s’avèrent plus fréquemment diplômés d’un niveau de formation supérieur ou égal au bac et comptent deux fois plus de personnes âgées de plus de 50 ans (Bouba-Olga [2019], p. 38).
-
[21]
Au terme de trois ans d’observation, nous notons, sur notre terrain, un faible taux de sortie vers l’emploi de droit commun (Fretel, Jany-Catrice, 2019 ; Fretel et al., 2020).
-
[22]
ETCLD (2018), Expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée. Bilan intermédiaire, octobre, p. 26 [en ligne]. https://www.vie-publique.fr/rapport/278630-experimentation-visant-resorber-le-chomage-de-longue-dure-2018, consulté le 4 octobre 2023.
-
[23]
Évalué par le Fonds d’expérimentation à 26 000 euros par ETP conventionné moyen. Outre le versement d’un Smic brut à temps plein, cette somme inclut le coût de l’équipe de direction et le besoin en capital, particulièrement élevé au démarrage de l’EBE.
-
[24]
Cet impensé est reconnu implicitement par ATD, Claire Hédon, Didier Goubert et Daniel Le Guillou (2019) intitulant un chapitre de leur ouvrage Zéro chômeur ! Dix territoires relèvent le défi : « L’entreprise à but d’emploi, un modèle qui s’invente ».
-
[25]
Cette formation se déroule en Pays de la Loire, où Patrick Valentin a dirigé plusieurs structures d’aide par le travail à destination des personnes en situation de handicap.
-
[26]
Créée en 2002 et régulièrement présentée comme la préfiguration du projet TZC, TAE est une structure appartenant à ATD Quart Monde. Elle est conventionnée comme ACI mais s’en démarque sur deux points : elle fonctionne sans encadrants techniques en laissant une large autonomie aux salariés en insertion ; elle embauche les salariés en insertion en CDI à l’issue de leur CDDI.
-
[27]
Cette nouvelle organisation du travail, mise en place dans les derniers mois de notre enquête, n’a pas pu être analysée.
-
[28]
Certaines activités ont été freinées, voire abandonnées en raison d’obligations réglementaires en matière de qualification : activité de traiteur, de garage solidaire, etc.
-
[29]
La participation de l’État à la contribution au développement de l’emploi s’élevait en 2017 à 101 % du Smic brut, avant d’être ramenée à 95 % en 2019. Un arrêté du 12 juillet 2021 l’a relevée à 102 %, la deuxième loi d’expérimentation obligeant par ailleurs les conseils départementaux à abonder à hauteur de 15 % du montant versé par l’État. Un arrêté du 31 juillet 2023 ramène la participation de l’État à 95 % à compter du 1er octobre 2023.